CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1L’analyse des démissions de ministres et de gouvernements ainsi que des conséquences électorales de ces dernières pour les partis gouvernementaux vient en complément de nos recherches sur la formation et le maintien des gouvernements dans la période allant de 1946 à 1999  [1].

2Dans la première partie de notre étude, nous avions mis l’accent sur l’importance du processus de formation des gouvernements dans la vie politique de la Belgique.

3Nous avions montré que certaines décisions prises lors des négociations constitutives d’un nouveau gouvernement avaient un impact sur le maintien et la durée de vie des gouvernements. Dans le même ordre d’idées, nous nous intéresserons dans l’analyse qui suit aux formes que peuvent prendre les démissions de gouvernements et aux raisons qui ont pu conduire à ces démissions, en postulant une interdépendance entre les phases de naissance, de vie et de mort des gouvernements.

4Selon nous, ces liens complexes entre différentes étapes de la vie d’un gouvernement sont également à l’œuvre à la suite de la démission d’un gouvernement. En effet, de récentes recherches indiquent que les circonstances dans lesquelles un gouvernement a démissionné figurent parmi les déterminants du déroulement de la formation du suivant  [2]. Dès lors, l’analyse de ces causes de démissions est intéressante à double titre : elle permet d’évaluer l’impact des phases précédentes et peut éventuellement servir à expliquer le déroulement de certaines formations de gouvernements.

5Les résultats des partis gouvernementaux peuvent également conditionner le déroulement des négociations post-électorales, tout comme l’anticipation des retombées électorales d’une participation gouvernementale peut influencer les dirigeants de partis invités à former un nouveau gouvernement.

6Dans cette recherche, nous nous concentrons néanmoins sur les démissions de gouvernements et sur leurs conséquences électorales en tant que variables dépendantes. Dans une première partie, nous étudions tout d’abord les raisons de démissions (au sens large, cf. infra) de gouvernements depuis la Seconde guerre mondiale, en nous efforçant d’établir une typologie tenant en compte les prescrits constitutionnels mais aussi la richesse des cas de l’histoire politique du pays. Nous nous penchons dans la seconde partie sur les cas de démissions individuelles de ministres, un sujet qui n’a, à notre connaissance, jamais fait l’objet d’un traitement systématique dans une analyse longitudinale, et qui permet pourtant de faire le lien entre facteurs d’instabilité gouvernementale et d’instabilité ministérielle. Enfin, la troisième partie est consacrée à l’analyse des résultats électoraux des partis composant le gouvernement sortant. Dans les trois parties, l’analyse empirique sera privilégiée afin de tester théories et hypothèses existantes dans la littérature, mais aussi d’en évaluer de nouvelles.

Les démissions de gouvernements

7En nous basant sur les règles et coutumes constitutionnelles, ainsi que sur les enseignements de la science politique et de l’histoire politique de la Belgique depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, nous avons construit une typologie des démissions de gouvernements. Une fois adaptée à la recherche empirique, cette typologie est utilisée pour identifier les causes de démissions les plus fréquentes et les évolutions perceptibles.

8On entendra par ‘démission de gouvernement’ au sens large l’événement provoquant le remplacement d’un gouvernement par un autre, étant entendu que, par convention en politique comparée  [3], il y a remplacement de gouvernement chaque fois qu’une des conditions suivantes est satisfaite :

  • tenue d’élections législatives, en fin de législature ou provoquée par une dissolution anticipée des chambres ;
  • changement dans la composition politique du gouvernement ;
  • changement de titulaire au poste de Premier ministre.

9 Au sens où on l’entendra ici, les cas de ‘démission de gouvernement’ au sens large ne se limitent donc pas au seul cas particulier de démission formellement présentée au Roi et officiellement acceptée par lui, cette acceptation entraînant la nomination d’un formateur qui parvient à former un nouveau gouvernement. Par ailleurs, au sens où nous l’entendons, une démission de gouvernement peut correspondre au cas de remplacement de gouvernement par un autre sans qu’il y ait eu démission formelle de la part du Premier ministre  [4]. Il s’ensuit également de notre définition que l’on ne prendra pas en compte les cas de démission du gouvernement refusée par le Roi, cette démission n’entraînant pas de remplacement de gouvernement par un autre  [5].

Construction de la typologie

10Jusqu’à la réforme de 1993 (en vigueur à partir de 1995), les gouvernements belges étaient tenus de démissionner suite au vote (à la majorité simple des présents) sur une motion de méfiance ou lorsqu’une motion de confiance introduite par la majorité parlementaire ne recevait pas le soutien d’une majorité des mandataires présents, que ce soit à la Chambre ou au Sénat  [6]. La réforme constitutionnelle adoptée en 1993 réduisit le rôle déjà limité du Parlement en matière de renvoi collectif du gouvernement. Premièrement, le gouvernement n’est plus responsable que devant la Chambre des représentants. Les frictions entre majorité et opposition au Sénat n’engagent désormais plus le gouvernement. Deuxièmement, les cas dans lesquels le gouvernement est tenu d’offrir sa démission sont désormais soumis à des conditions extrêmement contraignantes énumérées dans l’article 46 de la Constitution. Lorsque la Chambre des Représentants rejette une motion de confiance, le gouvernement ne doit démissionner que si la Chambre propose au Roi, endéans les trois jours qui suivent le vote, la nomination d’un successeur au Premier ministre. Si la Chambre échoue dans sa tentative de trouver un successeur qui satisfasse la majorité absolue de ses membres (et non plus des seuls présents, soit depuis 1995 le nombre de 76 députés), le gouvernement n’est pas tenu de démissionner (mais le Premier ministre peut le cas échéant demander au Roi de dissoudre les chambres). Si la Chambre a bien trouvé un candidat successeur mais que celui-ci ne parvient pas à former un gouvernement, le Parlement est dissout  [7]. La Chambre des Représentants peut prendre l’initiative de faire tomber le gouvernement en votant une motion constructive de méfiance (à nouveau à la majorité absolue de ses membres), qui spécifie le nom d’un nouveau Premier ministre. À nouveau, si la Chambre ne parvient pas à se mettre d’accord sur l’identité du nouveau Premier ministre, le gouvernement peut rester en fonction (et le Premier ministre peut proposer la dissolution des Chambres)  [8].

11En dehors de ces cas de figure, avant et après 1995, la méfiance des chambres peut s’exprimer à tout moment (Waleffe 1971). Un gouvernement peut démissionner, même s’il n’y est pas contraint par la Constitution, par exemple, suite à l’échec d’un important projet de loi au Parlement, que ce gouvernement ait annoncé que le vote sur ce projet constituait un vote de confiance ou non  [9]. Le Premier ministre et son gouvernement interprétera alors la signification politique de ce vote et, le cas échéant, en assumera la portée en allant présenter sa démission au chef de l’État. On comprend donc que les gouvernements belges ont toujours dû s’assurer du support permanent et inconditionnel d’une majorité parlementaire.

12Signalons encore qu’un malaise au sein de la majorité ou qu’une critique de l’opposition peuvent se cristalliser sur un ministre en particulier, sans pour autant que la politique gouvernementale soit remise en question. Bien que ce ne soit pas le gouvernement dans son ensemble qui soit visé, le ministre concerné peut démissionner, en entraînant éventuellement la démission du reste des membres du cabinet par solidarité ministérielle  [10]. Rappelons que dans cette première partie de l’analyse, nous nous concentrons sur les cas de démissions collectives (y compris celles qui à l’origine auraient pu n’être que des cas de démissions individuelles). Dans la seconde partie, nous analysons les démissions individuelles qui n’ont pas provoqué la démission du gouvernement entier.

13Puisque le Parlement ne peut tenter de défaire l’équipe au pouvoir qu’en dégageant, à un moment ou à un autre (cf. supra), une majorité alternative et que les gouvernements belges d’après-guerre ont été dans leur écrasante majorité des coalitions majoritaires  [11], il en découle que les gouvernements effectivement tombés devant les chambres sont soit des cas particuliers, soit des manifestations au Parlement de dissensions qui existaient déjà au sein du gouvernement. En pratique, une mésentente au sein de la coalition gouvernementale, comme par exemple par le blocage du mécanisme décisionnel au sein même du gouvernement  [12], peut provoquer la présentation par le Premier ministre de la démission de son gouvernement avant même que le Parlement ne se manifeste  [13]. Voué à la paralysie, le gouvernement ne peut que tomber faute de conciliation entre les parties antagonistes. Le rôle des directions de partis et leur emprise sur leur personnel ministériel, souvent mis en avant par les observateurs de la vie politique en Belgique dans d’autres domaines de recherche, sont ici aussi pertinents. En outre, un conflit à l’intérieur d’un parti faisant partie du gouvernement peut également provoquer une chute de gouvernement  [14].

14La coutume veut qu’un Premier ministre présente sa démission suite à la tenue d’élections, le Roi acceptant provisoirement cette démission et chargeant le gouvernement de l’exécution des affaires courantes en attendant qu’un nouveau gouvernement soit formé (date à laquelle le précédent sera formellement démis de ses fonctions, cf. infra)  [15]. Ces élections peuvent être anticipées ou non. Notons à cet égard que si des cas de démission du gouvernement sans dissolution des chambres sont permis par la Constitution, cette dernière permet aussi qu’une dissolution proposée par le Premier ministre en activité au chef de l’État n’entraîne pas une démission automatique et immédiate du gouvernement. Dans ce cas, le gouvernement est encore investi de la plénitude de ses pouvoirs (il ne peut néanmoins les exercer qu’avec réserve en raison de l’absence momentanée de contrôle parlementaire) jusqu’aux élections, au lendemain desquelles il démissionne et est chargé d’expédier les affaires courantes. Par contre, si l’arrêté de dissolution suit la démission du gouvernement, l’activité de celui-ci s’en voit plus nettement affectée dès avant les élections, puisqu’il se borne à partir de la publication de l’arrêté de dissolution à expédier les affaires courantes  [16].

15Plusieurs types de dissolutions peuvent être mentionnées. Une dissolution de plein droit a lieu lorsque le terme du mandat parlementaire est écoulé (soit quatre sessions ordinaires). La dissolution est obligatoire à la suite de l’adoption d’une déclaration de révision de la Constitution  [17] (dans ce cas, les élections peuvent être soit anticipées, soit correspondre à la date normale de la fin de la législature). Un autre cas de figure de dissolution anticipée (élections avant le terme du mandat) peut relever d’un acte discrétionnaire du gouvernement (en général cette décision se prend en Conseil des ministres), sans pour autant déclarer d’articles ouverts à révision dans la législature qui suit. Ce type de dissolution anticipée peut être proposée au Roi comme dernier recours dans une crise profonde (impossibilité de former un nouveau gouvernement suite à la démission du précédent)  [18], ou dans le cas d’accords entre partis de la majorité suite à de fortes dissensions internes ou encore suite aux calculs de ces partis, ceux-ci préférant anticiper le rendez-vous avec l’électeur parce qu’ils escomptent de meilleurs résultats que dans le cas d’élections à la fin du mandat normal  [19]. En tout état de cause, la coutume veut que la dissolution provoque la démission du gouvernement endéans les quarante jours, échéance ultime pour l’organisation d’élections et donc à la présentation et l’acceptation de la démission du gouvernement sortant. Le changement probable de l’assise parlementaire du gouvernement sortant suite à la consultation de l’électeur et la volonté d’éviter que les actes d’un gouvernement encore investi de ses pleins pouvoirs n’influencent le processus de formation de la nouvelle équipe en cours peuvent expliquer cette coutume qui veut que le gouvernement démissionne suite à des élections.

16Selon l’article 96 de la Constitution, si le Roi nomme ses ministres, il est également en droit de les révoquer. Un membre du gouvernement contresignant cette décision, le désaccord entre le chef de l’État et le ou les ministre(s) en question n’est pas rendu public et la Couronne n’est pas dévoilée. En réalité, c’est plutôt au sein même du gouvernement que la décision de révocation est arrêtée, en tant que sanction à l’égard de ministres ne respectant pas le mode de fonctionnement du gouvernement, à savoir la responsabilité collective pour les décisions prises collégialement par consensus. Si le(s) ministre(s) refuse(nt) de se soumettre, le Premier ministre lui (leur) demandera de démissionner. S’il(s) refusent de se démettre, le Premier ministre peut proposer au Roi de faire usage de son droit de révocation  [20]. Lorsque le Premier ministre propose au Roi de révoquer tous les ministres d’une des composantes de la majorité, soit le gouvernement présente sa démission au Roi, soit la formule gouvernementale change (pour peu que des transferts parlementaires massifs n’aient pas eu lieu, l’assise parlementaire du gouvernement change également) pour ne plus reposer que sur les composantes restantes.

17Comme indiqué plus haut, nous considérons ce dernier cas de figure comme un authentique changement de gouvernement, même si le gouvernement n’a pas formellement démissionné : étant donné que les ministres révoqués sont remplacés dans leurs fonctions par des ministres des formations restantes, en fonction du changement de rapports de forces résultant de l’éviction d’un des partis, le poids des partis restant au pouvoir se trouve renforcé. Non seulement ceux-ci reçoivent une série de compétences ministérielles nouvelles (avec les avantages en termes d’orientation des politiques des départements en question, mais aussi en termes de recrutement, etc.), mais ils peuvent désormais s’abstenir de réaliser les points de l’accord gouvernemental qui avaient été inspirés par le parti évincé. Les partis qui demeurent au gouvernement peuvent aussi décider de rédiger un nouvel accord de gouvernement. De plus, le changement probable d’assise parlementaire peut transformer un gouvernement majoritaire en un gouvernement minoritaire, ou un gouvernement disposant d’une majorité des deux tiers en un gouvernement devant rechercher cette majorité dans des négociations avec l’opposition afin de réviser la Constitution ou voter des lois spéciales, ce qui affecte son activité par rapport à son assise précédente. On voit bien qu’en termes politiques (occupation des postes ministériels et programme politique de gouvernement), un gouvernement qui a perdu l’une de ses composantes sans démissionner ne peut être considéré comme un prolongement, moyennant remaniement ministériel  [21] du précédent. Il nous semble donc préférable, dans cet essai de typologie des démissions de gouvernements, de suivre cette réalité politique plutôt que la fiction qu’engendrerait la lecture purement juridique des faits. Dans l’analyse empirique des motifs de démissions de gouvernements, les cas de révocation seront repris sous l’appellation de ‘conflit entre partenaires gouvernementaux’, lorsqu’il s’agit bien de la cause de la révocation.

18Le critère de changement probable d’assise parlementaire est plus évident (et le changement plus probable) dans le cas d’un élargissement du gouvernement à de nouvelles composantes  [22]. Un gouvernement de minorité qui se renforce pour devenir majoritaire ou un gouvernement majoritaire qui voudrait disposer d’une majorité des deux tiers (ou encore se muter en gouvernement d’union nationale) pourrait a priori ne pas démissionner mais serait à ce point politiquement différent que cet événement serait considéré comme un changement de gouvernement (cf. aussi les arguments développés plus haut sur la composition politique du gouvernement, en inversant la logique).

19Avant de passer à la présentation de notre essai de typologie des raisons de démissions de gouvernements  [23] basée sur les acteurs impliqués, évoquons ici les trois grandes catégories de modalités de ces démissions :

  • les démissions peuvent être provoquées directement  [24] ou indirectement par le
    Parlement (vote de méfiance à l’égard du gouvernement entier ou d’un ministre pouvant entraîner une démission collective, rejet de la confiance, rejet d’un projet de loi important sur lequel le gouvernement a engagé son sort) ;
  • les démissions peuvent être dues à des dissensions internes à la majorité parlementaire, ces dissensions pouvant se manifester par la menace de votes (de méfiance ou rejet de confiance) contraignants pour le gouvernement, par le blocage du travail gouvernemental, etc. ;
  • les cas où un changement d’assise parlementaire est probable (suite à des élections, à la révocation de tout le personnel ministériel d’une composante gouvernementale ou au contraire à l’élargissement du gouvernement).

20 Une typologie des modalités de démissions ne peut cependant être satisfaisante, notamment parce que dans chacune de ces catégories, des présentations officielles de démissions n’ont pas toujours lieu (dans certains cas elles doivent avoir lieu, dans d’autres elles peuvent avoir lieu). De même, comme indiqué plus haut, une démission n’entraîne pas toujours une chute de gouvernement, le chef de l’État pouvant la refuser. À cet égard, notons qu’en cas de succession au trône, il est de coutume que le Premier ministre, alors qu’il n’y est nullement obligé du point de vue juridique, présente sa démission au nouveau chef de l’État  [25]. Nous préférons dès lors axer notre typologie sur le degré d’influence que peuvent avoir les acteurs politiques sur les démissions, au sens large, de gouvernements. Par exemple, la présentation de la démission d’un gouvernement à la suite d’élections tenues en fin normale de législature est seulement motivée par les textes et la coutume constitutionnels. Elle est en cela nettement plus ‘technique’ qu’une démission dans le cadre d’un changement de composition politique du gouvernement, où les actes (ou déclarations) de certains acteurs politiques (Parlement, personnel ministériel et en particulier le Premier ministre, instances dirigeantes des partis entrants, restants ou quittant le gouvernement, etc.) ont eu un impact décisif sur la fin d’un gouvernement. Enfin, des démissions de gouvernement peuvent se produire suite à des événements externes au fonctionnement du système politique belge. Des chocs dans l’opinion publique, des événements internationaux politiques ou économiques (mais qui ont des répercussions sur l’économie du pays) ou encore des décisions purement personnelles peuvent être invoqués lors d’un changement de gouvernement.

21D’un point de vue analytique, les raisons de démissions de gouvernement peuvent être classées comme suit, selon le degré d’influence que peuvent avoir les acteurs politiques sur les événements :

  • les raisons techniques : une démission suite à une dissolution de plein droit des chambres, non provoquée par une déclaration de révision de la Constitution ou provoquée par cet acte sans changer la date prévue des élections ;
  • les raisons comportementales (où l’intervention des acteurs politiques belges est essentielle) : une démission suite à la dissolution anticipée des chambres, provoquée ou non par une déclaration de révision de la Constitution  [26], suite au renvoi du gouvernement par le Parlement, suite à un élargissement du gouvernement à de nouvelles formations, suite à des conflits entre partenaires ou à l’intérieur même d’un seul parti gouvernemental ;
  • les raisons externes : suite à des chocs dans l’opinion publique, des événements internationaux politiques ou économiques, décisions ou des événements personnels  [27].

22 L’analyse empirique montrera que des motifs conjoints peuvent caractériser la démission d’un gouvernement. Par exemple, certaines raisons externes peuvent notamment être invoquées par le gouvernement démissionnaire, même si celles-ci ne sont pas la cause principale de la démission. De plus, si la raison a priori ‘technique’ de déclaration de révision de la Constitution a pour effet la démission du gouvernement (après les élections), elle est la plupart du temps accompagnée de raisons comportementales lorsqu’elle anticipe la tenue d’élections. Enfin, si des raisons de démission relevant de plus d’une catégorie sont sans doute fréquentes, plusieurs raisons au sein d’une même catégorie pourront également se présenter.

23Signalons d’ores et déjà que notre méthode de travail, se basant sur une étude de la presse d’époque, de chronologies ou d’ouvrages consacrés aux crises gouvernementales, mais aussi de biographies d’hommes politiques nous a souvent contraints à identifier plusieurs dossiers sur lesquels un même gouvernement serait tombé. De plus, des causes plus cachées peuvent interagir avec celles mentionnées dans cette analyse. Ainsi, par exemple, la presse a relayé, lors de l’accession de Guy Verhofstadt au poste de Premier ministre en juillet 1999, que sa personnalité en tant que vice-Premier ministre et ministre du Budget, jugée arrogante par ses partenaires gouvernementaux, avait contribué fortement à la chute du gouvernement Martens VI en 1987. Nous avons cru bon de n’intégrer dans notre étude que les causes plus ‘avérées’ en recoupant nos données au moyen des sources diverses indiquées plus haut.

24L’identification précise des causes réelles de démissions de gouvernements dépend néanmoins de l’interprétation que l’on peut faire de certains événements, souvent divergente dans le chef des acteurs politiques et de la pertinence de l’information disponible. Bien conscients du fait que nous avons involontairement sous-estimé ou surestimé certains facteurs de démission, nous recommandons dès lors au lecteur de juger notre étude empirique sur sa fonction première, qui est de faciliter l’émergence de régularités ou d’évolutions dans les causes de démission plutôt que dans son rôle d’inventaire ou de document de référence, à notre avis plus secondaire.

Les phases essentielles des procédures de démission

25Lorsqu’un Premier ministre offre la démission de son gouvernement au chef de l’État à la suite de conflits au sein de son équipe ou d’un conflit avec le Parlement, le Roi peut adopter plusieurs types de comportements. Il peut réserver sa réponse, accepter ou refuser la démission ainsi présentée  [28]. En cas de renvoi du gouvernement par le Parlement, le Roi est d’une certaine manière obligé d’accepter la démission de celui-ci, sous peine d’être en contradiction avec les représentants de la Nation et ainsi de dévoiler la Couronne. En cas de conflits internes au gouvernement, le Roi dispose de plus de liberté de refuser la démission  [29]. Quelle que soit sa réponse, il peut demander au Premier ministre de vérifier si une poursuite ou une reconduction de la formule gouvernementale n’est pas possible. Si ce n’est pas le cas, le Roi accepte officieusement et provisoirement la démission du gouvernement et, soit un nouveau processus de formation de gouvernement commence (avec la succession de phases traditionnelles, consultations, missions d’informateur, voire de médiateur et enfin de formateur)  [30], soit le Roi dissout le Parlement sur proposition du Premier ministre démissionnaire. Le gouvernement démissionnaire est alors chargé d’expédier les affaires courantes (il se contente de gérer les questions de pure routine, les dossiers dans lesquels il s’est déjà engagé avant d’être démissionnaire, les affaires qui, au nom de l’intérêt supérieur de l’État méritent l’urgence)  [31] jusqu’à l’acceptation officielle (concrétisée par un arrêté royal) de la démission du gouvernement qui est suivie de la prestation de serment des membres du nouveau gouvernement dans les mains du Roi.

26Dans le cas d’élections de plein droit au terme du mandat parlementaire  [32], selon la coutume, le gouvernement offre sa démission le lendemain du scrutin et cette démission est formellement acceptée suite à la formation d’un nouveau gouvernement  [33]. Le gouvernement est chargé de l’expédition des affaires courantes entre sa démission officieuse et sa démission officielle. Dans les cas de révocation ou d’élargissement, le remplacement d’un gouvernement pleinement investi de ses fonctions par un autre, il n’y a à proprement parler pas de période de perturbation du travail du gouvernement sortant. Si le changement de gouvernement brise momentanément la parité linguistique du Conseil des ministres (ce peut être le cas lors de révocations ou de démissions de ministres précipitées, mais s’avère nettement moins probable dans le cadre d’un élargissement prévu car négocié avant la prise de fonction du nouveau gouvernement), les décisions prises par cet organe décisionnel du gouvernement présentent un vice d’illégalité jusqu’à ce qu’un remaniement ministériel ne rétablisse cet équilibre prescrit par la Constitution  [34].

Analyse empirique des raisons de démissions de gouvernements

27Le tableau 1 présente les 35 démissions au sens large de gouvernements que le pays a connues entre 1946 à 1999  [35]. Chacune d’elles entre au moins dans une des onze sous-catégories de raisons regroupées dans la typologie sous les appellations ‘technique’, ‘comportementale’ et ‘externe’. La raison purement technique, la fin normale de la législature, n’est jamais accompagnée d’autres types de causes.

28L’adoption d’une déclaration de révision de la Constitution peut être ‘technique’, lorsqu’elle a lieu en fin de législature et que les élections ne sont pas anticipées, mais peut également être ‘comportementale’, lorsqu’elle entraîne des élections anticipées (elle est souvent utilisée, par la convocation des électeurs qu’elle entraîne, comme solution ultime à une crise, ce qui vaut à cette catégorie de figurer parmi plusieurs autres causes de démission d’un même gouvernement). Des élections peuvent aussi être anticipées sans la volonté (ou sans parvenir à un accord visant à) d’amender la Constitution au cours de la législature qui suit. Dans ce cas, ce sont les acteurs politiques (dont le nombre peut être très restreint) qui décident d’écourter la vie du gouvernement ; la raison est donc ‘comportementale’. L’élargissement volontaire du gouvernement forme une autre catégorie de raison ‘comportementale’, puisque des représentants du gouvernement ont négocié ce renforcement avec des représentants de l’opposition. Les quatre autres sous-catégories ‘comportementales’ relèvent des conflits entre acteurs politiques : conflits entre opposition et majorité au Parlement, conflits entre partenaires au gouvernement, conflits qui peuvent être relatifs aux politiques menées par le gouvernement ou ciblés sur certaines personnes, et enfin conflits dus à des dissensions à l’intérieur d’un des partis composant le gouvernement. Pour ces sous-catégories, nous avons tenté d’identifier les partis les plus impliqués ou considérés comme responsables par les autres membres du gouvernement de la chute de celui-ci.

29Enfin, la catégorie raisons ‘externes’ se compose de quatre sous-catégories :
chocs dans l’opinion publique, événement politique international, événement économique et événement personnel (décès, maladie, décision personnelle).

30L’occurrence d’une de ces manifestations ne peut être, a priori, anticipée par les acteurs politiques. Un événement externe doit néanmoins avoir une ampleur importante pour justifier la démission d’un gouvernement sans que ce soient les réactions divergentes du monde politique belge à ce stimulus qui cause in fine la fin d’un gouvernement.

31La dernière colonne du tableau reprend, pour chaque gouvernement et dans les limites d’exhaustivité et d’exactitude mentionnés plus haut, les éléments les plus critiques dans le processus de démission de ces 35 gouvernements.

32Dans notre analyse, quatre résultats en particulier attirent l’attention :

  • comme déjà indiqué dans une précédente analyse  [36], peu de législatures arrivent à leur terme de quatre années, les élections ayant lieu à leur date ‘normale’. Nous dénombrons donc peu de démissions de gouvernements dues uniquement à des raisons techniques ;
  • la faiblesse du Parlement, illustrée par la rareté des cas de renvois de gouvernements causés directement ou indirectement par les parlementaires ;
  • le rôle de partis politiques à l’origine de nombre de démissions causées par des conflits internes au gouvernement, voire au sein même d’un parti membre de la coalition ;
  • la robustesse des gouvernements belges vis-à-vis d’événements moins prévisibles et externes aux relations entre partenaires ou entre le gouvernement et l’opposition (chocs dans l’opinion publique, situation internationale, etc.).

33 Sur les dix-sept élections qu’a connues la Belgique depuis 1946, six seulement n’ont pas été anticipées. Étant donné que, dans ces cas de figure, le gouvernement est arrivé au terme du mandat parlementaire, aucune autre raison que technique n’est à mentionner. Dans ces six cas, le gouvernement fit voter une déclaration de révision de la Constitution en veillant à ce que la date des élections provoquées par la dissolution du Parlement corresponde avec la date prévue de fin de législature ou s’en approche (à cinq reprises). Il ne put s’entendre pour ce faire en 1985.

34Une dissolution anticipée provoquée techniquement par une déclaration de révision de la Constitution, mais ayant des causes comportementales de la part des acteurs politiques, eut lieu également à cinq reprises (au total, dix des dix-sept chambres élues depuis 1946 ont donc été constituantes). Avant 1968, date à partir de laquelle la réforme de l’État devint prépondérante dans l’agenda gouvernemental, les dissolutions anticipées résultaient seulement de crises importantes entre familles politiques au sein du gouvernement sans qu’une modification de la Constitution soit l’enjeu invoqué pour faire tomber le gouvernement  [37]. Après 1977 en revanche, toutes les dissolutions anticipées seront accompagnées d’une déclaration de révision de la Constitution. Aucune dissolution anticipée ne fut la conséquence d’une chute de gouvernement devant les chambres. Dans la large majorité des cas, elles furent causées par des situations de crise interne au gouvernement sans espoir de conciliation, parfois par le truchement de gouvernements de transition chargés d’élaborer la liste d’articles ouverts à révision pour le Parlement suivant. À deux reprises, la raison principale de la dissolution anticipée releva des calculs électoraux des partis gouvernementaux (Eyskens IV en 1971 et Dehaene I en 1995).

35On ne dénombre que deux démissions motivées par un élargissement d’un gouvernement. Ce résultat est somme toute logique, puisque la Belgique n’a compté que quatre gouvernements minoritaires, dont un est tombé lors du vote d’investiture au Parlement (Spaak I en 1946) et un autre n’est que la conséquence de la chute d’un gouvernement majoritaire (Tindemans III, suite à la révocation des ministres RW). Ces résultats corroborent amplement l’hypothèse selon laquelle l’issue ‘naturelle’ pour un gouvernement de minorité est de tomber devant le Parlement (puisqu’il ne dispose pas d’une majorité) ou de renforcer son assise parlementaire en accueillant d’autres formations politiques au sein de l’exécutif. Les élargissements ont d’ailleurs été une suite logique des événements, eu égard aux intentions originelles des formateurs puis des Premiers ministres concernés : tant G. Eyskens en 1958 que L. Tindemans en 1974 auraient voulu former d’emblée un gouvernement majoritaire. Contraints de se présenter devant la Chambre sans disposer de majorité, ils ont compris suite à la confiance accordée qu’ils pourraient prochainement élargir leur équipe.

36Un seul gouvernement est tombé suite à un vote de confiance. Il s’agissait en l’occurrence de la confrontation entre ce gouvernement et le Parlement dans le cadre de ce qu’il est entendu d’appeler le ‘vote d’investiture’. Le gouvernement homogène (socialiste) minoritaire dirigé par Spaak en 1946, lequel aurait voulu constituer un gouvernement majoritaire, se présenta en effet comme un gouvernement ‘de nécessité’ mais se vit refuser la confiance de la Chambre des représentants à parité de voix (90 oui, 90 non et 15 abstentions). Le Parlement a également provoqué la chute du gouvernement Martens II en 1980. Celui-ci avait engagé sa responsabilité devant les chambres sur ses projets de réforme de l’État mais n’obtint pas la majorité des deux tiers requise pour un des articles mis aux votes au Sénat  [38]. Les désistements (votes négatifs et abstentions) émanaient de certains sénateurs CVP, et donc d’un conflit interne à ce parti se manifestant au Parlement. De manière plus indirecte, le Parlement a suscité la chute de deux gouvernements : à la suite de critiques émises à l’encontre de leur ministre de la Justice respectif, les gouvernements Van Acker III (1946) et Spaak II (1947) ont démissionné selon le principe de la solidarité gouvernementale  [39]. Il est intéressant de constater que dans ces deux derniers cas, les critiques exprimées au Parlement émanaient de parlementaires de la majorité.

37Près de deux tiers des trente gouvernements de coalition que la Belgique a connus entre 1946 et 1999 ont chuté directement ou indirectement sur des conflits entre partis de la majorité (19 sur 30)  [40]. Dans six cas seulement ces démissions ont été suivies d’élections anticipées. La plupart du temps, la coalition fut reconduite ou une nouvelle composition fut négociée sans avoir recours à l’électeur. On constate donc que dans la majorité des cas de démissions de gouvernements qui sont le fait de désaccords entre gouvernants, les électeurs ne sont pas invités à indiquer quelles sont les forces politiques les plus à même de prendre la relève.

38En regardant de plus près quels sont les partis impliqués dans ces conflits politiques internes au gouvernement, on constate que chacun des trois partis régionalistes fut à l’origine ou, au minimum, accusé par ses partenaires d’être responsable d’une démission gouvernementale, et à chaque fois, les autres composantes du gouvernement sont restées au pouvoir. Les ministres de ces partis furent à deux reprises révoqués par leur Premier ministre. En février 1977, le bureau fédéral du Rassemblement wallon faisait savoir qu’il estimait que le dialogue de communauté à communauté entamé en novembre 1976 était dans une impasse et lançait un ultimatum à ses partenaires au sein de la majorité : un accord sur la régionalisation devait être signé avant le congrès du RW du 5 mars. Alors que les parlementaires du Rassemblement wallon avaient émis un vote positif sur une motion de confiance juste avant cette ‘sortie’ de leur bureau fédéral  [41], ils s’abstinrent lors du vote du budget du Ministère des Affaires économiques le 3 mars : un député RW avait interpellé le ministre des Affaires économiques sur les mesures qu’il comptait prendre face aux pertes d’emplois dans la sidérurgie wallonne et exprimé son insatisfaction quant à la réponse de ce dernier. La majorité refusant de reporter le vote sur ce budget, les députés RW s’abstinrent, alors que M. Moreau, ministre et député RW votait lui en faveur de l’adoption du budget.

39Si celui-ci était finalement bien adopté  [42], le signe de désunion de la coalition gouvernementale était perceptible pour les leaders de l’opposition, ainsi que pour le Premier ministre qui se succédèrent à la tribune. Léo Tindemans demanda au RW de tirer les conclusions de ses actes et de quitter le gouvernement, ce à quoi le président du RW s’opposa. Le lendemain, sur proposition du Premier ministre Tindemans, le Roi révoqua les deux ministres RW  [43].

40L’identification des responsables et des causes réelles de cet épisode en particulier prête à controverse : le RW (en particulier son président) est-il responsable car coupable d’une rupture de la solidarité gouvernementale dans son expression au Parlement (le personnel ministériel du RW continue quant à lui à respecter cette solidarité) ou le Premier ministre Tindemans a-t-il profité de cette petite brèche pour faire sortir ce partenaire encombrant ? Le RW ne s’intéressait-il qu’à la situation de la sidérurgie wallonne ou l’abstention était-elle une pression supplémentaire sur ses partenaires dans le dossier plus large de la régionalisation  [44] ? Quoiqu’il en soit, Tindemans n’offrit pas la démission de son gouvernement et ne présenta pas de nouvelle déclaration gouvernementale devant les chambres. L’assise parlementaire de son gouvernement à la suite de l’éviction du RW de la majorité ne lui aurait d’ailleurs pas permis de recevoir la confiance des chambres. Tindemans proposa quelques jours plus tard la dissolution des chambres au Roi, qui accepta cette proposition, toujours sans aucune présentation de démission de gouvernement de la part du Premier ministre, une issue que les présidents de partis de l’opposition dénonçaient comme « un coup d’État sans précédent »  [45]. Même si le Premier ministre ne reconnut pas formellement la démission de son gouvernement social-chrétien-libéral-RW, le changement de composition politique et d’assise parlementaire du gouvernement provoqua bien un changement de gouvernement.

41En 1980, le Roi révoqua à nouveaux les ministres et le secrétaire d’État d’un seul parti, le FDF, sur proposition du Premier ministre Martens  [46] tandis qu’en 1991 les ministres Volksunie refusèrent un compromis gouvernemental sur le renouvellement de licences d’exportation d’armes, ce qui équivalait à une offre de démission, que le Premier ministre Martens alla présenter au Roi.

42À chaque participation d’un parti régionaliste, le dossier sur lequel le gouvernement tombe (lorsqu’il est tombé) a toujours été institutionnel  [47], soit la raison pour laquelle ils avaient été sollicités à prendre part au gouvernement (en général pour disposer d’une majorité des deux tiers nécessaire à la révision de la Constitution et au vote de lois spéciales). Si on ajoute le cas des ministres communistes qui démissionnèrent en 1947, on constate que sur sept gouvernements à participation de partis non traditionnels, quatre chutes impliquèrent l’un d’entre eux et leurs partenaires les tinrent pour responsables de la chute de ces gouvernements.

43Sur les dix-sept cas les plus clairs de chutes causées par des conflits entre composantes gouvernementales, on note à cinq reprises que le conflit interne opposait les familles socialiste et sociale-chrétienne, soit celles qui comprennent le parti dominant de chaque communauté, le CVP et le PS. Les raisons invoquées de ces conflits étaient majoritairement d’ordre idéologique (d’abord sur l’affaire royale, ensuite sur des questions économiques), même si la dimension communautaire est souvent sous-jacente. En 1972 (Eyskens V) et 1978 (Tindemans IV), le CVP semblait être le parti qui s’opposait à tous les autres partenaires, à chaque fois pour une question institutionnelle pourtant négociée et approuvée par tous les partis de la majorité. Dans les deux cas, une partie du CVP s’opposait aux mesures décidées (en 1972 sur le statut de Fourons et en 1978 sur le Pacte d’Egmont). Dans les deux cas, les avis négatifs du Conseil d’État sur ces projets gouvernementaux ne firent que légitimer les objections des initiateurs de la fronde interne. Enfin, les chutes dans lesquelles les libéraux ont été particulièrement actifs n’avaient quant à eux pas vraiment de dimension communautaire

44Pour compléter cette analyse des démissions selon la composition politique des gouvernements, signalons qu’à chaque fois que plus de deux familles politiques ont été au pouvoir, la chute a résulté d’un conflit entre partenaires (huit sur huit, en omettant le gouvernement de transition de 1978), ce qui prouve bien que le nombre de sensibilités politiques en présence augmente la probabilité de conflits internes.

45Des dissidences internes à un parti ont conduit à une chute de gouvernement à trois reprises. Dans chacun de ces cas, le CVP était le parti en question. Le poids de ce parti dans la vie politique belge apparaît encore dans ce constat  [48], puisque deux de ces trois gouvernements étaient de coalition (ce qui n’a pas empêché le gouvernement de chuter à cause d’un différend interne à un seul parti) et le troisième était un gouvernement social-chrétien homogène (cette famille fut la seule à pouvoir mettre un gouvernement homogène majoritaire sur pied dans l’après-guerre). On pourrait ajouter à cette liste la chute du gouvernement Martens VI de 1987 qui opposait les ailes francophone et néerlandophone de la majorité et plus particulièrement du côté social-chrétien.

46En analysant le tableau sous l’angle des dossiers sur lesquels les conflits politiques se sont cristallisés, ceux opposant directement ou indirectement les ailes flamande et francophone des gouvernements sont les plus fréquents : sept chutes ont été causées par des conflits sur des questions principalement communautaires, tandis que cinq autres conflits fatals à l’équipe au pouvoir sont classés comme relevant de domaines de compétences divers mais ont eu un caractère communautaire, ce qui veut dire que douze démissions, soit plus de la moitié des démissions de gouvernements depuis 1946 ont eu, au minimum, des relents communautaires  [49]. Huit chutes ont pour raisons invoquées des désaccords sur des questions liées au secteur économique (certaines d’entre elles avaient justement un caractère communautaire) et une grève générale a contribué à la démission d’un gouvernement. L’affaire royale provoqua trois chutes de gouvernement, la politique de répression de la collaboration en période de guerre, deux.

47Enfin, si l’on analyse les événements critiques qui ont contribué à des chutes de gouvernement, on note que la pression de l’opinion publique n’a déstabilisé le gouvernement qu’à une seule reprise. En août 1950, Duvieusart a en effet démissionné non pas en raison de l’usage qui veut que le Premier ministre présente sa démission en cas de succession au trône  [50], mais bien parce que la solution à la question royale que son gouvernement avait choisie, contestée par une part importante de la population et ayant provoqué des émeutes et causé des victimes, n’était pas celle qui mettait fin à la crise. Si sa démission avait seulement été motivée par la tradition de courtoisie entre le chef de l’État et ses ministres, le Prince royal aurait d’ailleurs refusé sa démission, ce qu’il s’abstint de faire. En revanche, des événements internationaux (dont trois principalement politiques : le début de la guerre froide, la guerre de Corée, le processus de décolonisation et deux autres à connotation économique : la question monétaire internationale suite à la non-convertibilité du dollar et la crise pétrolière de 1973) ont été invoqués à plusieurs reprises et ont pu jouer un rôle dans la situation politique du pays. Néanmoins, eu égard aux problèmes politiques intrinsèquement internes (ces raisons externes sont, à l’exception de la réaction de l’opinion publique au retour du Roi Léopold III, toujours accompagnées de raisons de comportement des gouvernants), ces facteurs n’ont pu être déterminants. De plus, on constate une immunisation des gouvernements belges aux événements externes plus importante encore depuis 1973 : aucun événement externe n’a conduit à, ou n’a été invoqué comme raison de chute d’un gouvernement, alors que pour ne prendre que l’exemple des chocs dans l’opinion publique, l’actualité belge n’en a pas été exempte depuis quelques années  [51].

48On voit donc que la plupart des démissions de gouvernements ne sont pas liées à des événements extérieurs critiques ni à des causes techniques, ni même à un contrôle fort du Parlement, mais bien à des conflits internes à la coalition sur les clivages les plus pertinents depuis 1946, le communautaire et le socio-économique. Le fait de ne dénombrer aucune chute de gouvernement consécutive à une tension sur le clivage philosophique indique bien que le pacte scolaire a efficacement pacifié cette opposition en la soustrayant de l’agenda gouvernemental et en confiant la gestion des conflits éventuels à la Commission du Pacte scolaire composée de manière pluraliste.

49Une telle pacification n’a pas, jusqu’à présent, été réalisée sur les questions communautaires, qui devinrent prédominantes dans les années 1960 et conduisirent (avec la montée des partis régionalistes) à la scission des partis traditionnels. Cette scission, conjuguée à une politisation croissante du clivage communautaire, a eu pour effet d’augmenter considérablement le nombre de partenaires potentiels à une coalition gouvernementale et a ainsi provoqué une plus grande instabilité  [52]. Dans une représentation politique composée de deux systèmes de partis communautaires autonomes, un parti peut provoquer la chute d’un gouvernement sur une question communautaire sans trop risquer d’être sanctionné par l’électeur pour avoir forcé cette démission. En fait, lorsque une question communautaire est sur la table, les partis au gouvernement, poussés par les médias et par les partis de l’opposition dans leur Communauté, sont souvent plus sensibles à l’avantage électoral que leur conférerait une radicalisation sur cette question (quitte à faire exploser la coalition) plutôt qu’une recherche de compromis en vue de sauver la coalition. Kris Deschouwer estime que la séparation des partis unitaires a mis en place un mécanisme puissant qui raccourcit la durée de vie des coalitions  [53], tandis que le fait que cette insularité électorale n’existe pas sur les questions confessionnelles implique que les partis voient moins de désavantages à coopérer sur cette dimension de la compétition électorale. Nous pensons au contraire que le nombre croissant de partenaires nécessaires pour former un nouveau gouvernement et l’interdépendance entre formations de gouvernements aux différents niveaux (fédéral et fédérés)  [54], soit deux conséquences du clivage communautaire, ont rendu la formation des gouvernements belges à ce point complexe que les membres d’un gouvernement ont intérêt à garder celui-ci en vie plutôt que de le faire tomber : d’une part, le nombre d’alternatives possibles grandissant avec la fragmentation politique, une participation des partenaires sortants est moins garantie ; d’autre part, la difficulté de contenter toutes les composantes nécessaires à la constitution d’un gouvernement, la remise en cause d’équilibres avec les autres niveaux de pouvoir, etc. rendent cette stratégie hasardeuse mais aussi coûteuse en temps et en énergie. Le fait que nous ne recensions que sept gouvernements de 1981 à 1999 montre bien que les dernières décennies ont été stables, alors que les conflits communautaires n’ont pas disparu. Selon nous, les effets de la création de deux systèmes de partis autonomes se sont principalement fait sentir sur la stabilité gouvernementale durant le processus de scission des partis unitaires (1968-1978), alimentés par les tiraillements internes entre unitaristes et fédéralistes au sein même des ailes autonomes des familles politiques dans le cadre de la définition de la forme de l’État. Une fois cette transformation du paysage de la compétition politique consolidée (dès le début des années 1980), les passages à l’acte de partis menaçant de faire tomber la coalition pour des raisons communautaires ont indéniablement diminué.

Tableau 1

Les démissions de gouvernements de 1946 à 1999

Tableau 1
Tableau 1 : Les démissions de gouvernements de 1946 à 1999 Gouv. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 Premier ministre Spaak Van Acker III Huysmans Spaak II Spaak III Eyskens I Duvieusart Pholien Van Houtte Van Acker IV Eyskens II Eyskens III Lefèvre Harmel Van den Boeynants I Eyskens IV Eyskens V Leburton Tindemans I Tindemans II Tindemans III Tindemans IV Van den Boeynants II Martens I Martens II Martens III Raison de la démission du gouvernement Technique Techn – comp. Comportementale 1.2 3 4 5 6 7 Élections fin Déclaration de Élections Élargissement Gouv. défait par Conflit entre partis du gouvernement Conflit interne à de législature révision de la anticipées volontaire du le Parlement un parti du Constitution gouvernement gouvernement Conflit politique Conflit personne X (X) PSB <> PL PCB <> les autres (X) PSB <> PSC X PSC <> PSB X PL <> PSC PSC X X X X X X PL <> PSC X X PSB <> PSC X X CVP/PSC X CVP <> les autres X PSB >< CVP X RW <> les autres (surtout. CVP) X CVP <> les autres X X FDF <> les autres X (X) CVP PVV/PRL <> les autres

Les démissions de gouvernements de 1946 à 1999

tableau 1

tableau 1
27 28 29 30 31 32 33 34 35 Martens IV M. Eyskens Martens V Martens VI Martens VII Martens VIII Martens IX Dehaene I Dehaene II X X X X X X X X X X X PS/SP <> CVP/PSC PS <> CVP CVP <> PSC VU <> les autres (X) Suite du tableau 1

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Gouv 1 2 3 4 5 6 Premier ministre Spaak Van Acker III Huysmans Spaak II Spaak III Eyskens I Raisons externes 8 9 10 11 Chocs Événement Événement Événement dans international économique personnel l’opinion publique (X) Commentaires A échoué lors du vote d’investiture (la confiance du Parlement) à la Chambre (90 oui – 90 non – 15 abst. Critiques de membres de la majorité au Parlement à l’encontre du ministre de la Justice (sur le dossier de la répression de la collaboration et de l’ingérence à cet égard de la politique dans le monde judiciaire). Le Premier ministre voulut éviter un vote de censure à l’adresse du ministre Van Glabbeke en affirmant la solidarité du gouvernement avec celui-ci, mais suite au débat, un vote sur l’ordre du jour de confiance (perdu par 79 non – 78 oui – 3 abstentions) le contraint à présenter la démission du gouvernement entier. Un conflit sur les prix du charbon et des décisions gouvernementales dans l’industrie minière provoquent la démission des ministres communistes. Ce différend fut également un prétexte pour écarter les communistes du gouvernement suite à l’ouverture de la guerre froide sur le plan international. Interpellation d’un membre de la majorité à l’encontre du ministre de la Justice en matière de répression de l’incivisme. Le ministre Struye voulut démissionner seul mais le Premier ministre, affirmant ainsi la solidarité du gouvernement avec son ministre, alla présenter la démission collective du gouvernement. Après deux premières missions de formateur, M. Spaak présentait une coalition légèrement remaniée. Dissolution anticipée suite à de nouvelles dissensions internes. Le prétexte à la chute finale était un différend entre partenaires concernant le financement des allocations de chômage. La méfiance entre les deux partenaires suite à la crise précédente qui empêchait la prise de toute décision importante et donc l’immobilisme du gouvernement sur le dossier du retour du Roi, très ressenti dans les milieux PSC, sont néanmoins les causes réelles de cette dissolution anticipée. Crise suite aux interprétations divergentes des résultats de la consultation populaire (du 12 mars 1950 sur le retour du Roi) au sein de la majorité. Une première démission avait d’abord été acceptée, puis refusée par le Prince Régent afin de procéder à la dissolution du Parlement, sur conseil du formateur et contre l’avis des ministres libéraux.

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7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 Duvieusart Pholien Van Houtte Van Acker IV Eyskens II Eyskens III Lefèvre Harmel Van den Boeynants I Eyskens IV X (X) (X) (X) (X) (X) Suite à de violentes manifestations depuis son retour, le Roi Léopold III s’efface en faveur de son fils Baudouin qui devient Prince royal. Cette solution à la crise royale n’étant pas celle que préconisait au départ le gouvernement majoritaire homogène, le gouvernement tombait suite à un échec de sa politique et non en raison d’une coutume constitutionnelle qui voudrait qu’il tombe à chaque changement de chef de l’État. La presse de l’époque relaya la rumeur qui se faisait jour dans le monde politique d’un chantage exercé par le gouvernement (et donc du fait du seul PSC/CVP) sur le Roi Léopold III : si ce dernier n’acceptait pas la délégation de pouvoirs à son fils Baudouin, le gouvernement démissionnait dans son ensemble (ce qui eût provoqué, en conséquence de la majorité absolue sociale-chrétienne au Parlement, des élections anticipées dont l’issue aurait pu être encore moins favorable à la famille royale). Depuis lors, des mémoires d’hommes politiques, de proches du Roi et de Léopold III lui-même ont étayé cette version. Le Premier ministre désire se retirer, sans doute suite à des critiques envers sa personne au sein du PSC. De plus, la situation interne au pays étant rétablie, la mission première de ce gouvernement était remplie et un nouveau programme se devait par ailleurs d’être envisagé dans le cadre de nouveaux développements dans la situation internationale (guerre de Corée). Déclaration révision de la Constitution anticipant de très peu les élections car fin normale de la législature. Déclaration révision de la Constitution sans réelle anticipation des élections car fin normale de la législature. Élargissement du gouvernement minoritaire suite aux avancées dans le projet de Pacte scolaire. Dissolution anticipée suite à un accord entre présidents de partis de la majorité et Premier ministre. La crise congolaise (1960) avait déjà provoqué un remaniement en 1960. La grève générale de l’hiver 1960-1961 en réaction au projet de ‘loi unique’ d’assainissement budgétaire et des conflits internes (notamment sur la réforme de la loi électorale) provoquent cet accord sur une dissolution anticipée. Déclaration de révision de la Constitution sans réelle anticipation des élections car fin normale de la législature. La politique à suivre en matière d’assurance maladie-invalidité (l’instauration du ticket modérateur) dans un contexte budgétaire difficile oppose les partenaires. De nombreux petits conflits émaillaient la vie de la coalition depuis sa reconduction après des élections pourtant désastreuses. Après un premier refus par le Roi de démission collective (et le souhait de celui-ci de voir le gouvernement solliciter l’avis du Parlement), les ministres socialistes, en offrant leur démission, forcèrent le Premier ministre à présenter à nouveau la démission du gouvernement qui fut cette fois acceptée par le Roi. Crise communautaire : revendication flamande du transfert de la section francophone de l’Université de Louvain hors du territoire flamand. Interpellation du chef de groupe social-chrétien flamand tendant le gouvernement à prendre position. Avant le vote sur la motion de confiance, démission des ministres sociauxchrétiens flamands en désaccord avec le projet de déclaration du Premier ministre. Le Premier ministre déclare à la Chambre qu’il va présenter la démission du gouvernement au Roi. Celui-ci l’accepte, puis la refuse afin de permettre au Parlement de voter une déclaration de révision de la Constitution et de procéder ainsi à la dissolution anticipée des chambres. Tensions communautaires lors de la réforme de la Constitution et sur le statut de Fourons. Les partis gouvernementaux escomptent de bons résultats électoraux et proposent au Roi de dissoudre les chambres six mois avant le terme normal de la législature, sans démissionner avant ces élections. Le motif invoqué était la situation économique internationale découlant de la décision du président Nixon sur la non-convertibilité du dollar en or.

tableau im5
17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 Eyskens V Leburton Tindemans I Tindemans II Tindemans III Tindemans IV Van den Boeynants II Martens I Martens II Martens III Martens IV M. Eyskens (X) Problèmes communautaires au sein de la coalition autour de la question du statut de Fourons (le projet du gouvernement est jugé inconstitutionnel par le Conseil d’État et un député annonce l’opposition de son parti au projet que le Premier ministre a cependant fait signer par chaque membre du gouvernement). Le projet de raffinerie publique à participation iranienne en région liégeoise provoque des tensions communautaires et idéologiques (sur l’intervention de l’État dans l’industrie) au sein de la coalition, alors que la crise pétrolière internationale met ce dossier au premier plan. L’échec final du projet amène les ministres socialistes à remettre leur démission. Le Premier ministre présente sa démission au Roi. Cette démission sera suivie d’une dissolution, le formateur ne pouvant réussir dans sa mission. Élargissement du gouvernement minoritaire (le RW rejoint la coalition) suite à des négociations sur la régionalisation. Les parlementaires RW s’abstiennent sur le vote du budget des Affaires économiques, arguant de l’immobilisme du ministre devant les pertes d’emploi dans la sidérurgie wallonne. En outre, le RW avait lancé un ultimatum sur la question de la régionalisation de l’État. Le Premier ministre propose le déchargement de fonctions des ministres RW au Roi, c’est la première révocation de ministres de l’histoire politique belge. Gouvernement de transition qui propose la dissolution des chambres au Roi, sans pour autant présenter sa démission. Socialistes et sociaux-chrétiens s’opposent au sujet d’un projet de loi ‘anti-crise’, la démission du Premier ministre est tout d’abord refusée par le Roi. Par la suite, le Conseil d’État juge inconstitutionnelles certaines dispositions du Pacte d’Egmont : sur la phase transitoire de régionalisation et le statut de Bruxelles. Les membres des groupes parlementaires du CVP opposés au Pacte d’Egmont voient leurs objections légitimées par l’avis négatif rendu par le Conseil d’État. Afin de presser le Premier ministre à clarifier sa position sur les suites à réserver à cet avis, les présidents de partis de la coalition interpellent le Premier ministre au parlement, qui s’en offusque et va remettre la démission du gouvernement au Roi. Gouvernement de transition, dissolution anticipée suite à l’adoption d’une déclaration de révision de la Constitution. Conflit sur la régionalisation (les garanties pour la minorité flamande de Bruxelles en particulier), prises de position du congrès CVP contraires à l’accord gouvernemental. Les ministres et secrétaire d’État FDF sont révoqués car ils refusent de se soumettre au projet de déclaration gouvernementale suite à une interpellation. L’article 5 du projet de loi de réformes institutionnelles (sur la composition des Conseils de Régions, celui posant problème étant le bruxellois) n’obtient pas la majorité des deux tiers suite aux votes négatifs et aux abstentions de sénateurs CVP. Après avoir réservé sa réponse, le Roi accepte la démission du Premier ministre. Suite à plusieurs conflits internes (principalement économiques et sociaux, mais aussi de défense), un plan de globalisation des problèmes est rejeté par les ministres libéraux. Le gouvernement démissionne. Le plan de redressement économique du Premier ministre est rejeté par les socialistes. Crise entre partenaires à propos du budget puis du soutien de l’État envers l’industrie métallurgique wallonne. Les ministres PS pratiquent la chaise vide afin de forcer l’adoption des subsides. Le Premier ministre présente sa démission, conformément à la demande du bureau du CVP. Une dissolution anticipée des chambres est ensuite provoquée par l’adoption d’une déclaration de révision de la Constitution.

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30 31 32 33 34 35 Martens VI Martens VII Martens VIII Martens IX Dehaene I Dehaene II pour marquer sa désapprobation vis-à-vis de l’attitude de Ch.-F. Nothomb qui refuse lui d’endosser la responsabilité du drame. Le Premier ministre présente la démission collective du gouvernement, elle est refusée. Finalement, le Premier ministre propose la dissolution du parlement sans démissionner, les élections ont lieu en octobre alors qu’elles étaient prévues en décembre. La question des Fourons (la nomination de J. Happart comme bourgmestre), déjà posée lors de la législature précédente, revient. Divergences de vues, principalement entre CVP et PSC qui provoquent la démission du gouvernement. Gouvernement de transition qui vote une déclaration de révision de la Constitution et provoque donc une dissolution anticipée des chambres. Le compromis sur le dossier du renouvellement des licences pour la vente d’armes, soutenu par les partis francophones, provoque la démission des ministres VU. Liaison du dossier réforme de l’État (compétences des Régions et Communautés) et celui de contrats de télécommunications refusée par les ministres flamands. Démission du gouvernement refusée par le Roi. Le gouvernement est chargé d’élaborer une déclaration de révision de la Constitution mais la date des élections n’est avancée que d’un mois. Dissolution anticipée annoncée juste avant les perquisitions au SP dans le cadre de l’affaire Agusta et juste après la publication des comptes de la Banque nationale de Belgique qui laissent augurer de bons résultats électoraux (ou moins mauvais que si les élections se tenaient plus tard) pour la majorité en place. Dissolution suite à une déclaration de révision de la Constitution sans que la date prévue des élections ne change.

Les démissions individuelles de ministres

Éléments juridiques

50Si l’histoire politique belge fut marquée par un nombre important – en comparaison avec les moyennes européennes – de démissions de gouvernements, elle est également parsemée de démissions individuelles, habituellement plus vite résolues (et donc moins perturbantes pour la continuité de l’action publique), mais souvent révélatrices d’un état d’esprit collectif et politique au sein du gouvernement et parfois éclairantes pour la compréhension des événements majeurs qu’a connus notre pays depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.

51Formellement, qu’est-ce qu’une démission ? C’est l’acte officiel qui, lorsqu’il est accepté par le chef de l’État, met fin à une activité exécutive. Cette fin peut être volontaire ou suscitée et peut donc revêtir une signification politique. Il importe de souligner que, hormis l’hypothèse du décès, le processus de démission doit rencontrer une traduction dans les actes. Ainsi, la démission d’un ministre ou d’un secrétaire d’État  [55], pour disposer d’une effectivité juridique, doit reposer sur deux actes distincts  [56]. D’un côté, le ministre démissionnaire présente sa demande de démission directement au Roi ou par le biais du Premier ministre qui la transmet au Roi et dans laquelle il exprime la volonté de se voir déchargé de son mandat et, de l’autre, l’acceptation par le chef de l’État de cette démission  [57].

52Les précis de droit public approchent cette dimension essentielle de la vie politique d’un ministre sous l’angle du droit constitutionnel. L’approche constitutionnaliste comprend généralement deux axes principaux sur lesquels se greffent les motifs de démissions individuelles, à savoir les démissions pour raisons de nature personnelle et celles pour raisons de nature politique  [58].

53Dans la première catégorie, on retrouve des événements qui surgissent dans la vie quotidienne des membres du gouvernement et qui prennent le pas sur la conduite de leur mission exécutive. Ces faits peuvent être aussi bien issus d’une volonté explicite du ministre ou du secrétaire d’État de se voir relevé de son mandat suite à une évolution de sa situation personnelle, que résultant de circonstances extérieures et imprévues qui imposent cette démission. La maladie ou des circonstances liées à la santé et le décès  [59] appartiennent clairement à ce second type, tandis que la volonté de se voir confier un autre mandat politique ou administratif estimé plus intéressant ou valorisant – ou tout simplement des raisons de convenance personnelle – découle du premier.

54Dans la seconde catégorie, on retrouve des faits sur lesquels l’individu en tant que tel a moins de prise, même s’ils découlent plus directement de leur activité exécutive. Il s’agit de faits de nature politique qui interagissent avec la sphère politique propre du ministre (son action ou son inaction) et qui tendent à le mettre en opposition avec des forces politiques qui, de manière directe ou indirecte, l’invitent à la démission. Ces faits peuvent se subdiviser en trois catégories : la révocation, le renvoi et la démission politique  [60].

55Selon l’article 96 de la Constitution belge, le Roi dispose du pouvoir de nommer et de révoquer ses ministres. La révocation peut être définie comme étant la mesure par laquelle une autorité publique (ici, le chef de l’État) met fin discrétionnairement et définitivement aux fonctions qu’elle a conférées par le procédé de la nomination à une personne qui dépend directement d’elle  [61]. Dans le cas d’un désaccord manifeste et publiquement exprimé entre le ministre et une politique menée par le gouvernement ou un de ses collègues, la fonctionnalité de cette révocation est de permettre à ce gouvernement de faire face au refus d’un membre du Conseil des ministres d’endosser la responsabilité collective du gouvernement qui découle de son mode de fonctionnement basé sur le consensus  [62]. Comme on l’a vu plus haut, si la révocation vise la délégation ministérielle entière d’une composante de la coalition, cet acte s’apparente à une démission de gouvernement et à la formation d’un autre. Il est à noter que si cette révocation peut s’apparenter à une sanction disciplinaire à l’égard de l’attitude d’un ministre, elle peut tout autant relever d’un conflit à l’intérieur du gouvernement, comme lorsqu’une décision administrative de réforme ou d’adaptation de la structure gouvernementale aux circonstances extérieures évolutives est prise collégialement.

56À la différence de la révocation, la notion de renvoi trouve sa source dans l’action d’une autorité de contrôle extérieure à l’autorité compétente pour la nomination du ministre. Selon la Constitution, les ministres sont politiquement responsables devant les chambres  [63]. Ainsi, une assemblée peut manifester son hostilité à l’égard de la politique ou des décisions prises par un ministre, sans pour autant remettre en cause la politique globale du gouvernement. Comme on l’a vu précédemment, le gouvernement peut néanmoins adopter une attitude solidaire avec le ministre concerné et décider de remettre sa démission collective au chef de l’État, avant ou après le vote de méfiance exprimé à l’égard du ministre. S’il ne le fait pas, le ministre est implicitement désavoué par ses collègues.

57La démission politique, enfin, est une initiative du ministre. Le ministre en question n’est toutefois pas toujours demandeur d’un tel acte : c’est soit sur invitation – parfois pressante – du chef du gouvernement que le mandataire remet sa démission, et il s’agit alors d’une ‘démission sollicitée’ qui n’est autre qu’une sanction infligée au ministre visé (ou qui provient d’un désaccord sur un sujet sensible de l’agenda), soit dans le cadre d’un service accompli ou d’une compétence ministérielle limitée à une durée particulière (avec une échéance fixée lors de la prise de fonction)  [64].

58À l’intersection de la problématique des faits personnels et des circonstances politiques au sens plus large du terme se situent la démission protestataire et la démission~dissensus. Dans le cadre de la politique adoptée par le gouvernement, il arrive qu’un ministre ne puisse acquiescer pour des raisons personnelles ou politiques aux choix de l’exécutif ou d’un collègue. Dès lors, il lui est loisible de renoncer spontanément à ses fonctions suite à une divergence de vues interne au gouvernement. Le cas de démission protestataire s’identifie lorsqu’un ministre souhaite, publiquement, se désolidariser de la décision ou de la position prise par le gouvernement ou un de ses collègues sur un sujet particulier tandis que la démission-dissensus est la conséquence indirecte de la procédure de consensus établie au sein du gouvernement qui impose au ministre en question de se soumettre ou de se démettre.

Typologie et analyse empirique des raisons de démissions individuelles de ministres

59Afin de traiter de manière extensive et analytique les démissions individuelles en Belgique de 1946 à nos jours, il convient de dresser une typologie des causes de cel-les-ci. L’approche constitutionnaliste de la cessation de fonction d’un ministre que nous venons d’esquisser brièvement est incontournable dans toute étude des démissions. L’essai de typologie que nous proposons ne fera donc pas exception à ce principe. Toutefois, comme pour l’étude des démissions de gouvernements, il nous a paru nécessaire de compléter cette approche juridique par une confrontation de la typologie aux événements politiques. Cette démarche permet une prise de recul vis-à-vis des règles et coutumes de droit car celles-ci apparaissent bien souvent en décalage par rapport à l’évolution des mœurs sur la scène politique.

60La typologie des démissions et cessations de fonction des ministres et secrétaires d’État fédéraux belges comprend six catégories distinctes : le décès ou les raisons de santé, l’incompatibilité (formelle ou informelle) de la fonction ministérielle avec d’autres fonctions, la responsabilité individuelle, le désaccord gouvernemental, le rééquilibrage gouvernemental et les adaptations du gouvernement face aux modifications de son environnement. C’est selon cette typologie que seront classées et traitées les quelques 102 démissions et cessations de fonction enregistrées lors de la période 1946-1999.

Tableau 2

Causes de démission et cessation de fonction de ministres et

Tableau 2
Tableau 2 : Causes de démission et cessation de fonction de ministres et secrétaires d’État (1946-1999) Cause de démission et cessation de fonction 1. Décès – Raisons de santé 2. Incompatibilité de fonction 3. Responsabilité individuelle 4. Désaccord gouvernemental 5. Rééquilibrage gouvernemental 6. Adaptation du gouvernement Nombre 9 37 16 13 7 20 Cause spécifique 2 a. Fonction partisane 2 b. Fonction locale 2 c. Fonction régionale ou communautaire 2 d. Fonction internationale 4 a. Démission protestataire 4 b. Révocation Nombre 6 8 14 9 7 6

Causes de démission et cessation de fonction de ministres et

61L’histoire des gouvernements belges de 1946 à 1999 recèle quelques exemples de ces décès inopinés qui imposent un remaniement minimal (la nomination d’un remplaçant du ministre décédé). Sur la période étudiée – 1946-1999 – on relève cinq cas de décès. Un cas marquant dans l’histoire politique belge est sans doute celui de l’accident de roulage, le 21 janvier 1969, du socialiste J. J. Merlot, vice-Premier ministre et ministre des affaires économiques, qui est remplacé par A. Cools en tant que vice-Premier ministre et par E. Leburton en ce qui concerne le portefeuille des affaires économiques.

62Une autre raison de cessation de fonction concerne l’état de santé des ministres.

63Un exemple non équivoque d’une telle démission pour raison de santé est celui de M.

64Busiau, ministre socialiste des PTT, démissionnaire le 18 janvier 1963 et remplacé par E. Anseele. Invoquer des raisons de santé permet cependant parfois de cacher les raisons d’une démission. À côté des réelles contraintes physiques de la fonction exercée, de l’avis médical voire d’une perception personnelle du ministre de son état de santé, ce type de motif peut aussi constituer une échappatoire pour le ministre démissionnaire ou pour l’instance politique qui cherche à l’écarter de son poste (Premier ministre ou parti du ministre), alors que des raisons politiques ou relationnelles sont en fait à l’origine de cet acte. Par exemple, ce même E. Anseele, quelque dix ans plus tard, démissionnera de son poste de ministre des Communications, officiellement pour raisons de santé, mais les soupçons et blâmes qui pesaient sur lui lors du scandale de la RTT ont sans aucun doute influencé sa décision (voire celle de son parti)  [65].

65Les raisons de cessation liées à l’état de santé des ministres – décès et raisons de santé – ne représentent à elles deux que neuf cas (respectivement cinq et quatre).

66Le mandat de ministre fédéral n’est pas le seul mandat exécutif qui nourrit les ambitions des hommes politiques belges. Il n’est en effet pas rare de constater qu’un ministre démissionne afin d’occuper un autre poste politique ou administratif qu’il estime personnellement plus intéressant ou plus valorisant. Dans ces cas-là, la fonction à occuper peut être estimée incompatible avec celle déjà occupée et cela pour des raisons légales, d’organisation du temps de travail ou de convenance personnelle.

67Ainsi, il convient de distinguer pas moins de quatre sous-types de fonctions exercées selon le niveau politique (local, régional ou international) ou relevant de prises de responsabilités au sein d’un parti. Dans ce dernier cas, il est fréquent de relever des démissions de ministres pour occuper un poste de présidence dans leur parti  [66]. Ainsi, le 25 janvier 1992, le socialiste Ph. Busquin démissionne de son poste des affaires sociales afin de devenir président de son parti, il est remplacé par R. Delizée. Au niveau local, la gestion parfois plus valorisante (attachement des citoyens et des mandataires politiques au niveau local, fort esprit municipaliste en Belgique) d’une ville (ou même d’une commune rurale) impose au ministre un choix entre deux mandats politiques valorisés. Il est dès lors fréquent de rencontrer un plus grand nombre de démissions au lendemain d’élections communales, exclusivement depuis 1975, année du vote de la dernière loi concernant la fusion des communes, la position de bourgmestre devenant plus attrayante et la double fonction moins praticable (d’où la pratique de ‘bourgmestres faisant fonction’ pour remplacer le bourgmestre retenu par ses fonctions ministérielles). Ainsi, nous pouvons constater trois démissions suite aux élections de 1976, et une démission suite aux élections de 1982,1988 et 1994. En outre, une position de gouverneur de province, souvent synonyme de fin de carrière politique, peut se libérer et constituer une fin de parcours enviée pour un ministre fédéral  [67]. En 1983, les libéraux M. Tromont et A. Demuyter, ministres pour l’un de l’Éducation nationale et pour l’autre de la Région bruxelloise et des classes moyennes, présentent leur démission et se voient confier les tâches, respectivement, de gouverneur de la province de Hainaut et de bourgmestre d’Ixelles  [68], tandis qu’à la suite des élections communales de 1994, c’est Jean-Maurice Dehousse, alors ministre de la Politique scientifique qui quitte le gouvernement Dehaene I pour devenir bourgmestre de Liège.

68Conséquence directe de la réforme de l’État, la création des exécutifs régionaux et communautaires, puis les transferts toujours plus importants de compétences vers ces exécutifs, ont ouvert la voie à une série de nouveaux types de transferts, celui de départs de ministres fédéraux vers les gouvernements fédérés. Les ministres CVP L.

69Van den Brande, ministre de l’Emploi, et W. Demeester-De Meyer, ministre de la Politique scientifique et du Budget, ont, par exemple, quitté le 21 janvier 1992 leurs postes fédéraux au sein du gouvernement démissionnaire Martens IX. Il se sont ainsi vus assurés de rester ministres, même s’il s’agissait de l’exécutif régional flamand. En effet, ils prirent leur fonction dans un exécutif nouvellement formé suite aux élections de novembre 1991 alors que la formation du gouvernement fédéral (qui allait être Dehaene I) continuait et que ce processus aurait pu aboutir à une solution ne comprenant pas leur parti, ou ne les comprenant pas en tant que nouveaux ministres  [69]. Enfin, certains ministres remettent leur démission afin d’occuper un poste à un niveau décisionnel international ou supra-national. Nous pouvons subdiviser cette catégorie de démissions en deux sous-groupes, le premier concerne les mouvements vers les institutions européennes : Commission (J. Rey du Parti libéral en 1958, W.

70De Clercq du PVV en 1985), CECA (A. Coppé du CVP en 1952), Parlement (L.

71Tindemans du CVP en 1989, F. Willockx du SP en 1994) et Cour de Justice des Communautés européennes (M. Wathelet du PSC en 1995) ; tandis que la seconde concerne les autres organisations internationales : OTAN (P.H. Spaak du PSB en 1957, W. Claes du SP en 1994) et BIT (M. Hansenne du PSC en 1989).

72Le nombre de démissions pouvant être comprises au moyen de la notion d’incompatibilité de fonction entre le mandat ministériel et un autre mandat politique ou administratif s’élève à plus d’un tiers du nombre total de démissions et représente la cause de démission la plus fréquente. En effet, entre 1946 et 1999, nous comptabilisons pas moins de 37 démissions pour cette raison. Cette principale cause de démission peut se subdiviser comme suit : 6 démissions afin d’occuper une fonction de président de parti , 8 pour une fonction locale et provinciale , 14 au niveau des gouvernements communautaires et régionaux et 9 afin de briguer un mandat international .

73Une quatrième raison de démission individuelle découle de la responsabilité politique des ministres. Originellement, les ministres n’étaient responsables que devant les chambres : c’est à la suite d’une interpellation au Parlement à propos de sa décision de transformer la peine de mort de deux anciens collaborateurs en emprisonnement à perpétuité que P. Struye, ministre PSC/CVP de la Justice, voulut démissionner en novembre 1948. À l’origine, P. Struye entendait démissionner seul, mais en vertu du principe de solidarité gouvernementale, c’est le gouvernement en entier qui présenta finalement sa démission. Cet exemple, non seulement illustre le lien qui existe entre la vie des gouvernements et celle des membres qui les composent., mais il met également en exergue le rôle croissant que prendront d’autres acteurs que ceux prévus par la Constitution, à savoir les partis  [70] et l’opinion publique, dans ce débat sur la responsabilité individuelle des ministres dès après la Seconde guerre mondiale.

74Par exemple, le 13 janvier 1955, le parti et les amis politiques de A. Van Glabbeke, ministre libéral des Travaux publics, le poussent à la démission, l’accusant de népotisme et favoritisme maïoral, et le remplacent par O. Vanaudenhove, tandis que le 22 mars 1995, F. Vandenbroucke, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères est contraint à la démission suite à la pression de l’opinion publique  [71]. La presse a, à l’époque, relayé l’affaire des millions dont F. Vandenbroucke, alors président du SP, trouvait l’origine suspecte, auxquels il n’aurait pas voulu toucher (et qu’il aurait même proposé de brûler) sans pour autant remettre en question la gestion de ses prédécesseurs. Ces trois instances politiques–Parlement, parti du ministre et médias (en ce compris leur rôle sur l’opinion publique) – ont été à l’origine d’un nombre important de démissions individuelles, incriminant les politiques de ministres particuliers sans aller jusqu’à remettre en question la stabilité du gouvernement dans son ensemble. Globalement, cette responsabilité individuelle des ministres constitue la troisième cause en importance et comprend seize cas, du nombre total de démissions sur la période étudiée.

75Le débat sur la responsabilité politique des ministres a resurgi ces dernières années avec des affaires comme l’affaire Dutroux, le décès de Sémira Adamu ou la crise de la dioxine  [72] qui ont émaillé la vie politique du gouvernement et laissé des traces dans le parcours ministériel de certains ministres. Une évolution de la notion de responsabilité personnelle et politique des ministres est ainsi perceptible. Le ministre est non seulement responsable pour ses décisions et actes personnels mais également pour les fautes commises par ses services ou subordonnés dans le cadre de leurs missions. Une fois qu’une faute de l’un des rouages politiques ou administratifs placés sous la tutelle du ministre est constatée et atteint une certaine ampleur politique – particulièrement au sein de l’opinion publique – il devient difficile pour le ministre concerné de rester en place et de prendre les actes nécessaires pour y remédier. Il est alors demandé au ministre d’assumer les décisions ou non-décisions des services placés sous son autorité, et donc sa responsabilité, et d’en tirer les conséquences. Le choix de démissionner ou non n’est pas uniquement un choix de conscience personnel de la part du ministre. Il concerne aussi son parti et le gouvernement dans son ensemble. L’évolution de ce choix, depuis quelques années, se dirige vers une plus grande place à l’éthique politique, à un sens des responsabilités plus extensif, ou plus probablement à un poids plus important de la pression du collectif (le parti ou le gouvernement) dans le cas de conscience du ministre. En 1985, le ministre de l’Intérieur C.F. Nothomb estime n’avoir commis aucune faute politique et ne présente pas sa démission suite au rapport de la commission d’enquête sur le drame du Heysel. Par contre, dix ans plus tard, d’autres événements engagent la responsabilité des ministres en charge du dossier et entraînent leur démission sous le couvert d’une nouvelle éthique de responsabilité, alors qu’il est clair que la pression des collègues gouvernementaux (et plus particulièrement du Premier ministre)  [73] et des médias était en général plus effective que ce prétendu changement de culture.

76La question du désaccord gouvernemental, ou manquement à une règle de fonctionnement collectif, constitue un autre motif de démission individuelle. Un ministre qui a une conception personnelle de sa politique, de la politique d’un de ses collègues ou de la politique globale du gouvernement divergente de celle du gouvernement dans son ensemble se trouve devant une alternative. Puisque le fonctionnement interne à l’exécutif impose la procédure de consensus  [74], le ministre peut, soit émettre une démission protestataire afin de se désolidariser publiquement du reste du gouvernement, soit ne pas plier et courir le risque de se voir révoqué par le chef de l’État. Ces deux cas d’exception aux règles de fonctionnement sont notamment illustrés par les démissions le 29 septembre 1991 des ministres VU H. Schiltz et A. Geens s’opposant et se désolidarisant de la politique d’exportation d’armes du gouvernement  [75]. Ensuite, citons les révocations des ministres RW en 1977 et des ministres et secrétaires d’État FDF en 1980  [76].

77Le nombre de démissions pour raison de désaccord gouvernemental est substantiel : au total, on en dénombre, depuis 1946, treize , se subdivisant entre démissions protestataires (sept) et révocations (six). Mais ces démissions correspondent le plus souvent à une chute de gouvernement dans son ensemble : à huit de ces treize démissions correspondent en effet trois chutes de gouvernements (trois démissions protestataires des membres VU en 1991, deux révocations de ministres RW en 1977 et trois de ministres et secrétaire d’État FDF en 1980).

78Les démissions individuelles de ministres ne limitent pas leurs conséquences au ministre en question, elles concernent également d’autres ministres. Un gouvernement fédéral est construit sur une série d’équilibres, notamment linguistiques  [77], partisans  [78] et géographiques, et toute perturbation de ceux-ci – comme, par exemple, la démission d’un membre du gouvernement – impose une réadaptation et un rééquilibrage de l’ensemble de l’exécutif. Le Premier ministre se trouve ainsi placé devant un choix : soit il décide de choisir le remplaçant du ministre démissionnaire à l’extérieur du gouvernement, en veillant à ce qu’il possède les mêmes caractéristiques que le démissionnaire, l’équilibre étant alors rétabli sans modifier la position des autres membres du gouvernement ; soit le remplaçant est trouvé – pour raisons politiques, de temps ou de commodité – au sein même du gouvernement  [79], ce qui peut impliquer pour le remplaçant une démission de ses fonctions actuelles s’il lui est impossible de cumuler les deux portefeuilles. Par exemple, à la suite de la démission de J.

79Defraigne le 30 juillet 1976 comme ministre des Travaux publics et la nomination à son poste de L. Olivier, alors ministre PLP des Classes moyennes, les différents équilibres internes au gouvernement imposent de facto la démission de celui-ci et son remplacement par L. Hannotte. Le rééquilibrage interne au gouvernement a ainsi engendré sept démissions lors de la période étudiée.

80Enfin, au cours de la vie d’un gouvernement, toute une série d’événements imprévus se produisent et imposent par conséquent de la part de celui-ci des réadaptations. Des menaces extérieures au gouvernement mettent en doute sa survie et imposent de ce fait une réaction adaptée. Cette réaction peut prendre diverses formes : des politiques adaptées aux nouvelles circonstances, la prise en compte de nouveaux acteurs, une réforme institutionnelle ou administrative, etc. ou enfin une adaptation de la structure gouvernementale face à ces menaces extérieures. La nécessité d’une modification de la structure décisionnelle du gouvernement implique ainsi la démission d’un ou plusieurs ministres afin de répondre à de nouveaux enjeux identifiés par le gouvernement. Par exemple, le 23 octobre 1973, il est procédé à un remaniement ministériel important, impliquant la démission de neuf ministres et secrétaires d’État  [80] afin d’‘alléger’ le gouvernement car, avec 22 ministres et 14 secrétaires d’État, la lourdeur de celui-ci était devenue ingérable lors d’événements politiquement délicats. Bref, les démissions pour cause d’adaptation de la structure gouvernementale suite à des changements de son environnement constituent, avec 20 démissions et près d’un cinquième du total des démissions, la seconde raison explicative en importance derrière l’occupation de fonctions politiques à d’autres niveaux.

Fréquence des démissions individuelles de ministres

81En moyenne on dénombre près de deux démissions ou cessations de fonction par an. Comme le montre le graphique ci-dessous, cette valeur moyenne n’est pas uniforme et se répartit de manière inégale selon certaines périodes.

Graphique 1

Nombre de démissions individuelles (1946-1999)

Graphique 1
Graphique 1 : Nombre de démissions individuelles (1946-1999) 12 10 8 6 4 2Nbre démissions 0 1946 1949 1952 1955 1958 1961 1964 1967 1970 1973 1976 1979 1982 1985 1988 1991 1994 1997 Années

Nombre de démissions individuelles (1946-1999)

82La période 1946-1999 peut être subdivisée en plusieurs segments de fréquences de démission sensiblement différentes. Ainsi, de 1946 à 1972, nous ne pouvons comptabiliser que 26 démissions, c’est-à-dire une moyenne d’à peu près une démission par an. À l’inverse, entre 1973 et 1977, le nombre de démissions s’élève à 25, ce qui équivaut à une moyenne annuelle de cinq démissions. L’instabilité de cette période est en partie expliquée par les 15 démissions enregistrées entre 1973 et 1977 pour raisons de survie du gouvernement (scission du RW et remaniement gouvernemental qui en est la conséquence, gouvernement Leburton de 1973 trop lourd, remaniement de 1974 en vue de rendre possible le vote de la loi du 1er août 1974 sur la régionalisation). Par la suite, lors de la période 1978-1987, le nombre de démissions s’élève à 15 en dix ans, c’est-à-dire une moyenne de plus ou moins 1,5 démission par an. La période 1988-1999 voit au contraire le nombre de démissions augmenter : 35 soit une moyenne de plus de 3 par an  [81]. Cette nouvelle tendance à la hausse peut être comprise en faisant référence au nombre de démissions de ministres et de secrétaires d’État afin d’occuper des mandats à d’autres niveaux de pouvoir (22 démissions) et celui de démissions dues à des mises en cause de responsabilités individuelles (10 démissions).

83Notons encore que dix-huit gouvernements n’ont pas connu de démissions individuelles, les 102 cas se répartissant donc sur les dix-sept autres gouvernements. Le gouvernement ayant connu le plus grand nombre de démissions individuelles est Martens VIII (1988-1991), devant Tindemans II (1974-1977) et Leburton (1973-1974), soit trois gouvernements à plus de quatre composantes. En prenant l’année 1968 comme date repère marquant la fin des coalitions bipartites suite à la scission linguistique des partis unitaires, nous pouvons remarquer de grandes différences en chiffres absolus entre ces deux périodes. Entre 1946 et 1967, il se produit seulement 22 démissions de ministres et secrétaires d’État, c’est-à-dire à peu près une démission par an ( plus de 21 % du nombre total des démissions). Entre 1968 et 1999, nous pouvons comptabiliser un nombre sensiblement supérieur de démissions : pas moins de 79 démissions en près de trente ans, ce qui signifie plus de 2,5 démissions par an.

84En ce qui concerne la répartition des motifs de démissions, on constate une seule évolution marquante : les démissions relatives à l’incompatibilité entre deux fonctions grimpe à plus de 40% dans la seconde période, alors qu’elle est de moins de 20% dans la première.

85Soulignons à cet égard le rôle que joue la création des différents gouvernements communautaires et régionaux. Les 13 démissions pour motif d’occupation de fonction communautaire ou régionale enregistrées depuis 1981  [82] attestent de cette nouvelle tendance : les mandats au sein des gouvernements régionaux sont devenus des alternatives recherchées à l’acquisition de portefeuilles du gouvernement fédéral, ou des solutions de ‘recasage’ pour les partis au pouvoir (jusqu’à ce jour, ces transferts ont toujours été possibles car les gouvernements ont toujours été composés de manière symétrique). En effet, ce nombre de 13 démissions pour raison d’incompatibilité avec des mandats régionaux représente à lui seul 31% du nombre total de la sous-période 1981 et 1999, c’est-à-dire 42 démissions.

86Ces chiffres appellent les commentaires suivants. Si le Parlement et le Roi jouent un rôle important en ce qui concerne les démissions individuelles des ministres, le poids d’autres acteurs comme les partis s’avère prépondérant.

87Premièrement, un parti met quelquefois en cause des responsabilités individuelles afin de défendre son image, de restaurer celle-ci, principalement dans des périodes pré-électorales. Ensuite, les remaniements gouvernementaux visent parfois à restaurer l’équilibre intra-partisan au sein du gouvernement, équilibre essentiel lorsqu’il s’agit de réconcilier diverses tendances ou fédérations. Enfin, il arrive à un parti de sanctionner certains ministres, d’en favoriser ou d’en promouvoir d’autres, s’il estime qu’ils servent moins bien ou mieux ses intérêts ou son image. Il convient d’ajouter les cas de démission dans le but d’accéder à la présidence d’un parti, fonction hautement valorisée.

88Lors de transferts de personnes d’une responsabilité ministérielle du gouvernement fédéral vers le gouvernement d’une entité fédérée (ou vice versa), il arrive qu’une démission entraîne une série de changements en cascade. Il n’est pas rare que la démission par un ministre de son poste à un quelconque échelon de pouvoir entraîne celle d’autres membres de son parti afin de rééquilibrer le parti dans la prise de décision, de s’adapter aux conditions changeantes ou de répondre aux attentes personnelles d’un mandataire. Ainsi, le 4 avril 2000, le fait que le ministre-président de la Région wallonne E. Di Rupo décide de se consacrer entièrement à la présidence de son parti entraîne un important repositionnement des socialistes francophones au sein des différents gouvernements. Si l’hypothèse de compositions asymétriques entre gouvernements fédéraux et fédérés venait à se réaliser en Belgique (c’est le cas dans des pays à composantes fédérées plus nombreuses comme l’Allemagne), les partis disposeraient de moins de leviers pour satisfaire l’ambition personnelle de leurs élites.

La performance électorale des partis gouvernementaux

89Dans les pays qui ont adopté la représentation proportionnelle, les gouvernements de coalition sont la règle plutôt que l’exception. Pour les dirigeants de partis susceptibles d’entrer au gouvernement, la décision de participer ou non à un gouvernement de coalition dépend de la conciliation entre éléments de court terme (le fait de se trouver au pouvoir et donc de disposer de leviers pour satisfaire ses membres, d’avoir la possibilité d’influencer les politiques publiques, etc.) et éléments de plus long terme, comme les retombées électorales de cette prise de responsabilités. Les dirigeants de partis sont donc amenés à anticiper les conséquences de cette participation en fonction d’une série de variables et de contraintes : l’état dans lequel se trouve le parti au moment de la formation (la cohésion interne, le dernier résultat électoral), la configuration de la composition politique envisagée (la participation de partis idéologiquement proches, la présence ou non de partis surnuméraires, c’est-à-dire non nécessaires à la formation d’un gouvernement reposant sur une majorité au Parlement), la conjoncture économique et l’état des finances du pays (qui peuvent limiter fortement les marges de manœuvre des partenaires gouvernementaux), etc. Si les conditions ne semblent pas suffisamment réunies pour envisager une issue favorable aux prochaines élections, un parti peut décider de rester dans l’opposition.

90Dans cette troisième et dernière partie, nous proposons une analyse des destins électoraux des partis suite à une participation gouvernementale. Les résultats d’une élection sont comparés à ceux de la précédente. Dès lors l’analyse commence en 1949, afin de disposer de la première comparaison entre les résultats de 1946 (premières élections de l’après-guerre) et les résultats de 1949.

91La théorie du vote rétrospectif  [83] suggère que les partis au pouvoir sont jugés par l’électeur sur leur performance dans la gestion gouvernementale, et plus particulièrement sur la différence entre les promesses émises par les partis lors de la précédente campagne électorale et les actes posés par le gouvernement durant la législature. En l’absence d’autres moyens d’influence de l’opinion (comme des référendums d’initiative, par exemple), les électeurs ne peuvent envoyer un message aux gouvernants que lorsqu’ils sont convoqués aux urnes. Il y a de fortes chances que le vote reflète donc l’avis des électeurs sur la performance électorale du gouvernement :
contrairement aux partis de l’opposition qui sont censés influencer moins fortement les politiques publiques, les partis de la majorité sont en effet confrontés à des critères d’évaluation tangibles (même s’ils sont interprétables différemment selon notamment le degré de fidélité des électeurs à leur parti favori) : la perception que les électeurs ont de la qualité de la gestion des affaires publiques par la majorité sortante et de la marque programmatique de chaque parti dans le bilan politique du gouvernement sortant. On peut donc s’attendre à ce que les partis gouvernementaux soient sanctionnés lorsque leur électorat n’est pas satisfait des politiques du gouvernement et, a contrario, récompensés lorsque le bilan du gouvernement est bon. On peut parler à cet égard de l’effet négatif ou positif de la participation gouvernementale, des hypothèses dérivées de la théorie du vote rétrospectif  [84]. Bien conscients du fait que la participation gouvernementale n’est pas la seule variable explicative des résultats électoraux des partis politiques, nous tentons ici de mettre en évidence certaines régularités sur base de celle-ci. Une véritable analyse multivariée des résultats électoraux de partis gouvernementaux n’est pas envisagée ici, même si l’intervention de certaines variables est suggérée et testée.

Analyse empirique des résultats électoraux des partis gouvernementaux

92Si l’on considère le gouvernement dans son ensemble, en tant qu’entité à part entière, la perte moyenne d’un gouvernement  [85] dans la période 1949-1999 est de 3,5 %  [86]. Seuls les gouvernements Leburton (une tripartite traditionnelle), Tindemans III (centre droit minoritaire) ) et Martens V (centre-droit majoritaire) ont amélioré leur score électoral. Cependant, le principe de ‘ne jamais changer une équipe qui gagne’ ne fut respecté qu’à cette ultime reprise (la même coalition a été reformée suite aux élections), alors que ce sont plutôt des équipes perdantes qui ont été maintenues après la sanction électorale (1965,1971,1978,1991,1995, soit à chaque fois une coalition de centre-gauche), ce qui confirme la faiblesse du lien entre résultats électoraux et participation gouvernementale en Belgique  [87].

93Sur les dix-sept élections qui se sont tenues depuis 1946, les composantes de la coalition gouvernementale n’ont jamais gagné toutes ensemble (ou au minimum obtenu un score électoral égal à celui du scrutin précédent) ; elles ont  [88] perdu ensemble à sept reprises, tandis que dans les dix cas restants, certaines composantes gagnaient (ou stagnaient), alors que d’autres perdaient  [89].

94La moyenne des résultats des partis gouvernementaux pris individuellement  [90] est également négative sur la période de l’après-guerre (-1,5 %)  [91].

95Les partis sociaux-chrétiens ont perdu, parfois de manière spectaculaire ( 6,6 % en 1954 pour le PSC/CVP unitaire, mais aussi 5% ou plus au total des deux ailes de la famille sociale-chrétienne en 1981 et 1999) neuf des seize élections consécutives à leur participation, pour sept victoires ou stagnations  [92] (3 % ou plus en 1950,1977 et 1985). Les bonnes et mauvaises fortunes électorales des sociaux-chrétiens flamands et francophones sont particulièrement parallèles depuis la scission de 1968, avec un coefficient de corrélation de 0.89. Sur les dix élections suivant celles de 1968, les partis sociaux-chrétiens ont tous deux perdu à quatre reprises, alors qu’ils gagnaient ou se stabilisaient ensemble à quatre reprises également. Avant la scission, la famille socialechrétienne était celle qui perdait le plus suite à une participation gouvernementale (elle était aussi la plus importante des trois, ayant même la possibilité de gouverner seule entre 1950 et 1954). Depuis lors, le PSC perd en moyenne la moitié de ce que le CVP perd, mais la taille absolue de ces deux partis n’est pas la même.

96La famille socialiste a toujours perdu des voix suite à une participation gouvernementale, que ce soit avant la scission (où son score était lié à celui des socialistes flamands) ou après. Depuis sa scission, sa participation s’est soldée par deux pertes conjointes et par deux résultats divergents (même si pour un de ces résultats, il s’agissait d’un statu quo pour l’un et d’une faible perte pour l’autre) Depuis la scission des partis traditionnels, le PS est également le parti qui est en moyenne le plus sanctionné après une participation. Il perd près du double de ce que le CVP perd (soit près du quadruple du PSC, autre parti francophone), alors que la taille du CVP est plus importante. Les socialistes flamands se sont quant à eux stabilisés (en 1981) et ont même enregistré un léger gain (en 1995) depuis la scission, mais le SP est en moyenne le deuxième parti à être le plus handicapé électoralement par une participation gouvernementale, et donc le premier dans cette situation en Flandre.

97Des trois familles traditionnelles, la libérale se maintient en général mieux : avant la scission, elle perdait, après une participation gouvernementale, la moitié moins que la famille socialiste qui elle même était moins sanctionnée que la sociale-chrétienne.

98Depuis la scission elle est encore la famille qui perd le moins. Les libéraux francophones sont même les seuls à avoir une moyenne positive. Contrairement au destin étrangement lié des partis sociaux-chrétiens, les partis libéraux ont à chaque fois eu des résultats divergents (après une participation gouvernementale, les libéraux francophones étaient sanctionnés, tandis que les libéraux flamands gagnaient). Enfin, les partis régionalistes (RW, FDF, VU) ont en général lourdement souffert de leur participation gouvernementale, avec une défaite de l’ordre de 3 % en moyenne (que ces partis aient quitté le gouvernement avant les élections – comme ce fut le cas pour chacun d’entre eux à une reprise – ou non).

Tests d’hypothèses

99On envisagera cinq facteurs d’influence du destin électoral du ou des partis au pouvoir : la composition du gouvernement sortant, les enjeux de la législature, la conjoncture économique, le leadership du gouvernement et la durée de vie du gouvernement.

L’effet de la composition du gouvernement

100La composition du gouvernement au pouvoir peut influencer le destin électoral du ou des partis au pouvoir. En effet, dans les pays où la pratique de gouvernements de coalition est la règle, la part de responsabilité de chaque parti de la majorité dans le bilan du gouvernement n’est pas clairement identifiable. En théorie, la possibilité pour l’électeur de sanctionner ou de récompenser un parti dans une coalition gouvernementale est donc réduite par rapport à une telle possibilité dans le cas d’un gouvernement majoritaire homogène, dans lequel la responsabilité du seul parti au pouvoir est évidente.

101Dans le cas belge, seul un gouvernement majoritaire homogène (PSC/CVP) s’est présenté aux électeurs (en 1954). Comparé à la moyenne des autres résultats de ce parti dans sa configuration unitaire (de 1949 à 1968), la perte de 1954 est plus de trois fois supérieure. D’un autre côté, nous constatons que le seul gouvernement de tripartite traditionnelle (Leburton) qui s’est présenté comme tel aux électeurs a quant à lui gagné des voix. Même si nous ne disposons que de peu d’observations, il semble que la clarté de la responsabilité dans la conduite des politiques gouvernementales (évidente dans le cas d’un gouvernement monopartisan, difficile à attribuer dans un gouvernement à trois composantes idéologiquement distinctes dans chaque communauté) plutôt que l’assise parlementaire du gouvernement (alors que plus un gouvernement repose sur une majorité en voix, plus il peut en perdre) est prise en compte par l’électeur pour décider d’une sanction ou non.

102Selon la théorie du vote rétrospectif, les électeurs prennent le bilan (qu’il soit général ou sur un point particulier) de l’équipe au pouvoir comme critère de base pour leur choix dans l’isoloir. L’orientation idéologique du gouvernement peut éventuellement être à l’origine de bilans différenciés et donc de destins électoraux distincts, même si en Belgique les gouvernements de coalition n’ont jamais donné lieu à des alternances claires entre coalitions de droite et coalitions de gauche (pour ne prendre que le clivage socio-économique), tant la famille sociale-chrétienne, parti médian sur cet axe, a occupé le pouvoir à une exception près depuis la Seconde guerre mondiale.

103Du point de vue de l’électorat de cette famille, il est néanmoins intéressant de voir si la sanction a été plus importante dans une configuration de centre-gauche plutôt que de centre-droit.

104Huit gouvernements de centre-gauche se sont présentés aux électeurs. Le gouvernement dans son ensemble a perdu en moyenne 6 % : alors que les socialistes perdaient en moyenne plus que les sociaux-chrétiens avant la scission de ces deux familles, c’est l’inverse qui se produit depuis lors, et la perte de loin la plus importante est celle du CVP (-2,1 % depuis 1968, -3,1 % depuis 1978), soit plus du double que la perte du PS dans une même configuration (perte moyenne de 1,5 % depuis 1978).

105D’un autre côté, six gouvernements de centre-droit sont allés aux élections. En moyenne, ce type de gouvernement ne perd que 0,5 %. Pour chacune des deux familles dans cette configuration gouvernementale, les pertes d’avant scission sont importantes (plus importantes encore que celles du parti socialiste unitaire dans les coalitions de centre-gauche) et presque équivalentes (-3,7 % pour les sociaux-chrétiens, - 3,5 % pour les libéraux). Depuis la scission, le PRL et le PSC ont tout deux des résultats positifs après une participation gouvernementale (près de 1 % pour le premier et plus de 0,5 % pour le second), mais le plus grand bénéficiaire n’est autre que le CVP. Le PVV (puis le VLD) est le seul parti gouvernemental à perdre dans une telle configuration (un peu plus de 1 %). Le seul gouvernement socialiste-libéral (Van Acker II) se situe entre la moyenne des gouvernements de centre-gauche et celle des gouvernements de centre-droit, avec un recul agrégé de 2,6 % (-1,5 pour les socialistes et–1,1 pour les libéraux, soit une performance bien meilleure que la moyenne des participations de chacun de ces partis – pour la période où ils étaient encore unitaire – avec les sociaux-chrétiens).

106Les pertes des partis sociaux-chrétiens après une participation à des gouvernements de centre-gauche par rapport aux gains de ces mêmes partis après une participation dans des gouvernements de centre-droit  [93] suscitent plusieurs types d’interprétations. Tout d’abord, soulignons que dans des coalitions de centre-droit, le rapport de forces parlementaire entre famille libérale et sociale-chrétienne a été très déséquilibré (il était de 1 à 5 dans la législature 1958-1961) jusqu’en 1981 (dans la coalition de centre-droit la plus équilibrée, la famille libérale représente 85 % du poids de la famille sociale-chrétienne). Dans des coalitions de centre-gauche, les rapports de forces étaient tout autre : la représentation de la famille socialiste valait, au minimum, 70 % de celle de la famille sociale-chrétienne (législature 1979-1981), et l’a même outrepassé à deux reprises (en 1988 et en 1991). On est en droit de penser que l’électorat social-chrétien a moins sanctionné son parti (sa famille politique) lorsque le poids de ce dernier au sein de la coalition lui a permis de plus aisément imposer ses vues. Deuxièmement, cette moins bonne performance des partis sociaux-chrétiens suite à une participation au sein d’une coalition de centre-gauche donne à penser que l’électorat de droite des partis sociaux-chrétiens est plus volatil que leur électorat de gauche. La fuite d’une partie de l’électorat social-chrétien suite à une coalition de centre-gauche ne s’accompagne jamais d’un renforcement des partis socialistes mais semble plutôt profiter aux partis libéraux, alors que les transferts de voix entre partis gouvernementaux semblent (en surface, sur base des résultats agrégés)  [94] plus importants suite à une coalition de centre-droit (en 1961 – pour les partis unitaires – et en 1987 – au Nord du pays uniquement – les défaites sociales-chrétiennes profitent aux libéraux et les gains des sociaux-chrétiens au Nord provoquent des pertes chez les libéraux flamands). Compte tenu des moyennes observées selon la coloration du gouvernement, on peut faire l’hypothèse que l’électorat social-chrétien de gauche passe (ou passait) moins volontiers au Parti socialiste que l’électorat social-chrétien ne passe (ou ne passait) au parti libéral (et vice versa, en particulier en Flandre).

L’effet des enjeux de législature

107Différentes composantes du bilan gouvernemental peuvent se dégager selon les priorités que le gouvernement a voulu s’imposer. Dans le cas belge, la réforme de l’État a souvent été à l’agenda depuis les années 1960. Érigée en priorité par plusieurs gouvernements, elle a été à l’origine de diverses crises politiques. Certains observateurs estiment que le temps et l’énergie consacrés à la réforme de l’État sont mal perçus par une partie de la population car elle éclipse d’autres dossiers importants (notamment économiques et sociaux) qui touchent les électeurs de plus près  [95]. D’autres indiquent que les réformes de l’État peuvent être ressenties comme autant de trahisons des partis signataires pour les électeurs les plus régionalistes (insatisfaits de la timidité des réformes ou amers face aux avancées obtenues par l’autre communauté).

108Pour cette diversité de griefs potentiels  [96], nous faisons l’hypothèse que le gouvernement qui a à son bilan (ou en tout cas au sein de la législature) une réforme significative de l’État sera plus sévèrement puni qu’un gouvernement qui n’a pas mis cette question à l’agenda ou qui n’a pas traduit ce débat en décision.

109Le fait, pour les partis gouvernementaux francophones et pour le CVP, d’obtenir des moyennes positives suite à des coalitions de centre-droit alors que dans des coalitions de centre-gauche toutes les composantes sont pénalisées (cf. supra) est également à interpréter en fonction d’une régularité souvent méconnue : les principales réformes de l’État et les législations sensibles sur le plan communautaire ont été adoptées par des coalitions de centre-gauche (ou, en tout cas, une coalition de centregauche a voté ces avancées et s’est présentée seule aux électeurs, les acteurs additionnels ne faisant plus partie de la coalition). Les coalitions de centre-droit ont mis le communautaire ‘au frigo’ ou ne sont pas parvenues à adopter des décisions majeures dans ce domaine, causant moins de remous dans les milieux régionalistes des deux communautés. Compte tenu du poids des familles traditionnelles dans la période étudiée (et donc de la faiblesse de la famille libérale vis-à-vis des deux autres avant les années 1990), il est par ailleurs normal que ce soient des coalitions de centre-gauche (ou ayant le centre-gauche comme base) qui se soient naturellement imposées lorsque la volonté ou la nécessité de former un gouvernement disposant d’une majorité des deux tiers se manifestait. L’appui des deux principales forces politiques (le CVP et le PS) dans chacune des deux grandes communautés, même si il n’était pas obligatoire, a sans doute été recherché pour faciliter l’acceptation des réformes par la population de ces deux communautés. Cet endossement était d’autant plus probable que ces deux partis s’avéraient à chaque fois (comme le prouvent leurs résolutions de congrès et programmes électoraux) demandeurs de réformes. En moyenne, le gouvernement qui a adopté des mesures importantes dans la réforme de l’État (ou qui s’est présenté aux électeurs en 1965,1971,1981,1991 et 1995) perd plus de deux fois plus et les partis qui composent ce gouvernement perdent 1 % de plus par rapport aux moyennes 1949-1999 mentionnées plus haut. Il est intéressant de constater que les sociaux-chrétiens (parti unitaire, PSC ou CVP) perdent trois fois plus qu’à l’accoutumée (le CVP perd à nouveau le double de ce que le PSC perd) tandis que les socialistes, eux, perdent en moyenne moins que dans leur moyenne générale. Sans doute l’interprétation de l’opposition flamande, largement répercutée dans les médias afin de mettre la pression sur l’électorat du CVP, selon laquelle le poids du PS lui permet de mettre un bémol aux revendications flamandes et d’engranger des concessions favorables aux francophones, a-t-elle un effet sur les résultats du CVP, accusé suite à une avancée institutionnelle d’avoir trahi les intérêts flamands  [97].

L’effet de la conjoncture économique

110Comme mentionné plus haut, l’électeur est sans doute plus sensible à des évolutions qui le touchent de plus près, comme des décisions qui influent sur son bien-être. En cas de mauvaise conjoncture économique, le gouvernement disposera de moins de moyens pour la bonne conduite des politiques publiques et pour l’amélioration des conditions de vie des citoyens. Ne sentant pas d’évolution positive de son bien-être, l’électeur sera tenté de rendre le gouvernement responsable de la situation économique du pays (et donc, indirectement, de la sienne) et de le sanctionner aux élections suivantes, ce qui est moins susceptible de se passer en cas de bonne conjoncture économique. Une analyse conjointe des résultats des partis gouvernementaux et de l’évolution d’un indicateur important pour la population, le taux de chômage, est proposée ici comme reflétant le lien avec la conjoncture économique générale du pays. En ce qui concerne le lien entre la situation économique et le vote pour les partis gouvernementaux, on constate, en utilisant diverses opérationalisations de l’évolution du taux de chômage  [98], que celle-ci n’intervient pas ou intervient dans le sens inverse à celui attendu. En effet, la corrélation entre résultats des partis gouvernementaux et l’évolution du taux de chômage est assez nettement positive (entre r=0,37 et r=0,55 pour le gouvernement dans son ensemble et entre r=0,34 et r=0,47 pour les partis pris individuellement), ce qui veut dire que plus le taux de chômage descend (une note positive au bilan du gouvernement), plus la performance électorale des partis gouvernementaux est mauvaise. En moyenne, un parti gouvernemental perd 1 % de plus lorsque l’emploi s’est amélioré que lorsqu’il s’est détérioré pendant la législature écoulée. Une analyse plus fine et comprenant d’autres indicateurs économiques mériterait d’être entamée, car ce résultat contre-intuitif suggère que soit l’électeur n’identifie pas le gouvernement comme responsable de l’évolution du taux de chômage (celle-ci serait la simple conséquence de l’évolution de la conjoncture internationale), soit que la politique de l’emploi n’est pas le critère sur lequel il se base pour voter.

L’effet du leadership du gouvernement

111Une analyse systématique des résultats, sur la période entière, du parti du Premier ministre, pourrait révéler un certain effet induit par la perception des électeurs sur le leadership du gouvernement. Ce parti est en effet censé être identifié par l’électeur comme le parti le plus responsable du bilan du gouvernement (c’est également en général le parti le plus imposant en sièges de la coalition).

112L’hypothèse selon laquelle le parti du Premier ministre devrait perdre davantage que les autres partis du gouvernement semble confirmée : il perd en moyenne légèrement plus que n’importe quelle autre composante d’un gouvernement. En liant l’analyse de l’évolution du taux de chômage à celle du parti détenteur du poste de Premier ministre, nous constatons que la perte est plus importante lorsque la situation de l’emploi s’améliore.

L’effet de la durée de vie du gouvernement

113Enfin, un courant théorique récent  [99] considère que les partis au pouvoir disposent, avec le droit de dissoudre les assemblées (et donc de tenir des élections anticipées), d’une importante arme stratégique qui peut être utilisée à des fins électorales et partisanes. Selon les auteurs en question, le choix de faire partie d’un gouvernement n’est pas limité à la période de formation de celui-ci, mais est en fait une décision remise en question à chaque fois qu’un événement extérieur intervient ou que des tensions entre partenaires se font ressentir. Lupia et Strøm estiment (notamment)

114qu’une dissolution est d’autant plus probable que certains partis au pouvoir s’attendent à de larges gains en cas d’élections anticipées (notamment par le truchement de sondages d’opinions favorables) et que ces gains escomptés sont plus importants que ceux que ces partis pourraient dériver d’une renégociation de leur participation (avec les mêmes partenaires ou dans une autre coalition). De plus, ils considèrent que les coûts d’opportunité à dissoudre le Parlement décroissent à mesure que l’on se rapproche de la fin de la législature. Dès lors, plus la fin prévue de la législature est proche, moins il faut que l’événement extérieur ou les tensions internes au gouvernement soient de grande ampleur pour que les partis au pouvoir décident de dissoudre le Parlement. Pour ce faire, les partis au pouvoir peuvent se concerter et arriver à un accord sur la dissolution ou un parti nécessaire au maintien du gouvernement (en raison des ‘incitants’ mentionnés plus haut) peut provoquer une crise gouvernementale en s’assurant que la solution la plus probable de cette crise soit bien la dissolution anticipée.

115En analysant les résultats d’élections anticipées d’au moins un an, on constate que le gouvernement dans son ensemble perd près de 2 %, alors que si la dissolution a lieu dans la quatrième année de la législature et/ou au terme normal de la législature, la perte du gouvernement est presque de 5 %  [100]. La différence est encore accrue en prenant comme unité d’analyse le parti plutôt que le gouvernement dans son ensemble : un parti gouvernemental perd en moyenne plus de trois fois plus lorsque le gouvernement va presque jusqu’à son terme (au minimum aux trois quarts de son terme) par rapport au cas où l’assemblée a été dissoute dans les trois premières années de la législature. En comparant les moyennes des scores des familles traditionnelles (une moyenne pour le parti unitaire, une moyenne pour le parti flamand et une moyenne pour le parti francophone), on se rend compte que les socialistes ont, toutes époques confondues, toujours réalisé de meilleurs scores lors d’élections anticipées (d’au moins un an) que lors d’élections plus proches du terme de la législature.

116Pour la famille sociale-chrétienne, seul le CVP depuis 1968 s’est mieux comporté lors d’élections approchant du terme (le parti unitaire et le PSC depuis 1968 vérifient quant à eux l’hypothèse), tandis que dans la famille libérale, seul le PVV (puis le VLD) a de meilleurs résultats lors d’élections anticipées. Il est possible que le CVP, en tant que plus grand parti du Royaume, parti de gouvernement et titulaire du poste de Premier ministre dans la période étudiée, sorte plus honorablement d’une participation lorsque le gouvernement arrive au terme normal de la législature. S’identifiant à l’image de principal gage de stabilité du pays, il serait jugé comme tel par les électeurs sur sa capacité à empêcher des démissions précoces.

Commentaires sur l’analyse empirique

117En conclusion de ce chapitre, rappelons que l’ampleur des victoires et des défaites électorales des partis gouvernementaux est à nuancer en fonction de l’assise parlementaire des coalitions gouvernementales et des partis en question. Il est plus important de souligner qu’un gain ou une perte électorale ne sont pas toujours traduits par un gain ou une perte en sièges, et que le poids relatif des partenaires potentiels d’une nouvelle coalition peut tout autant s’en trouver perturbé qu’inchangé. Enfin, une ‘victoire électorale’ n’est pas toujours une ‘victoire politique’ dans un pays où les coalitions se négocient entre présidents de partis : ainsi, une radicalisation du message d’un parti peut très bien se traduire par une victoire en voix et en sièges, mais peut avoir l’effet pervers de rendre ce parti moins fréquentable aux yeux de ses partenaires potentiels, l’excluant ainsi de l’accès au pouvoir  [101]. De plus, plus la victoire électorale est grande, plus le parti en question s’avérera gourmand au cours des négociations de formation, une perspective qu’anticipent les autres partis en évitant de le considérer comme partenaire. Enfin, un gain électoral n’est pas toujours une victoire en regard des attentes du parti. Si celui-ci est longtemps resté dans l’opposition, s’est profondément réformé ou bénéficie de sondages favorables, un léger gain peut être une profonde déception  [102]. Ces éléments aident à comprendre pourquoi l’effet (électoral) négatif de la participation n’est pas synonyme de renversements systématiques des gouvernants. C’est une des raisons pour lesquelles la perspective électorale souvent peu attrayante d’une participation n’empêche pas la plupart des partis qui se présentent aux élections dans nos démocraties parlementaires de garder une vocation gouvernementale  [103].

Tableau 3

Résultats électoraux des partis gouvernementaux, 1946-1999

Tableau 3
Tableau 3 : Résultats électoraux des partis gouvernementaux, 1946-1999 Gouvt Spaak I V A III – Huysmans Spaak II–III Eyskens I D – Ph - V H V A IV Eyskens II Eyskens III Lefèvre Harmel V D B I Eyskens IV Eyskens V Leburton Tindemans I Tindemans II Tindemans III Tindemans IV – VDB II Martens I Martens II Martens III M IV – M. Eyskens Martens V Martens VI–VII Martens VIII Martens IX Dehaene I Dehaene II Moyennes En activité Non Non Oui Oui Oui Oui Non Oui Oui Non Oui Oui Non Oui Non Non Oui Oui Non Non Non Oui Oui Oui Non Oui Oui Oui 1945- 1999: Année élection 1949 1949 1949 1950 1954 1958 1961 1961 1965 1968 1968 1971 1974 1974 1977 1977 1977 1978 1981 1981 1981 1981 1985 1987 1991 1991 1995 1999 CVP –0.4 +1.4 +1.4 +2.9 +2.9 +2.9 –0.1 –6.8 –6.8 –6.8 –6.8 +2 –1.8 –2.7 –2.7 +0.4 -3.1 –0.8 –1.7 +1.1 +4.1 –6.6 –5 –5 –7 –2.8 –2.8 –2.7 PSC –1.2 +0.9 +0.9 +0.7 +0.7 +0.7 +0.3 –3 –3 –3 –3 +0.9 ±0 –0.3 –0.3 ±0 -1.8 –0.4 SP ±0 ±0 ±0 ±0 –2.9 –2.9 +0.6 -2.9 –1.3 –2.6 –1.8 –1.8 –1.8 –1.5 –8.4 –0.3 –0.8 –0.5 –0.5 –1.6 –2.4 PS –0.3 –0.3 –0.3 –0.3 –2.2 –2.2 –1.6 -1.7 –1.5 VLD +0.9 –1.9 –1.9 –1.9 +2.5 –2.2 +0.8 –0.6 –1.1 +6.4 –4.1 –1.1 +1.3 –0.7 –1.2 PRL –1.2 +1.8 +1.8 +1.8 +2.6 +1.6 –0.8 +0.4 FDF +0.2 –3.1 –3.1 RW –2.9 –2.9 VU –3 –2.2 –3 PCB/ KPB –4.8 –3.5 Gouvt –1.8 –0.2 –0.7 ±0 –6.6 –2.6 –5 –3.7 –15.4 –3.1 –3.5 –2.4 +1.8 +1.5 +3.5 +0.6 +3.5 –4.2 –13.2 –10.1 –5 –10.1 +2.3 –1.8 –10.3 –8.1 –0.6 -9.5 –1.5 Moyen- ne partis +0.2 ±0 –6.6 –1.3 –1.85 –7.2 –1.3 –0.8 +0.3 +0.1 –0.8 –2.4 +0.6 –0.45 –2.1 –0.15 -2.4 Les résultats des partis qui ont quitté le gouvernement peu de temps avant des élections sont représentés en italiques. Les moyennes sont calculées exclusivement pour les partis qui se sont présentés aux électeurs comme partis du gouvernement sortant (les partis qui ont quitté le gouvernement peu de temps avant des élections ne sont donc pas pris en compte). Nous distinguons également les moyennes des partis traditionnels avant et après leur scission respective avant d’agréger ces résultats dans une moyenne couvrant l’entièreté de l’après-guerre par famille.

Résultats électoraux des partis gouvernementaux, 1946-1999

Notes

  • [1]
    P. DUMONT et L. DE WINTER, « La formation et le maintien des gouvernements (1946-1999) », Courrier hebdomadaire, CRISP, n°1664,1999,59 pages. Pour un condensé des analyses développées dans ces deux numéros du Courrier hebdomadaire du CRISP, cf. L. DE WINTER, A. TIMMERMANS, P. DUMONT, « Belgium : on government agreements, evangelists, followers, and heretics », in W.-C. MÜLLER, W.C. and K. STRØM (eds) Coalition Governments in Western Europe, op. cit., pp. 300-355. Cet ouvrage comprend une étude similaire de douze autres pays. Le financement du volet belge de ce projet de recherche a été assuré par le Fonds de la recherche fondamentale collective (FRFC). L. De Winter et P. Dumont sont respectivement directeur et secrétaire du Centre de politique comparée (CPC) de l’Université catholique de Louvain (UCL).
  • [2]
    À paraître : L. DE WINTER and P. DUMONT, « Towards a general model of the duration and complexity of the coalition bargaining process », in W.-C. MÜLLER, W.C., K. STRØM and T. BERGMAN (eds) Coalition Governance in Parliamentary Democracies, Oxford, Oxford University press, 2002.
  • [3]
    Cette convention s’avérait nécessaire pour la comparaison de durée de vie des gouvernements. Les critères utilisés ici ont déjà guidé notre analyse empirique de la durée de vie des gouvernements belges, cf. P. DUMONT et L. DE WINTER, « La formation et le maintien des gouvernements (1946-1999) », op. cit.
  • [4]
    Ce fut le cas en 1977, quand les ministres du Rassemblement wallon furent révoqués. Léo Tindemans ne présenta pas la démission de son gouvernement alors que celui-ci avait changé de composition politique et d’assise parlementaire (devenant minoritaire à la Chambre). Selon notre définition, il y a pourtant ‘démission’ car un changement de gouvernement a été opéré.
  • [5]
    À plusieurs reprises, le chef de l’État a refusé la démission du gouvernement. Ce fut le cas notamment en 1963 avec le gouvernement Lefèvre à l’occasion de dissensions en son sein, ce fut également le cas lors de changements de titulaire du pouvoir exécutif (démission refusée par le roi Léopold III à J. Duvieusart en juillet 1950, par le roi Baudouin à J. Pholien en juillet 1951, par le roi Albert II à J-L. Dehaene en août 1993).
  • [6]
    Par exemple, en 1946, le gouvernement minoritaire Spaak ne reçoit pas la confiance lors du vote d’investiture de la Chambre des Représentants (90 oui – 90 non – 15 abstentions).
  • [7]
    En réalité, c’est l’assemblée qui a voulu la démission du gouvernement (et qui a échoué dans son entreprise) qui est dissoute, soit la seule Chambre des Représentants (la seule devant laquelle le gouvernement est encore responsable), mais sa dissolution entraînerait celle du Sénat. Cette issue n’est pas prévue explicitement dans l’article 96 de la Constitution, mais elle a été suggérée par l’ancien Premier ministre Jean-Luc Dehaene dès les travaux préparatoires à la réforme.
  • [8]
    La conséquence d’une démission d’un gouvernement pour d’autres raisons que celles stipulées dans ce nouvel article (nous étudions en détail ces autres raisons plus loin) peut être la dissolution de la Chambre si le Premier ministre le propose au Roi et qu’une majorité absolue des membres de la Chambre se prononce en faveur de cette dissolution (qui entraîne celle du Sénat).
  • [9]
    Par exemple, la chute du gouvernement Martens II en 1980 suite à l’échec de l’adoption au Sénat d’un article de loi de réforme institutionnelle nécessitant une majorité des deux tiers.
  • [10]
    Le mode de décision au sein du gouvernement étant collégial, la responsabilité des décisions prises en Conseil des ministres est collective (Cf. P. DUMONT, L. DE WINTER, « La formation et le maintien des gouvernements (1946-1999) », op. cit.). C’est en se référant à cette règle que le gouvernement Spaak II de 1948, par exemple, présente sa démission au Roi suite à des critiques envers son ministre de la Justice Struye.
  • [11]
    Pour une vue de la rareté et du caractère éphémère des gouvernements minoritaires en Belgique de 1946 à 1999, cf. P. DUMONT, L. DE WINTER, « La formation et le maintien des gouvernements (1946-1999) », op. cit.
  • [12]
    Citons la ‘grève’ des ministres socialistes qui force le gouvernement de Mark Eyskens à démissionner en 1981.
  • [13]
    Par exemple en 1966, lorsque le Premier ministre Harmel présente à deux reprises sa démission au Roi. Après le refus d’une première démission et le souhait explicite de celui-ci de voir le gouvernement solliciter la confiance du Parlement, le Roi acceptera la seconde offre de démission alors même que le gouvernement n’a pu se présenter devant les chambres (les ministres socialistes ayant décidé de démissionner, le Premier ministre pouvait présager de l’issue d’un vote au Parlement, son gouvernement n’y disposant logiquement plus de la majorité).
  • [14]
    Par exemple, le conflit interne au PSC unitaire dans le gouvernement Van den Boeynants I en 1968.
  • [15]
    Exemple parmi tant d’autres, la démission du gouvernement Dehaene II offerte le 14 juin 1999, soit le lendemain des élections.
  • [16]
    Avis rendu par un collège de juristes le 11 mars 1977, F. DELPÉRÉE, Chroniques de crise, CRISP, 1983, p. 197.
  • [17]
    La déclaration de révision énumère les articles ouverts à révision et est votée à la majorité simple, tandis que les chambres constituantes (celles qui émergeront des élections) devront dégager une majorité des deux tiers pour que les articles ouverts dans la déclaration de révision (et exclusivement ceux-là) soient amendés. Ce fut notamment le cas en 1987 lorsqu’un gouvernement de transition eut pour mission de faire voter une déclaration de révision de la Constitution.
  • [18]
    Notamment en 1974, avec la chute du gouvernement Leburton.
  • [19]
    Ce fut le cas en 1971, avec la chute du gouvernement Eyskens IV.
  • [20]
    Par exemple, la révocation des ministres FDF du gouvernement Martens I en 1980.
  • [21]
    Compte tenu des équilibres à respecter dans la répartition des portefeuilles, les ministres qui démissionnent sont dans leur écrasante majorité (plus de 95 %) remplacés par des excellences provenant du même parti que leur prédécesseur.
  • [22]
    Ce fut notamment le cas en 1958 avec l’entrée de ministres libéraux au gouvernement, celui formé par Gaston Eyskens suite aux élections étant auparavant minoritaire à la Chambre des représentants.
  • [23]
    Élaborée à la lumière des règles et coutumes constitutionnelles en vigueur, des enseignements de la science politique et de l’analyse des cas concrets de démissions dans la période allant de 1946 à 1999.
  • [24]
    Celles-ci sont notamment celles prévues par la Constitution (confiance rejetée, méfiance).
  • [25]
    Comme par exemple la démission présentée par J.-L. Dehaene à Albert II en août 1993, suite au décès du Roi Baudouin et à la prestation de serment du nouveau Roi.
  • [26]
    La chute causée par dissolution anticipée des chambres relève à l’origine de raisons comportementales (cause), même si la démission ne sera souvent présentée ou acceptée qu’à la suite des élections qui ont pour effet cette démission de nature technique du gouvernement.
  • [27]
    Le cas de décès ou de maladie grave du Premier ministre serait à l’intersection entre la chute pour raison technique (puisque selon notre définition un changement de Premier ministre équivaut à un changement de gouvernement) et événement personnel. Étant donné qu’aucun cas n’est recensé en Belgique depuis 1946, nous n’intégrons pas cette catégorie dans l’analyse.
  • [28]
    Il peut arriver que le Roi accepte dans un premier temps la démission du gouvernement, puis, qu’à l’issue de tentatives infructueuses de formation de gouvernement, le dernier recours soit la dissolution anticipée des chambres. Dans ce cas, si la volonté du monde politique est de voir les prochaines chambres constituantes, le Roi peut revenir sur sa décision et refuser la démission du gouvernement afin que celui-ci, pleinement investi de ses pouvoirs, puisse élaborer et faire voter en toute liberté une déclaration de révision de la Constitution. Ce fut notamment le cas en 1968 avec le gouvernement Van den Boeynants I.
  • [29]
    Voir, par exemple et comme indiqué plus haut, le refus de démission du gouvernement Lefèvre en 1963 et le rejet de la première offre de démission du gouvernement Harmel en 1966. Le Roi force (ou tente de forcer) ainsi les partenaires à trouver une solution.
  • [30]
    Cf. P. DUMONT, L. DE WINTER, « La formation et le maintien des gouvernements (1946-1999) », op. cit.
  • [31]
    Pour une définition nuancée et commentée de la notion d’affaires courantes, cf. F. DELPÉRÉE, Le droit constitutionnel de la Belgique, Bruylant, Bruxelles, 2000 ; M. UYTTENDAELE, Précis de droit constitutionnel belge : regard sur un système institutionnel paradoxal, Bruylant, 2001 ; X. MABILLE, J. BRASSINNE, « La formation du gouvernement et des exécutifs », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1356,1992, pp. 32-34.
  • [32]
    Ou dans le cadre d’élections provoquées par l’adoption d’une déclaration de révision de la Constitution sans que le gouvernement qui était au pouvoir n’ait démissionné.
  • [33]
    Dans le cas exceptionnel d’impossibilité de former un gouvernement et d’obligation de recourir à nouveau à des élections, le gouvernement ne serait officiellement relevé de ses fonctions qu’après l’issue fructueuse d’une formation consécutive à ces nouvelles élections.
  • [34]
    Voir le cas du gouvernement Tindemans III suite à la révocation des ministres RW en 1977 dans F. DELPÉRÉE, Chroniques de crise 1977-1982, op. cit., p. 23.
  • [35]
    Rappelons que notre analyse porte sur les démissions au sens large (qui recouvre la fin d’un gouvernement et son remplacement par un autre) et non pas au sens juridique strict.
  • [36]
    P. DUMONT et L. DE WINTER, « La formation et le maintien des gouvernements (1946-1999) », op. cit.
  • [37]
    De 1946 à 1968, les déclarations de révision de la Constitution furent toujours adoptées en fin de législature, sans anticipation des élections.
  • [38]
    Le gouvernement Martens II disposait encore d’un majorité des deux tiers au Sénat alors qu’il n’en disposait plus à la Chambre. En introduisant son projet au Sénat, le Premier ministre espérait sans doute forcer quelques indécis dans l’opposition à s’abstenir (afin de rallier les deux tiers) à la Chambre suite au vote positif des sénateurs. Le 26 mars 1980, en séance publique du Sénat, l’article 5 du projet était pourtant rejeté. Invoquant un article du règlement du Sénat, le Premier ministre obtint le vote, en seconde lecture, de l’article rejeté. En liant ce vote au vote de l’ensemble du projet de loi le 2 avril, cette procédure permettait à W. Martens d’essayer de convaincre les cinq sénateurs CVP qui s’étaient abstenus le 26 mars, mais aussi de poser implicitement la question de confiance aux partenaires de la majorité (cf. F. DELPÉRÉE, Chroniques de crise 1977-1982, op. cit., p. 96). À nouveau, et de manière encore plus nette, l’article 5 n’obtiendra pas la majorité des 2/3.
  • [39]
    Le premier avait subi le rejet d’un vote sur l’ordre du jour suite aux débats sur les interpellations de membres de la majorité.
  • [40]
    La proportion est encore plus importante, 18/26 si l’on omet les gouvernements de transition, eux-mêmes conséquences de conflits entre partenaires du gouvernement précédent.
  • [41]
    Dans le cadre de la présentation du plan d’Egmont contenant des mesures en matière de relance de l’économie, de résorption du chômage et d’adaptation des budgets.
  • [42]
    Tout comme le budget des PTT, en faveur duquel tous les députés RW votèrent, marquant ainsi leur désaccord sur le seul, mais important dans un contexte de crise économique, budget des Affaires économiques.
  • [43]
    Même si, dans un premier temps, les milieux gouvernementaux ne reconnaissent pas qu’il s’agit bien d’une révocation et que ce mot n’est pas présent dans le libellé de l’arrêté royal du 4 mars. Néanmoins, cet arrêté royal par lequel le Roi « décharge les ministres de leur fonction » ne mentionne pas que ces ministres ont été démis de leur fonction ‘à leur demande’ mais bien ‘sur proposition du Premier ministre’. Invités le 3 mars à se retirer suite à un désaccord sur la politique du gouvernement, les ministres RW n’ont pas eu l’occasion d’obtempérer, le Premier ministre prenant les devants en demandant leur révocation, un fait sans précédent dans l’histoire politique de la Belgique (F. DELPÉRÉE, Chroniques de crise 1977-1982, op. cit., pp.17-23).
  • [44]
    Le vote en faveur du budget des P.T.T. laisse à penser que la première hypothèse est la bonne, l’ultimatum sur le dialogue de communauté à communauté fait plutôt pencher la balance en faveur de la seconde.
  • [45]
    Alors qu’une dissolution sans démission n’a rien d’inconstitutionnel (cf. F. DELPÉRÉE, Chroniques de crise 1977-1982, op. cit., pp.26-28).
  • [46]
    À nouveau, le terme ‘révocation’ ne sera pas utilisé dans l’arrêté royal accordant aux ministres et au secrétaire d’État FDF leur ‘démission’, alors que ceux-ci refusaient explicitement de démissionner. Il n’en est pas moins vrai que leur cessation de fonction était la conséquence d’une révocation.
  • [47]
    En omettant le gouvernement de transition Van den Boeynants II (1978).
  • [48]
    Tout comme le fait que le CVP est le parti le plus clairement fractionnalisé, traversé par deux clivages : outre les standen (ACV, NCMV, Boerenbond), illustrant la diversité de ses composantes sur l’axe socio-économique il est également divisé entre défenseurs de la Belgique fédérale et défenseurs exclusifs de la Flandre.
  • [49]
    Van den Boeynants I (1966-1968), Leburton (1973-1974), M. Eyskens (1981), Martens V (1981-1985) et IX (1991).
  • [50]
    Il l’avait déjà fait au retour du Roi Léopold III, en juillet 1950, lequel avait alors refusé sa démission.
  • [51]
    À l’inverse, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, les démissions individuelles de ministres sont devenues quant à elles plus souvent motivées par ou sollicitées en raison de l’intervention de facteurs externes (cf. infra).
  • [52]
    cf. P. DUMONT, L. DE WINTER, « La formation et le maintien des gouvernements (1946-1999) », op. cit..
  • [53]
    « The separation of the national Belgian parties has built a strong mechanism to shorten the life of coalitions » (K. DESCHOUWER, « The termination of coalitions in Belgium », Res Publica, 1,1994, p. 46).
  • [54]
    En ce qui concerne ‘la double symétrie’ dans la composition politique des gouvernements belges, cf. P. DUMONT, L. DE WINTER, « La formation et le maintien des gouvernements (1946-1999) », op. cit.
  • [55]
    Seront considérés ici, indifféremment, ministres et secrétaires d’État.
  • [56]
    M. UYTTENDAELE, Précis de droit constitutionnel belge : regard sur un système institutionnel paradoxal, op. cit., pp. 374-384.
  • [57]
    Il est à remarquer que le Roi ne refuse cette démission que dans le cas où le ministre accepte de rester en fonction.
  • [58]
    Cf. M. UYTTENDAELE, Précis de droit constitutionnel belge : regard sur un système institutionnel paradoxal, op. cit., 2001.
  • [59]
    Qui est une cause de cessation de fonction et que nous assimilons donc, ici, à une démission au sens large.
  • [60]
    F. DELPÉRÉE, Le droit constitutionnel de la Belgique, op. cit., pp. 877-901.
  • [61]
    Cf. F. DELPÉRÉE, Le droit constitutionnel de la Belgique, op. cit.
  • [62]
    Cf. P. DUMONT, L. DE WINTER, « La formation et le maintien des gouvernements (1946-1999) », op. cit.
  • [63]
    Devant la seule Chambre des représentants depuis 1995 (article 101 de la Constitution).
  • [64]
    Cf. F. DELPÉRÉE, Le droit constitutionnel de la Belgique, op. cit. Pensons au cas d’un ministre sans portefeuille nommé pour mener à bien des réformes institutionnelles, avec la durée variable que cette mission pourrait prendre, ou à un poste destiné par exemple à préparer le pays à une échéance internationale fixe, comme l’entrée en vigueur d’un traité international.
  • [65]
    Lors du remaniement ministériel du 23 octobre 1973, il sera remplacé par J. Ramaekers.
  • [66]
    Il est à remarquer que toutes les démissions qui se sont produites afin d’occuper un poste au sein d’un parti se sont faites exclusivement au niveau de la présidence du parti, aucun autre poste au sein de l’appareil de parti n’étant de niveau comparable à celui d’Excellence fédérale.
  • [67]
    Dans la pratique, un poste de gouverneur est occupé jusqu’à l’âge de la retraite. Couplé au fait que ce poste est rare eu égard au nombre limité de provinces, il est normal de ne compter que deux cas de démissions de ministres pour cette raison durant la période 1946-1999 (M. Brasseur en 1965 et M. Tromont en 1983). Le poids des présidents de partis pour la promotion de leurs candidats (qu’il s’agisse pour eux de libérer des places au sein de l’exécutif fédéral ou de remercier sincèrement des mandataires désireux de se retirer sur leurs terres) est à cet égard prépondérant.
  • [68]
    M. Tromont, démissionnaire le 9 juin sera remplacé par A. Bertouille, tandis que A. Demuyter sera remplacé le 20 janvier par P. Hatry à la Région bruxelloise et par L. Olivier en ce qui concerne le portefeuille des classes moyennes.
  • [69]
    Ils seront remplacés, dans la gestion de leurs portefeuilles, respectivement, par M. Smet et W. Martens déjà membres du gouvernement.
  • [70]
    Il est à remarquer que le cas du ministre Pholien est particulier et suscite une réflexion. Le 1er septembre 1952, la politique du ministre PSC/CVP de la Justice, J. Pholien, est remise en cause par le président et le comité national de son parti. Il sera poussé à la démission et remplacé par L. Lagae. Le gouvernement au pouvoir était alors monocolore, ce qui renforçait d’autant la prépondérance du parti dans la gestion journalière et à long terme du gouvernement, et donc son poids sur la composition de celui-ci.
  • [71]
    Il sera remplacé dans ses fonctions par deux ministres SP : par J. Vande Lanotte comme vice-Premier ministre et par E. Derycke aux Affaires étrangères.
  • [72]
    Ces trois affaires entraînent dans leur sillage la démission de J. Vande Lanotte (SP) et S. De Clerck (CVP) dans le cas de l’évasion de Dutroux en avril 1998, celle de L. Tobback (SP) pour la mort de Semira Adamu en septembre 1998 et celles de K. Pinxten (CVP) et M. Colla (SP) en ce qui concerne la crise de la dioxine, en juin 1999.
  • [73]
    Ainsi, en 1997, devant les accusations de pédophilie proférées par un jeune mythomane à l’encontre du vice-Premier Di Rupo (PS), le Premier ministre Dehaene estima que si la pression n’empêchait pas son ministre de travailler normalement, celui-ci n’avait pas à démissionner. E. Di Rupo ne démissionna pas.
  • [74]
    P. DUMONT, L. DE WINTER, « La formation et le maintien des gouvernements (1946-1999) », op. cit., pp. 45-46.
  • [75]
    H. Schiltz sera remplacé par W. Demeester-De Meyer (CVP) au budget et à la politique scientifique, tandis que A. Geens sera remplacé par E. Derycke (SP) à la coopération au développement.
  • [76]
    Il est à remarquer que ces démissions par manque de solidarité gouvernementale de la part des ministres VU en 1991 mais aussi la révocation des ministres RW en 1977 et ministres et secrétaires d’État FDF en 1980 ont entraîné la chute du gouvernement dans lequel ils possédaient leurs portefeuilles.
  • [77]
    La parité linguistique au Conseil des ministres est garantie par l’article 99 de la Constitution.
  • [78]
    P. DUMONT, L. DE WINTER, « La formation et le maintien des gouvernements (1946-1999) », op. cit., pp. 38-41.
  • [79]
    Pourvu que le prescrit constitutionnel de parité linguistique soit respecté.
  • [80]
    Sont démissionnaires : J. Ramaekers (Réformes institutionnelles), R. Urbain (Logement et aménagement du territoire wallon), M. Vandewiele (Logement et aménagement du territoire flamands), M. Verlackt-Gevaert (Famille), I. Petry (Coopération au développement), M. Kempinaire (Commerce extérieur), H. Fayat (Politique portuaire), W. Schijns (Cantons de l’est et tourisme), L. Hannotte (Classes moyennes).
  • [81]
    À ce jour et depuis 1999, la Belgique a connu trois nouvelles démissions de ministres ou secrétaire d’État fédéraux. Le 4 avril 2000, le socialiste R. Demotte démissionne de son poste à l’économie et à la recherche scientifique afin de devenir ministre du Budget, des Sports et de la Culture au sein du gouvernement de la Communauté française et est remplacé par Ch. Picqué. Le 12 octobre 2000, le secrétaire d’État au Commerce extérieur P. Chevalier, suspecté de fraude et d’abus de confiance, remet sa démission et est remplacé par A. Neyts. Enfin, J. Gabriëls, devient, le 7 juillet 2001, ministre flamand de l’Économie, du Commerce extérieur et du Logement.
  • [82]
    Les exécutifs communautaires et régionaux ne font plus partie intégrante du gouvernement fédéral dès le 7 décembre 1981. La première démission afin d’occuper une fonction régionale enregistrée après cette date est celle de J. Mayence. Le 9 juin 1983, J. Mayence démissionne du gouvernement Martens V afin de remplacer A. Bertouille au sein de l’exécutif régional wallon. Elle sera remplacée par F. X. de Donnea en tant que secrétaire d’État à la Coopération au développement.
  • [83]
    M.-P. FIORINA, Retrospective Voting in American National Elections, New Haven, Praeger, 1981.
  • [84]
    Dans K. STRØM, Minority Governments and Majority Rule, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, l’auteur suggère que dans le cas de gouvernements de coalition, l’effet de la participation pour les partis individuels soit le plus souvent négatif (notamment en raison des compromis inhérents à cette forme de gouvernement). À l’inverse, aux États-Unis, le président mais aussi les parlementaires sortants disposent de ressources tellement importantes pour faire campagne que leur réélection est grandement facilitée. Le fait d’avoir été élu une première fois donne ainsi un avantage au candidat sortant.
  • [85]
    Pour chaque composante de la majorité sortante, on fait la somme des pertes et des gains de, pour les dix-sept gouvernements qui se sont présentés aux électeurs depuis 1946 ; ces résultats agrégés sont additionnés et cette somme est divisée par le nombre d’élections législatives, soit dix-sept.
  • [86]
    Cf. tableau 3. Les chiffres mentionnés se comprennent par rapport au total des votes valables émis pour l’élection de la Chambre des représentants sur le territoire du Royaume lors de l’élection précédente, et non pas par rapport à la taille en voix du gouvernement ou du parti lors de l’élection précédente. La plus récente analyse comparée (à paraître : H.-M. NARUD and H. VALEN, « Coalition Membership and Electoral Performance in Western Europe », in W.-C. MÜLLER, W.C., K. STRØM and T. BERGMAN (eds) Coalition Governance in Parliamentary Democracies, Oxford, Oxford University Press, 2002) révèle que c’est en Espagne que le gouvernement sortant est le plus sanctionné (une perte de près de 10% en moyenne calculée après la dictature franquiste). L’Allemagne (pour laquelle la moyenne est calculée sur la période d’après-guerre comme pour la Belgique) se situe à l’autre extrême avec une perte moyenne de moins de 1 %. Au sein des pays européens qui ont connu une démocratie continue dans l’après-guerre, la Belgique est parmi ceux (avec l’Irlande et le Luxembourg) dont les partis au gouvernement ont le plus souffert électoralement. La perte moyenne générale, pour 17 pays d’Europe occidentale est de 2,6 %.
  • [87]
    Cette faiblesse est largement la conséquence de la complexité des formations de gouvernements en Belgique (cf. P. DUMONT et L. DE WINTER, « La formation et le maintien des gouvernements (1946-1999) », op. cit.) et non pas une caractéristique anti-démocratique voulue de notre système.
  • [88]
    En 1954, le PSC/CVP seul, puisqu’il était la seule composante du gouvernement.
  • [89]
    Ce résultat confirme ce que différentes études comparées signalaient déjà, à savoir que le destin des composantes gouvernementales a tendance à être le plus souvent différencié (R. ROSE and T. MACKIE, « Incumbency in government : asset or liability ? », in H. DAALDER and P. MAIR (eds) Western European Party Systems : Continuity and Change, London, Sage, 1983 ). D’où l’intérêt de l’étude des résultats individuels des partis afin d’identifier quelles sont les conditions dans lesquelles ceux-ci se comportent le mieux.
  • [90]
    Pour chaque composante, la somme des pertes et des gains est divisée par le nombre de composantes du gouvernement pour un obtenir un score moyen pour chaque partenaire ; ces scores moyens sont additionnés pour les dix-sept gouvernements qui se sont présentés aux électeurs depuis 1946 et la somme est divisée par le nombre d’élections, soit dix-sept.
  • [91]
    Dans leur analyse groupée de 544 cas (soit dix fois plus que notre base de données belge) dans dix-sept pays différents, Narud et Valen observent une perte moyenne de 1 %.
  • [92]
    Le terme ‘stagnation’ est ici pris à la lettre, soit un gain inférieur ou une perte inférieure à 0,1 %. Le SP en 1981, mais aussi le PSC en 1987 et 1995 ont connu une stagnation électorale.
  • [93]
    D’une perte de plus de 2 % à un gain d’un % pour le CVP et d’une perte de 1 % à un gain moyen de 0,5 % pour le PSC.
  • [94]
    Cette interprétation a clairement ses limites, étant donné que ce ne sont pas les transferts de voix entre partis (uniquement identifiables à l’aide de sondages post-électoraux) qui sont analysés mais seulement les pertes et gains visibles des partis qui sont comparés.
  • [95]
    Rétrospectivement, l’instabilité gouvernementale des années 1970 et les longs débats sur les questions communautaires des décennies suivantes sont souvent cités comme des facteurs qui ont contribué à l’accroissement de la dette publique en détournant les milieux gouvernementaux de ces enjeux budgétaires.
  • [96]
    Qui peuvent paraître moins théoriquement fondés mais qui semblent confirmés par une série de résultats : en 1965,1971 et 1981, les partis régionalistes (ou certains d’entre eux) sont en progression (ou en redressement), en 1995 le PRL fait partie des vainqueurs (tout comme le VB et le VLD) en s’adjoignant le FDF considéré comme en déclin (tandis que les écologistes sont pénalisés alors qu’ils participaient aux accords de la Saint-Michel), ce qui semble corroborer l’hypothèse des électeurs régionalistes insatisfaits des avancées faites par les partis au gouvernement. Les résultats de 1991, qui voient la montée des partis extrémistes et de l’alternative écologiste, illustrent quant à eux la distance entre les demandes des électeurs et les préoccupations des hommes politiques (dont les problèmes communautaires, clairement à l’agenda dans la législature 1987-1991).
  • [97]
    On parle en Flandre de kaakslag nationalisme, c’est-à-dire d’un nationalisme exacerbé par chaque petite concession faite aux francophones, systématiquement considérée comme un véritable affront, une gifle pour le peuple flamand. Ce type de discours systématique sur le clivage communautaire à destination de sa propre Communauté n’a pas de réel correspondant en Wallonie.
  • [98]
    Nous avons utilisé deux types de mesure dans cette analyse : tout d’abord la différence entre le taux de chômage de l’année précédant les élections (car le taux moyen de l’année en cours n’est pas connu avant la fin de l’année en question) et le taux de chômage de l’année de l’élection précédente (évolution sur la législature) ; ensuite, nous avons réitéré l’analyse en prenant la différence entre le taux de chômage de l’année précédant les élections et le taux de chômage de l’année qui la précède (évolution la plus récente). Les résultats sont similaires. Les chiffres utilisés proviennent de la Banque nationale de Belgique ((http :// www. bnb. be)et remontent à l’année 1953. En conséquence, notre analyse est limitée à la période 1958-1999.
  • [99]
    A. LUPIA and K. STRØM, « Coalition termination and the strategic use of timing of elections ». American Political Science Review, vol. 89,1995, pp. 648-665 ; K. STRØM and S.-M. SWINDLE, The strategic use of parliamentary dissolution powers. Paper presented at the ECPR Joint Sessions of workshops, Copenhagen, April 14-19,2000.
  • [100]
    Strøm et Swindle ainsi que Narud et Valen arrivent aux mêmes résultats (au minimum un doublement de la perte électorale lorsque les élections ne sont pas anticipées) dans leur analyse comparée.
  • [101]
    Citons ici comme contre-exemple la stratégie de recentrage idéologique de la Fédération PRL-FDF-MCC avant les élections de 1999 et de participation à certaines réformes alors que ce parti se trouvait dans l’opposition.
  • [102]
    L’attitude de Guy Verhofstadt, alors président de parti, suite aux résultats du VLD en 1995 alors que ce parti était donné premier de Flandre dans les sondages, est un bon exemple de ce cas de figure.
  • [103]
    Les autres raisons relevant des avantages de l’exercice du pouvoir (notamment en termes d’influence sur les politiques publiques et d’occupation de postes clés).
Français

Résumé

De récentes recherches indiquent que les circonstances dans lesquelles un gouvernement a démissionné déterminent en partie la formation du suivant. D’où l’intérêt de connaître les causes de démission. C’est l’objet de la première partie de ce Courrier hebdomadaire. En Belgique, on constate que la plupart des démissions de gouvernements ne sont pas liées à des événements extérieurs critiques ni à la fin normale de la législature, ni même au contrôle parlementaire, mais bien à des conflits internes à la coalition sur les deux clivages les plus pertinents depuis 1946, le communautaire et le socio-économique.
Dans la deuxième partie, l’analyse des 102 démissions individuelles de ministres et secrétaires d’État de la période permet de faire le lien entre facteurs d’instabilité gouvernementale et d’instabilité ministérielle.
La troisième partie est consacrée aux performances électorales des partis qui ont participé à un gouvernement. Les auteurs mettent en lumière l’impact la plupart du temps négatif d’une participation gouvernementale sur les résultats électoraux des partis. Cet impact négatif n’est pas le même pour tous les partis, la famille sociale-chrétienne souffrant plus d’une participation au pouvoir que la famille socialiste et celle-ci plus que la famille libérale. Les partis régionalistes ont quant à eux beaucoup souffert de leur participation ponctuelle à un gouvernement. Mais la perspective électorale souvent peu attrayante d’une participation au pouvoir n’empêche cependant pas les partis qui en ont fait l’expérience de garder une vocation gouvernementale.

De récentes recherches indiquent que les circonstances dans lesquelles un gouvernement a démissionné déterminent en partie la formation du suivant. D’où l’intérêt de connaître les causes de démission. C’est l’objet de la première partie de ce Courrier hebdomadaire. En Belgique, on constate que la plupart des démissions de gouvernements ne sont pas liées à des événements extérieurs critiques ni à la fin normale de la législature, ni même au contrôle parlementaire, mais bien à des conflits internes à la coalition sur les deux clivages les plus pertinents depuis 1946, le communautaire et le socio-économique. Dans la deuxième partie, l’analyse des 102 démissions individuelles de ministres et secrétaires d’État de la période permet de faire le lien entre facteurs d’instabilité gouvernementale et d’instabilité ministérielle. La troisième partie est consacrée aux performances électorales des partis qui ont participé à un gouvernement. Les auteurs mettent en lumière l’impact la plupart du temps négatif d’une participation gouvernementale sur les résultats électoraux des partis. Cet impact négatif n’est pas le même pour tous les partis, la famille sociale-chrétienne souffrant plus d’une participation au pouvoir que la famille socialiste et celle-ci plus que la famille libérale. Les partis régionalistes ont quant à eux beaucoup souffert de leur participation ponctuelle à un gouvernement. Mais la perspective électorale souvent peu attrayante d’une participation au pouvoir n’empêche cependant pas les partis qui en ont fait l’expérience de garder une vocation gouvernementale.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/02/2006
https://doi.org/10.3917/cris.1722.0005
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