L’annulation des « dettes publiques » détenues au bilan de l’Eurosystème a récemment été proposée dans le débat public (Bridonneau et Scialom, 2020 ; Bridonneau et al., 2020 ; Dufrêne et Grandjean, 2020a ; Dufrêne et al., 2021). Cette proposition a révélé des clivages théoriques et politiques importants quant au sort dévolu à la « dette publique », clivages qu’il s’agit ici d’exposer et d’analyser.
Le présent article fait le pari d’étudier la problématique de l’annulation des « dettes publiques » détenues par les Banques centrales de façon radicalement pluridisciplinaire. Et pour cause : nous montrerons qu’il n’est pas possible d’aborder cette problématique, à l’instar de la manière dont cherchent à le faire certains économistes, comme une question de type purement comptable. Il serait malvenu de se demander comment une annulation de « dette publique » par la Banque centrale améliore, par un simple jeu d’écriture, l’état des finances publiques. Une telle erreur nous conduirait à conclure trop rapidement à son inutilité, et à passer outre son enjeu véritable. Nous démontrerons que la proposition d’annulation de la « dette publique » par la Banque centrale doit de préférence être traitée comme une question d’ordre symbolique. Cela signifie qu’il ne s’agit pas tant d’étudier comment une annulation de « dette publique » cherche à transformer le réel en lui-même, mais comment elle cherche à modifier des représentations du réel, qui, ex post, transformeront le réel. Concrètement, nous mettrons en évidence le fait qu’une annulation de « dette publique » par la Banque centrale n’aspire pas à rendre l’État instantanément plus prospère (absence de modification immédiate du réel), en faisant disparaître une dette qui se trouve être fictive dans tous les cas…