CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 L’Organisation des Nations unies est chargée par sa Charte de maintenir la paix et la sécurité internationales. Elle est donc logiquement présente dans les endroits du monde qui sont en crise, où la paix a été rompue ou menacée. Il est un fait que, depuis le milieu des années 1990, le continent africain est, devant le Moyen-Orient, celui qui occupe le plus le processus de décision du Conseil de sécurité et l’action des Nations unies sur le terrain. Cet engagement de l’ONU en Afrique s’est accentué depuis ces années-là ; il a pris des formes multiples et est devenu essentiel aux plans politique et militaire. Il est toutefois confronté à de nombreux défis qui sont autant de marques d’évolution du continent comme de la pratique du maintien de la paix. Face à ces multiples interventions voulues ou subies, le continent africain est aussi un continent qui s’est organisé, et pour qui l’ONU est un partenaire privilégié mais pas unique. Cette relation complexe entre l’ONU et l’Union africaine est aujourd’hui au cœur des dynamiques de gestion des crises africaines.

L’engagement de l’ONU en Afrique est historique, multiforme et indispensable

2 L’Afrique est historiquement le théâtre des opérations de maintien de la paix des Nations unies. Sur les 70 missions déployées sous mandat onusien depuis 1948, 30 l’ont été sur le continent africain. Aujourd’hui encore, ce continent demeure au centre des préoccupations du Conseil de sécurité. En 2015, 95 des 244 réunions du Conseil, 54 des 123 rapports remis par le Secrétaire général et 31 des 63 résolutions votées par le Conseil concernaient exclusivement l’Afrique. Ainsi, environ 40 % du travail accompli par le Conseil concerne le continent africain [1]. Deux fois par an se tient d’ailleurs un débat général sur les questions de « paix et [de] sécurité en Afrique », l’occasion d’évoquer des sujets transverses comme la stratégie pour le Sahel, l’épidémie Ebola, la piraterie dans le golfe de Guinée.

3 Actuellement, 8 des 16 opérations de maintien de la paix (9 si l’on compte la mission au Sahara occidental) et 6 des 11 missions politiques spéciales sont déployées en Afrique. Non seulement l’ONU est bien présente en Afrique (près de 80 % des Casques bleus sont déployés sur le sol africain), mais les pays africains participent de manière active à ces opérations de paix déployées sur leur continent : 6 d’entre eux figurent parmi leurs 10 premiers contributeurs (22,6 % de l’effectif total) ; en mars 2016, l’Éthiopie était le premier des contributeurs de troupes du maintien de la paix avec 8 311 personnes déployées en uniforme.

4 La présence des Nations unies a pris, au fil des années, des formes très diverses et complémentaires : des missions politiques spéciales (Somalie, Burundi, Guinée-Bissau, Libye), des bureaux régionaux (Afrique de l’Ouest, Sahel, Afrique centrale), des opérations multidimensionnelles (Mali, Centrafrique, RDC, Soudan du Sud, Liberia, Côte d’Ivoire), une force intérimaire ne comprenant qu’un seul contributeur de troupes (Abyei), une mission logistique (Somalie) et une opération conjointe avec l’Union africaine (Darfour). À ces missions de terrain, il faut ajouter le travail des groupes d’experts des régimes de sanction, le rôle de médiation d’envoyés spéciaux, le rôle des agences humanitaires et le travail de la Commission de consolidation de la paix à l’égard de certains États sortant de crise (le Burundi, la Sierra Leone, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Liberia et la République centrafricaine sont inscrits à son ordre du jour). Selon les crises, leur contexte régional et politique, le Conseil de sécurité et le Secrétariat ont d’une certaine manière adapté leur dispositif.

5 De même, certaines opérations de maintien de la paix ont constitué des laboratoires d’un maintien de la paix en constante évolution : c’est tout particulièrement le cas de la Monusco en RDC [2] et de la Minusma au Mali [3]. Dès 2005, la mission au Congo a mené des actions robustes contre les groupes armés à l’Est au moyen de forces spéciales (du Guatemala) et d’hélicoptères d’attaque ; la Monusco a été la première opération de l’ONU à utiliser des drones ; elle a également employé des concepts innovants tels que les équipes conjointes de protection, les interprètes faisant la liaison avec les communautés locales, et les bases mobiles et temporaires de protection des civils. Enfin, le Conseil a, en 2013, créé une « brigade d’intervention » chargée « d’éradiquer les groupes armés », langage guerrier inhabituel dans le texte d’une résolution [4]. Au Mali, l’implication de contingents européens a permis de déployer des moyens ISR (Intelligence Surveillance & Reconnaissance), des forces spéciales, une équipe de fusion du renseignement, ASIFU (All Sources Information Fusion Unit). Au Liberia et en Côte d’Ivoire, il a été testé pour la première fois l’emploi d’une « force de réserve régionale » composée d’un bataillon sénégalais ; elle a aussi été utilisée en Centrafrique lors du processus électoral pour renforcer la Minusca en cours de déploiement.

6 Il y a eu, au cours de ces dix dernières années, une « africanisation » progressive du maintien de la paix onusien – les opérations de maintien de la paix en Afrique comprennent 63 % de soldats et policiers africains – mais également une implication croissante des institutions du continent, en termes politiques et militaires. Une relation complexe s’est ainsi développée entre l’ONU et l’Union africaine : la première a aidé la seconde à façonner et à développer ses institutions de paix et de sécurité notamment par la création d’un Bureau des Nations unies à Addis-Abeba ; la seconde veut désormais progressivement s’émanciper de l’emprise de la première en menant ses propres médiations et parfois ses propres opérations, et elle se trouve parfois en désaccord avec les mesures préconisées par le Conseil de sécurité. Celui-ci consulte systématiquement l’Union africaine sur la gestion des crises du continent : cela a été le cas du processus de création des missions au Mali et en Centrafrique, et c’est le cas dans la gestion actuelle de la crise au Burundi. Par ailleurs, l’ONU a très vite compris la nécessité de nouer des partenariats non seulement avec l’Union africaine, mais également avec l’Union européenne ou certains États, pour soit compléter son action (cas des missions européennes de soutien à la réforme du secteur de la sécurité) ou la soutenir voire la renforcer par moments (cas des forces parallèles déployées par la France en Côte d’Ivoire, au Mali et en Centrafrique et cas des opérations de l’ONU en RDC en 2003 et en 2006). L’ONU constitue également la voie de sortie des opérations de l’UA, mais de fait cette prise de relais a souvent ralenti le déploiement effectif et l’opérationnalité des Casques bleus (Côte d’Ivoire, Mali, Centrafrique) en raison du faible équipement des soldats africains. Des partenariats peuvent alors se faire avec les États pour équiper et entraîner ces soldats avant déploiement au sein d’une opération de l’ONU. Enfin, l’ONU a apporté un soutien logistique indispensable aux troupes de l’Union africaine en Somalie.

Mais un engagement confronté à de nombreux défis

7 Aujourd’hui, cet engagement de l’ONU sur le continent africain est soumis à plusieurs tensions et confronté à de nombreux défis.

  • Les grandes opérations de maintien de la paix actuelles se heurtent à l’attitude ambiguë des États-hôtes voire à une contestation ouverte. Or, pour mettre en œuvre leur mandat, ces opérations ont besoin d’un partenaire solide qui veuille bien aller vers la stabilisation et la paix, des processus qui souvent remettent en cause des intérêts bien établis. En l’absence de coopération des autorités du pays, la mission de maintien de la paix se trouve forcément démunie. Aucune opération de maintien de la paix ne peut réussir sans appropriation locale du processus de paix et de réconciliation proposé par la « communauté internationale ».
  • Cela est accentué par le fait que ces missions sont souvent politiquement peu robustes, soit parce qu’elles ne peuvent s’appuyer sur un processus politique solide (exemples du Mali et de la RDC), soit que les grands États du Conseil s’en désintéressent (exemples du Sud-Soudan et du Darfour), soit qu’ils ne souhaitent pas utiliser leurs moyens de pression pour que la mission soit mieux respectée (exemples de la RDC et du Sahara occidental). Souvent, le Conseil se contente d’envoyer des Casques bleus supplémentaires, mais sans pression politique significative, la mission ne peut véritablement accomplir son mandat. Des prises de position divergentes ou un manque d’unité au sein de l’Union africaine peuvent aussi constituer des freins supplémentaires.
  • La robustesse militaire de ces missions ou de leurs contingents a toujours été ponctuelle, car fondamentalement les opérations de maintien de la paix, qui se doivent d’être impartiales, ne peuvent aller au-delà d’une utilisation tactique et temporaire de la force (le Conseil de sécurité ne leur en donne jamais les moyens) : cela a été le cas lors de la crise post-électorale ivoirienne en 2010-2011 avec l’utilisation d’hélicoptères armés et le soutien de la force française Licorne ; cela a également été le cas lors de la défaite du M23 à l’Est du Congo avec l’aide de la Brigade d’intervention en 2013. On dit les contingents africains plus robustes que les autres : certes, comme tout autre contingent, ils sont plus enclins à une action robuste dans une zone d’intérêt national (exemple des Kenyans et des Éthiopiens en Somalie), mais ce n’est pas une réalité sur l’ensemble des terrains. De plus, la faiblesse de leur équipement les rend très vulnérables, en particulier dans des contextes asymétriques comme le Nord-Mali, faiblesse que le système de soutien onusien a du mal à combler en raison de procédures trop lourdes et inadaptées à de tels contextes.
  • Un partage inégal du fardeau qui fait que ceux qui décident des mandats sont rarement ceux qui les mettent en œuvre (en dehors de la Chine aujourd’hui qui a mis pratiquement sur un plan d’égalité sa contribution financière et sa contribution en troupes). Cela accentue le fossé entre les différents contributeurs au maintien de la paix et peut amener à des opérations à deux vitesses, comme au Mali, où la perception est que les Européens ont les capacités (notamment pour se protéger) et que les autres (Africains et Asiatiques) n’ont que les troupes [5].

8 * * *

9 Quels que soient les défis à relever, l’action de l’ONU se situe sur le long terme, en Afrique comme ailleurs. Les processus de réconciliation, de médiation et de reconstruction de l’état de droit prennent du temps. Au regard de l’ampleur de la tâche, il faut juger ses actions non sur une année mais sur une décennie. Ainsi, on peut considérer que l’action des Nations unies et de ses partenaires en Côte d’Ivoire comme un succès, même si les défis à relever dans ce pays restent encore nombreux. La fermeture de l’Onuci en juillet 2017 marquera ce succès, comme avant elle la Sierra Leone et après elle, on peut l’espérer, le Liberia. Les opérations de la fin des années 1980 en Namibie, au Mozambique et Angola sont également considérées comme un succès. L’engagement de l’ONU reste donc au cœur de la résolution des crises africaines.
Tableau 1
Les OMP des Nations unlcsMir le continent africain Sombre de trompes déployées inurv 2016» .Mission Pays Trou pet Potke ObttrrtUtnn Total F1SNUA Abyeft 3 m 17 127 4 M2 M1NUAD Darfour 14 294 2 934 174 17 402 MINUL Libéria 2 592 1 082 71 3 745 MINUSCA RCA 9799 1 $96 151 Il $46 MINUSMA Mali 10 SOS 1 100 40 11 948 MINUSS Sud-Soudan 12 109 1 197 184 13 490 MONUSCO RIX 16936 1 245 456 18 637 ONUCI Côte d*lvotre 3 811 1 354 182 5 347 TOTAL 73 747 10 825 1385 80 957

Notes

  • [1]
    Voir l’infographie dans Mathieu Olivier : « Le Conseil de sécurité de l’ONU s’intéresse-t-il trop à l’Afrique ? », Jeune Afrique, 3 mai 2016.
  • [2]
    Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (appelée Monuc avant 2010).
  • [3]
    Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali.
  • [4]
    Voir Alexandra Novosseloff et Mélanie Cathelin : « La Brigade d’intervention de la Monusco », Dossiers du ROP, 7 août 2013 (www.operationspaix.net/).
  • [5]
    Richard Gowan : European Military Contributions to UN Peace Operations in Africa – Maximizing Strategic Impact, A report by the Center on International Cooperation, décembre 2015, 24 pages.
Français

L’ONU est très engagée en Afrique avec de nombreuses missions aux profits et statuts différents. Agir sur le long terme en ayant une approche globale et en impliquant les États reste indispensable avec certes des échecs, mais aussi des succès encourageants pour l’avenir.

English

The UN engagement in Africa: an appraisal of the current situation

The UN is highly involved in Africa, with many missions in place targeting different entities and with varying statuses. Long-term action by taking a comprehensive approach and including the states concerned remains essential; there have been failures, but also success stories that are encouraging for the future.

Alexandra Novosseloff
Chercheure invitée au Center on International Cooperation (CIC) de l’Université de New York et chercheure associée au Centre Thucydide de l’Université Paris-Panthéon-Assas (Paris 2). Dernière publication (dir.) : Le Conseil de sécurité, entre impuissance et toute puissance (Éditions du CNRS).
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.792.0105
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Comité d’études de Défense Nationale © Comité d’études de Défense Nationale. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...