CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Il suffit de parcourir les principales revues de sociologie pour constater que parmi les mots-clés celui de « classe sociale » est aujourd’hui nettement moins utilisé que celui d’inégalités. Dans la revue généraliste Sociologie, le mot « inégalité » – au singulier ou au pluriel – apparaît 16 fois entre 2010, année de sa création, et 2018, alors que le mot « classe sociale » ici aussi au singulier ou au pluriel – n’apparaît que 6 fois. Il est vrai que si l’on ajoute les mots « classes populaires » utilisés 5 fois pour désigner dans les articles un groupe social déterminé, on arrive à un total de 11 – total qui reste encore inférieur au nombre d’occurrences du terme « inégalité ». Par ailleurs, le mot « inégalité » est souvent associé à d’autres mots qui en sont proches, au moins dans la démarche analytique, comme celui de « genre » ou de « discrimination », retenus 6 fois chacun.

2Dans un manuel récent, Olivier Galland et Yannick Lemel font un constat similaire à partir des nouveaux ouvrages de la bibliothèque de l’Institut d’études politiques de Paris, en examinant la fréquence de ceux qui comprennent dans leur intitulé le mot « inégalité » (en français, anglais, au singulier et au pluriel) : « Jusqu’aux années 1995, une ou deux publications nouvelles, trois maximum, traitant explicitement d’inégalités apparaissent chaque année dans le catalogue. À partir des années 1995, ce nombre se met à croître brutalement de manière assez régulière d’une année à l’autre en sorte qu’actuellement une bonne vingtaine de références s’ajoutent chaque année au fonds » (Galland et Lemel, 2018, p. 7).

3Cet engouement pour la sociologie des inégalités traduit-il un moindre intérêt des sociologues pour les classes sociales ? Certes, les deux mots recouvrent au moins partiellement une même réalité. Par classe sociale, nous entendons en effet des catégories d’individus (ou de ménages) inégales du point de vue de leur position sociale et qui sont définies selon la nature des rapports qu’elles entretiennent entre elles (d’exploitation, de domination, de distinction, d’interdépendance, selon les problématiques les plus courantes). Par inégalité, les sociologues entendent généralement une différence entre des personnes ou des groupes dans l’accès à des biens matériels ou symboliques, mais aussi à des droits essentiels dont la privation est jugée le plus souvent comme injuste et devant idéalement faire l’objet d’actions correctrices (ibid.). Autrement dit, la sociologie des classes sociales appelle une analyse des inégalités entre des groupes sociaux qu’elle s’efforce de définir de façon précise, en recherchant ce qui les distingue, voire ce qui les oppose, alors que la sociologie des inégalités ne postule pas obligatoirement l’existence de frontières de classe et que le caractère inévitablement pluriel des inégalités appelle une interrogation plus large sur les différentes formes d’injustice qu’elles produisent.

4Il faut rappeler que la sociologie des inégalités s’est développée non pas contre la sociologie des classes sociales mais dans un contexte où la première a pu bénéficier, au moins indirectement, des critiques substantielles subies par la seconde dans les années 1990, alors que certains chercheurs diagnostiquaient le dépérissement, voire la disparition, des classes sociales (Clark et Lipset, 1991 ; Pakulski et Waters, 1996). Notre objectif n’est pas de discuter cette thèse en tant que telle, mais plutôt d’essayer de comprendre les causes de cette transformation et de montrer comment l’analyse sociologique en termes de classes peut se maintenir aujourd’hui en passant par l’étude des inégalités, au moyen de l’intégration de dimensions qui n’étaient pas prises en compte jusque-là. Pour répondre à ces questions, cet article propose de 1) revenir sur les recherches menées dans les années 1960 et 1970 dans un contexte de croissance forte des économies occidentales, 2) enquêter sur les causes d’une réorientation des recherches sur la question sociale à partir des années 1980 et 1990 et 3) tenter de discerner les stratégies des sociologues à partir des années 2000 et 2010 pour repenser les classes sociales.

1. L’hégémonie des recherches sur les classes sociales dans les années 1960 et 1970

5Dans les années 1960 et 1970, les recherches portaient plus sur les classes sociales que sur les inégalités proprement dites. Il est impossible de prendre en compte tous les travaux qui ont été consacrés à la question des classes sociales au cours de cette période tant ils sont nombreux, et cela l’est d’autant plus que l’on adopte une perspective élargie à l’ensemble de l’Europe. Nous nous bornerons à rappeler quelques‑unes des recherches importantes qui ont structuré la réflexion sociologique notamment en France et en Grande-Bretagne.

6Au début des années 1960, l’enseignement de la sociologie se développe au sein de l’Université française et plusieurs grandes revues de sociologie voient le jour. La question des classes sociales est au cœur des débats que suscite l’institutionnalisation de cette discipline. Deux professeurs de la Sorbonne y contribuent, chacun à sa manière. D’un côté, Georges Gurvitch consacre de nombreuses réflexions au concept de classe en puisant dans les travaux de Marx, mais aussi de Maurice Halbwachs (Gurvitch, 1963). De l’autre, Raymond Aron, fondateur des Archives européennes de sociologie en 1960, écrit dans le premier numéro un article intitulé « Science et conscience de la société » dans lequel il étudie les rapports entre société et sociologie en partant notamment des recherches sur les classes sociales, ce qui revient à faire de cette question à la fois épistémologique, théorique et empirique l’un des objets centraux de la discipline (Aron, 1960). À la même époque, dans ses leçons sur les sociétés industrielles, il consacre le second volume de sa trilogie à la lutte des classes (Aron, 1964). Toutes les questions posées dans ce volume reflètent les débats entre les sociologues de l’époque.

7Les années 1960 voient arriver une nouvelle génération de sociologues qui vont consacrer leurs travaux aux classes sociales. Si Raymond Boudon développe son propre cadre théorique et n’étudie pas directement la question des classes sociales, si ce n’est dans son ouvrage sur l’inégalité des chances devant l’enseignement (Boudon, 1973), Pierre Bourdieu va occuper une position prépondérante dans ce domaine en préconisant l’analyse des goûts, des rapports et des luttes de classes. Bourdieu et son équipe élaborent les concepts de base de l’étude des classes et de leur reproduction – habitus, champ, violence symbolique – et investissent les domaines de l’éducation (Bourdieu et Passeron, 1965 ; 1970) et de la culture (Bourdieu et Darbel, 1966 ; Bourdieu, 1979). Mais si Bourdieu est l’auteur dont les travaux sont les plus lus, d’autres connaissent aussi une renommée internationale en croisant l’étude des classes sociales avec d’autres objets sociologiques. Alain Touraine mène ses enquêtes auprès des ouvriers et commence à élaborer une théorie des mouvements sociaux (Touraine, 1955 ; 1966), Michel Crozier se penche sur les employés (Crozier, 1965) et devient le maître à penser de la sociologie des organisations. Henri Mendras, de son côté, se réserve la sociologie des paysans et des sociétés paysannes (Mendras, 1970 [1967]) et commence à développer une sociologie du changement social. De leur côté, Christian Baudelot et Roger Establet, dans une perspective marxiste, étudient tout à la fois le système scolaire (Baudelot et Establet, 1971) la petite bourgeoisie (Baudelot, Establet et Malemort, 1974) et les classes sociales sous l’angle de la production et de la consommation (Baudelot, Establet et Toiser, 1979). Autant dire que la plupart des domaines de recherche en sociologie se construisent en référence sinon à une théorie, du moins au concept de classe sociale. Les étudiants de sociologie de cette époque ne peuvent commencer l’apprentissage de cette discipline sans se plonger immédiatement dans les débats sur les classes sociales et d’aucuns pourraient même dire que la sociologie a pour objet premier l’étude des classes et de la stratification sociale. Soulignons aussi la réflexion intense menée au sein l’Institut national des études économiques (INSEE) autour de la nomenclature des catégories socioprofessionnelles, renouvelée au début des années 1980, qui offrira aux sociologues de l’époque l’outil indispensable pour étudier les classes sociales (Desrosières et Thévenot, 1988). Par ailleurs, au-delà du monde académique, des organismes publics, comme le Centre d’étude des revenus et des coûts (dépendant du Premier Ministre), réalise dès le début des années 1960 des études régulières sur la croissance et le partage des revenus entre les catégories socioprofessionnelles pour construire le dialogue social.

8En Grande-Bretagne, les premiers travaux d’Anthony Giddens portent sur les classes sociales (Giddens, 1975) et connaissent un écho important au niveau international en prélude à sa théorie de la structuration. Ils s’inscrivent toutefois dans une perspective théorique et restent assez déconnectés de la réalisation de grandes enquêtes. La recherche empirique et théorique sur les classes sociales est marquée par John Goldthorpe à l’université d’Oxford. Dès le début des années 1960, il s’affirme comme un spécialiste de la stratification sociale (Goldthorpe, 1960). Comme en France, la classe ouvrière fait l’objet d’un grand intérêt (Lockwood, 1966) et une gande enquête voit le jour auprès des travailleurs manuels de Luton, au sud-ouest du Bedfordshire, qui était alors un centre industriel en pleine expansion (Goldthorpe, Lockwood, Bechhofer et Platt, 1968a ; 1968b ; 1969). Cette enquête qui sera publiée en France sous le titre L’Ouvrier de l’abondance, connaîtra un grand succès car elle aborde la question débattue à l’époque de l’embourgeoisement de la classe ouvrière. La question posée vise à déterminer dans quelle mesure, dans une période de prospérité économique, la classe ouvrière adopte un style de vie qui la rapproche de la classe moyenne à partir du moment où son revenu et son mode de vie atteignent un niveau relativement élevé. Dans ce contexte, la question principale n’est pas celle des inégalités, mais bien celle des différenciations entre les classes sociales et de l’évolution de ces dernières en fonction des possibilités de mobilité structurelle offertes par le développement économique et social. Une dizaine d’années plus tard, la classe ouvrière est encore au cœur des débats sociologiques. Duncan Gallie se lance dans une recherche comparative entre la Grande-Bretagne et la France sous l’angle de l’organisation du travail, mais aussi du radicalisme de classe (Gallie, 1978 ; 1983). De son côté, Goldthorpe va prendre appui sur les acquis de sa connaissance des évolutions du monde ouvrier pour lancer un vaste programme de recherche sur la mobilité sociale (Goldthorpe, 1980 ; Erikson et Goldthorpe, 1992), lequel impliquera de construire une classification des catégories socioprofessionnelles au niveau international, point sur lequel nous reviendrons. Sous l’influence de Goldthorpe, la constitution progressive d’un réseau de chercheurs européens sur les classes et la stratification sociale se traduira, entre autres, par la création en 1985 de la European Sociological Review.

9Si certains s’interrogent sur la transformation progressive de la structure sociale et la possible atténuation des clivages sociaux, l’existence d’une société de classes n’est pas remise en question. D’après Aron, « les lois tendancielles affaiblissent de multiples manières la réalité des classes, mais, aussi longtemps que subsistera la stratification sociale (et celle-ci est inséparable de la société industrielle), l’interprétation en terme de classes restera possible » (Aron, 1969, p. 32). Et le sociologue allemand, Ralf Dahrendorf, aboutit à la même conclusion : « Partout où l’autorité est répartie de façon inégale parmi les diverses positions sociales, les classes sociales et le conflit de classe sont présents » (Dahrendorf, 1972 [1957], p. 249).

2. Le renouveau de la question sociale dans les années 1980 et 1990

10La sociologie des classes sociales ne va évidemment pas s’effondrer dans les deux décennies suivantes. Les classes occupent toujours une place importante dans les débats des sociologues, notamment autour de la mobilité sociale et des modèles toujours plus raffinés pour interpréter les données et permettre des comparaisons internationales (Goldthorpe, 1980 ; 1995 ; Thélot, 1982 ; Ganzeboom et al., 1989 ; Kurt et Muller, 1987 ; Erikson et Goldthorpe, 1992 ; Vallet, 1999). L’observation sociologique du changement conduit aussi à analyser la transformation de la structure sociale. Mendras, par exemple, insistera sur l’émiettement des classes et la constitution d’une vaste constellation centrale suite à la quasi-disparition de la paysannerie et de la bourgeoisie traditionnelle et à l’émergence de la catégorie des cadres qui organise désormais une classe moyenne généralisée (Mendras, 1988). Les cadres font d’ailleurs l’objet d’une attention particulière (Boltanski, 1982).

11Mais dans les années 1980 et 1990, une réorientation des recherches s’opère en faveur d’une approche élargie des inégalités. Les métamorphoses de la société salariale et de la question sociale (Aglietta et Bender, 1984 ; Castel, 1995), dont la précarité professionnelle et le chômage de masse sont les signes les plus visibles, vont préoccuper de nombreux sociologues. Ils y voient la remise en question des modes de régulation sociale qui caractérisaient les Trente Glorieuses. Symptôme de cette crise, la pauvreté fait l’objet de nouvelles recherches. Alors qu’elle était traditionnellement ancrée dans l’étude des conditions de vie (Hoggart, 1970 [1957] ; Townsend, 1970 ; 1979), elle a été de plus en plus appréhendée sous un angle différent afin d’étudier les effets de la dégradation de la condition salariale, de l’augmentation des populations dépendantes des aides sociales et pour interroger la question de l’intégration sociale. La pauvreté a ainsi été analysée sous l’angle des relations d’interdépendance entre la catégorie désignée comme pauvre et le reste de la société. Les concepts de disqualification sociale (Paugam, 1991) et de désaffiliation (Castel, 1991) traduisent entre autres cet effort collectif pour repenser la question sociale. Une attention plus grande est accordée à l’étude des processus qui conduisent à la rupture des liens sociaux. Or, ces processus ne concernent pas seulement une classe sociale, mais de nombreuses couches diversifiées de la population, et pour ainsi dire la société tout entière. Au début des années 1990, il n’est pas rare en effet d’entendre parler de « crise du lien social » et de la nécessité de « retisser » ou de « renouer » le lien social. Le concept d’exclusion connaît alors un développement inédit et nourrit de nombreuses réflexions (Paugam, 1996). On retrouve au cours de la dernière décennie du xxe siècle des problèmes assez similaires à ceux qui avaient caractérisé la fin du siècle précédent : les risques inhérents aux crises du développement industriel, le déplacement des populations susceptibles de perdre leurs attaches locales et familiales, la recherche de solutions pour favoriser la cohésion sociale et nationale. Durkheim était sensible au risque de désintégration et de dérégulation de la société de son époque. Ce n’est pas un hasard si, un siècle plus tard, de nombreux sociologues, mais aussi des philosophes et des politistes relisent avec attention ses travaux, aussi bien en France qu’à l’étranger comme en témoignent de nombreuses rééditions et publications autour de son œuvre.

12Sensibles aux effets de la crise, les sociologues des années 1980 et 1990 s’intéressent au chômage (Schnapper, 1981 ; Jahoda, 1982 ; Demazière, 1992 ; Gallie, Marsh et Vogler, 1994 ; Gallie et Paugam, 2000), aux statuts de l’emploi (Maruani, 1989 ; Schnapper, 1989), à la segmentation du marché du travail et à l’institutionnalisation de la précarité professionnelle. La sociologie du travail est devenue au cours de cette période une sociologie de l’emploi (Maruani et Reynaud, 1993). Il semblait essentiel de mettre l’accent sur l’instabilité croissante des situations professionnelles et sur le chômage et d’examiner dans quelle mesure ces situations de précarité pouvaient correspondre à des trajectoires sur le marché du travail (Nicole-Drancourt, 1992) ou être associées à d’autres facteurs qui, en se combinant, risquaient de les faire évoluer vers des situations d’extrême misère et de cumul des inégalités. Ces recherches ont attesté que les différentes situations par rapport à l’emploi sont désormais hiérarchisées non pas seulement en fonction des niveaux de responsabilité et de pouvoir sur le lieu de travail, mais aussi, de plus en plus, en fonction du degré de stabilité de l’emploi et de l’ampleur des avantages économiques et sociaux que procure l’activité professionnelle. Dans cet esprit, la précarité est vue sous l’angle de l’insécurité économique et sociale. L’évolution du marché de l’emploi a consacré l’affaiblissement du rôle intégrateur du salariat stable. De plus en plus de travailleurs sont devenus précaires ou instables sur le plan professionnel et certains n’ont jamais réussi à accéder au statut de l’emploi à durée indéterminée présentant des garanties de carrière et de protection sociale. Dans leur grande enquête sur les ouvriers des usines Peugeot, Stéphane Beaud et Michel Pialoux insistent également sur la différence statutaire entre les permanents et les temporaires (Pialoux et Beaud, 1993), mais aussi sur les conflits intergénérationnels liés au refus des filles et des fils d’ouvriers de suivre la voie professionnelle de leurs parents, laissant augurer la progressive déliquescence du monde ouvrier (Beaud et Pialoux, 1999).

13La notion de précarité professionnelle dont on fait un usage abondant au cours de cette période n’a en réalité pas le même sens d’un pays à l’autre. Alors que les chercheurs français étaient sensibles dans les années 1980 et 1990 à l’instabilité de l’emploi, les chercheurs britanniques accordaient plus d’importance à la faiblesse du salaire et aux mauvaises conditions de travail. Si le thème de l’exploitation dans le monde du travail restait présent dans la tradition de la sociologie du travail anglaise, la question de la précarité du statut de l’emploi n’était pas posée en tant que telle. Le mot precarity ou precariousness était d’ailleurs utilisé de façon limitée (Paugam, 1995) et avec quelques réserves. Cette disparité trouve à s’expliquer juridiquement en référence aux différents types d’emplois disponibles : au Royaume-Uni, tous les contrats de travail sont jugés équivalents et ne se distinguent donc pas selon leur degré de précarité (mis à part le casual work qui ne nécessite aucune contractualisation formelle). Le licenciement de salariés est en outre soumis à des contraintes légales moins sévères qu’en France. Dès lors, comme le note Gerry Rodgers (1990), si le licenciement de travailleurs permanents est facilité, il n’y a plus guère de raison de créer une catégorie de travailleurs temporaires. En revanche, il est d’usage de parler des poor jobs ou des bad jobs en référence aux conditions de travail (et de rémunération) dégradées et peu attractives.

14Depuis, cette différence d’approche s’est atténuée. Les chercheurs français, de plus en plus sensibles à la question de l’intensification du travail – qui va devenir un thème important dès la fin des années 1990 – vont exploiter les enquêtes régulières de l’INSEE « Conditions de travail » et souligner les nouvelles formes de contraintes physiques et morales provoquées par les nouveaux modèles de management et d’organisation du travail (Gollac et Volkoff, 1996 ; Linhart et Linhart, 1998). Des collaborations européennes vont également voir le jour pour étudier les transformations du rapport au travail à partir de la grande enquête de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Parent-Thirion et al., 2007 ; Valeyre et al., 2009). De leur côté, les chercheurs anglais, vont de plus en plus intégrer la notion d’insécurité de l’emploi (job insecurity) dans leurs enquêtes ou étudier en collaboration avec d’autres chercheurs européens les transformations dans ce domaine en exploitant les enquêtes européennes (Gallie et Paugam, 2002 ; Gallie 2007).

15À la fin des années 1990 et dans les années 2000, la précarité professionnelle va être analysée sous le double angle du rapport à l’emploi et du rapport au travail (Paugam, 2000). Les chercheurs européens ont admis, d’une part, que la condition du salarié est précaire lorsque son emploi est incertain et qu’il ne peut prévoir son avenir professionnel. C’est le cas des salariés dont le contrat de travail est de courte durée, mais aussi de ceux dont le risque d’être licenciés est permanent. Mais, d’autre part, les chercheurs européens ont progressivement admis que le salarié est également précaire lorsque son travail lui semble sans intérêt, mal rétribué, faiblement reconnu dans l’entreprise et source de souffrances et de stress. Il est devenu évident que ces deux dimensions doivent être étudiées simultanément. Elles renvoient aux transformations profondes du marché de l’emploi, mais aussi à des évolutions structurelles de l’organisation du travail. Ce type d’analyse a été facilité en Europe par le recours à de grandes enquêtes réalisées de façon homogène dans la plupart des pays européens et dans lesquelles il s’avérait possible de croiser les deux dimensions (Paugam, 2007 ; Paugam et Zhou, 2007 ; Valeyre, 2014). Le souci de prendre en compte l’évolution globale du rapport à l’emploi et du rapport du travail se retrouve aussi dans les analyses des juristes et dans les réflexions menées à l’échelon européen sur le droit du travail (Supiot, 1999).

16D’une façon générale, au cours de cette période de forte instabilité économique et sociale, c’est l’étude des dynamiques des trajectoires individuelles et collectives et, partant, l’évaluation du risque de connaître un cumul de difficultés qui guide la problématique des recherches (Gallie, Paugam et Jacobs, 2003). Dans cette perspective, le concept de classes ne s’efface pas, mais il n’est plus mobilisé avec la même intensité qu’au cours des décennies précédentes. Les inégalités de trajectoires conduisent à comparer de façon plus systématique les parcours des femmes à ceux des hommes sur le marché du travail, mais aussi, plus généralement dans tous les domaines de l’existence. La sociologie du genre connaît en effet au cours de cette période et jusqu’à aujourd’hui un réel essor.

17L’individualisation du rapport au travail associé aux nouvelles politiques de gestion des ressources humaines dans les grandes entreprises a également contribué à restreindre l’influence des syndicats et des collectifs de travail dont le rôle était déterminant dans les années 1960 et 1970 lorsque les revendications collectives reposaient sur l’idée d’un nécessaire partage des fruits de la croissance entre les catégories ou les classes aux intérêts divergents (Darras, 1966). La représentation du monde social a cessé d’être fondée principalement sur une classification des catégories socio-professionnelles. Elle est devenue plus complexe et plus difficile à analyser à l’aide d’un outil unique. Le processus d’individualisation qui conduit chacun à chercher à se valoriser, à se faire une place en tant qu’individu aussi bien sur le marché de travail qu’en dehors, à produire son existence sociale, a conduit certains chercheurs à suggérer de substituer à la lutte des classes le concept de « lutte des places » (De Gaulejac et al., 1994).

18Enfin, les quartiers de logement social qui accueillaient une population assez hétérogène composée principalement de cadres moyens, d’employés et d’ouvriers sont eux aussi fortement touchés par la crise de la société salariale. Les classes moyennes attirées par l’accession à la propriété vont progressivement quitter ces quartiers qui concentrent alors une population de plus en plus touchée par le chômage et la précarité, mais aussi composée d’une proportion croissante d’immigrés, créant ainsi dans les banlieues de nouvelles formes de disqualification sociale et spatiale et une plus grande hétérogénéité des quartiers. La scolarité des enfants de banlieue devient préoccupante, tant la ségrégation s’intensifie et affecte l’ensemble du système scolaire (van Zanten, 2001). Ce processus va conduire des sociologues à élaborer des typologies stimulantes et souvent efficaces pour analyser la ségrégation urbaine dans les grandes métropoles, notamment parisienne (Préteceille, 2003).

19L’ouvrage publié par Bourdieu et son équipe au début des années 1990, La Misère du monde, reflète aussi la spécificité du regard que les sociologues ont porté sur les inégalités au cours de cette période (Bourdieu, 1993). Diverses formes de souffrance sociale y sont analysées à partir d’entretiens approfondis collectés auprès d’individus appartenant à différentes couches sociales, mais ayant pour point commun de faire quotidiennement l’expérience douloureuse de l’infériorité de leur statut, ce que les auteurs qualifieront de misère de position en opposition à la misère de condition. Il s’agit d’une infériorité à l’origine de différentes formes de détresse psychologique, notamment la perte de confiance en soi et le sentiment d’inutilité. Les personnes disqualifiées et reléguées en marge du marché du travail ou encore celles qui vivent dans les quartiers les plus pauvres des banlieues, y sont étudiées, mais Bourdieu et son équipe entendent bien déplacer le regard en prenant en compte également de nombreuses situations de souffrance qui se répandent non pas seulement en dehors de la société salariale, mais bien en son sein en y incluant les jeunes qui se préparent à y entrer. Avec Patrick Champagne, il parle des « exclus de l’intérieur » pour qualifier l’amertume et le désespoir des jeunes maintenus dans le système scolaire tout en étant orientés vers les filières les plus dévalorisées. Mais cette expression pourrait être utilisée aussi pour qualifier d’autres exemples présentés dans l’ouvrage : agriculteurs en difficulté, ouvriers de la sidérurgie inquiets face à leur avenir dont certains deviennent de simples intérimaires, employés des postes, secrétaires, commerçants, travailleurs sociaux, responsables de services administratifs, gardiens d’HLM, enseignants, journalistes, etc., autant de cas pour faire remonter du bas l’ensemble des souffrances souvent tues et le plus souvent ignorées. Cet ouvrage est singulier par rapport aux précédentes publications de Bourdieu, notamment dans les années 1960 et 1970 : en rapprochant ainsi l’expérience de diverses catégories sociales, pourtant classées de façon distincte dans la nomenclature des CSP, il souligne que la fragilité économique et sociale n’est pas le propre d’une catégorie unique, mais qu’elle traverse une grande partie de la société française.

3. Classes sociales et inégalités au XXIe siècle

20À mesure que les sociologues parle davantage d’inégalités, il devient objectivement plus difficile d’évoquer les classes sociales (Chauvel, 2001  ; Dubet, 2001  ; 2004  ; Dubar, 2004). Cependant la sociologie des classes sociales est bien vivante. Allant à l’encontre de l’image de sociétés qui seraient tout à la fois post-croissance et postmodernes, inégales et individualisées (Pakulski et Waters, 1996) des sociologues ont continué à proposer des approches sociologiques des classes sociales dans les sociétés contemporaines. Sans pour autant discuter de «  l’éternel retour » des classes sociales (Lebaron, 2012), il s’agit d’explorer les voies qui ont été tracées pour rendre l’analyse en terme de classes sociales pertinente au XXIe siècle. Nous nous arrêterons sur quatre approches particulièrement fécondes visant respectivement à 1) repenser la place relative du travail et de la culture dans la définition des classes sociales  ; 2) articuler l’approche des inégalités et celle de l’intégration sociale pour dégager des homologies de positions sociales et de nouveaux rapports de classe  ; 3) proposer de nouvelles nomenclatures socioprofessionnelles pour les saisir empiriquement  ; et 4) penser l’imbrication des rapports sociaux. Nous nous appuyons pour ce faire sur des travaux français mais aussi britanniques car les débats y ont été particulièrement animés.

3.1. Repenser la place du travail et de la culture

21Les sociologues ont pris acte des transformations économiques et sociales évoquées dans la deuxième partie de cet article, en réfléchissant à la place respective du travail et de la culture dans la définition des classes sociales. Certains vont même jusqu’à faire de la précarité une condition sociale spécifique correspondant à une nouvelle classe sociale qu’ils nomment le « précariat » (Standing, 2011). Quand nous lisons des travaux sociologiques en anglais, il peut nous arriver d’oublier que ces travaux ne s’inscrivent pas dans un espace académique unifié. Ainsi si la question des classes sociales semble très marginale aux États-Unis [1], elle a, on l’a vu, une longue tradition en Grande-Bretagne.

22Dans les années 2000 en Grande-Bretagne, des ouvrages fleurissent sur les classes sociales et relancent le débat initié dans les années 1960 par Goldthorpe et ses collègues sur la culture et la conscience de classe, ainsi que sur le relatif embourgeoisement de la classe ouvrière. Goldthorpe lui-même a jugé souhaitable de préciser sa conception néo-wébérienne des classes sociales (Chan et Goldthorpe, 2007), définies par la relation d’emploi [2]. À l’opposé, les sociologues réunis autour de Mike Savage à Manchester au CRESC (Centre for Research on Socio-Cultural Change) ont mené plusieurs enquêtes, quantitatives et qualitatives, soulignant l’importance des cultures de classe. Il s’agissait pour eux à la fois de contester la prééminence de la relation d’emploi affirmée par Goldthorpe, et de réconcilier le cultural turn et l’étude des classes sociales, en particulier à la lumière des travaux de Bourdieu (Savage, 2000 ; Devine et al., 2005 ; Bennett et al., 2008 ; Devine, 2009). Avec leur dernière enquête en date, The Great British Class Survey (Savage et al., 2013 ; Savage, 2015) Savage et ses co-auteurs vont ainsi à rebours de la représentation traditionnelle de la société britannique (focalisée sur la frontière entre working class et middle class[3]) : ils caractérisent sept classes sociales dont un precariat et une élite économique (correspondant aux 6 % les plus riches). Dans le même temps à Bristol, Will Atkinson s’inscrit dans une perspective purement bourdieusienne (Atkinson, 2015). Ainsi son dernier livre s’intitule Class in the New Millennium : the Structure, Homologies and Experience of the British Social Space (2017) ; il y réalise des analyses factorielles dans lesquelles il retrouve le volume de capital et le poids relatif des capitaux culturel et économique, mis en évidence dans La Distinction (Bourdieu, 1979).

23Ce paysage britannique est en outre traversé de débats pour le moins animés. Les trois « écoles », de Goldthorpe (à Nuffield), Savage (à Manchester puis London School of Economics) et Atkinson (à Bristol) se répondent sans cesse (voir par exemple Savage, 2005). Ainsi après l’article de synthèse sur la Great British Class Survey (Savage et al., 2013), la revue Sociology publie deux réponses très critiques, écrites par un co-auteur de Goldthorpe (Mills, 2014), et une co-auteure d’Atkinson (Bradley, 2014). Atkinson, dans son ouvrage de 2017, utilise les données de l’enquête précédente de l’équipe de Savage (Bennett et al., 2008), estimant ses analyses statistiques supérieures.

24Atkinson lui-même n’échappe pas aux critiques : son article dans The Sociological Review (Atkinson et Deeming, 2015) a aussi suscité une réponse. Des sociologues norvégiens ont pris le temps de décortiquer ses analyses pour expliquer que ses résultats montrent l’inverse de ce qu’il affirme (Flemmen et Hjellbrekke, 2016). En Grande-Bretagne, le sujet des classes sociales reste si important que les chercheurs se lancent dans des débats musclés et se livrent une concurrence acharnée. Le poids relatif du travail et de la culture dans les appartenances de classe contemporaines est au cœur de leurs controverses.

25En France, les débats sont peut-être moins vifs mais l’analyse en termes de classes sociales a aussi donné lieu à des travaux stimulants, le réseau transversal « Classe, Inégalités, Fragmentations » de l’Association française de sociologie [4] jouant un rôle important dans l’animation scientifique. À cet égard, l’habilitation à diriger des recherches d’Olivier Schwartz (1998 ; 2011) a marqué selon nous un moment important, et représente une source d’inspiration pour des travaux plus souvent qualitatifs qu’en Grande-Bretagne. Schwartz propose de définir les classes populaires à la fois par leur position subordonnée au travail et dans l’accès aux ressources, et par leur séparation culturelle. Cette posture fait un pas de côté par rapport à la thèse de la domination bourdieusienne, prenant acte de la critique émise dans Le Savant et le populaire (Grignon et Passeron, 1989) et des transformations de l’accès à l’éducation et à la culture en général, tout en accordant au travail une place plus importante que chez Bourdieu. Les dernières années ont ainsi vu paraître, entre autres, La France des petits-moyens (Cartier et al., 2008) qui explore la frontière entre classes populaires et classes moyennes et La Sociologie des classes populaires contemporaines (Siblot et al., 2015, voir aussi Lechien et Siblot, 2019) qui synthétise une abondante littérature. Ces travaux portent peut-être plus sur les classes populaires que sur les classes sociales en général. Peu de chercheurs français ont tenté de proposer un portrait des classes sociales françaises aussi englobant que celui dressé dans La Distinction.

3.2. Une intégration inégale

26Une équipe française de chercheurs réunie autour de l’un des auteurs du présent article a tenté au début des années 2010 d’articuler les deux approches des classes sociales et de l’intégration (Paugam, 2014 ; 2016). Étudier ce qui rassemble et intègre place d’emblée le chercheur dans l’analyse des modes de socialisation, lesquels sont censés transmettre un ordre moral et offrir aux individus un cadre normatif pour leur intégration. Étudier ce qui divise les individus et les oppose les uns aux autres conduit, au contraire, le chercheur à postuler que les normes sociales ne sont pas homogènes, qu’elles relèvent au moins partiellement d’inégalités de statut et de position sociale et qu’elles sont susceptibles de se traduire par des formes de domination et de conflits.

27L’approche retenue a consisté à définir la notion d’intégration à partir des liens qui attachent les personnes entre elles et à la société : le lien de filiation (entre parents et enfants), le lien de participation élective (entre proches choisis), le lien de participation organique (entre agents du monde professionnel) et le lien de citoyenneté (entre membres d’une même communauté politique). Or, ces liens qui renvoient à des morales différentes (domestique, associative, professionnelle et civique) correspondent à un processus très inégal. Dans la société salariale des Trente Glorieuses, les classes sociales étaient en lutte pour le partage des bénéfices de la croissance, mais elles étaient globalement intégrées au système social. Les conclusions de cette recherche sont qu’aujourd’hui non seulement les capitaux économiques et culturels sont répartis de façon inéquitable, et les inégalités de revenus entre les plus riches et le reste de la population se sont fortement accrues (Piketty, 2013 ; Duvoux, 2017), mais les liens sociaux eux-mêmes sont également de force diverse selon les groupes sociaux. La probabilité que ces liens se rompent selon un processus cumulatif reste très inégale selon les CSP. Les enquêtes ont permis de vérifier que la rupture des liens est la plus probable chez les ouvriers et que cette probabilité diminue au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie sociale. Les travaux réunis dans cet ouvrage collectif permettent ainsi de postuler l’existence de différents paliers d’intégration.

28En deçà de l’intégration assurée caractérisée par le cumul des avantages et la force des liens qui attachent les individus au système social dominant et favorise la reproduction sociale de la richesse, se situe l’intégration fragilisée qui condamne celles et ceux qui en font l’expérience, non à la marginalité absolue, mais au risque permanent de la perte des protections élémentaires et au déni de reconnaissance. Ce palier ne signifie pas la rupture des liens, mais cette perspective peut faire plonger dans une angoisse existentielle. Au palier encore en dessous, l’intégration compensée, se trouvent celles et ceux pour qui l’un ou l’autre des liens sociaux est bien rompu et qui sont contraints de trouver des compensations grâce à des ressources locales comme l’économie informelle par exemple. Au palier le plus bas, l’intégration marginalisée, se trouvent les personnes aux ruptures multiples dont la vie se résume à la survie au jour le jour dans la grande précarité.

29Ces différents paliers ne correspondent pas à des classes sociales telles qu’on les définit habituellement, mais à des homologies de positions sociales qui peuvent s’y apparenter, à condition de les considérer comme des forces inégales et opposées et qui peuvent se mobiliser à l’occasion de conflits ou de mouvements sociaux. Le mouvement des Gilets Jaunes qui a pris en France un développement inédit à partir de la fin l’année 2018 et pendant plusieurs mois peut, par exemple, être interprété à l’aune de ce processus inégal d’intégration : les manifestants qui ne se connaissaient pas et qui appartenaient à des groupes professionnels diversifiés se sont reconnus mutuellement comme partageant une même expérience vécue, celle d’être constamment dévalorisés et parfois même oubliés (AOC, 2019). Ces Gilets Jaunes sont pris en tension entre cette intégration assurée à laquelle ils aspirent et cette intégration marginalisée qui les guette, autrement dit entre les classes supérieures ou moyennes supérieures et les très pauvres. On pourrait dire qu’il s’agit d’un rapport de classes que l’on peut désormais appréhender à partir des différents paliers de l’intégration.

30Cette intégration inégale est renforcée par une nouvelle géographie des rapports sociaux que ce mouvement des Gilets Jaunes a fait également ressortir de façon saisissante. D’un côté, si les quartiers urbains mélangés se maintiennent de façon importante, la ségrégation urbaine se renforce par la concentration des classes supérieures, notamment des cadres d’entreprise, dans certains territoires devenant ainsi de plus en plus exclusifs (Préteceille, 2006). Ce processus d’auto-ségrégation des plus riches dans les beaux quartiers fragilise la cohésion sociale, d’autant que, par ailleurs, d’autres territoires s’appauvrissent, non seulement les quartiers disqualifiés de banlieue, mais aussi des espaces ruraux éloignés des centres urbains et cumulant de nombreuses inégalités (Bruneau et al., 2018). Les classes moyennes et populaires qui y résident ont accepté cet éloignement géographique dans l’espoir d’un meilleur niveau de vie (pavillon en accession à la propriété) et d’une intégration sociale assurée, mais se trouvent aujourd’hui contraintes à des déplacements coûteux et confrontées à la fois à une dégradation des services publics et une rémunération insuffisante de leur travail qui les enferment dans une condition de grande fragilité économique et sociale.

3.3. De nouvelles nomenclatures

31Un autre exemple de la persistance de l’étude des classes sociales réside dans les efforts consacrés à la redéfinition des nomenclatures socioprofessionnelles, comme les professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) en France. Dans les années 2000, en France, les PCS semblent être en crise. À l’échelle européenne, Eurostat ainsi qu’un certain nombre de pays utilisaient la classification internationale type des professions (CITP) [5], difficilement compatible avec une approche en termes de classes sociales (Plessz, 2010). Eurostat a ensuite commandité deux nomenclatures européennes socio-professionnelles.

32Dans un premier temps, Eurostat confie aux Britanniques David Rose et Eric Harrison la construction d’une nomenclature reposant sur la notion de « relation d’emploi » théorisée par Goldthorpe (notion qui sous-tend déjà les nomenclatures EGP et NS-SEC [6]) (Rose et Harrison, 2014). Toutefois, après des tests dans divers pays européens, la nomenclature ESEC (European socioeconomic class) n’est pas validée : la « relation d’emploi » telle que la conçoivent les Britanniques n’est pas transposable à l’ensemble des sociétés européennes, en particulier dans le Sud et l’Est de l’Europe (Lindner, 2006 ; Brousse, 2007 ; Maloutas, 2007). Eurostat lance alors un nouvel appel à projet qui est remporté par l’INSEE.

33Pour construire la nomenclature ESeG (European socioeconomic group, en français Groupe socioéconomique européen), l’INSEE a respecté les demandes d’Eurostat (entre autres, une nomenclature codable à partir des variables recueillies systématiquement par Eurostat) et a tiré les leçons de l’échec d’ESEC en dialoguant beaucoup plus avec les autres pays européens. ESeG reprend le principe qui est au fondement des PCS : « la profession et les caractéristiques de l’emploi sont […] considérées comme explicatives de comportements dans différents domaines économiques et sociaux » (Meron et al., 2016, p. 21).

34Cette nomenclature récente est encore peu connue, mais elle pourrait modifier complètement la façon dont les sociologues questionnent les classes sociales en Europe. L’ouvrage Les Classes sociales en Europe (Hugrée et al., 2017) en donne un aperçu : une sociologie européenne des classes sociales devient possible. L’ouvrage aborde ainsi la question des relations sociales et économiques entre classes supérieures et classes populaires de pays différents (voir aussi Wagner, 2007). Il montre qu’au niveau européen les « classes moyennes » sont probablement plus une fiction politique pacificatrice qu’une réalité sociologique. C’est sans doute le premier ouvrage qui mobilise à l’échelle européenne, et autour de questions proprement sociologiques, les données des grandes enquêtes harmonisées par Eurostat : auparavant, un tel projet n’avait tout simplement pas de sens sociologique. En effet grâce aux données des European Union Labour Force Surveys (EU-LFS) et à la nomenclature ESeG, il est désormais possible d’analyser l’évolution de la structure sociale dans la plupart des pays européens et sa polarisation en termes de secteurs d’activité et de conditions d’emploi (Peugny, 2018).

35Le travail sur les nomenclatures est vital pour la sociologie des classes sociales, en particulier pour les sociologues français habitués à s’appuyer sur les PCS (mais de toute évidence aussi pour les Britanniques). Une sociologie européenne des classes sociales devient possible, à la fois au niveau empirique, grâce aux données harmonisées, et au niveau théorique car la nomenclature a été construite en concertation. Ces nomenclatures sont toutefois aussi utilisées par les sociologues des inégalités (sociales, économiques, de santé) pour des raisons empiriques. Il reste enfin une limite : beaucoup d’Européens, et surtout d’Européennes, ne travaillent pas. Cela contraint toute analyse reposant sur la profession, soit à leur attribuer une classe (celle de leur conjoint ou de leur passé), soit à les exclure purement et simplement.

3.4. L’imbrication des rapports sociaux

36Enfin, on peut distinguer une dernière façon de repenser les classes sociales dans les années récentes, sous l’angle de l’imbrication des rapports sociaux. Les féministes matérialistes avaient d’abord avancé que le genre fonctionne comme la classe chez Marx. Cette posture revient toutefois à mettre en concurrence la classe et le genre. Au sein même des féministes, des critiques sont survenues : les femmes des classes supérieures sont-elles vraiment prises dans les mêmes rapports sociaux que les femmes de la classe ouvrière (ou noires aux États-Unis) ?

37Le concept d’intersectionnalité, proposé par Kimberle Crenshaw (1989) a connu un succès croissant dans les années 1990 et 2000. Au sens strict, l’intersection renvoie à la question de la représentation politique et sociale des catégories de personnes selon qu’elles sont dominantes ou dominées sous différents rapports sociaux (Jaunait et Chauvin, 2012) : il n’analyse donc pas la stratification sociale elle-même. Toutefois, plutôt que de se demander si la classe compte plus que la race, le genre ou la génération, l’intersectionnalité a conduit à admettre que nous sommes tous et toutes situés dans tous ces rapports, comme dominés ou comme dominants (ce qui nous permet parfois d’en oublier l’existence). Le terme d’imbrication des rapports sociaux est également utilisé dans une perspective assez proche. Il est relativement récent, mais cette question avait déjà été pointée dès les années 1970 (Kergoat, 1978 ; Galerand et Kergoat, 2014). Il connaît aujourd’hui un nouveau développement (Le Renard, 2013 ; Rennes et al., 2016) et s’impose pour analyser la façon dont ces rapports sociaux se combinent. Dans ces travaux, la classe sociale est vue comme une évidence et sa dimension relationnelle est centrale. Il ne s’agit pas de savoir si les classes existent, mais d’examiner comment le rapport de classe s’articule aux autres. Une telle perspective est sans doute à même de rendre compte des marges du marché du travail, espaces de dominations multiples par excellence. En revanche le nombre et les critères de définition sont souvent moins travaillés : ethnicité, migration, âge, génération, genre, sexualité, handicap retiennent l’attention des chercheurs au gré de leurs objets et de leurs intérêts.

Conclusion 

38La sociologie des classes sociales n’est plus la même que celle des années 1960 et 1970. Elle apparaît écrasée par la perspective qu’offre aujourd’hui la sociologie des inégalités, devenue aussi hégémonique que l’était celle des classes sociales 50 ans auparavant. Au cours des cinquante dernières années, la société s’est transformée, mais toutes les inégalités dont on parle aujourd’hui ne sont pas nouvelles, notamment les inégalités de genre ou de race. Les sociologues ont interprété ces changements, mais ont aussi modifié leurs méthodes et leur cadre analytique en étant plus sensibles à la pluralité des inégalités. Les analyses statistiques, par exemple, se sont raffinées et il est devenu facile d’introduire dans les modèles des variables plus nombreuses et plus fines et de mesurer pour chacune d’entre elles leur effet propre. Les sociologues ont recours également de façon plus systématique à des méthodes longitudinales ou multi-niveaux.

39Il convient toutefois de ne pas y voir un simple déplacement du regard des chercheurs. Comme nous l’avons montré dans cet article, la sociologie des classes sociales reste encore vivante tant elle se renouvelle en intégrant des éléments nouveaux qui enrichissent son cadre analytique initial et les débats, toujours vifs, entre les sociologues et plus généralement entre les chercheurs en sciences sociales. En réalité, l’exercice auquel nous nous sommes livrés dans ce texte nous confronte à un paradoxe. Il faut en effet reconnaître que la sociologie des classes sociales a été florissante dans une période de forte croissance économique, de plein emploi et de relative diminution des inégalités de revenus et qu’elle a perdu une partie de son hégémonie dans une période de crise profonde et de dérégulation de la société salariale au cours de laquelle les inégalités se sont accrues. Elle s’imposait dans une société salariale stable dans laquelle les conflits avaient pour fonction de mieux partager les bénéfices de la croissance et s’est affaiblie lorsque le chômage de masse et la précarité professionnelle ont fragilisé les revendications salariales et les syndicats. Si la période actuelle voit ressurgir des travaux sur les classes sociales, ces derniers ne sont pas le simple décalque de ce qu’ils étaient 50 ans auparavant. Au contraire, ils prennent en compte les acquis des recherches menées dans les deux dernières décennies du XXe siècle et tentent d’articuler des domaines de la sociologie qui étaient restés cloisonnés – le travail et la culture, les inégalités de classe et d’intégration, la classe, le genre et la question raciale – tout en se dotant d’instruments de mesure permettant des comparaisons à l’échelon européen. Ainsi, il est possible de conclure que si la sociologie des inégalités est devenue hégémonique, c’est aussi, en grande partie, parce que la sociologie des classes sociales s’est renouvelée.

Notes

  • [1]
    Quelques exceptions : David Grusky qui a proposé de parler de « micro-classes » (Weeden et Grusky, 2005 ; Grusky et Hill, 2018), Erik Olin Wright (1997) qui poursuit ses travaux d’inspiration marxiste et a été président de l’Association américaine de sociologie en 2012.
  • [2]
    Goldthorpe distingue les employeurs, employés, et sans emploi. Parmi ceux qui sont dans une relation d’emploi il distingue service relationship (pas de tâche ni de volume de travail défini, ce qui correspond surtout aux managers) et labour contract (l’employé doit effectuer des tâches précises qui sont évaluées très souvent).
  • [3]
    Dans la représentation britannique de la société, l’upper class ne correspond pas à nos « classes supérieures » mais plutôt à l’establishment, fait d’anciennes noblesses et de grandes fortunes, et dont les modes de vie sont si visiblement distincts des autres qu’ils sont peu discutés par les sociologues (Savage, 2015, p. 26).
  • [4]
    Voir la liste des journées d’études ici : <http://afs-socio.fr/rt/rt5> (consulté le 4 décembre 2018).
  • [5]
    En anglais ISCO, International standard classification of professions.
  • [6]
    EGP (pour Erickson, Golthorpe, Portocarrero) a été utilisée dans l’analyse de la mobilité sociale en Europe (Erikson et Goldthorpe, 1992 ; Breen, 2004) et dans de grandes enquêtes comparatives comme European social survey. NS-SEC a été adoptée par l’office de statistiques britanniques en 2001.
Français

Alors que la sociologie des classes sociales était hégémonique dans les années 1960 et 1970, elle semble aujourd’hui écrasée par la sociologie des inégalités. D’aucuns ont postulé dans les années 1990 la mort ou la progressive disparition des classes sociales. L’objectif de cet article n’est pas de discuter cette thèse en tant que telle, mais plutôt d’essayer de comprendre les causes de cette transformation intervenue au cours des cinquante dernières années et de rechercher en quoi l’analyse sociologique en termes de classes sociales peut se maintenir aujourd’hui en passant par l’étude des inégalités. Il s’agit alors d’articuler des domaines de la sociologie qui étaient restés assez cloisonnés – le travail et la culture, les inégalités de classe et d’intégration, la classe, le genre et la question raciale – et de se doter de nouveaux instruments de mesure permettant des comparaisons à l’échelon européen.

  • inégalités
  • intégration
  • travail
  • précarité
  • classes sociales
  • condition salariale
  • nomenclature
  • question sociale
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Serge Paugam
Paris, Centre Maurice Halbwachs (CNRS, EHESS, ENS)
serge.paugam"at"ehess.fr
serge.paugam@ehess.fr
Marie Plessz
Paris, Centre Maurice Halbwachs (CNRS, EHESS, ENS) – INRA
marie.plessz"at"inra.fr
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Mis en ligne sur Cairn.info le 07/01/2020
https://doi.org/10.4000/ress.5550
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