Chapitre
Grand quotidien sportif de la Belle Époque, L’Auto fut saisi en 1909 d’une étrange épidémie exotique : le Sen-Sen. Tout débuta le 28 mars, lorsque Léon Manaud, le codirecteur du journal et son chroniqueur attitré pour la boxe, fit suivre l’annonce de la « réédition cinématographique » du fameux combat des poids légers Joe Gans / Battling Nelson de l’encart reproduit ci-dessus.
Cette publicité pour le « Sen-Sen chewing gum » reprenait un motif très couru depuis le début du siècle : la supériorité supposée des « corps noirs », principalement américains, dans les combats de boxe. L’illustration d’O’Galop (qui avait acquis la célébrité dix ans plus tôt en dessinant pour Michelin le personnage de Bibendum) en recyclait tous les poncifs racistes : le « Nègre » au corps puissant, au sourire jovial, au parler infantile. La publicité était pourtant mensongère, car le combat en question (Gans/Nelson), qui avait eu lieu en juillet 1908, s’était soldé par la victoire du boxeur danois et la défaite par KO du noir américain, champion du monde depuis 1902. Mais le plus remarquable ne résidait pas dans cette mise en scène raciste, alors très commune, mais dans l’étonnante mondialisation que l’encart révélait. Car tout ici est « mondial » : Gans est un boxeur noir de Baltimore, Nelson un Danois de Copenhague, le grand match qui les oppose eut lieu à Colma, dans la banlieue sud de San Francisco, le chewing-gum qui les associe est un produit made in USA fabriqué à partir d’une gomme du Yucatan mais porteur d’un nom japonais (Sen-Sen, nous apprend un document de la maison mère, signifie « brillant, scintillant » en japonais)…
Auteur
- Mis en ligne sur Cairn.info le 25/11/2021
- https://doi.org/10.3917/anamo.there.2021.02.0162
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