CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Si les termes « élégie » et « élégiaque » n’apparaissent que rarement dans le domaine pictural, on observe, autour de 1800, la construction d’une grammaire du paysage spécifiquement vouée à l’évocation de cette atmosphère. Sans être réductibles aux toiles ainsi dénommées, les œuvres créées dans cette tonalité contribuent à l’essor d’une peinture lyrique où la subjectivité, la tendance à l’introspection et le vague des sentiments suscitent une attention nouvelle.
En 1801, deux toiles allégoriques portant le même titre – La Mélancolie – semblent se répondre sur les cimaises du Salon des Beaux-Arts organisé au muséum central des arts [fig. 1 et 2]. La noble figure inspirée de la statuaire antique et de la célèbre gravure de Dürer peinte par François-André Vincent dialogue avec celle d’une jeune femme en robe Empire d’apparence plus réelle, assise nonchalamment au bord d’un lac. L’attitude plaintive de cette dernière fait songer aux épouses et sœurs des Horaces représentées par Jacques-Louis David dans l’atelier duquel se forma Constance Charpentier, l’autrice de la toile. Ces deux visages allégoriques de la mélancolie sont placés dans des environnements naturels composés, saisis à la tombée du jour et agrémentés d’éléments qui symbolisent la mort, la tristesse ou la méditation nostalgique sur le caractère éphémère de l’existence. Très abondants sur la toile de Vincent, le tombeau, le bloc de pierre, le tronc abattu, les branches mortes et le hibou dissimulé dans les épais branchages du chên…

Français

Considéré comme la principale expression d’une nature romantique vouée aux épanchements et aux retraites solitaires, le paysage élégiaque s’impose comme une tonalité expressive qui transcende les classes ou les sous-catégories du genre. Il s’épanouit autour de 1800, parallèlement à la vogue des « jardins élyséens », et donne lieu à une grammaire spécifique théorisée par Ballanche, Valenciennes puis N.-G.-H. Lebrun. Fondé sur des scènes et des atmosphères qui deviennent archétypales, il prend peu à peu une autonomie à l’égard des paysages historiques conventionnels et rivalise avec le grand genre par sa supériorité acquise dans le domaine de l’expression des sentiments. Accordant autant voire davantage de valeur aux éléments naturels et aux vestiges architecturaux qu’aux figures, ces paysages souvent désertés proposent une peinture silencieuse, hautement symbolique et méditative. Volontairement lacunaire, celle-ci est destinée à être complétée par l’imagination du spectateur, selon un rapport profondément empathique avec l’artiste. Par un savant jeu de symbioses, d’échos et de reflets, la nature inhabitée devient, dès lors, un lieu propre à l’évocation de souvenirs, à la fois visuels et sonores.

Sarah Hassid
(Université Paris I-Panthéon Sorbonne)
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/07/2022
https://doi.org/10.3917/rom.196.0049
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