Traduire l’Iliade est une aventure qui secoue. Elle fait tomber de nombreux préjugés. On découvre qu’une poésie orale archaïque, répétitive déploie une réflexion constructive et critique sur le langage en faisant de la répétition formulaire un moyen puissant de nouveauté. On découvre la constance d’un regard non dogmatique sur le réel divin et humain et surtout la puissance d’un langage libérateur qui va méthodiquement au cœur des traumatismes inhumains de la guerre pour en faire une expérience humaine communicable.
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Peut-être qu’on ne décide pas de traduire l’Iliade. Ce serait prétentieux : moi face à elle (ou l’inverse). Pas la peine de vouloir se faire héroïque comme les héros d’Homère, qui finissent en général très mal. Peut-être qu’on est simplement pris une fois qu’on s’est engagé, submergé par ce flot gigantesque. Mais peut-être aussi qu’on est vite rassuré, mis en confiance par ce qu’on lit. À regarder chaque détail de la lettre du texte (enfin, ceux qu’on arrive à repérer), on découvre qu’on est en fait pris en mains par le poème. L’immensité cesse de faire peur. Sans insister, mais avec persévérance, le poème nous incite (oblige ?) à prendre notre temps, à nous fier au soin infini qu’il met à passer d’un mot à l’autre, à nous laisser guider par cette précision. On découvre qu’en s’attardant, en s’empêchant d’aller trop vite pour arriver au bout, qui reste longtemps lointain (il y a près de 16 000 vers à traverser), on saisit quelque chose d’essentiel, une manière de faire, un métier qui travaille chaque détail, l’examine, s’en amuse souvent avec distance, et le place avec soin dans des marqueteries virtuoses qui font aller de surprise en surprise. Cette manière en dit déjà beaucoup sur ce que ce long poème essaie de faire. Le détail, d’abord à l’échelle d’un membre de phrase (il faut au moins deux mots, pour que ça bouge) ou du vers, puis d’un ensemble structuré de quelques vers, n’est pas une simple brique servant à construire un tout plus ou moins inatteignable. Il est moteur, producteur d’énergie, source d’un mouvement, d’une attente qui font tenir l’ensemble…
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 11/03/2022
- https://doi.org/10.3917/sensi.010.0058
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