CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En préparant une édition russe des deux œuvres balzaciennes consacrées spécialement au mariage : Physiologie du mariage et Petites misères de la vie conjugale, j’ai consulté, comme de raison et avec beaucoup de profit, les notes de René Guise et de Jean-Louis Tritter publiées dans l’édition de la Pléiade. Or, malgré la richesse exceptionnelle de ces notes, il demeure plusieurs lacunes concernant les sources de quelques citations présentes dans le texte de Balzac.

2Il est vrai que parfois, comme le note judicieusement René Guise, Balzac nous invite à rechercher la source de son texte par « coquetterie d’auteur [2] », comme il le fait, par exemple, au début de la Méditation XIX, en disant des maximes qu’il y cite que « si, par hasard, il s’y trouvait une seule pensée neuve, mettez-la sur le compte du diable qui conseilla l’ouvrage [3] ». Mais dans cette même Physiologie du mariage se rencontrent plusieurs cas dont le diable n’est nullement responsable et où Balzac dit la vérité pure en avouant qu’il cite « un ravissant poète », « un auteur contemporain » ou « un auteur ingénieux » [4]. Comme à présent la recherche par le biais d’internet offre des possibilités nouvelles dont nos prédécesseurs étaient privés, j’ai réussi à identifier plusieurs de ces auteurs mystérieux.

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4Je commencerai par la source la plus riche, à laquelle Balzac accourt dans la Physiologie du mariage une bonne dizaine de fois. Je parle des deux œuvres de Pierre-Édouard Lemontey (1762-1826), intitulées Observateurs de la Femme, ou Récit exact de ce qui s’est passé à la séance de la Société des Observateurs de la Femme, le mardi 2 novembre[5] et Parallèle moral et physiologique de la danse, du chant et du dessin, où l’on compare l’influence de ces trois exercices sur la résistance des femmes aux séductions de l’amour. Le premier texte fut publié la première fois séparément chez Deterville en 1803 ; le deuxième, dans le second volume du livre intitulé Raison, folie, chacun son mot. Petit cours de morale, mis à la portée des vieux enfants, publié toujours chez Deterville en 1816, à côté de la réédition des Observateurs de la Femme. Mais on peut présumer que Balzac a utilisé pour la Physiologie du mariage le second volume de l’édition posthume des Œuvres de Lemontey publiée en 1829 chez A. Sautelet, Brissot-Thivars et Alexandre Mesnier. Cette édition est sortie en automne de cette année (annoncée dans la Bibliographie de la France le 5 octobre 1829), juste lorsque Balzac terminait son livre dont le premier volume était fini, comme on sait, le 10 novembre, et le second, le 15 décembre [6]. L’édition de Lemontey fut annoncée dans des périodiques qui en vantaient les mérites et louaient surtout « cette première livraison qui offre une lecture aussi amusante que les belles pages de Rabelais et les contes de Voltaire [7] ». Comme aucun des fragments remontant à Lemontey n’est mentionné dans la Physiologie pré-originale, bien que la plupart de ces fragments se trouvent justement dans les premières Méditations qui la reprennent, on peut présumer qu’en travaillant sur cette première Physiologie, Balzac ne connaissait pas encore les textes de Lemontey, mais qu’en 1829 il feuilleta le livre nouvellement paru et que le titre Observateurs de la Femme attira son attention, étant donné le rôle de la femme dans son propre livre (lui-même se posant déjà en quelque sorte en « observateur de la femme »). Comme le remarque judicieuse­ment René Guise, l’achèvement du livre « résultait d’un travail d’amplification – au sens rhétorique du terme – d’un texte antérieur », d’où « le recours aux anecdotes, de plus en plus nombreuses » [8]. Or une vaste citation de Lemontey pouvait très bien servir à un auteur en quête d’amplifications.

5Cette vaste citation, c’est le fragment sur la danse que Balzac cite dans la Méditation XII, en prévenant que « cette matière ayant été assez bien traitée par un contemporain, nous le laisserons parler [9] ». En commentant ce passage René Guise se pose la question : « Effet de style ou emprunt réel : nous pencherions pour la seconde hypothèse. Mais l’auteur auquel Balzac a pris cette page n’a pas été identifié [10]. » Or, à présent il est incontestable que l’intuition n’a pas trompé René Guise. Voici le texte de Lemontey que Balzac a transcrit d’une façon un peu libre, mais en gardant pourtant tout son caractère original (nous reproduisons en gras les fragments de Lemontey, copiés par Balzac) :

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Telle pauvre victime qu’admire un cercle enchanté, eût fait un bon marché pour son repos, si au lieu d’éblouir le salon par les prodiges d’une gavotte, elle y eut en secret chaussé la brosse et remplacé le frotteur.
Quel fruit faut-il attendre d’efforts aussi peu proportionnés aux moyens d’un sexe délicat ? Les muscles fatigués sans discrétion, consomment sans mesure. Les esprits destinés à nourrir le feu des passions et le travail du cerveau, sont détournés de leur route. L’absence des désirs, le goût du repos, le choix exclusif des aliments substantiels, tout indique une nature appauvrie, plus avide de réparer que de jouir. Aussi un indigène des coulisses me disait un jour : « Qui a vécu avec des danseuses, a vécu de mouton ; car leur épuisement ne peut se passer de cette nourriture énergique. » Les prêtres saliens, qui dansaient beaucoup dans la célébration de leurs mystères, comme l’indique leur nom, dérivé du mot latin saltare, ne furent distingués dans l’ancienne Rome que par leur vorace gourmandise. Croyez-moi, l’espèce d’enchante­ment qui environne une danseuse n’a rien de réel. L’amour qu’un tel spectacle a pu séduire ne rencontre avec dépit, sous un printemps factice, qu’un sol froid et avare, et des sens incombustibles. C’est ce que m’a confirmé un homme grave qui avait fait sur cette branche de la physiologie un nombre prodigieux d’expériences comparées. Je le cite avec d’autant plus de confiance qu’ayant été directeur d’un Opéra, il se trouvait, pour approfondir l’objet de ses recherches, dans la même situation où la magnificence d’Alexandre avait mis Aristote lorsqu’il écrivit l’Histoire des Animaux.
Aucun stimulant moral ne réveille d’ailleurs l’engourdissement où l’excès de la danse jette les organes de la sensibilité. La science des pirouettes ne flatte que la vanité, passion froide et stérile ; elle n’intéresse ni le cœur, ni l’esprit, ni l’imagination. Les anciens ne pouvaient la concevoir que comme une suite de l’ivresse ; ce qui fit dire à Théophraste que c’était un signe de démence de danser à jeun. L’expression « bête comme un danseur » est un proverbe de théâtre que je n’aurais pourtant pas répété, si je n’y connaissais des exceptions. On trouve aussi dans les environs d’Alep une espèce de grue à belle couleur grise, que les Européens appellent l’oiseau danseur (Voyages de Pockocke, t. VI, p. 119).
Rien n’est si ordinaire dans les bals brillants que d’entendre dire : « Voilà une demoiselle qui danse trop bien pour trouver jamais un mari ». Il pensait autrement, ce Clysthène, tyran de Sicyone, dont parle Athénée, livre XIV; car ayant vu danser sans grâce l’Athénien Hippoclide, qui recherchait sa fille, il la lui refusa aussitôt, en disant : « Ce jeune homme a dédansé son mariage ». Mais l’injuste opinion des modernes tient à un préjugé que je dois détruire. La danse et ses durs travaux ne forment-ils donc pas une école sévère protectrice de la sagesse ? Ne sont-ils pas pour les jeunes filles précisément ce qu’est la chasse pour les adolescents, la chasse si fort recommandée par Rousseau et par tous les moralistes, comme un préservatif des passions naissantes ? La continence des Amazones eût-elle été possible sans les rudes exercices qu’elles s’imposaient ? La mythologie, dont les fables exhalent tant de vérités, a-t-elle mis sans raison la chasteté au premier rang des attributs de Diane ? Les médecins calabrois ordonnent la danse pour remède aux passions hystériques qui sont communes parmi les femmes de leur pays (Voyage en Sicile, etc., par le baron de Riedesel). Les Arabes usent à peu près de la même recette pour les nobles cavales dont le tempérament trop lascif empêche la fécondité.
Mme Dacier observe sagement, dans ses remarques sur le XXe chant de l’Iliade, que Diane la pure protégeait les Troyens, parce que ces barbares dansaient plus que les Grecs. Le célèbre Locke, qui fait de la vertu le but unique de l’éducation, recommande expressément « d’enseigner aux enfans à danser dès qu’ils sont en état de l’apprendre » (Éducation des enfans, par Locke, t. 1, p. 164). Enfin la walse, que l’imagination corrompue des spectateurs français se plaît à souiller, n’est-elle pas née au sein de mœurs plus pures que les nôtres ? Le peuple germain qui l’inventa en chérirait-il encore l’usage, si l’expérience de plusieurs siècles n’en eût justifié les apparences un peu hasardeuses, si les meilleures têtes de l’Europe ne fussent restées convaincues que toute danse extrême porte en soi une qualité éminemment réfrigérante.
Cette dernière vérité obtiendra un nouveau degré d’évidence, si nous considérons maintenant dans un ordre contraire combien le feu des plaisirs croît et fermente par les habitudes molles et sédentaires. Les premiers Romains poussèrent la prévoyance jusqu’à interdire aux jeunes gens toute étude qui ne pouvait se faire debout. Nihil majores nostri liberos suos docebant, quod discendum esset jacentibus (Seneca, ep. 88). La vie indolente des pasteurs donna naissance aux amours déréglées. Les mœurs des tisserandes furent horriblement décriées dans la Grèce. Les Italiens ont consacré un proverbe à la lubricité des boiteuses [11]. Les Espagnols, dont les veines reçurent par tant de mélanges l’incontinence africaine, déposent le secret de leurs désirs dans cette maxime qui leur est familière : Muger y gallina pierna quebrantada. « Il est bon que la femme et la poule aient une jambe rompue ». Les Chinois, en mutilant le pied de leurs femmes, ont allumé dans leur sein une fureur dont les récits paraissent incroyables à nos peuples danseurs. La danse est réputée infâme dans les pays mahométans, où les plaisirs de l’amour sont de commandement divin. En Perse, les danses publiques s’exécutent par des loups, et un de ces artistes bien dressé vaut jusqu’à cent louis. La profondeur des Orientaux dans l’art des voluptés se décèle tout entière par cette ordonnance du kalife Hakim, fondateur des Druses, qui défendit, sous peine de mort, de fabriquer dans ses États aucune chaussure de femme. Il semble que sur tout le globe les tempêtes du cœur attendent, pour éclater, le repos des jambes[12].

7Et voici ce que Balzac en avait fait :

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Telle pauvre victime qu’admire un cercle enchanté paie bien cher ses succès. Quel fruit faut-il attendre d’efforts si peu proportionnés aux moyens d’un sexe délicat ? Les muscles, fatigués sans discrétion, consomment sans mesure. Les esprits, destinés à nourrir le feu des passions et le travail du cerveau, sont détournés de leur route. L’absence des désirs, le goût du repos, le choix exclusif d’aliments substantiels, tout indique une nature appauvrie, plus avide de réparer que de jouir. Aussi un indigène des coulisses me disait-il un jour : « Qui a vécu avec des danseuses, a vécu de mouton ; car leur épuisement ne peut se passer de cette nourriture énergique. » Croyez-moi donc, l’amour qu’une danseuse inspire est bien trompeur : on rencontre avec dépit, sous un printemps factice, un sol froid et avare, et des sens incombustibles. Les médecins calabrois ordonnent la danse pour remède aux passions hystériques qui sont communes parmi les femmes de leur pays, et les Arabes usent à peu près de la même recette pour les nobles cavales dont le tempérament trop lascif empêche la fécondité. « Bête comme un danseur » est un proverbe connu au théâtre. Enfin, les meilleures têtes de l’Europe sont convaincues que toute danse porte en soi une qualité éminemment réfrigérante.
En preuve à tout ceci, il est nécessaire d’ajouter d’autres observations. La vie des pasteurs donna naissance aux amours déréglées. Les mœurs des tisserandes furent horriblement décriées dans la Grèce. Les Italiens ont consacré un proverbe à la lubricité des boiteuses. Les Espagnols, dont les veines reçurent par tant de mélanges l’incontinence africaine, déposent le secret de leurs désirs dans cette maxime qui leur est familière : Muger y gallina pierna quebrantada ; il est bon que la femme et la poule aient une jambe rompue. La profondeur des Orientaux dans l’art des voluptés se décèle tout entière par cette ordonnance du kalife Hakim, fondateur des Druses, qui défendit, sous peine de mort, de fabriquer dans ses états aucune chaussure de femme. Il semble que sur tout le globe les tempêtes du cœur attendent, pour éclater, le repos des jambes [13] !

9On voit que Balzac a raccourci le texte de Lemontey, l’a purgé de ses références érudites et a interverti quelque peu l’ordre des phrases, mais qu’il a gardé fidèlement tous les morceaux qui avaient attiré son attention. Ainsi, lorsqu’il prête tout ce passage à un « contemporain », il dit la pure vérité. Mais ses dettes envers Lemontey ne s’arrêtent pas au fragment consacré à la danse, loin de là.

10Lorsque dans la Méditation VII Balzac écrit qu’« il faut donc essayer de forger quelque mot nouveau pour remplacer la comique expression dont s’est servi Molière ; puisque, comme a dit un auteur contemporain, le langage de ce grand homme est trop libre pour les dames qui trouvent la gaze trop épaisse pour leurs vêtements [14] », cet auteur contemporain est toujours Lemontey, qui écrit dans les Phrases détachées de laDissertation sur le mariage des courtisanes, par le marquis de Kornlogen (texte inclus dans les Observateurs de la Femme et qui a beaucoup servi à Balzac, comme on verra ci-dessous) : « Molière est trop libre pour l’oreille de nos dames, et la gaze est trop épaisse pour leurs vêtements ; la religion de l’État ne suffit pas à leur zèle, et la fortune d’un mari ne suffit pas à leur luxe [15] ». Dans la Méditation IX, nous trouvons la citation suivante d’un « contemporain » − et ce contemporain est toujours Lemontey −. Balzac écrit : « ainsi, pour nous servir de la phrase toute faite par un contemporain, l’Orient sacrifie, à la paternité, des hommes et la justice ; la France, des femmes et la pudeur [16] ». Et Lemontey affirme, dans la dernière pensée du marquis de Kornlogen : « Ainsi les Orientaux, plus violens, arrêtent le torrent par une digue, et les Septentrionaux, plus ingénieux, le détournent du fragile temple de l’Hymen par un canal de dérivation. Les premiers sacrifient à leur tranquillité, des hommes et la justice, et les seconds, des femmes et la pudeur [17] ». On voit que Balzac n’a opéré qu’un léger changement, et a mis la paternité à la place de la tranquillité.

11Dans la Méditation XXVI nous lisons : « Un auteur ingénieux a prétendu récemment que les hommes avaient beaucoup plus de pudeur que les femmes. Il s’est appuyé de beaucoup d’observations chirurgicales ; mais pour que ses conclusions méritassent notre attention, il faudrait que, pendant un certain temps, les hommes fussent traités par des chirurgiennes [18] ». Cet « auteur ingénieux » est toujours Lemontey, ou plus exactement un certain « M. le docteur Palpard, médecin de la faculté de Montpellier », qui, affirme l’auteur des Observateurs de la Femme, entreprend dans son mémoire de prouver que

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le sentiment de la pudeur est beaucoup plus naturel et plus constant dans l’homme que dans la femme. Il cite, à l’appui de son opinion, tous les faits que l’expérience lui a permis de recueillir pendant cinquante années de l’exercice de son art, ainsi que le témoignage d’un grand nombre de ses confrères, et d’employés des deux sexes au service des hôpitaux [19].

13On voit que la proposition extravagante de traiter les hommes par les chirurgiennes appartient à Balzac lui-même, mais que la constatation « médicale » est prise chez Lemontey.

14Les dettes de Balzac envers Lemontey ne se limitent pas au cas où l’auteur de la Physiologie du mariage avoue clairement qu’il s’est servi du texte d’autrui. C’est aussi Lemontey qui nous aide à comprendre une citation assez énigmatique de d’Alembert dans la Méditation VIII : « La loi en vertu de laquelle vous marchez produit en [vos femmes] ce minotaurisme involontaire. “C’est, disait d’Alembert, une suite des lois du mouvement !” [20] ». René Guise a supposé en commentant cette phrase de d’Alembert que Balzac avait peut-être pensé à un passage de l’Entretien entre d’Alembert et Diderot, mais il a indiqué que dans ce texte la formule semblable est « placée dans la bouche de Diderot ». D’où dans l’Index des personnes réelles de l’édition de la Pléiade, une remarque concernant la mention de d’Alembert sur cette page : « par erreur au lieu de Diderot [21] ». Or, il n’y a aucune erreur chez Balzac, et la pensée de d’Alembert, exposée dans le Parallèle moral et physiologique de la danse, du chant et du dessin déjà cité, est tout à fait claire : « On demanda un jour à d’Alembert pourquoi, dans le commerce de l’amour, les danseuses font souvent fortune, tandis que les chanteuses restent dans la misère : “C’est, répondit le géomètre, une suite des lois du mouvement” [22] ». Il est donc inutile de chercher la source de Balzac dans les travaux sérieux de d’Alembert ou de Diderot, car l’auteur de la Physiologie du mariage a puisé à une source plus proche de lui et tout à fait bouffonne.

15Dans tous les cas cités ci-dessus, la dette de Balzac envers Lemontey est incontestable. Mais j’ai trouvé encore quelques endroits où l’emprunt à Lemontey, sans être sûr, paraît assez vraisemblable.

16Ainsi, lorsque dans la Méditation VII Balzac se réfère à Socrate (« je me vante, comme Socrate, sans être aussi sage que lui, de ne savoir que l’amour [23] »), il est probable qu’il doit cette variante de la pensée de Socrate (dont la formulation beaucoup plus traditionnelle est « je sais que je ne sais rien ») tient non à Platon, mais à Lemontey, qui dans la pensée XX du marquis de Kornlogen affirme : « Socrate ne se montre nulle part plus grave et plus profond, plus habile dans la science des hommes, et plus capable de les gouverner que lorsqu’il profère ces paroles toutes divines : “Je fais profession de ne savoir que l’amour” (dans le Timée de Platon, traduction du grand Racine) [24] ».

17Dans la Méditation XVII, Balzac pose la question : « Était-ce donc pour s’avertir sans cesse de l’imbécillité du sommeil que les Romains ornaient le chevet de leurs lits d’une tête d’âne ? », et ajoute qu’il laissera « éclaircir ce point par messieurs les membres composant l’Académie des inscriptions [25] ». René Guise avoue ne pas savoir où Balzac a trouvé ce détail [26]. Or, sans inquiéter messieurs les académiciens et sans se plonger dans l’étude des antiquités, il a puisé cette remarque érudite chez Lemontey qui, toujours dans les pensées du marquis de Kornlogen, se réfère à la satire XI de Juvénal qui « raconte que les lits des premiers Romains avaient un chevet de bronze, représentant une tête d’âne [27] ».

18Dans la Méditation XVI, Balzac cite son dialogue avec un mari jaloux : « Ma femme ne sera-t-elle pas bien étonnée au jugement dernier ? – Je ne sais pas, lui répondis-je, qui le sera le plus de vous ou d’elle [28] ». Or, la source la plus probable de cet échange de répliques est la pensée XXVII du marquis de Kornlogen qui parle d’un mari, « militaire un peu pédant », qui avait

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la manie de vanter à tout propos son bonheur domestique, et l’inébranlable fidélité de sa femme. Il venait, suivant l’usage, de chanter les louanges de sa Pénélope, lorsque celle-ci, se penchant vers mon oreille, me dit fort gaiement : « Mon mari m’amuse, avec sa bonne opinion ; je ne puis m’empêcher de rire quand je me figure la surprise où il sera au jour du jugement dernier » [29].

20Et pour finir avec Lemontey voici encore deux fragments où la dette de Balzac envers Lemontey me paraît moins sûre, mais tout de même assez probable.

21Vers la fin de la Méditation X, Balzac écrit : « Maintenant, malgré la minorité du concile de Mâcon […], nous distinguerons dans la femme une âme et un corps [30] ». Dans le commentaire de René Guise, nous lisons qu’au concile de Mâcon de 585, « il fut discuté de la question de savoir si la femme avait une âme », et que, selon Grégoire de Tours, c’est « un seul évêque qui souleva la question [31] ». Reste à savoir quelle était en fait cette question. Il s’avère que Balzac est fidèle ici à une légende dont les historiens modernes ont relevé le caractère fantaisiste, mais qui était tout à fait vivante au début du XIXe. Cette légende est fondée sur les détournements d’un passage de Grégoire de Tours sur lequel s’est abusivement greffée la question de l’âme de la femme, car ni Grégoire de Tours, ni l’évêque anonyme du concile de Mâcon, n’ont parlé de la présence de l’âme chez la femme, mais seulement de la possibilité de nommer une femme « un homme [32] ». Or, cette question de la présence ou de l’absence de l’âme chez la femme est discutée d’une façon paradoxale et comique dans les Observateurs de la Femme, où Lemontey écrit :

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On sait que l’inquisition condamna un livre traduit de l’espagnol, où l’on soutenait que les femmes n’ont point d’âme. Ce procès fut l’occasion d’un fameux scandale ; car on vit un grand nombre d’Italiennes prendre hautement parti pour l’auteur, et protéger une doctrine qui humiliait leur amour-propre, mais qui les tranquillisait sur leurs plaisirs. Il paraît que l’accusé se prévalut de cet assentiment des parties intéressées, si on en juge par le tableau suivant, qui a été trouvé dans le greffe, et qui, par son importance, son exactitude et son authenticité, rivalise avec les calculs de la statistique moderne [33].

23Suit l’État vérifié et proportionnel des femmes vivantes qui croient ou désirent avoir une âme d’où on apprend qu’en Italie il y en a 24 sur 100, en France 60 sur 100, aux États-Unis 97 et en Russie, par contre, seulement 2. Balzac n’a pas utilisé ces données, mais il les avait probablement remarquées.

24Un autre passage où la référence à Lemontey n’est pas sûre mais plausible, est dans la Méditation X l’évocation du « Servite Fra-Paolo, le plus terrible Consulteur que les Dix aient eu à Venise [34] ». Le choix de ce personnage est peut-être dû aussi à Lemontey qui dans le texte intitulé L’Enfant de l’Europe, publié dans le même volume de 1829, cite « les leçons de Fra-Paolo » et explique en note de bas de page :

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Le servite Fra-Paolo Sarpi était théologien consulteur de la république. J’ai lu, dans les archives secrètes de Venise, des instructions écrites de sa main, et adressées par lui au conseil des Dix, sur la situation et la conduite de l’État. J’ai été frappé de la profondeur et de la férocité de ses conseils. Sa tête est vaste ; son cœur est de bronze. Machiavel m’a paru bien débonnaire à côté de ce terrible moine [35].

26Soulignons spécialement l’épithète « terrible », se répétant dans les deux textes. Mais, bien sûr, dans ce cas-là le parallèle n’est qu’hypothétique, ce qu’on ne saurait dire des passages cités plus haut. On peut donc assurément ajouter à la liste des auteurs lus par Balzac le nom de Pierre-Édouard Lemontey, que les balzaciens n’avaient jusqu’ici jamais mentionnés [36].

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28Les recherches par le biais d’internet permettent d’identifier plusieurs autres citations annoncées comme telles dans le texte de la Physiologie.

29Dans la Méditation III nous lisons : « “Je puis faire des princes, et vous ne ferez jamais que des bâtards !” est une réponse étincelante de vérité  [37] ! » Jusqu’à présent l’auteur de cette réponse n’a pas été nommé par les commentateurs de Balzac. Or cette réplique, dans une rédaction un peu différente et moins brutale que chez Balzac (« Je puis faire des princes du sang sans vous, et vous n’en pouvez faire sans moi ») est reproduite dans plusieurs recueils d’anecdotes historiques du début du XIX[38]. Il est difficile de nommer précisément le livre auquel se référait Balzac, mais comme la phrase sur les bâtards est absente dans la pré-originale, et serait donc écrite en 1829, il me paraît assez probable que Balzac l’ait puisée dans un recueil intitulé Choix d’anecdotes: anciennes et modernes[39] où la phrase qui nous intéresse est prêtée à la princesse de Conti (Louise-Élisabeth de Bourbon, 1693-1775), femme du prince Louis-Armand de Bourbon-Conti (1695-1727), laid, inconstant, grossier et jaloux. Ce livre fut imprimé chez ce même éditeur Roret qui avait publié vers la fin des années 1820 plusieurs Codes, dont le Code conjugal, écrit intégralement, selon Bruce Tolley, ou en partie, selon l’hypothèse plus prudente de René Guise, par Balzac lui-même. Il est à souligner que la réplique de la princesse de Conti est présente aussi dans la quatrième édition du même recueil, parue chez Roret en 1824, mais que dans celle de 1828 figure un ajout important : la princesse de Conti y est caractérisée comme « beaucoup plus noble que son mari » – caractéristique absente de l’édition précédente, ainsi que d’autres recueils où cette anecdote est reproduite ; quant à la troisième édition de 1804, l’anecdote qui nous intéresse n’y figure pas du tout. Cette qualification de « beaucoup plus noble » s’expliquerait par le fait que la princesse était petite-fille de Louis XIV par sa mère, quoique cette attestation soit pour le moins douteuse d’après les critères strictement aristocratiques, vu que la mère de la princesse était fille de Mme de Montespan, donc bâtarde elle-même.

30Dans la Méditation VIII, Balzac écrit : « Ce bréviaire du machiavélisme marital vous apprendra la manière de vous grandir dans cet esprit léger, dans cette âme de dentelle, disait Napoléon [40] ». Or cette citation n’est pas tirée directement de Napoléon, mais des Mémoires de Mme de Genlis où la mémorialiste cite une lettre de Bonaparte à Joséphine, écrite lors de la campagne d’Italie ; le futur empereur « reprochait à Joséphine la faiblesse et la frivolité de son caractère et ajoutait : “La nature t’a fait une âme de dentelle, elle m’en a donné une d’acier” [41] ».

31On peut identifier aussi le « jeune auteur anglais » qui, selon la Méditation XXII, a dit que « les hommes des hautes sphères sociales […] ne ressemblent jamais à ces petites gens qui ne sauraient perdre une fourchette sans sonner l’alarme dans tout le quartier [42] ». Cet écrivain anglais est sûrement Edward Bulwer-Litton, qui venait de publier son célèbre roman Pelham, ou les Aventures d’un gentilhomme, sorti en anglais à Londres chez Colburn en 1828 et en cette même année en traduction française de Jean Cohen à Paris chez Mame et Delaunay-Vallée. Balzac pouvait lire dans cette traduction, au tout début du roman :

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L’un des traits distinctifs des gens de bonne société est le sang-froid imperturbable qui règle tous leurs sentiments et toutes leurs actions. Ils mangent tranquillement, marchent tranquillement, perdent leurs femmes et leurs enfants tranquillement, tandis que les gens mal élevés ne savent ni manger leur soupe, ni recevoir un affront sans faire du bruit pour cela [43].

33On voit que Balzac cite de mémoire, mais qu’il rend assez correctement l’idée du « jeune auteur anglais » dont il avait pu lire le texte en français non seulement dans l’édition séparée, mais aussi dans la revue (c’est d’après cette source que nous le citons).

34Encore une trace de lecture des œuvres récemment parues est le vers : « La personne présente est toujours exceptée », cité dans la Méditation V [44]. Il s’avère que cette citation provient de la comédie en vers d’Alexandre de la Ville de Mirmont, Le Folliculaire, présentée pour la première fois à Paris le 6 juin 1820, publiée en 1820 chez Ladvocat et rééditée la même année chez J.-N. Barba, pièce pratiquement oubliée aujourd’hui, mais qui a fait du bruit lors de sa première représentation [45]. Cette comédie ne pouvait pas laisser Balzac indifférent, car le personnage principal, Valcourt, est un Tartuffe moderne, mais un Tartuffe pratiquant un autre métier : non faux dévot, mais journaliste hypocrite. Le vers cité par Balzac est tiré du troisième acte de cette comédie. On aurait pu croire que Balzac l’ait pris non pas directement dans le texte de cette comédie assez ancienne, mais dans un fragment, intitulé Les Journalistes, republié dans un recueil de 1827 [46]. Mais comme le vers qui nous intéresse est présent déjà dans la pré-originale, cette hypothèse doit être rejetée.

35Une autre citation non identifiée retrouve son auteur : le « ravissant poète » qui, dans la Méditation XXIX, veut « emporter avec soi toutes ses illusions, s’ensevelir, comme un roi d’Orient, avec ses pierreries et ses trésors, avec toute la fortune humaine » [47], n’est autre qu’Henri de Latouche, et la citation est tirée de son roman Fragoletta[48], ce qui n’a rien d’étonnant puisque Balzac connut ce roman dès avant sa parution en été 1829 (le 27 juin 1829, selon la Bibliographie de la France), car c’est lui-même qui dès mars 1828 en avait assuré l’impression à tirage limité [49]. Signalons à ce propos un autre emprunt à Latouche chez Balzac, emprunt hypothétique cette fois, présent non dans la Physiologie du mariage, mais dans les Petites misères de la vie conjugale. Dans le chapitre intitulé « La logique des femmes », on trouve un bref échange de répliques entre le narrateur et son personnage ou son lecteur : « “Oh ! monsieur !” – Dites : “Ah !” Oui, ah !  [50] » qui rappelle un mot spirituel de Talleyrand cité dans l’Album perdu, lequel est une sorte d’anthologie des mots et des gestes de Talleyrand publié en 1829 et attribué à Latouche [51]:

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Encore petit abbé, M. de T…. se trouvait chez le duc de Choiseul, lorsqu’on annonça madame la duchesse de N., dont les aventures faisaient alors quelque bruit et qui s’était fait attendre pour dîner. Oh ! oh ! dit-il assez haut pour être entendu de toute la compagnie. La duchesse ne dit rien, mais à peine s’est-on mis à table, qu’elle apostrophe en ces termes le petit abbé : « Je voudrais bien savoir, Monsieur, pourquoi lorsqu’on m’a annoncée, vous avez dit oh ! oh ? – Du tout, madame la duchesse ; j’ai dit ah ! ah ! » [52].

37Et pour revenir au problème de l’âme des femmes évoqué ci-dessus, il faut aussi signaler un croisement avec Fragoletta de Latouche, dont le personnage principal hermaphrodite, figurant dans son versant mâle, complimente Mme Récamier sur son esprit, ce à quoi la belle Juliette répond que les femmes « n’ont peut-être pas même le temps de savoir si elles ont une âme ». Et son interlocuteur de protester : « Je répondrai de la vôtre, en dépit de vos flatteurs, Madame ; en dépit même des anciennes décisions d’un concile qui a résolu la question tout autrement [53] ».

38Balzac est presque toujours très exact dans ses références. Ainsi, dans la Méditation XVII, il dit d’un homme se réveillant le matin qu’il « serait difficile de reconnaître en lui cet époux glorieux célébré par les strophes de Rousseau », et continue quelques pages plus tard : « personne ici-bas, n’en déplaise à l’hyperbole de Jean-Baptiste Rousseau, ne peut jouer le rôle du soleil » [54]. René Guise renvoie pour ces allusions à une hyperbole tirée non de Rousseau lui-même, mais de l’Ode sur la mort de Jean-Baptiste Rousseau de Lefranc de Pompignan [55]. Pourtant dans les deux cas Balzac a en vue le même poème de Jean-Baptiste Rousseau (Odes, I, II), où le poète compare effectivement le soleil à un époux qui se réveille :

39

Environné de lumière,
Cet astre ouvre sa carrière
Comme un époux glorieux,
Qui dès l’aube matinale
De sa couche nuptiale
Sort brillant et radieux [56].

40Après avoir cité cette ode une fois, Balzac revient ensuite à cette même hyperbole.

41Encore un exemple de l’exactitude balzacienne : dans la Méditation IX, Balzac citeMme Necker : « Selon une expression de madame Necker, les femmes furent à travers ces grands événements comme ces duvets introduits dans les caisses de porcelaine : comptés pour rien, tout se briserait sans eux [57] ». René Guise affirme ne pas avoir trouvé la source de cette expression [58], et Nathalie Preiss, dans sa récente édition de la Physiologie du mariage[59], la prête à la cousine de Mme de Staël, Mme Necker de Saussure. Or, Balzac est très exact dans sa référence : la comparaison des femmes avec le duvet dans les caisses de porcelaine appartient non à la cousine de Mme de Staël, Mme Necker de Saussure, mais à Mme Necker, la mère de Mme Staël. Ce fragment fut publié dès 1798 dans l’édition posthume de ses pensées [60], et republié ensuite dans son recueil de 1808 [61], mais on a toutes les raisons de supposer que Balzac, en travaillant sur la Physiologie, l’a puisé dans une édition récente, publiée en 1827 [62], d’autant plus que la citation de Mme Necker ne figure pas dans la pré-originale.

42Et s’il arrive à l’auteur de la Physiologie du mariage de se tromper, ses erreurs sont très explicables et souvent n’empêchent pas de deviner sa source véritable. Prenons le problème que pose au commentateur l’évocation dans la Méditation IV des femmes vertueuses « laides comme la Kaïfakatadary des Mille et Une Nuits[63] ». Balzac a lui-même indiqué dans ce cas sa source, mais René Guise écrit judicieusement que ce nom « n’a pas été retrouvé dans les Mille et Une Nuits[64] ». Or, si la référence balzacienne est erronée, cela n’empêche nullement une très laide Kaïfakatadary d’exister. Seulement son histoire est tirée d’un autre recueil de contes orientaux, non arabes, mais persans : c’est dans les Mille et Un Jours (et non les Mille et Une Nuits), recueil édité par Petit de Lacroix, dans l’« Histoire du prince Fadlallah » (jour LIII), qu’est évoquée une fille nommée Cayfacattaddhary, prénom traduit en note de bas de page comme « monstre du temps ». On y voit le prénom orthographié d’une façon un peu différente, mais il s’agit bien d’une fille vraiment laide : « Elle avait le visage long et couvert de gale, les yeux enfoncés dans la tête et plus rouges que du feu ; elle n’avait point de nez, il paraissait seulement au-dessus de sa bouche faite en forme de gueule de Crocodile, deux larges naseaux très dégoûtants [65] ». Ainsi Balzac ne s’est-il trompé que d’un mot (nuits au lieu de jours) et d’orthographe – celle de ce prénom oriental, – mais non dans ce qui caractérise ce personnage.

43Pour continuer le thème des contes, il a y aussi dans la Physiologie du mariage une petite inexactitude qui a induit en erreur les commentateurs. Dans la Méditation X, Balzac dit de la femme de son ancien professeur de mathématiques : « Hélas ! elle ne savait pas que j’aurais pu jouer dans Fortunio le rôle de Fine-Oreille qui entend pousser les truffes [66] ». Cette référence est commentée par René Guise de la façon suivante : « Fortunio serait un conte du chevalier de Mailly, paru dans LeCabinet des fées, mais Fine-Oreille serait en revanche un personnage de Finette Cendron de Mme d’Aulnoy [67] ». Nathalie Preiss parle aussi de la « confusion de Balzac », qui aurait prêté à Mme d’Aulnoy le personnage du chevalier de Mailly [68]. Or la confusion a eu véritablement lieu, mais pas entre les auteurs. Il n’y a aucune raison d’aller chercher la source de la phrase balzacienne chez le chevalier de Mailly : il ne faut que corriger un peu le titre du conte évoqué par Balzac. Il ne s’agit pas de Fortunio, mais du Chevalier Fortuné (plus exactement Belle-Belle, ou le Chevalier Fortuné) de Mme d’Aulnoy, où effectivement figure un personnage mâle nommé Fine-Oreille, tandis que dans Finette Cendron de cette dame-écrivain le personnage de Fine-Oreille est une fille, ce qui correspond mal à l’image balzacienne.

44Encore une citation balzacienne dont l’identification peut être précisée : c’est le Nolo coronari de la Méditation XVIII [69]. Balzac le présente comme appartenant à un « ancien philosophe », et les commentateurs français disent traditionnellement que ce mot est attribué à Marc Aurèle [70], mais ne donnent aucune référence exacte. Sans contester cette attribution, je proposerais une source intermédiaire : il s’agit d’un texte bien connu de Balzac, et cité plusieurs fois dans la Physiologie du mariage. Je parle des prétendus Mémoires de Sterne [71], dont l’auteur écrit :

45

D’autres fois, je refusais absolument le sceptre ; je mettais le feu aux départements de mes bureaux ; je m’écriais : nolo coronari. Mais cette résolution n’apaisait pas ma soif de la domination : je la resserrais seulement dans des bornes plus étroites, et la restreignais dans le cercle des hommes qui étaient compris dans celui de mon empire [72].

46Autre cas où on peut présumer que la citation est due à un intermédiaire, c’est la référence au « vieux Corneille » dans le passage de la Méditation IV où Balzac stigmatise les maris qui se conduisent comme des célibataires : « Oh ! alors, nous croyons que tout homme marié, s’il tient un peu à sa femme à l’endroit de l’honneur, dirait le vieux Corneille, peut chercher une corde et un clou : foenum habet in cornu[73] ». Si la citation latine est bel et bien attribuée par les commentateurs à Horace, la mention de Corneille reste sans explications. Or je crois que si Balzac souligne une expression vieillie, « à l’endroit », en la prêtant à Corneille, c’est à cause du commentaire que Voltaire fait de Cinna, et où à propos de l’expression cornélienne « à l’endroit des tyrans » Voltaire remarque dans sa note de bas de page : « Ce terme à l’endroit n’est plus d’usage dans le style noble (Voltaire) ». Quant aux commentateurs du XIXe, ils proposent dans cette même note « y substituerà l’égard[74] ».

47Outre les citations et les références directes, on trouve dans la Physiologie du mariage des allusions à des auteurs et des textes non nommés explicitement, mais qui seraient sous-entendus par Balzac. En voici deux exemples qui me paraissent presque évidents. Dans la Méditation X on lit : « J’arrivai chez mon amphitryon au moment où les deux époux se mettaient à table, après m’avoir attendu pendant la demi-heure voulue par la discipline œcuménique de la gastronomie [75] ». Cette phrase reste ordinairement sans commentaires, et pourtant la mention du terme amphytrion et celle du retard d’une demi-heure, permise par les lois de la gastronomie, permettent, à mon avis, d’y reconnaître une allusion assez claire pour les contemporains à l’Almanach des gourmands de Grimod de La Reynière. On a maintes fois répété avec raison qu’en écrivant sa Physiologie du mariage, Balzac prenait pour exemple la Physiologie du goût de Brillat-Savarin, et en effet les parallèles entre les deux livres sont très nombreux et incontestables. Mais on a beaucoup moins parlé de la présence dans le livre de Balzac des références implicites à un autre grand théoricien de la gastronomie, Grimod de La Reynière, que Balzac nomme dans l’article biographique consacré à Brillat-Savarin en le désignant comme « un homme éminemment spirituel, au moins aussi original que l’était Brillat-Savarin et vraiment praticien [76] ». Or déjà le mot amphitryon qui n’est employé que deux fois dans la Physiologie du goût, mais qui se répète des centaines de fois dans les petits volumes de l’Almanach des gourmands, nous fait penser à Grimod. Et la loi de la « gastronomie œcuménique » dont parle le narrateur balzacien serait celle de Grimod, grand législateur gastronomique, qui écrit dans le chapitre « Des cérémonies à table » : « Une demi-heure après celle indiquée par le billet de convocation, le maître d’hôtel arrive, la serviette sous le bras, pour annoncer que l’on est servi [77] ».

48Une deuxième allusion à Grimod de La Reynière se trouve à mon avis dans la Méditation XXVIII où Balzac évoque « la riche et savoureuse bibliothèque de Chevet [78] ». Cette qualification de bibliothèque, utilisée pour décrire les comestibles exposés dans une vitrine, pourrait étonner, mais seulement ceux qui ne connaissent pas le frontispice de la première année de l’Almanach des gourmands (1803), frontispice intitulé « L’Intérieur de la Bibliothèque d’un Gourmand du xixsiècle », que Grimod accompagne du commentaire suivant :

49

Au fond d’un cabinet, décoré dans le goût le plus moderne […], se trouve un corps de bibliothèque, sur les tablettes duquel on aperçoit, au lieu de livres, toute espèce de provisions alimentaires, parmi lesquelles on distingue un cochon de lait, des pâtés de diverses sortes, d’énormes cervelas et d’autre menues friandises, accompagnés d’un bon nombre de bouteilles d’excellent vin.

50Une autre allusion assez plaisante est perceptible, ce me semble, dans l’aphorisme XLIII du Catéchisme conjugal, dans la Méditation V : « La puissance ne consiste pas à frapper fort ou souvent, mais à frapper juste [79] ». En fait, ce n’est qu’une paraphrase polémique de l’aphorisme bien connu de Voltaire, qui affirmait « qu’au théâtre il fallait plutôt frapper fort que frapper juste [80] ».

51Dans le paragraphe III (« Des espions ») de la Méditation XX, Balzac évoque l’histoire du bedeau jaloux « qui s’avisa de placer des coquilles d’œuf dans son lit [81] ». L’auteur de la Physiologie du mariage n’y fait que résumer en quelques mots le sujet d’un conte très prolixe de l’abbé de Grécourt, Les Coquilles d’œuf, reproduit dans plusieurs éditions de ce poète du XVIIIe.

52Une source moins sûre, mais probable, est celle du refrain « Le roi dit à la reine, la reine dit au roi » que Balzac dans la Méditation XIII prête à « l’immortel Carlin [82] ». René Guise affirme avec raison que Balzac n’avait pas pu le puiser dans Clément XIV et Carlo Bertinazzi de Latouche, pour la simple raison que Balzac l’avait mis dans son texte avant la sortie du livre de Latouche. Or il s’avère que ce refrain avait été cité plusieurs fois dans différents textes du xviiisiècle, sans aucune liaison avec Carlin, ou presque. La mention la plus ancienne que j’ai réussi à trouver est un « air : Le Roi dit à la Reine » qui figure dans la parodie de Favart Hippolyte et Aricie, représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens Ordinaires du Roi le 11 octobre 1742 [83] et où, d’ailleurs, Carlin avait joué, mais ce n’est pas son personnage Mercure, mais Œnone qui chante « Votre fils et la Reine, la Reine et votre fils » sur un air qui nous intéresse et qui dans une note d’auteur pour un poème de 1814 est caractérisé comme « un canon à trois voix [84] ». Mais la source de Balzac se trouve probablement dans un texte plus proche de la date de la composition de la première Physiologie du mariage. Dans la quatrième édition du recueil Le Petit Conteur de poche, ou L’Art d’échapper à l’ennui, publié en 1824, nous trouvons l’anecdote suivante :

53

Un savetier chantait et répétait continuellement ce refrain : « Le roi dit à la reine, La reine dit au roi… » Sa femme, impatientée, lui demanda avec humeur : « Et bien, que dirent ce roi à cette reine, et cette reine à ce roi ? » Alors le savetier prend son tire-pied et après avoir meurtri les épaules de sa curieuse moitié : « Cela t’apprendra, lui dit-il, à te mêler aux affaires d’État » [85].

54Cette même histoire du savetier figurait déjà dans l’Art de la comédie de Jean-François Cailhava de L’Estandoux [86], mais il est impossible de dire des deux quelle source est la plus probable.

55Une citation indirecte et hypothétique est encore présente dans la Méditation II où Balzac évoque « le philosophe du boudoir [87] », et cette expression renvoie presque automatiquement au titre du livre du marquis de Sade La Philosophie dans le boudoir (1795) ; bien sûr, cette allusion est plutôt ironique, car le philosophe du boudoir balzacien cherche en amour un être promettant « autant de jouissances intellectuelles que de plaisirs physiques ». Mais vu que Balzac mentionne Sade presque directement dans d’autres œuvres de La Comédie humaine (« je ne sais quel autre livre qui a un nom de femme de chambre » évoqué dans La Fille aux yeux d’or est évidemment, comme on l’a déjà démontré, Justine de Sade [88]), on peut présumer que la formule « sadienne » n’est pas fortuite. Les balzaciens ont plusieurs fois analysé les allusions balzaciennes à la prose de Sade [89], et particulièrement à La Philosophie dans le boudoir[90], mais on n’a jamais mentionné la Physiologie du mariage dans ce contexte.

56Dans la Méditation XXX Balzac cite « le mot consolateur par lequel l’un de nos plus spirituels caricaturistes termine une de ses charges : “L'homme n'est pas parfait !” [91] ». Ce passage n’a jamais été commenté. Or dans le prospectus du journal La Caricature Balzac écrit : « Quant à l’article Charges, le modèle que nous en donnons dans ce prospectus explique assez notre pensée : c’est un hommage rendu à cette littérature bouffonne et souvent profonde dont les Scènes populaires de Henri Monnier peuvent donner une idée [92] », ce qui nous permet d’identifier « l’un de nos plus spirituels caricaturistes », auteur des charges, comme étant Henry Monnier [93]. Il est à souligner que dans l’article « Gavarni » publié en octobre 1830 dans La Mode, Balzac appelle Monnier « le plus satirique, le plus spirituel de nos dessinateurs [94] », en répétant presque textuellement la formule de la Physiologie du mariage. Malheureusement, je n’ai réussi à trouver chez Monnier la phrase « l’homme n’est pas parfait » que dans L’Esprit des campagnes, publié dans le recueil de 1839 [95], donc beaucoup plus tard que la Physiologie du mariage. On sait pourtant que Monnier fut non seulement dessinateur et littérateur, mais aussi un acteur qui lisait brillamment ses propres petites pièces, et Balzac était souvent présent à ces lectures. Dans l’article « Gavarni » cité plus haut, il souligne que le talent de Monnier ne peut être connu que de ceux qui avaient vu « l’immensité de ses ressources au sein de l’atelier où il prépare ses tableaux [96] », et Joseph Fontémoing, l’ami de collège de Balzac, évoque dans sa lettre du 9 août 1831 « les heures délicieuses écoulées rue de Cassini », embellies, entre autres choses, par « les folles et sublimes créations de l’inimitable Monnier » [97]. On peut donc présumer que Balzac cite dans la Méditation XXX une réplique qu’il avait non pas lue chez Monnier, mais entendue de sa propre bouche lors d’une de ces lectures.

57Et pour finir, une citation encore plus étonnante, tirée non de la Physiologie du mariage, mais des Petites misères de la vie conjugale. Dans le chapitre « Les Révélations brutales », Adolphe écrit à son ami Hector une lettre au cours de laquelle il évoque Mme de Sévigné dans un contexte assez insolite : « Souviens-toi des doléances de Mme de Sévigné comptant cent mille écus à M. de Grignan pour l’engager à épouser une des plus jolies personnes de France ! “Mais, se dit-elle, il devra l’épouser tous les jours, tant qu’elle vivra !” [98] » On sait que Mme de Sévigné adorait sa fille, ce pourquoi sa réplique citée paraît peu vraisemblable. De surcroît, on ne trouve rien de tel dans les éditions des lettres de Mme de Sévigné. Et pourtant Balzac n’a pas inventé cette phrase : il l’a tirée de la préface de Saint-Surin à l’édition des Lettres de Madame de Sévigné[99], sortie en 1818, et l’auteur de cette préface se réfère à une Histoire littéraire des femmes françaises [100] où Mme de Sévigné s’exclame : « Quoi ! faut-il tant d’argent pour obliger M. de Grignan de coucher avec ma fille ? », mais après avoir un peu réfléchi, elle se reprit en disant : « Il y couchera demain, après-demain, toutes les nuits, ce n’est point trop pour cela ».

58Mais il y a plus : cette même anecdote est exposée dans le Code conjugal de 1829, à la composition duquel Balzac aurait collaboré [101]. On peut donc présumer que Balzac la connaissait à l’époque de la composition de la Physiologie du mariage, et qu’il s’en est souvenu en travaillant à son autre livre sur le mariage.

59Les exemples cités montrent une nouvelle fois que Balzac est le plus souvent très exact dans ses références aux textes des autres. Mais il les choisit, et les insère dans son propre texte avec une maîtrise qui ne laisse pas voir les points de suture.

Notes

  • [1]
    L’auteur du présent article appartient à l’Université d’État des Sciences humaines de Russie (RGGU), Moscou ; École des recherches actuelles en sciences humaines de l’Académie russe de l’Économie nationale (ŠAGI RANXiGS), Moscou.
  • [2]
    CH, t. XI, p. 1895, n. 1 de la p. 1087.
  • [3]
    CH, t. XI, p. 1087.
  • [4]
    CH, t. XI, pp. 1188, 985, 1170.
  • [5]
    Le titre de cette société imaginaire parodie sans doute la Société des Observateurs de l’homme, fondée en 1799 (voir sur cette société savante Jean-Luc Chappey, La Société des Observateurs de l’Homme [1799-1804]. Des anthropologues au temps de Bonaparte, Paris, Société des Études Robespierristes, 2002).
  • [6]
    CH, t. XI, p. 1744.
  • [7]
    Le Figaro, 2 octobre 1829. Ce fut d’ailleurs la réputation bien reconnue de Lemontey que de « se distinguer hautement par cet esprit qui brille dans les œuvres de Montesquieu, Voltaire etc. » (Stendhal, Paris-Londres. Chroniques, éd. Renée Dénier, Paris, 1997, Stock, p. 802).
  • [8]
    CH, t. XI, p. 1745.
  • [9]
    CH, t. XI, p. 1028.
  • [10]
    CH, t. XI, p. 1861.
  • [11]
    Ce proverbe italien est cité par Montaigne dans les Essais (III, XI, « Sur les boiteux ») : « On dit en Italie en commun proverbe, que celuy-là ne cognoist pas Venus en sa parfaicte douceur, qui n’a couché avec la boiteuse ».
  • [12]
    Lemontey, Parallèle moral et psysiologique de la danse, du chant et du dessin (op. cit., pp. 219-223).
  • [13]
    12. CH, t. XI, pp. 1028-1029.
  • [14]
    CH, t. XI, p. 985.
  • [15]
    Lemontey, op. cit., p. 82, fragment IX.
  • [16]
    CH, t. XI, p. 1005.
  • [17]
    Lemontey, op. cit., p. 91, pensée XXVIII.
  • [18]
    CH., t. XI, p. 1170.
  • [19]
    Lemontey, op. cit., p. 72.
  • [20]
    CH, t. XI, p. 999.
  • [21]
    CH, t. XI, p. 1842, et t. XII, p. 1584.
  • [22]
    Lemontey, op. cit., p. 235.
  • [23]
    CH, t. XI, p. 980.
  • [24]
    Lemontey, op. cit., pp. 86-87.
  • [25]
    CH, t. XI, p. 1066.
  • [26]
    CH, t. XI, p. 1888, note 2 de la p. 1066.
  • [27]
    Lemontey, op. cit., p. 81, pensée VI. Ceci expliquerait la présence du nom de Juvénal dans la liste des auteurs auxquels Balzac se réfère dans la lettre à Zulma Carraud de décembre 1829, présence qui étonne Andrew Oliver (Honoré de Balzac, Physiologie du mariage ou Méditations de philosophie éclectique, sur le bonheur et le malheur conjugal. Publiées par un jeune célibataire, Édition établie et présentée par Andrew Oliver, Toronto, Édition de l’originale, 2005, appareil critique, p. 19).
  • [28]
    CH, t. XI, p. 1057.
  • [29]
    Lemontey, op. cit., p. 90. Lemontey ajoute que cette dame était italienne, et en effet on citait à l’époque cette réplique audacieuse en la prêtant à la femme du banquier romain Torlonia ; voir Amélie Lenormant, Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier, Paris, 1859, t. 1, p. 220.
  • [30]
    CH, t. XI, pp. 1016-1017.
  • [31]
    CH, t. XI, p. 1851 (note 1 de la p. 1017).
  • [32]
    Voir Adeline Gargam, Bertrand Lançon, « La querelle sur l’âme des femmes aux xvie-xviiie siècles. Sources et retombées historiographiques d’une mystification (xvie-xxie siècles) », in Revue d’Histoire Ecclésiastique, 2013, vol. 108, issue 3-4.
  • [33]
    Lemontey, op. cit., pp. 44-45.
  • [34]
    CH, t. XI, p. 1010.
  • [35]
    Lemontey, op. cit. p. 384.
  • [36]
    Il n’est présent ni dans l’édition de la Physiologie du mariage pré-originale de M. Bardèche (Droz, 1940), ni dans la monographie de Geneviève Delattre sur Les Opinions littéraires de Balzac (P.U.F., 1961), ni ailleurs, que je sache.
  • [37]
    CH, t. XI, p. 935.
  • [38]
    Voir, par exemple, L’Improvisateur français, par Sallentin (de l’Oise), Paris, De l’imprimerie de Delance, 1805, t. XVI, p. 216 ; Le Bouffon français, ou Recueil d’anecdotes, Paris, Chez Blankenstein, 1812, p. 98, qui remontent tous, probablement, aux Pièces intéressantes et peu connues, pour servir à l’histoire et à la littérature, de Pierre-Antoine de La Place, à Bruxelles et se trouve à Paris, 1784, chez Prault, imprimeur du Roi, t. 1, p. 187. Sur le rôle des anecdotes historiques dans l’œuvre de Balzac, voir Bruce Tolley, « Balzac anecdotier. De l’“Album historique et anecdotique” (1827) à La Comédie humaine », AB 1967, pp. 37-50.
  • [39]
    Choix d'anecdotes : anciennes et modernes, recueillies des meilleurs auteurs, contenant les faits les plus intéressans de l'histoire en général, les exploits des héros, Paris, Roret, 1828, 5e édition considérablement augmentée et mise en ordre par Mme Celnart, t. 1, p. 72.
  • [40]
    CH, t. XI, p. 996.
  • [41]
    Mémoires inédits de Mme la Comtesse de Genlis sur le dix-huitième siècle et la révolution française, Paris, Ladvocat, 1825, t. 5, p. 300.
  • [42]
    CH, t. XI, p. 1117.
  • [43]
    Bibliothèque universelle des sciences, des belles-lettres et de arts, Genève, Paris, 1828, t. 39, p. 195.
  • [44]
    CH, t. XI, p. 949.
  • [45]
    Alexandre de la Ville de Mirmont, Le Folliculaire, Paris, J.-N. Barba, 1820, p. 87. Voir sur la réception de cette pièce Giovanna Bellati, « Annexe II. La réception du Folliculaire », Médias 19. [En ligne], La presse en scène, Anthologies, Alexandre de la Ville de Mirmont, Le Folliculaire (1820), mis à jour le 04/04/2015, URL : http://www.medias19.org/index.php?id=22003.
  • [46]
    Couronne des poètes vivants, Paris, Bureau de la Bibliothèque catholique, 1827, p. 170.
  • [47]
    CH, t. XI, p. 1188.
  • [48]
    Henri de Latouche, Fragoletta : Naples et Paris en 1799, Paris, 1829, t. 1, p. 298.
  • [49]
    Voir Bruce Tolley, « Balzac the printer », French Studies, 13 (1959), pp. 214-225 ; Michael Tilby, « Autour du Dernier Chouan. Balzac et Latouche, lecteurs de Connal, ou les Milésiens, de Maturin », AB 2002, p. 253. Sur les relations de deux hommes de lettres, voir Frédéric Ségu, Un maître de Balzac méconnu, H. de Latouche, Les Belles-Lettres, 1928. À l’époque de la création de la Physiologie du mariage les relations de Balzac avec Latouche ne se sont pas encore détériorées définitivement. Balzac garde dans le texte de la Physiologie la référence « au plus prestigieux des poètes modernes, au peintre de la reine Caroline », autrement dit Latouche (cette périphrase ne fut remplacée par le nom de Beyle /Stendhal qu’en 1846 (voir CH, t. XI, pp. 1073, 1890), et en janvier 1831 il évoque les « ravissantes pages » de Fragoletta dans la xie des « Lettres sur Paris » (OD, t. II, p. 939).
  • [50]
    CH, t. XII, p. 46.
  • [51]
    Bruce Tolley présume même que Balzac y avait collaboré (Bruce Tolley, « Balzac anecdotier », op. cit., p. 40).
  • [52]
    L’Album perdu, Paris, Chez les marchands de nouveautés, 1829, p. 24. Les contemporains se souvenaient de cette exclamation de Talleyrand. Voir, par exemple, dans Des soirées littéraires, ou Les poètes entre eux de Sainte-Beuve : « C’est étonnant devient synonyme de c’est beau ! Quand on dit ho ! il est bien entendu qu’on a dit ah ! tout comme dans le vocabulaire de M. de Talleyrand » (Paris ou Le livre des cent-et-un, Paris, Ladvocat, 1831, t. 2, p. 128).
  • [53]
    Henri de Latouche, Fragoletta, ou Naples et Paris en 1829, Paris, t. 2, p. 119.
  • [54]
    CH, t. XI, pp. 1065, 1067.
  • [55]
    Voir CH, t. XI, pp. 1888-1889, note 6 de la p. 1065 et note 2 de la p. 1067.
  • [56]
    Œuvres choisies de J.-B. Rousseau : odes, cantates, épîtres et poésies, Paris, Janet et Cotelle, 1823, p. 10.
  • [57]
    CH, t. XI, p. 1003.
  • [58]
    CH, t. XI, p. 1845, note 4 de la p. 1003.
  • [59]
    Balzac, La Comédie humaine, tome 23, Études analytiques, Paris, Éditions Garnier-Le Monde, 2008, p. 129.
  • [60]
    Mélanges extraits des manuscrits de Mme Necker, t. 1. Paris, Charles Pougens, 1798, p. 344.
  • [61]
    Esprit de Madame Necker, Paris, Léopold Collin, 1808. p. 44.
  • [62]
    Esprit des prosateurs anciens et modernes, P., Eymery, Fruger et Cie, 1827, p. 207. Je profite de l’occasion pour préciser ma propre attribution, publiée dans le Courrier balzacien (1995, n61, p. 12), où je ne cite que le recueil de 1808.
  • [63]
    CH, t. XI, p. 943.
  • [64]
    CH, t. XI, p. 1803, note 1 de la p. 943.
  • [65]
    Mille et Un Jours, contes persans traduits en français, Paris, par la compagnie des libraires, 1729, t. 2, pp. 133, 139 (dans l’édition de 1828 chez Dauvin, t. I, p. 266, 270). Sur la place des contes orientaux dans l’œuvre de Balzac voir Veronica Bonanni, « Les Mille et Une Nuits de l’Occident. Balzac et le conte oriental », AB 2010, pp. 223-247.
  • [66]
    CH, t. XI, p. 1013.
  • [67]
    CH, t. XI, p. 1849, note 1 de la p. 1013.
  • [68]
    Balzac, La Comédie humaine, tome 23, op. cit., p. 138.
  • [69]
    CH, t. XI, p. 1081.
  • [70]
    CH, t. XI, p. 1893 (note 2 de la p. 1081).
  • [71]
    Voir sur ce texte Michael Tilby, « À partir d’une allusion à Sterne dans La Peau de chagrin », AB 1985.
  • [72]
    Œuvres complètes de L. Sterne, traduites de l’anglais par une société de gens de lettres, Paris, Chez Ledoux et Tenré, 1818, p. 41.
  • [73]
    CH, t. XI, p. 942.
  • [74]
    Chefs-d’œuvre de Pierre Corneille avec les observations des anciens commentateurs, et de nouvelles remarques, par MM. Ch. Nodier, P. Lepeintre et Lemazurier, Paris, Mme Dabo-Butschert, 1825, t. 2, p. 38. Je cite l’édition de 1825 comme la plus proche de l’époque où Balzac travaillait sur la Physiologie pré-originale dans laquelle l’ensemble de ce passage est déjà présent (p. 80).
  • [75]
    CH, t. XI, p. 1013.
  • [76]
    Biographie universelle ancienne et moderne, Paris, 1835, t. 59, p. 249.
  • [77]
    Alexandre-Balthasar-Laurent Grimod de La Reynière, Almanach des gourmands, seconde année, seconde édition, Paris, Maradan, 1805, p. 276.
  • [78]
    CH, t. XI, pp. 1180-1181.
  • [79]
    CH, t. XI, p. 960.
  • [80]
    Cet aphorisme de Voltaire est répété dans plusieurs textes qui lui sont consacrés. Voir, par exemple, Charles Palissot de Montenoy, Le Génie de Voltaire apprécié dans tous ses ouvrages, Paris, S.F. Patris, 1806, p. 27 ; Jean-François de La Harpe, Lycée, ou Cours de littérature ancienne et moderne, Paris, Lefevre, 1816, t. 8, p. 233 ; Chefs-d’oeuvre dramatiques de Voltaire : avec les observations des anciens commentateurs, et de nouvelles remarques, Paris, Mme Dabo de Butschert, 1824, t. 1, p. 51.
  • [81]
    CH, t. XI, p. 1100.
  • [82]
    CH, t. XI, pp. 1037-1038 et note 1 de la p. 1038, p. 1866.
  • [83]
    Théâtre de M. Favart : ou recueil des comédies, parodies & opéra comiques qu’il a donnés jusqu’à ce jour, avec les airs, rondes & vaudevilles notés dans chaque pièce, Paris, Du Chesne, 1763, t. 1, p. 31.
  • [84]
    Jean Cohen, Voyage à Ermenonville, Paris, Delaunay, 1814, p. 78.
  • [85]
    [Élisabeth Brossin de Méré], Le Petit Conteur de poche, ou L’Art d’échapper à l’ennui, Paris, Le Dentu, 1824, pp. 223-224.
  • [86]
    Paris, Didot-aîné, 1772, t. 2, p. 312.
  • [87]
    CH, t. XI, p. 925.
  • [88]
    CH, t. V, p. 1097 et note 1.
  • [89]
    Voir Maurice Regard, « Balzac et Sade », AB 1971, pp. 3-10; Michel Delon, « Le boudoir balzacien », AB 1998, nouvelle série, n19, pp. 227-245.
  • [90]
    Moïse Le Yaouanc, « Le plaisir dans les récits balzaciens », AB 1973, pp. 202-203.
  • [91]
    CH, t. XI, p. 1200.
  • [92]
    OD, t. II, p. 798.
  • [93]
    Sur les relations de Balzac avec Monnier, voir Anne-Marie Meininger, « Balzac et Henry Monnier », AB 1966, pp. 217-244.
  • [94]
    OD, t. II, p. 778.
  • [95]
    Henry Monnier, Nouvelles scènes populaires dessinées à la plume, Paris, Librairie de Dumont, 1839, t. 2, p. 48.
  • [96]
    OD, t. II, p. 778.
  • [97]
    Corr. Pl. I, p. 379. Voir le témoignage (un parmi tant d’autres) de Régnier-Destourbet dans l’article Les Demoiselles à marier (Paris ou le Livre des Cent-et-un, 1832, t. 6, p. 119) sur les « charges de Lupanar » dont le génie de Monnier « a quelquefois épouvanté nos déjeuners ».
  • [98]
    CH, t. XII, p. 140. Cf. le même épouser euphémique qui remplacerait baiser incomparablement plus grossier, au début de la Méditation III de la Physiologie du mariage, où les « deux jeunes gens bien mis » adressent l’un à l’autre « une question un peu drue, dont voici la traduction libre : “Qui épousons-nous pour le moment ?...”» (CH, t. XI, p. 929).
  • [99]
    Lettres de Madame de Sévigné à sa fille et à ses amis, Paris, 1818, t. 1, p. 86.
  • [100]
    Joseph de La Porte, Jean-François de La Croix, Histoire littéraire des femmes françaises, Paris, 1769, t.1, p. 430.
  • [101]
    Horace Raisson, Code conjugal, Paris, J.-P. Roret, 1829, pp. 126-127.
Français

L’article est le fruit d’une édition russe de la Physiologie du mariage et des Petites misères de la vie conjugale dont nous avons publié une traduction accompagnée de notes à Moscou en 2017. Ce travail a permis d’identifier une bonne dizaine de textes que Balzac a cités sans les nommer dans ces deux œuvres. Ainsi, un contemporain ou un auteur contemporain que Balzac mentionne plusieurs fois dans le texte de la Physiologie du mariage désigne Pierre-Édouard Lemontey. Autres sources méconnues : la comédie en vers d’Alexandre de la Ville de Mirmont Le Folliculaire, le roman d’Edward Bulwer-Litton Pelham, les Mémoires de Mme de Genlis, LesMille et Un Jours, contes persans édités par Petit de Lacroix, l’Almanach des gourmands d’Alexandre Grimod de La Reynière, et plusieurs autres.

Mis en ligne sur Cairn.info le 23/11/2018
https://doi.org/10.3917/balz.019.0297
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