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Brangier, É., Lancry, A., & Louche, C. (2004). Les dimensions humaines du travail : théories et pratiques de la psychologie du travail et des organisations. Presses universitaires de Nancy, 645 p.

1Éric Brangier, Alain Lancry et Claude Louche proposent dans la collection « Travail et Organisation » un ouvrage collectif intitulé : Les dimensions humaines du travail : théories et pratiques de la psychologie du travail et des organisations. Cet ouvrage est une production du réseau français de psychologie du travail et des organisations dont le Pr Claude Lévy-Leboyer rappelle dans la préface de l’ouvrage la genèse à laquelle il a largement contribué.
Cet ouvrage compte 645 pages, il a nécessité la participation de 44 chercheurs et comporte, en plus de l’introduction générale, 21 chapitres répartis en deux parties équilibrées. Chacun des chapitres commence par la présentation des principales théories en cours par rapport au sujet traité. Suit ensuite un développement sur quelques orientations de recherche actuelles qui posent question. Tous les chapitres s’achèvent le plus souvent par un résumé du chapitre, les idées clés du chapitre, les définitions des concepts utilisés et parfois par un exercice qui permet d’utiliser les principaux apports du chapitre. La bibliographie de chacun des chapitres est extrêmement riche et comporte à la fois les publications de référence mais aussi les publications les plus récentes.
L’ouvrage présente un double souci, scientifique et pédagogique. Souci scientifique qui concerne le chercheur, car l’ouvrage offre un point de vue théorique et méthodologique approfondi sur chacun des thèmes abordés, souci pédagogique qui concerne l’étudiant comme le praticien, car il montre de manière rigoureuse l’articulation de la théorie et de la pratique et débouche le plus souvent sur une perspective d’application.
Il offre aussi un véritable panorama des principaux développements actuels de la psychologie du travail et son contenu est à l’image de la psychologie du travail, riche et diversifié, et il n’est guère possible d’en donner, dans le cadre de cette présentation, un compte rendu approfondi.
Dans l’introduction générale initiale, Éric Brangier, Alain Lancry et Claude Louche retracent un historique de la psychologie du travail et des organisations et en proposent une définition générale. Pour ces auteurs, la psychologie du travail et des organisations s’affirme comme une discipline scientifique à part entière qu’ils présentent comme étant multiparadigmatique, multiméthodologique, mutipratique. Mutiparadigmatique car la PTO se réfère à des disciplines très nombreuses et aussi diverses que la psychanalyse et la psychologie cognitive par exemple sans se référer à un paradigme dominant clairement identifiable. Multiméthodologique car la PTO ne possède pas de spécificité méthodologique et utilise des méthodes très diverses, quantitatives, qualitatives, expérimentales aussi bien que cliniques ou participatives. Multipratique car la PTO intervient dans tous les domaines de l’activité humaine et concerne aussi bien l’évaluation de l’homme au travail que le management ou bien encore les phénomènes de groupe. Rechercher l’unité de la Psychologie du Travail leur apparaît tout à fait irréaliste, mais l’éclatement apparent de la discipline résulte, selon eux, du développement de la PTO qui a accompagné, sur le plan historique, l’évolution et les mutations du travail.
La première partie de l’ouvrage l’homme au travail compte dix chapitres. L’homme au travail développe une activité complexe que l’analyse psychologique, qui envisage à la fois la tâche à réaliser, la situation de travail, l’acteur et ses éventuels collègues, permet d’appréhender (chap. 2 : Le travail, Anne Lancry-Hoestlandt et Antoine Laville). La conception d’une formation professionnelle doit s’appuyer à la fois sur la psychologie de l’apprentissage qui bénéficie des apports de la psychologie cognitive et de l’ergonomie cognitive et sur une analyse psychologique de la situation de travail (chap. 3 : Apprentissage et formation, Javier Barcenilla et Charles Tijus). Les deux chapitres suivants concernent l’évaluation de la personne au travail. Si l’examen psychologique a constitué le premier mode d’intervention du psychologue, le bilan de compétences personnelles et professionnelles offre un cadre nouveau d’expertise dans lequel le sujet devient acteur de sa propre évaluation et le psychologue l’accompagnateur du travail d’auto-analyse réalisé (chap. 4 : Le bilan de la personne au travail, Jacques Aubret et Serge Blanchard). L’évaluation peut aussi se réaliser par rapport à des situations concrètes, l’orientation professionnelle, le recrutement, l’évaluation des performances, et déboucher sur des décisions pratiques (chap. 5 : L’évaluation des individus dans le contexte organisationnel, Dirk D. Steiner et Pierre-André Touzé). Les trois chapitres suivants concernent le contexte de travail. L’espace de travail possède une valeur fonctionnelle pour la réalisation de l’activité de travail mais il va acquérir aussi, pour les salariés, une signification sociale et vécue qui va retentir sur les comportements au travail (chap. 6 : Les environnements de travail, Gustave-Nicolas Fischer). L’organisation du temps de travail retentit inévitablement sur la vie hors travail mais exerce aussi des contraintes sur le salarié au travail qui va développer des stratégies de régulation pour parvenir au meilleur compromis possible entre les objectifs de l’organisation et ses objectifs propres (chap. 7 : Temps et rythmes de travail, Sophie Prunier-Poulmaire et Charles Gadbois). L’implantation des nouvelles technologies modifient radicalement l’activité de travail et, changeant en profondeur les processus de communication et de décision dans l’organisation, refaçonnent le rapport de l’homme avec le travail (chap. 8 : Aspects psychologiques et organisationnels des nouvelles technologies de l’information et de la communication, Éric Brangier et Gérard Vallery). Les trois derniers chapitres de cette première partie concernent les difficultés rencontrées au travail et les échecs qu’il peut susciter. L’analyse des processus qui conduisent à l’accident au sein de l’organisation doit permettre d’améliorer la sécurité en réalisant un meilleur compromis entre production et sécurité et une meilleure articulation entre actions préventives sur l’individu et sur les conditions de travail (chap. 9 : Analyse des accidents du travail, gestion des risques et prévention, Annie Weill-Fassina, Dongo Rémi Kouabenan et Cecilia De la Garza). Si le travail peut contribuer à la socialisation et à la construction identitaire, il peut aussi altérer, générer le stress, aboutir au burn-out et altérer gravement la santé psychique des salariés (chap. 10 : La santé psychique au travail, Alain Lancry et Sandrine Ponnelle). Le handicap au travail résulte de la confrontation entre les caractéristiques personnelles du salarié et ses déficiences éventuelles, d’une part, et les caractéristiques environnementales, d’autre part, caractéristiques environnementales en constante évolution qui peuvent générer de nouvelles situations handicapantes (chap. 11 : Handicap au travail, Anne Lancry-Hoestland, Joumana Akiki et Virginie Houillon).
La seconde partie Travail-Organisation-Société comporte 11 chapitres et élargit le champ d’analyse en situant le travail au sein de l’organisation et de la société. Le fonctionnement de la structure organisationnelle se caractérise par un double processus apparemment contradictoire, un processus de différenciation des sous-ensembles de l’organisation et en même temps un processus de coordination des activités de ces sous-ensembles (chap. 12 : Les structures organisationnelles, Yves-Frédéric Livian). Les organisations jouent un rôle sur la construction de l’identité mais la socialisation, en raison de la multiplicité des groupes d’appartenance, a un caractère pluriel et éventuellement conflictuel qui conduit le sujet à réaliser des arbitrages actifs entre les diverses influences de son environnement (chap. 13 : Socialisation organisationnelle et transformation des identités, Alain Baubion-Broye, Raymond Dupuy et Violette Hajjar). L’implication au travail dépend davantage des aspects intrinsèques du travail et des conditions organisationnelles qui les sous-tendent que de facteurs incitatifs extérieurs. Le travail peut acquérir, pour le salarié, une valeur qui pourra se développer selon les modes d’organisation rencontrés (chap. 14 : Motivation, satisfaction et implication au travail, Claude Lemoine). Les communications jouent un rôle fondamental dans le déroulement de l’activité collective au sein des organisations et constituent un domaine d’expertise en train de se construire. Une synthèse reste à faire entre les approches conversationnelles, centrées sur les mécanismes interactionnels, et les approches fonctionnelles, centrées sur le contenu des communications (chap. 15 : Groupes, collectifs et communications au travail, Alain Trognon, Lara Dessagne, Raphaël Hoch, Caroline Dammery et Carole Meyer). Les chapitres 16 et 17 portent sur l’encadrement et le management dans les organisations. Le management peut revêtir des formes très différentes au sein des organisations, du leadership transactionnel se limitant à un échange de comportements de la part du subordonné et de récompenses de la part du supérieur au leadership transformationnel qui implique une forte relation affective et mobilisatrice entre supérieur et subordonné. La multiplicité des comportements observés conduit à s’interroger sur la pertinence de la notion de cadre qui semble surtout correspondre à une catégorie administrative (chap. 16 : Leaders, managers et cadres : activités et influence, Vincent Rogard). Le management ne peut être envisagé sans tenir compte du type d’organisation et du contexte économique et politique dans lequel il s’exerce. La période actuelle, orientée vers le libéralisme économique, génère un management peu favorable à l’épanouissement du salarié au travail (chap. 17 : Management, pouvoir, contexte, Georges Masclet). Les chapitres 18 et 19 concernent la culture organisationnelle et le changement organisationnel. La culture de l’organisation, construction sociale en constante évolution, dépend de multiples sources d’influence comme par exemple l’histoire de l’organisation et le type de production. Elle offre aux salariés, malgré la diversité des sous-cultures, des cadres de référence communs qui vont orienter leurs comportements et influencer leur efficacité et leur bien-être au travail (chap. 18 : La culture organisationnelle, Nathalie Delobbe et Christian Vandenberghe). Le changement organisationnel, pour être mis en œuvre, doit s’avérer bénéfique pour l’organisation et acceptable pour le salarié, et, pour être réussi, aboutir à la cohérence des sous-systèmes organisationnels autour du nouveau modèle dominant (chap. 19 : Le changement organisationnel, André Savoie, Céline Bareil, Alain Rondeau et Jean-Sébastien Boudrias). Les trois derniers chapitres envisagent l’exclusion au travail liée à des variables démographiques et ethniques. Alors que le vieillissement de la population active est réel, les exigences du monde du travail tendent à se renforcer. Cette contradiction entre vieillissement de la population et augmentation des exigences pose des problèmes aussi bien au niveau individuel que collectif (chap. 20 : Vieillissement et travail, Antoine Laville, Corinne Gaudart et Valérie Pueyo). L’exclusion n’est pas un état en soi mais le produit d’un système global et le résultat d’un processus dynamique dans lequel interagissent les représentations de tous les acteurs qui ont affaire avec l’exclusion (chap. 21 : Précarité et exclusion, Martine Roques). Mondialisation et immigration multiplient dans le monde du travail les situations d’hétérogénéité culturelle dont il importe d’analyser et de comprendre les processus spécifiques (chap. 22 : Mondialisation et immigration : approche interculturelle de l’homme au travail, Pascal Tisserant).
Cet ouvrage, particulièrement réussi, fait le point sur l’état actuel de la psychologie du travail en France en ce début du XXIe siècle. La lecture de cet ouvrage apparaît indispensable à tous ceux qui s’intéressent à la psychologie du travail, chercheurs, praticiens, étudiants. Toutefois une lecture progressive et éventuellement sélective est conseillée, car il paraît difficile d’aborder directement dans son ensemble cet ouvrage tant sont grandes son ampleur et sa richesse.
Régis VERQUERRE.

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