CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La décentralisation est l’un des leviers utilisés par le nouveau pouvoir sud-africain pour rompre avec le régime d’apartheid. Elle fut introduite dans la Constitution intérimaire de 1993 qui avait été conçue de sorte que l’accession au pouvoir de Nelson Mandela, en 1994, correspondît de facto au commencement d’une nouvelle ère politique, sociale et économique pour la République d’Afrique du Sud. Son principe a été confirmé, voire renforcé, dans la Constitution de 1996, au point qu’elle semble être l’une des plus abouties qui aient jamais été expérimentées à travers le monde. Le gouvernement du pays est réparti entre trois « sphères » qui, constitutionnellement, ont le même rang. À l’image des structures de l’État central reposant sur un parlement et un gouvernement national, les neuf provinces du pays sont dotées d’un parlement provincial et d’un gouvernement provincial. Il n’existe pas d’organe législatif à l’échelle des territoires communaux. Néanmoins, la Constitution (chap. 7, sect. 151-4) garantit aux « gouvernements locaux », ou municipalités, une autonomie et une capacité d’exercer leurs pouvoirs sans être entravés par les autres sphères de gouvernement.

2Du fait de ce principe d’égalité des statuts (même rang) entre le gouvernement national et le gouvernement provincial, l’idée selon laquelle l’État sud-africain présenterait nombre de caractéristiques d’un État fédéral a déjà été formulée [Tapscott, 1998]. Le problème se complique quelque peu avec l’introduction de la sphère locale. Du fait de leur nombre et de leur disparité – quoi de commun entre une municipalité rurale située dans les confins du Northern Cape et celle de Johannesburg ? -, il est difficile de traiter des pouvoirs locaux dans leur ensemble. On notera seulement que la création de six aires métropolitaines, dotées de compétences plus complètes que les autres catégories municipales, suscite des questions concernant les risques, sinon de désagrégation de l’unité nationale, du moins d’autonomisation de pôles puissants susceptibles, par exemple, de contrecarrer ou limiter les politiques de régulation, ou de rééquilibrage de l’aménagement du pays, mises en œuvre par l’État central ou les provinces. Les principales attributions des municipalités sont la gestion des services publics et la promotion du développement local. Les six métropoles concentrent déjà le tiers de la population nationale et produisent plus de 60% de la richesse du pays. Si les gouvernements métropolitains appliquent avec succès leurs politiques de développement social et économique, transformant leur ville en havre de prospérité relative (réduction sensible de la pauvreté et des inégalités, économie locale dynamique, compétitive et bien intégrée dans l’économie internationale), n’auront-ils pas une capacité sans cesse croissante de « s’autonomiser » par rapport aux gouvernements national ou provinciaux, voire de s’opposer à eux dans le cadre de conflits d’intérêts stratégiques ?

3La décentralisation fait ses tout premiers pas puisque les structures municipales conformes à la Constitution de 1996 ont été mises en place à la suite des élections locales du 5 décembre 2000. L’heure n’est donc pas au bilan et il serait hasardeux de parier sur ce que réserve l’avenir. Cependant, après avoir analysé l’esprit de la loi et la volonté politique de l’État en matière de décentralisation, la métropole de Durban, qui compte environ 3,2 millions d’habitants, servira de cadre de réflexion sur les contraintes ou possibilités d’émergence de pouvoirs métropolitains forts en Afrique du Sud.

La décentralisation ou le mariage de la démocratie et de l’efficacité gestionnaire

4L’option d’une décentralisation audacieuse a été choisie par l’African National Congress (ANC) et ses alliés lors de l’élaboration du programme de reconstruction et de développement (RDP) qui allait servir de charte, au moins de 1994 à 1996, au gouvernement nommé par Nelson Mandela. La décentralisation, notamment à travers les structures de gouvernement les plus proches des populations – les municipalités -, paraissait être l’un des plus sûrs moyens de rompre avec la logique autoritaire, raciste, ségrégationniste, du régime d’apartheid et de redonner le pouvoir aux citoyens. Cet objectif d’empowerment a sans nul doute primé pour les initiateurs de la décentralisation. Cependant, il semble que leur volonté de réforme des structures de l’État ait, pour partie également, été guidée par une réflexion sur les dynamiques de l’urbanisation en Afrique du Sud et leur ralliement à l’idée que les villes sont le cœur du développement économique et social.

Les municipalités au banc d’essai : la période de transition 1995-1996/2000

5La Constitution de 1996 n’est pas, en matière de gouvernement local comme en bien d’autres domaines, en rupture complète avec le cadre constitutionnel intérimaire qui avait été adopté en 1993. Elle l’amende et le complète plus qu’elle ne le refonde. Ainsi, les fonctions et attributions essentielles des actuels gouvernements locaux sont approximativement les mêmes que celles qui les ont précédés de 1995-1996 (premières élections municipales démocratiques en Afrique du Sud) à décembre 2000. Leur sont assignés les objectifs de fourniture des services publics (eau, électricité, assainissement, collecte des ordures, voirie et transports municipaux, etc.), de promotion du développement économique et social et de mobilisation des communautés pour tout ce qui concerne la vie et l’administration de la municipalité. En revanche, la politique à appliquer pour atteindre ces objectifs et ses fondements idéologiques ont été sensiblement reconsidérés. Cette évolution est la conséquence logique du changement de cap opéré par le gouvernement national qui a abandonné son projet de société initial, le RDP, au profit d’une stratégie purement macroéconomique, la GEAR (Growth, Employment and Redistribution : a macro-economic strategy), publié par le ministère des Finances le 16 juin 1996).

6La stratégie macroéconomique GEAR a été résumée de manière limpide par le Centre pour le développement et l’entreprise.

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« La GEAR est en cohérence avec le fort consensus actuel concernant l’efficacité de l’économie de marché. Reconnaissant le poids de la mondialisation de l’économie, elle insiste sur le besoin d’une stratégie de croissance orientée vers le marché, de discipline fiscale et de mise en confiance des investisseurs […]. Elle voit la création d’emplois à travers une plus grande flexibilité du marché du travail […]. La stratégie propose une réduction du déficit budgétaire de 6% à 3% du PIB ; la libéralisation du marché des capitaux ; un programme de privatisation et un objectif de croissance annuelle de 6% ».
[CDE, 1997 : 6]

8Ainsi, se ralliant à la doctrine libérale mondialement dominante, les gouvernants sud-africains ont, en ce qui concerne la gestion des municipalités comme pour le reste, mis en avant, imposé, les principes conformes à cette doctrine. Le gouvernement local est en charge des services publics ; il a donc le devoir de veiller à ce qu’ils soient financièrement viables, donc payés par les consommateurs ; qu’ils soient efficaces, donc qu’ils bénéficient, à travers la privatisation, des capitaux et du savoir-faire du secteur privé. Le gouvernement local doit, aux termes de la Constitution, agir pour le développement (development-oriented). Néanmoins, le développement ne consiste pas seulement en des mesures sociales de rattrapage des inégalités et d’amélioration du cadre de vie des plus défavorisés. Le gouvernement local est avant tout responsable de la vitalité de l’économie locale sans laquelle le développement social est illusoire. Pour stimuler la croissance, il doit attirer les investisseurs et donc se mettre au service du secteur privé : faciliter l’accès au foncier, aux transports locaux et aux communications, à l’électricité et au traitement des déchets ; il doit proposer un cadre de vie susceptible d’attirer et de retenir les populations les plus qualifiées et les plus solvables, etc.

9Tous ces principes ont été clarifiés et intégrés dans des textes de loi ou réglementaires sur la base d’une observation de la première tentative de municipalisation qui s’est étendue de novembre 1995 (ou mai-juin 1996, selon les provinces) à décembre 2000. Le territoire national avait alors été mis sous la juridiction de 843 autorités locales (conseils locaux, conseils ruraux, conseils de districts, conseils métropolitains…). Au vu notamment des résultats du « projet viabilité » lancé en 1995, les autorités nationales et provinciales ont considéré que le découpage en 843 municipalités n’était pas viable et que nombre de municipalités, notamment rurales mais aussi semi-urbaines, n’auraient jamais les moyens de leur autonomie administrative et de leur développement endogène en raison de leur incapacité à rassembler les ressources humaines et financières requises [Lootvoet, 2000].

10C’est dans ce contexte que le Livre blanc sur le gouvernement local a été publié en 1998. Ce document réaffirme l’ambitieuse vision que les pouvoirs publics ont conçue pour les municipalités. D’elles essentiellement dépendront la capacité et la rapidité à rompre avec le passé, rattraper les retards, combattre la pauvreté, assurer une croissance durable, fournir un environnement sain et sécurisé à tous les citoyens [MPACD, 1998 a]. Le Livre blanc a donné lieu à la promulgation de trois lois décisives pour le futur de la décentralisation.

Imposer des règles strictes pour mieux émanciper

11La première loi organise le découpage des juridictions locales (Municipal Demarcation Act de 1998 [RSA, 1998 a]), dont les effets se mesurent à l’aune du séisme qu’a connu le paysage municipal tel qu’il avait été conçu pour la période transitoire. Le nombre des municipalités sud-africaines est passé de 843 à la date du premier scrutin démocratique local de 1995-1996, à 284 lors du scrutin de décembre 2000. Cela est le résultat du travail du Conseil indépendant (le Demarcation Board), nommé à l’issue de la promulgation de cette loi. La « philosophie » du Conseil tenait en quelques principes simples. Il fallait une réduction drastique du nombre des municipalités afin de concentrer les ressources humaines insuffisamment nombreuses et faire des économies d’échelle en matière d’administration locale. Il fallait surtout augmenter la taille du territoire municipal afin de disposer d’un espace plus vaste pouvant constituer les contours géographiques d’une économie locale homogène. Combiner les centres urbains et leur hinterland rural apparaissait comme l’un des moyens d’atteindre l’objectif. Il s’avérait nécessaire de renforcer encore la capacité à gouverner des autorités métropolitaines en faisant éclater le découpage en districts, qui était appliqué pendant la période de transition, au profit d’une structure unifiée (concept de unicity).

12La deuxième loi définit les structures municipales (Municipal Structures Act de 1998 [RSA, 1998 b]). Elle détermine les différentes catégories de municipalités et l’étendue de leurs pouvoirs en fonction de leur taille et surtout de la qualité de leurs ressources humaines et financières, de leur capacité à se gérer de façon autonome. Il existe trois catégories ; l’une, la catégorie A, regroupe exclusivement les six aires métropolitaines (Durban, East Rand, Johannesbourg, Le Cap, Port Elizabeth, Pretoria) qui ont les prérogatives les plus étendues, l’autonomie la plus grande : un pouvoir exécutif et réglementaire exclusif dans le territoire de leur juridiction.

13La troisième loi déterminante dans l’analyse des modalités de la décentralisation à l’échelle locale en Afrique du Sud est celle (Municipal Systems Act, 1999) relative à la fois à la gestion des ressources financières et humaines, à l’exigence d’une planification intégrée, à la nécessité d’un partenariat dans la production des services publics et à l’optimisation de la gestion [RSA, 1999]. Cette loi et des textes qui l’accompagnent ou la complètent sont une illustration lumineuse de l’abandon de l’esprit du RDP au profit de la doctrine qui sous-tend la GEAR. On y voit que la fourniture des services publics ne doit plus être assurée en fonction des besoins de base, mais selon une approche en termes d’adaptation à la demande solvable (de type demand responsive). Dans ce cadre, consommateurs et fournisseurs (pas nécessairement ou exclusivement les municipalités) négocient le niveau de services à délivrer. C’est le seul moyen de s’assurer du paiement et donc de la viabilité à long terme des services [DBSA, 2000 : 94]. L’échelon local est mieux adapté qu’un autre pour ce type d’interaction, avec la municipalité intervenant comme régulateur ou directement comme fournisseur.

14Deux nouveaux outils de gestion de la production des services sont imposés par la loi aux gouvernements locaux : le plan de développement intégré (IDP) et le système de gestion municipale performante.

15L’IDP est un instrument de planification stratégique, établi sur la base d’une consultation des populations locales. Il doit refléter la vision de la municipalité concernant son développement sur le long terme et évaluer les besoins de restructuration de l’administration locale. Il doit inclure des dispositions relatives à la gestion foncière, un plan financier de trois ans, un plan pour les transports et les éléments essentiels du système d’optimisation de la gestion municipale. Il doit aussi permettre aux municipalités de coordonner les activités de toutes les instances de développement, publiques ou privées, opérant sur leur territoire.

16Le « système de gestion performante » est introduit pour permettre aux municipalités de tester si la production de services est efficace et procure un rendement optimum. Le système détermine le niveau de production conforme aux moyens budgétaires de sorte que le retour sur investissement soit clairement établi. Les municipalités ont à concevoir des indicateurs de performances pour chaque service afin d’évaluer la qualité de la mise en œuvre de l’IDP, le bon usage des ressources et leur capacité à corriger les imperfections de leur gestion. En bref, l’efficacité des services publics se mesure à l’aune de trois conditions qui doivent être réunies simultanément. Premièrement, qu’importe le fournisseur, public ou privé, le consommateur doit pouvoir compter sur des services fiables, facturés au meilleur rapport qualité-prix. Ensuite, lorsque des opérateurs privés sont parties prenantes, ils doivent percevoir un bénéfice en relation avec le risque pris. Enfin, la municipalité ne doit pas abdiquer son rôle de contrôle et de régulation afin de garantir l’équité sociale du système [DBSA, 2000]. Du bon usage de cette fonction de contrôle et de régulation dépendra pour une bonne part la réalité du pouvoir des gouvernements municipaux.

17En dépit des efforts réalisés depuis 1994 par les trois sphères de gouvernement, le ministère des Finances a évalué que, sans intégrer les besoins nouveaux, combler les retards en infrastructures et services de base auxquels les municipalités ont à faire face maintenant, nécessiterait un investissement de plus de R50 milliards [1].sur cinq ans, soit plus de R1O milliards par an. Sur la base de la capacité actuelle d’investissements publics dans ce domaine, le rattrapage pourrait au mieux être réalisé à partir de 2065. Partant de ce type de constat, le gouvernement a assez logiquement ouvert le débat sur les opportunités de partenariats en matière de services publics (Municipal Service Partnerships, MSPs) et le rôle du secteur privé dans la production de ces services. Il en est sorti un Livre blanc que le gouvernement prescrit comme guide d’action aux municipalités [RSA, 2000].

L’idée d’une coopération intergouvernementale

18La Constitution n’inscrit pas le gouvernement local dans un rapport de dépendance fonctionnelle avec les autres gouvernements. Elle intègre des dispositions telles celles relatives aux relations intergouvernementales (son chapitre 3 s’intitule Co-operative Government) qui mettent en exergue les principes de respect des prérogatives de chacun, d’entraide et de coordination. Au regard de la section 154 de la Constitution, les niveaux national et provincial doivent appuyer et consolider les capacités des municipalités à exercer leurs fonctions et à remplir leurs obligations. Ainsi, l’assistance donnée par les autres sphères de gouvernement au gouvernement local a en principe pour but de mieux l’émanciper et non pas le garder dans une relation de dépendance étroite.

19Cela dit, c’est le gouvernement national qui est le maître d’œuvre de la décentralisation, qui la concrétise. L’autonomie du gouvernement local ne peut donc être que relative. Il a des compétences, des prérogatives, des obligations constitutionnelles, certes, mais il opère à l’intérieur d’un cadre qui est largement balisé par le gouvernement national. Ce dernier a des pouvoirs régaliens (en tant que garant de l’intégrité territoriale, de la défense nationale par exemple) et il est aussi bien évidemment responsable d’une politique sociale, économique et financière d’ensemble. La législation du travail ou la politique monétaire doivent s’appliquer identiquement en tout point du territoire national.

20Le chapitre 6 de la Constitution donne au gouvernement provincial le pouvoir de superviser le gouvernement local et d’intervenir dans les affaires municipales dès lors qu’il faillit à ses obligations constitutionnelles. Le gouvernement provincial n’a plus à se substituer aux municipalités mais à en contrôler les performances à travers trois mécanismes : le budget, l’IDP et le système de gestion performante.

21Pendant la phase de transition, parce que les municipalités n’étaient pas encore pleinement opérationnelles, les ministères provinciaux et nationaux ont largement empiété sur les prérogatives des gouvernements locaux ou ont négligé de les impliquer à hauteur de leurs prérogatives constitutionnelles. Les gouvernements provinciaux se sont parfois même totalement substitués à des municipalités qui ne présentaient aucune condition de viabilité. Y a-t-il là de mauvaises habitudes qui auraient commencé à être prises et une tentation de maintenir un rapport de sujétion plus que de partenariat entre les gouvernements national ou provinciaux et les municipalités ?

22Il serait sans doute prématuré de douter de la volonté décentralisatrice des autorités sud-africaines alors que précisément elles viennent de reconstruire l’édifice municipal sur la base d’un redécoupage territorial éliminant les deux tiers des municipalités existant pendant la période de transition mais jugées trop vulnérables. Les 284 municipalités actuelles sont donc censées disposer des capacités administratives et gestionnaires ainsi que des moyens financiers qui leur permettent d’exister hors d’une tutelle pesante des autres sphères de gouvernement. Cela sera d’autant plus vrai que le poids démographique et économique des municipalités est important. Les six métropoles sont, à bien des égards, plus puissantes que certaines provinces.

Les ressources propres : les armes du pouvoir

23Nul besoin d’insister sur le fait qu’une autonomie, même relative, des municipalités dépend de leur capacité à se passer des subventions des autres sphères de gouvernement. Elles ne peuvent ambitionner d’appliquer leur propre politique de développement local qu’à la condition d’en maîtriser le financement. Or, de même que dans tous les pays du monde, pour des raisons à la fois de cohérence de la politique macroéconomique et financière et d’équité (éviter les distorsions entre les différentes régions), le gouvernement central a le contrôle de l’essentiel du système de taxation directe et indirecte : impôts sur les revenus et bénéfices, droits de douane, TVA, etc. Le gouvernement local n’a à sa disposition qu’un outil fiscal à rendement potentiellement élevé, les impôts sur la propriété bâtie ou non bâtie (property rates).

24Cependant, selon la Constitution, les ressources collectées à l’échelle du territoire national ne sont pas la propriété exclusive du gouvernement national et celles-ci doivent être réparties équitablement entre les trois sphères de gouvernement (principe de l’Equitable Share). L’examen du budget de l’exercice 2001-2002 montre que la plus grosse part de l’Equitable Share, 57% environ, revient aux gouvernements provinciaux. Il est vrai que leur capacité à mobiliser des revenus via une fiscalité propre est infime ; elle ne permet que de couvrir 2 à 3% de leurs dépenses. La part du gouvernement national est de 40% et les transferts au bénéfice des gouvernements locaux sont très faibles, de l’ordre de 3% [RSA, 2001].

25Heureusement pour eux, les gouvernements locaux n’ont pas à se contenter des miettes de l’Equitable Share. Pour l’exercice 2000-2001, l’ensemble des dépenses budgétées par les municipalités est de R57,6 milliards répartis entre R46,6 milliards de dépenses courantes et R11 milliards de dépenses en capital. Les municipalités ont donc le contrôle de 25% de la dépense publique sud-africaine (hors remboursement de la dette et des réserves de sécurité de l’État), les parts respectives du gouvernement national et des gouvernements provinciaux étant 31,5% et 43,5%.

2665% du budget municipal global (exercice 2000-2001) est dépensé par les dix principales villes d’Afrique du Sud qui concentrent environ 35% de la population. Le poids des six municipalités métropolitaines est considérable : le montant de leurs budgets additionnés s’élève à plus de la moitié du total des budgets municipaux du pays. Leur puissance financière peut être illustrée à partir de comparaisons avec les budgets des provinces. Par exemple, le budget (fonctionnement plus capital) de la métropole de Durban représente plus du tiers de celui du gouvernement du KwaZulu-Natal. Il est trois fois supérieur à celui de la province du Northern Cape et 10 à 15% plus important que celui des provinces du Free State ou de Mpumalanga.

La puissance financière de Durban

27En moyenne, les municipalités sud-africaines financent leurs dépenses à hauteur de 90% sur des ressources qu’elles mobilisent elles-mêmes. Les transferts de l’État ou de la province ne constituent donc que 10% de leur budget. L’analyse détaillée du budget de Durban pour l’exercice 1999-2000 montre que la métropole est encore moins dépendante des transferts intergouvernementaux que les autres municipalités, car ces derniers ne couvrent que 5,2% des dépenses de son budget de fonctionnement [Khan, Lootvoet, 2001].

28Le budget global de Durban pour l’exercice 1999-2000 était d’environ R7,2 milliards que l’on peut décomposer en R5,7 milliards pour le fonctionnement et R1,5 milliard pour le capital. Il est intéressant de comparer ce dernier chiffre au montant global des investissements en capital financés par le gouvernement national dans le cadre du Consolidated Municipal Infrasructure Programme : R883 millions en 2000-2001 !

29À Durban, en 1999-2000, les ressources du budget de fonctionnement provenaient à 51,1% de la tarification des services marchands (pour l’essentiel l’électricité, 35,4%, et l’eau, 12,8%) et à 25% des impôts locaux – property rates et, dans une moindre mesure, Regional Services Council (RRC) levies [Khan, Lootvoet, 2001].

30Les revenus de placements constituent une autre ressource non négligeable (6,6%, soit davantage que les transferts intergouvernementaux). La gestion financière de Durban est souvent citée en exemple. En 2000, une fois encore, elle a reçu, d’une agence indépendante, Duffs & Phelps Crediting Rating Company, la meilleure cotation d’Afrique du Sud concernant la qualité de sa trésorerie et de son endettement à court et long termes. Si elle a accumulé une dette légèrement supérieure à R3 milliards, elle n’a utilisé que le tiers de la capacité d’endettement qui lui est donnée par la loi au regard de ses ressources. De plus, cette dette est bien plus que compensée par les réserves accumulées (R3,4 milliards en juin 2000) et un portefeuille d’investissement externe (R2,7 milliards) à haut rendement (15,1% en 1999-2000) [Khan, Lootvoet, 2001].

31Héritant d’un budget sain, le gouvernement métropolitain durbanite dispose donc a priori de sérieux atouts pour remplir ses fonctions. Néanmoins, compte tenu de l’ampleur des problèmes économiques et sociaux à résorber (cf. infra), les politiques de développement local qu’il faut mettre en œuvre requièrent des moyens encore plus importants.

32Les nouvelles autorités métropolitaines travaillent actuellement sur leur premier budget, celui de 2001-2002 (le budget 2000-2001 ayant été hérité de la précédente structure municipale), qui devrait être d’environ R7,7 milliards, soit 6,2 milliards pour le fonctionnement et 1,5 milliard pour l’investissement.

33Contraint par la législation et la réglementation récentes, le gouvernement local s’est engagé dans une réflexion sur la réforme des services publics afin d’en améliorer l’efficacité, le rapport qualité/prix pour le citoyen-consommateur et le retour sur investissement pour la municipalité et ses partenaires [2]. L’exercice s’avère plus compliqué que prévu en raison des engagements pris pendant la campagne municipale par le parti majoritaire, l’ANC, d’accélérer le rattrapage en matière d’accès aux services pour les plus pauvres en délivrant gratuitement 6 mètres cubes d’eau et 110 kW d’électricité par ménage et par mois. Il s’agit de conjuguer ces dispositions à caractère social et une politique rigoureuse de rentabilisation des services tarifés selon le principe de cost recovery. Les autres défis immédiats qui ont été identifiés par les responsables municipaux sont de contenir le déficit grandissant des transports publics et de s’attaquer au retard d’investissement de R1,5 milliard pour la voirie. Il faut aussi faire face à la charge grandissante de la municipalité en matière d’habitat, à la nécessité de déployer plus largement la police municipale, et de soutenir des centres de santé.

34Un autre champ de mesures qui, si le pouvoir local a le leadership politique et la capacité administrative de l’appliquer, peut se traduire par une croissance sensible du revenu municipal concerne évidemment la fiscalité. La mairie a d’ores et déjà ouvert le dossier.

L’impôt : un filon à mieux exploiter ?

35« Il est temps pour chaque citoyen de Durban de payer sa contribution au fonctionnement de la cité. » Tel est le message délivré par le maire lors du lancement d’une campagne de sensibilisation des populations concernant le bon usage de la fiscalité locale, en mars 2001. Se référant au boycott des impôts qui, pour des raisons tout à fait explicables, s’est massivement développé dans les années quatrevingt et la « culture de non-paiement » qu’il a engendrée, le maire a insisté sur le fait que la démocratie devait se vivre en premier lieu à l’échelle locale et qu’elle avait des contreparties en termes d’obligations citoyennes et de prise de conscience de l’intérêt général. Et le maire d’ajouter : « Je veux que ce soit clair ; le gouvernement local est une forme de gouvernement séparée de celle du gouvernement national. Il n’est pas subordonné au gouvernement national. Il ne peut pas non plus se présenter devant le gouvernement national avec la sébile du mendiant […]. Une ville comme Durban doit vivre de ses propres moyens et une composante majeure de ses ressources est les impôts locaux » [Daily News, 29 mars 2001]. Le maire a aussi expliqué que le meilleur moyen de créer des emplois était d’attirer des entreprises, et que celles-ci sont d’autant plus enclines à investir qu’elles savent que le système fiscal local fonctionne sur des bases saines, claires et équitables. Si les entreprises ont le sentiment de payer à la place de tout le monde, c’est-à-dire des citoyens qui refusent de contribuer, elles seront rebutées et fermeront leurs portes, laissant de nombreux travailleurs sur le carreau.

36La campagne est relativement adroite car elle ne se réduit pas seulement à une explication sur la nécessité pour chacun de payer ses impôts locaux. Son slogan est « One city, one tax base » ; elle insiste sur l’opportunité qui est donnée, à travers la structure municipale unifiée (unicity), de corriger les inégalités héritées de l’apartheid et qui n’avaient pas pu être traitées pendant la période de transition [3].

37La campagne de sensibilisation s’accompagne également de la coercition. D’ores et déjà plusieurs dizaines de propriétés appartenant à des contribuables défaillants ont été saisies et mises aux enchères à la demande du Trésor municipal. Le gouvernement local a donc la volonté de donner un signal fort en matière de fiscalité. Il reste à vérifier jusqu’où il aura le pouvoir d’aller et comment il réagira dans l’hypothèse où, par exemple, les propriétaires du quartier Jacobs, dans le bassin industriel sud de Durban, mettraient à exécution leur menace de faire la grève des impôts locaux si la qualité des services ne s’améliorait pas. Ceux-ci déplorent la dégradation de la voirie, les défaillances dans le ramassage des ordures et l’invasion des trottoirs par l’informel… [The Mercury, 12 mars 2001]. Le bras de fer entre le percepteur et le contribuable ne se présente pas toujours dans des contextes identiques. Le quartier Jacobs est l’un des foyers fiscaux les plus lucratifs de Durban…

38En résumé, Durban dispose déjà d’un budget non négligeable, qui contribue à l’émanciper en partie de la tutelle des autres sphères de gouvernement, et elle adopte une politique volontariste d’accroissement de ce budget. L’avenir proche dira si elle a l’autorité d’imposer cela à ses citoyens sans subir elle-même de trop lourds dommages politiques. Toujours est-il qu’en matière fiscale comme en d’autres domaines concernant le développement local, les autorités ont l’avantage de pouvoir s’appuyer sur une administration municipale (22000 employés, soit le plus gros employeur dans l’économie locale) qui fonctionne assez bien et sans trop lui coûter. Les charges salariales ne représentent que 25% des dépenses courantes du gouvernement local, ce qui, selon les standards internationaux, correspond à un bon ratio [Unicity Committee, 1999].

Gouverner, c’est gérer la pauvreté

39Selon la philosophie du Conseil de démarcation, le redécoupage des territoires municipaux opéré à la veille des élections de décembre 2000 visait, dans un souci d’harmonie et d’efficacité, à faire coïncider les espaces culturels, politiques et économiques qu’occupent les communautés locales. Il était aussi plus ou moins inspiré par l’idée selon laquelle les pôles urbains et leur hinterland sont en osmose. Ainsi, l’ancienne Durban Metropolitan Area (DMA) a fait place à la Durban Metropolitan Region (DMR) dont la superficie, 2297 kilomètres carrés, est 68% plus vaste que celle de la DMA. Les terres gagnées sont essentiellement rurales et peu densément peuplées ; l’accroissement de population est inférieur à 10%. Aussi bien les experts qui ont travaillé à la construction de la unicity que les responsables actuels de l’administration locale sont incapables de trouver une rationalité économique à ce redécoupage dont les justifications sont essentiellement politiques [4]. Les nouvelles délimitations des frontières ne peuvent se comprendre qu’en référence à une logique de redistribution du pouvoir politique à l’échelle du KwaZulu – Natal entre l’ANC et l’Inkatha.

40L’extension du territoire métropolitain se traduit par un surcroît de charges considérable pour le gouvernement local : pas d’industries ou de zones résidentielles occupées par des populations solvables qui aient été gagnées, mais seulement de vastes espaces démunis en infrastructures et services, peuplés de populations pauvres.

41La tâche en matière de lutte contre la pauvreté et de rattrapage des inégalités était pourtant déjà colossale. Selon les données du recensement national de 1996, 67,4% de la population noire de Durban était pauvre (revenu mensuel par équivalent-adulte inférieur ou égal à R412) et 39,7% ultrapauvre (revenu mensuel par équivalent-adulte inférieur ou égal à R296). Les taux de pauvreté et d’ultrapauvreté étaient respectivement de 20,2 et 2,0% pour les Indiens, 20,6 et 8,0% pour les métis, 2,0 et 1,7% pour les Blancs [5] [Casale, Thurlow, 1999]. Selon une étude compilant les statistiques les plus récentes, les conditions de vie se sont dégradées à Durban au cours de la décennie quatre-vingt-dix ; le revenu moyen annuel par tête ne serait plus que de R19990 (toutes populations confondues) alors qu’il est estimé à R31000 à Johannesbourg et R33000 dans les pays à revenu intermédiaire [Monitor Group, 2000].

42L’effort en investissement dans les infrastructures et les services de base (eau, électricité, assainissement, voirie, etc.), qu’il faudrait consentir pour éradiquer cette pauvreté, peut être suggéré à travers les statistiques sur la qualité de l’habitat. En 1996, 30,2% des ménages noirs de Durban vivaient dans de l’habitat informel (de type bidonville), 10,1% étaient logés dans de petites extensions en arrière-cours de maisons, 7,8% habitaient dans des cases traditionnelles sans confort, 3,2% sous-louaient une pièce dans un appartement collectif [Casale, Thurlow, 1999]. Aujourd’hui, on considère qu’il faudrait construire des habitations (et fournir les services afférents) pour un million de Durbanites vivant dans des logements précaires et insalubres [Khan, Lootvoet, 2001].

43À Durban plus que dans le reste du pays, les politiques de développement économique et social élaborées par le pouvoir local doivent intégrer les conséquences (coût, impact sur la structure du marché du travail qualifié, etc.) du sida. Une étude menée en 2000, sous le contrôle de l’administration publique, dans 400 centres de santé d’Afrique du Sud auprès d’un échantillon de 16000 femmes enceintes donne, selon les classes d’âge, les taux d’infection par le virus VIH suivants : < 20 ans : 16,1%, 20-24 ans : 29,1%, 25-29 : 30,6%, 30-34 ans : 23,3%. Dans le KwaZulu-Natal, la situation est plus dramatique encore car le taux de prévalence chez les femmes enceintes y serait de 36,2%. Les extrapolations réalisées à partir de cette étude établissent que plus d’un Sud-Africain sur dix serait séropositif [The Mercury, 21 mars 2001]. Le rapport publié en 2000 par la South African Human Rights Commission sur les droits économiques et sociaux est encore plus pessimiste. Selon lui, l’espérance de vie qui était de 60 ans en 1998 risque de chuter à 40 ans en 2008.

44La lutte contre la pauvreté dépendra de la capacité des autorités municipales à contribuer, aux côtés des autres acteurs publics et privés, à la baisse du chômage qui est à Durban supérieur à la moyenne nationale, pourtant déjà extrêmement élevée (figure 1).

45Que l’on considère le chômage au sens strict (actifs à la recherche d’un emploi durant le mois précédent l’enquête) ou le chômage au sens large (actifs ne cherchant pas mais aussi ceux ayant renoncé à chercher), les données 1999 de l’enquête ménage annuelle de l’organisme national de statistique confirment que le tiers de la population active de Durban est inemployé [Statistics SA, 2000 ; Casale, 2001]. On ne s’étonnera pas qu’au sortir de l’apartheid les disparités interraciales soient très prononcées, ni que, comme dans la majorité des pays, les femmes soient plus touchées que les hommes. En revanche, les disparités entre citadins et ruraux vivant dans la zone métropolitaine sont plus intrigantes. Deux éléments d’explication peuvent être avancés. Premièrement, l’éloignement relatif des ruraux métropolitains des bassins d’emploi. Deuxièmement, le fait que les populations en échec durable dans leur recherche d’emploi sont reléguées aux confins de la métropole où les conditions de subsistance sont parfois un peu moins pénibles qu’en ville (autoconsommation, etc.).

Figure 1

Taux de chômage à Durban et en Afrique du Sud en 1999 (en pourcentage)

Figure 1

Taux de chômage à Durban et en Afrique du Sud en 1999 (en pourcentage)

Sources : Statistics SA [2000) ; Casale [2001).

46L’enquête est très pessimiste en ce qui concerne l’avenir des demandeurs d’emploi. 71% de l’ensemble des chômeurs n’auraient jamais travaillé. Même pour la classe d’âge 41-65 ans (hommes et femmes confondus), le taux est extraordinairement élevé : 52,3%. Pour les hommes de cette classe, le taux est de 43,7%, ce qui signifie que le chiffre global n’est pas gonflé par la simple entrée sur le marché du travail des femmes ayant fini d’élever leurs enfants.

Le pouvoir d’intervention dans l’économie locale

47La situation du chômage à Durban peut paraître étonnante si l’on a en tête que cette métropole est la deuxième puissance industrielle du pays après l’ensemble Johannesbourg-Pretoria, que son port est le plus important d’Afrique (selon le critère de la valeur des marchandises), que par lui transitent, en valeur, 65% du commerce international sud-africain [Jones, 1998], ou encore que, grâce à ses atouts climatiques, ses plages et les vagues de l’Océan indien, elle est une destination touristique assez prisée. Néanmoins, l’économie locale présente de persistantes faiblesses que le gouvernement local doit intégrer dans sa réflexion sur la définition de ses politiques de développement.

Figure 2

La contribution des métropoles à la richesse provinciale et nationale en 1993 (en pourcentage)

Figure 2

La contribution des métropoles à la richesse provinciale et nationale en 1993 (en pourcentage)

Source : Thurlow [2001].

48Bien qu’il n’ait pas été possible de travailler avec des données actualisées, celles du recensement industriel de 1993 illustrent le poids des métropoles dans l’économie nationale (figure 2). Elles concentrent plus de 55% de la richesse du pays. Leur poids au sein de leur province est également considérable.

Durban se meurt-elle ?

49Sur une période de vingt-cinq ans (1968-1994), la croissance économique de Durban (environ 2% en moyenne annuelle), bien qu’inférieure à la moyenne nationale (2,2%), apparaît très légèrement supérieure à celle des autres métropoles. Cependant, un retournement de tendance s’est produit entre 1988 et 1994. La croissance économique de Durban y est de 0,5% l’an en moyenne, alors qu’elle est d’environ 1,7% au Cap et de 1,4% pour l’ensemble des métropoles. Cela est probablement dû au fait que l’économie de Durban, ainsi que celle des autres métropoles à l’exception du Cap, est fortement tributaire de secteurs industriels en déclin. Durant la période 1988-1994, le secteur industriel a connu une croissance négative de -0,5% en moyenne annuelle dans les métropoles, et de -0,7% à Durban. Le Cap fait exception avec une croissance industrielle légèrement supérieure à 0,2% l’an [Thurlow, 2001].

50Cette récession ne s’est pas arrêtée en 1994 ; Durban connaît toujours une hémorragie de 10 000 emplois industriels par an. Les fondements de sa structure industrielle doivent évoluer en profondeur. De nombreux secteurs de l’industrie durbanite ne sont pas ou plus compétitifs (textile et habillement, chaussure, métallurgie…) car ils avaient initialement été développés dans une logique d’importsubstitution et n’étaient pas préparés à résister à l’ouverture des frontières qui s’est intensifiée depuis le changement de régime. En majorité, les emplois industriels sont concentrés dans des secteurs en déclin (figure 3). Les secteurs les plus compétitifs (industrie chimique) ont peu d’effets multiplicateurs sur l’économie locale et ils sont à forte intensité de capital plutôt qu’à forte intensité de main-d’œuvre.

Figure 3

Contribution au produit local et à l’emploi des principaux secteurs industriels de Durban

Figure 3

Contribution au produit local et à l’emploi des principaux secteurs industriels de Durban

Source : Monitor Group [2000].

51Dans le secteur moderne non industriel existent des gisements de croissance. Par exemple, celle du secteur des transports et communications est évaluée à presque 5% l’an en raison des développements dans les communications, certes, mais aussi en raison du moteur économique que constitue toujours le port. Les services aux entreprises et la finance ont connu une croissance moyenne annuelle de 2 à 2,5% ces dernières années.

Le pouvoir local courtise le secteur privé

52Il serait pour le moins utopique de concevoir que le pouvoir local puisse élaborer une politique méso-économique de soutien à la croissance, favoriser l’adaptation des entreprises aux contraintes macroéconomiques, influer directement sur la compétitivité de l’économie locale dans un contexte de globalisation. Néanmoins, il ne renonce pas, bien au contraire, à jouer un rôle de facilitation, voire d’impulsion, dans des initiatives de développement prises soit par le secteur privé soit par des communautés. Après avoir organisé, en octobre 2000, un sommet de la croissance économique rassemblant tous les acteurs publics et privés concernés par l’économie locale, il ambitionne d’ouvrir dès 2001 une agence de promotion de l’investissement. Il entend créer un environnement de plus en plus favorable aux investisseurs privés en facilitant leur installation mais aussi en discutant avec les différents secteurs d’activités des politiques d’aménagement et d’investissement dans les services et infrastructures. Pour négocier avec le secteur privé moderne, il peut s’appuyer sur sa propre analyse de l’économie locale. Il est doté d’un département de développement économique de haut niveau, dont les capacités sont, en cas de besoin, renforcées par l’expertise de bureaux privés ou d’universitaires.

53Le conseil métropolitain a également engagé deux dossiers qu’il considère comme majeurs en matière de développement économique local, celui de la promotion du secteur informel et celui du tourisme.

54L’intérêt soudain pour le secteur informel et, au-delà, pour les petites entreprises découle de la prise de conscience par les autorités locales qu’un actif seulement sur trois est employé dans le secteur formel et que la majorité des emplois industriels sont concentrés dans des secteurs en déclin. Le changement d’attitude vis-à-vis de l’informel est aussi récent que radical. La municipalité ne veut plus le considérer comme un « problème », mais comme une « composante clé de l’économie locale ». Elle entend formuler une nouvelle politique de développement des micro et petites entreprises plutôt que de « se focaliser uniquement sur le contrôle des commerçants informels » [The Mercury, 25 novembre 2000]. Pour ce faire, elle met sur pied un système d’information consistant en un recensement des activités complété par des études sectorielles qui permettront d’élaborer des mesures de soutien (financier, technique, ou marketing) dans des créneaux jugés prometteurs. Dans le but de faciliter l’exercice des activités et l’obtention des autorisations d’exercice, un projet de constitution de guichet unique au sein de l’administration métropolitain est à l’étude (one stop shop approach).

55La priorité accordée au tourisme tient évidemment au fait que Durban a des atouts incontestables du fait de son ensoleillement exceptionnel et de la qualité de ses plages, mais aussi parce qu’elle dispose d’un arrière-pays attractif : forte densité de réserves animalières, montagnes du Drakensberg, etc. Selon des sources métropolitaines, la dépense directe des touristes en 1996 a été estimée à R4,2 milliards. Ce secteur est supposé fournir 65000 emplois : un emploi sur huit à Durban serait soutenu par la dépense des touristes. Les effets d’entraînement seraient également assez sensibles dans d’autres secteurs : construction, services, agriculture, transports, etc., ainsi que sur la production culturelle. Il a été estimé que trente touristes étrangers séjournant en Afrique du Sud étaient à l’origine de la création d’un emploi direct et deux emplois indirects [EDD, 2001]. Cependant, Durban est essentiellement la destination d’un tourisme domestique et les dépenses des nationaux sont beaucoup plus faibles (de R60 à R400 par jour et par personne, selon les catégories d’âge et les types de séjour) que celles des étrangers (R2000 par jour pour les Nord-Américains) [Monitor Group, 2000 : 45].

56Un organisme de marketing et de promotion du tourisme, Durban Africa, a été lancé en 1999 à l’initiative du gouvernement local. La politique en faveur du tourisme est complétée par des initiatives en matière d’organisation de manifestations d’envergure nationale et internationale. Depuis l’ouverture en 1997 de son International Convention Centre, Durban est devenue le principal lieu d’accueil des conférences, conventions ou foires, d’Afrique du Sud.

57Avec la Constitution dont s’est dotée l’Afrique du Sud, les autorités locales ont un statut de même niveau que les autres sphères de gouvernement et elles ont des prérogatives propres en matière de services publics et de promotion du développement. Le gouvernement national qui, logiquement, était en charge de la mise en œuvre de la décentralisation, s’est toujours montré extrêmement volontariste dans la gestion du processus, en même temps que très directif dans sa manière d’envisager les modalités pratiques de fonctionnement des gouvernements locaux. À preuve, sa décision de « casser » le dispositif municipal testé pendant la phase de transition 1995-1996/2000 et de fondre les 843 municipalités en 284. Il ne semble pas que cette attitude corresponde à une volonté de sa part d’interpréter a minima l’esprit et la lettre de la Loi fondamentale et de limiter autant que possible la réalité de la décentralisation. Au contraire, on peut penser que la logique du gouvernement a depuis le début été la suivante : efficacité, viabilité et autonomie. Il faut donc imposer aux gouvernements locaux des règles strictes d’administration et de gestion et contrôler qu’ils les appliquent bien. Gagnant ainsi en pouvoir, ils ne peuvent certes pas se comporter en États dans l’État puisque la Constitution a prévu des garde-fous. Cependant, n’y a-t-il pas un risque qu’ils soient en mesure de contrarier, de contester ou d’empêcher les politiques, notamment économiques ou sociales, du gouvernement national ou provincial, au nom de leurs intérêts propres ? Cette hypothèse ne semble pas complètement inepte si l’on considère plus particulièrement les six principaux ensembles métropolitains, devenus des « supermunicipalités ». Ils concentrent déjà une grosse partie de la puissance économique du pays. Sous réserve – de taille, il est vrai – que les pouvoirs locaux réussissent à améliorer les conditions de vie des plus pauvres et à jouer efficacement un rôle de facilitation dans l’économie locale afin de redynamiser la croissance, les métropoles pourraient éventuellement devenir des pôles gouvernés par des pouvoirs locaux davantage soucieux de préserver leur position dans l’espace des échanges internationaux que de se plier aux contraintes du développement national.

58L’exemple de la métropole de Durban a permis de montrer que le pouvoir local entendait multiplier les initiatives en matière de développement, y compris en s’intercalant entre les acteurs du secteur privé moderne de l’économie. Il est soucieux du marketing de sa ville et, à défaut de pouvoir déjà s’imposer en tant que régulateur de l’économie, il semble inverser les règles du genre en tentant de faire du lobbying auprès de grands groupes privés ; il essaie de peser sur les décisions stratégiques concernant le port, dont le contrôle lui échappe statutairement. Dans le même temps, il ambitionne de réévaluer ses politiques de développement en infrastructures et services en fonction de besoins identifiés avec les opérateurs privés. Il veut rendre la métropole de plus en plus attractive pour les investisseurs en leur offrant les services qu’ils attendent, y compris en matière de sécurité. La police métropolitaine [6] veille à la sécurité des citoyens, certes, mais aussi aux sites économiquement stratégiques : le front de mer où se concentrent les touristes, certains quartiers d’affaires, industriels ou résidentiels de haut standing. Durban escompte de nombreux effets en retour de ses jumelages récents avec Chicago, Leeds, Rotterdam et la ville chinoise de Guangzhou.

59On peut toutefois difficilement imaginer que le pouvoir métropolitain concrétise un quelconque rêve de grandeur si son leadership politique n’est pas solide. Le maire ANC de la nouvelle métropole unifiée de Durban était le maire de l’exconseil métropolitain qui chapeautait les conseils de districts de l’ancienne DMA. Il a donc l’expérience du pouvoir local, de l’administration municipale (qui a la réputation d’être largement indépendante des politiques), et il a pu, au cours du mandat exercé lors de la phase de transition, prendre la mesure de la tâche qui l’attend en matière de développement. Toutefois, de même que le maire du Cap, mais contrairement aux maires des autres métropoles, l’exécutif local ne repose pas sur ses seules épaules. En effet, le parlement provincial du KwaZulu-Natal (dont c’est une prérogative constitutionnelle) n’a pas opté pour un mayoral executive system, mais pour un executive committee system. Il s’agit ici de subtils équilibres dans le partage du pouvoir à l’échelle régionale. L’Inkatha Freedom Party, qui domine le parlement provincial [7], ne pouvait accepter de concéder trop de pouvoir à l’ANC qui est majoritaire dans la puissante métropole de Durban. Cependant, le maire, président du comité exécutif constitué de neuf membres [8] (quatre ANC dont lui-même, plus un allié du Minority Front, parti indien à l’implantation exclusivement durbanite), est loin de ne jouer qu’un rôle de figurant puisque sa coalition contrôle la majorité du conseil. L’avenir dira si l’assise politique du maire est suffisante pour imposer sa politique. D’autant qu’il n’a pas seulement à se garder des partis d’opposition ; il a aussi à faire admettre sa légitimité par les chefs traditionnels dont les territoires ont été annexés à l’aire métropolitaine lors du redécoupage municipal de 2000, et qui n’ont pas baissé pavillon.

Notes

  • [*]
    Économiste, IRD (UR023), ISES, University of Durban-Westville, South Africa.
  • [**]
    Sociologue, ISES, University of Durban-Westville, South Africa.
  • [1]
    « R » pour rand. En 2000, la parité rand-franc a, suivant les mois, oscillé entre R1 pour FF1 plus ou moins 10%. Pour faciliter la lecture du texte, on considérera donc que R1 = FF1.
  • [2]
    Les auteurs ont entrepris une recherche sur la réforme des services publics durbanites dont les résultats seront publiés ultérieurement.
  • [3]
    Pendant la période de transition 1996-2000, les six districts composant l’aire métropolitaine n’avaient pas des procédures budgétaires et des systèmes de taxation homogènes, d’où les disparités de taxation entre quartiers pour des propriétés de même standing.
  • [4]
    Sources : entretiens personnels.
  • [5]
    La décomposition « raciale » de la population de la métropole était en 1996 la suivante : Noirs, 55% ;Indiens, 27% ; Blancs, 14% ; métis 3% ; autres, 1%.
  • [6]
    Durban a été la première à créer sa police, pendant la phase de transition.
  • [7]
    Rappelons que le KwaZulu-Natal est le fief historique de l’Inkatha, seule province où il est d’ailleurs significativement implanté. Notons aussi que, bien que l’ANC soit largement majoritaire au Parlement national, le président Thabo M’Beki a nommé des membres de l’Inkatha dans son gouvernement, dont son leader en personne. Toutefois, à l’échelle provinciale et locale, les deux partis se livrent à une compétition farouche.
  • [8]
    Le comité exécutif rend compte devant le conseil municipal qui comprend 200 élus.
Français

Résumé

En installant les premières municipalités conformes à la Constitution de 1996, l’Afrique du Sud expérimente un modèle de décentralisation dans lequel le gouvernement local est une sphère de gouvernement au même titre que le gouvernement national et provincial. En charge des services publics et du développement local, les gouvernements locaux se voient ainsi confier une bonne part de la responsabilité de résorber la pauvreté et les inégalités sociales héritées de l’apartheid. La nature de ce défi est ici illustrée à partir de l’étude de Durban. Cette métropole donne à voir un pouvoir local qui a la capacité financière de définir une politique de développement propre et qui ambitionne de s’imposer, sinon comme régulateur, du moins comme interlocuteur incontournable sur la scène de l’économie locale. Cet exemple introduit la question du risque, dans le contexte de la décentralisation sud-africaine, « d’autonomisation » des métropoles qui concentrent l’essentiel de la richesse nationale.

Mots-clés

  • Afrique du Sud
  • Durban
  • décentralisation
  • municipalités
  • gouvernement local
  • économie locale

Bibliographie

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Benoît Lootvoet [*]
  • [*]
    Économiste, IRD (UR023), ISES, University of Durban-Westville, South Africa.
Sultan Khan [**]
  • [**]
    Sociologue, ISES, University of Durban-Westville, South Africa.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2012
https://doi.org/10.3917/autr.021.0101
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