CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1(1) La question de l’applicabilité du droit international aux personnes morales revient ainsi sur le tapis judiciaire américain à l’occasion de la mise en œuvre du Alien Tort Statute. Par ce nouvel épisode dans la saga de la responsabilité des multinationales, la Cour suprême fédérale des États-Unis se prononce contre l’exercice, sur le fondement de ce texte, de la compétence internationale américaine à l’égard d’une entité juridique étrangère, pour des faits survenus à l’étranger. Par une majorité d’une voix (celle du nouveau juge Gorsuch, auteur d’une opinion concurrente), la Cour estime que l’action délictuelle bénéficiant aux demandeurs non nationaux (aliens) dans le cas d’une violation alléguée du droit des nations, ne peut s’exercer à l’égard d’une personne morale. Le jugement de 2018 confirme ainsi les craintes, présentes depuis la décision rendue par la même Cour dans l’affaire Kiobel (Rev. crit. DIP 2013. 595, et la note), d’une désactivation quasi-totale du dispositif juridique qui avait, un temps, laissé penser qu’il deviendrait, en matière de protection des droits de l’homme, un instrument-clé de la régulation des activités délocalisées des entreprises.

2En attendant ce dernier virage, l’apport indirect de l’Alien Tort Statute au cours des vingt dernières années (les meilleures de sa longue vie, débutée en 1798) a été significatif. Il ne serait pas exagéré de dire que c’est lui qui a conduit à une prise de conscience dans la société civile transnationale de l’importance du droit dans la globalisation, laquelle a ensuite motivé l’adoption par les Nations unies des « Principes Ruggie », encouragé le développement du concept de responsabilité sociale des entreprises (et son usage pour et contre la responsabilité juridique) et suscité divers autres initiatives nationales, dont la loi néerlandaise sur les transactions de groupe (Dutch Settlement Act 2005), la loi sur le devoir de vigilance en France en 2017, ou encore, la même année, la jurisprudence Vedanta au Royaume-Uni (v. Rev. crit. DIP 2017. 613 et la note). Ces diverses étapes ont été étroitement suivies dans les pages de cette Revue. Mais le modèle d’origine s’étiole désormais, au point que l’utilité de l’Alien Tort Statute, d’instrument-clé de la gouvernance globale porteur de tous les espoirs, est devenue désormais très incertaine.

3Le cas qui a permis cet ultime recul du for de protection des droits de l’homme revêtait une sensibilité politique particulière en raison tant de l’identité du défendeur jordanien, Arab Bank PLC, que des faits de financement du terrorisme qui lui étaient reprochés. C’est sans doute pour cette raison que l’affaire, survenue il y a plus d’une décennie, avait été mise en suspens en attendant l’issue du contentieux Kiobel. Au terme de cette attente, l’accès à la justice fédérale a été restreint aux seuls cas « touchant et concernant » de près le territoire des États-Unis, annonçant d’une certaine façon l’évolution qui allait suivre. La banque défenderesse dans la présente affaire est décrite comme une institution financière jordanienne majeure, avec des établissements à travers le monde entier. Les demandeurs étaient un groupe de 6 000 victimes (ou leurs représentants) qui alléguaient (principalement) avoir été blessées (ou tuées) par des actes terroristes facilités par la banque à travers des opérations financières de clearing interbancaire en dollars (CHIPS) [1] effectuées par sa branche new-yorkaise ; en somme ces opérations auraient permis le transfert vers le Moyen-Orient de fonds destinés à financer ces actes terroristes.

4En soi, et comme dans l’affaire Kiobel, le refus des juges fédéraux d’exercer leur compétence dans ces circonstances n’est pas nécessairement déraisonnable ; il pouvait en tout cas se justifier au regard de critères déjà acquis (absence de proximité avec le territoire américain, sensibilité politique du contentieux, etc.) sans qu’il y eût besoin de consacrer une nouvelle restriction à l’accès à ce for. Le problème, comme dans l’affaire Kiobel, n’est donc pas le résultat atteint, mais la motivation retenue et sa portée potentielle. En effet, au-delà du cas lui-même, l’enjeu politique et économique de l’interprétation de l’Alien Tort Statute était si important qu’il aurait été bien étonnant de relever un consensus sur le raisonnement à tenir. Il y va de la gouvernance des entreprises, de la pérennité des structures et pratiques actuelles du capitalisme financier, du devenir du droit de l’investissement, mais aussi de la fonction politique du juge, de la place des États-Unis dans le monde (v. avec ce titre, l’ouvrage du juge Breyer, dont il est rendu compte Rev. crit. DIP 2016. 221) etc. L’affaire Kiobel avait déjà divisé la Cour suprême à tous ces égards. Ici, la césure se creuse encore, scellant l’irrévocabilité de la perte des avancées conquises depuis les années 2000 et engendrant un sinistre pressentiment sur l’évolution future de la politique judiciaire en ce domaine et dans d’autres.

5Dans la composition de la Cour, la présence du nouveau juge Gorsuch en remplacement du feu juge Scalia dans l’aile conservatrice accentue la polarisation. Fait remarquable, cet conservateur originaliste n’hésite pas à laisser entendre non seulement qu’il soutient une interprétation restrictive de la jurisprudence antérieure, notamment de l’arrêt Sosa (qui, le premier de la Cour suprême à se prononcer sur l’Alien Tort Statute, avait fameusement invité à la « vigilance » dans la mise en œuvre de ce texte et notamment de l’identification de nouvelles normes de droit international : Sosa v. Alvarez-Machain, 542 U.S. 692, 2004), mais qu’il serait prêt à renverser ce précédent interlope (adopté contre l’avis du juge Scalia), jugé illégitime à raison de son libéralisme excessif et de la conception trop généreuse qu’il présuppose des pouvoirs du juge. Or, on sait que dans un système de common law, la disqualification de précédents (les revirements de jurisprudence) émanant d’une Cour suprême pour des raisons d’illégitimité ou de raisonnement erroné, par opposition à une évolution exigée par le changement de circonstances, est exceptionnelle (v. le vif débat sur ce point entre le juge Scalia, minoritaire, et l’aile progressiste, à l’époque majoritaire, à qui le premier reprochait de disqualifier une jurisprudence passée, dans Lawrence v. Texas (539 U.S. 558) 2003).

6En face, le groupe minoritaire est ici mené par la juge Sotomayor, plume de la brillante opinion dissidente, dont il suffit à vrai dire de reprendre les arguments pour avoir une vision parfaitement claire des enjeux et des solutions. C’est pourquoi, sans aucunement prétendre à la même exhaustivité, on se bornera ici, pour permettre de comprendre l’état du débat et suggérer quelques pistes critiques, à rassembler les points essentiels autour des trois dimensions conceptuelle, méthodologique, et politique de la décision.

I – Le statut de l’extraterritorialité : changement de focus conceptuel

7Le premier point qui mérite d’être souligné est que le refus des juges d’admettre la compétence internationale américaine ne tourne aucunement ici sur la question de l’extraterritorialité de la loi fédérale. En dépit de la fascination qu’exerce ce dernier concept, au point de devenir la nouvelle tarte à la crème discursive aussi bien en droit (international privé) que dans le domaine des relations internationales, appliquée aussi bien à la compétence des juges, à la loi applicable, au domaine des droits individuels ou encore, phénomène le plus récent, aux sanctions financières, la Cour suprême a choisi de situer le débat, comme nous le verrons, sur un terrain politico-juridique très différent – et bien plus radical en termes de fermeture des juridictions fédérales à l’égard des contentieux fondés sur la violation du droit des gens.

8L’interférence du langage de l’extraterritorialité, emprunté (en tout cas dans son renouveau récent) au contexte de la détermination de la portée spatiale de la régulation économique fédérale (Morrison v. National Australia Bank, 561 U.S. 247 (2010), Rev. crit. DIP 2010. 761 et la note), et transposé dans celui, très différent, de l’étendue de la compétence juridictionnelle internationale américaine fondée sur le Alien Tort Statute (où il fait encore moins sens), s’était pourtant imposée dans l’arrêt Kiobel. L’opinion majoritaire y a postulé qu’il n’y avait pas à différencier les deux types de textes au regard de la présomption contre l’extraterritorialité [2]. Or, au regard de celle-ci, la situation concrète dans le cas de l’Arab Bank n’est pas si différente de celle de l’affaire Kiobel. Les parties ici sont toutes également étrangères et les liens avec les États-Unis (à tout le moins s’agissant des opérations bancaires en dollars) étaient sans doute ni plus ni moins plausibles que dans l’affaire précédente. L’intensité très relative de l’implication territoriale des États-Unis aurait pu par conséquent suffire à rejeter cette demande – sauf à observer que le lien constitué par les opérations financières en dollars, inapte à justifier la compétence pour imposer une responsabilité aux entreprises, suffit en revanche pour fonder la portée des sanctions financières américaines. Mais ce n’est pas là le terrain choisi.

9Il faut dire que comme le montre l’affaire RJR Nabisco (portant sur le domaine dans l’espace de la loi fédérale dite RICO : Rev. crit. DIP 2017. 70, et la note), en dépit de l’énergie déployée à des fins didactiques par la Cour, le sens du concept d’extraterritorialité et de la traduction méthodologique de la présomption contre l’extraterritorialité demeure parfaitement fuyant. Ici, la Cour elle-même prend soin d’éviter de s’engager sur ce terrain. Certes, les parties ne l’y invitaient pas. Mais tel était aussi le cas dans l’affaire Kiobel, lorsque, au cours de la première audience, la Cour avait quitté subitement le terrain de l’applicabilité ratione personae de l’Alien Tort Statute (celui-ci ouvrait-il un for dans le cas où la défenderesse était une personne morale ?) pour s’engager sur le terrain de sa portée spatiale. Le phénomène inverse se produit ici. On ne s’attendait pas à voir resurgir la question, préliminaire, de l’applicabilité (ou non) des normes du droit international aux personnes morales (étrangères). Mais la Cour préfère fonder son raisonnement sur le droit international pour revenir sur le terrain du statut du défendeur.

II – L’argument méthodologique : fond (droit international) ou procédure (droit national) ?

10La banque défenderesse peut-elle, en tant que personne morale (entité juridique et non personne physique), être considérée comme ayant violé une norme de droit international ? Cette formulation des termes de la question soulève des difficultés méthodologiques désormais très familières. Si l’enjeu immédiat du contentieux est d’ordre juridictionnel (la compétence fondée sur l’Alien Tort Statute peut-elle s’exercer à l’égard d’une société, plutôt que d’un individu ?), on sait que c’est la teneur même de ce texte, lequel vise les actions délictuelles fondées sur la violation du droit des nations, qui oblige à rechercher si la norme dont la violation est invoquée relève bien de ce dernier droit. Or, cette question, estime la Cour, comprend celle de savoir si le droit des nations admet lui-même que ses propres normes puissent être violées par une personne morale. Autrement dit, les juridictions fédérales n’étant compétentes ratione materiae qu’en cas de violation d’une norme de droit international, il faut non seulement que le demandeur en réparation démontre qu’il y a eu une violation d’une norme de conduite posée par le droit international (ce qui pose problème en cas d’invocation de faits dommageables autres que ceux qui étaient constitutifs d’une telle violation en 1789 : on y reviendra) mais aussi que cette norme, selon le droit international lui-même, a pu être violée par le défendeur en sa qualité de personne physique ou morale (ici en tant que société). D’où le problème de savoir si le droit international s’applique ou non aux personnes morales.

11Le débat sur ce point, tant judiciaire qu’académique, est singulièrement confus. La source d’une grande partie des difficultés réside, on le sait (v. les observations du juge Leval dans Kiobel, 621 F. 3d, p. 177 et la note précitée sous l’arrêt de la Cour suprême dans la même affaire) dans une simple note en bas de page (la célèbre note 20 de l’arrêt Sosa), qui donne lieu, depuis la procédure d’appel dans l’affaire Kiobel, à des interprétations très divergentes. Cette note en bas de page relève incidemment, obiter dictum, que la question peut se poser de savoir si le droit international étend la responsabilité encourue pour la violation d’une norme à un défendeur personne privée, que ce soit un individu ou une société [3]. L’hésitation, incidemment exprimée, concerne (il nous semble assez clairement) la qualité privée de l’auteur de la conduite dommageable. Les personnes morales sont mentionnées, avec les personnes physiques, en tant que sous-catégorie des acteurs privés. Une lecture syntaxique de la phrase le montre aussi bien que le contexte dans lequel cette observation a été faite.

12Curieusement, cependant, la distinction entre les personnes physiques et morales a été transformée en propos principal de la note, transformant par là même la signification de celle-ci et lui conférant une portée qui n’avait certainement pas été voulue au départ. On peut penser que si la question de la nature (personne physique ou morale) du défendeur avait revêtu tant d’importance, elle aurait été formulée dans d’autres termes, et sous une forme moins désinvolte. C’est le genre de situation qui fait comprendre pourquoi l’économie de parole judiciaire – celle de la Cour de cassation française, par exemple, qu’on ne surprendra jamais en train d’écrire des notes en bas de page – est parfois précieuse ! En tout cas, le tandem personne physique/morale en est venu à éclipser, dans les interprétations ultérieures de l’arrêt Sosa, la paire acteur public/acteur privé.

13Sous-tendant les différentes querelles sur la portée de ces distinctions, il s’agit d’articuler la compétence du droit international auquel fait référence le texte de l’Alien Tort Statute pour définir la norme violée, et celle du droit national pour déterminer, en droit de la responsabilité civile (tort), la sanction applicable. C’est pourquoi, obscurcissant encore le débat, d’autres distinctions (fond/procédure ; substance/sanctions) viennent se superposer aux catégories initiales. La question de l’identité du défendeur (peu important qu’on entende cette question comme renvoyant à la distinction physique/morale ou publique/privée), appartient-elle au fond ou à la procédure ? Relève-t-elle de l’énoncé d’une norme ou du régime de la sanction ? La réponse dépend à son tour de la façon dont on comprend le mode opératoire du droit international et les conditions de son articulation avec le droit national.

14En l’espèce, selon les juges de la majorité, la détermination des débiteurs des obligations imposées par le droit international dépendant directement de ce dernier, il faut y rechercher une norme qui consacre incontestablement la responsabilité (civile ?) des personnes morales. Une telle norme s’avère bien entendu introuvable. D’abord, les exemples de responsabilité de personnes privées consacrés par le droit international relèvent du droit pénal (le procès de Nuremberg ; les condamnations prononcées par la Cour pénale internationale…), et non de la responsabilité civile. Ensuite, s’il existe quelques exemples de personnes morales responsables, le droit international ne se prononce pas en termes généraux sur la question de la nature (physique ou morale) de la personnalité de ses destinataires. À cet égard, on pourrait soulever des incertitudes analogues sur l’applicabilité du droit international aux acteurs non étatiques en général (v. sur déjà ce point les écrits de Hans Kelsen, in N. Grangé et F. Ramel, Le droit international selon Hans Kelsen, ENS éd., 2018, dont il est rendu compte infra) ! Mais en interrogeant le droit international sur l’existence d’une norme consacrant la responsabilité des personnes morales, les juges majoritaires ont-ils posé la bonne question ? “That’s not how international law works” », répond l’opinion dissidente, qui leur reproche de déformer le sens de l’arrêt Sosa, par une sorte de violation par fausse application du précédent [4]. Observons.

15Selon les juges de la majorité, pour mettre en œuvre l’Alien Tort Statute, il faut suivre le critère d’identification des normes du droit international énoncé dans l’arrêt Sosa. La norme dont la violation est alléguée doit être « spécifique, universelle et obligatoire ». L’idée est que les juges fédéraux ne doivent pas consacrer unilatéralement l’existence au titre du droit international de normes dont l’existence ne serait pas certaine, c’est-à-dire, ne ferait pas l’objet d’un consensus suffisant de la communauté internationale. Or, il importe de se rappeler que cet arrêt concernait le problème très particulier, différent de celui qui se pose dans le cas Arab Bank, de savoir si peuvent être reconnues comme relevant du droit des nations, pour le besoin de ce texte, des normes qui ont été consacrées en droit international après 1789 (donc à une époque où seule une poignée de telles normes existait, reconnue par l’autorité de Blackstone comme étant intégrées dans la common law). Dans le contexte déjà polarisé de l’affaire Sosa, la Cour avait adopté une position de compromis entre deux extrêmes (n’admettre aucun cas additionnel ; ou, permettre aux juges fédéraux de se prononcer sans limites sur l’évolution du droit international et éventuellement d’y inclure de nouvelles règles). Sans fermer la porte à toute évolution, la Cour a sommé les juges du fond d’exercer une vigilance attentive (vigilant doorkeeping) à l’égard de normes dont on prétendrait qu’elles sont devenues partie du droit international. On a vu ce qu’il en est de l’exemple de l’esclavage (Rev. crit. DIP 2011. 898 et la note). L’impératif de prudence conduit donc la Cour à exiger du demandeur qu’il démontre l’existence d’une norme internationale incontestable (« spécifique, universelle et obligatoire »). Ces trois critères pris ensemble représentaient le paradigme des quelques normes du droit des nations reconnues en 1789 (exeunt donc le soft law contemporain, les principes généraux du droit, les normes se rapportant à des catégories nouvelles, tel l’environnement, etc.).

16Tout comme ceux de la cour d’appel dans l’affaire Kiobel à laquelle la Cour suprême se réfère ici, les juges majoritaires formulent donc la question cardinale comme étant celle de savoir s’il existe une norme de droit international présentant les caractéristiques évoquées (obligatoire, universelle, spécifique) reconnaissant la responsabilité (civile) des personnes morales. De façon peu surprenante au regard du contenu du droit international, comme on vient de le voir, elle conclut au terme d’une étude très approfondie des cas de responsabilité en droit international qu’il existe des doutes considérables sur ce point. Mais cet argument est méthodologiquement très problématique, comme ne manquent pas souligner les juges dissidents ici (à l’instar du juge Laval, auteur de l’opinion concurrente minoritaire dans l’affaire Kiobel, devant la cour d’appel du second circuit). L’erreur de raisonnement, selon leur analyse, est double.

17(i) D’abord, le test tripartite Sosa ne s’applique qu’aux normes de conduite. Celles-ci comprennent les prohibitions de certains comportements attentatoires aux droits de l’homme (tels le génocide, l’esclavage, la torture et…le fameux « assassinat extrajudiciaire »). C’est au sujet de ces normes que l’arrêt Sosa exige, comme on l’a vu, qu’il existe un consensus international suffisant. En revanche, le même test n’est pas pertinent s’agissant de la question de la vocation des personnes morales (dont il serait préalablement établi qu’elles ont violé une norme de conduite de droit international) à endosser une responsabilité civile. On pourrait dire, en d’autres termes, que le test applicable à la détermination de la norme violée ne concerne pas la sanction ou le régime juridique de la responsabilité encourue. Dans l’analyse de la juge Sotomayor, la même idée se traduit par le fait que le droit international coutumier ne régit pas la mise en œuvre des sanctions applicables en cas de violation de ses normes (préalablement identifiées). Les sanctions, c’est-à-dire, les différents régimes juridiques de droit national applicables en cas de violation de la norme de conduite internationale, relèvent du choix et du droit des États, qui peuvent décider d’agir collectivement pour imposer une responsabilité (à travers des traités, comme celui sur le terrorisme, que nous retrouverons plus bas) ou unilatéralement, à travers des initiatives dans leurs ordres internes respectifs (tel l’Alien Tort Statute). Le droit international ne se prononce pas sur ce choix.

18Au soutien de cette position, un (bon) argument sémantique nouveau apparaît ici, également sous la plume de la juge dissidente. L’arrêt Sosa utilise bien le terme « norme » lorsqu’il dit : « Les juridictions fédérales ne doivent pas reconnaître des actions privées sur le fondement du droit commun fédéral pour des violations d’une norme de droit international ayant un contenu et une acceptation parmi les nations civilisées moindres que les paradigmes historiques en cours au moment de l’adoption du §1350 » (c’est-à-dire de l’Alien Tort Statute en 1789 : v. 542 U. S., p. 732) [5]. Comme le fait valoir la juge Sotomayor, cette affirmation n’aurait aucun sens si la référence à la « norme » incluait des mécanismes de sanction (on pourrait dire, de régime juridique) telle la responsabilité civile des entreprises (corporate liability). À la différence par exemple de la prohibition du génocide, la « responsabilité civile des entreprises » ne peut pas être violée ! La juge Sotomayor ne l’a pas fait, mais on pourrait facilement invoquer sur ce point l’autorité de Currie et de la doctrine des intérêts gouvernementaux : en effet, au regard de la distinction, fondamentale pour cette dernière, entre les vrais et les faux conflits de lois, le régime juridique s’oppose précisément à la norme de conduite (v. sur ce point, D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, 4e éd., PUF, coll. « Thémis », T. I, 2017, n° 353 s). Le choix des termes est donc important. A nouveau, le problème du raisonnement mené par la majorité de la Cour, en somme, est que la démarche elle-même est erronée. Au lieu de demander s’il existe une norme explicite, incontestable et générale sur la responsabilité civile des sociétés en droit international, la question appropriée est de savoir s’il existe une raison en droit international de distinguer entre une société et un individu dès lors qu’une norme de droit international a été violée. Comme l’avait déjà dit le juge Laval lors de l’affaire Kiobel (621 F. 3d, p. 175 ; comp. H. Muir Watt, « Les enjeux de l’affaire Kiobel : le chaînon manquant dans la mise en œuvre de la responsabilité des entreprises multinationales en droit international public et privé », Trav. Com. fr. DIP, 2010-2012, p. 233), la réponse est que le droit international ne dit précisément rien sur la question. Pas plus que le droit interne, au demeurant [6].

19(ii) Ensuite, ce n’est pas parce que le droit international ne se prononce pas sur le régime juridique de droit national applicable en cas de violation de ses normes qu’il n’a rien à dire pour autant sur le statut du défendeur à une action en responsabilité. On revient alors à l‘interprétation de la note 20 (précitée) de l’arrêt Sosa, comprise comme visant la question de l’intervention étatique (state action requirement). On peut exprimer l’argument autrement en disant que l’interrogation essentielle ne concerne pas la nature, physique ou morale, de la personne défenderesse à l’action fondée sur la violation du droit international, mais sa qualité publique (ou étatique) ou privée. Un individu qui n’est pas un agent de l’État peut-il commettre un génocide ? Or, la question de qui (acteur public ou privé) doit avoir été l’auteur de la violation pour que celle-ci constitue bien une violation du droit international relève bien de ce même droit. Mais la réponse sur ce point est à rechercher dans chaque norme. Par exemple c’est la norme qui prohibe le génocide qui dira quel type d’acteur peut en être l’auteur. Une tuerie massive de la part d’un individu ne représentant pas un État est-elle un « simple » crime de droit national, ou est-elle aussi, si elle est menée avec l’intention d’éliminer un groupe ethnique donné, un génocide ? La réponse à cette question dépend de la norme en cause et ne peut pas être catégorique. Certains crimes graves commis par un particulier sont ou peuvent également constituer des violations du droit des nations, et d’autres pas.

20Il faut souligner à nouveau que la question concerne la nature (publique ou privée) de l’acteur et aucunement sa forme juridique (société ou personne physique). C’est assez curieux dès lors de voir le soin mis par la majorité à démontrer que le droit international distingue entre les sociétés et les personnes physiques en tant que destinataires de ses normes. Le malentendu sur l’interprétation de l’arrêt Sosa est si évident qu’on peut se demander si c’est pour cette raison que le juge Gorsuch indique, à plusieurs reprises, qu’il serait personnellement prêt à aller plus loin que cette interprétation restrictive pour tenir cette décision plus radicalement pour mal jugée, en ce qu’elle avait autorisé les juges à tenir compte de l’évolution du droit international…La sombre possibilité d’un recul originaliste de la Cour se confirme lorsqu’on examine les arguments politiques avancés ici en faveur du refus de toute compétence judiciaire fédérale pour résoudre la question d’interprétation du droit international prétendument soulevée dans ce cas.

III – L’argument politique : séparation des pouvoirs et relations diplomatiques

21Il est frappant que la question de droit à trancher n’est pas formulée par la majorité de la Cour directement en termes de sens du texte à appliquer (ou plutôt, de celui de la norme de droit international prise en considération par ce dernier), mais est placée sur le terrain de l’autorité du pouvoir judiciaire pour opérer cette interprétation elle-même. L’arrêt Sosa avait posé que l’Alien Tort Statute autorise les juges fédéraux à « reconnaître des causes d’action privées pour certains délits commis en violation du droit des nations, » (p. 724) dans la mesure où il n’y a pas lieu à d’autres interventions de la part du Congrès (p. 712). La question serait donc, selon la Cour, de savoir si le texte confère aux juges l’autorité et le pouvoir d’imposer une responsabilité à une société (personne morale) sans qu’il y ait eu d’autorisation spécifique du Congrès. Selon les juges majoritaires, il y aurait deux raisons d’y apporter une réponse négative. Si les juges ne sont pas bien placés pour prendre les décisions politiques impliquées dans la responsabilité des entreprises étrangères, c’est tout d’abord pour ne pas outrepasser les limites de la fonction judiciaire en général. Ensuite, il faut éviter par l’interprétation judiciaire de provoquer des conséquences potentiellement graves sur le terrain de la politique étrangère, et s’en référer par conséquent sur de telles questions aux branches politiques de l’appareil étatique.

1. La séparation des pouvoirs

22La première considération, tenant au devoir du juge de ne pas empiéter sur les attributions constitutionnelles du pouvoir exécutif, conduit le juge Gorsuch à énoncer ainsi la problématique posée par le cas de l’Arab Bank : la branche judiciaire doit-elle respecter la priorité du législateur pour déterminer s’il existe une norme internationale, et, si oui, est-il approprié qu’elle la mette en œuvre dans les circonstances concrètes du cas dont elle est saisie ? Il relie ensuite cet impératif de prudence judiciaire à un contexte plus large, dans lequel la Cour suprême a mis en doute (y compris très récemment, avec la participation du juge Gorsuch lui-même) le pouvoir du juge, dans des situations de droit interne, d’interpréter des textes de façon à « créer des causes d’action » (c’est-à-dire, d’admettre la responsabilité délictuelle du défendeur dans des circonstances encore inédites). La raison en est que le législateur serait mieux placé pour apprécier les exigences de l’intérêt général s’agissant d’étendre ou non le domaine de la responsabilité. Cette directive de prudence judiciaire s’appliquerait naturellement, poursuit le juge Gorsuch, à l’hypothèse où il est demandé aux juges de consacrer un nouveau cas responsabilité civile des personnes morales.

23Un tel argument présuppose que le fait de retenir la responsabilité d’une personne morale sur le fondement d’une norme antérieurement utilisée pour des personnes physiques (et sans que la norme elle-même limite ses propres destinataires) soit un nouveau cas (une nouvelle cause d’action) de responsabilité. Si ce point de technique juridique peut se discuter, il est clair par ailleurs qu’il prouve évidemment trop. Il serait opposable à tout acte d’interprétation judiciaire. Aussi absurde que puisse paraître une telle conclusion, cependant, il faut souligner que le juge Gorsuch n’est pas loin de disqualifier comme illégitime toute extension par voie d’interprétation de la portée d’un texte légiféré de façon à l’appliquer dans un cas non explicitement prévu. Comme feu le juge Scalia, il honnit l’activisme judiciaire, au nom du principe constitutionnel selon lequel le représentant élu du peuple crée les lois, et non le juge. Cette logique imparable s’appelle originalisme…

24Mais plutôt que d’engager avec lui une polémique sur l’acte d’interprétation, la juge Sotomayor replace le cas et la question à trancher dans l’histoire judiciaire de l’Alien Tort Statute, rappelant plus prosaïquement que l’application de ce texte « n’intervient pas sur une page blanche » et que la vraie tâche pour les juges n’est pas d’en interpréter les seuls (et très brefs) termes de façon littérale, mais de se demander, comme l’avait fait le juge Breyer dans l’affaire Kiobel, « qui sont les pirates d’aujourd’hui ? » [7]. On sait que cette référence aux pirates s’explique par le fait que l’Alien Tort Statute offre incontestablement un for pour des actes de piraterie, lesquels étaient considérés en 1789 comme une violation du droit des nations. Or, aujourd’hui, la figure du pirate inclut très plausiblement l’entreprise multinationale qui pille les mers et les terres et dépouille les pays dans lesquels elle s’implante. La personnalité morale n’empêche pas une entité juridique d’être un voyou ni ne commande de fermer catégoriquement le for de l’Alien Tort Statute chaque fois que le défendeur est une personne morale.

2. Le risque diplomatique

25L’argument sur ce point est également bien connu ; il était déjà central dans l’affaire Kiobel, où il avait permis à la minorité libérale de proposer (simuler ?) un terrain d’entente avec la majorité, soucieuse de préserver les prérogatives du pouvoir exécutif dans la gestion des relations extérieures des États-Unis, afin d’empêcher la fermeture complète du for de l’Alien Tort Statute en matière de régulation des multinationales. Elle s’était donc appuyée sur les difficultés diplomatiques potentielles que pouvait impliquer en l’occurrence l’absence de liens significatifs (ou du moins, comparativement plus faibles par rapport aux Pays-Bas, État du siège) entre le défendeur, Royal Dutch Shell, et les États-Unis. Ici, dit la Cour – pour souligner les conséquences néfastes du procès en cours –, cela fait treize ans que celui-ci génère des protestations diplomatiques de la part de la Jordanie, qui invoque une atteinte à sa souveraineté. L’argument prouve évidemment trop, encore une fois. Un État dont l’entreprise-champion national est poursuivie en justice à l’étranger pour violation des droits de l’homme aura assez naturellement tendance à protester. Si l’Alien Tort Statute a quelque utilité, c’est bien pour permettre aux victimes potentielles de contourner les voies – fermées – de la justice locale.

26Mais l’argument prend également une autre tournure, inédite, sur le terrain (simili-) économique. Au souci de ne pas gêner le pouvoir exécutif en provoquant des réactions hostiles de la part de gouvernements étrangers, s’ajoute d’abord la considération, déjà évoquée dans l’affaire Kiobel, selon laquelle les entreprises américaines pourraient se retrouver réciproquement traduites en justice à l’étranger sur le fondement d’allégations de violation des droits de l’homme. Sous cette forme, il a dû sembler peu glorieux ; la nouveauté ici consiste à présenter ce facteur comme de nature à freiner l’investissement américain dans des économies en développement… On imagine bien que la tentation de la minorité avait pu être de souligner la quasi-obscénité d’un tel argument. La juge Sotomayor a préféré cependant, une nouvelle fois, éviter la polémique ou le dialogue de sourds.

27D’abord, elle a une réponse, éminemment raisonnable, de technique juridique de droit international privé. Le risque de friction diplomatique peut être géré très convenablement par les juges à travers toute une série d’outils existants, sans qu’il y ait lieu d’exclure à titre de principe toute responsabilité juridique des personnes morales à raison des violations des droits de l’homme. À ce titre, elle cite la présomption contre l’extraterritorialité, le comity (courtoisie internationale), le forum non conveniens, l’exigence de liens de domiciliation entre la société défenderesse et les États-Unis (où elle doit être at home pour les besoins de la compétence personnelle générale : v. l’affaire Daimler AG v. Bauman, 134 S. Ct. 746c)… Ensuite, plus habile et plus cinglante, vient la réplique sur le terrain même où la majorité avait conduit le débat. Exprimant son entier d’accord avec la préoccupation ainsi exprimée, elle dit que c’est bien pourquoi elle prête une attention particulière à l’avis du pouvoir exécutif exprimé par le passé dans des avis signés tant par le Solicitor General que par le conseil juridique du State Department, qui avaient par deux fois invité la Cour à prendre le contrepied de la position soutenue aujourd’hui par la majorité [8]. Le problème, évidemment, est qu’au moment où ces avis ont été formulés et signés au nom de la Maison Blanche, le président des États-Unis n’était pas le même…

28Si la décision laisse donc un sentiment de grande insatisfaction quant au raisonnement déployé et des regrets pour les avancées qui avaient semblé se dessiner dans un passé très récent, elle soulève aussi une nouvelle question. Une grande partie de l’argumentation porte, à partir d’un malentendu sur le sens et la portée de la note en bas de page de l’arrêt Sosa, sur la spécificité de la société commerciale par rapport à l’individu au regard de la responsabilité (civile ou pénale ? cela reste à élucider) en droit international. Autrement dit, la discussion selon les termes (confus) définis par la majorité, concernait la question de savoir si la forme sociale (celle de la personnalité morale) constitue ou non en elle-même un obstacle à ce qu’une personne morale soit tenue pour responsable, sur le fondement de l’Alien Tort Statute, pour des violations de droits de l’homme survenus à l’étranger. L’obstacle aurait tenu à son tour à l’absence d’autorité du juge pour interpréter en ce sens un texte qui ne dit pas explicitement qu’il vise les personnes morales (ou plutôt, pour interpréter le droit international auquel renverrait ce texte sur ce point précis). En revanche, ce n’est en réalité qu’incidemment qu’intervient la question de l’extranéité de la société défenderesse [9]. En effet, la majorité s’est placée sur un terrain qui semblerait exclure toute application de l’Alien Tort Statute à une société en position de défendeur, quelle qu’en soit la nationalité. Il est donc prévisible que la prochaine bataille, reprenant partiellement ces éléments, se nouera sur le terrain des défendeurs américains. Elle sera violente.

Notes

  • (1)
    Clearing House Interbank Payments System.
  • (2)
    La doctrine de « la présomption contre l’extraterritorialité » avait conduit la Cour suprême, dans l’affaire Kiobel, à refuser que la compétence américaine sur le fondement du Alien Tort Statute ne s’exerce à l’égard de faits qui auraient eu lieu en dehors des États-Unis. Le raisonnement (Kiobel, p. 124 s.) consistait d’abord à réaffirmer l’existence d’une présomption contre l’extraterritorialité (sans que la source, ou le fondement juridique, de celle-ci ne soit parfaitement clair). Ensuite, il s’agissait de mettre en œuvre cette présomption (pour la première fois) à la compétence juridictionnelle, pour conclure que l’Alien Tort Statute ne contenait rien qui justifiât de la renverser. Il s’ensuit que, désormais, une fois pour toutes, ce texte est considéré comme étant d’application « territoriale ». Dans ce texte, cela veut dire qu’il ne s’applique qu’à des faits « locaux » définis comme « touchant et concernant le territoire des États-Unis ». Enfin (c’est l’élément conceptuellement nouveau), à supposer même cette dernière condition remplie et qu’on soit en présence de faits locaux (ou « touchant » le territoire américain), il fallait mesurer l’intensité des liens entre celui-ci et les faits litigieux. Ainsi, même quand les faits sont locaux, leur lien avec les États-Unis doit revêtir une « force suffisante ».
  • (3)
    542 U. S., at 732, and n. 20 : « A related consideration is whether international law extends the scope of liability for a violation of a given norm to the perpetrator being sued, if the defendant is a private actor such as a corporation or individual ».
  • (4)
    Elle ajoute : « the plurality fundamentally misconceives how international law works and so misapplies the first step of Sosa »…
  • (5)
    « Federal courts should not recognize private claims under federal common law for violations of any international law norm with less definite content and acceptance among civilized nations than the historical paradigms familiar when §1350 was enacted. » 542 U. S., at 732.
  • (6)
    Une nouveauté dans le débat dans la présente affaire est l’accent mis sur des arguments empruntés au droit interne américain. Ainsi, deux siècles après le Alien Tort Statute, le Congrès a adopté le TVPA (Torture Victims Protection Act, 1992). Ce texte entretient des liens étroits avec son aîné, car il concerne la réparation civile d’actes de torture, mais l’ouvre aux citoyens américains (exclus du bénéfice de l’ATS, qui est né, on le sait, pour conférer un accès à la justice à un diplomate français). Pesant les implications de ce statut en termes de politique étrangère, le Congrès nous dit-on, a soigneusement défini en fonction de celles-ci les personnes pouvant engager leur responsabilité, la condition d’épuisement de voies de recours, et le délai pour agir. Ce modèle refléterait donc la volonté du Congrès quant à la structure idéale d’un droit d’action individuelle et serait également pertinente pour interpréter l’Alien Tort Statute. Or la caractéristique clé de ce modèle est qu’il limite les défendeurs potentiels à la catégorie des « individuals »… L’argument est peu convaincant cependant, car, comme le dit l’opinion minoritaire, il est difficile d’induire de cet autre texte que l’Alien Tort Statute ne permettrait jamais d’assigner une société, alors que le droit international coutumier l’admet. Par ailleurs, on peut ajouter que dans le cas précis de la torture, le droit international lui-même désigne certainement un individu et non une personne morale comme l’auteur potentiel de la violation, de sorte que, là encore, l’argument prouve trop. Le débat se déplace alors vers une analogie différente, proposée cette fois-ci par les demandeurs et tirée du Anti-Terrorism Act qui, lui, admet que des personnes morales puissent être poursuivies. L’analogie paraît apte car l’action contre l’Arab Bank concerne précisément sa complicité pour terrorisme. Paradoxalement, le juge Gorusch répond alors par une forme d’originalisme assez… originale, en invoquant le texte d’une convention internationale(International Convention for the Suppression of the Financing of Terrorism, Dec. 9, 1999, S. Treaty Doc. n° 106–49, 2178 U. N. T. S. 232) qui interdirait aux juges de « déplacer » la législation spécifique mise en place sur le fondement de celle-ci en accueillant des actions droit commun délictuel pour sanctionner la violation de l’interdit… L’argument est bizarre et, selon le franc-parler de la juge Sotomayor, « misses the point ». La signification de cette Convention réside dans le fait que la communauté internationale était d’accord que la financement du terrorisme est inacceptable. Le fait d’autoriser des actions en justice en cas de violation de l’interdit n’est en aucun cas un déplacement du régime…
  • (7)
    Kiobel, 569 U. S., at 129 (J. Breyer, concurring in judgment).
  • (8)
    Elle adopte au demeurant une tactique similaire contre un autre argument du juge Gorsuch qui, plus habilement cette fois-ci, fait valoir que la « clause de diversité » dans la Constitution, qui conditionne la compétence des juridictions fédérales (Diversity-of-Citizenship Clause, Article III), aurait requis que le défendeur soit un citoyen local. La juge Sotomayor répond que la Cour a nécessairement toujours été consciente de cette possible interprétation de l’Article III, mais qu’elle a elle-même procédé sans égard pour l’extranéité du défendeur, dans l’affaire Sosa (argument également invoqué dans Arbaugh v. Y & H Corp., 546 U. S. 500, 514 (2006). Cependant, cette fois-ci son propre argument est très risqué : le juge Gorsuch, on le sait, est prêt plus radicalement à renier le précédent Sosa pour renouer avec une lecture originaliste du texte de l’Alien Tort Statute…
  • (9)
    Ainsi de la part de la majorité : « So it is proper for this Court to decide whether corporations, or at least foreign corporations, are subject to liability in an ATS suit filed in a United States district court ». Et dans la réponse de la juge Sotomayor : « Nothing about the corporate form in itself raises foreign-policy concerns that require the Court, as a matter of common-law discretion, to immunize all foreign corporations from liability under the ATS, regardless of the specific law-of-nations violations alleged ».
Français

Jesner et al. v. Arab bank, PLC
En l’occurrence, une banque jordanienne a été assignée en réparation devant une juridiction fédérale américaine sur le fondement de l’Alien Tort Statute pour avoir facilité des transferts internationaux de fonds destinés à financer des activités terroristes. La compétence internationale américaine est contestée, non pas sur le terrain de la suffisance des liens avec le territoire américain (celui de « l’extraterritorialité »), mais en raison de l’identité du défendeur, une personne morale étrangère. La Cour suprême décide, à une majorité d’une voix, que le for du Alien Tort Statute ne permet pas de poursuivre la banque jordanienne pour des faits constitutifs de violation du droit des nations, puisqu’aucune norme de droit international ne consacre de façon certaine, explicite et spécifique l’aptitude des personnes morales à être débitrices de responsabilité (1).
Le texte intégral de la décision est accessible sur le site figure im1

Mots clés

  • Alien Tort Statute
  • États-Unis d’Amérique
  • Compétence internationale des juridictions fédérales
  • Action contre une personne morale étrangère
  • Irrecevabilité
  • Personnes morales
  • A lien Tort Statute
  • Action en responsabilité civile
  • Condition de violation du droit des nations
  • Aptitude à être auteur d’une telle violation (non)
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.183.0670
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