CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La Chronique de Paris passa telle une comète dans le ciel balzacien (d’où ce titre « Observation […] »). Elle brilla mais engendra pour l’auteur de terribles déboires financiers aux très longs effets. Les lecteurs de La Comédie humaine sont loin de l’ignorer et se souviennent que Balzac publia dans sa revue « Histoire du procès auquel a donné lieu Le Lys dans la vallée » (c’est le titre originel des articles). Mais aussi bien la Chronique elle-même est-elle peu connue, sans être inconnue. Car plusieurs chercheurs l’ont évoquée, en ont traité. On sait leurs travaux, mais parfois anciens, ils ne sont pas toujours aisément accessibles. D’aval en amont, il est donc normal de citer (ce petit inventaire [1] pourrait s’intituler : « Mémoire de la critique ») P. Baudoin (« Balzac directeur de la Chronique de Paris. L’indépendance problématique du journal des “intelligentiels” » in L’Année balzacienne 2006), P. Berthier (La Presse littéraire et dramatique au début de la monarchie de Juillet 1830-1836 (1995), Presses Universitaires du Septentrion, 1997), A.-M. Meininger (Les Employés, édition critique et commentée, thèse multigraphiée, 1967) [2] et R. di Cesare, dont les douze études sur Balzac en 1836, mois par mois, furent publiées dans des revues universitaires ou chez des éditeurs lombards de 1959 à 1965 sans avoir été jamais réunies en volume. L’auteur, modeste, les présente comme simplement biographiques (elles sont remarquablement précises). Le lecteur attentif s’aperçoit vite qu’il va bien au-delà dans le commentaire et l’analyse [3].

2En 1835 la Chronique de Paris, petite feuille légitimiste sans trop de lecteurs, appartient à un certain Wiliam Duckett, homme d’affaires douteux. Avec lui et Béthune, l’imprimeur, Balzac fonde, le 24 décembre 1835, une société pour l’exploitation de la revue. Il en sera, dit-il, le « directeur suprême [4] ». L’aventure y durera jusqu’au 17 juillet 1836. À partir d’août 1835, il a échoué à fédérer le « parti des intelligentiels[5] » ; désormais il veut conquérir le pouvoir, et, grâce à cette nouvelle publication, travailler, en s’affichant clairement de droite, à « l’échafaudage de [sa] prépondérance politique [6] ». Une question se pose aussitôt : si impécunieux, comment a-t-il pu l’acheter (il remporte les 6/8 des parts pour la somme étrangement dérisoire de 140 francs), payer le cautionnement de 75 000 francs et la faire vivre ? N’aurait-il pas bénéficié des fonds secrets et de l’appui de Guizot, soucieux de préparer son accession à la présidence du conseil ? A.-M. Meininger concluait ainsi et retrouvait dans cette affaire la main du fameux Lingay [7]. P. Baudoin la cite, mais s’avance prudemment sur cette voie. Elle remarque que de telles tractations avec le ministère, comme celles de Nerval créant L’Orléaniste, laissent toujours des traces ; ici il n’y en a strictement aucune [8]. Le capital est composé de 128 actions fort chères, elles valent 1 000 francs. Quelques-unes, neuf, sont souscrites par des amis ou des proches. D’autres par Balzac lui-même, à crédit. Les autres sont à placer. On a par ailleurs l’impression, dès l’origine, d’étranges, d’acrobatiques montages financiers, qui, avant même les difficultés de gestion que connaîtra la revue, laissent au moins perplexe à propos de son assise réelle, et d’une sorte de fuite en avant où l’on entraîne amis et féaux (témoin par exemple É. Regnault se débattant jusqu’en décembre avec les effets qu’il a souscrits par complaisance [9]), fuite où l’on spécule sur les succès à venir.

3Nous disposons sur la Chronique du dossier A 254 du fonds Lovenjoul [10]. Il n’offre jusqu’en juillet que des documents juridiques, les contrats passés en décembre entre les protagonistes, ou des documents financiers, les actions de la société originelle, des billets, des engagements de paiement, et l’« Inventaire de l’actif et du passif de la Chronique de Paris » au 18 juillet 1836 (f° 119). On a aussi des actions de 300 francs de la deuxième société fondée avec Béthune le 19 mars, dont le contrat est aux Archives nationales (F18 326). En tout cas, rien sur les négociations et transactions qui ont amené à tous ces actes. Werdet est très présent dans ce dossier. Il signa, il garantit, on passa des billets à son ordre, et bien plus tard il évoqua l’aventure de la Chronique dans son Portrait intime de Balzac. Sa vie, son humeur et son caractère (E. Dentu, 1859) et dans ses Souvenirs de la vie littéraire (E. Dentu, 1879), mais sans rien dire de précis sur ses tout débuts. Par ailleurs la correspondance qu’échangèrent le Directeur et ses rédacteurs reste inconnue.

4On est donc fort démuni. Concernant la fondation de la société de décembre, la vie et le développement de la revue, abondent les lacunes. On ne peut saisir les tenants et les aboutissants. Tout reste obscur. Alors peut-être faut-il se contenter d’observer la Chronique, comme elle fut entre janvier et juillet 1836.

5*

De la « Chronique » de Duckett à celle de Balzac : transitions douces et renouvellements

6La Chronique de Paris dirigée par W. Duckett avait pour sous-titre : « Politique, littérature, sciences et arts, tribunaux, modes, musique, gravures, caricatures ». Celui du premier numéro de la Chronique dirigée par Balzac (3 janvier 1836) est « Critique politique, administrative, scientifique, littéraire, artistique et industrielle » : ne suggère-t-il pas la volonté, le désir au moins, d’éviter le simple exposé des faits et de passer à leur analyse organisée selon un point de vue ? Désormais, cela avait été annoncé le 27 décembre, « changement demandé par un grand nombre d’abonnés », le texte est « composé sur deux colonnes [au lieu de trois], en caractères neufs [et] plus gros ». Le sous-titre devient, dès le numéro suivant (10 janvier) : « Journal politique et littéraire » et à partir du 17 janvier la Chronique paraît le dimanche et le jeudi (cela jusqu’au 17 juillet), périodicité qui l’éloigne des grandes revues : la Revue de Paris est hebdomadaire, celle desDeux Mondes bimensuelle. Voilà quelques évolutions notables, et le lecteur s’apercevra, au fil des numéros, que « modes » et « musique » disparaîtront [11].

7Mais il a aussi, c’est un choix délibéré de la nouvelle direction, le sentiment d’une grande continuité formelle. La Chronique de 1835 et celle de 1836 consacrent au moins leurs trois premières pages (chaque numéro en a seize) à la politique intérieure, aux nouvelles de l’étranger, aux débats des chambres (ce sont les sujets mêmes que traitent les quotidiens mais dans Le Constitutionnel ou le Journal des débats cela représente les trois-quarts de chaque numéro). Dans la nouvelle revue, l’ordre des rubriques est invariable ; le schéma est plus fluctuant dans celle de 1835 (il en est de même pour le corps de l’ancienne Chronique). Le lecteur de 1836 n’est pas dépaysé. Il retrouve les « Miscellanées » qui égrenaient les petites nouvelles des théâtres et des acteurs, la « Mosaïque [12] », où l’on recueille des faits divers (une telle rubrique est assez proche de l’« Album » de la Revue de Paris, de la « Chronique de la quinzaine » de celle des Deux Mondes), les « Causeries de salon » (des lettres au rédacteur), moins régulièrement en 1836 qu’auparavant mais toujours signées, avant et après janvier « Le Comte de***, le Marquis de*** ». Il voit réapparaître, mais en nombre, les caricatures signées de Daumier (nous pourrions croire à une nouveauté, à de l’originalité ; ce n’est pas le cas [13]) : il y en eut six de janvier à juillet 1835 [14], deux depuis août 1835 (le 4 octobre et le 15 novembre), dix durant le premier semestre de 1836 (les 21 et 28 janvier, le 28 février, le 27 mars, le 10 avril, les 5 et 12 mai, le 9 juin, le 19 juin, le 10 juillet), et elles sont en 1835 comme en 1836 insérées dans le numéro de manière très aléatoire. Le lecteur retrouve encore les 3, 10 et 17 janvier les lettres de critique littéraire, « À M. Willibald B., à Édimbourgh », qui lui étaient si familières en 1835 (il y en avait eu huit depuis le 9 août jusqu’au 27 décembre). Elles sont signées Z.Z.Z en janvier. Elles étaient signées Al. de C. [15] en 1835 sauf deux signées Z.Z.Z. les 2 et 15 novembre. Ainsi l’impression de continuité est-elle manifeste (d’autant plus que l’acrimonie de la lettre du 27 décembre contre la littérature du jour se retrouve dans celle du 3 janvier).

8De la page 4 à la page 13 environ, la Chronique en 1836 offre, comme les revues, des textes de comptes rendus littéraires, artistiques (et de longs, sérieux articles scientifiques ; il n’y en avait point en 1835) aussi bien que des textes de fiction, romanesques, notamment de Balzac lui-même (jamais de poésie) [16] en un moment où il n’y en a pas dans les quotidiens (ils n’apparaîtront dans La Presse qu’à l’été 1836 [17]), tandis que sous la direction de Duckett n’étaient publiés que des récits de voyage d’auteurs très obscurs ou anonymes, et traduits de revues étrangères. De la page 13 à la page 15 on a notamment la « Chronique Judiciaire » (en janvier et février a lieu le procès de Fieschi) et celle – obligatoire − des théâtres. La Chronique permet aussi à Balzac de dire ses problèmes de créateur brimé, volé, trahi par les « marchands » : y paraît les 2 et 5 juin [18] « Histoire du procès auquel a donné lieu Le Lys dans la vallée », que suivent d’ailleurs le 12 et le 16 juin d’autres pièces du dossier. Enfin la seizième page, dans vingt-huit numéros sur quarante-neuf, est consacrée aux « Annonces », ressource secondaire pour des périodiques comptant sur les abonnements. Pour la forme, la Chronique de 1836 n’est pas radicalement différente de celle de 1835, mais elle n’est plus tout à fait la même. Son ambition et sa tenue sont tout autres. Balzac arrivait peut-être avec quelques idées de rubriques originales [19] mais qui ne virent pas le jour.

9Il désirait une équipe brillante et renouvelée. Chasles, contributeur attitré de la revue, avait du style, ses articles de la tenue. Pourtant le directeur l’écarta aussitôt. Ils étaient en froid depuis le début de 1835 [20]. Chasles, dans la Chronique, avait été le 29 novembre très acerbe sur l’œuvre en général, foncièrement immorale, pleine de longueurs, d’un romancier tirant à la ligne, et le 10 décembre (c’était son avant-dernier article), il mêlait à propos de La Fleur des pois [le futur Contrat de mariage] l’éloge à la perfidie tout en étant féroce par ailleurs pour Mademoiselle de Maupain [sic]. Balzac l’écrit à Planche en décembre, il ne voulait « recruter que les gens les plus ambitieux et très supérieurs [21] » et celui-ci, plume célèbre de la Revue des Deux Mondes, mais il est vrai très controversé, entra à la Chronique[22] : c’était un mauvais coup délibérément porté à Buloz qui en fut irrité au plus haut point (Planche s’employa activement dès le 10 janvier 1836 et jusqu’au 23 juin ; il fut présent dans trente des quarante-neuf numéros du journal). Peut-être M. de Balzac avait-il eu des promessses, verbales, de collaboration. Mais personne ne frappa à sa porte ni ne répondit à ses probables sollicitations. T. Gautier en tout cas donna à la revue, à partir du 28 février, plusieurs textes critiques remarquables, et parfois fort étendus [23], et il semble bien qu’A. Karr, mais en signant d’un pseudonyme, le comte de Griffe, digne du futur auteur des Guêpes, ait rédigé plusieurs « Causeries du monde [24] ». Nodier contribua aussi, une fois (le 10 mai à propos de « La nouvelle langue française »), et « la collaboration de Sandeau ne nous est attestée que par un article de critique signé sur Le Chemin le plus court d’A. Karr » (28 avril) [25]. Voilà tout cependant pour la littérature. D’autre part le directeur recourut, dans les domaines techniques, à des spécialistes, son beau-frère, l’ingénieur Surville, le mathématicien Liouville, le docteur Raoul Chassinat. En fait Balzac eut comme collaborateurs de l’ombre ses deux secrétaires du moment, Belloy et Grammont. Travaillèrent aussi à la Chronique Émile Regnault, berrichon, ami de G. Sand et de Sandeau, Charles de Bernard, son fidèle admirateur bisontin, ému et flatté de participer à l’entreprise, J.-A. David, et Chaudesaigues, tous à peu près à leurs débuts [26] ; les trois derniers signèrent de leurs noms. Mais à la fin de mars encore (voulait-il rassurer sa correspondante ? était-il sincère ? « Balzac Gaudissart » ou « Balzac visionnaire » se demandait R. di Cesare [27]), il écrivait à Mme Hanska : « nous allons avoir S[ain]te-Beuve, peut-être Victor Hugo [28] ». Aucun des deux ne vint. La cohabitation entre Hugo et Planche était-elle d’ailleurs envisageable ?

10Beaucoup d’articles ou de fragments parus dans la Chronique sont anonymes ou signés d’une initiale, ou de deux, pratique courante dans la presse du temps. Il est donc impossible de les attribuer à tel ou tel [29]. Parfois on nous donne bien clairement un nom, mais en semant presque aussitôt le doute. Ainsi trois articles informés et savants sont consacrés aux œuvres de Tieck. Le premier est signé : L. Nabielak. Une note à la fin du second nous apprend que c’était un pseudonyme, que ce nom est réellement porté par quelqu’un [30]. Aussi ce second article et le suivant sont-ils désormais signés du nom véritable de l’auteur : W. Stein. Mais ce nom lui-même, si banal et qui réapparaîtra trois fois encore à propos de littérature allemande, n’a-t-il pas l’air d’un pseudonyme ? Que dire des treize textes signés Z.Z.Z, du 3 janvier au 17 juillet ? Vraiment, on ignore qui les écrivit. Tout au plus pourrait-on avancer que Balzac a peut-être mis la main à trois d’entre eux, les trois longs articles du 4 et du 21 février (c’est juste avant qu’il ne se lance dans la rubrique « Extérieur », le 25) et du 20 mars, portant sur l’ouvrage de Miss Trollope : Paris et les Parisiens en 1835. Ces pages, pleines d’une causticité railleuse sur les mœurs anglaises, sont un prélude aux attaques contre la politique de la perfide Albion (qui seront au cœur de sa rubrique), et leur prolongement [31]. Tous ces textes non clairement identifiés étaient-ils révisés, retouchés par le rédacteur en chef et dans quelle mesure ? On ne sait… « Mon temps » est « consacré tout entier à la rédaction, à corriger avec les auteurs, à lier des relations, […] », écrit-il à Max Béthune au début de mars 1836 [32] et à Louise vers le 7 mars : « j’ai des agonies de 36 heures deux fois par semaine avec la Chronique de Paris, « un journal dont […] je porte à moi seul le faix » parce qu’« une partie de ma fortune y est engagée » [33]. Il est probable qu’il n’a guère dû être très actif à la rédaction entre le dimanche 29 mai et le jeudi 2 juin quand il écrivait, sérieusement, mais dans la hâte, l’Histoire du procès […]. On ignore absolument aussi qui coordonnait en son absence, notamment au mois de mai, au mois de juin.

11Se pose finalement une question essentielle, épineuse, très délicate : de quels textes l’omniprésent directeur fut-il vraiment l’auteur dans la Chronique ? Il n’y a malheureusement que deux certitudes. On sait par lui-même qu’il rédigea la rubrique « Extérieur » (de fait, sauf en juin et juillet, la plupart de ses pages semblent lui appartenir) et que les cinq articles signés MAR.O’C (les 10 janvier, 25 février, 13 mars, 27 mars et 12 mai), sur des sujets très divers, sont de lui. Il publia le 10 janvier un terrible éreintement des Entretiens sur le suicide de l’abbé Guillon [34], or celui-ci était évêque de Maroc. Alors, à partir du surnom affectueux (« Mar [35] ») que lui donnaient ses amis berrichons, l’auteur s’inventa un pseudonyme à l’orthographe ironiquement fantaisiste.

La politique dans la « Chronique »

12Ouvrant sa revue, le lecteur a dès l’abord sous les yeux la « Critique politique », puis le « Bulletin de l’Étranger » [qui devient « Extérieur » à partir du 25 février]. Vient après la « Chronique parlementaire ». Dans cette séquence on publie aussi des actes ou des discours officiels. Ces textes ne sont pas signés. On le sait néanmoins, la première chronique, si importante, fut confiée à Capefigue, que sans doute on imposa à Balzac, comme le montra A.-M. Meininger, suivie par P. Baudoin [36]. Mais on s’aperçoit vite que la politique, surtout intérieure, est aussi présente à travers certains comptes rendus, dans des articles de G. Planche sur les beaux-arts, et même dans la rubrique « Extérieur » tenue par Balzac [37].

13Balzac écrira à Mme Hanska, le 27 mars, que dans la revue on prône les doctrines absolues [38], et leur défense lui semble alors liée à celle de la Religion : de fait, dès le 10 janvier, dans son premier compte rendu, il s’insurge contre le suicide, un acte « anticatholique », « antisocial », qui « n’est pas dans les cœurs, [mais] dans nos lois athées » (CHH, t. 27, pp. 284 et 285), tout en soulignant le désespoir de tant d’exclus ; et dans celui du 25 février sur Le Cloître au xixsiècle de Mme Daminois, il défend vigoureusement, contre l’auteur, l’institution monastique, sa fonction régulatrice dans un monde sans frein et sans repère, calomniée, hautement recommandable. Le lecteur du Médecin de campagne est un peu étonné ; il l’est bien moins par l’attaque contre les philanthropes, mais néanmoins un peu surpris que Balzac leur consacre un long préambule, dont il avoue lui-même que c’est un hors-texte, un prétexte, où il se déchaîne contre « ces vendeurs de drogues morales, ennemis des grandeurs de la religion catholique » (ibid., p. 288). Elle « a cela de grand qu’en passant à la forge des révolutions, ses dogmes, rougis et battus, paraissent de meilleure trempe » (ibid., p. 290).

14À la Chronique on est ouvertement partisan de Charles X (le roi mourra le 6 novembre 1836), on espère l’être plus brillamment que sous Duckett. Belloy, Grammont, Ch. de Bernard sont carlistes et, selon le Directeur, c’est sa non-adhésion au légitimisme (est-il républicain, déjà un peu juilletiste ?) qui écarte Sandeau de la collaboration au journal [39]. Cependant on reçoit aussi les convertis, ou du moins les accommodants… C’est le cas de Planche ou Chaudesaigues, qui n’étaient pas sans penchant pour la république. Cependant le Directeur accepte, sans doute par force on l’a vu, Capefigue, ce « renégat des Bourbons », « passé de La Quotidienne au Courrier français[40] ». Mais on déteste les apostats et les ingrats comme Mme Trollope qui aujourd’hui encense le nouveau régime : on va même « jusqu’à suspecter le désintéressement de [sa] conscience » (compte rendu de Paris et les Parisiens, I, 4 février), et l’un des grands défauts de l’abbé Guillon c’est d’être un partisan zélé du pouvoir, même s’il est orléaniste depuis longtemps, et d’être un habitué de la Cour [41]. On se défend néanmoins du sectarisme : la haine de Mme Trollope contre les républicains est trop violente et systématique, il existe parmi eux des hommes estimables (ibid., II et III, 21 février et 20 mars) ! En tout cas, il y a des souvenirs et des personnages auxquels on ne peut toucher, qu’on doit même honorer. D’où le reproche de Ch. de Bernard à P. de Musset, le 26 juin, d’avoir, dans son Lauzun, dégradé la figure de Louis XIV. Balzac, en 1840, formulera, violemment, la même critique contre Latréaumont d’E. Sue (1838). Ainsi Guizot, indépendamment de tout jugement politique, apparaît-il comme un homme estimable, car « seul des ministres il a protesté, en fermant son salon, contre le crime du 21 janvier », l’exécution de Louis XVI (« Critique politique », 24 janvier). Et la « Chronique parlementaire » se scandalise, le 8 mai, que la Chambre des pairs ait concédé à la ville de Paris l’emplacement de l’ancien opéra où se trouve le monument funéraire du duc de Berry. C’est une « profanation [42] ».

15En ce début de 1836, le ministère Broglie est en crise, miné par la rivalité entre Thiers, l’homme du centre gauche, que la Chronique ne peut guère priser, et Guizot, celui du centre droit, qui prédomine alors. Mais, finalement, Thiers devient président du conseil le 22 février et dès le 25, la « Chronique parlementaire » note la « puérilité remarquable » de sa déclaration d’investiture : le cabinet va marcher en effet avec la même majorité et suivre la voie de ses prédécesseurs (pourquoi donc s’être séparé de Guizot ?). Or il devrait logiquement s’appuyer sur la gauche. Alors la situation serait claire ! L’incohérence est en fait le vice constitutif, permanent, de ce gouvernement « qui n’a pas une pensée politique commune », avec « un chef de majorité [Guizot] qui n’est pas ministre » (« Chronique parle­mentaire », 20 mars), en fait sans vrai soutien et toujours en péril : ainsi, d’après la « Critique politique » du 19 mai, Thiers en grande difficulté à la chambre n’est sauvé que par l’appui de ses ennemis intimes. De plus ce cabinet affiche son manque d’unité : on entend Passy, le ministre du commerce, contredire publiquement son collègue des finances qui exprimait la position du gouvernement (« Critique politique », 14 avril). D’ailleurs le président lui-même parle sans cesse un langage à double entente et sa fausse humilité est exaspérante : tel jour, « il a encore demandé huit fois pardon à la Chambre » (« Chronique parlementaire », 9 juin).

16Aussi bien ce très brillant esprit est-il confondant de légèreté, de suffisance et… d’insuffisance. Par exemple, ministre, il a réclamé trente millions pour une nouvelle bibliothèque : finis les autres grands travaux, il lui fallait ce « hochet de travaux publics » (« Chronique parlementaire », 10 janvier). Il est la bête noire de Planche qui l’avait déjà attaqué auparavant, dans L’Artiste. Aux yeux du critique, ses choix ou non-choix pour la sculpture de l’Arc de triomphe ne disent pas la prudence du ministre de l’Intérieur (Thiers l’est encore au début de février) mais sa vanité qui lui fait affecter d’être un connaisseur pour masquer son incompétence (ainsi il a usé Rude, Pradier, Barye), son désir de rester en tout au centre du jeu. En fait « ce qui plaît au jeune ministre », à ce « nouveau Colbert », « ce n’est pas de mener à bonne fin les affaires du pays ; il aime avant tout à dire : “Je veux”. M. Thiers, afin de se ménager l’occasion de vouloir plus souvent, s’abstient d’exécuter quelques-unes de ses volontés » (« M. Thiers et l’Arc de triomphe de l’Étoile », 28 janvier). Il a cependant trouvé moyen de rater absolument les trois monuments qu’il avait à faire et cela pour vingt millions ! (« M. Thiers et les monuments publics », 26 mai). De plus il y eut autour de l’adjudication de la colonne de Juillet des tripotages de toute sorte (« Histoire anecdotique de la colonne […] », 23 juin). Et même la chambre des Pairs, si docile, a attaqué les dépenses somptuaires des appartements privés de Mme Thiers à l’hôtel du ministère (« Chronique parle­mentaire », 19 juin) !

17Guizot, lui, est un parfait honnête homme, animé d’une « pensée trop gouvernementale » pour être compris par les médiocrités qui le cernent (« Critique politique », 18 février). Il fait bien de se retirer. Manifestement à la Chronique, on attend beaucoup de lui. Il est l’homme du centre droit, « composé de sages qui auraient voulu éviter à la Restauration les fautes qu’elle a commises, mais qui ont accepté la révolution de Juillet comme un fait triste et impérieux ». Il doit assumer pleinement le fait, adopter une position claire, s’allier à la droite raisonnable, ne pas composer avec les hommes en place (ibid., 2 mars). Mais assez vite on note : « Plus on avance dans la situation, moins il est facile de la comprendre. […] M. Guizot veut-il être ministre ? » (ibid., 20 mars), et les mots se font durs : « ce n’est pas pour donner une majorité à M. Thiers » que M. Guizot se démène à la Chambre, « qu’il descend, il faut le dire, au rôle de roué politique ». Il « cherche à arriver à la Présidence du Conseil », « il intrigue pour cela » (ibid., 21 avril). Avouons que si la Chronique devait préparer, discrètement, le retour de l’ancien ministe aux affaires, le présenter, un peu malgré lui, comme le recours, elle s’y prenait assez mal. Peu après cependant on redit qu’on a pour son caractère et son talent « de l’estime et quelque sympathie », mais on l’incite encore à trancher : « M. Guizot, chef de minorité » sera « dix fois plus fort qu’à la tête d’une majorité hésitante » (ibid., 5 mai). Or, comme rien ne se produit, le couperet finit par tomber dans la « Critique politique » du 26 juin : « C’est parce que M. Guizot […] s’est imaginé qu’il avait des hommes à lui, des fidèles, qu’il s’est laissé aller aux émotions vaniteuses d’une position importante dans le Parlement ». En fait il n’y compte pas « quarante voix ». « Il ne sera bientôt plus qu’une individualité ». « Sa présomption l’a perdu ; il en subit les conséquences ».

18En fait, Balzac en personne est intervenu dans le débat, en publiant le 12 mai, sous la signature MAR.O’C., le compte rendu du livre de Capefigue : Le Ministère de M. Thiers. Les Chambres et l’opposition de M. Guizot. Il y loue l’auteur de sa fine ironie : s’ils savent lire en effet, Guizot et Thiers le comprendront, Capefigue leur dit qu’ils ne sont rien, et son ironie à lui se déploie, féroce pour les protagonistes. Au vrai « M. Thiers a un grand avantage sur M. Guizot. […] M. Guizot a dans sa vie politique [depuis 1815] des tergiversations qu’on ne peut reprocher à M. Thiers. M. Thiers a toujours voulu la même chose, […] il a toujours songé à M. Thiers ». « M. Guizot est une girouette qui a été placée sur trois monuments [43], et M. Thiers est une girouette qui, malgré son incessante mobilité, reste sur le même monument » (CHH, t. 27, pp. 299 et 300). Leurs opinions, conservatrices, ne sont pas au fond si divergentes, mais il y eut entre eux une bataille d’ego. À un tel jeu M. Thiers l’a emporté. Voici donc alors les idées de Balzac. Le centre droit (les doctrinaires du jour) et les légitimistes pourraient s’entendre : à leurs yeux une classe doit dominer, appuyée sur le sol ; mais les doctrinaires voudraient qu’au fond les légitimistes renient la Restauration ; or un centre solide ne pourra exister qu’en se rattachant aux doctrines, raisonnablement conciliatrices et libérales, du ministère Martignac (1828-1829), et il faut en tout cas que les légitimistes participent au mouvement électoral.

19Le jeudi 25 février, Balzac inaugure la rubique « Extérieur », trois jours après l’investiture de Thiers. Cette série de trente-neuf articles non signés s’achèvera le 14 juillet [44]. Trente-quatre sont probablement de lui [45]. Le premier occupe plus de huit colonnes. Les autres en ont généralement deux, un peu plus, un peu moins. Au moment de la publication de l’Histoire du procès[…], le jeudi 2 juin il n’y eut pas de chronique « Extérieur », celle du 5 fut réduite à vingt lignes et il n’y en eut pas non plus le 9. À partir du 12 juin elle est accompagnée tous les quinze jours d’une « Correspondance particulière de la Chronique », venant de Londres et signée X [46]. Dans son premier article, « un vrai opuscule politique », notait R. di Cesare [47], Balzac définit la proposition qu’il va soutenir sans trêve : l’abandon de l’alliance avec l’Angleterre, uniquement guidée par ses intérêts notamment commerciaux, au profit de l’alliance russe (et il la redit encore nettement à Mme Hanska dans sa lettre du 27 mars). Cette politique, héritière de celle de la Restauration et du cabinet Martignac, est prônée par les feuilles royalistes. Elle sera brillamment défendue, le directeur et les rédacteurs de la Chronique le souligneront, par le duc de Fitz-James dans son discours du 31 mai [48].

20Mais Balzac est en fait sans aucune illusion sur la politique russe (qu’il admire vraiment pour ses longues préparations et sa persévérance). Dès les premières lignes de son article inaugural, il est même alarmiste : « De 1815 à 1835, la Russie a fait plus de conquêtes en pleine paix que n’en a fait aucune nation guerrière. L’Angleterre n’a rien gagné », pas plus que la France ni l’Autriche (CHH, t. 27, p. 312). « Que l’Allemagne et la France le sachent ! La Russie vise à un empire universel, elle est prête à descendre en Europe aussi bien qu’à se répandre en Asie » (ibid., p. 314). Balzac voit très bien ses sourdes menées en Allemagne : elle y exploite l’intense division entre états, elle [y] « a donc toute une curée prête » (25 février, ibid., p. 317). Tout son effort, c’est avec l’Autriche d’empêcher un rapprochement franco-prussien, qui serait possible et changerait la donne européenne. Le soulèvement de la Pologne « pouvait être une grande bataille gagnée par l’Europe contre la Russie », mais on lui a laissé le champ libre (25 février, ibid. p. 317) [49]. Avec l’aide de l’Autriche, qu’elle mène à sa guise, et sur de vains prétextes de subversion, elle vient d’occuper Cracovie [50] : voilà qui prouve son influence, son manque de scrupules et sa prévoyance : en cas de conflit elle ne laisse pas derrière elle un possible foyer d’agitation (3 mars, 24 mars). D’ailleurs certains en Allemagne, comme le grand-duc de Hesse-Darmstadt, s’inquiètent : « on commencera par les villes libres et l’on finira par nous-mêmes » (6 mars, ibid., p. 333). Balzac note enfin que « plus tard » l’alliance avec un pays si violemment expansionniste sera sans doute « plus tard funeste » (25 février, ibid., p. 320) [51].

21Néanmoins l’alliance est « utile aujourd’hui », hic et nunc. En effet on sait que « la Russie a déjà fait avec le cabinet de Vienne la carte du démembrement de l’Empire ottoman » (25 février, CHH, t. 27, p. 314), qu’elle est de plus en plus influente auprès du sultan, malgré l’ambassadeur Lord Ponsonby, qu’elle arme nombre de vaisseaux, qu’elle est fort active en Perse, et avec grand succès. Elle va donc sur les brisées de l’Angleterre qui, Balzac le reconnaît, subit de sa part « mille agressions », et l’on comprend l’intérêt que défend Albion. « Mais que peut gagner le cabinet français à la seconder dans sa lutte », notamment en travaillant à l’anéantissement de la flotte russe (27 mars, ibid. p. 352) ? L’avantage qu’il devrait en retirer serait « une augmentation de territoire sur les points où la France doit se développer. Sur ce point l’Angleterre ne peut rien » (17 mars, ibid., p. 344). En fait le seul gage de sa sincérité serait d’accepter que la Belgique nous soit rattachée (29 mai), elle l’a refusé. En revanche, « selon nous », écrit Balzac, « un consentement donné par la France aux projets de la Russie, de la Prusse et de l’Autriche serait l’occasion […] de faire deux brillantes conquêtes en pleine paix [52] et malgré l’Angleterre : il s’agit d’Anvers et de la Belgique » (27 mars, ibid., p. 352) [53]. Voilà donc de l’alliance russe un résultat essentiel, réel, un résultat tout à fait plausible aux yeux de l’optimiste Balzac. De plus la Russie, qui prépare un traité commercial avec la Perse, a le projet de créer une nouvelle voie d’échanges qui traverserait le centre de l’Europe, qui serait en lien avec l’union allemande, et pourrait à l’avenir se perfectionner par la construction de canaux et de chemins de fer annexes (10 avril). Sa grande pensée est de ne plus faire passer le commerce oriental par les flottes anglaises (22 mai). Ainsi la Méditerranée serait-elle, pense Balzac, librement ouverte au commerce et à l’influence français [54]. Évidemment l’alliance russe implique, en cas de victoire majeure, la reconnaissance de l’autocratique don Carlos, qui depuis 1833 s’est révolté contre le pouvoir légal de la reine Isabelle et de la régente Christine en Espagne. Mais la partialité de Balzac en faveur du prince est notable : ainsi présente-t-il toujours favorablement ses moindres succès en passant sous silence ses exactions ou ses brutalités, en en rejetant la responsabilité sur le juste-milieu espagnol ; en fait il ne croit pas qu’un pays comme l’Espagne, « divisé en contrées dont les libertés et les privilèges sont difficiles à dissoudre et à ramener à l’unité de la loi » (3 mars, ibid., p. 330), puisse relever d’un régime démocratique. « Le pouvoir royal absolu pouvait seul améliorer l’Espagne » (d’ailleurs sous le règne de Ferdinand VII il y eut de grands progrès, toutes proportions gardées) « et ramener toutes les parties à une cohésion complète » (ibid.).

22Malgré ses réticences initiales, et au nom de l’intérêt supérieur de la France (espérant que le triomphateur reconnaîtra son rôle diplomatique éminent, son importance stratégique), il en vient même à approuver la présence russe à Constantinople, à la demander, et à affirmer sur un étrange ton messianique : « Nous les hommes du Droit [55] et les obéissants négateurs du fait, nous trouvons juste et naturel que la CHRÉTIENTÉ ressaisisse sa seconde capitale. La cathédrale de Sainte-Sophie appartient à la Religion grecque, sœur de la Religion catholique sur qui elle fut prise et qu’elle a le droit de reprendre. La Russie achève ce que les Croisades n’ont pu faire et ce que l’Europe a tenté onze fois » (1er mai, CHH, t. 27, p. 383).

23Mais l’enthousiasme pour l’alliance avec le tsar n’empêche pas Balzac d’être lucide sur la situation en Europe et certaines conséquences négatives qu’y auraient pour la France des succès russes. Il admire l’indéfectible et subtile ténacité qui a présidé sous l’égide de la Prusse à la constitution du Zollverein, cette union douanière faite contre la France (et l’Angleterre), et il devine bien que c’est le germe d’une union politique inquiétante pour notre pays (3 mars). Depuis le 1er janvier 1834 le Grand-duché de Bade, le duché de Nassau, la ville libre de Francfort y sont entrés. On a même sollicité la Belgique d’y adhérer. Si le grand axe commercial perso-russo-germanique s’édifie, devant un tel succès, la Belgique ne résistera pas, elle deviendra allemande : créée par la France, elle lui sera hostile (13 mars, 10 avril).

24En tout cas, la France devrait être bien plus active en Méditerranée, notamment par sa flotte, pour y développer son commerce, être, dans l’intérêt de ses possessions algériennes, « l’allié le plus intime de l’Égypte » (6 mars, CHH, t. 27, p. 334), pays en plein développement où elle devrait obtenir des avantages commerciaux (mais sur ce terrain aussi elle se heurte, se heurtera à la Russie qui convoite cette « proie », ibid., p. 335) ; elle devrait être présente en Perse et dans l’Empire ottoman. Malheureusement, nos diplomates y sont peu nombreux, sans grandes vues nationales, surtout préoccupés de faire accepter la nouvelle dynastie. Il est vrai qu’ils sont mal aidés par leur gouvernement : « Jamais la France n’a eu de ministres plus faibles en présence d’intérêts aussi majeurs » (27 mars, ibid., p. 352) ; « De grandes choses et un petit homme ! » (6 mars, ibid., p. 335).

25*

26Les rédacteurs et le directeur de la Chronique sont d’emblée, et sans trêve, absolument hostiles à Thiers. Les hommes de la Chronique, carlistes ouverts, voudraient un torysme à la française [56], un pouvoir cohérent, fort et stable [57]. Intéressés par Guizot, ils sont vite déçus : il est timoré, manœuvrier, ambigu, et ils se séparent de lui avec une grande rudesse. « De ces réserves », disons plutôt de ces attaques, « on peut conclure soit à une grande habileté de la Chronique qui, pour paraître impartiale, doit éreinter son champion − c’est l’hypothèse d’Anne-Marie Meininger [58] − soit plus simplement à son indépendance – c’est la nôtre », écrit Patricia Baudoin [59], et elle a sans doute raison. De fait, Balzac, toujours un peu franc-tireur, critique ouverte­ment le régime nouveau dont il dénonce le matérialisme égoïste, omniprésent, aveugle, et remet en cause les principes fondateurs. Même des prêtres, comme l’abbé Guillon, contaminés en quelque sorte, parcourent la « cité dolente » « où le suicide se rencontre, pâle et hâve aux coins des rues, honteux et anonyme sous tant de toits », ne veulent pas voir et ne savent tendre la main (compte rendu des Entretiens sur le suicide, 10 janvier, CHH, t. 27, p. 286) [60]. Dans cet « état social qui se fie à la vapeur et au rail » (compte rendu du Cloître au dix-neuvième siècle, 25 février, ibid., p. 290), les chambres n’examinent jamais aucune question de quelque portée morale ou intellectuelle (et par ailleurs cette idée apparaît dans mainte « Chronique parlementaire »). « Les causes des suicides actuels ne sont pas seulement dans l’air ; elles sont aussi un peu dans l’inhabileté de ceux qui gouvernent la France et qui en vantent les prospérités », dans « le système social actuel où trois cents bourgeois assis sur des banquettes délaissent les arts, les sciences et lettres pour s’occuper de fiscalités ou de pénalités » (compte rendu des Entretiens sur le suicide, 10 janvier, ibid., p. 285), sacrifient aux intérêts les forces vives de l’intelligence et de la jeunesse [61]. Vraiment, une telle attitude était fort peu capable de satisfaire les protecteurs de la Chronique, quels qu’ils fussent.

27Pour Balzac le choix de l’alliance russe est un peu celui du cœur (comment ne songerait-il pas à sa chère Comtesse et à se concilier le tsar Nicolas ?), surtout celui de l’intelligence, et aussi un choix de parti. Demander hautement qu’on abandonne Londres et qu’on se lie à Saint-Pétersbourg, c’est suivre fidèlement, avec quelques nuances, les amis légitimistes [62]. Mais Balzac, en optant pour l’autocratie, est convaincu de s’appuyer sur la raison et l’expérience, et de viser l’efficacité : « les politiques », écrit-il, « doivent avoir remarqué que tous les gouvernements qui ont le plus servi leurs nations depuis 1815, sont les gouvernements chez lesquels le pouvoir affectait la forme despotique. La statistique le démontre victorieusement à qui comparera […] la Russie à l’Angleterre, l’Autriche à la France » (« Extérieur », 1er mai, CHH, t. 27, p. 385). Ce choix, surtout fondé sur l’intérêt et la grandeur de la patrie, la fait renouer avec la sagesse et la grandeur impériales et royales. Les Anglais, eux, contrarient partout, c’est logique, inévitable, notre développement commercial (ils veulent un monopole) et territorial. Seule l’alliance avec le tsar nous permettrait de nous adjoindre la Belgique, espace naturellement français. D’autre part le projet russe d’un affaiblissement décisif des voies maritimes et donc des importations et exportations britanniques en Europe n’est-il pas une autre façon de réaliser « le Blocus continental, la pensée la plus immense de Napoléon [63] » ? Et le choix résolu de don Carlos serait une « politique toute française », ce serait « faire revivre le pacte de famille, cette œuvre de Louis XIV continuée par M. de Choiseul » (« Extérieur », 17 mars, ibid., p. 343) [64] : de telles relations sont indispensables dans un monde monarchique, régi par les liens dynastiques. Néanmoins Balzac, on l’a vu d’emblée, est réellement, profondément inquiet de l’ambition russe, pour le présent et surtout pour l’avenir. « Nous verrons cela », dirait-il bien plus tard peut-être comme Eugénie Grandet [65], et à qui noterait qu’il n’est vraiment plus le même qu’en 1830, il répondrait sans doute que son ambition pour le pays demeure, identique, mais que « les moyens d’arriver à ce résultat doivent changer suivant les circonstances [66] ».

La critique dans la « Chronique »

28En dehors de la rubrique « Extérieur », Balzac s’exprime parfois dans la revue, directement ou indirectement. Deux des articles signés MAR.O’C., le 13 et le 27 mars, traitent Des découvertes faites dans la lune et attribuées à Herschell fils : le romancier relève, impitoyable, toutes les erreurs scientifiques commises dans un opuscule plusieurs fois réédité et le lecteur soupçonneux aurait alors envie de dire avec R. di Cesare : « Balzac astronome ! La chose a de quoi faire sourire. Il porte avec assurance son attention sur l’immense monde étoilé ; et son entretien avec les planètes, la discussion sur les moyens techniques pour les scruter, sont menés avec le même naturel qu’a habituellement le savant qui, depuis des décennies, a dédié toutes ses veilles à de telles études ». En fait Di Cesare suppose qu’il eut un collaborateur,… « quelque connaissance de l’Observatoire voisin [… de la rue Cassini] » mais que « le montage de l’article lui appartient en propre » [67]. Les trois autres textes sont des comptes rendus d’ouvrages récemment parus [68], dont la forme et le style ne l’intéressent pas au premier chef, mais, on l’a vu, la signification politique et morale. Balzac, d’autre part, fut sans doute l’inspirateur de la longue et très sévère recension, en deux parties, de France et Marie de Latouche (14 et 18 février) : il est très probable que Ch. de Bernard suivit largement un canevas fourni par son directeur [69]. Mais qu’en est-il de son compte rendu de La Canne de M. de Balzac de Delphine de Girardin (22 mai) ? Balzac ne l’a-t-il pas inspiré ? Ce roman le touchait en effet de si près ! La Canne […] est annoncé dans la Bibliographie de la France le 21 mai et l’article de la Chronique paraît le dimanche 22. Or Balzac, pour finir Le Lys dans la vallée, s’est isolé à la campagne du 18 au 26 mai. Ce séjour, mystérieux mais attesté, est tout entier consacré à un travail incessant, et le romancier écrit à Delphine le 27 mai qu’il est rentré la veille, qu’alors seulement il a pu lire son livre [70]. Mais peut-être l’ouvrage (cela arrivait) est-il paru quelques jours avant son annonce dans la Bibliographie […] : en a-t-il eu connaissance avant son départ, en a-t-il parlé devant Ch. de Bernard… Il est fort possible, néanmoins, que ce long texte, dont l’humour plein de fantaisie, parfois cocasse, malmène gentiment, respectueusement, la jeune et belle muse qui commit ce petit roman, soit de la seule main de Ch. de Bernard [71]. Il ne manquait pas d’esprit ; il avait trouvé la parade ; il témoignait de l’attachement fervent qu’à la Chronique certains avaient pour le Maître.

29Annonçant l’arrivée de G. Planche, Balzac note dans un « Avis » (le 3 janvier 1836) : « La critique de la Chronique aura donc désormais, aussi bien que les doctrines politiques du journal, un constant caractère d’unité ». Et il écrit à Mme Hanska le 27 mars : « N[os] doctrines critiques en art et en littérature sont pour la plus haute expression morale [72] ». De fait la lettre « À M. Willibald B. » du 3 janvier (c’est le numéro inaugural et on imagine qu’il a été relu mot à mot par le Directeur) s’élève contre l’indifférence du public face aux affaires littéraires, contre son « atonie morale » qu’il faudrait réveiller. « Nous sommes bien fatigués, bien épuisés par les émotions factices d’une littérature qui s’est complu dans l’exagération de tous les sentiments » [notons cependant qu’une telle diatribe est fort banale à l’époque]. Connu pour ses exigences formelles, son refus des aventures littéraires et des excentricités, son goût pour les constructions raisonnées, Planche donnera la tonalité et la maintiendra, il invitera à un conservatisme éclairé, espère le directeur. De fait on ne perçoit aucune grave dissonance, majeure, entre les critiques de la revue durant ces six mois. Planche règne quasiment seul jusqu’au 21 février. Alors apparaît Chaudesaigues, son disciple avoué, son imitateur, introduit par lui [73]. Globalement ce qu’il écrit de Musset est dans la lignée de son aîné. Et Gautier (il intervient pour la première fois le 28 février) qui éreinte Sue pour ses excès et ses facilités, ne dément pas cette impression générale d’exigence et de rigueur.

30Mais on ne saurait dire que les rédacteurs de la revue parlent toujours d’une même voix, se placent toujours sur le même plan. Pour accabler ces « médiocrités » du jour « qui se haussent du col » et au nom d’un certain réalisme, l’auteur (Z.Z.Z.) de la seconde lettre « À M. Willibald B. » (le 10 janvier) admet que « Lamothe-Langon, P. de Kock sont des fabricants mais du moins sans prétention, qui rendent heureux un public simple ». En ce sens ils sont assez « honorables ». Ils « offrent au moins un tableau fidèle des mœurs qu’ils ont étudiées ; ce sont des peintres à la manière de Téniers et de Callot ». En revanche, faisant le 15 mai le compte rendu de Ni jamais ni toujours de P. de Kock, J.-A. David écrit : « Sous prétexte que [cet auteur] n’est pas un homme littéraire », et ne veut pas faire de littérature, « il semble que la critique ait à cœur de se montrer indulgente envers lui ». Il n’est pas moins corrupteur parce qu’il est médiocre. Son indéniable succès chez des lecteurs très divers, vient de ce qu’ils aiment les sujets osés et décolletés. L’intrigue, les personnages sont longuement évoqués (l’article a quatre colonnes), mais « ce serait à tort », conclut David, « qu’on chercherait dans nos avertissements un éloge implicite détourné ». Dans ses grands articles sur Jocelyn (17 et 20 mars) Planche n’incrimine nullement le poète religieux (il est vrai assez hétérodoxe). Comme on est loin de la charge de Gautier contre les Poésies catholiques de Turquety, toutes « dévotes », et au fond contre toute poésie religieuse, nécessairement vouée à l’échec, même celle de Klopstock ou de Milton (5 mai) ! Ce que Chaudesaigues reproche à S. Gay (15 mars), c’est de ne pas avoir su faire de La Comtesse d’Egmont un vrai roman historique, sérieux et entraînant ; la critique de Ch. de Bernard à P. de Musset pour son Lauzun est analogue (26 juin) et Balzac serait sans doute sur cette ligne. À propos de La Fille naturelle de Davin (le 16 juin), est mis en cause le roman historique comme on le pratique aujourd’hui. Quant à Gautier il condamne radicalement le genre même et W. Scott en personne, avec agressivité (3 mars). Certaine teinte fort conservatrice sur le rôle des femmes, sur les limites de la littérature féminine que l’on rencontre chez Chaudesaigues, J.-A. David et tels rédacteurs anonymes est bien étrangère à Ch. de Bernard et Gautier. Et ce dernier ne se montre-t-il pas, sciemment, discrètement provocateur en notant, le 5 juin (la Chronique est la revue de… M. de Balzac !) : « dans le roman de M. Houssaye [La Couronne de bluets], ainsi que cela doit être dans tout roman un peu bien entendu, tout le monde est beau, jeune, élégant et spirituel ; c’est ainsi que j’aime les romans ».

31Chacun à la Chronique est libre de ses opinions critiques, et même d’être sans aménité pour les proches ou les relations du Directeur (il est vrai qu’à une époque où l’on parle tant, partout, de « camaraderie littéraire », c’est une garantie d’objectivité que se donne la revue) [74]. Chaudesaigues, le 25 février, est sévère pour les Mémoires de la duchesse d’Abrantès, malgré leur réussite éditoriale, et impitoyable pour les invraisemblances, les incohérences de ses Scènes de la vie espagnole qui viennent de paraître. Le premier article, le 1er mai, de Ch. de Bernard sur les Souvenirs d’une créole de la comtesse Merlin, fort civil, est d’une sourde ironie qui pourrait tromper [75] ; le second, le 19 juin, franchement rude. Ce pauvre Davin, rentré à Saint-Quentin, mourant (il disparaîtra le 3 août), lut-il le compte rendu d’Une fille naturelle (le 16 juin) ? Z.Z.Z. y loue la manière flamande, intime, précieuse, de certaine de ses autres œuvres, mais juge absolument ratée, sans aucune vigueur ni pertinence, sa présente tentative de roman historique. Balzac, si exigeant envers lui-même, avait souvent de prime abord la dent très dure à l’égard de ses « confrères » ou « consœurs » [76]. Ici nous devons donc être prudents sans naïveté : n’est-ce pas son avis qui est exprimé par personne interposée  [77]? Songeons au compte rendu de France et Marie, et à son attitude si ambiguë au commencement de 1835 quand parut Le Monde comme il est du marquis de Custine [78]. Mme d’Abrantès lui écrivait alors : « Sans doute les relations d’amitié sont peu de chose quand il s’agit de faire de la littérature[79] ».

32 Étonnant Chaudesaigues ! Cassant censeur de vingt-deux ans, il conclut ainsi, le 21 février, son long article sur les œuvres de Musset, qui n’a jamais rien inventé, s’est contenté d’imiter, et sur La Confession d’un enfant du siècle : « dès qu’il s’imposera la loi de réfléchir avant d’écrire, […] de réprimer l’extravagance de son imagination, […] dès qu’il se résignera à croire qu’on ne naît pas homme de génie, il pourra produire une œuvre qui le place à côté des maîtres » (Chaudesaigues notera à la fin de 1836 que Vigny est un grand poète parce qu’il a coutume « de ne rien écrire avant d’avoir réfléchi [80] »). Planche avait maintes fois mis en cause la désinvolture et le dandysme de Musset ; Balzac lui manifesta dès les Contes d’Espagne et d’Italie une admiration qui ne se démentit jamais. Déjà bien présent dans la Chronique, Planche n’y fit son premier vrai compte rendu d’œuvre littéraire que le 15 mars [81], celui du Napoléon d’E. Quinet, dont il reconnaît la force épique mais blâme l’excès en tout. Il écrivit ensuite deux très longs articles (les 17 et 20 mars) sur Jocelyn, nuancés dans le détail, mais vraiment très élogieux (sur le lyrisme, l’art du paysage, etc…) tout en concluant par des reproches à l’auteur sur ses fréquentes offenses à la grammaire, ses impropriétés (on sait combien Balzac en cette matière fut vétilleux avec Latouche et Sue), la multiplication et l’incohérence de ses images. Et il finit ainsi : « Jocelyn est un beau poème sans composition et sans style. Y a-t-il beaucoup de livres dont nous puissions en dire autant [82] » ? Balzac, lui, ne fit aucun commentaire sur l’ouvrage ; il est vrai que sans antipathie pour Lamartine, il s’intéressa modérément à lui ; il se préoccupa surtout, dès 1836, de sa position politique [83].

33Gautier, dans son premier article du 27 février, fut d’une extrême sévérité pour l’œuvre de Sue avant 1836, en prélude à son étude impitoyable de l’Histoire de la marine dans le second (3 mars). Balzac avait, en 1830, fait l’éloge de Kernok le Pirate ; les années suivantes il n’évoquera plus les ouvrages de Sue. Gautier tire à boulets rouges sur le « roman maritime », sur les excès de personnages absolument faux, et sur « le style écrit détestable », boursouflé, de l’auteur, alors que son « style parlé », non littéraire, est bien meilleur. On croit déjà entendre ce qu’écrira Balzac en 1840 dans la Revue parisienne : « il n’y a pas de style » chez l’auteur de Jean Cavalier. « M. Sue écrit comme il mange et il boit […]. Il n’y a là ni travail ni effort [84] ». Dans l’Histoire de la marine, selon Gautier, manquent absolument l’ordre et le plan (et Balzac, entre autres, fera en 1840 ce reproche, essentiel, au romancier). Sue empile les documents sans les intégrer dans le tissu romanesque : de fait « les pages sont très souvent un rez-de-chaussée d’annotations si considérables que les étages de lignes supérieures », le texte réel, n’ont « l’air que de la glose des notes », et Balzac de remarquer, lui : « de loin en loin il crible ses pages d’astérisques qui vous renvoient à de petites notes […]. L’auteur pousse la note jusqu’à l’impertinence » [85]. Gautier dans la Chronique écrivait sans doute ce que pensait déjà Balzac et qu’il n’exprimait pas. Par ailleurs Gautier remarque, dans « Macédoine de poètes », le 3 juillet : « Les personnes les mieux nées ne rougissent pas d’envoyer louer des livres que leurs laquais n’osent qu’à peine rapporter avec un double gant ; des livres graisseux tachés d’huile et de suif […]. En Angleterre les femmes de chambre seules s’approvisionnent aux cabinets de lecture ». Balzac avait écrit en 1834 dans la Revue de Paris : « En France, […] où les femmes sont élégantes et gracieuses comme elles ne sont nulle part, la plus jolie femme attend patiemment pour lire Eugène Sue, Nodier, […] V. Hugo, G. Sand, Mérimée […] que la femme d’un charcutier ait achevé le dénouement et l’ait graissé, que l’étudiant y ait laissé son parfum de pipe [86] ».

34Du 24 mars au 1er mai, Planche donna à la revue onze articles sur « Le Salon de 1836 », détaillés et fort peu enthousiastes. Il avait commencé, en janvier et février, par écrire notamment sur les élections académiques et sur la dernière édition du Dictionnaire ; il rendit compte, le 3 et le 6 mars, de la première des Huguenots, et fit aussi des chroniques de théâtre [87]. Il condamne sévèrement Meyerbeer, non parce qu’il se fonde sur l’harmonie aux dépens de la mélodie (il ne prend nullement parti dans la querelle farouche qui oppose alors partisans de la musique allemande et partisans de Rossini) mais il estime que, s’il se trouve dans l’œuvre des morceaux heureux, ils sont sans lien organique avec l’ensemble (c’est un peu le reproche qu’il faisait à Lamartine), et que Meyerbeer faute de savoir inventer a puisé dans toutes les écoles et manque absolument d’originalité [88]. Il accable surtout Scribe, l’auteur du livret, « merveilleux d’ineptie et de platitude », qui atteint les sommets de l’absurde. Et dire que l’Académie a pu élire un tel individu ! Aussi bien son article, le 4 février, sur la réception sous la coupole de ce « chansonnier » qui « traitera toujours le bon sens et la grammaire avec un mépris absolu » (« Scribe est à bout » écrira Balzac en 1838 [89]) est-il terrible, et Planche l’est tout autant contre une institution qui en ce printemps élit aussi des Dupaty, des Salvandy, abîmes de médiocrité, et Dupaty contre V. Hugo ! Sans doute « l’adversaire des romantiques » trouve-t-il Hugo un « artiste reprochable », dont « la volonté seule peut-être laissera des traces », mais cette volonté et son désir de novation auraient dû lui valoir les suffrages des académiciens, face à un nain littéraire, et on se rappelle Balzac commentant en 1831 une caricature où Grandville montrait « l’Académie enveloppée dans les bandelettes d’une momie », et notant : « Oh ! comme on voit bien qu’elle a dû élire Viennet, et refuser Benjamin Constant… » [90]. Balzac avait été très dur pour Hernani, il était partagé à l’égard de Hugo. Mais il savait qu’il était le plus grand écrivain de son temps… avec lui. En fait pour Planche (article du 3 février) l’Académie se déshonore, se condamne pour l’avenir en accueillant en son sein « des gens sans mérite strictement littéraire ». Au contraire, pour se rajeunir et vivre, elle a besoin d’« hommes littéraires » qui inventent (il a par ailleurs dressé, le 24 mars, un véhément réquisitoire contre la Quatrième Classe de l’Institut qui décide de l’admission au Salon, composée d’hommes sans mérite, découragés, qui veulent retrouver chez les candidats leurs propres défauts). Les écrivains, notait Balzac deux ans auparavant, ne doivent en rien compter sur l’Académie pour les défendre [91] et il écrira même à l’Étrangère à la fin de 1843 que se trouvant « en dehors de l’Académie, [il s’est] mis à la tête de la littérature qui en est exclue ». Ce sont « trente-six cadavres » [92]. Enfin dans ces deux longs articles sur le Dictionnaire (les 17 et 21 janvier) Planche releva avec une belle verve, une grande pertinence, les timidités, l’incertitude des connaissances, le manque de rigueur intellectuelle et d’ouverture d’esprit de maints membres de l’Institut. Or l’ardent souci de la langue fut toujours fondamental pour Balzac.

35En 1836, nombre de journaux et de revues sont fort avares de critique littéraire. Comme l’a montré M.-F. Melmoux-Montaubin, le phénomène est patent dans les quotidiens : la critique dramatique y a un prestige dominateur ; la critique littéraire, souvent « en troisième ou quatrième page », est « désignée par cette position comme un élément subsidiaire, voire, quand elle se trouve en dernière page, comme un appendice publicitaire [93] ». Dans la Chronique de Paris, qui est journal et revue, la critique littéraire a une fort belle place, et il est notable qu’elle traite avant tout d’ouvrages de fiction, et non comme c’était souvent le cas ailleurs d’histoire, d’érudition ou de grands récits de voyage. M. Iknayan a démontré combien le roman sous la monarchie de Juillet, malgré sa vogue auprès du public, parut longtemps création secondaire et conquit très progressivement ses lettres de noblesse [94]. Au premier semestre de 1836, il n’a pas encore tout à fait remporté la victoire. Mais dans la Chronique de M. de Balzac la valeur du genre en lui-même n’est pas contestée, et la sévérité à l’égard de certaines productions est la marque même de l’estime qu’on lui accorde. La hauteur de vue, la cohérence de la réflexion chez Planche et Gautier (chez Ch. de Bernard… ou Balzac ?), sont incontestables, si rudes soient souvent leurs avis. Mais force est de le constater, maints autres rédacteurs de la Chronique, au fond assez assurés d’eux-mêmes, et contraints de fournir leur copie, pratiquent, comme nombre de leurs confrères journalistes, une « rhétorique de l’esquive », selon l’expression de M.-È. Thérenty [95]. Au vrai, l’analyse des œuvres, au sens actuel, est assez restreinte : maniant l’éloge ou le blâme, on pratique aussi sans trop de distance le genre épidictique [96].

36*

37Au bout de trois mois, Balzac commença à se lasser d’un travail harassant : c’était une terrible gageure que de publier une revue bihebdomadaire, et on ne peut douter du travail très important de lectures, d’analyse et de synthèse que requérait la rédaction de la rubrique « Extérieur ». Par ailleurs il se heurtait aux résistances d’une équipe peu sûre et difficile à discipliner : « je porte à moi seul le faix » du journal « dont tous les rédacteurs sont malades » écrit-il à Louise le 7 mars [97] et Werdet se souvient qu’on se réunissait chez lui le samedi ; chacun arrivait avec sa copie ; d’ordinaire il n’y en avait pas ; on dînait, on plaisantait, on buvait, et soudain entre onze heures et minuit s’improvisaient les articles à paraître le lendemain [98]. Au printemps la situation comptable est vraiment alarmante. En mars, Duckett se retire et on impose au Directeur un nouveau traité qui accroît ses engagements financiers. Balzac essaie de ménager les abonnés… si rares. Ainsi à la fin d’une publication de Marcel (C. Marbouty), disons un peu « féministe », il publie la note suivante : « À l’occasion de cette Étude de femme, nous croyons nécessaire de déclarer que nous laissons se produire librement les ouvrages d’imagination dans la Chronique, mais que nous ne saurions accepter la responsabilité des idées qui s’éloigneraient dans ces productions toutes littéraires des principes sociaux et politiques qui sont la base de nos travaux » (21 avril). Le Directeur tente de jouer sur la publicité (le 2 juin on vante donc en pleine page un « Emprunt d’assurance ouvert à Londres » !), et lance un « Prospectus », adjoint à la première édition du Lys dans la vallée (mise en vente vers le 10 juin), où sont un peu embellies l’offre et l’attractivité de la revue. On y « trouve souvent », écrit-on, « des caricatures de mœurs échappées au crayon des H. Monnier, des Grandville, des Daumier » ; « tous les mois les abonnés reçoivent une gravure de mode du meilleur goût, accompagnée d’un article sur les [mœurs] du monde fashionable ». En fait seul Daumier œuvra dans la Chronique et on n’y vit jamais gravure de mode ni article fashionable [99]. On annonce même le 16 juin, comme pour relancer l’intérêt des lecteurs : « Les numéros suivants contiendront » notamment « LA TORPILLE par M. de Balzac. Ce dernier ouvrage n’est pas moins important que LE LYS DANS LA VALLÉE, et nous pouvons nous permettre l’indiscrétion d’annoncer que le principal personnage de cette œuvre est celui de VAUTRIN, qui excita tant de curiosité et d’étonnement lors de la publication du PÈRE GORIOT ». Néanmoins toujours très peu d’abonnements nouveaux, de renouvellements : le prix en est élevé (60 francs) ; la ligne politique est floue, si déconcertante. Balzac s’absente un peu plus d’une semaine à la mi-juin (il rédige alors à Saché la toute première mouture d’Illusions perdues). Il croit pouvoir rentrer le 8 juillet [100]. Rappelé d’urgence, il est à Paris le 3 ou le 4. La situation financière n’est plus tenable. Il abandonne finalement la partie le 16 juillet [101], chargé, écrasé d’un terrible passif dont la seconde partie du dossier A 254 présente les éléments. La lecture en est émouvante et navrante. S’y entassent les jugements rendus contre lui, les avis de saisie, les réclamations pour très anciens impayés, et cela jusqu’en… 1846.

38Absolu fiasco financier, la Chronique ne fut pas indigne en elle-même, et elle eut quelques lecteurs notables, Liszt, Mme d’Agoult, Hammer-Pugstall. Ce fut une belle mésaventure. Sans manquer à l’humour (on se rappelle les jeux sur les pseudonymes), elle fut encyclopédique et pratique, elle parla, avec sérieux et probité, de canaux, de chemins de fer, de phrénologie et d’astres, toujours soucieuse d’informer son lecteur avec la plus grande véracité. Journal littéraire, elle sut être exigeante dans ses jugements, en laissant à chacun sa liberté ; sur plusieurs sujets, Gautier, Planche et Balzac furent à l’unisson. Et elle sut être éclectique : on y rendit compte sans exclusive, aussi bien des œuvres de Goethe, d’études sur la littérature allemande, sur « l’avant-école de Shakespeare », de Jocelyn, du Napoléon d’E. Quinet… que des romans du jour, celui d’A. de Musset, et ceux d’A. Houssaye, Latouche, M. Waldor entre autres ou… de P. de Kock. Ce fut encore l’honneur de la Chronique de publier non seulement des œuvres de M. de Balzac mais encore, pour finir, dernier coup d’éclat, l’admirable récit de Gautier, La Morte amoureuse. Sa partie politique, malgré son opposition agressive et sans nuances au régime, eut de la tenue. Et même tel critique a pu considérer que certaines chroniques de l’« Extérieur » entraient dans le cercle fermé des beaux textes polémiques de ce premier xixsiècle [102]. Mais ce fut pour Balzac un échec politique personnel manifeste (1836 est l’année ou naît Illusions perdues). Il visait la députation et P. Baudoin fait remarquer qu’il fut aussitôt privé de la « Critique politique » intérieure, le meilleur tremplin vers la Chambre [103]. Il s’empara de l’« Extérieur » et s’y distingua par le sérieux de son information, par sa capacité à donner l’impression de la maîtrise des données, et par une mise en texte brillante. Il pouvait se voir désormais en futur ministre des Affaires étrangères. Évoquant ces congrès européens qu’il faudrait réunir, ne pouvait-il songer à Chateaubriand ? Sur un plan général, la politique qu’il prônait réellement, était, à lire la Chronique, moins autocratique que résolument conservatrice et plutôt modérée. Elle n’était pas éloignée, pense P. Baudoin, de celle du Journal des Débats[104], mais en fait pour la politique étrangère elle en était aux antipodes. Aussi bien, en 1836, cette politique à laquelle participeraient légitimistes fidèles à eux-mêmes et centristes les acceptant comme ils étaient, ne fut-elle agréée ni par les uns ni par les autres. Parmi les premiers beaucoup tenaient que la Chronique composait avec le pouvoir. Les seconds considéraient qu’elle servait vraiment fort mal ceux qui visaient aux responsabilités suprêmes. Alors sa chute a-t-elle été accélérée par un Guizot mécontent, question que pose P. Baudoin [105] ? Possible. Chi lo sa ? Déjà plus tôt, en 1831 et 1832, Balzac avait fait à ses amis carlistes, peu épris de nouveautés, des propositions d’adaptation au réel de la situation. Elles n’avaient guère été suivies. Passionné de politique, et vrai légitimiste, fondamentalement il n’était pas un homme de parti. En tout cas en juillet 1836, il n’y a plus pour lui de carrière politique. Il a manqué à ce qu’il devait à l’Étrangère, et se devait à lui-même. Cet échec met sous une lumière crue « tous les autres déficits existentiels » de celui qui écrivait à Mme Hanska le 27 mars 1836 : « le mois de mai 1836 approche et j’aurai trente-sept ans. Je ne suis rien encore » [106]. L’échec de la Chronique le rive, le voue à l’Œuvre, Prométhée déchiré, enchaîné.

Notes

  • [1]
    Auquel on peut ajouter « Sur les articles de la Chronique de Paris », présentation des textes balzaciens publiés au tome 27 de l’édition du Club de l’Honnête Homme, Paris, 1963 (sous la direction de M. Bardèche), pp. 275-280 et la « Note », technique, de N. Felkay : « Autour de la Chronique de Paris (1834-1837) » dans l’AB 1970, pp. 356-359.
  • [2]
    Les informations ou analyses de la Chronique se trouvent passim dans l’ouvrage de P. Berthier, qui donne notamment maints renseignements sur la Chronique de Duckett, dans celui d’A.-M. Meininger essentiellement dans les pages 126-142 du tome I (qui en compte 273).
  • [3]
    Ces textes sont en italien. La traduction que nous en donnons est personnelle. R. di Cesare conclut ces études, plus de dix ans après son dernier article, dans Miseri e splendori di Balzac nel dicembre 1836, Milano, Vita e pensiero, 1977.
  • [4]
    LHB, 27 mars 1836, t. I, p. 306.
  • [5]
    Ibid., 11 août 1835, p. 265.
  • [6]
    Ibid., 27 mars 1836, p. 305.
  • [7]
    Qui était pour elle le modèle principal d’un protagoniste des Employés, objet même de sa prime recherche.
  • [8]
    In « Balzac directeur de la Chronique de Paris. L’indépendance problématique du journal des “intelligentiels” », AB 2006, p. 244.
  • [9]
    Il écrit notamment à Balzac le 19 novembre 1836 : « D’autre part cette désastreuse affaire de la Chronique concourt avec de telles circonstances que je ne sais comment je pourrai me sortir du reste », Corr. Pl., t. II, p. 154.
  • [10]
    Il comprend 287 folios ; les 130 premiers concernent la période allant jusqu’au 17 juillet.
  • [11]
    La Chronique publiait régulièrement des partitions musicales. Par exemple le 5 avril elle avait offert à ses lecteurs, sur plus de deux pages, un « Benedictus à quatre voix » extrait d’une messe de P. A. Bechem, et récemment, le 18 octobre, elle avait donné en pleine page la partition musicale d’une « Ballade imitée de Tristan, paroles de M. Edme Héreau, musique de F. C. A. Béchem », et le 6 décembre « La Nostalgie ou la maladie du pays, Paroles de P.-J. de Béranger, musique de M. Piccini ». Elle publiait de petits articles sur les tendances de la mode, et une gravure de mode accompagnait le numéro paraissant le dernier dimanche de chaque mois.
  • [12]
    Elle s’appellera « Paris » à partir du 11 février 1836.
  • [13]
    Elles sont signées à gauche ou à droite soit H-D. soit DAUMIER, soit h.D.
  • [14]
    Mais aussi deux de Grandville (11 janvier, 14 juin).
  • [15]
    C’est-à-dire P. Chasles selon C. Pichois, Philarète Chasles et la vie littéraire au temps du romantisme, Paris, José Corti, 1965, t. II, p. 473.
  • [16]
    Balzac y publia, à l’ouverture, La Messe de l’athée (3 janvier), puis L’Interdiction (31 janvier, 4, 7, 14 et 18 février), Le Cabinet des Antiques (6 mars) [c’est une partie du futur chapitre I de l’édition originale de 1839], Facino Cane (17 mars), Ecce Homo (9 juin) [récit réutilisé plus tard dans Les Martyrs ignorés Fragment du Phédon d’aujourd’hui publié en 1837 ; à la fin de l’article de la Chronique était indiqué : « la suite au prochain numéro » ; elle ne fut pas publiée]. Par ailleurs la revue publie Une aventure de grande route de J.-A. David (10, 17, 21 janvier), La Femme gardée de Ch. de Bernard (24, 28 janvier) [c’est Le Persécuteur, qui paraîtra en 1838 dans Le Nœud gordien], Le Sérail de J.-A. David (4, 11, 25 et 28 février) [le texte commence donc à paraître en même temps que L’Interdiction], Le Veau d’or de Ch. de Bernard (20, 24, 27, 31 mars), Les Réfugiés de la Vendée de R. Brucker (les 3, 7, 10 et 14 avril) [ce texte paraîtra dans Le Portefeuille noir en 1839], Une étude de femme de Marcel [id est C. Marbouty] (17 et 21 avril), La Bague de Madame la comtesse de J.-A. David (24 et 28 avril), Comment les petites choses font les grandes d’A. Karr (5 et 8 mai) [texte repris, modifié, dans Einerley (1838) puis intégré dans la nouvelle édition de Sous les tilleuls (1845)], Le Sous-Seing privé de R. Brucker (15 et 19 mai) [Le Portefeuille noir (1839)], Les Lunettes bleues de J.-A. David (26 et 29 mai), La Morte amoureuse de T. Gautier (les 23 et 26 juin). C. Marbouty et Ch. de Bernard sont des amis personnels du Directeur ; Le Nœud gordien sera publié chez Béthune. David venait d’être édité par Werdet qui réitérera en 1840. Brucker, que Balzac ne cite jamais, fut sans doute amené par Werdet qui l’avait publié dès 1833, et le fera encore de 1837 à 1840.
  • [17]
    Girardin, le directeur de La Presse, dès la création du journal en juillet, offre à Dumas de publier dans le feuilleton du seul dimanche des « Scènes historiques » : il s’agit de La [future] Comtesse de Salisbury qui n’est pas tout à fait un roman. Le premier vrai roman paru en feuilleton, dans ce même journal, est La Vieille Fille (23 octobre-4 novembre).
  • [18]
    En fait la plus grande partie paraît le 2 juin (CH, t. IX, pp. 918-964) ; le 5 juin est publié le jugement et la réaction du romancier (pp. 964-966).
  • [19]
    On le devine quand Ch. de Bernard lui écrit : « Je commence à comprendre votre système de feuilleton-tableau de Paris, à la Mercier ; mais je ne tiens à mes idées que par la pointe des cheveux » (Corr. Pl., t. II, 36-13, dimanche 31 [janvier ?] 1836, p. 11).
  • [20]
    Le 8 février 1835, dans la Chronique, Chasles accusa, sans fondement, Balzac d’avoir plagié un roman écossais dans Eugénie Grandet, le 22 de payer le lecteur « en style, en phrases », « en jeux de mots, en jolies choses » et Le Père Goriot n’est pour lui (19 avril 1835) qu’une « contrefaçon bourgeoise du Roi Lear ». D’après C. Pichois il publia cependant le 17 janvier 1836 (c’était un élément d’une série commencée en novembre 1835) « Nos villages. III. Le village historique. Écouen » sous la signature : « Peregrini » (C. Pichois, op. cit., t. II, p. 474).
  • [21]
    Corr. Pl., t. I, 35-177, p. 1177.
  • [22]
    « Je conquis Planche à la Chronique en le mettant à même de payer ses dettes et de se présenter dans le monde en habits propres et convenables », écrira Werdet (Portrait intime de Balzac. Sa vie, son humeur et son caractère, op. cit., p. 219). Et Planche retrouvait à la rédaction Duckett, son ancien condisciple de collège qui, en octobre 1836, s’assurera sa collaboration lorsqu’il entreprendra d’éditer une collection d’auteurs anciens traduits en français (M. Regard, L’Adversaire des romantiques, Gustave Planche, Paris, Nouvelles Éditions latines, 1955, t. I, p. 52 et p. 176).
  • [23]
    Le 28 février et le 3 mars sur l’Histoire de la marine d’E. Sue, le 5 avril sur L’Abordage de J. Lecomte, le 5 mai sur les Poésies catholiques de Turquety, le 5 juin sur La Couronne de bluets d’A. Houssaye, le 19 juin sur Sémiramide la grande d’un certain Desjardins. Son dernier texte le 3 juillet s’intitule : « Macédoine de poètes ».
  • [24]
    R. di Cesare, Un mese della vita di Balzac (gennaio 1836), Milano, Societa editrice « Vita e pensiero », 1959, p. 80. De plus Gautier et Karr donnèrent à la Chronique chacun un texte de fiction (voir note 15).
  • [25]
    R. di Cesare, Un mese della vita di Balzac (gennaio 1836), éd. cit., note 72, p. 127.
  • [26]
    Jacques-Germain Chaudesaigues, né en 1814, arrive à Paris en 1834. Il écrit dans L’Artiste (c’est sans doute là qu’il fait la connaissance de G. Planche) et à partir de l’automne 1836 il est fort actif aussi à la Revue du xixsiècle, à la Revue de Paris.
  • [27]
    Balzac nel marzo 1836, Societa editrice Vita e Pensiero, Milano, 1962, p. 81.
  • [28]
    LHB, t. I, p. 306 (27 mars 1834).
  • [29]
    Mais par exemple on sait par une lettre que telle chronique théâtrale était de Ch. de Bernard (Corr. Pl., t. II, 36-13, p. 11). D’après les éditeurs de la Correspondance il en a publié de nombreuses « sous la signature B. D. » [Bernard du Grail ?], ibid., note 1 de la lettre 36-13, p. 982.
  • [30]
    C’est d’autant plus étrange que Nabielak était le nom d’un collaborateur réel de la Chronique. Dans le dossier Lovenjoul A 254 (f° 119), au moment de l’Inventaire de l’actif et du passif (18 juillet), est mentionnée la somme qui lui est due. Ludwik Nabielak, né en 1804, jeune poète et critique, eut, à Varsovie, un rôle important lors de l’insurrection du 29 novembre 1830 contre le grand-duc Constantin. Comme maints de ses compatriotes il prit la fuite en septembre 1831, quand la révolte fut écrasée, et vint en France. Peut-être la Direction de la Chronique ne veut-elle pas attirer l’attention sur ce réfugié politique.
  • [31]
    R. Chollet note à propos des articles parus dans La Silhouette en 1830 : la « prévention antibritanique est un bon critère d’identification » (OD, t. II, p. 1503, note 2 de la page 706).
  • [32]
    Corr. Pl., t. II, 36-28, p. 21.
  • [33]
    Ibid., 36-32, p. 24.
  • [34]
    Les Entretiens […] étaient de 1802 ; venait d’en paraître une réédition.
  • [35]
    « Mar, Dom Mar, Le Mar, Le Vieux Mar ». Il s’appelait ainsi dans ses lettres, les signait parfois ainsi. Il fait encore d’amusantes variations sur Mar (« Mar vieux, loup, hein ?, à bout, tyre ») dans une lettre à A. de Belloy à la fin de 1838, Corr. Pl., t. II, 38-135, p. 418.
  • [36]
    A.-M. Meininger, Les Employés, édition critique et commentée, op. cit., t. I, pp. 154-155 ; P. Baudoin, art. cit., p. 247.
  • [37]
    Les textes des Chroniques politiques, parlementaires, les articles et comptes rendus des différents contributeurs, notamment Planche, ne peuvent être lus que dans les exemplaires de la Chronique de 1836. En revanche les textes signés MAR.O’C et les articles intitulés « Extérieur » ont été publiés dans le t. XL de l’édition Bouteron et Longnon parue chez L. Conard en 1940, puis au tome 27 de l’édition du Club de l’Honnête Homme, Paris, 1956-1963. Selon l’usage de L’Année balzacienne, en attendant le t. III des OD, ces textes seront cités dans cette dernière édition. Chaque citation sera, dans le corps du texte, suivie du sigle CHH, t. 27, p….
  • [38]
    LHB, t. I, p. 306 : « nous prêchons le pouvoir autocratique ».
  • [39]
    LHB (18 décembre 1835), t. I, p. 281.
  • [40]
    P. Baudoin, art. cit., p. 247.
  • [41]
    Né en 1760, professeur de théologie à la Sorbonne, il avait été choisi en 1820 par le duc d’Orléans comme aumônier de la duchesse ; elle était devenue reine ; il restait un de ses proches.
  • [42]
    À cette sacralisation des martyrs de l’Histoire participe la publication du roman de Brucker, Les Réfugiés de la Vendée, charge contre les robespierristes provinciaux de 1794.
  • [43]
    Guizot, lors de la première Restauration (premier monument), fut haut fonctionnaire au ministère de l’Intérieur ; il démissionna dès le retour de Napoléon (mars 1815). À la fin des Cent-Jours il se rendit auprès de Louis XVIII encore exilé pour le convaincre d’adopter une politique libérale ; on l’appela « l’homme de Gand ». Après le retour du Roi (juin 1815), lors de la seconde Restauration (le second monument), il est à nouveau secrétaire général de ministère jusqu’à la chute de Decazes en 1820. Puis il revient au pouvoir dès juillet 1830.
  • [44]
    Elle continuera jusqu’au 31 juillet et disparaîtra ensuite. Les articles des 17, 24 et 31 seront signés X.
  • [45]
    Il est en effet absent de Paris du mercredi 18 mai au dimanche 26 mai. Peut-être a-t-il remis dès le mardi la très courte chronique du jeudi 19 ? Il n’a sans doute pas écrit celle du dimanche 22, ni celle du 26. Il s’absente à nouveau du 22 au 30 juin et les trois textes alors publiés sont sans doute d’une autre plume.
  • [46]
    « La Chronique de Paris s’est mise en mesure de donner désormais par quinzaine une causerie sur les événements intimes de la vie de Londres », qui « touchera nécessairement parfois aux petits faits de la politique ».
  • [47]
    R. di Cesare, Balzac nel febbraio 1836, Feltrinelli Editore, Milano, 1960, p. 38.
  • [48]
    Délibérément, dans les développements qui suivent, on ne parle guère de « Balzac et la politique anglaise ». Le sujet a été annoncé en effet par M. Lichtlé pour sa communication au colloque d’Oxford (« Balzac et l’Angleterre », 12-14 avril 2018). Elle sera publiée dans l’AB 2019.
  • [49]
    Dans les Lettres sur Paris (1831) Balzac disait clairement (lettres IX et XVI notamment) qu’il fallait intervenir en Pologne (in OD, t. II).
  • [50]
    À la suite du Congrès de Vienne, Cracovie était une ville libre, comme Francfort. Sous la tutelle de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie, elle a en fait une souveraineté limitée. Cette situation dure jusqu’à 1846 ; elle est alors intégrée à l’Autriche.
  • [51]
    Dans les Lettres sur Paris (1831) il tenait la Russie pour une « dévorante autocratie » qu’il fallait repousser vers l’Asie (lettre IX, in OD, t. II, p. 919). En 1836 la Russie est toujours dévorante, mais il accepte pleinement l’autocratie. Il est à noter que le duc de Fitz-James, dans son discours [il a été lu dans La Quotidienne du 1er juin], se garde de manifester une telle inquiétude. Ce sont « les injures et les diatribes parlementaires [anglaises] » qui « s’adressent aujourd’hui [après avoir vilipendé Napoléon] à la Russie qu’elles nous présentent comme une grande bête sauvage prête à nous dévorer ».
  • [52]
    C’est l’expression que Balzac employait pour évoquer les succès de la Russie (voir le début du paragraphe précédent).
  • [53]
    La pensée de Balzac est constante, depuis les Lettres sur Paris de 1831, même si alors il n’était pas encore devenu ardent légitimiste. Dans les lettres I et II il notait que la Belgique ne pouvait vivre sans protecteur et dans la lettre XII (12 janvier 1831) il écrivait : « Conserver Alger, conquérir les Alpes et le Rhin, Anvers, s’il est possible, telle est la pensée intime de tous les ministères qui se succéderont en France, parce que ces occupations territoriales sont des nécessités géographiques. Ce ne sont pas des conquêtes, ce n’est pas une ambition ; c’est une assurance de paix générale donnée à l’Europe ; car la France satisfaite et grande devient l’arbitre de tous les débats sur le continent » (OD, t. II, p. 944), et il remarquait peu après dans l’Enquête sur la politique des deux ministères (30 avril 1831) : « À l’aspect de l’Europe, qui ne nous assignerait pas pour frontières, les Pyrénées, les deux mers, les Alpes et le Rhin ? Tout ce bassin est France » (OD, t. II, p. 986). Le duc de Fitz-James, dans son discours du 31 mai, peut-être pour ne pas effrayer la Chambre, ne parle que du démembrement des forteresses édifiées contre nous en Belgique.
  • [54]
    Les Anglais, raille Balzac, ne prétendent-ils pas que nous sommes inaptes à coloniser l’Algérie ?
  • [55]
    Depuis 1792 maints traités conclus entre la Porte et la Russie ont conforté la place de l’orthodoxie dans l’empire ottoman. La Russie avait, par précaution, contre le sultan – et l’Angleterre −, occupé la forteresse de Silistrie, au nord-est de la Bulgarie actuelle, au mépris des conventions internationales. Le fait avait été abondamment commenté dans la Chronique. Elle vient d’évacuer Silistrie : on doit reconnaître qu’elle respecte le droit…
  • [56]
    « Les doctrines constitutionnelles [sont] usées en France, où elles n’ont pas, comme en Angleterre, un contrepoids dans une aristocratie oligarchique » (« Extérieur », 25 février, CHH, t. 27, p. 315). O’Connell, admirable défenseur du peuple irlandais et du catholicisme, est par ailleurs un fou, écrit Balzac : il veut « le renversement d’une belle, d’une grande, d’une forte aristocratie, qui fait la clé de voûte des institutions anglaises », « la plus belle de toutes les oligarchies » (17 avril, ibid., p. 372). Et Balzac s’inquiète à plusieurs reprises (27 mars, 26 mai) des attaques contre le pouvoir des Lords.
  • [57]
    Balzac écrit par exemple, mais l’idée est maintes fois répétée : « il est en France un malheur normal qui servira toujours les rivaux de notre pays, c’est l’instabilité du gouvernement ; cette instabilité de principe et d’action sera notre rémora politique, tant que l’hérédité ne sera pas restituée à la pairie pour constituer la Chambre des Pairs gardienne des hautes pensées de la politique et permettre aux hommes de pouvoir réaliser des plans. Ce sont les corps constitués d’une façon durable qui font les grandes choses » (« Extérieur », 1er mai, CHH, t. 27, pp. 388-389).
  • [58]
    Voir op. cit., t. I, p. 133.
  • [59]
    Art. cit., p. 250.
  • [60]
    Ce personnage « pitoyable » avait néanmoins eu le courage, en 1831, d’administrer les derniers sacrements à l’abbé Grégoire et cela malgré l’opposition de sa hiérarchie. Aussi n’avait-il pas été nommé à l’évêché de Beauvais.
  • [61]
    P. Berthier notait qu’il y eut des Entretiens […] un autre compte rendu, enthousiaste, celui du Moniteur de la religion. Le journal catholique évoquait « l’entraînement du siècle », mais pour lui « le suicide était un nouveau châtiment divin » (La Presse littéraire et dramatique au début de la monarchie de Juillet 1830-1836, Presses Universitaires du Septentrion, 1997, pp. 1683-1684).
  • [62]
    Voir notes 51 et 53. Mais Balzac prend bien soin, et à maintes reprises, de citer La Quotidienne.
  • [63]
    Lettres sur Paris (1831), II, in OD, t. II, p. 875.
  • [64]
    Le duc de Fitz-James, le 31 mai, soulignait l’importance du pacte de famille, garant de la sécurité du royaume au sud.
  • [65]
    CH, t. III, p. 1192.
  • [66]
    Lettres sur Paris (1831), XII, in OD, t. II, p. 944.
  • [67]
    R. di Cesare, Balzac nel marzo 1836, éd. cit., pp. 149-150. Le romancier avait allusivement manifesté son intérêt pour Herschell (pour ses « mondes brisés ») dans la Lettre à M. Charles Nodier parue en août 1832 dans la Revue de Paris (voir OD, t. II, p. 1209) ; il le cite encore dans la Théorie de la démarche (publiée dans L’Europe littéraire en août 1833) in CH, t. XII, p. 262.
  • [68]
    Les Entretiens sur le suicide de l’abbé Guillon, Le Cloître au xixsiècle d’A. Daminois, Le Ministère de M. Thiers de Capefigue.
  • [69]
    Est conservé dans le fonds Lovenjoul (A 85) un autographe de Balzac, première mouture d’un article sur France et Marie. « À relire attentivement les deux textes » de Balzac et de Ch. de Bernard, note R. di Cesare, on s’aperçoit que « bien souvent » ce dernier « n’a pas fait autre chose que transférer dans son propre manuscrit les phrases balzaciennes » in « Una recensione inedita di Balzac a Latouche », Studi francesi, II, n° 4, janvier-avril 1958, p. 63.
  • [70]
    Les lettres concernant son absence sont, dans le tome II de Corr. Pl., les nos 36-79, -80, -81 ; la lettre à Delphine est le n36-83.
  • [71]
    Ce texte occupe six colonnes, donc trois pages. Il se termine ainsi : « Autrefois les belles dames ne donnaient leur écharpe qu’à une épée glorieuse, mais elles ne défendaient pas à un guerrier obscur de rêver leurs couleurs. Ainsi, à moins qu’une défense expresse ne me vienne, je suis décidé à imiter la belle châtelaine d’aujourd’hui ; à mettre le premier péché littéraire que je commettrai sous un gracieux patronage, comme elle-même a confié la fortune de son ouvrage au ferme appui d’un nom poétique et populaire. Et quel titre pourrais-je inventer plus heureux que celui dont elle a créé le modèle ! quel pavillon pourrais-je rêver pour y abriter la bluette méditée par moi contre les auteurs de la Chronique, et qu’ils subiront prochainement, plus élégant et plus protecteur que L’OMBRELLE DE MADAME DE GIRARDIN ».
  • [72]
    LHB, t. I, p. 306.
  • [73]
    À propos de Chaudesaigues voir le chapitre (« Le Clair de lune de M. Planche ») que lui consacre M. Regard dans L’Adversaire des romantiques, Gustave Planche, éd. cit., t. I, pp. 204-214.
  • [74]
    Les liens de Balzac et de Mme d’Abrantès sont connus (il avait même peut-être aidé à ses Mémoires) comme ses liens avec Davin. À cette date il fréquentait les soirées mondaines et musicales de la comtesse Merlin ; il le fera plus encore après 1841. Elle avait semble-t-il donné quelques traits à la fille aux yeux d’or. La « camaraderie littéraire » rappelle le titre de l’article de Latouche paru dans la Revue de Paris en octobre 1829. D’entrée de jeu Z.Z.Z. note, à la fin de la lettre à Willibald du 17 janvier : « Le libraire Werdet vient de mettre en vente un nouveau roman de M. Jules-A. David : La Duchesse de Presles. Remarquez, Monsieur, que M. David est trop près de nous pour que je puisse parler de son livre : la critique manquerait de convenance ».
  • [75]
    Mme d’Abrantès se méprit, semble-t-il (Corr. Pl., t. II, p. 60).
  • [76]
    Il venait récemment, de le montrer, en août 1835. Z. Carraud lui demanda son aide pour son jeune protégé É. Chevalet, débutant dans les lettres. Balzac le reçut, le lut. Sa réaction fut impitoyable, désespérante, sans aucun ménagement (Corr. Pl., t. I, lettres 35-108 à 35-111). Il avoua même quelques jours plus tard à Zulma que sa réponse, son appréciation avaient été « furibonde[s] » (ibid., 35-114).
  • [77]
    Werdet, peu amène à l’égard de Balzac, estime que le romancier, « profitant de sa position de rédacteur en chef, de même qu’un Parthe qui, en fuyant, décoche ses flèches acérées, lançait toutes les siennes contre toutes ses bêtes noires […], n’écrivait pas ces articles fulgurants et caustiques, mais il les inspirait, en indiquait le sujet, les commandait… », Souvenirs de la vie littéraire, op. cit., p. 49.
  • [78]
    Balzac, dès le 15 janvier 1835, avait promis à Custine un compte rendu. Pour des raisons obscures, il tergiversa jusqu’au 15 février. À cette date il lut son article à la duchesse d’Abrantès, amie, admiratrice fervente de l’auteur du Monde […]. Très peinée d’un tel texte, si cruel (in OD, t. II, pp. 1808-1809), elle obtint de Balzac qu’il y renonçât (voir Corr. Pl., t. I, 35-27, p. 1055). Le lendemain 16 février parut dans Figaro un article méchant et assez mesquin sur le roman. Il était anonyme, mais les gens bien informés, dont la duchesse, pensèrent qu’il était de Sandeau, intime de Balzac et qui habitait chez lui. Et ce texte paraissait le lendemain même du jour où Balzac avait renoncé au sien ! N’est-ce pas lui qui publiait anonymement ? R. Chollet écrit : « Bien qu’on ait envie de le disculper d’une opération aussi peu honorable, et qui n’est pas dans sa manière, […] il est possible que l’article ait été sinon dicté, du moins inspiré par Balzac » (OD, t. II, note p. 1808). Balzac promit à la duchesse un nouvel article plus indulgent. Celui-ci était terminé le 27 février 1835. On peut le lire in OD, t. II, pp. 1199-1202. Il ne fut jamais publié.
  • [79]
    Corr. Pl., t. II, 35-27, 17 ou 18 février 1835, p. 1055.
  • [80]
    Revue du xixsiècle, 10 décembre 1836, p. 581.
  • [81]
    Sans doute le 11 février a-t-il traité des Œuvres complètes de Byron ; en fait il a minutieusement raconté la vie du poète jusqu’à son retour en Angleterre avec les deux premiers chants du Pélerinage d’Harold.
  • [82]
    Planche par ailleurs exécuta Une famille au temps de Luther de C. Delavigne (le 21 avril), et le Dom Juan de Marana de Dumas (le 5 mai). Il témoigna de son indéfectible amour des grands chefs-d’œuvre classiques en rendant compte d’une traduction des Œuvres d’Eschyle (19 mai).
  • [83]
    Jeune il rêva d’un succès comme celui des Méditations, et en 1830-1831, alors proche des Girardin, il déplora l’insuccès des Harmonies poétiques et religieuses. Il note dès l’« Extérieur » du 17 avril : « M. de Lamartine s’est posé à la tribune comme un ami du docteur Bowring, espèce de tirailleur politique et bavard que lâche l’Angleterre sur le continent en avant des questions diplomatiques ; cette amitié servira peu à M. de Lamartine, mais l’illustre poète s’est fait selon nous un grand tort en se mettant à la suite de Daniel O’Connell » (CHH, t. 27, pp. 371-372). Voir note 56.
  • [84]
    « Lettre sur la littérature » (Revue parisienne, 25 juillet 1840) in Balzac, Écrits sur le roman (éd. de S. Vachon), Paris, Le Livre de poche, 2000, p. 180.
  • [85]
    Ibid., p. 178.
  • [86]
    Lettre aux écrivains français du xixsiècle (Revue de Paris, 2 novembre 1834) in OD, t. II, p. 1246. Et Balzac ajoute que les gens riches se prêtent les nouveautés.
  • [87]
    Depuis 1831 Planche avait dans L’Artiste et dans la Revue des Deux Mondes écrit de très nombreux articles sur la musique et la peinture anciennes et contemporaines, et il y avait fort critiqué l’Académie. Il avait publié notamment Le Salon de 1831 (voir les listes données par M. Regard dans L’Adversaire des romantiques, Gustave Planche, éd. cit., t. II, pp. 197-225).
  • [88]
    On sait que Balzac, rossinien au fond, entreprendra Gambara, une nouvelle allemande, en octobre 1836, et écrira aussitôt après Massimilla Doni, glorieux hymne à la mélodie.
  • [89]
    Corr. Pl., t. II, 38-109, 4 décembre 1838, p. 395.
  • [90]
    In « Les Bacchanales de 1831 » (La Caricature, 17 février 1831) ; voir OD, t. II, pp. 847-848.
  • [91]
    Lettre aux écrivains français du xixsiècle (Revue de Paris, 2 novembre 1834) in OD, t. II, pp.1238-1239.
  • [92]
    Le 15 décembre (LHB, t. I, p. 753) pour la première citation, le 24 pour la seconde (ibid., p. 758).
  • [93]
    « Autopsie d’un décès. La critique dans la presse quotidienne de 1836 à 1891 » in Romantisme n° 121, 2003, p. 11.
  • [94]
    M. Iknayan, The idea of novel in France : the critical reaction 1815-1848, Genève, Droz, Paris, Minard, 1961.
  • [95]
    Mosaïques : être écrivain entre presse et roman, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 382. Thibaudet appelait cette critique « critique spontanée » (ibid.).
  • [96]
    Voir M.-È. Thérenty et A. Vaillant, L’An I de l’ère médiatique. Analyse littéraire et historique de La Presse de Girardin, Paris, Nouveau monde éditions, 2001, p. 249.
  • [97]
    Corr. Pl., t. II, 36-32, p. 24.
  • [98]
    Portrait intime de Balzac, éd. cit., pp. 219-227. Les ouvrages de Werdet fourmillent d’erreurs factuelles, d’approximations, d’incertitudes. Sans ignorer ses exagérations un peu malveillantes, on peut néanmoins accorder quelque foi à son tableau de la rédaction. Rédaction où couvaient des rancœurs souterraines. R. di Cesare (« Ancora su Chaudesaigues : Chaudesaigues e Balzac », Studi francesi, II, n° 4, janvier-avril 1958, pp. 214-230) explique que Chaudesaigues entretenait jusqu’en juin les meilleurs rapports avec Balzac. Il commit pourtant contre lui, sur son œuvre, dans la Revue du xixsiècle (t. VI, 30 octobre 1836) un article indigne, atrocement venimeux !
  • [99]
    Le « Prospectus » est conservé dans le dossier A 254 du fonds Lovenjoul ; la citation est au f° 17. Il n’y a de gravure de mode dans aucun des trois exemplaires de la Chronique consultés, celui de la BnF-Tolbiac, celui de la Bibliothèque de l’Arsenal, ni celui de la Maison de Balzac.
  • [100]
    Lettre à É. Regnault, Corr. Pl., t. II, 36-106, 27 juin 1836, p. 85.
  • [101]
    En fait il ne rompra pas tout à fait avec la revue. Il y publiera La Perle brisée (2e partie de L’Enfant maudit) en octobre, « Sur les questions de la propriété littéraire et de la contrefaçon » (30 octobre 1836), continuation de l’« Histoire du procès » avec Buloz, et Le Secret des Ruggieri (décembre 1836 et janvier 1837).
  • [102]
    R. di Cesare, Balzac nel maggio 1836, Milano, Societa editrice Vita e Pensiero, 1962, p. 150.
  • [103]
    Art. cit., p. 247.
  • [104]
    Ibid., p. 248.
  • [105]
    Ibid., pp. 254-256.
  • [106]
    J.-L. Diaz, « La politique d’un intelligentiel », in Balzac et la politique (sous la direction de B. Lyon-Caen et M.-È. Thérenty), Christian Pirot, 2007, pp. 39-40. Après le départ de Balzac la Chronique reprend son cours. Elle redevient aussitôt hebdomadaire. Apparaissent de nouveaux collaborateurs, comme Janin, et de nouveaux pseudonymes, comme « un André qui signe les “Causeries de salon”, signées jusqu’alors “Comte de Griffe”, c’est-à-dire A. Karr » (R. di Cesare, Balzac nel luglio 1836, Societa editrice Vita e Pensiero, Milano, 1962, p. 106).
Français

Les lecteurs de Balzac savent quel terrible échec, personnel et financier, fut pour lui la Chronique de Paris. Mais aussi bien la revue elle-même est-elle peu connue, sans être inconnue. On se propose simplement d’examiner avec précision comment on passa de celle de Duckett à celle de Balzac, quels furent ses contenus et ses tendances. Elle fut encyclopédique et pratique, soucieuse d’informer son lecteur avec la plus grande véracité. Journal littéraire, elle sut être exigeante dans ses jugements, en laissant à chacun sa liberté. Et elle fut éclectique, rendant compte aussi bien d’œuvres majeures que d’œuvres mineures. Ce fut encore son honneur de publier non seulement des œuvres de M. de Balzac mais aussi pour finir l’admirable récit de Gautier, La Morte amoureuse.
Sa partie politique, malgré son opposition agressive et sans nuances au régime, eut de la tenue. Balzac ne put y traiter de la politique intérieure. Il s’empara de l’« Extérieur » et s’y distingua par le sérieux de son information, la défense de l’alliance russe (et non pas anglaise), et par une mise en texte brillante. Sur un plan général, la politique que prônait réellement la Chronique était moins autocratique que résolument conservatrice et plutôt modérée. Devaient y participer légitimistes fidèles à eux-mêmes et centristes les acceptant comme ils étaient. Elle ne fut agréée ni par les uns ni par les autres. Vrai légitimiste, fondamentalement, Balzac n’était pas un homme de parti. En tout cas en juillet 1836, après un tel fiasco, il n’y a plus pour lui de carrière politique.

Alex Lascar
Mis en ligne sur Cairn.info le 23/11/2018
https://doi.org/10.3917/balz.019.0323
Pour citer cet article
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