CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Faits et procédure

2 1. Selon l’arrêt attaqué (Chambéry, 3 janvier 2017), la « County Court » de Luton (Royaume-Uni) a, le 8 juin 2010, prononcé la mise en faillite personnelle de M. X… Le 18 juin suivant, cette même juridiction a désigné M. B…, en qualité de liquidateur du patrimoine de M. X…, à compter du 23 juin 2010.

3 2. Le 7 juin 2013, M. B…, ès qualités, a assigné M. X… et Mme C… devant le tribunal de grande instance de Bonneville, pour voir ordonner les opérations de compte, liquidation et partage de l’indivision existant entre eux sur un immeuble situé sur le territoire français.

4 Examen du moyen unique

5 Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

6 Énoncé du moyen

7 3. M. X… et Mme C… font grief à l’arrêt de déclarer recevable l’action de M. B…, d’ordonner l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l’indivision relativement aux immeubles situés sur le territoire de la commune de la […] et désigner à cette fin M. R., notaire, et d’ordonner sous le ministère de la Société Briffod et Puthod, avocat au barreau de Bonneville, les formalités préalables à la vente de l’immeuble aux enchères publiques à la barre du tribunal de grande instance de Bonneville, sur la mise à prix de 400 000 euros, avec faculté de baisse de mise à prix en cas de désertion d’enchères, alors :

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« 1°/ qu’il résulte des articles 18, paragraphe 1, et 18, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité que le syndic désigné par une juridiction compétente en vertu de l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité peut exercer sur le territoire d’un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l’État d’ouverture, à la double condition, d’une part, que, dans l’exercice de ses pouvoirs, il respecte la loi de l’État membre sur le territoire duquel il entend agir, en particulier quant aux modalités de réalisation des biens, et, d’autre part, que ces pouvoirs n’incluent pas l’emploi de moyens contraignants, ni le droit de statuer sur un litige ou un différend ; qu’il s’ensuit que, même prévu par la loi de l’État d’ouverture pour la réalisation de l’actif du débiteur, le transfert au syndic de la propriété des biens appartenant au débiteur figure au nombre des procédés contraignants qu’il n’est pas en son pouvoir d’accomplir sur le territoire d’un autre État membre que celui de l’État d’ouverture, sur le fondement de l’article 18 du règlement précité ; qu’en décidant en l’absence de tout exequatur, que la procédure principale ouverte par la « County Court » de Luton bénéficie d’une reconnaissance de plein droit permettant à M. B…, trustee de M. X…, en vertu de l’article 18 du règlement, d’exercer sur le territoire d’un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l’État d’ouverture, dont l’exercice, à la place de M. X…, d’une action en partage d’un immeuble dont il était propriétaire indivis avec Mme C…, dès lors que la propriété en a été transférée au syndic par le seul effet du jugement d’ouverture, en vertu du droit anglais, la cour d’appel a violé cette disposition, ensemble les articles 3 et 6 du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité ;
2°/ qu’il résulte de l’article 5 du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité que l’ouverture de la procédure d’insolvabilité n’affecte pas le droit réel d’un créancier ou d’un tiers sur des biens corporels ou incorporels, meubles ou immeubles, appartenant aux débiteurs et qui se trouvent, au moment de l’ouverture de la procédure, sur le territoire d’un autre État membre ; qu’il s’ensuit que le partage d’un immeuble indivis, à la demande du syndic, relève de la loi du lieu de situation du bien, à l’exclusion de la loi de l’État d’ouverture ; qu’en accueillant l’action en partage d’un immeuble indivis, dès lors que la propriété de la quote-part indivise du débiteur a été transférée au trustee comme le prévoit le droit anglais, sans qu’il soit au pouvoir du coïndivisaire, Mme C…, d’arrêter l’action en partage, en désintéressant les créanciers personnels de M. X…, comme le prévoit l’article 815-17 du code civil, ce qui aurait exigé du syndic que la créance soit certaine, liquide et exigible, la cour d’appel qui a fait application de la loi de l’État d’ouverture, a violé l’article 5 du règlement précité ;
3°/ que l’article 18, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité impose au syndic de se conformer à la loi du lieu de situation de l’immeuble indivis lorsqu’il en provoque le partage, en vue de réaliser l’actif du débiteur contre lequel une procédure principale d’insolvabilité a été ouverte dans un autre État membre ; qu’en affirmant que l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à l’encontre de M. X…, selon les règles du droit anglais, permettait à son trustee de provoquer le partage de l’immeuble dont le débiteur était propriétaire indivis, dès lors que la propriété en a été transférée au syndic selon les règles du droit anglais, pour exclure l’application de l’article 815-17 du code civil qui subordonne l’exercice de l’action en partage par le mandataire à la condition que le coïndivisaire puisse en arrêter le cours, en désintéressant les créanciers personnels de M. X…, ce qui aurait supposé que Mme C… connaisse le montant de la dette qu’elle devrait payer, la cour d’appel a violé l’article 18, § 3, du règlement précité, ensemble l’article 815-17 du code civil par refus d’application. »

9 Réponse de la Cour

10 4. L’article 16 du règlement (CE) n° 1346-2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité pose le principe de la reconnaissance dans tous les autres États membres de toute décision ouvrant une procédure d’insolvabilité prise par une juridiction d’un État membre compétente en vertu de l’article 3.

11 5. Il résulte de l’article 18, § 1, que, en dehors d’hypothèses étrangères à l’espèce, le syndic désigné par une juridiction compétente en vertu de l’article 3, § 1, peut exercer sur le territoire d’un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l’État d’ouverture. L’article 18, § 3, dispose que, dans l’exercice de ses pouvoirs, le syndic doit respecter la loi de l’État membre sur le territoire duquel il entend agir, en particulier quant aux modalités de réalisation des biens, et que ses pouvoirs ne peuvent inclure l’emploi de moyens contraignants.

12 6. En premier lieu, la cour d’appel, après avoir constaté que l’ordonnance de faillite du 8 juin 2010 était une décision d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité principale, en a exactement déduit qu’elle produisait, sans aucune autre formalité dans tout État membre, les effets que lui attribuait la loi de l’État d’ouverture et en particulier le transfert au syndic de la propriété des biens de M. X…, incluant sa quote-part indivise de l’immeuble situé en France, lui permettant d’exercer sur le territoire de cet État tous les pouvoirs qui lui sont conférés par ce transfert de propriété et en conséquence celui d’agir en partage de l’indivision.

13 7. En second lieu, l’arrêt retient que M. B…, devenu propriétaire des biens de M. X…, est coïndivisaire de l’immeuble avec Mme C… et qu’il agit en conséquence sur le fondement de l’article 815 du code civil et non sur celui de l’article 815-17 du même code. Ce faisant, la cour d’appel, reconnaissant les effets de la procédure d’insolvabilité attribués par la loi anglaise sur la propriété des biens du débiteur, a fait application de la loi de situation de l’immeuble pour déterminer le fondement et le régime de l’action engagée devant les juridictions françaises. C’est donc à tort que le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, postule que la cour d’appel aurait appliqué la loi anglaise sans exiger du syndic qu’il respecte la loi française, dans l’exercice de ses pouvoirs, en particulier quant aux modalités de réalisation des biens et sans inclure l’emploi de moyens contraignants.

14 8. Par conséquent, le moyen n’est fondé en aucune de ses branches.

15 Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches

16 Enoncé du moyen

17 M. X… et Mme C… font le même grief à l’arrêt alors :

18

« 1°/ que la conception française de l’ordre public international s’oppose à ce qu’il soit donné effet à la règle de droit anglais transférant au syndic la propriété des biens du débiteur contre laquelle une procédure d’insolvabilité a été ouverte ; qu’en décidant le contraire, au motif inopérant que les systèmes juridiques européens ont en commun de permettre l’appréhension des biens du débiteur failli, au lieu d’apprécier la contrariété à l’ordre public de la règle transférant au trustee la propriété de l’actif à partager, à la différence du transfert du droit d’administration qui entraîne à l’encontre du débiteur, un simple dessaisissement, la cour d’appel a violé les articles 3, 6 et 26 du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, ensemble l’article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme ;
2°/ que la conception française de l’ordre public international s’oppose à l’application de la règle de droit anglais privant le coïndivisaire du pouvoir d’arrêter le cours de l’action en partage de l’immeuble indivis, en s’acquittant de la dette du débiteur insolvable ; qu’en affirmant le contraire, au motif inopérant que nul n’est tenu de demeurer dans l’indivision, la cour d’appel a violé les articles 3, 6 et 26 du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, ensemble l’article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme. »

19 Réponse de la Cour

20 9. L’article 26 du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 permet à tout État membre de refuser de reconnaître une procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre ou d’exécuter une décision prise dans le cadre d’une telle procédure lorsque cette reconnaissance ou cette exécution produirait des effets manifestement contraires à son ordre public, en particulier à ses principes fondamentaux ou aux droits et aux libertés individuelles garantis par sa constitution. La Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que ce recours à la clause d’ordre public ne devait jouer que dans des cas exceptionnels (CJUE, arrêt du 21 janvier 2010, aff. C-444/07, Mg Probud Gdynia, point 34).

21 10. La règle du transfert au syndic de la propriété des biens du débiteur, personne physique, mis en liquidation judiciaire, résultant de la loi anglaise, ne produit pas des effets manifestement contraires à la conception française de l’ordre public international. La cour d’appel, qui a reconnu le droit d’agir de M. B… en partage de l’indivision entre M. X… et Mme C… sur un bien situé sur le territoire français comme étant une conséquence de la reconnaissance de l’ouverture en Angleterre de la procédure d’insolvabilité de M. X…, a fait l’exacte application des textes visés par le moyen.

22 11. Par conséquent, le moyen n’est pas fondé.

23 Par ces motifs, la cour : rejette le pourvoi (…).

24 Du 16 juillet 2020 – Cour de cassation (Com.) – Pourvoi n° 17-16.200 – Mme Mouillard, pres. – SCP Boullez, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

25 L’architecture du règlement n° 1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité est le fruit d’un compromis entre universalité et territorialité [1], selon le modèle d’une « pluralité hiérarchisée » [2] ou d’une « universalité atténuée » [3]. Ce système repose sur la distinction entre procédure principale unique et procédure(s) territoriale(s), avec cette particularité que seule la première a « vocation à produire des effets extra-territoriaux » [4], ou « universels, en ce qu’elle s’applique aux biens du débiteur situés dans tous les États membres dans lesquels le règlement est applicable » [5]. L’une des manifestations importantes de ce principe figure à l’article 18, § 1, du règlement qui dispose que « le syndic désigné (dans la procédure principale) peut exercer sur le territoire d’un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l’État membre d’ouverture ». Ce système aboutit à une application extraterritoriale de la lex concursus qui doit cependant composer avec l’ordre juridique local, ainsi que l’illustre l’arrêt sous commentaire du 16 juillet 2020.

26 Au cas présent, une mesure de faillite personnelle a été prononcée le 8 juin 2010 par une juridiction du Royaume-Uni à l’encontre d’une personne physique. Un liquidateur a par la suite été désigné. Ce dernier a assigné le débiteur failli, ainsi que son coïndivisaire, devant le Tribunal de grande instance de Bonneville pour voir ordonner les opérations de compte, liquidation et partage de l’indivision existant entre eux sur un immeuble situé sur le territoire français. La cour d’appel de Chambéry a déclaré cette action recevable, ordonné l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l’indivision et les formalités préalables à la vente aux enchères publiques à la barre du TGI de Bonneville.

27 Les indivisaires ont formé un pourvoi composé d’un moyen unique, articulé en 5 branches, critiquant sous divers angles les effets donnés en France à la règle de droit anglais selon laquelle la propriété des biens appartenant au débiteur est transférée au syndic (trustee) de la procédure collective. Dans les trois premières branches, le pourvoi détaillait une critique d’ordre conflictuel. À le suivre, il aurait d’abord fallu voir dans ce transfert de propriété au syndic un « procédé contraignant » qui échapperait au pouvoir du syndic désigné dans la procédure principale, sur le territoire d’un autre État membre que celui de l’État d’ouverture, selon l’article 18, § 3, du règlement. Le pourvoi invoquait de surcroît les articles 5 et 18, § 3, du règlement n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité (ci-après le règlement insolvabilité) pour soutenir que le partage d’un immeuble indivis à la demande du syndic relèverait de la loi du lieu de situation du bien (loi française), à l’exclusion de la loi de l’État d’ouverture (loi anglaise). L’auteur du pourvoi en tirait pour conséquence qu’il aurait fallu faire application de l’article 815-17 du code civil français, disposition qui autorise le coïndivisaire à arrêter le partage en désintéressant les créanciers du débiteur.

28 Ces arguments sont rejetés. Invoquant les articles 16 et 18 du règlement, la Cour approuve la cour d’appel d’avoir considéré que la décision anglaise d’ouverture de la procédure principale « produisait, sans aucune formalité dans tout État membre, les effets que lui attribuait la loi de l’État d’ouverture et en particulier le transfert au syndic de la propriété des biens (du débiteur), incluant sa quote-part indivise de l’immeuble situé en France, lui permettant d’exercer sur le territoire de cet État tous les pouvoirs qui lui sont conférés par ce transfert de propriété et en conséquence celui d’agir en partage de l’indivision ». L’arrêt d’appel avait retenu que le syndic, devenu ainsi propriétaire des biens du débiteur et donc coïndivisaire, agissait sur le fondement non pas de l’article 815-17 du code civil mais plutôt de l’article 815 du même code. Il faut préciser immédiatement – l’on y reviendra plus tard – que la différence, cruciale en l’espèce, entre ces deux dispositions tient à ce que l’article 815 du code civil, qui concerne la position de l’indivisaire lui-même, dispose que « le partage peut toujours être provoqué », alors que l’article 81517, alinéa 3, concerne lui le créancier de l’indivisaire, qui peut provoquer le partage, sous réserve du droit des coïndivisaires d’en arrêter le cours en acquittant l’obligation du débiteur [6]. En retenant comme fondement l’article 815, poursuit la Cour de cassation, « la cour d’appel, reconnaissant les effets de la procédure d’insolvabilité attribués par la loi anglaise sur la propriété des biens du débiteur, a fait application de la loi de situation de l’immeuble pour déterminer le fondement et le régime de l’action engagée devant les juridictions françaises ». La Cour conclut que le moyen postule à tort que la cour d’appel aurait appliqué la loi anglaise, sans exiger du syndic qu’il respecte la loi française, dans l’exercice de ses pouvoirs, en particulier quant aux modalités de réalisation des biens.

29 Les deux dernières branches soulevaient quant à elles de prétendues violations de l’ordre public international français. Il était allégué que celui-ci s’opposerait à ce qu’il soit donné effet à une règle de droit anglais transférant au syndic la propriété des biens du débiteur contre laquelle une procédure d’insolvabilité a été ouverte et privant le coïndivisaire du pouvoir d’arrêter le cours de l’action en partage de l’immeuble indivis, en s’acquittant de la dette du débiteur insolvable. Rappelant que par application de l’article 26 du règlement, le refus de reconnaître une procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre ne peut intervenir que si la violation de l’ordre public est manifeste, ce qui, d’après la jurisprudence de la Cour de justice ne peut être qu’exceptionnel, la Cour de cassation en déduit que la règle anglaise en cause n’est pas contraire à l’ordre public international français.

30 Les deux aspects de l’arrêt sont d’inégal intérêt [7]. La détermination de l’effet en France de la décision anglaise d’ouverture de la procédure principale donne des indications intéressantes qui peuvent être utiles en pratique (I), ce qui justifie sans doute le signalement particulier de l’arrêt (FS-P+B+R). Le traitement de la conformité à l’ordre public international est en revanche plus convenu (II).

I - L’effet de la décision d’ouverture de la procédure principale

31 La question posée en premier lieu par le pourvoi était celle du périmètre et de la consistance des pouvoirs pouvant être exercés par le syndic désigné dans la procédure principale, sur le territoire d’un autre État membre. La difficulté tenait à la différence de conceptions du dessaisissement en droit anglais et français. L’effet (au Royaume-Uni) de la décision anglaise d’ouverture de la procédure, par application de la loi anglaise, était de transférer au syndic la propriété à titre fiduciaire (trust) des biens du débiteur (article 4 § 1 et 2 b) et c) du règlement), alors qu’en droit français le liquidateur procède à la réalisation des actifs du débiteur pour le compte de la collectivité des créanciers, sans transfert de propriété à son profit. Dans ce contexte, il fallait déterminer les effets extraterritoriaux de la décision anglaise, c’est-à-dire à l’égard des biens situés sur le territoire d’un autre État membre, en l’espèce en France.

32 La réponse à cette question passe par une articulation entre la loi anglaise de la procédure principale (A), et la loi française de situation du bien indivis (B).

A - Application de la loi de la procédure principale aux pouvoirs du syndic

33 Dans un premier temps, le moyen prétendait simplement prendre appui sur l’article 18 du règlement insolvabilité. Ce texte dispose, au § 1, que « le syndic désigné dans le cadre de la procédure principale peut exercer sur le territoire d’un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l’État d’ouverture, aussi longtemps qu’aucune autre procédure d’insolvabilité n’y a été ouverte ou qu’aucune mesure conservatoire contraire n’y a été prise à la suite d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité dans cet État ». Au § 3, il est ajouté que « dans l’exercice de ses pouvoirs, le syndic doit respecter la loi de l’État membre sur le territoire duquel il entend agir, en particulier quant aux modalités de réalisation des biens. Ces pouvoirs ne peuvent inclure l’emploi de moyens contraignants, ni le droit de statuer sur un litige ou différent ».

34 C’est cette dernière limite qu’invoquait le pourvoi : le transfert au syndic de la propriété des biens appartenant au débiteur, « même prévu par la loi de l’État d’ouverture pour la réalisation de l’actif du débiteur », ferait partie des mesures contraignantes que le syndic ne pourrait accomplir sur le territoire d’un autre État membre. En l’absence d’exequatur, le syndic ne pouvait exercer, à la place du débiteur, une action en partage d’un immeuble dont il était propriétaire indivis. La cour d’appel avait au contraire jugé que la propriété avait été transférée au syndic par le seul effet du jugement d’ouverture.

35 Cette approche est confirmée par la Cour de cassation. Elle commence par relever que la cour d’appel avait « constaté que l’ordonnance de faillite du 8 juin 2010 était une décision d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité principale ». La lecture des motifs annexés au moyen révèle que devant la cour d’appel les coïndivisaires avaient invoqué l’article 25, § 1, du règlement insolvabilité, prétendant que la décision en cause entrait dans la catégorie des « décisions relatives au déroulement et à la clôture d’une procédure d’insolvabilité rendues par une juridiction dont la décision d’ouverture est reconnue conformément à l’article 16 ». Le but de cette qualification était d’imposer un exequatur préalable à l’exécution, par application des dispositions du système de Bruxelles (convention puis règlement). La cour d’appel avait justement rejeté cet argument en qualifiant la décision en cause de décision d’ouverture, soumise aux articles 16 et 17 du règlement – et non à l’article 25 – et donc produisant sans aucune autre formalité dans tout autre État membre les effets que lui attribue la loi de l’État d’ouverture. Ce point n’était pas précisément évoqué par le moyen, autrement que par la mention incidente que la cour d’appel avait fait bénéficier la décision d’une reconnaissance de plein droit « en l’absence de tout exequatur ».

36 De cette qualification de « décision d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité », la cour d’appel avait déduit le régime qui lui était applicable. Le règlement, et plus particulièrement son article 16, impose la reconnaissance de la décision ouvrant la procédure d’insolvabilité, et cette règle a pour résultat, selon l’article 17, que la décision d’ouverture d’une procédure principale produit « sans aucune autre formalité, dans tout autre État membre les effets que lui attribue la loi de l’État d’ouverture ». Cette précision est importante. Elle s’inscrit dans l’idée, qui n’est pas spécifique au système européen [8], qu’avec la reconnaissance d’une faillite étrangère « il ne s’agit pas seulement d’importer au sein de l’ordre juridique français le contenu même de la décision d’ouverture : la reconnaissance a aussi pour conséquence de rendre applicable en France la lex concursus étrangère, autrement dit d’introduire dans l’ordre juridique français l’ensemble des effets prévus par les règles du droit étranger de la faillite » [9]. On a pu utiliser, en droit commun, l’expression très juste « d’exequatur importation du droit étranger » [10]. Dans le système mis en place par le règlement, qui se dispense de l’exequatur, il faut en déduire que « la reconnaissance de la procédure d’insolvabilité a […] pour conséquence de rendre la lex concursus applicable dans les autres États membres » [11].

37 Reste à expliciter le lien entre cette question de la reconnaissance de la décision étrangère d’ouverture et celle des pouvoirs du syndic. Ce lien est double. D’un premier point de vue – technique – la reconnaissance de la décision d’ouverture constitue le support des pouvoirs du syndic. Dans le règlement, l’article 18 consacré aux pouvoirs du syndic figure dans le chapitre II « Reconnaissance de la procédure d’insolvabilité » juste après les articles 16 et 17 consacrés respectivement au « principe » de la reconnaissance immédiate et aux « effets de la reconnaissance ». L’idée générale, implicite, est que le syndic de la procédure principale bénéficie dans les autres États membres des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l’État d’ouverture, justement parce que la décision d’ouverture est reconnue de plano dans les autres États membres [12]. D’un second point de vue, plus conceptuel, le caractère universel de la procédure principale se répercute sur les pouvoirs du syndic : nommé dans une procédure aux effets extra-territoriaux, il dispose de pouvoirs qui ont cette même qualité [13]. Le § 1 de l’article 18 est le fruit de cette double idée : le syndic désigné par la juridiction d’ouverture de la procédure principale universelle peut exercer sur le territoire d’un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l’État d’ouverture parce que la reconnaissance de la décision d’ouverture entraîne l’application de la lex concursus d’ouverture [14]. Lorsque, comme en l’espèce, la lex concursus transfère la propriété des biens du débiteur au syndic, la reconnaissance de plein droit de la décision d’ouverture a pour conséquence d’importer cet effet sur le territoire de l’État membre requis. C’est ce que confirme l’arrêt sous commentaire [15]. La quote-part indivise de l’immeuble sis en France faisant partie des biens du débiteur dont la propriété est transférée, le syndic peut effectivement agir en partage de l’indivision.

38 Implicitement, mais nécessairement, la Cour de cassation rejette l’argument présenté par le pourvoi, selon lequel ce transfert de propriété constituerait « un procédé contraignant » prohibé par l’article 18 § 3. Ce transfert ne constitue que l’effet de la lex concursus, porté par la reconnaissance de la décision : « le transfert au syndic de la propriété des biens (du débiteur), incluant sa quote-part indivise de l’immeuble situé en France, lui permet(ait) d’exercer sur le territoire de cet État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par ce transfert de propriété et en conséquence celui d’agir en partage de l’indivision ».

39 Il pourrait certes être soutenu que l’action en liquidation et partage de l’indivision immobilière constitue, elle, un tel « moyen contraignant ». Cette action est cependant exercée devant une juridiction et non directement par le syndic, ce qui devrait assurer sa conformité au regard de l’article 18, § 3 [16]. La critique devrait donc être inopérante.

40 Après d’autres [17], on peut remarquer que l’arrêt prolonge la jurisprudence de la Cour de cassation relève à l’appréhension de l’institution étrangère (et inconnue du for) du trust en droit international privé, ici dans le contexte des procédures collectives. On se souvient que dans le célèbre arrêt Belvédère[18], la Cour de cassation avait donné effet à un trust de droit new-yorkais sans requalification. C’est le cas aussi dans l’arrêt sous commentaire puisque la Cour approuve la juridiction du fond d’avoir retenu que c’était l’effet de la loi anglaise d’ouverture que d’entraîner « le transfert au syndic de la propriété des biens » du débiteur, y inclus « sa quote-part indivise de l’immeuble situé en France ». L’importation sur le territoire français de la loi anglaise avait donc pour conséquence de permettre au syndic « d’exercer sur le territoire de cet État tous les pouvoirs qui lui sont conférés par ce transfert de propriété et en conséquence celui d’agir en partage de l’indivision ».

41 Cela dit, l’effet en France de ce transfert de propriété fiduciaire découlant du droit anglais d’ouverture de la procédure collective nécessite tout de même une articulation avec la loi française, applicable à l’action en partage elle-même.

B - Application résiduelle de la loi du lieu de situation aux modalités de réalisation du bien indivis

42 Les deux branches suivantes du moyen se plaçaient dans une autre perspective, celle du coïndivisaire du débiteur : l’action en partage ne portait-elle pas atteinte à ses droits, et plus précisément à celui qu’il tient de l’article 815-17 al. 3 du code civil, de faire échec à l’action en partage en acquittant l’obligation du débiteur ? Le pourvoi essayait de présenter l’argument selon une perspective conflictuelle, en prétendant que la cour d’appel avait à tort appliqué la loi anglaise à la procédure de partage.

43 D’abord, le pourvoi prenait argument de l’article 5 du règlement [19] qui dispose que « l’ouverture de la procédure d’insolvabilité n’affecte pas le droit réel […] d’un tiers sur des biens (notamment) immeubles appartenant au débiteur, et qui se trouvent, au moment de l’ouverture de la procédure, sur le territoire d’un autre État membre » pour en déduire que le partage d’un immeuble indivis devrait relever de la loi du lieu de situation du bien – à savoir la loi française – à l’exclusion de la loi de l’État d’ouverture. Or, le coïndivisaire est bien titulaire d’un droit réel sur le bien en indivision et il était prétendu que la cour d’appel avait à tort fait application de la loi anglaise pour l’empêcher de faire échec à cette action en désintéressant les créanciers du débiteur, ainsi que cela était permis par la loi française, et plus particulièrement l’article 815-17 du code civil français. Dès l’abord, on pouvait douter de la pertinence de cette critique. En effet, l’article 5 concerne avant tout les sûretés réelles [20]. A proprement parler, le coïndivisaire ne bénéficie pas d’un droit réel sur un bien « appartenant au débiteur », puisque ce bien lui appartient en même temps qu’il appartient au débiteur [21]. De plus, le moyen cherchait à faire jouer à l’article 5 le rôle d’une règle de conflit de lois (pour voir appliquer la loi française à la demande en partage, comme loi du lieu de situation du bien), ce qui n’est pas exactement l’effet de ce texte. Il constitue plutôt une règle matérielle [22] d’immunité relative des droits réels [23]. Ce point mis à part, le même argument était ensuite présenté – avec plus de pertinence – sur le fondement de l’article 18, § 3, qui impose au syndic de se conformer à la loi du lieu de situation de l’immeuble « quant aux modalités de réalisation des biens ».

44 Les deux arguments tendaient donc à critiquer la cour d’appel d’avoir appliqué la loi anglaise pour empêcher le coïndivisaire de faire obstacle à l’action en partage en désintéressant les créanciers personnels du débiteur. En réalité, cette double critique postulait que la cour d’appel avait appliqué la loi anglaise « sans exiger du syndic qu’il respecte la loi française, dans l’exercice de ses pouvoirs, en particulier quant aux modalités de réalisation des biens […] ». Pour rejeter la critique, la Cour de cassation distingue nettement deux aspects, traçant le domaine respectif de chaque loi. D’un côté, la cour d’appel a reconnu « les effets de la procédure d’insolvabilité attribués par la loi anglaise sur la propriété des biens du débiteur », selon la logique, déjà décrite, des articles 16 et 17 du règlement. De l’autre, la cour d’appel « a fait application de la loi de situation de l’immeuble pour déterminer le fondement et le régime de l’action engagée devant les juridictions françaises » (nous soulignons). C’est donc bien par application de la loi française, applicable comme loi de l’État membre sur le territoire duquel le syndic agit en réalisation des biens aux modalités de cette action, qu’il a été refusé au coïndivisaire du débiteur la possibilité d’arrêter l’action en partage en désintéressant les créanciers du débiteur. Effectivement, l’arrêt d’appel avait retenu que le syndic « devenu propriétaire des biens (du débiteur), est coïndivisaire de l’immeuble […] et qu’il agit en conséquence sur le fondement de l’article 815 du code civil et non sur celui de l’article 815-17 du même code ». Ainsi, si la cour d’appel avait refusé au coïndivisaire la prérogative de s’opposer au partage, ce n’était pas parce qu’elle avait fait application de la loi anglaise : elle avait bien fait application de la loi française. Le moyen déformait donc l’arrêt pour le critiquer. Plus simplement, c’est par application de la loi française que la prérogative du coïndivisaire a été écartée parce que le fondement de l’action du syndic était l’article 815 et non l’article 815-17 du code civil.

45 Ce dernier point peut nécessiter une explication de droit interne français, du point de vue de l’articulation du droit civil et du droit des procédures collectives. L’article 815-17, alinéa 3, du code civil [24] prévoit que les créanciers personnels d’un indivisaire, qui ne peuvent saisir sa part dans les biens indivis, « ont toutefois la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur […] ». Il est ajouté que « les coïndivisaires peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant l’obligation au nom et en l’acquit du débiteur » ; ils peuvent alors se rembourser « par prélèvement sur les biens indivis ». Comme le syndic représente les créanciers de l’indivisaire, il peut exercer la faculté prévue par l’article 815-17, alinéa 3, auquel cas il le fait aux conditions prévues par ce texte, et sous la réserve de la faculté d’opposition des coïndivisiaire [25]. Cependant, par l’effet du des-saisissement (par ex., par l’effet d’un jugement de liquidation judiciaire, C. com., art. L. 641-9), le professionnel de la procédure collective exerce les droits et actions du débiteur dessaisi. À ce titre, il pourrait exercer le droit discrétionnaire du débiteur de ne pas « être contraint à demeurer dans l’indivision » et donc de provoquer le partage, comme le peut l’indivisaire lui-même, directement sur le fondement de l’article 815 du code civil. À partir du moment où l’action en partage n’échappe pas au-des-saisissement [26] (elle est essentiellement un acte de gestion patrimoniale, entrant dans les attributions du professionnel de la procédure collective, davantage qu’une action à caractère personnel qui échapperait au-dessaisissement en raison de considérations d’ordre moral ou familial), elle revient au professionnel de la procédure collective. La jurisprudence a eu l’occasion de juger qu’un liquidateur pouvait agir sur le fondement de l’article 815, plutôt que sur celui de l’article 815-17, alinéa 3, de sorte que le règlement intégral effectué par le coïndivisaire du débiteur du passif de la liquidation, faisant disparaître la créance justifiant le partage, était indifférent [27]. La solution peut paraître étonnante, voire inopportune : elle autorise le professionnel de la procédure collective à priver le coïndivisaire in bonis du droit de faire échec au partage en payant les dettes de son coïndivisaire. Au-delà de sa justification technique (le dessaisissement), elle tire son opportunité de ce que la jurisprudence a autorisé le coïn-divisaire à arrêter le cours de l’action en partage dans l’attente de l’achèvement de la vérification des créances, au motif qu’il lui faut connaître le montant exact des sommes à verser au liquidateur [28]. Une telle solution, défavorable au liquidateur, serait en quelque sorte compensée par la possibilité ouverte à ce dernier de passer par une autre voie, s’il doute de la bonne foi du coïndivisaire [29].

46 L’arrêt sous commentaire présente l’intérêt d’articuler cette solution de droit interne français avec les règles de droit international privé, et en l’espèce la loi anglaise. Dans le cas d’espèce, l’effet de la lex concursus anglaise est de transférer la propriété fiduciaire des biens du débiteur au syndic de la procédure collective, dans le cadre d’un trust[30]. En conséquence, le syndic peut agir sur le fondement de l’article 815 du code civil plutôt que 815-17 du même code, ce qui exclut la possibilité du coïndivisaire de faire échec à cette action. Une dernière question demeure en suspens : le syndic étranger à qui la propriété des biens a été transférée, comme ici en application du droit anglais, dispose-t-il d’une option, comme le liquidateur en droit interne français, entre l’action personnelle de l’article 815, et celle de l’article 81517, alinéa 3 ? La rédaction de l’arrêt, qui fait clairement le lien entre le fait que le syndic est devenu propriétaire des biens du débiteur et qu’il « agit en conséquence sur le fondement de l’article 815 du code civil et non sur celui de l’article 815-17 du même code », laisse entendre que ce n’est pas le cas [31]. Cela tendrait à souligner la différence entre l’effet du dessaisissement « à la française » et le régime de droit anglais qui procède par transfert de propriété à titre fiduciaire.

47 Ce point éclairci, la critique cherchait ensuite à mobiliser les ressources de l’ordre public international.

II - La conformité à l’OPI

48 Le moyen invoquait l’ordre public international à l’encontre du droit anglais à deux niveaux. D’une manière globale, d’abord, il était prétendu que l’ordre public international français s’opposerait à l’effet d’une règle de droit anglais transférant au syndic la propriété des biens du débiteur. De manière plus spécifique, il était ensuite prétendu que ce même ordre public international s’opposerait à l’application de la règle de droit anglais privant le coïndivisaire du pouvoir d’arrêter le cours de l’action en partage de l’immeuble indivis, en s’acquittant de la dette du débiteur insolvable. Il était ainsi pris appui sur l’article 26 du règlement insolvabilité qui permet à un État membre de refuser de reconnaître une procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre lorsque cette reconnaissance produirait des effets manifestement contraires à son ordre public, en particulier à ses principes fondamentaux ou aux droits et libertés individuelles garantis par sa constitution. Pour faire bonne mesure, le demandeur au pourvoi invoquait à ce titre le droit de propriété protégé par l’article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention EDH.

49 La Cour de cassation commence par rappeler la jurisprudence de la Cour de justice sur le fondement de la disposition invoquée. Dans un important arrêt MG Probud Gdynia, la Cour de Luxembourg a en effet jugé que la clause d’ordre public ne devrait jouer que dans des cas exceptionnels, car elle « constitue un obstacle à la réalisation de l’un des objectifs fondamentaux du système de compétence européen, à savoir faciliter la libre circulation des jugements » [32]. Dans cet arrêt, la Cour de justice avait en effet rappelé sa jurisprudence issue de l’arrêt Eurofood[33] : le caractère exceptionnel du recours à la clause d’ordre public, dégagé dans l’arrêt Krombach pour le système de Bruxelles doit être transposé au règlement insolvabilité [34]. Le considérant 22 du règlement fait le lien entre la réduction au « minimum nécessaire » des motifs de non-reconnaissance et « le principe de confiance mutuelle » sur lequel repose la reconnaissance des décisions rendues par les juridictions des États membres [35]. Les virtualités de cette clause d’ordre public ne sont pas nulles, mais elles se concentrent avant tout sur des exigences procédurales fondamentales, ainsi qu’illustré dans l’arrêt Eurofood au sujet d’une « décision d’ouverture […] prise en violation manifeste du droit fondamental à être entendue dont dispose une personne concernée par une telle procédure » [36].

50 Ce cadre posé, la Cour poursuit : « La règle du transfert au syndic de la propriété des biens du débiteur, personne physique, mis en liquidation judiciaire, résultant de la loi anglaise, ne produit pas des effets manifestement contraires à la conception française de l’ordre public international ». L’argument le plus général se trouve ainsi repoussé [37]. Le moyen cherchait à exploiter la différence déjà amplement évoquée entre le droit anglais et le droit français, le premier procédant au transfert de propriété de l’actif à partager alors que le second donne au syndic un droit d’administration qui entraîne seulement le dessaisissement du débiteur. La différence entre ces solutions ne devrait sans doute pas être surestimée. Une simple disparité des législations ne suffit pas, traditionnellement, à justifier l’intervention d’une exception d’ordre public international. De plus, tout aussi traditionnellement, la contrariété à l’ordre public international s’apprécie de manière concrète, or il est difficile de voir en quoi la différence de législation aboutit à un résultat concrètement différent – et encore moins choquant – du point de vue de l’ordre public français.

51 Ce point est particulièrement saillant en ce qui concerne la seconde critique relative à la prétendue privation du coïndivisaire de son pouvoir d’arrêter le cours de l’action en partage de l’immeuble indivis, en s’acquittant de la dette du débiteur solidaire. D’abord, cette critique était maladroite, pour la raison déjà exposée : la privation de l’indivisaire du droit qu’il tient de l’article 815-17 al. 3 ne provient pas de l’application de la loi anglaise, mais bien de la loi française (c’est l’article 815 qui est appliqué). Sans entrer dans ce détail, la Cour de cassation se borne à répondre que la cour d’appel avait « reconnu le droit d’agir du (syndic) en partage de l’indivision […] sur un bien situé sur le territoire comme étant une conséquence de la reconnaissance de l’ouverture en Angleterre de la procédure d’insolvabilité ». Conséquence, donnée par le droit français. et l’ordre public international ne peut être opposé à l’effet de la loi française. Et en toute hypothèse, il est difficile de considérer que relève de l’ordre public une prérogative dont l’indivisaire est volontiers privé, en droit interne même, par le mandataire judiciaire choisissant d’agir sur le fondement de l’article 815 du code civil.

52 En définitive, l’arrêt illustre le travail subtil d’articulation qu’occasionne la reconnaissance de la procédure principale – et l’application extraterritoriale de la lex concursus qui en découle -entre cette loi et la loi locale. Il donne l’occasion à la Cour de donner une clé de répartition différenciant l’effet de la procédure principale, soumis à la lex concursus, d’un côté, et le fondement et le régime de l’action visant à la réalisation des biens locaux (ou les modalités de cette réalisation), soumis à la loi locale, de l’autre. L’articulation ainsi opérée ne manquera pas d’exiger l’adaptation éventuelle de la loi locale [38], pour faire la place nécessaire à la réception correcte des institutions portées par la loi de la procédure principale, et qui seraient différentes de celle connues par le for.

Notes

  • [1]
    Sur le règlement comme « œuvre de compromis », v. D. Bureau, Le règlement du Conseil relatif aux procédures d’insolvabilité – la fin d’un îlot de résistance, Rev. crit. DIP 2002. 613, spéc. n° 4.
  • [2]
    B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, LGDJ, 2018, n° 1267.
  • [3]
    Selon l’expression de la Cour de justice dans l’arrêt Senior Home (pt 17), CJCE 26 oct. 2016, aff. C-195/15, D. 2017. 2071, obs. L. d’Avout ; BJS 2017. 248, F. Jault-Seseke et D. Robine ; RPC 2017, comm. 59 par T. Mastrullo ; JDI 2017, n° 4, comm. M. Weller ; Rev. crit. DIP 2017. 449, L. Perreau- Saussine.
  • [4]
    B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, n° 1267.
  • [5]
    CJCE 2 mai 2006, aff. C-341/04, Eurofood, pt 28 ; D. 2006. 1752, obs. A. Lienhard, note R. Dammann ; ibid. 2250, obs. F.-X. Lucas ; Rev. sociétés 2006. 360, note J.-P. Rémery ; Rev. crit. DIP 2006. 811, étude F. Jault-Seseke et D. Robine.
  • [6]
    Sur cette disposition v. C. Albiges, Indivision : régime légal, Répertoire de droit civil, Dalloz, 2011, n° 232 s.
  • [7]
    Remarquons que la solution de l’arrêt est transposable sous l’empire du règlement refondu (n° 2015/848), les dispositions pertinentes n’ayant pas été significativement modifiées : l’article 18 a été renuméroté 21, sans modification majeure ; le « syndic » est devenu « praticien de l’insolvabilité ». Seul doit être pris en compte le Brexit : le règlement n° 2015/848 n’est plus applicable aux procédures d’insolvabilité ouvertes au Royaume-Uni après le 1er janvier 2021, c’est le droit international privé commun qui s’applique. La principale différence tient à la nécessité d’un exequatur en droit commun.
  • [8]
    V. H. Synvet, Faillite, Répertoire de droit international, Dalloz, 1998, spéc. nos 102 s.
  • [9]
    M. Audit, S. Bollée et P. Callée, Droit du commerce international, LGDJ, 2019, 3e éd., n° 781, au sujet du droit commun. V. aussi, n° 812, au sujet du règlement.
  • [10]
    B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, n° 1256, au sujet du droit commun ; H. Synvet, Faillite, préc., n° 95, au sujet du droit commun : « l’exequatur […] constitue le vecteur de l’application en France du droit étranger de la faillite ». Il pourrait s’agir d’un effet d’optique. H. Synvet précise que « techniquement, ce n’est pas la loi étrangère qu’il convient d’appliquer, c’est le jugement étranger qui déploie ses effets, tels que déterminés par la loi qui a présidé à son prononcé » (n° 104).
  • [11]
    M. Audit, S. Bollée et P. Callée, Droit du commerce international, n° 812 (au sujet du règlement).
  • [12]
    V. M. Virgos et E. Schmit, Rapport sur la convention relative aux procédures d’insolvabilité (ci-après rapport Virgos-Schmit), n° 158-159 : « l’effet principal de la reconnaissance d’une procédure d’insolvabilité ouverte dans un État contractant est la reconnaissance de la nomination du syndic et de ses pouvoirs dans tous les autres États contractants […], En vertu de cette reconnaissance, le syndic nommé dans le cadre de la procédure dans État contractant peut exercer sur le territoire d’autres États contractants les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l’État d’ouverture ».
  • [13]
    CJUE 21 janv. 2010, aff. C-444/07, MG Probud, D. 2010. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; ibid. 2323, obs. L. d’Avout ; ibid. 2011. 498, note R. Dammann et D. Carole-Brisson ; Rev. sociétés 2011. 44, note F. Mélin ; RTD eur. 2010. 421, chron. M. Douchy-Oudot et E. Guinchard ; BJS 2010. 493, note F. Jault-Seseke ; Europe 2010, n° 127, p. 31, obs. L. Idot ; Procédures 2010. Comm. 72, note C. Nourissat ; RPC 2010. Étude 16, note T. Mastrullo, pt 23 : « la portée universelle de la procédure principale d’insolvabilité influe également sur les pouvoirs du syndic, puisque, conformément à l’article 18, § 1, du règlement, le syndic désigné par une juridiction compétente en vertu de l’article 3, § 1, du règlement peut exercer sur le territoire d’un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés, notamment aussi longtemps qu’aucune autre procédure d’insolvabilité n’y a été ouverte ».
  • [14]
    D. Bureau, Le règlement du Conseil relatif aux procédures d’insolvabilité, préc., spéc. nos 59 s.
  • [15]
    À y regarder de plus près, une telle solution n’était peut-être pas si évidente. Elle contraste fortement avec une décision ancienne, sous l’empire du droit commun, rendue elle aussi dans le contexte d’une faillite anglaise. Dans cette affaire (Civ. 1re, 29 juin 1971, Bull. civ. I, n° 220, Rev. crit. DIP 1973. 343, note Y. Loussouarn ; JDI 1973. 383, note M. Trochu), le syndic nommé dans le cadre d’une procédure collective anglaise avait sollicité, et obtenu, l’exequatur de l’ordonnance de faillite anglaise afin de pouvoir poursuivre la licitation-partage d’un immeuble en indivision situé en France. Les propriétaires indivis n’en avaient pas tenu compte et avaient consenti une hypothèque sur l’immeuble en cause. Par la suite, le syndic anglais a agi pour voir déclarer inopposable cette inscription. La cour d’appel avait rejeté sa demande au motif que l’ordonnance de faillite anglaise n’avait reçu en France qu’une exequatur limitée aux seules poursuites en licitation-partage de l’immeuble. Le syndic faisait grief à l’arrêt de méconnaître l’autorité de la décision d’exequatur. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi en relevant notamment, après la cour d’appel, que « le droit invoqué par (le syndic) aurait pour conséquence de dire que le dessaisissement du failli entraîne, en France, transfert de la propriété des biens appartenant au débiteur et transmission des autres droits dont il est titulaire au profit du syndic anglais ce qui aboutirait à reconnaître, en France, des effets autres que ceux pour lesquels l’exequatur a été accordée ». Ainsi que cela a été remarqué par les commentateurs de l’époque (notes précitées), la solution concerne avant tout la portée de l ‘exequatur et consacre pour l’occasion une figure inattendue (et critiquable) l’« exequatur dont la portée est limitée à l’utilisation que la partie demanderesse a déclaré vouloir obtenir » (Y. Loussouarn), ce qui aboutit à un « dessaisissement à éclipse » (M. Trochu). Les commentateurs ont cependant souligné qu’en outre la solution tire son origine dans l’opposition entre le droit anglais et le droit français sur la question du dessaisissement. Faisant référence à cette décision, H. Synvet écrit qu’« il paraît difficile d’accepter qu’un syndic anglais puisse appréhender les biens du débiteur situés en France en s’appuyant sur la règle de droit anglais selon laquelle la faillite emporte transfert de propriété au profit du trustee » (préc., n° 104). Et il ajoute que « cette résistance des conceptions françaises devrait se traduire, non pas par l’éviction de la loi anglaise, mais par un refus d’exequatur, au moins sur ce point, au jugement anglais qui prétendrait produire l’effet indésiré ». Le refus d’exequatur se justifierait alors en raison d’une contrariété du jugement à l’ordre public international, sur laquelle on reviendra infra. Remarquons immédiatement que le règlement supprimant l’exigence d’exequatur rend sans objet cette discussion sur la limitation de sa portée. Dans son commentaire, Trochu (note préc.) remarquait ainsi que le projet de convention européenne relative à la faillite prévoyait, à son article 20, que la faillite « produit ses effets à l’égard du débiteur, notamment en ce qui concerne son dessaisissement, dans les différents États contractants indépendamment des mesures de publicité » par ailleurs prévues et que le dessaisissement bénéficie également d’une reconnaissance de plein droit, en l’absence de toute formalité telle que l’exequatur comme un effet principal et direct du jugement de faillite. C’est cette solution à laquelle l’arrêt sous commentaire parvient, sous l’empire du règlement, héritier du projet de convention européenne.
  • [16]
    Rapport Virgos-Schmit, n° 164 : « Si les personnes concernées par un acte du syndic n’acceptent pas volontairement de s’y soumettre et si des mesures de contraignantes sont nécessaires sur des biens ou des personnes, le syndic doit saisir les autorités de l’État où les biens ou les personnes sont situés pour qu’elles adoptent et assurent l’exécution de ces mesures ».
  • [17]
    V. les notes préc. de R. Dammann et A. Sallou, ainsi que F. Jault-Seseke et D. Robine.
  • [18]
    Com., 13 sept. 2011, n° 10-25.533, D. 2011. 2518, et les obs., note L. d’Avout et N. Borga ; ibid. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon ; ibid. 2331, obs. S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2011. 870, note J.-P. Rémery ; RTD civ. 2012. 113, obs. B. Fages ; ibid. 116, obs. B. Fages ; RTD com. 2011. 801, obs. J.-L. Vallens ; ibid. 2012. 190, obs. A. Martin-Serf ; RTD eur. 2012. 522, obs. C. Moille et C. Pellegrini ; JCP E 2011. 1803, note R. Dammann et A. Albertini.
  • [19]
    Sur cette disposition, v. le rapport Virgos-Schmit, nos 94 s.
  • [20]
    V. les exemples donnés par le § 2 de l’article 5 ; le rapport Virgos-Schmit, n° 97, B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, n° 1283, M. Virgós et F.-J. Garcimartín Alférez, The European Insolvency Regulation : Law and Practice, Kluwer Law International, La Haye, 2004, nos 139 s.
  • [21]
    V. dans le même sens la note de L. C. Henry, préc.
  • [22]
    Contra. CJUE 5 juill. 2012, aff. C-527/10, ERSTE Bank Hungary, RPC nov. 12, n° 182 obs. Menjucq, pt 42 : « il y a lieu de comprendre l’article 5, paragraphe 1, du règlement comme une disposition qui, dérogeant à la règle de la loi de l’État d’ouverture, permet d’appliquer au droit réel d’un créancier ou d’un tiers sur certains biens appartenant au débiteur la loi de l’État membre sur le territoire duquel se trouve le bien en question ».
  • [23]
    M. Virgós et F.-J. Garcimartín Alférez, The European Insolvency Regulation, n° 142. Si l’article 5 est applicable, la conséquence est qu’il faudrait que le syndic demande l’ouverture d’une procédure collective territoriale.
  • [24]
    Sur lequel en droit international privé, mais en dehors d’une procédure collective, v. dernièrement Civ. 1re, 4 mars 2020, n° 18-24.646, Rev. crit. DIP 2021. 106, note E. Farnoux.
  • [25]
    Com., 18 févr. 2003, n° 00-11.008, D. 2003. 766, D. 2003. 766, obs. A. Lienhard ; ibid. 1620, obs. P. M. Le Corre ;20 sept. 2005, n° 04-10.678, D. 2006. 82, obs. P. M. Le Corre ; Civ. 1re, 13 déc. 2005, n° 02-17.778, D. 2006. 302, obs. A. Lienhard ; Com., 3 oct. 2006, n° 05-16.463, D. 2006. 2602, obs. A. Lienhard ; JCP 2007. I. 142, n° 29, obs. Tisserand-Martin.
  • [26]
    Com., 3 déc. 2003, n° 01-01.390, JCP E 2004, 181.
  • [27]
    Civ. 1re, 29 juin 2011, n° 10-25.098, JCP E 2011, n° 1551, F. Pérochon ; D. 2011. 1751, obs. A. Lienhard ; Bull. Joly Entreprises en difficulté 2011, § 161, p. 346, P. Rubellin ; RJDA 11/11, n° 972 ; JCP E 2012, 1000, § 3, obs. P. Pétel.
  • [28]
    Civ. 1re, 20 déc. 1993, n° 92-11.189, JCP E 1994, 394, § 7 ; D. 1994. 358, note F. Derrida et A. Honorat.
  • [29]
    V. les obs. de P. Pétel, préc., sous l’arrêt du 29 juin 2011.
  • [30]
    C’est l’effet de la Section 306(1) de l’Insolvency Act de 1986, intitulée « Vesting of bankrupt’s estate in trustee » qui dispose que « The bankrupt’s estate shall vest in the trustee immediately on his appointment taking effect or, in the case of the official receiver, on his becoming trustee ». Il semble que cette solution est propre, en droit anglais à la situation de banqueroute individuelle, et non à celle d’insolvabilité d’une société. V. M. Smith et N. Leslie, The Law of Assignment, OUP 2018. 3e éd., p. 782 : « the proprietary effect of an adjudication of bankruptcy is that the bankrupt will be divested of his property, which will automatically become vested in his trustee in bankruptcy upon the latter’s appointment. The position, so far as corporate insolvency is concerned, is different. The company’s assets remain vested in the company ; but control of the company changes – being vested in the receiver, administrator, or liquidator, as the case may be ».
  • [31]
    V. L. C. Henry, préc., qui relève que le syndic « ne peut pas agir sur le fondement de l’article 815-17, alinéa 3 du code civil […]. En effet, à la différence du liquidateur français, le praticien de l’insolvabilité anglais ne représente pas les créanciers du débiteur coïndivisaire ».
  • [32]
    CJUE, 21 janv. 2010, aff. C-444/07, MG Probud, préc., pt 34.
  • [33]
    CJCE 2 mai 2006, aff. C-341/04, Eurofood, D. 2006. 1752, obs. A. Lienhard, note R. Dammann ; ibid. 2250, obs. F.-X. Lucas ; Rev. sociétés 2006. 360, note J.-P. Rémery ; Rev. crit. DIP 2006. 811, étude F. Jault-Seseke et D. Robine ; Europe juill. 2006, comm. 230, note L. Idot ; RLDA juin 2006, p. 26, note Y. Chaput ; JCP E 6 juill. 2006, 2071, note J.-L Vallens ; JCP 7 juin 2006, II 10089, note M. Menjucq ; JCP 12 juill. 2006, I 157, obs. E. Fabries ; JDI janv. 2007, comm. 5, note G. Khairallah ; Gaz. Pal. 18 juill. 2006, p. 7, note F. Melin ; JCP E 14 sept. 2006, 2331, obs. P. Pétel ; BJS juill. 2006, p. 907, note D. Fasquelle, pt 28.
  • [34]
    CJCE 28 mars 2000, aff. C-7/98, Krombach, Rev. crit. DIP 2000. 481, note H. Muir Watt ; RSC 2000. 686, obs. L. Idot ;RTD civ. 2000. 944, obs. J. Raynard ; JDI 2001. 690, obs. A. Huet ; Gaz. Pal. 2000, n° 275, p. 30, obs. M.-L. Niboyet, pts 62-64.
  • [35]
    Sur le lien entre confiance mutuelle et conception minimaliste de l’OPI, et plus généralement sur l’exception d’OPI dans le règlement insolvabilité v. J.-L. Vallens, Ordre public et procédures d’insolvabilité : le défi d’une justice sous contrôle, RPC, 2018, n° 6, p. 1.
  • [36]
    CJCE 2 mai 2006, aff. C-341/04, préc. ; v. aussi Com., 27 juin 2006, n° 03-19.863, JCP 2006. I. 10147, note M. Menjucq ; BJS 2006. 1379, note D. Fasquelle ; JCP E 2006. 1488, note F. Melin ; Banque et Dr., n° 109, septembre-octobre 2006, p. 3, chron. R. Dammann et G. Podeur ; Rev. soc. 2007. 166, note P. Roussel Galle ; Com., 27 mai 2014, Rev. soc. 2014. 738, note Th. Mastrullo ; Bull. Joly ent. diff. 2014. 328, note P. Nabet V. aussi, sous l’empire du Règlement n° 1346/2000, lorsqu’aucun recours n’était offert aux créanciers dans le pays d’ouverture de la procédure pour contester la compétence du juge saisi. Com., 15 févr. 2011, n° 10-13.832, BJS 2011. 426, note L. d’Avout ; D. 2011. 1738, obs. A. Lienhard, note R. Dammann et A. Rapp ; Rev. soc. 2011. 443, note T. Mastrullo ; JCP 2011. Doctr. 1064, obs. M. Menjucq ; Rev proc. coll. 2011, comm. 174, note M. Menjucq.
  • [37]
    Dans l’affaire du 29 juin 1971 (préc.) la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, avait jugé qu’appliquer le droit dont se prévalait le syndic anglais « sans que par une action distincte les tribunaux français se soient prononcés pour vérifier si cette dépossession du droit de propriété ne serait pas contraire à l’ordre public international français, reviendrait à dire que la décision étrangère de faillite en dehors de tout exequatur serait opposable aux créanciers français ». Un tel motif, cité in extenso par la Cour, pouvait laisser penser qu’effectivement le transfert de propriété « à l’anglaise » au profit du syndic pouvait être contraire à l’ordre public international. Cependant, dans sa note dans les colonnes de la Rev. crit. DIP (préc.), Loussouarn faisait déjà valoir que cette « crainte exprimée par la Cour suprême d’une incompatibilité entre le dessaisissement tel que le conçoit le droit anglais et les principes fondamentaux du droit français n’est nullement fondée ». Prenant argument de l’appréciation concrète (« en fonction du résultat ») de la violation de l’ordre public, l’auteur souligne que « en ce qui concerne les sûretés consenties après la cessation des paiements, le droit français arrive à un résultat voisin de celui du droit anglais par une technique différente ». L’argument vaut a fortiori dans le cadre du règlement, qui accentue le caractère exceptionnel de l’intervention de l’ordre public international.
  • [38]
    Sur le phénomène de l’adaptation, v. P. Mayer, V. Heuzé et B. Remy, Droit international privé, LGDJ, 2019, 12e éd., n° 264 s. ; D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, PUF, 2014, 3e éd., nos 474 s. Pour reprendre la présentation faite par ces derniers auteurs, l’adaptation naît d’un phénomène de « cohabitation de règles tirées de systèmes juridiques différents, régissant chacune une question se trouvant dans une relation d’interconnexion par rapport à d’autres » qui peut « créer des frictions et des tensions lorsqu’elles présupposent des conceptions divergentes des institutions en cause » (D. Bureau et H. Muir Watt, n° 474). Il semble que l’on soit ici face à une double adaptation par substitution et par transposition. L’adaptation par substitution « implique l’interprétation du concept préjudiciel retenu par la règle de droit substantiel applicable à l’effet recherché, afin de déterminer si ce concept est suffisamment proche de celui qui a présidé à la création de la situation pour autoriser la coordination des lois en présence, nonobstant la divergence qui les sépare (D. Bureau et H. Muir Watt, n° 478). Dans l’arrêt sous commentaire, il s’agit de vérifier que l’effet de la procédure principale par application de la loi anglaise autorise bien le syndic à exercer l’action ouverte à l’indivisaire sur le fondement de l’article 815 du code civil (ou plus exactement que pour l’application de l’article 815, la situation du syndic anglais est équivalente à celle du syndic nommé dans le cadre d’une procédure collective française). Cette opération exige une appréciation d’équivalence entre « la concrétisation de la situation préjudicielle sous l’empire d’une loi étrangère et la conception qu’en retient le droit applicable à la question principale » (D. Bureau et H. Muir Watt, n° 480), ici le droit français. L’adaptation par transposition, elle, « consiste en une adaptation des dispositions concrètes de la loi régissant les effets d’un rapport constitué sous l’empire d’une loi différente » (D. Bureau et H. Muir Watt, n° 483). La différence avec l’adaptation par substitution est que « la transposition n’a pas pour objet l’interprétation du concept préjudiciel de la loi des effets mais la mise en œuvre concrète de celle-ci, une fois accueilli parmi les conditions d’application de cette loi le rapport autrement configuré » (D. Bureau et H. Muir Watt, n° 483). Dans l’arrêt sous commentaire, le rapport autrement configuré est celui des pouvoirs du syndic étranger (le trustee qui bénéficie d’un transfert de propriété à titre fiduciaire par application de la loi anglaise) et la loi dont la mise en œuvre concrète est adaptée pour tenir compte des spécificités de ce rapport de droit autrement configuré (par rapport à la situation du syndic par application de la loi française qui bénéficie du dessaisissement) est la loi française. L’adaptation pourrait consister à ce que le syndic anglais ne puisse exercer que l’action de l’article 815 (il agit comme coïndivisaire), et non celle de l’article 815-17 du code civil (il n’est pas représentant des créanciers).
Français

La décision d’ouverture de la procédure collective produit, sans aucune autre formalité dans tout État membre, les effets que lui attribue la loi de l’État d’ouverture et en particulier le transfert au syndic de la propriété des biens du débiteur, incluant sa quote-part indivise de l’immeuble situé en France, lui permettant d’exercer sur le territoire de cet État tous les pouvoirs qui lui sont conférés par ce transfert de propriété et en conséquence celui d’agir en partage de l’indivision.
Le syndic, devenu propriétaire des biens du débiteur, est coïndivisaire de l’immeuble et il agit en conséquence sur le fondement de l’article 815 du code civil et non sur celui de l’article 815-17 du même code. La cour d’appel, reconnaissant les effets de la procédure d’insolvabilité attribués par la loi anglaise sur la propriété des biens du débiteur, a fait application de la loi de situation de l’immeuble pour déterminer le fondement et le régime de l’action engagée devant les juridictions françaises.
La règle du transfert au syndic de la propriété des biens du débiteur, personne physique, mis en liquidation judiciaire, résultant de la loi anglaise, ne produit pas des effets manifestement contraires à la conception française de l’ordre public international.

Mots clés

  • REGLEMENT (CE) NO 1346/2000 (INSOLVABILITE)
  • Effet de la décision d’ouverture de la procédure principale (article 16)
  • Pouvoirs du syndic (article 18)
  • Transfert au syndic de la propriété des biens du débiteur
  • Partage d’une indivision
  • Immeuble situé en France
  • Loi du lieu de situation de l’immeuble
  • Fondement et régime de l’action engagée par le syndic
  • Application de la loi locale aux modalités de réalisation des biens
  • conformité à l’ordre public (article 26)
Etienne Farnoux
Professeur à l’Université de Strasbourg
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Mis en ligne sur Cairn.info le 23/03/2022
https://doi.org/10.3917/rcdip.213.0595
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