CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Voici donc le tableau partiel de l’activité de Balzac lecteur des romanciers ses contemporains de 1825 à 1840. Un tableau évidemment partiel car nul ne prétendrait à l’exhaustivité, mais tableau partiel aussi car on ne saurait répéter ni se répéter. J’ai moi-même il y a assez longtemps publié une étude sur Balzac critique du Jean Cavalier d’Eugène Sue. Patrick Labarthe a donné des pages subtiles et nourries à propos de Balzac et Sainte-Beuve. Quant à l’admirable texte de Balzac sur La Chartreuse de Parme, dans la Revue parisienne, il a été l’objet de maints brillants commentaires. Et nous avons dans le Dictionnaire George Sand l’article de Nicole Mozet sur Sand et Balzac. Qui reste-t‑il donc ? En fait la moisson n’est pas si mince. De l’âge de vingt-cinq ans, alors qu’il vient de terminer ses romans de jeunesse que nous appelons maintenant « Premiers romans », quand il songe à rédiger une Histoire de France pittoresque plutôt scottienne, jusqu’à la quarantaine, en 1840, deux ans avant l’« Avant-propos » de La Comédie humaine, il a lu aussi bien ceux qu’il appelle une fois les « infimes » (les Barginet, Cloteaux ou Rey-Dussueil) que des écrivains notables, en vogue, qu’il prise plus ou moins (certains sont pour lui des « pioupious littéraires »), ou des écrivains majeurs, entre autres Scott ou Musset, mais à tous, le plus souvent, quel que soit leur rang à ses yeux, il accorde une sérieuse, minutieuse attention, argumentant et analysant dans le détail. Sans doute a‑t‑il évolué durant ces quinze ans, mais, on s’en apercevra, il y a des constantes dans sa pensée, très tôt affirmées…

Français

De 1824 quand il termine ses « Premiers romans » et songe à une Histoire de France pittoresque plutôt scottienne, jusqu’à 1840, Balzac a lu aussi bien ceux qu’il appelle une fois les « infimes » que des écrivains en vogue qu’il prise plus ou moins ou des écrivains majeurs, mais à tous, le plus souvent, il accorde une sérieuse, minutieuse attention, argumentant et analysant dans le détail. Parfois, au vrai, il lit partiellement. Il lit aussi en fonction de ses préjugés et convictions, libéral à ses débuts, légitimiste avoué après 1831. Jusqu’à cette date, journaliste prisé, mais journaliste parmi d’autres, il s’astreint à une certaine prudence. Ensuite, devenu un auteur d’importance, il affirmera un peu plus nettement ses points de vue, mais tout en sachant ménager au besoin certains de ses confrères. Enfin, en 1840, dans le premier numéro de la Revue Parisienne, le 25 juillet, il expose son Code de la lecture, d’une totale liberté mais fondée sur une instruction positive, approfondie, et sa conception de l’art littéraire.
Il condamne absolument les digressions, ces hors-d’œuvre appelés tartines (précisément il n’y en pas chez Stendhal). Il veut un plan fortement noué (cela manque à G. Sand). Le lecteur croit l’auteur si l’auteur croit en lui-même. Il faut donc bannir toutes ces notes (chez Latouche, chez Sue) qui veulent prouver. À l’été 1840 il veut dire, sur une question essentielle, l’enseignement qu’il tire de ses lectures du moment. La vérité de l’art n’est pas celle de la nature. Le lecteur doit être convaincu que les personnages sont vrais. Ils doivent en tout cas le paraître, grâce aux choix judicieux de l’auteur, à son sens et à son intuition littéraires.
Balzac notait dans la Physiologie du mariage : « lire c’est peut-être créer à deux ». Les œuvres intéressantes mais évidemment imparfaites, même des œuvres, à nos yeux, accomplies (La Chartreuse de Parme), il a tendance à vouloir les recréer avec l’auteur, pour les rendre bien meilleures… « balzaciennes » pourrait‑on dire. Balzac est donc un lecteur pointilleux, parfois acerbe, mais ouvert aux vraies beautés, et capable d’adresser à Stendhal le plus bel hommage qu’un romancier ait rendu à un autre romancier. En tout cas il ne lit pas en spectateur détaché mais en créateur toujours engagé.

Alex Lascar
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Mis en ligne sur Cairn.info le 23/11/2021
https://doi.org/10.3917/balz.022.0193
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