Travailler sur les grandes œuvres de la Grèce antique, tragédies ou épopées, c’est avant tout s’attacher à leur singularité. Il en va de même pour l’étude des langues. Celles-ci ne doivent pas servir au repli identitaire, ni se réduire à la communication ; elles doivent être – à commencer par la langue maternelle – connues, profondément. Et traduites. Ce travail de la langue, qui est aussi travail sur la langue, est la condition de l’ouverture au monde.
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Esprit – Vous avez beaucoup travaillé sur le rapport entre la tragédie et le tragique. La persévérance de la tragédie dans l’histoire s’est faite en effet au profit d’une métacatégorie, le tragique, non plus comme caractéristique d’un genre littéraire mais comme une catégorie capable d’éclairer le sens de l’existence humaine. C’est notamment l’usage qu’en ont fait les idéalistes allemands, et vous utilisez ces interprétations comme principes rétroactifs pour éclairer les tragédies elles-mêmes. Quelle est donc cette lecture à rebours, de Hegel à Eschyle, que vous pratiquez ?Pierre Judet de La Combe – Le passage par les philosophes de l’idéalisme allemand a été un détour, en vue d’un retour aux textes tragiques anciens. C’était la condition, d’une part, pour déceler ce qui, dans la science actuelle des textes, relève implicitement de positions idéalistes, et, de l’autre, pour dégager, par comparaison avec la signification que lui prêtaient ces philosophies, qui ont marqué les lectures contemporaines, ce que la tragédie, ou plutôt les poèmes tragiques particuliers, s’efforcent de dire en propre. J’ai été formé par Jean Bollack, qui insistait sur la singularité des œuvres. Il fallait, avec lui, se demander pourquoi Eschyle n’est pas Sophocle, trouver la différence spécifique d’une œuvre par rapport à une autre et détacher les œuvres de leurs banalisations scolaires ou scientifiques. Dans cette perspective, la philologie classique m’apparaissait comme un prolongement des engagements de Mai 68 : en cherchant l’absolument singulier qui défie tous les déterminismes, on visait une forme de liberté réalisée…
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Directeur d’études à l’EHESS et directeur de recherche au CNRS, membre du centre Georg-Simmel, philologue et historien de l’interprétation littéraire. Voir son entretien dans Esprit, « Grèce archaïque, Grèce classique : artifices d’une opposition », novembre 2013.
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 21/02/2014
- https://doi.org/10.3917/espri.1402.0075
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