CAIRN.INFO : Matières à réflexion

11re espèce

2Société Lauterbach GmbH c/ Société Logic instruments

3La Cour : – Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société de droit allemand Lauterbach, après avoir confié à la société Logic instrument la distribution de ses produits sur le territoire français pendant vingt ans, lui a notifié la rupture de leur relation commerciale, avec un préavis de huit mois ; que s’estimant victime d’une rupture brutale de relation commerciale établie, la société Logic instrument l’a assignée devant une juridiction française sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches : – Attendu que la société Lauterbach fait grief à l’arrêt de rejeter son exception d’incompétence au profit des juridictions allemandes et de déclarer la juridiction française compétente alors, selon le moyen :

41°/ que doit recevoir application la clause attributive de juridiction conclue sous une forme conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; qu’en l’espèce la clause attributive de juridiction désignant le tribunal de Munich figure sur l’ensemble des factures et des correspondances adressées par la société Lauterbach à la société Logic instrument pendant plus de 20 ans ; qu’en retenant, pour refuser de faire application de la clause attributive de juridiction, que les relations commerciales entre les parties n’étaient pas régies par des conditions générales comportant ladite clause, la cour d’appel a méconnu l’article 23 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

52°/ que doit recevoir application la clause attributive de juridiction conclue sous une forme conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles et que le consentement à la clause peut être tacite et qu’est réputée tacitement acceptée, dans le cadre de rapports commerciaux courants, la clause attributive de juridiction apposée par l’une des parties sur l’ensemble de la documentation contractuelle dès lors que la partie à laquelle on oppose la clause n’a jamais manifesté un quelconque désaccord ; qu’en se bornant à affirmer que l’absence de conditions générales régissant l’ensemble des relations commerciales entre les parties et comportant ladite clause rendait la clause inopposable à la société Logic instrument, sans examiner, comme l’y invitait pourtant la société Lauterbach, si la clause n’avait pas fait l’objet d’une acceptation tacite par la société Logic instrument, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 23 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ; Mais attendu qu’après avoir relevé le caractère peu apparent de la mention « Gerichtstand München » (tribunal compétent Munich) figurant au bas des factures émises par la société Lauterbach et retenu qu’il n’était pas démontré que cette clause ait été portée préalablement à la connaissance du distributeur lors de l’émission des bons de commande ni qu’elle ait été approuvée au moment de l’accord sur les prestations, excluant ainsi toute acceptation tacite, l’arrêt constate que cette clause ne donne aucune définition du rapport de droit déterminé pouvant donner lieu à la prorogation de compétence prévue par l’article 23 du règlement de Bruxelles I ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu retenir que cette mention ne constituait pas une convention attributive de juridiction, au sens de l’article 23 du règlement précité ; que le moyen n’est pas fondé ;

6Mais sur le même moyen, pris en sa troisième branche : – Vu l’article 3 du Code civil et les principes généraux du droit international privé, ensemble les articles 3 et 5 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 ; Attendu qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre ne peut être attraite devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des compétences spéciales énoncées par le règlement susvisé ;

7Attendu que pour rejeter l’exception d’incompétence soulevée au profit des juridictions allemandes, l’arrêt, après avoir relevé l’absence de convention attributive de juridiction, au sens de l’article 23 du règlement Bruxelles I, retient que la loi de police fondant la demande s’impose en tant que règle obligatoire pour le juge français ; Qu’en statuant ainsi, alors que seules les règles de conflit de juridictions doivent être mises en œuvre pour déterminer la juridiction compétente, des dispositions impératives constitutives de lois de police seraient-elles applicables au fond du litige, la cour d’appel a violé le texte et les principes susvisés ;

8Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : – Casse.

9Du 24 novembre 2015 – Cour de cassation (Com.) – Pourvoi n° 14-14924 – Mmes Mouillard, prés., Tréard, rapp., M. Mollard, av. gén. – SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Spinosi et Sureau, av.

102e espèce

11Société Riviera Motors c/ Société Aston Martin Lagonda Limited

12La Cour : – Sur le moyen unique : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 3 sept. 2015), qu’assignée devant la juridiction française par la société Riviera Motors, la société Aston Martin Lagonda Limited a soulevé une exception d’incompétence fondée sur la clause attributive de juridiction aux tribunaux anglais contenue dans le contrat de concession signé entre elles ;

13Attendu que la société Riviera Motors fait grief à l’arrêt de déclarer la juridiction judiciaire française incompétente, alors, selon le moyen :

141°/ que si les articles 18, 20 et 26 du contrat du 30 septembre 2003 organisaient, en cas de différend relatif à l’exécution des obligations contractuelles, une procédure de règlement optionnel permettant aux parties de recourir à un tiers expert ou d’intenter une action judiciaire dans les conditions prévues par l’article 26, lequel soumettait le contrat au droit anglais et à la « compétence exclusives des juridictions anglaises », il était expressément prévu, par l’annexe 5 D, alinéa 2, que « en cas de différends relatifs à la résiliation, chaque partie peut recourir aux juridictions étatiques compétentes en vertu de la législation nationale, quand bien même l’expert aurait été saisi et rendu une décision » ; qu’en retenant que cette disposition se serait bornée « à renvoyer à la compétence de la juridiction étatique compétente - laquelle se définit, par référence à l’article 26, comme la juridiction anglaise », et qu’elle ne dérogeait « donc en rien à la clause attributive de l’article 26 », sans faire aucune référence à la locution « en vertu de la législation nationale », laquelle signifiait nécessairement que la juridiction étatique compétente au sens de l’annexe 5 D était le tribunal interne compétent selon le droit interne, la cour d’appel en a dénaturé les termes clairs et précis, et a violé l’article 1134 du Code civil ;

152°/ qu’en déclarant la clause attributive de compétence prévue par l’article 26 du contrat applicable à la rupture brutale de la relation établie entre les parties, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si cette clause, qui liait indissociablement la compétence du juge anglais et l’application du droit anglais et désignait ainsi un ordre juridique globalement compétent, n’aboutissait pas à faire échec aux dispositions impératives de l’article L. 442-6-I, 5°, qui relèvent de l’ordre public économique, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de ces dispositions ;

163°/ qu’à défaut de viser les différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence, la clause attributive de compétence internationale figurant dans un contrat de distribution n’est pas applicable à une action en responsabilité délictuelle fondée sur la rupture brutale d’une relation commerciale établie ; qu’en déclarant applicable, en l’espèce, la clause attributive de compétence prévue par l’article 26 du contrat, aux motifs que « le rapport de droit en cause » ne se limitait « aux obligations contractuelles », mais qu’il devait « s’entendre des litiges découlant de la relation contractuelle », là où cette clause ne comportait aucune référence aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence, la cour d’appel a violé l’article 23 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

17Mais attendu qu’ayant relevé que le rapport de droit en cause ne se limitait pas aux obligations contractuelles, la référence de l’article 26 au « présent contrat » ne concernant que le droit applicable, et devait s’entendre des litiges découlant de la relation contractuelle, la cour d’appel, hors toute dénaturation, en a souverainement déduit, des dispositions impératives constitutives de lois de police fussent-elles applicables au fond du litige, que la clause attributive de compétence s’appliquait à la rupture brutale du contrat ; que le moyen n’est pas fondé ;

18Par ces motifs : – Rejette.

19Du 18 janvier 2017 – Cour de cassation (Civ. 1re) – Pourvoi n° 15-26.105 – Mme Batut, prés. – SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, av.

20(1-3) 1. La responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie, telle que régie par l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, nourrit un abondant contentieux sur lequel semble prospérer le droit international privé, spécialement sur le terrain particulièrement fécond de la confrontation des lois de police et des clauses de règlement des différends (pour une clause attributive de juridiction, v. spéc. : Civ. 1re, 22 oct. 2008, n° 07-15.823, Monster Cable, Rev. crit. DIP 2009. 69, et Chronique D. Bureau, H. Muir Watt, p. 1 ; JCP 2008. II. 10187, note L. d’Avout ; D. 2009. 200, note F. Jault-Seseke ; JDI 2009. 599, note M.-N. Jobard-Bachellier, F.-X. Train ; D. 2009. 2385, obs. S. Bollée ; D. 2009. 684, Chron. A. Huet ; RDC 2009. 691, note E. Treppoz ; H. Gaudemet-Tallon, La clause attributive de juridiction, un moyen d’échapper aux lois de police ?, in Liber Amicorum K. Siehr, Eleven International Publishing, 2010, p. 707 s. ; M.-N. Jobard-Bachellier, Une impérativité active des règles de droit dans l’ordre international, in Mélanges en l’honneur du professeur P. Mayer, LGDJ, 2015, p. 345. Et, pour une clause compromissoire : Civ. 1re, 8 juill. 2010, n° 09-67.013, Doga, Rev. crit. DIP 2010. 743, note D. Bureau, H. Muir Watt ; Rev. arb. 2010. 513, note R. Dupeyré ; D. 2010. 2884, note M. Audit, O. Cuperlier. Aj., plus généralement : M.-É. Ancel, L’article L. 442-6-I, 5 C. com. en droit international privé, RJC 2009. 200 ; S. Corneloup, La responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie et le droit international privé de l’Union européenne, in Mélanges offerts au professeur P. Bloch, Bruylant, 2015, p. 419). D’un apport plus modeste que les précédents évoqués ci-dessus, l’arrêt du 24 novembre 2015 en constitue plutôt une sorte de prolongement, dont l’issue sans surprise n’appelle dès lors qu’un rapide commentaire (sur cette décision, v. déjà : CCC 2016. Comm. 40, note N. Mathey ; JDI 2016. 939, note L. Usunier), tandis que le second, en date du 18 janvier 2017, apporte une utile précision quant à l’efficacité des clauses attributives de juridiction confrontées aux actions en responsabilité engagées dans le cadre d’infractions au droit de la concurrence.

212. Le contexte de la première affaire (Com. 24 nov. 2015) était d’une parfaite banalité : une société de droit allemand, après avoir confié à une société de droit français la distribution de ses produits dans l’Hexagone pendant une vingtaine d’années, lui notifie la rupture de leur relation commerciale, avec un préavis de huit mois. La société distributrice, s’estimant victime de la rupture brutale d’une relation commerciale établie, l’assigne alors en France sur le fondement de l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce. Parmi les différentes questions litigieuses tranchées par les juges du fond (détermination de la loi applicable, existence d’une relation commerciale établie, brutalité de la rupture…), l’exception d’incompétence soulevée au profit des juridictions allemandes retiendra seule ici l’attention, à raison tout spécialement de la réponse formulée à ce sujet par la Cour de Versailles : « s’agissant d’une demande fondée sur la rupture brutale d’une relation commerciale établie entre un fournisseur et un distributeur qui n’ont pas conclu de contrat écrit ni de clause attributive de compétence valable, l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce est reconnu comme loi de police au sens de l’article 3 du Code civil, qui s’impose en tant que règle obligatoire pour le juge français ». Affirmation quelque peu déroutante pour un internationaliste formé à la distinction du forum et du jus … et que vient corriger la Cour de cassation, non sans avoir préalablement répondu au moyen du pourvoi se prévalant de l’existence d’une clause attributive de juridiction.

223. Pour conclure à l’inexistence d’une clause attributive de juridiction en l’espèce, au sens de l’article 23 du règlement Bruxelles I, deux séries d’arguments ont ainsi été successivement employés.

23Le premier, classique, repose sur le caractère peu apparent de la simple mention Gerichstand München (tribunal compétent Munich) figurant au bas des factures émises par la société allemande, ainsi que sur l’absence de démonstration que cette clause ait été portée préalablement à la connaissance du distributeur lors de l’émission des bons de commande et d’approbation au moment de l’accord sur les prestations. Bref, en ce domaine où les exigences de forme imposées par le règlement Bruxelles I sont essentiellement au service de la réalité du consentement des parties (v. déjà, par ex. : CJCE 20 févr. 1997, point 15, et les précédents cités ; Rev. crit. DIP 1997. 563, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1997. 625, obs. A. Huet), l’absence de toute acceptation tacite aurait ici suffi à priver d’efficacité l’exception d’incompétence fondée sur le jeu d’une clause attributive de juridiction. Largement soumise aux circonstances propres de l’espèce (il avait ainsi été relevé devant les juges du fond que la mention Gerichstand München avait été insérée en petits caractères au milieu des cordonnées postales, téléphoniques et électroniques de la société allemande), la réponse formulée sur ce point ne semble pas imposer de plus amples développements (sur l’ensemble de la question, v. spéc. A. Huet, Relations habituelles d’affaires et acceptation tacite d’une clause attributive de juridiction en droit international privé, in Études à la mémoire du professeur A. Rieg, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 501 s.).

24On peut seulement se demander à cet égard si l’arrêt ne témoigne pas ici d’une conception bien exigeante du consentement, alors que d’autres tendances, plus libérales, se manifestent parfois en jurisprudence (v. ainsi, en vertu du droit international privé commun : Com. 21 févr. 2012, Rev. crit. DIP 2012. 630, note D. Bureau). Mais une exploration plus approfondie permettrait peut-être de vérifier si les réponses se font réellement au cas par cas et si la question, fortement tributaire des circonstances de fait, relève bien finalement de l’appréciation souveraine des juges du fond (ou des juges nationaux, si l’on se place dans la perspective des rapports entre droit de l’Union et ordre interne).

254. Le second, moins fréquemment évoqué, se fonde sur le constat aux termes duquel la prétendue clause ne donnait « aucune définition du rapport de droit déterminé pouvant donner lieu à la prorogation de compétence prévue par l’article 23 du règlement de Bruxelles I ». Il est vrai que l’une des rares conditions de fond relative à la validité de la clause énoncée par le règlement impose que la convention attributive de juridiction porte sur « des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé » (art. 23 ; et, sous une formulation identique : règl. Bruxelles I bis art. 25-1°. Sur cette condition, v. spéc. : H. Gaudemet-Tallon, Compétence et exécution des jugements en Europe, 5e éd., LGDJ, 2015, spéc. n° 148 s.). Il s’agit là de « limiter la portée d’une convention attributive de juridiction aux seuls différends qui trouvent leur origine dans le rapport de droit à l’occasion duquel cette convention a été conclue » (CJCE 10 mars 1992, aff. C-214/89, Powel Duffryn, spéc. § 31 : Rev. crit. DIP 1992. 528, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1993. 474, obs. J.-M. Bischoff). Sans doute cette exigence n’empêche-t-elle pas d’appréhender dans son intégralité le contentieux – serait-il même de nature délictuel – né d’un contrat, à supposer que la clause attributive de juridiction soit alors rédigée en des termes suffisamment larges pour englober l’ensemble des litiges nés d’un tel « rapport de droit ». Mais la question du domaine de la clause demeure discutée en droit international privé comparé (ou du moins, dans les diverses interprétations nationales de la même disposition uniforme), où un consensus semble cependant se dégager en faveur de l’idée selon laquelle, en l’absence d’indication contraire, les désaccords non-contractuels entre les parties relèvent bien de la clause (on consultera avec profit sur ce point les références anglaises et allemandes données dans U. Magnus, P. Mankowski, Brussels I bis, ECPIL, Sellier-Ottoschmidt, 2016, v° Article 25, § 151, les exemples invoqués à ce propos concernant notamment la culpa in contrahendo ou des désaccords relatifs à la restitution due après annulation d’un contrat). Les circonstances propres à l’espèce pouvaient cependant conduire, là encore, à estimer non satisfaite cette condition essentielle : une simple référence à la compétence des juridictions munichoises, insérée au sein de la correspondance entre les parties en bas du papier à en-tête de la société allemande ainsi que sur les factures ne pouvait sans doute lier la prétendue clause au moindre rapport prédéfini entre les parties, semblant plutôt orienter (à supposer même qu’un véritable consentement se soit exprimé à son propos) vers une désignation « générale de tous les différends susceptibles de naître entre elles à l’occasion de n’importe quel rapport juridique » (H. Gaudemet-Tallon, op. et loc. cit.).

265. Au-delà de telles considérations d’ordre purement factuel, l’affaire s’inscrivait dans le cadre plus général de la responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie, laquelle avait fourni elle-même une autre illustration de la possible intégration de litiges extra-contractuels au sein de la clause attributive de compétence (v. par ex. : Civ. 1re, 22 oct. 2008, Monster Cable, préc. ; Com. 20 mars 2012, n° 11-11.570 : « cette clause, qui attribue compétence aux juridictions allemandes pour tous les litiges découlant des relations contractuelles, est suffisamment large et compréhensive pour s’appliquer à ceux découlant de faits de rupture brutale partielle des relations commerciales établies entre les parties, peu important à cet égard la nature délictuelle ou contractuelle de la responsabilité encourue »). Dans le prolongement direct de cette question, la seconde décision présentée (Civ. 1re, 18 janv. 2017) apporte cependant de rassurantes précisions, après d’autres arrêts venus semer un certain trouble en la matière (en deçà même de la position adoptée depuis lors par la CJUE au sujet de la nature d’une « action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date [laquelle] ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de ce règlement [n° 44/2001] s’il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite » : CJUE, 14 juill. 2016, aff. C-196/15, JCP 2016. 1017, note K. H. Beltz ; 2016. 1020, obs. C. Nourissat ; JCP E 2016. 1507, note D. de Lammerville ; RDC 2016. 700, obs. B. Haftel ; L. Marion, Rupture de relations commerciales. Chassez le contrat par la porte…, D. 2016. 2223).

27L’origine d’une telle inquiétude était à rechercher auprès d’un arrêt de la Cour de justice, qui – à propos d’actions délictuelles intentées dans le cadre du droit antitrust – avait estimé que : « L’article 23, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’il permet, dans le cas où des dommages et intérêts sont réclamés en justice en raison d’une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, de prendre en compte les clauses attributives de juridiction contenues dans des contrats […] à la condition que ces clauses se réfèrent aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence » (CJUE 21 mai 2015, aff. C-352-13, CDC, D. 2015. 2031, obs. L. d’Avout ; ibid., 1045, obs. F. Jault-Seseke ; Europe 2015. Comm. 287, obs. L. Idot ; JDI 2016. 1468, obs. L. d’Avout). En l’espèce, le manquement anticoncurrentiel avait été définitivement constaté par décision de la Commission européenne, de sorte qu’était ici en cause un contentieux civil en indemnisation (action consécutive, ou follow on). Selon la Cour, il suffirait alors de vérifier la validité des clauses attributives de compétence au regard des conditions de forme posées par le règlement (art. 23 ; règl. Bruxelles I bis, art. 25), puis la réalité du consentement exprimé autant que la portée exacte de la clause aux fins de s’assurer que sa rédaction permet bien de couvrir l’action en responsabilité procédant « d’une infraction au droit de la concurrence » (autrement dit : sauf le cas où la clause énonce couvrir explicitement les suites d’une entente, ce type de contentieux doit lui échapper). Que l’on ne s’y trompe pas : en exigeant cette référence expresse, la Cour de justice avait privé ces clauses de toute efficacité en la matière ; selon une doctrine autorisée en effet : « dans les contrats existants, de telles précisions n’ont à notre connaissance jamais été apportée » (L. Idot, JCP 2015. 1322).

28La Cour de cassation fit rapidement sienne cette solution (Civ. 1re, 7 oct. 2015, eBizcuss, JCP 2015. 1123, obs. F. Mailhé ; 1322, note L. Idot ; D. 2015. 2620, note F. Jault-Seseke ; ibid., 2036, obs. S. Bollée ; RTD civ. 2015. 844, obs. L. Usunier ; JCP E 2016. 1087, note M.-E. Ancel, L. Marion ; RDC 2016. 282, obs. E. Treppoz ; JDI 2016. 929, note C. Kleiner). Mais alors que la Cour de justice s’était prononcée dans le cadre d’une action consécutive (follow on), il s’agissait en l’espèce d’une action autonome (stand alone), indépendante de toute sanction préexistante et où aucune raison de restreindre l’efficacité des clauses attributives de juridiction ne pouvait être cette fois avancée. Le risque de manœuvre dilatoire en ressortait considérablement accru (cf. L. Idot, L. d’Avout, notes préc.), le seul fait d’invoquer l’existence d’une pratique anticoncurrentielle pouvant suffire à faire échec au jeu de la clause…

296. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 18 janvier 2017, c’est bien précisément ce chemin qu’entendait emprunter le pourvoi, dont la troisième branche du moyen unique faisait valoir « qu’à défaut de viser les différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence, la clause attributive de compétence internationale figurant dans un contrat de distribution n’est pas applicable à une action en responsabilité délictuelle fondée sur la rupture brutale d’une relation commerciale établie ». Sec rejet cependant : « ayant relevé que le rapport de droit en cause ne se limitait pas aux obligations contractuelles, la référence de l’article 26 “au présent contrat” ne concernant que le droit applicable, et devait s’entendre des litiges découlant de la relation contractuelle, la cour d’appel, hors de toute dénaturation, en a souverainement déduit […] que la clause attributive de compétence s’appliquait à la rupture brutale du contrat, dès lors la référence qu’il contient au “présent contrat” ne concernant que le droit applicable ». Il semble bien en ressortir – en dépit même du simple renvoi à l’appréciation souveraine des juges du fond – que les actions en responsabilité nées de la rupture de relations commerciales établies devraient quant à elles échapper aux contraintes formelles posées par la CJUE dans le cadre d’actions en responsabilité procédant « d’une infraction au droit de la concurrence ». Avec un peu d’optimisme – et sous réserve bien sûr d’une nouvelle intervention de la CJUE – on pourrait même en déduire qu’en sont exclues l’ensemble des actions autonome (stand alone), indépendantes de toute sanction préexistante…

307. Dans la première affaire, et en l’absence de toute clause attributive de juridiction, donc, la cour d’appel avait finalement rejeté l’exception d’incompétence en faveur des juridictions allemandes en se contentant d’affirmer que … « l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce est reconnu comme loi de police au sens de l’article 3 du Code civil, qui s’impose en tant que règle obligatoire pour le juge français » !

31Négligeant même l’incertitude pouvant résulter de la simple référence à une « loi de police au sens de l’article 3 du Code civil » on constate qu’en toute hypothèse, ce n’est que de manière bien peu assurée qu’en avait été alors déduite la compétence du juge français … par simple confusion entre le forum et le jus. C’est donc très logiquement que la Cour de cassation censure, alors que « seules les règles de conflit de juridictions doivent être mises en œuvre pour déterminer la juridiction compétente, des dispositions impératives constitutives de lois de police seraient-elles applicables au fond du litige ». Et ce plus encore en vertu du règlement Bruxelles I, applicable en l’espèce, et aux termes duquel une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre ne peut être attraite devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des compétences spéciales énoncées par le règlement (art. 3.1 ; cf. règl. Bruxelles I bis, art. 5.1). Rien dans le règlement ne fonde en effet la compétence des tribunaux d’un État membre sur la présence d’une loi de police au sein du for.

32Dans le cadre du droit international privé commun, la réponse aurait assez vraisemblablement été identique. On sait en effet que la question, posée en de telles circonstances, n’est autre que de savoir si le principe de la distinction entre le forum et le jus ne devrait pas céder en présence de dispositions de la lex fori d’une particulière impérativité.

338. Dans cette perspective, s’il s’était agi de prétendre en l’espèce qu’une loi de police pouvait paralyser une clause attributive de juridiction, le combat aurait assurément été perdu d’avance, la Cour de cassation ayant déjà eu l’occasion d’affirmer que : « la clause attributive de juridiction contenue dans ce contrat visait tout litige né du contrat, et devait en conséquence, être mise en œuvre, des dispositions impératives constitutives de lois de police fussent-elles applicables au fond du litige » (Civ. 1re, 22 oct. 2008, Monster Cable, préc. ; la même affirmation est reprise dans le second arrêt présenté, en date du 18 janv. 2017). La présence d’une loi de police du for n’implique donc pas une compétence impérative des tribunaux français.

34Dans le domaine qu’elles s’assignent (il faudrait imaginer ici que l’une des parties ait son domicile dans un État partie à la Convention, non membre de l’Union et que tribunal désigné soit celui d’un État contractant), les dispositions de la Convention de La Haye sur les accords d’élection de for (applicables au sein de l’Union européenne depuis le 1er oct. 2015, conformément à la décision du Conseil 2014/887/UE du 4 déc. 2014 relative à l’approbation, au nom de l’Union européenne, de la Convention de La Haye du 30 juin 2005), pourront désormais nourrir l’argumentation à leur tour (sur l’analyse de la Convention, v. not. : C. Kessedjian, JDI 2006. 813 ; L. Usunier, Rev. crit. DIP 2010. 37 ; comp. D. Sindres, Rev. crit. DIP 2015. 787). Aux termes de l’article 6 de la Convention en effet, un tribunal saisi et non élu doit en principe surseoir à statuer au profit du for élu, sauf dans des cas limitativement énumérés. Parmi ceux-ci, figure l’hypothèse où la clause serait nulle selon le droit (incluant le droit international privé) de ce for (art. 6 a). Cette exception traduit un effet réflexe de la nullité énoncée par le droit du for élu, ou, ce qui revient au même, une inversion de l’effet négatif de la compétence-compétence du juge choisi (l’application incidente du droit du juge élu peut également se comprendre comme une référence à l’ordre juridique – putativement – compétent, destinée à assurer l’harmonie internationale des décisions et, de façon corrélée, éviter le forum shopping par invocation abusive d’une clause dont le demandeur sait qu’elle est invalide, voire fictive ; cette dernière idée avait joué un rôle important dans la position de la Cour de justice dans l’arrêt West Tankers, aff. C-185/07, point 31).

35Mais le tribunal non élu peut également statuer sur le fond si « donner effet à l’accord aboutirait à une injustice manifeste ou serait manifestement contraire à l’ordre public de l’État du tribunal saisi » (art. 6 c). La Convention de La Haye relève donc le juge non élu de son obligation de surseoir à statuer en attendant que le juge élu statue sur la validité de la clause, en cas de contrariété manifeste à son ordre public international. Ce même motif s’opposerait par ailleurs à la reconnaissance d’un jugement prononcé par le juge élu rendu dans les mêmes conditions (art. 8).

36Il ressort donc de ce qui précède que les lois de police du for non élu sont en principe neutralisées en tant qu’elles prétendraient affecter la compétence du juge élu (en posant par exemple une compétence impérative), du fait de la règle attribuant au droit du juge élu seule compétence pour régir la validité de la clause. Mais il en résulte également que, chassées par la porte, il leur est possible de se réintroduire par la fenêtre, sous la forme de leur avatar, l’exception d’ordre public. Sans affecter la validité de la clause, elles empêchent celle-ci de paralyser l’exercice de la compétence du for non élu saisi, dès lors que celui-ci estime avoir des raisons fondamentales d’intervenir. La seule question est alors de savoir si, au regard du tribunal saisi, la loi de police évincée est porteuse d’une solution qui, non-respectée, risquerait de porter atteinte à une politique ou une valeur cruciales du for.

379. Dans le cadre de l’arrêt du 24 novembre 2015, et donc en l’absence de toute clause attributive de juridiction, l’affirmation – mieux formulée – selon laquelle la simple présence d’une loi de police du for aurait suffi à fonder la compétence directe, et a fortiori exclusive des tribunaux français aurait assez vraisemblablement conduit vers un échec comparable. Certes, le débat doctrinal n’est pas définitivement tranché sur le point de savoir s’il suffirait qu’une loi de police française – une loi d’ordre public, écrivait-on naguère à ce sujet – soit applicable pour que les tribunaux français puissent être estimés compétents (pro : J.-P. Niboyet, Traité de droit international privé, t. 6, Sirey, 1949, spéc. n° 1834-1837 ; P. Hébraud, De la corrélation entre la loi applicable à un litige et le juge compétent pour en connaître, Rev. crit. DIP 1968. 205, et spéc. p. 236 ; D. Holleaux, Compétence du juge étranger et reconnaissance des jugements, préf. H. Batif-fol, Dalloz, 1970, spéc. n° 382 ; E. Pataut, Principe de souveraineté et conflits de juridictions (Étude de droit international privé), préf. P. Lagarde, LGDJ, 1999, spéc. n° 196 s. Contra : H. Gaudemet-Tallon, Rép. internat. Dalloz, v° Compétence civile et commerciale, spéc. n° 97 ; P. Mayer, V. Heuzé, Droit international privé, 11e éd., Montchrestien, 2014, spéc. n° 315, p. 220 ; A. Sinay-Cytermann, L’ordre public en matière de compétence judiciaire internationale, th. dactyl., Strasbourg, 1980, spéc. n° 169 s.). Mais la tendance contemporaine, étayée par une importante décision de la Cour de cassation (Cass., ass. plén., 14 oct. 1977, Rev. crit. DIP 1978. 166 ; JDI 1978. 305, note G. Lyon-Caen ; D. 1978. 417, note P. Lagarde : « si l’ordre public peut être invoqué pour faire obstacle à l’application d’une loi étrangère contraire à des conceptions fondamentales du droit français, tel n’est pas le cas en l’espèce où le caractère d’ordre public de la loi de fond ne commande pas d’écarter une règle de compétence contenue dans un traité international dont l’autorité est supérieure à celle de loi interne » ; il a été estimé que la condamnation devait « être étendue à toute tentative de faire de l’ordre public, même en droit commun, un chef de compétence judiciaire internationale » : H. Batiffol, P. Lagarde, Droit international privé, t. II, 7e éd., 1983, spéc. n° 674-1, p. 463) invite à distinguer clairement aujourd’hui les deux ordres de relations.

38On peut certes le regretter – tant il est vrai que l’efficacité de la loi de police du for serait tout de même mieux assurée en présence d’une compétence exclusive des tribunaux de l’ordre juridique auquel elle appartient (v. ainsi, B. Ancel, H. Muir Watt, Les jugements étrangers et la règle de conflit de lois. Chronique d’une séparation, in Mélanges en l’honneur de H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 135 s., et spéc. § 42, p. 163-164 ; comp. M.-N. Jobard-Bachellier, Une impérativité active des règles de droit dans l’ordre international, art. préc., spéc. p. 355). Mais il semblerait alors nécessaire que le législateur se préoccupe lui-même de consacrer un tel lien entre loi de police et compétence internationale des tribunaux du for chargé d’en assurer l’application, comme le droit comparé en offre parfois l’illustration (v. ainsi l’exemple du Québec, présenté par P. de Vareilles-Sommières, Lois de police et politiques législatives, Rev. crit. DIP 2011. 207, et spéc. p. 266).

Français

Ne constitue pas une clause attributive de juridiction au sens de l’article 23 du règlement Bruxelles I la simple mention, de caractère peu apparent, « Gerichtstand München » (tribunal compétent Munich) figurant au bas des factures émises par une société de droit allemand, étant précisé qu’il n’avait pas été démontré que cette clause ait été portée préalablement à la connaissance du distributeur lors de l’émission des bons de commande, ni qu’elle avait été approuvée au moment de l’accord sur les prestations, excluant ainsi toute acceptation tacite, ladite clause ne donnant de surcroît aucune définition du rapport de droit déterminé pouvant donner lieu à la prorogation de compétence prévue par le texte (1) (1re espèce).
Seules les règles de conflit de juridictions doivent être mises en œuvre pour déterminer la juridiction compétente, des dispositions impératives constitutives de lois de police seraient-elles applicables au fond du lige (2) (1re espèce).
Une clause attributive de compétence est applicable à la rupture brutale d’un contrat, dès lors que le rapport de droit en cause ne se limitait pas aux obligations contractuelles, la référence qu’il contient au « présent contrat » ne concernant que le droit applicable et devant s’entendre des litiges découlant de la relation contractuelle, des dispositions impératives constitutives de lois de police fussent-elles applicables au fond du litige (3) (2e espèce).

Mots clés

  • Règlement (CE) n° 44/2001, Bruxelles I
  • Article 23
  • Clause attributive de juridiction
  • Caractère peu apparent
  • Acceptation de la clause (non)
  • Rapport de droit déterminé (non)
  • Action en responsabilité délictuelle
  • Infraction au droit de la concurrence (C. com., art. L. 442-6-I-5°)
  • Clause attributive de compétence applicable (oui)
  • Loi de police française fondant l’incompétence des juridictions allemandes (non)
Dominique Bureau
Horatia Muir Watt
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Mis en ligne sur Cairn.info le 11/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.172.0269
Pour citer cet article
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