CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Il a existé en France un « moment » histoire culturelle, que l’on peut, pour aller vite, dater de l’extrême fin des années 1980 [1] au milieu de la décennie 2000. Bien des travaux l’avaient évidemment précédé, à commencer par les ouvrages pionniers de Maurice Crubellier et de Paul Gerbod [2], et plus encore par l’article fondateur et programmatique publié par Pascal Ory en 1981 [3]. Et de nombreuses recherches ont continué depuis 2005 à nourrir ce chantier. Mais ces quinze années forment le cœur d’une séquence singulière. C’est le temps des débats, des programmes, des initiatives, des manifestes, des prises de risque, des controverses, des résistances, des polémiques. Suscitant autant de craintes que d’espérances, le « culturel » est alors érigé en front pionnier où tend à se renouveler toute la discipline, tant au regard de ceux qui s’y investissent et y voient l’instrument d’une nouvelle histoire globale que pour ceux qui entendent y résister.

2 Ce moment est terminé. La publication en un très bref laps de temps – 2004-2005 –, de trois livres de référence semble en avoir marqué le terme. L’Histoire culturelle de Pascal Ory, qui ouvrit le feu en septembre 2004, était un ouvrage bref et incisif, qui avait conservé quelque chose du manifeste, et plongeait à la verticale de ce qui demeurait aux yeux de son auteur une « question » ou une sensibilité [4]. Publié un mois plus tard, Les Enjeux de l’histoire culturelle de Philippe Poirrier proposait une analyse beaucoup plus ample et enveloppante, qui entendait borner un territoire, voire un horizon historiographique, et procédait davantage de la synthèse que du programme [5]. Le troisième livre, L’Histoire culturelle du contemporain, fut publié un peu plus tard (novembre 2005), mais il réunissait les actes d’un colloque tenu au château de Cerisy-la-Salle en août 2004 [6]. Ce tir groupé interroge évidemment. On peut y lire, au choix, un signe de bonne santé et de dynamisme (voire d’impérialisme comme en témoignent les bibliographies très annexionnistes qui accompagnent ces ouvrages), un besoin plus inquiet d’affichage, de revendication et d’institutionnalisation, ou encore un symptôme d’épuisement, sorte de chant du cygne qui masquerait par effet d’annonce l’asthénie épistémologique du secteur [7].

3 Quelle que soit la lecture retenue, on conviendra qu’un seuil est ici perceptible. L’histoire culturelle ne s’est évidemment pas effacée depuis. Mais elle a quitté le terrain des affichages volontaristes, donc des affrontements, et s’est plutôt recentrée sur le travail empirique et les études de cas. La discussion a déserté le terrain théorique au profit d’investigations plus concrètes, lesquelles, comme l’a noté Bernard Lahire, sont généralement porteuses de « vertus pacificatrices [8] ». La guerre froide qui opposa un temps l’histoire culturelle aux tenants d’une histoire sociale plus traditionnelle (entendons celle, longtemps hégémonique, qui identifiait les acteurs et les groupes à l’aune de critères principalement économiques) s’est également apaisée, pour partie par effet d’hybridation réciproque.

4 Ce mouvement n’est pas spécifique à la France, même s’il a connu en ce pays une chronologie décalée en raison de la forte tradition nationale, voire d’un certain isolationnisme historiographique. L’évidence d’un « tournant culturel » affecte en effet l’historiographie française légèrement plus tard que celles des pays anglophones. Aux États-Unis, les grands débats sur la question s’ouvrent dès le début des années 1980 (le colloque de Cornell sur l’histoire intellectuelle [9] se tient en 1980 et la revue californienne Representations est lancée trois ans plus tard), et c’est aussi durant cette décennie que l’historiographie britannique se déchire sur la question des identités de classe [10]. En 1989, quand la rédaction des Annales, alors aux avant-postes, invite la profession à engager un « tournant critique », Lynn Hunt publie à Berkeley un premier volume aux allures de bilan (The New Cultural History[11]). Dix ans plus tard, en 1999, alors que le débat bat son plein en France, la même Lynn Hunt coédite un volume prenant acte d’un certain repli tactique : Beyond the Cultural Turn[12]. Ces écarts ne doivent cependant pas être exagérés ; l’historiographie française s’est de plus en plus insérée dans un débat international en marge duquel il n’est plus tenable de rester. Le « tournant culturel » a été une réalité mondiale [13], et le ralentissement qu’il semble connaître aujourd’hui affecte la plupart des historiographies, à commencer par celle des États-Unis comme le constate un colloque récent [14]. Ce moment se révèle propice aux éclairages rétrospectifs : quel paysage l’histoire culturelle offre-t-elle au regard en ce pays au lendemain de la bataille : champ de ruines ou nouveau monde ?

Singularités françaises

5 Il convient cependant d’évoquer au préalable ce qui constitue à mon sens les deux traits spécifiques de l’histoire culturelle « à la française ». Le premier concerne son très fort ancrage « contemporain ». Contrairement à d’autres historiographies, c’est principalement l’histoire contemporaine qui s’est saisie en France de cette notion. Non que les spécialistes des autres périodes y aient été insensibles. Peut-on faire de l’histoire grecque ou romaine sans convoquer la littérature, le théâtre, la céramique, et donc sans mener une réflexion méthodologique approfondie sur la question des représentations, de leurs relations aux pratiques et aux expériences sociales ? La situation est similaire pour les historiens du Moyen Âge et de l’époque moderne, eux aussi confrontés de longue date à ces problématiques, mais qui, depuis les temps des « mentalités », ne ressentirent pas le besoin d’inventer ou d’afficher une dénomination particulière pour ces opérations. On remarquera également que les principaux promoteurs du « culturel », ou ceux qui s’en sont réclamés, furent en France des spécialistes de l’histoire du XXe siècle [15], une histoire longtemps rivée au seul domaine politique et en butte à ce titre à une certaine déconsidération au regard des canons de la profession issus de la tradition des Annales. Aux vingtièmistes, le « culturel » put offrir une voie neuve et originale pour sortir du tout politique et revendiquer une place de plein droit au sein de la discipline, ce qui explique sans doute le besoin de labelliser et d’institutionnaliser ces approches. Cette nouveauté des problématiques culturelles en histoire contemporaine est d’ailleurs toute relative. Guizot consacre en 1828 des passages essentiels de son Cours d’histoire moderne à expliquer la nécessité d’une histoire pensée comme le produit de l’interaction entre « l’état social » et « l’état moral » d’une société, invitant les historiens, une fois décrits les événements et les rapports sociaux, « à étudier l’état intérieur, personnel des hommes, l’état des âmes, c’est-à-dire, d’une part, les idées, les croyances, toute la vie intellectuelle de l’homme ; de l’autre, les rapports qui lient les idées aux actions, les croyances aux déterminations de la volonté, la pensée à la liberté humaine [16] ». À sa manière, l’histoire romantique, Michelet en tête, répondait à un désir analogue, soucieux de saisir le mouvement de la vie dans la complexité de ses fonctions et de ses interactions. Signalant le caractère illusoire d’une observation positive des faits extérieurs, le très vilipendé Charles Seignobos explique dans une envolée très bergsonienne de sa Méthode historique que « les faits extérieurs ne sont que les produits des états intérieurs ; les étudier seuls sans connaître les états psychologiques qui les motivent, ce serait vouloir comprendre les mouvements d’un danseur sans entendre la musique sur laquelle il danse [17] », avant de préciser plus loin qu’« en science sociale, on opère, non pas sur des objets réels, mais sur les représentations qu’on se fait des objets [18] ». La notion de « forces profondes » introduite par Pierre Renouvin dans l’histoire diplomatique laissait une grande place aux concepts d’opinion, de psychologie ou de mentalités collectives. Il n’est jusqu’à la très structurale histoire économique et sociale qui s’organise autour d’Ernest Labrousse dans les années 1950-1970, souvent caricaturée elle aussi, qui intègre à son programme d’importantes perspectives culturelles. On n’oubliera pas l’appel de Labrousse, en ouverture du célèbre colloque de Saint-Cloud sur l’histoire sociale de 1965, « aux études de jugements, de sentiments, d’attitude » : « La restitution de la mentalité globale demeure notre but [19]. » Évoquant dans le même texte l’œuvre de Bloch et de Lefebvre, Labrousse se refuse à établir « une influence à sens unique des deux premiers secteurs sur le troisième », ce que confirment plusieurs contributions au colloque Niveaux de culture et groupes sociaux organisé l’année suivante et publié en 1967 [20]. Et l’histoire religieuse comme l’histoire de l’éducation, dont on ne voit pas au nom de quoi on les exclurait du culturel, sont en ce pays d’anciens et très dynamiques champs de recherche. En bref, comme le remarquent Antoine Prost et Jay Winter dans leur essai sur l’historiographie de la Grande Guerre : « Il y avait déjà de l’histoire culturelle dans l’histoire sociale. Les idées, les représentations, les erreurs de perspective ont toujours été prises en compte [21]. »

6 Le second trait singulier concerne l’étonnant consensus réalisé en France autour de la définition de l’histoire culturelle proposée de longue date par Pascal Ory et reprise depuis par la plupart des collègues : l’histoire culturelle, c’est « l’histoire sociale des représentations ». Histoire sociale parce qu’attentive au collectif, aux contextes, aux processus de production ou d’inégale distribution, mais histoire consacrée à l’étude des « représentations », définies comme les formes matérielles ou sensibles de l’expression, ainsi que les pratiques qui les instituent. Associée à une acception de la culture comme « ensemble des représentations collectives propres à une société », cette définition permit de placer la nouvelle histoire culturelle dans le sillage des Annales, des « mentalités », de l’anthropologie historique, et de ne pas rompre en conséquence le fil de l’histoire sociale que d’autres historiographies culturelles – en Grande-Bretagne notamment –, mettaient plus à mal. Jointe aux contre-feux très tôt allumés par Roger Chartier pour introduire quelques-unes des propositions majeures venues d’outre-Atlantique sans rompre avec la tradition sociale qui caractérise la french trajectory[22], cette définition du culturel comme modalité de l’histoire sociale permit à l’historiographie française de ne pas verser dans les violents affrontements qui affectèrent d’autres histoires nationales.

Deux acceptions différenciées

7 Un second niveau d’analyse laisse toutefois apparaître, par-delà ce consensus général, plusieurs discordances d’objets, de pratique ou de finalité. Au vrai, deux conceptions de l’histoire culturelle semblent coexister, correspondant à ces deux approches de la culture qu’Antoine Prost avait diagnostiquées dès le milieu des années 1990 : la culture comme « domaine » et la culture comme « regard [23] ». Deux massifs historiographiques distincts, et de très inégale ampleur, en ont résulté [24].

8 Le premier, largement dominant, a suscité la grande majorité des travaux se réclamant de l’histoire culturelle, ou reconnus comme tels. Il procède de ce que l’on peut appeler, pour aller vite, l’exploration des territoires de la culture. C’est l’histoire des objets culturels – le livre et l’édition, la presse et les médias, la photographie, le cinéma, le théâtre et les autres spectacles vivants, la chanson, etc. –, et des innombrables pratiques qui leur donnent vie, tant sur les volets de la production et de la diffusion que sur celui, moins fréquenté, de la réception. C’est aussi l’histoire du patrimoine, des institutions, des politiques et des relations culturelles, des intellectuels et des médiateurs. C’est encore l’histoire des idées, des sciences ou des disciplines culturelles (art, littérature, musique, etc.). Adossée à la riche tradition de l’histoire du livre inaugurée en France par Lucien Febvre et à la sociologie de la culture développée dans le sillage de l’œuvre de Pierre Bourdieu, cette historiographie contemporaine du culturel a produit en plus de vingt ans un train continu d’ouvrages importants, éclairant tout un pan ignoré jusque-là d’objets et de pratiques culturels, inventoriant les formes de la production, serrant au plus près les étapes de sa diffusion et de ses appropriations multiples.

9 Les livres et l’édition [25], la presse et les médias [26], le théâtre [27], les musées, [28] le jazz [29], la bande dessinée [30], ont trouvé leurs historiens. Des avancées décisives ont porté sur la lecture et l’usage des textes littéraires [31], sur la caricature [32], les formes de la censure [33], la cinéphilie [34], la danse et les dancings [35], le sport, les fêtes, les symboles et les politiques culturelles [36]. D’autres, qui portent sur l’affiche, la carte postale, la publicité ou la pornographie, sont encore en chantier. Fondé en 1992 par Pascal Ory et Jean-Yves Mollier, le Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines de l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines a et continue de fédérer des initiatives majeures en ce domaine.

10 Ces travaux sont essentiels, en ce qu’ils insistent à juste titre sur le poids du matériel, des déterminants techniques, économiques et politiques, et sur tous les systèmes de contraintes qui façonnent les formes de la culture. De façon plus capitale, ils ont contribué à redonner toute leur importance à des objets et des pratiques jugés « indignes » et récusés comme tels par le légitimisme culturel. Ils ont de ce fait ouvert la voie à toutes les recherches concernant le régime culturel du contemporain, qu’on le nomme culture de masse, culture médiatique ou industries culturelles [37]. À quelques rares exceptions cependant, ces approches n’ont que modestement contribué à renouveler le questionnement historiographique : le territoire et les façons de faire de l’historien s’y sont déplacés, étendus, mais pas réinventés. Car, sur un strict plan épistémologique, ces travaux sont demeurés pour l’essentiel relevables des méthodes traditionnellement mises en œuvre par l’histoire économique, sociale ou politique. Avec force et constance, ils ont proposé une très dynamique histoire matérielle, économique et sociale des phénomènes de production ou de circulation culturelle.

11 Le second massif procède d’une approche différente ; il regroupe des travaux qui ne considèrent pas le « culturel » comme un domaine ou comme un répertoire d’objets et de pratiques, mais comme un regard, une voie d’accès à l’ensemble des réalités sociales, dont la culture serait, en quelque sorte, l’expression structurante. Ils relèvent d’une approche ethno-anthropologique des sociétés, soucieuse de restituer les appréciations, les sensibilités, les valeurs, les croyances, les imaginaires, de questionner la part subjective ou symbolique de l’expérience, en bref d’analyser les différentes voies par lesquels les individus perçoivent, nomment et donnent sens au monde qui les entoure. C’est, pour reprendre l’expression de William Sewel, « l’étude de la construction culturelle du monde social [38] », une étude soucieuse de définir les identités individuelles et collectives non pas à partir des pratiques socio-économiques qui pourraient les fonder, mais des univers sémantiques et des discours socialisés dans lesquelles elles s’inscrivent [39]. Loin d’être conçu comme une donnée, une chose ou un point de départ, le social est devenu, au prix d’une série de déplacements et d’une inversion méthodologique radicale des façons de faire (ce que Lynn Hunt a appelé un « renversement des relations causales [40] »), le lieu d’une dynamique, un point d’aboutissement, le produit même dont la construction est l’objet de l’histoire. Il s’agit toujours d’une histoire des « représentations », mais des représentations qui n’en demeurent pas à la strate matérielle et figurée des objets, images, imprimés, emblèmes, monuments, etc. (ce que j’avais proposé, dans un souci de clarification, d’appeler « figurations [41] »), mais qui s’ouvrent surtout à ce qu’il vaudrait peut-être mieux appeler les « appréciations » : schèmes de perception, catégories de saisie et d’appréhension du monde, que commandent en amont les systèmes sensoriels et qui ouvrent en aval sur l’océan des sensations, des sentiments, des émotions, des désirs et de l’imaginaire.

12 Cette conception du « culturel » a, il est vrai, surtout nourri la production anglophone et plus précisément américaine. Liée aux modalités spécifiques de réception des philosophies de la déconstruction aux États-Unis (ce qu’on a appelé outre-Atlantique la French Theory[42]) et combinée aux propositions venues de l’anthropologie culturelle, notamment aux œuvres de Clifford Geertz et de Victor Turner, elle a donné corps à la New Cultural History américaine Elle s’est révélée directement moins productive en France où elle fut, à tort, souvent assimilée aux cultural studies[43] et au tournant linguistique, tous deux érigés en épouvantail et en renoncement à l’histoire. Des travaux importants s’en inspirèrent pourtant librement, comme ceux d’Antoine de Baecque sur la Révolution Française [44] et de Stéphane Audoin-Rouzeau sur la Première Guerre mondiale [45]. J’ai tenté pour ma part de montrer comment les réalités sociales du crime n’étaient accessibles et le plus souvent intelligibles qu’au travers d’un lourd dispositif de représentations – l’enquête –, qui en façonnait le sens [46].

13 Ces différentes perspectives rencontrèrent en France l’œuvre d’Alain Corbin qui, bien que suivant une voie originale et personnelle, partageait un certain nombre de traits communs [47]. Tout en restant fidèle à une conception du métier puisée aux sources de l’historiographie nationale, Corbin sut en effet se mettre à l’écoute des propositions les plus fortes qui taraudaient alors la discipline : microanalyse, identités de genre, primat des représentations, poids du langage surtout, et attention aux mots par l’intermédiaire desquels se donne à lire toute l’historicité du monde. Restituer les systèmes d’appréciations qui furent ceux des contemporains, détecter les traces des sentiments, reconstituer la palette des émotions, l’épaisseur du ressenti ou des diverses modalités de construction personnelle du monde n’est en effet possible qu’au prix d’une écoute attentive du langage qui les porte. Indispensable à la dimension « compréhensive » de l’histoire revendiquée par Alain Corbin, cette discrète ouverture au linguistique postulait la discursivité du monde social. L’histoire des sensibilités et plus encore celle des imaginaires sociaux encouragées par l’historien procédaient de cette quête de construction culturelle du social. Les études d’Anne-Emmanuelle Demartini sur l’imaginaire du monstre au XIXe siècle, de Corinne Legoy sur les paroles de gloire ou de Sylvain Venayre sur le désir d’aventure portent la trace de ces orientations [48]. D’autres travaux, réalisés dans ce sillage, s’attelèrent plus explicitement encore à lire du social dans l’enchevêtrement des discours et des représentations. En interrogeant les mots et le travail du langage dans l’écriture des insurgés de 1848, Louis Hincker s’est attaché à restituer l’expérience des événements, la construction de soi et l’élaboration d’identités collectives perçues d’abord comme scripturaires, et peut-être même narratives [49]. Immergée au cœur de l’effervescence vibrionnaire des gares parisiennes du XIXe siècle, Stéphanie Sauget analysa les multiples dynamiques que ces lieux entretiennent avec la ville, son espace, ses habitants, leurs sentiments et leurs pratiques [50]. Dans un livre consacré aux sergents de ville parisiens entre 1854 et 1913, Quentin Deluermoz mit avec beaucoup de finesse le massif des représentations au service d’un objet éminemment social, la construction et l’institutionnalisation, dans la rue parisienne de la fin du XIXe siècle, d’un ordre public partagé et stabilisé [51]. De la même manière, la thèse d’Hervé Mazurel, consacrée à l’aventure collective des 1 200 volontaires occidentaux engagés à compter de 1821 dans la guerre d’indépendance grecque, s’attachait à restituer les différentes strates temporelles de l’expérience, pensée comme un fait de sensibilité collective, une illusion perdue ou un fantasme collectif [52]. Dans son ouvrage sur la pratique du banquet durant les monarchies censitaires, Vincent Robert montre que la signification politique de l’événement nous demeure incompréhensible tant que l’on ne s’immerge pas au cœur d’un ensemble de gestes, de rituels, de symboles, de références alors partagées et aujourd’hui oubliés [53]. De la même manière, Jean-Noël Tardy, soucieux de restituer les modalités d’exercice de la conspiration et d’en comprendre les rationalités, ne peut éviter le détour par les visions du monde qu’offre alors le romantisme tant « la conspiration est avant tout composée des fictions qui la dévoilent, qui la dénoncent ou qui la construisent [54] ». Quant à Sylvain Venayre, il a récemment constitué une sorte d’inventaire raisonné et problématisé de l’ensemble des façons de dire le voyage au XIXe siècle (descriptions, normes, usages, etc.) et suggéré d’y lire des façons de faire et de ressentir [55]. Une proposition épistémologique forte en émane : qu’une analyse raisonnée et aussi exhaustive que possible des mots qui portent ou décrivent une activité puisse dessiner, dans le spectre le plus large de son expression, l’effectivité des pratiques qui s’y rapportent dans une société donnée. Ou, pour le dire autrement, que les usages des mots puissent être considérés comme des faits sociaux, participer à la construction des identités, exprimer l’évolution des pratiques.

14 Ces travaux, on le voit, dessinent moins un chantier collectif qu’une sensibilité historiographique, vouée à venir féconder des questions ou des objets de nature très différente. Sans doute est-ce là le destin de cette seconde conception du « culturel » : loin de circonscrire un pré carré, elle tend à se volatiliser dans l’ensemble du champ historiographique qu’elle contribue à renouveler. C’est de l’effervescence épistémologique propre à ce Cultural turn que sont en effet issues la plupart des perspectives qui ont permis de sortir des approches réifiées du social. Ainsi de l’attention accrue portée à la construction des catégories, aux compétences des acteurs et à la notion d’agency (capacité à agir), à la complexe construction des identités – qu’il s’agisse des identités de genre, de « race », de classe d’âge, etc. –, à la discursivité du monde social, au rôle décisif de l’écriture dans l’opération historique. Un monde social plus dense et plus fragmenté en a résulté sous la plume de l’historien, un monde plus complexe et plus mobile aussi, fait d’écarts et de contradictions plus que de régularités, résistant aux implications et aux catégorisations abusives. Une large part du renouvellement de l’histoire sociale – qui demeure in fine l’horizon majeur de l’historien – de cette « autre histoire sociale » que Bernard Lepetit appelait de ces vœux [56], procède de ces propositions. On pourra estimer que je donne au « culturel » une importance et une place qu’ils n’ont pas, ou que l’on pourrait désigner autrement ce que je nomme culturel. J’en conviens. Il demeure cependant que c’est ainsi que l’on s’est accordé, à l’échelle internationale, à synthétiser l’agitation épistémologique qui a marqué la fin du XXe siècle, subsumant en quelque sorte dans cette notion de Cultural Turn les tournants à répétition (« narratif », « micro-analytique », « critique », « linguistique », « sémiotique », « herméneutique », et j’en oublie sans doute), trop nombreux évidemment pour être effectifs, qui s’emparèrent alors de la discipline.

15 Aussi décisives que fussent certaines de ces avancées et aussi déterminants que soient certains de leurs effets, ils ont, me semble-t-il rempli, leur but. Ils ont introduit de nouveaux outils, de nouveaux concepts, pesé sur la compréhension du passé et sur son écriture, suscité la plupart des changements que la discipline pouvait absorber. Le culturel, pour le dire autrement, a donné ses fruits. Ceux qui en furent les principaux acteurs ont souvent pris acte de ces dépassements. C’est le cas outre-manche de Gareth Stedman-Jones [57] ou de Geoff Eley, dont l’ouvrage pour partie autobiographique – The Crooked Line – entend tirer le bilan des propositions du tournant culturel tout comme des héritages de l’histoire sociale plus traditionnelle [58]. Comme tous les autres, le « moment » culturel était lié à un contexte intellectuel et politique : le déclin progressif du marxisme et du structuralisme, la crise du modèle fordiste, une certaine acception du postmodernisme. Ce contexte-là n’est plus exactement le nôtre et un changement de paradigme se dessine [59]. Dans les grands congrès internationaux, le « culturel » n’est aujourd’hui plus un front pionner. On a assimilé ses propositions et c’est tant mieux. L’histoire a en permanence besoin d’horizons innovants pour maintenir l’écart signifiant entre le passé et le présent. C’est aujourd’hui autour des notions de world, de global ou de connected history que portent les nouveaux enjeux historiographiques : migrations, corrélations ou mouvements transnationaux, phénomènes d’hybridation culturelle, rencontres, échanges, transferts. Là aussi, le poids des contextes est déterminant : ce n’est ni en France, ni en Europe, ni même aux États-Unis que la dynamique intellectuelle est en mouvement, mais dans un débat transnational où les autres mondes, indien, chinois, africain, latino-américain, affirment une place, une présence et un rôle accrus. Et dans cette perspective d’approches de plus en plus globalisées, l’histoire culturelle est souvent considérée comme une lecture trop strictement nationale, ou dont la mise en œuvre renforce les cadres nationaux. L’histoire, là aussi, doit continuer.

16 (Brugheas, juillet 2011)

Notes

  • [1]
    On peut, symboliquement, le faire débuter avec la publication en 1989 de l’article de Roger Chartier, « Le monde comme représentation », Annales ESC, n° 44-6, 1989, p. 1505-1520.
  • [2]
    Maurice Crubellier, Histoire culturelle de la France, XIXe-XXe siècles, Paris, A. Colin, 1974 et Paul Gerbod, L’Europe culturelle de 1815 à nos jours, Paris, PUF, 1977.
  • [3]
    Pascal Ory, « Pour une histoire culturelle de la France contemporaine », Bulletin du centre d’histoire de la France contemporaine, n° 2, 1981, p. 5-32, repris et augmenté dans « L’histoire culturelle de la France contemporaine. Questions et questionnement », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 1987, p. 67-82.
  • [4]
    Pascal Ory, L’Histoire culturelle, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2004.
  • [5]
    Philippe Poirrier, Les Enjeux de l’histoire culturelle, Paris, Seuil, 2004.
  • [6]
    Laurent Martin et Sylvain Venayre (dir.), L’Histoire culturelle du contemporain, Paris, Nouveau Monde, 2005.
  • [7]
    Un besoin similaire affecte au même moment d’autres historiographies. Voir par exemple Peter Burke, What is Cultural History ?, Cambridge, Polity Press, 2004, ou Justo Serna et Anaclet Pons, La Historia cultural, Madrid, Akal, 2005.
  • [8]
    Bernard Lahire, « Remarques sociologiques sur le linguistic turn. Suite au « Dialogue sur l’espace public » entre Keith M. Baker et Roger Chartier », Politix, n° 27, 1994, p. 190.
  • [9]
    Dominick LaCapra and Steven Kaplan (dir.), Modern European Intellectual History : Reappraisals and New Perspectives, Ithaca, Cornell University Press, 1982.
  • [10]
    Ces controverses débutent avec la publication de l’article de Gareth Stedman-Jones, « The Language of Chartism » dans James Epstein et Dorothy Thomson (dir.), The Chartist Experience. Studies in Working-Class Radicalism and Culture, 1830-1860, Basingstoke, MacMillan, 1982, p. 3-59. Pour un bilan critique de ces débats, voir, du même auteur, « De l’histoire sociale au tournant linguistique et au-delà. Où va l’historiographie britannique ? », Revue d’histoire du XIXe siècle, n° 33, 2006, p. 143-166.
  • [11]
    Lynn Hunt (dir.), The New Cultural History, Berkeley, University of California Press, 1989.
  • [12]
    Lynn Hunt et Victoria Bonnel (dir.), Beyond the Cultural Turn, Berkeley, University of California Press, 1999.
  • [13]
    Philippe Poirrier (dir.), L’Histoire culturelle : un « tournant mondial » dans l’historiographie ?, Dijon, EUD, 2008.
  • [14]
    James Cook, Lawrence Glickman, Michael O’Malley (dir.), The Cultural Turn in US History : Past, Present, Future, Chicago, Chicago University Press, 2009.
  • [15]
    C’est le cas, entre autres, de Pascal Ory, Jean-François Sirinelli, Jean-Pierre Rioux, Philippe Poirrier, Loïc Vadelorge.
  • [16]
    François Guizot, Cours d’histoire moderne. Histoire générale de la civilisation depuis la chute de l’Empire romain jusqu’à la Révolution française, Paris, Pichon et Didier, 1828, p. 99.
  • [17]
    Charles Seignobos, La Méthode historique appliquée aux sciences sociales, Paris, Alcan, 1901, p. 109.
  • [18]
    Ibid., p. 118.
  • [19]
    L’Histoire sociale. Sources et méthodes. Colloque de l’École normale supérieure de Saint-Cloud. 15 au 15 mai 1965, Paris, PUF, 1967, p. 5.
  • [20]
    Niveaux de culture et groupes sociaux. Actes du colloque réuni du 7 au 9 mai 1966 à l’École normale supérieure, Paris-La Haye, Mouton, 1967.
  • [21]
    Antoine Prost et Jay Winter, Penser la Grande Guerre. Un essai d’historiographie, Paris, Seuil, 2004, p. 49.
  • [22]
    William Scott, « Cultural History, French Style », Rethinking History, n° 2/3, 1999, p. 197-215.
  • [23]
    Antoine Prost, « Sociale et culturelle, indissociablement », dans Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), Pour une histoire culturelle, Paris, Seuil, 1997, p. 131-145.
  • [24]
    Je reprends ici, sous une autre forme, quelques éléments déjà avancés dans « What is now cultural history about ? » dans Robert Gildea et Anne Simonin (dir.), Writing Contemporary History, Londres, Hodder Education, 2008, p. 47-56.
  • [25]
    Les travaux majeurs en ce domaine ont été réalisés par Jean-Yves Mollier et ses étudiants. Voir Jean-Yves Mollier et Patricia Sorel, « L’histoire de l’édition, du livre et de la lecture en France aux XIXe et XXe siècles : approche bibliographique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 126, 1999, p. 29-58. Cette bibliographie est régulièrement mise à jour par le Centre d’histoire culturelle de l’Université de Versailles- Saint-Quentin-en-Yvelines.
  • [26]
    Fabrice d’Almeida et Christian Delporte, Histoire des médias en France de la Grande Guerre à nos jours, Paris, Flammarion, 1999 et Dominique Kalifa, Philippe Regnier, Marie-Ève Therenty et Alain Vaillant (dir.), La Civilisation du Journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde, 2011.
  • [27]
    Jean-Claude Yon, Une histoire du théâtre à Paris de la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Aubier, 2012 et Christophe Charle, Théâtres en capitales. Naissance de la société du spectacle à Paris, Berlin, Londres et Vienne, Paris, A. Michel, 2008.
  • [28]
    Dominique Poulot, Patrimoine et musées, Paris, Hachette, 2001.
  • [29]
    Ludovic Tournès, New Orleans sur Seine. Histoire du jazz en France, Paris, Fayard, 1999.
  • [30]
    Thierry Crépin, Haro sur le gangster ! La moralisation de la presse enfantine, 1934-1954, Paris, Éd. du CNRS, 2001.
  • [31]
    Judith Lyon-Caen, La Lecture et la Vie. Les usages du roman au temps de Balzac, Paris, Tallandier, 2006 et Judith Lyon-Caen et Dinah Ribard, L’Historien et la littérature, Paris, La Découverte, 2010.
  • [32]
    Christian Delporte, Les Crayons de la propagande, Paris, CNRS Éd., 1993, Bertrand Tillier, La RépubliCature. La caricature politique en France, 1870-1914, CNRS Éd., 1997 et Fabrice Erre, Le Règne de la Poire. Caricatures de l’esprit bourgeois de Louis-Philippe à nos jours, Seyssel, Champ Vallon, 2011.
  • [33]
    Pascal Ory (dir.), La Censure en France à l’ère démocratique (1848-...), Bruxelles, Complexe, 1997 et Pascal Durand, Pierre Hébert, Jean-Yves Mollier et François Vallotton, La Censure de l’imprimé. Belgique, France, Québec et Suisse romande. XIXe-XXe siècles, Québec, Nota Bene, 2006.
  • [34]
    Christophe Gauthier, La Passion du cinéma, Paris, AFRHC-ENC, 1999 et Antoine de Baecque, La Cinéphilie. Invention d’un regard, invention d’une culture, Paris, Fayard, 2003.
  • [35]
    Sophie Jacotot, Entre deux guerres, entre deux rives, entre deux corps. Imaginaires et appropriations des danses de société des Amériques à Paris (1919-1939), thèse d’histoire, Université de Paris 1, 2008.
  • [36]
    Il est impossible de citer ici tous les ouvrages ayant, dans les deux dernières décennies, enrichi ces perspectives. Voir pour cela Christian Delporte, Jean-Yves Mollier et Jean-François Sirinelli (dir.), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine, Paris, PUF, 2010.
  • [37]
    Dominique Kalifa, La Culture de masse en France. 1860-1930, Paris, La Découverte, 2001, Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), La Culture de masse en France. De la Belle Époque à aujourd’hui, Fayard, 2004 et Jean-Yves Mollier, Jean-François Sirinelli et François Vallotton (dir.), Culture de masse et culture médiatique en Europe et dans les Amériques 1860-1940, Paris, PUF, 2006.
  • [38]
    William Sewel, The Logics of History. Social Theory and Social Transformation, Chicago, Chicago University Press, 2005, p. 61.
  • [39]
    Ce que Algirdas Greimas théorisait dès 1976 dans Sémiotique et sciences sociales, Paris, Seuil, 1976.
  • [40]
    Lynn Hunt, Politics, Culture and Class in the French Revolution, Berkeley, University of California Press, 1984, p. 13.
  • [41]
    Dominique Kalifa, « L’histoire culturelle contre l’histoire sociale ? », dans L’Histoire culturelle du contemporain, op. cit., p. 78-79.
  • [42]
    François Cusset, French Theory. Foucault, Derrida, Deleuze & Cie et les mutations de la vie intellectuelle aux États-Unis, Paris, La Découverte, 2003.
  • [43]
    Lesquelles, rappelons-le, ne relèvent pas de l’histoire, mais se veulent une discipline neuve à la croisée de la sociologie, de l’anthropologie, de la littérature, etc. Voir Armand Mattelard et Erik Neveu, Introduction aux Cultural Studies, Paris, La Découverte, 2003.
  • [44]
    Antoine de Baecque, Le Corps de l’Histoire : métaphores et politique (1770-1800), Paris, Calmann-Lévy, 1993, La Gloire et l’effroi. Sept morts sous la Terreur, Paris, Grasset, 1997 et Les Éclats du rire. La culture des rieurs au XVIIIe siècle, Calmann-Lévy, 2000.
  • [45]
    Stéphane Audoin-Rouzeau, L’Enfant de l’ennemi 1914-1918, Paris, Aubier, 1995 et Cinq deuils de guerre 1914-1918, Paris, Noesis, 2001.
  • [46]
    Dominique Kalifa, Crime et culture au XIXe siècle, Paris, Perrin, 2005, avec Philippe Artières, Vidal le tueur de femmes. Une biographie sociale, Paris, Perrin, 2001 et seul, « Enquête et culture de l’enquête au XIXe siècle », Romantisme, n° 149, 2010, p. 3-23.
  • [47]
    Dominique Kalifa, « L’expérience, le désir et l’histoire. Alain Corbin ou le « tournant culturel » silencieux » dans Stéphane Gerson (dir.), « Alain Corbin and the Writing of History », French Politics, Culture & Society, vol. 22, n° 2, 2004, p. 14-25 et Anne-Emmanuelle Demartini et Dominique Kalifa (dir.), Imaginaire et sensibilités au XIXe siècle, Paris, Creaphis, 2005.
  • [48]
    Anne-Emmanuelle Demartini, L’Affaire Lacenaire, Paris, Aubier, 2001, Anne-Emmanuelle Demartini et Anna Caiozzo (dir.), Monstre et imaginaire social, Paris, Créaphis, 2008, Corinne Legoy, L’Enthousiasme désenchanté. Éloge du pouvoir sous la Restauration, Paris, Société des études robespierristes, 2011 et Sylvain Venayre, La Gloire de l’aventure. Genèse d’une mystique moderne, Paris, Aubier, 2002.
  • [49]
    Louis Hincker, Citoyens-combattants à Paris (1848-1851), Villeneuve d’Ascq, PU du Septentrion, 2008.
  • [50]
    Stéphanie Sauget, À la recherche des pas perdus. Une histoire des gares parisiennes, Paris, Tallandier, 2009.
  • [51]
    Quentin Deluermoz, Les Policiers en tenue dans l’espace parisien (1854-1913), Paris, Publications de la Sorbonne, 2012.
  • [52]
    Hervé Mazurel, Désirs de guerre et rêves d’ailleurs. La croisade philhellène des volontaires occidentaux de la guerre d’indépendance grecque (1821-1830), thèse d’histoire, Université Paris 1, 2009.
  • [53]
    Vincent Robert, Le Temps des banquets. Politique et symbolique d’une génération (1818-1848), Paris, Publications de la Sorbonne, 2010.
  • [54]
    Jean-Noël Tardy, Les Catacombes de la politique. Conspiration et conspirateurs en France (1818-1870), thèse d’histoire, Université Paris 1, 2011 (citation p. 18)
  • [55]
    Sylvain Venayre, Panorama du voyage au XIXe siècle. Mots, figures, pratiques, Paris, Les Belles Lettres, 2012.
  • [56]
    Bernard Lepetit (dir.), Les Formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, A. Michel, 1995.
  • [57]
    Gareth Stedman-Jones, postface à « Repenser le chartisme », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 54/1, 2007, p. 63-68.
  • [58]
    « I experienced the so-called linguistic or cultural turn of the 1980s as a vital empowering of possibilities. Yet at the same time I have always been impressed by the obstacles to building a conversation across the resulting differences. The first purpose of my book, consequently, is to step back from the situation created by the ‘new cultural history’and to consider what the latter may not be accomplishing so effectively. Without in any way disavowing the processes of critique and labors of theory, or the kinds of cultural analysis they have enabled, I want to explore how and in what forms the earlier moment of social history might be recuperated. What has been gained and what has been lost by turning away from the salient commitments of social history ? What in those earlier inspirations remains valuable for critical knowledge – and dissent – today – ». Geoff Eley, The Crooked Line. From Cultural History to the History of Society, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2005, p. XII.
  • [59]
    Gabrielle Spiegel, « Revising the Past/Revisiting the Present. How Change Happens in Historiography », History and Theory, n° 46, 2007, p. 1-19.
Français

Il a existé en France un « moment » histoire culturelle, que l’on peut pour aller vite dater de la fin des années 1980 au milieu de la décennie 2000. Deux conceptions du « culturel » s’y sont développées : l’une, toujours, très productive, procède d’une approche sociale, économique et politique des productions et territoires de la culture ; l’autre, plus diffuse, relève d’une approche ethno-anthropologique pour qui le culturel était surtout une voie d’accès à l’ensemble des réalités sociales. Ces deux approches ont et continuent de susciter des travaux majeurs, mais le temps n’est plus où le culturel était un front pionnier.

English

French history has known a “cultural moment” which can briefly be dated from the end of the 80s to the middle of the decade 2000. Two different conceptions of “cultural history” were discernible. The first one, which is still very productive, refers to a social, economic and political history of cultural productions and of cultural fields. The second one came close to an anthropological conception in which “culture” was a way to examine all the social realities. These two different outlooks have produced and go on producing major works. But cultural history can’t be seen as a frontline or as a “frontier” anymore.

Dominique Kalifa
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 08/08/2012
https://doi.org/10.3917/hes.122.0061
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