CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Après trois ans d’une transition fragile dans un contexte politique dont l’instabilité a été exacerbée par le regain de violence de l’automne 2015, l’avenir de la République centrafricaine (RCA) inspirait peu d’espoir. État failli, ravagé par une guerre civile qui a presque débouché sur un génocide et théâtre d’une grave crise humanitaire, la RCA semblait vouée à subir un cycle récurrent de chaos et de violence à grande échelle. Les efforts conjugués des Nations unies, de l’Union africaine, de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Cééac), de l’Union européenne, des partenaires bilatéraux comme la France et les États-Unis, et internationaux, tels que l’OIF et l’OCI, en appui des acteurs nationaux ont cependant permis des progrès inédits : la tenue d’élections présidentielles et législatives dans un climat apaisé, et une stabilisation de la situation sécuritaire.

2 Ce processus électoral, entamé le 13 décembre 2015 avec le vote référendaire, a culminé le 30 mars 2016 avec l’investiture du président démocratiquement élu, le professeur Faustin Archange Touadéra, et la majorité des députés. Les scrutins se sont déroulés dans le calme, mettant fin à la transition et portant une vague d’espoir dans un pays meurtri.

3 « L’ordre et la stabilité étaient absents, les Centrafricains vivaient comme des prisonniers sur leur propre terre, la vie humaine n’était plus sacrée », a rappelé le chef de l’État dans son discours d’investiture. Il a souligné le rôle clé des pays amis, des institutions régionales et internationales dans la normalisation de la situation, dont celui de l’ONU qui « s’est donné les moyens pour rétablir l’ordre avec l’aide de la Minusca » et l’a remerciée « pour son action en faveur d’une paix durable dans notre pays ».

4 La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine (Minusca) a été établie par la résolution 2149 (2014) du Conseil de sécurité, adoptée le 10 avril 2014 [1]. C’est une mission jeune qui est en plein développement.

5 Avant elle, les Nations unies avaient déployé une première force en 1998, la Mission des Nations unies en République centrafricaine (Minurca), forte de quelque 1 350 hommes qui succédait à la Mission interafricaine de surveillance des Accords de Bangui (Misab). La Minurca avait, entre autres, pour mandat de contribuer à maintenir et à renforcer la sécurité, la stabilité et la liberté de mouvement à Bangui et ses environs, ainsi qu’à aider les forces nationales de sécurité, à maintenir l’ordre et à protéger les installations clés à Bangui. Cette mission s’est achevée en février 2000.

6 Après son départ, deux bureaux politiques de l’ONU se succéderont, le Bureau de l’Organisation des Nations unies en Centrafrique (Bonuca, 2000-2009) et le Bureau intégré des Nations unies en Centrafrique (Binuca, 2009-2014), afin de soutenir les efforts de consolidation de la paix et la réconciliation nationale ainsi que le désarmement, démobilisation et réintégration (DDR).

7 En 2013, après le renversement du président Bozizé par les rebelles de la Séléka et pour mettre fin à la flambée de violence qui a embrasé le pays, le Conseil de sécurité a autorisé l’établissement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca, 2013-2014) sous conduite africaine [2].

8 En 2014, malgré les efforts extérieurs pour mettre fin aux cycles de violence récurrente, la Centrafrique a replongé dans les mêmes affres. Le pays fait alors face, d’une part à des affrontements armés entre Séléka et anti-Balaka, d’autre part, à des représailles contre la population civile musulmane ou chrétienne, dans les préfectures de Nana-Mambéré, de Ombella-M’Poko, de l’Ouham, de l’Ouham-Pendé et dans la capitale Bangui [3].

9 C’est dans ces circonstances très graves que le Conseil de sécurité a recommandé le transfert de responsabilités de la Misca à la Minusca, répondant ainsi à la demande des autorités centrafricaines de transition, contenue dans une lettre du ministre des Affaires étrangères, du 27 janvier 2014, sollicitant « le déploiement d’une opération de maintien de la paix des Nations unies qui aurait pour mission de stabiliser le pays et de traiter les aspects civils de la crise » [4]. Cinq jours avant le vote, le Secrétaire général effectuait une visite de quelques heures en Centrafrique pour rencontrer les autorités de transition, évaluer la situation humanitaire et sécuritaire en même temps qu’il mettait également en garde la communauté internationale contre les risques de génocide [5].

10 En attendant le transfert de responsabilités fixé au mois de septembre 2014, date à laquelle la mission onusienne comprendrait initialement 10 500 militaires et 1 800 policiers, le Conseil de sécurité a demandé au Secrétaire général de déployer au sein de la Minusca des éléments militaires, notamment d’autres opérations de maintien de la paix et recommandait à la Misca de continuer à accomplir son mandat [6].

11 La présence des soldats de la Misca mais également des forces françaises de l’opération Sangaris (commencée le 4 décembre 2013) a permis de sauver des centaines de vies de civils et d’éviter une tragédie de plus grande ampleur dans le pays. Depuis son déploiement, la Minusca a contribué de manière remarquable au renforcement de la sécurité sur la quasi-totalité du territoire national, en particulier dans les zones qui ont été les plus affectées par le conflit. Elle a aussi empêché la partition du pays et facilité l’acheminement de l’aide humanitaire. Dans le même temps, les programmes visant la cohabitation pacifique et le dialogue ont été amorcés.

12 Plusieurs opérations militaires ont été menées afin de neutraliser les éléments des groupes armés qui faisaient régner la terreur dans l’arrière-pays, érigeant des barrières pour prélever des taxes illégales en bafouant les principes fondamentaux de la protection des civils. Le 10 février 2015, la Minusca et Sangaris lançaient l’opération Mbi jdou mon (attrapez-le, en langue Sango) pour mettre fin à la mainmise des ex-Séléka du Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC) sur Bria, dans la préfecture de Haute-Kotto. L’opération mettait définitivement fin à l’occupation des bâtiments administratifs, au prélèvement illégal des taxes ainsi qu’aux autres formes d’exactions sur les civils.

13 Le 21 juin 2015, l’opération Izi legue (libérer la voie) dans la Nana-Mambéré, permettait de restaurer la libre circulation et la sécurité sur la route principale n° 1 qui assure le désenclavement du pays et l’approvisionnement de la capitale Bangui, depuis le port de Doula au Cameroun. Avant le déploiement de la Minusca, une partie de cet axe vital était sous contrôle du Front démocratique pour le peuple centrafricain (FDPC). La Mission a ainsi réussi, avec ses partenaires, à relever le pari de la sécurisation du pays grâce à la détermination de la force militaire onusienne face aux groupes armés qui tentaient de torpiller le processus de paix.

14 Le rôle de la Minusca dans la recherche d’une solution à la crise s’étend au-delà des aspects sécuritaires. Parallèlement à l’action militaire et policière, les composantes civiles de la Mission ont, dès le départ, été associées aux efforts des autorités de transition, notamment dans le cadre d’un dialogue permanent avec le Représentant spécial, les représentants spéciaux adjoints et des sections clés telles que la division des affaires politiques, les sections du désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) et réforme du secteur de défense et sécurité (RSS), la justice et les droits de l’Homme. Ce travail effectué depuis Bangui a été relayé dans les préfectures par la douzaine de bureaux régionaux et de terrain, à travers des consultations régulières avec ce qui restait des autorités locales et les groupes armés, des actions visant la cohésion sociale, la résolution des conflits et la sensibilisation au désarmement. Cette approche par le dialogue a permis de sensibiliser et de rallier les jeunes combattants aux efforts de paix.

15 Les fruits de cette approche multidimensionnelle ont culminé le 4 mai 2015 avec la tenue du Forum national de Bangui [7]. Cette rencontre, que la Minusca a accompagnée, a débouché sur l’adoption d’un ensemble de documents stratégiques (durée de la transition, organisation des élections) et la signature de deux importants accords entre le gouvernement de transition et les groupes armés. Le premier mettait fin au recrutement des enfants par les groupes armés et le second portait sur le désarmement, démobilisation, réinsertion et rapatriement (DDRR) des combattants étrangers. En marge du Forum, dix groupes armés signataires se sont engagés à déposer les armes et à renoncer à la lutte armée comme moyen de revendication politique, conformément à l’Accord de Brazzaville.

16 L’accalmie qui s’est ensuivie a été violemment perturbée en septembre [8] et octobre 2015, confirmant ainsi la précarité de la situation centrafricaine et la menace toujours présente d’une exploitation de la crise sur une base confessionnelle. À Bangui, la mort d’un motocycliste musulman a déclenché des affrontements sanglants qui se sont étendus à d’autres régions. Bilan : 79 morts et plus de 17 000 déplacés. En octobre, des ex-Séléka venus du Nord du pays et tentant de rallier Bangui ont été stoppés à Sibut (180 km de la capitale) par les casques bleus, soutenus par Sangaris. Au prix de violents combats, ils ont été contraints de regagner leurs positions initiales après avoir subi de lourdes pertes.

17 Face à ces événements et devant la nécessité de renforcer la sécurité en anticipation de la visite du Pape François et du processus électoral, les Nations unies ont répondu à plusieurs niveaux. À New York, le président du Conseil de sécurité [9] a demandé aux pays contributeurs de contingents ou du personnel de police à la Minusca, d’accroître leurs capacités. Dans le même temps, 250 casques bleus de la Force de réaction rapide de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci), ont été déployés fin novembre auprès de la Minusca, pour une durée de six à huit semaines. Au niveau interne, la Minusca a réorganisé ses opérations dans la capitale en plaçant l’état-major conjoint (Joint Task Force), jusque-là dirigée par les forces de police onusiennes, sous commandement militaire.

18 Un minutieux travail engageant la classe politique a été effectué parallèlement à ce dispositif sécuritaire, souvent avec l’appui du G8-RCA (le groupe composé des diplomates représentants le Groupe international de contact pour la RCA à Bangui, à savoir, la Cééac, l’UA, l’UE, la France, les États-Unis, la Banque mondiale, le Médiateur régional et le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU). La disponibilité et la détermination des autorités de mener à terme le processus de transition, ont joué un rôle essentiel tout comme l’appui indéfectible des pays de la sous-région de la Cééac et du Médiateur international.

19 Avec le soutien sans faille de la communauté internationale, la RCA a fait une avancée considérable sur la voie de la paix mais elle reste fragile. Plus que jamais, il incombe à tous les Centrafricains de renforcer le cercle vertueux qui a présidé au retour de l’ordre constitutionnel. Il appartient aux nouvelles autorités démocratiquement élues de gouverner avec un sens élevé de l’intérêt national, par une gouvernance juste et inclusive, impliquant toutes les forces vives centrafricaines. À tous ceux qui pour des raisons diverses avaient pris les armes, l’heure du désarmement a sonné. Il leur faut renoncer définitivement à la violence armée qui menace tant la cohésion sociale que l’enracinement de l’État de droit.

20 Afin de mieux accompagner la RCA, cette nouvelle phase de son histoire, le mandat de la Minusca sera révisé pour s’adapter au contexte de stabilisation post-transition. Un nouveau mandat devrait être adopté par le Conseil de sécurité courant juillet 2016 sur la base des recommandations du Secrétaire général des Nations unies élaborées à partir d’une revue stratégique rigoureuse impliquant l’ensemble du système des Nations unies et des consultations étroites avec le gouvernement centrafricain et ses principaux partenaires.

21 Le rôle des composantes civiles de la Minusca sera de nouveau crucial en appui des efforts nationaux vers la réconciliation, la justice et la mise en œuvre des réformes. Il s’agira, à cet effet, de faciliter la réalisation des objectifs prioritaires du gouvernement tels qu’énoncés lors du discours d’investiture du président Touadéra le 30 mars 2016, notamment procéder à une vraie réforme du secteur de la sécurité et au DDR. Le succès de la RSS et celui du DDRR permettront le redéploiement définitif des agents de l’État sur toute l’étendue du territoire national et d’en restaurer l’autorité grâce à des institutions capables de répondre au besoin des populations pour plus de sécurité, de cohésion sociale et de justice afin que cesse l’impunité.

22 Point n’est besoin d’insister sur la nécessité de réussir ce processus de réformes pour l’avenir de la RCA. Il renforcera la confiance de partenaires nombreux et désireux de contribuer à la réussite de l’expérience de consolidation de la paix en RCA. Le cadre d’engagement mutuel, entre la RCA et ses partenaires, voulu par le gouvernement centrafricain devrait servir de cadre à cette étroite et franche collaboration. La table ronde entre la RCA et ses partenaires prévue à la fin du mois de novembre à Bruxelles à l’invitation de l’UE représentera, à cet égard, un formidable test qu’il faudrait réussir à tout prix.

23 Finalement, l’avenir de la RCA dépendra dans une large mesure de la direction politique que ses dirigeants imprimeront. L’engagement politique au plus haut niveau devrait viser la stabilité des institutions et faire avancer les questions essentielles, telles que la réconciliation nationale et la cohésion sociale, mais aussi la justice et la lutte contre l’impunité, la protection des droits de l’homme et la relance économique pour une prospérité mieux partagée. Dans ces multiples chantiers où se décidera l’avenir de la RCA, l’appui renouvelé et conséquent de la communauté internationale et de la Minusca, en particulier, sera déterminant.

Notes

  • [1]
    Résolution 2149 (2014) adoptée par le Conseil de sécurité à sa 7153e séance, le 10 avril 2014. (…) Décide de créer la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine (Minusca) à compter de la date d’adoption de la présente résolution pour une période initiale venant à expiration le 30 avril 2015… (www.un.org/).
  • [2]
    Résolutions 1125 et 2127 respectivement.
  • [3]
    Rapport de la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme en République centrafricaine, 19 février 2014 (www.ohchr.org/).
  • [4]
     Résolution 2149 (2014), 10 avril 2014 (www.un.org/).
  • [5]
    Discours du Secrétaire général devant le Conseil national de transition de la République centrafricaine, Bangui, le 5 avril 2014 (www.un.org/).
  • [6]
    Résolution 2149, op. cit. (www.un.org/).
  • [7]
    Forum national de Bangui (https://Minusca.unmissions.org/).
  • [8]
    Forum national de Bangui (https://Minusca.unmissions.org/).
  • [9]
    Déclaration du président du Conseil de sécurité, 20 octobre 2015 (www.un.org/).
Français

La crise centrafricaine a été brutale avec un État failli. Les Nations unies avec la Minusca ont contribué à rétablir une situation sécuritaire plus stable permettant des avancées significatives mais encore fragiles. La Minusca verra son mandat révisé pour mieux répondre à ce nouveau contexte post-transition.

English

Minusca: the UN perspective of the crisis in the Central African Republic

The crisis in the Central African Republic was brutal, resulting in a failed state. The United Nations, with Minusca, contributed to restabilise the security situation, enabling significant progress to be made, though it remains fragile. Minusca’s mandate will be revised in order to better respond to this new, post-transition context.

Parfait Onanga-Anyanga
Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la République centrafricaine et chef de la Minusca.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/02/2020
https://doi.org/10.3917/rdna.792.0110
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