CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Les quatre textes formant ce dossier sont issus de la journée d’étude « Rigidité(s) et plasticité(s) de la dette publique », tenue en ligne le 17 septembre 2021, organisée par le Centre Walras-Pareto de philosophie et d’histoire de la pensée économique et politique de l’université de Lausanne.

2 Cette journée proposa un cadre académique aux discussions récentes (et parfois virulentes) entourant la proposition d’annulation des dettes publiques détenues par la Banque centrale européenne (BCE). Ce débat a lieu depuis 2020, principalement entre économistes français, au sein de multiples arènes médiatiques (audiovisuel, presse écrite, presse en ligne, réseaux sociaux, blogs) [1]. Le temps médiatique et le temps politique correspondant rarement au temps de la recherche, il n’avait pas, à notre connaissance, encore connu de moment proprement universitaire lui étant dédié. Les quatre textes qui suivent tentent de combler ce manque. Il s’agit à cette occasion de fixer les arguments en présence, aujourd’hui, de manière à voir comment les termes du débat viendront à évoluer et les positions respectives de chacun se transformer immanquablement.

3 Ce débat est important car il touche à l’un des éléments centraux des architectures financières et monétaires, à la fois des nations européennes et de ce que l’on a coutume de nommer l’ordre financier globalisé. Les dettes publiques s’apprécient, s’échangent et se valorisent au sein des marchés obligataires, élément-clé des systèmes d’épargne privée et institutionnelle. La dette publique est un objet déjà ancien, apparue en Italie durant la Renaissance puis structurée dans sa forme moderne à l’issue de la Glorieuse Révolution de 1688. À partir de ce moment, un lien fort se tisse entre système représentatif, monnaie de papier, banque nationale et dettes publiques. La dette n’est pas seulement un objet de l’ordre financier, il s’agit également de l’une des pierres angulaires des ordres sociaux, institutionnels et politiques.

4 La proposition actuelle d’annulation, de transfert ou de restructuration des dettes des États membres détenues par la BCE et ses débats afférents ne sauraient être traités de façon satisfaisante en quelques pages ou en quelques articles de presse. Ces interventions, bien que précieuses, sont nécessairement synthétiques, voire simplifiées ou construites en vue d’emporter l’adhésion du public. Nous pensons que tout n’a pas été dit, qu’il convient de revenir avec attention sur ces échanges, ces idées, et de travailler à la fois la question de la possibilité, de l’opportunité et du sens à donner à une telle proposition d’annulation.

5 Baptiste Bridonneau entend considérer l’effet performatif du concept de « dette publique ». Il montre en quoi le fait d’assimiler cette réalité macroéconomique à une « dette » induit un certain nombre d’effets non-neutres. Il disqualifie ce terme, et souhaite ainsi ouvrir la discussion à propos des opportunités de transformation de l’ordre financier européen.

6 La question de l’annulation des contrats, et plus spécifiquement des contrats de dettes publiques, s’ancre dans des époques et dans des contextes différents. Cette histoire est abordée par Gaëtan Le Quang qui tire de sa lecture de Hegel des arguments en faveur de l’annulation. Hegel refusait de concevoir l’ordre social comme uniquement issu de la relation contractuelle. Selon le philosophe, comme l’État est nécessaire à l’existence de cette relation, il serait, par définition, en capacité de se délier de son engagement.

7 Jessy Bailly explore une époque plus récente. Il présente les résultats de son enquête, par entretiens et archives, sur la carrière de l’idée d’annulation des dettes publiques, depuis les milieux tiers-mondistes des années 1980 jusqu’aux débats contemporains. Il montre comment cette idée a progressivement été formalisée, diffusée et promue par des réseaux militants, auprès de différents responsables politiques nationaux (notamment belges et équatoriens qu’il prend pour cas d’études), dans un contexte bien différent de celui de 2020.

8 Pierre de Saint-Phalle réinscrit quant à lui le débat de 2020 au sein de discussions plus anciennes sur l’effet de la dette sur le système représentatif. Un débat existe à ce propos depuis plusieurs décennies, échos de certains textes du XVIIIe siècle écossais. Il montre comment des chercheurs aux doctrines économiques opposées, décrivent un nouvel antagonisme entre démocratie et dettes publiques.

9 Économie, philosophie, science politique et histoire sont ainsi mobilisées pour approcher la dette, les discours qui s’y rapportent, et les différents enjeux politiques, sociaux et institutionnels qui s’y rattachent.

Notes

  • [1]
    Pour une chronologie détaillée de la discussion de 2020, se reporter à la dernière contribution de ce dossier (p. 231 et suiv.).
Pierre de Saint-Phalle
University of Lausanne, Centre Walras-Pareto
pierredesaintphalle@gmail.com
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Mis en ligne sur Cairn.info le 09/05/2022
https://doi.org/10.4000/ress.8604
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