CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La thématique de la mixité sociale a déjà fait l’objet d’une littérature abondante. Cet intérêt s’est renouvelé récemment par son intégration croissante, en tant qu’objectif, dans les politiques de l’habitat comme dans les best practices du développement durable. La mixité y est mobilisée comme antidote à la ségrégation urbaine, moyen de sauvegarder la cohésion urbaine et de construire une ville durable. En France, cette notion est entrée dans la loi où elle est à la fois liée au droit à la ville et à la lutte contre l’exclusion. Elle a également conduit à l’évolution des normes de production et d’attribution des logements sociaux. Mais c’est au niveau local que sont mises en œuvre les politiques dites de mixité sociale.

2Dès les années 1960 des chercheurs ont interrogé cette notion, ses attendus et surtout les effets sociaux des politiques qui s’y réfèrent (Jacobs, 1961 ; Gans, 1961 ; Pinçon, 1982). En France, ces analyses, souvent critiques, ont été influencées par les travaux précurseurs de Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire (1970) qui mettaient en lumière le rôle des trajectoires résidentielles dans les rapports au quartier. Elles se sont ainsi souvent centrées sur les transformations des quartiers populaires, soit par le départ des ménages appartenant aux couches moyennes, soit par les tentatives de transformation de leur peuplement, soit par l’effet de processus de gentrification (Authier, 2003 ; Lelévrier, 2006).

3Un autre type de politique de mixité sociale peut consister en l’introduction des ménages appartenant aux couches populaires dans des quartiers aisés à travers l’acquisition d’immeubles privés et le versement d’une partie des logements au parc social. Ce type d’expérience a donné lieu aux États-Unis à de nombreuses évaluations des opérations de désagrégation puis du programme Moving to Opportunity (Goering, 2003). Les résultats en sont très mitigés et parfois contradictoires. Ils tiennent en outre rarement compte des trajectoires des ménages. La mixité sociale n’est pas à saisir dans la seule cohabitation de catégories figées mais dans la coprésence de trajectoires différenciées qui interagissent au sein d’un cadre global en évolution (Grafmeyer, 1991). Analyser ces effets implique de confronter les mobilités résidentielles actives liées à un changement de logement et les mobilités passives expliquées par un changement dans l’environnement (Lévy, 2005). Dans le contexte actuel de crise du modèle ascensionnel de mobilité résidentielle, une sensibilité particulière à tout changement de positionnement social se développe à propos du logement qui appelle à tenir compte des petits déplacements sociaux dans la hiérarchie résidentielle (Cartier et al., 2008).
Nous analyserons ici l’une des actions menées depuis 2002 par la Ville de Paris au nom de la mixité sociale. Nous reviendrons sur la mise en œuvre de ces opérations, puis sur les trajectoires des populations concernées et enfin sur les dynamiques sociales ainsi induites.

Un projet de mixité sociale à l’immeuble

Le contexte parisien

4La mixité sociale constitue un des éléments forts du projet de la nouvelle municipalité de gauche élue en 2001. Elle est inscrite dans le Plan local d’urbanisme sous la forme d’un objectif de 25 % de logements sociaux d’ici 2020 [1]. Même si le parc social connaît depuis le début des années 1980 un processus de paupérisation, sa segmentation en différentes catégories de logements permet à des ménages aux revenus plus élevés d’y accéder. Dans le contexte d’un marché immobilier tendu et d’un processus d’embourgeoisement de la capitale (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2004), la municipalité s’inquiète du départ des « classes moyennes ». La dernière élection municipale se joue autour de cette question, l’opposition de droite comme centriste proposant de soutenir plus fermement ces catégories dans l’accession à la propriété. Au nom de la mixité sociale, dont elles sont supposées être le pivot, leur maintien dans Paris fait consensus mais leur définition reste pour le moins floue, de la frange la plus stabilisée des groupes populaires aux cadres en passant par les professions intermédiaires. Pour notre part, nous distinguerons couches populaires, intermédiaires et supérieures [2]. La politique de mixité entend d’une part diversifier le peuplement des quartiers les plus populaires et immigrés, d’autre part développer le logement social dans les quartiers aisés à l’intention des couches populaires et d’une partie des classes moyennes. C’est ce deuxième volet qui fait l’objet de notre enquête.

Du privé au hlm

5Le dispositif d’acquisition-conventionnement permet à la municipalité et aux bailleurs sociaux d’acquérir des immeubles partiellement occupés et de les conventionner en logements sociaux [3]. Dans le contexte parisien où les emprises foncières se font rares et chères, ce dispositif permet de livrer des logements rapidement et d’afficher des résultats honorables en termes de politique sociale. Il est néanmoins dénoncé comme trop onéreux au regard du gain de logements qu’il permet, symbolique et critiqué par l’opposition parce que favorisant des couches populaires – logées de surcroît au sein de « beaux quartiers » non adaptés à leur mode de vie – au détriment des classes moyennes.

6Ces arguments sont repris par une partie des locataires en place au moment de l’achat des immeubles, qui soupçonnent la municipalité d’œuvrer pour le départ des couches moyennes. Une association de locataires créée à l’occasion du rachat dénonce la « loterie » qui aurait conduit à conventionner des logements indépendamment des types d’occupants. Elle suspecte l’opac d’avoir « exclu sciemment du conventionnement hlm la plupart des locataires occupants de l’immeuble dont le profil sociologique correspond aux classes moyennes de Paris : professions libérales, commerçants, intermittents du spectacle » (lettre de l’Amicale des locataires, 6 juillet 2004).
Certains s’indignent que leurs nouveaux voisins s’acquittent de loyers beaucoup moins élevés que le leur. Une campagne de presse, largement orchestrée par l’opposition municipale, se met en place qui dénonce « les vrais-faux hlm » et la « pression insupportable accentuée par le Maire de Paris que subissent les classes moyennes [4] ». Ce climat social permet d’éclairer la façon dont seront accueillis les nouveaux locataires.

Deux immeubles, deux peuplements à trois années d’intervalle

7Nos travaux ont porté sur deux opérations : un immeuble haussmannien de 141 logements situé dans le quartier central du 9e arrondissement ; une barre de 181 logements de standing construite dans les années 1970, dans le 15e arrondissement, avec vue sur le Paris historique du Champ-de-Mars. Lorsqu’ils sont acquis par l’opac en 2002, ces deux immeubles ont fait l’objet de nombreuses transactions, passant de propriétaires privés particuliers à des sociétés plus ou moins opaques. On pouvait craindre qu’ils ne soient concernés par la vague de ventes à la découpe qui touche alors la capitale, obligeant les locataires du secteur privé à acheter leurs appartements ou à déménager [5].

8Alors que l’immeuble du 9e arrondissement comporte une proportion importante de grands logements, celui du 15e est majoritairement composé d’appartements de moins de trois pièces, ce qui a des effets sur la composition des ménages. En s’attachant aux groupes numériquement dominants, dans le 9e, le groupe d’habitants le plus important (un quart) est constitué de cadres supérieurs de plus de 50 ans, arrivés entre 1980-2002, ayant un revenu élevé et un niveau d’études supérieures. Le deuxième groupe (20 % des locataires), qui comprend surtout des employés au niveau d’études modeste (bep) dont les revenus sont compris entre 1 000 et 2 000 euros, est arrivé depuis 2002. S’y intègre, en raison de revenus identiques, un groupe disposant d’un niveau bac + 2 qui représente un peu plus de 15 % des ménages. Le troisième groupe (20 %) comprend des ménages retraités, 60 ans et plus, financièrement plus modestes. Les membres de l’association de locataires ont entre 40 et 60 ans, sont bien dotés scolairement, disposent d’un revenu élevé et sont installés de longue date dans leur appartement.

9Dans l’immeuble du 15e arrondissement, les ménages de moins de 40 ans sont plus nombreux. Un premier groupe (moins de la moitié), installé depuis longtemps, occupe des emplois dans le secteur privé, dispose de revenus et d’un niveau scolaire plus élevés. Un deuxième groupe (un quart des ménages) débute son cycle résidentiel dans cet immeuble avec un revenu relativement faible et un niveau d’études élevé. Le troisième groupe, arrivé depuis 2002, dispose de revenus n’excédant pas 2 000 euros, possède un niveau d’études faible ou moyen et travaille dans le secteur public. Aucune nouvelle association de locataires ne s’est créée dans cet immeuble à l’occasion du conventionnement bien que la question du niveau des loyers soit évoquée par la plupart des locataires rencontrés en 2005.

10Dans les deux immeubles, les locataires sont particulièrement attentifs aux comportements de leurs voisins et à l’entretien des espaces communs. Ils interprètent la moindre défaillance comme un signe de la volonté de l’opac de les faire partir et de transformer l’immeuble en hlm. Mais les nouveaux arrivants, caractérisés par un moindre capital scolaire, se déclarent à l’inverse « attachés » à la mixité et à leur nouveau quartier, symbole d’une certaine promotion sociale. Il convient de souligner que nous avons conduit nos premiers entretiens au cours de l’hiver 2005, qui vit les révoltes de banlieue d’une part, ainsi que la question du relogement des familles africaines touchées par les incendies d’hôtels meublés quelques mois plus tôt. Ce contexte explique en partie la récurrence, dans les discours, de la crainte de la ghettoïsation. C’est en relevant les sentiments contradictoires – espoir des nouveaux arrivants, anxiété des locataires en place – occasionnés par le rachat de l’opac et l’annonce de son projet de mixité sociale qu’il nous a semblé intéressant de revenir frapper à la porte des mêmes appartements trois ans plus tard. Nous avons donc retrouvé une partie des personnes interviewées et analysé les caractéristiques sociales des entrants et des partants durant cette période à partir des fichiers de l’opac.
Avec une trentaine de départs dans les deux immeubles (20 % dans le 9e, 16 % dans le 15e), leur population s’est sensiblement modifiée. Dans le 9e, le premier groupe composé des cadres supérieurs a fondu ainsi que celui des retraités. Les 72 personnes (réparties dans 29 foyers) qui ont déménagé ont été remplacées par 124 personnes. Les ménages arrivant sont donc des grandes familles. Les ménages partant disposaient d’un revenu mensuel de 3 695 euros en moyenne (1 748 par personne au foyer), ceux qui les remplacent atteignent 1 862 euros (555 par personne). Si l’on intègre à ce mouvement le décès de 5 locataires âgés, il s’ensuit un appauvrissement de la population résidente et une augmentation de la densité. Dans le 15e, seul le troisième groupe composé de ménages aux revenus élevés semble avoir diminué. Les 67 départs (répartis dans 35 foyers) remplacés par 73 arrivées ne donnent pas lieu à une modification des structures familiales, ce qui s’explique sans doute par la typologie des logements. En revanche, on constate une diminution par deux du revenu moyen. Par ailleurs, les fichiers de l’opac ne permettent pas de connaître la part des ménages étrangers ou d’origine étrangère. Ce critère étant pourtant significatif dans les discours des locataires, nous avons relevé les noms à consonance étrangère sur les boîtes aux lettres, et constaté dans les deux immeubles l’arrivée de familles d’origine non européenne [6]. Dans le 9e elles représentent un tiers des attributions. Si elles restent minoritaires dans les deux groupes, leur arrivée est cependant significative et se remarque en contraste avec l’homogénéité précédente du peuplement, ainsi qu’en raison du nombre d’enfants concernés. Elles constituent de ce point de vue une minorité visible. Autant qu’une mixité sociale, c’est une mixité raciale qui est en cours de constitution.

Mixité et trajectoires résidentielles

11Le renouvellement de la population dans les deux immeubles dépend de la nature du peuplement initial, les potentialités de mobilité étant différemment distribuées selon les groupes sociaux. Ainsi, la composition plus populaire de l’immeuble du 15e arrondissement explique un moindre renouvellement, les itinéraires des ménages étant contraints dans un marché immobilier parisien particulièrement tendu.

Des itinéraires sous contrainte

12La population de l’immeuble situé dans le 9e arrondissement s’est par contre renouvelée d’un tiers depuis le rachat par l’opac. Sont partis les ménages qui dépassaient le plafond de ressources pla : leur proportion a été divisée par quatre (16 % en 2002 contre 4 % en 2008). Le conventionnement de cet immeuble a été réalisé en faveur des logements très sociaux, susceptibles de recevoir des populations dont les revenus ne dépassent pas 3 500 euros – voire pour 27 logements, 1 800 euros – par mois pour un couple avec deux enfants. Si les plus pauvres et les plus précaires ne sont pas la cible prioritaire de l’opac (on ne compte par exemple aucun rmiste en 2007), les ménages entrant ont malgré tout un profil populaire.

13À l’instar de processus connus dans le logement social, se constitue ainsi un groupe de ménages captifs (Ion, 1979) correspondant à deux types de trajectoires résidentielles. D’une part, la plupart de ceux qui sont arrivés depuis 2002 n’ont pas eu le choix de leur logement : expulsés du parc privé, locataires de logements trop petits ou insalubres, rescapés des incendies des hôtels, l’accès au parc social constitue pour eux une solution qu’ils ne peuvent se permettre de refuser. La configuration des logements propre à cet immeuble haussmannien est à prendre en compte : les appartements de grande surface (aux alentours de 100 m2) proposés aux familles nombreuses sont constitués d’un double salon qui, s’il répond de façon adéquate aux pratiques des couches moyennes et bourgeoises avides d’espaces de réception (Dussart et Haumont, 1992), correspond moins aux réalités plus pragmatiques auxquelles sont confrontés les milieux populaires. Ce sentiment de contrainte perdure parfois après l’installation. Certains s’adaptent à leurs champs des possibles et ne pensent pas à partir ; d’autres formulent simultanément le souhait de partir et le regret de ne pouvoir le faire :

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« […] le but si j’ai de l’argent c’est de m’en aller, mais là je n’en ai pas. »
(Madame Poram [7], 45 ans, célibataire, 3 enfants, profession intermédiaire, arrivée en 2004, à la suite d’une expulsion, 15e)

15L’entrée dans le parc social de l’opac représente à la fois un choix contraint quand les ressources ne permettent aucune marge de manœuvre, une garantie sociale et une étape dans une trajectoire ascendante.
C’est aussi un sentiment de captivité qu’expriment les « anciens » locataires, de moins en moins nombreux. Le rachat des immeubles par l’opac a signifié pour eux un passage du parc privé au parc social, sans qu’ils aient la possibilité d’exprimer leur avis. Ce changement a été vécu de façon violente dans l’immeuble du 9e arrondissement par une population qui appartenait aux couches supérieures. Or, malgré une position favorable sur le marché immobilier – au regard de l’ensemble des catégories sociales – nombreux sont les ménages qui s’estiment contraints dans leurs trajectoires. Cette contrainte, réellement représentée et vécue, est à comprendre en grande partie comme une autolimitation du champ des possibles, les ménages valorisant avant tout – avant la surface et l’accès à la propriété – la centralité. Cela se traduit dans ce contexte urbain spécifique par la volonté de rester dans Paris intra-muros et de ne pas franchir le périphérique. Ils s’estiment alors enfermés dans une double contrainte : contraints de partir, de par la dégradation des conditions de vie ; contraints dans leurs possibilités, le choix de rester dans Paris impliquant une pression financière importante.

Des mobilités interdépendantes

16Ces situations et trajectoires résidentielles décrivent un univers de contraintes, au départ ou à l’arrivée dans les immeubles. Pour autant, ces contraintes ne sont pas équivalentes, selon qu’elles s’inscrivent dans une mobilité active ascendante ou dans une mobilité passive descendante. Si leur degré de construction et d’objectivité varie, elles n’en sont pas moins présentes et participent du regard que les uns et les autres portent sur leur trajectoire. Or, ce regard est lui-même dépendant des trajectoires de leurs voisins : les individus et les groupes en présence construisent et reconstruisent la vision qu’ils ont de leur histoire en fonction de l’évolution du contexte social de leur immeuble. L’image de soi que l’on cherche à donner aux autres et que les autres renvoient (Benoît-Guilbot, 1986) est notamment liée aux lieux d’habitat. Cette perspective transactionnelle (Dubar, 1998) permet de comprendre l’intensité des réactions provoquées par le rachat par l’opac, susceptible d’entraîner des formes de déclassement in situ :

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« Mon père était ouvrier, j’ai passé un concours administratif, je suis venue à Paris, à force de travailler on s’en est sorti, on est arrivé, on était vachement content, on avait le plus bel immeuble du quartier, qu’est ce qu’on était content quand on est arrivé, on avait une concierge, on était dans un bel appartement bourgeois, nous on avait réussi, on avait bien évolué, on était prêt à payer, bon maintenant on arrive, on se dit on est logé hlm, on a les inconvénients du hlm et puis voilà, on paye cher, on se dit on a quitté les amis, la famille, on est venu à Paris, on fait que galérer… donc tout ça a fait que à un moment donné on craque. »
(Madame Maquard, 45 ans, mariée, deux enfants, catégorie supérieure, arrivée en 1988, 9e)

18Le changement de statut du logement vient inverser le sens du parcours social et substituer le déclin à la réussite, alors que l’individu n’a pas changé d’appartement. Cette mobilité passive (Bourne, 1981) conjugue un déclassement objectif de statut – l’immeuble est passé du parc privé au parc social – avec une modification de l’identité sociale attachée à l’immeuble. Elle se lit par l’apposition d’une plaque au bas de l’immeuble, par la présence de notes de l’opac dans l’ascenseur, par le changement de population, par la dégradation plus ou moins fantasmée du standing du bâtiment :

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« […] un ensemble de petites choses qui font que quand vous rentrez, si vous invitez des amis un peu chics, franchement c’est pas une adresse qui est classe. »
(Madame Mundo, 50 ans, catégorie supérieure, mariée, arrivée en 1990, 9e)

20Le caractère fortement contraint de cette mobilité passive – ces locataires n’ont pas eu le choix d’accepter l’opération et n’en ont pris connaissance qu’une fois effectuée – vient se doubler d’un sentiment de captivité lié à l’absence, réelle ou perçue, de marge de manœuvre face à un office hlm jugé comme une « grosse machine » sourde au dialogue, aveugle dans ses décisions, indifférente aux situations individuelles.

21Pour d’autres locataires, l’accès aux logements situés à la même adresse constitue au contraire une sécurisation dans un parcours social accidenté. Qu’il s’agisse de ruptures dans les parcours ascendants ou de carrières résidentielles précaires, les attributions ont bénéficié à des ménages hébergés, expulsés ou vivant en squat :

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« Oui c’est une étape, ça m’a sécurisée, à partir de ce moment-là je me suis dit que si je travaillais je pourrais m’en sortir. »
(Madame Bali, 40 ans, célibataire, 1 enfant, profession intermédiaire, arrivée en 2005, à la suite d’une expulsion et d’un hébergement d’urgence, 9e)

23Ces nouveaux locataires vivent cette mobilité active comme une ascension sociale, soit parce que ces immeubles sont d’un standing supérieur au hlm habituel, soit parce qu’ils ne sont pas situés dans des quartiers considérés comme stigmatisants (18e, 19e et 20e arrondissements), soit encore parce qu’ils permettent l’accès à des logements plus grands et plus confortables.

24Descendante pour les uns, ascendante pour les autres, la mobilité portée par ces opérations de mixité sociale est liée à la position des individus et des groupes en présence et ne peut en être isolée. Le déclin social vécu par les catégories supérieures « devenues hlm » et qui voient arriver des catégories populaires répond à l’ascension de ces dernières, réconfortées par la stabilisation de parcours souvent chaotiques et par l’accès aux beaux quartiers[8]. Entre les deux, il faut également évoquer les cas de ménages qui étaient en situation fragile dans les immeubles rachetés, pour lesquels l’acquisition par l’opac a simultanément représenté un déclassement résidentiel et une sécurisation sociale. Autant de situations non définitives, de trajectoires en mouvement, puisque leur sens va rapidement changer en fonction des départs et des nouvelles arrivées : la patine sociale dont les anciens locataires sont garants à l’arrivée des premiers locataires de l’opac se ternit avec leur départ, les nouveaux locataires se considèrent bientôt comme des « anciens », menacés à leur tour de déclassement social par l’arrivée de catégories plus précaires…

Le ghetto ou la peur du déclassement

25L’irruption de catégories sociales inférieures représente un risque de déclassement du contexte résidentiel, que les groupes vont aborder de façon différente. Si les professions intermédiaires et les fractions inférieures des catégories supérieures, dotées en capital culturel, héritières des « aventuriers du quotidien » (Bidou, 1984), peuvent y voir l’opportunité de mettre en œuvre une forme de solidarité interclassiste (« on était prêts à jouer le jeu », Monsieur Rey, 40 ans, marié, fraction inférieure des catégories supérieures, arrivé en 2000, 9e) qui les valorise, les catégories supérieures supportent difficilement la rupture de l’entre-soi (« il n’y a plus cette familiarité qu’on avait entre nous », Madame Millet, 55 ans, mariée, catégorie supérieure, arrivée en 2000, 9e) tandis que pour les milieux populaires en ascension la cohabitation renvoie à la possibilité – incarnée au quotidien par leurs voisins plus pauvres qu’eux – de la rechute. La confrontation de chances de mobilité différentielles rend caduque l’analyse statique des rapports de cohabitation : la clé de leur compréhension se situe dans les interactions entre les différents groupes sociaux. Mais le contexte contemporain s’est infléchi au regard des années 1970, dans le sens d’un durcissement de la contrainte pesant sur les itinéraires résidentiels. Or ici les « nouveaux » attributaires de l’opac n’entrevoient que peu de chances, au moins à court terme, de partir. Si l’éventail des positions sociales est assez ouvert, celui des revenus couverts par les plafonds de ressources balayant finalement un spectre assez large [9], les ressources économiques des ménages et l’état du marché immobilier francilien ne laissent que peu de marges de manœuvre à ceux qui bénéficient des logements sociaux. Cette homogénéisation, si ce n’est des positions au moins des destinées résidentielles, pèse fortement sur la façon dont sont vécues les situations de mixité. Elle est propice à la dramatisation d’une part, à l’anticipation de difficultés de coexistence avant même que celles-ci ne surviennent, d’autre part.

26Les interviewés le soulignent eux-mêmes fréquemment :

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« […] ils ont mis des gens qui ne peuvent pas se rebeller. »
(Madame Paillot, 60 ans, vie maritale, trois enfants, catégorie populaire, 9e)

28Dans ce contexte d’horizon résidentiel bouché, quasi généralisé, les problèmes liés aux parties communes prennent des proportions parfois démesurées. Les propos de certains locataires décrivent une situation plus dramatique que ce que l’observation répétée des lieux ou les dires des services de police ne laissent entrevoir. Il ne s’agit pas ici de confronter les représentations des habitants à une prétendue objectivité des faits, mais de souligner combien le sentiment de captivité est susceptible d’intervenir dans la vision et le récit du quotidien de l’immeuble :

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« […] c’est l’horreur, je ne veux même pas en parler, j’en peux plus. »
(Madame Maquard)
Davantage que l’amplification des difficultés, l’élément frappant – et nouveau par rapport aux situations décrites en 1970 – est leur anticipation. Les habitants ont peur des conflits à venir, bien davantage qu’ils ne décrivent des conflits en cours. La plupart s’accordent à décrire des univers finalement normalisés, comportant une part de conflits classiques (le bruit, l’entretien). Mais tous soulignent qu’« en même temps », la situation « se dégrade » ou va nécessairement se dégrader. La politique de mixité de l’opac est porteuse de l’éventualité du « ghetto », et elle est envisagée davantage au nom de ce possible à venir que d’une réalité vécue. Du coup, le regard des habitants sur leur propre parcours souffre de ce futur hypothétique, tant le « ghetto » constitue en France une figure repoussoir qui symbolise le déclassement social.

Mixité, classements et distinction

30Dans ce contexte, qu’en est-il de la mixité sociale ? Quels mélanges, échanges, frottements et processus d’acculturation sont mis en œuvre entre catégories intermédiaires et populaires, en l’absence des couches moyennes supérieures ? Nos résultats d’enquête mettent en évidence une situation tranchée au sein de ces deux « collectifs résidentiels » (Flamand, 2008) qui oppose deux groupes, les « établis » et les « outsiders » (Elias et al., 1997).

Du « eux et nous » aux « Noirs et Blancs »

31Dans les deux opérations, l’analyse des représentations sociales produites par les habitants met au jour l’existence d’un système de classement propre, qui divise le collectif résidentiel en deux groupes définis explicitement en termes raciaux : d’un côté « nous », les Français, les « Blancs », et de l’autre côté « eux », les « Africains du Sahel, les Africains du Nord », les « Noirs ». Ce clivage Blancs/Noirs est redoublé d’un autre système d’opposition, anciens/nouveaux, qui ne s’appuie pas strictement sur une distinction temporelle – les habitants locataires avant le conventionnement avec l’opac, et les locataires arrivés après –, mais sur une représentation des habitants définis comme anciens ou nouveaux à partir des qualités sociales et culturelles de chacun. Madame Poram, pourtant arrivée en 2004 comme locataire du parc social, exprime son sentiment d’appartenance au groupe des « anciens », dans la mesure où d’une part elle estime partager les mêmes valeurs, références et normes qu’eux, et où, d’autre part, elle se distingue des familles « noires » relogées dans des situations d’urgence. La dimension raciale est ici au cœur des représentations de la mixité sociale et opère comme critère incontournable du système de classement et de déclassement construit par les habitants. Pour autant, il faut l’appréhender comme marqueur social, car « être ‘noir’ » est un trait social, imposé par les représentations des anciens plus que revendiqué par les nouveaux. Comme le souligne Norbert Elias (op. cit.), l’argument racial n’est pas le principe déterminant et structurant de la distinction « eux/nous », « établis/outsiders ». C’est plutôt la nécessité de maintenir une distinction qui nourrit la disqualification des eux par les nous, ici réifiée dans l’opposition Blancs/Noirs. Les anciens et Blancs des deux immeubles, qui appartiennent au groupe social des intermédiaires restés dans leur logement par contrainte, s’appuient sur ce système de classement pour conserver leur « honneur social » (Cartier et al., op. cit.) et leur supériorité sociale face au risque du déclassement.

32Du côté des nouveaux, cette catégorisation semble intériorisée et n’est pas remise en cause. Certains s’auto-excluent des instances collectives de l’immeuble : Madame Paillot ne s’est pas rendue à la réunion de l’amicale des locataires, car avec « sa peau noire », elle a craint de ne pas y être la bienvenue. Au-delà, ce classement tend à être utilisé par certains Noirs, par souci d’intégration au modèle dominant : une nouvelle subdivision est créée entre les Noirs anciens, premiers à avoir bénéficié en 2002 du conventionnement, et les nouveaux Noirs, arrivés depuis. L’enjeu, pour ces anciens, consiste à souligner leur acculturation au modèle local et leur intégration dans l’immeuble, le quartier. Il s’agit aussi de mettre à distance le risque du « ghetto » lié à un rassemblement de familles d’origine africaine, parfois désigné comme l’« africanisation » de l’immeuble.

33Le clivage est donc marqué, et pourtant aucun des habitants rencontrés ne fait le récit de conflits ouverts, d’accrochages explicites entre Blancs et Noirs, anciens et nouveaux. Des tensions sont relatées, qui concernent souvent les membres d’un même ménage, ou une situation très localisée entre deux voisins. Madame Barré (50 ans, célibataire, 2 enfants, profession intermédiaire, arrivée en 2005, 15e), comme d’autres membres du groupe des anciens, reconnaît qu’elle n’a rien à reprocher aux « nouveaux » :

« Moi je ne peux pas dire que j’ai à me plaindre de familles africaines, elles ne sont pas plus gênantes ou impolies que les autres, [elles sont] même parfois mieux. »

Normes et culture légitimes

34Ce processus de classement des habitants par les habitants s’opère classiquement à partir de la culture légitime des « Blancs anciens », utilisée comme outil de légitimation des différences sociales (Bourdieu, 1979), et ce faisant comme outil de disqualification des nouveaux habitants, noirs. C’est « la peur de la ‘culture ghetto’ » (Lamont et Bail, 2005) éprouvée par les « établis » qui les amène à (re)définir leur culture et à l’ériger en culture légitime de l’immeuble. Nombreux sont les anciens à établir un lien entre arrivée récente de familles africaines, porteuses d’une autre culture, et dégradation de l’immeuble :

35

« […] alors il y a eu un changement parce qu’il y a eu un arrivage énorme après les incendies dans les logements du nord, et là ça a périclité. »
(Madame Poram)

36Ce processus de distinction par la culture se décline en plusieurs volets. Premier élément, la question d’avoir ou pas de la culture, entendue comme civilité et politesse entre voisins :

37

« […] on aimerait bien qu’il y ait des gens qui aient un peu de culture, de politesse, de civilité, et je trouve que c’est en train de se perdre un peu, et moi ça ne me plaît pas, même si c’est supportable. »
(Madame Barré)

38Mais il s’agit également de faire preuve d’une certaine culture, c’est-à-dire d’avoir des goûts et des pratiques culturels, le sens de la représentation et de l’esthétique. Pour Madame Mason il est regrettable que les nouveaux habitants n’aient pas plus conscience du « standing de l’immeuble » et dévalorisent la façade en installant des paraboles sur les balcons, en y faisant sécher du linge. Les pratiques et les usages du quotidien, bruit et odeurs, rapport au sale et au propre, sont mobilisés comme marqueurs du différentiel de culture :

39

« On s’est moqué de Jacques Chirac sur les odeurs, mais je peux vous dire que ma femme quand elle rentre, elle trouve que ça pue ; donc la ‘cuisine autre’ ce n’est pas un problème, mais là c’est de la ‘cuisine autre’ qui pue. »
(Monsieur Sabin, 65 ans, concubinage, catégorie supérieure déclassée arrivé en 1969, 15e)

40Autant de différences qui distinguent deux cultures, trop éloignées l’une de l’autre pour échanger, l’une devant alors céder. Monsieur Sabin évoque ainsi les caractéristiques des « nouveaux » habitants :

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« […] des populations qui en général n’ont pas de moyens, […] dont les mœurs en général sexuelles, familiales, éducatives, musicales, culinaires, religieuses, etc., sont totalement différentes et incompatibles ; […] les Africains, les Noirs comme ceux d’origine musulmane ne se fondent pas. »

42La culture autochtone doit dans ce contexte être affichée et revendiquée comme légitime et dominante, afin de ne pas disparaître :

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« Je fais partie des gens qui aiment leur culture d’origine et qui ont envie qu’elle soit préservée ; […] je souhaite que ma culture conserve sa place. »
(Madame Barré)

Une « bonne recette » de mixité ?

44Cette opposition s’accompagne d’une critique nourrie de la mixité sociale telle que l’opac l’a imposée. Les établis estiment que l’équilibre de peuplement est « mauvais », le mélange n’est pas assez « multiculturel », mais au contraire trop « bi-culturel », trop polarisé :

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« […] c’est une autre clientèle, c’était devenu invivable, ils parlaient beaucoup de mixité, mais ils n’ont mis que des Noirs, dommage, ça nous plaisait bien. »
(Madame Millet)

46Exprimer publiquement son refus de la mixité sociale s’avérant peu « socialement correct », les locataires s’attachent, au-delà de la critique, à proposer leur propre modèle de mixité. Le premier critère d’une bonne mixité consisterait donc à éviter la bi-polarisation culturelle et à « mixer » un plus grand nombre d’origines ; il faut :

47

« […] qu’il y ait un mélange mais total, avec le monde entier, mais pas que l’Afrique et l’Afrique du Nord. »
(Madame Poram)

48Cette image abstraite et toute théorique d’une diversité cosmopolite, à l’image d’une publicité Benetton ou d’une carte de l’unicef, permet de mettre à distance les rapports sociaux concrets que révèle une cohabitation mal vécue. Le second critère tiendrait dans l’acculturation des nouveaux habitants aux codes et valeurs des locaux ; c’est aux nouveaux de se plier aux règles des anciens, par des cours de civilité au besoin. Ainsi :

49

« […] la règle de la bonne mixité sociale c’est qu’on commence par respecter et se plier globalement aux usages des gens chez qui on va, qu’on soit de même nationalité ou de même culture, ou pas. »
(Monsieur Sabin)

50Quelques-uns osent pourtant franchir le pas et contestent le principe du mélange de groupes sociaux, voire raciaux qui relève alors d’une vision de technocrates ne se confrontant pas eux-mêmes à la diversité.

51

« On ne peut pas mélanger, c’est stupide parce que c’est une idée très récente, qui n’a jamais existé dans aucun pays et dans aucun siècle ; toute population d’une caste veut rester ensemble, et forcer les gens à se mélanger est une aberration humaine. »
(Madame Poram)

52Rester entre semblables, à l’échelle résidentielle, permet de mieux gérer la différence présente dans la société. L’entre-soi s’impose alors.

53Quelle que soit leur vision de la mixité, l’ensemble des habitants redoute qu’avec la politique de peuplement menée par l’opac des immeubles « raisonnablement fréquentés » ne deviennent de véritables « ghettos », du point de vue social comme racial. L’un d’entre eux estime que son immeuble est atteint du « syndrome 18-19-20 », faisant référence aux arrondissements de la capitale considérés comme « chauds » et marqués par une forte présence d’immigrés. Une autre compare son espace résidentiel à « Harlem ». L’affichage de politiques dites de mixité sociale et leur discussion dans l’espace public ont bien comme contrepoint la médiatisation de la figure repoussoir du ghetto, social mais surtout racial.

Conclusion

54Cette dimension raciale, absente des textes liés aux politiques de mixité sociale à Paris, est pourtant essentielle dans la vision de l’espace social dessinée par les locataires, et représente un point de cristallisation dans les oppositions ou les redéfinitions de la mixité. Au-delà, c’est la relation entre couches intermédiaires et couches populaires, appartenant aujourd’hui pour partie aux minorités visibles, qui est interrogée. Intervient ici l’image réifiée du ghetto comme lieu de tous les dangers sociaux et l’anticipation d’une situation de cohabitation où s’opposeraient cultures et normes impossibles à concilier.

55Les opérations dites de mixité sociale provoquent une mise en mouvement des trajectoires résidentielles des ménages, mobilité active ou passive. Elles conduisent aussi à transformer le statut résidentiel des immeubles, ces deux mouvements interagissant pour créer une nouvelle configuration du peuplement et recomposer les rapports sociaux au sein du collectif résidentiel. Dans les cas étudiés, la situation de mixité rencontre au moins deux limites. Tout d’abord, elle ne concerne que les ménages appartenant aux couches intermédiaires et aux couches populaires, les couches supérieures ayant la possibilité de s’évader de cette cohabitation imposée en déménageant. Ensuite, dans un contexte de tension du marché du logement, elle repose largement sur des choix contraints des ménages concernés. Pour les couches intermédiaires, le sentiment de contrainte est alors prédominant et s’accompagne de celui du déclassement social, alors que les ménages des couches populaires acquièrent ainsi une garantie sociale et y voient une opportunité d’ascension sociale. Mais la contrainte résidentielle conduit à l’exacerbation des rapports sociaux et des logiques de distinction autour de la question raciale, symptôme du déclassement. De ce point de vue, l’objectif de cohésion par la mixité est loin d’être atteint. Ces opérations ont contribué à l’accès des couches populaires – certes pas les plus précaires – et issues de l’immigration à l’espace central parisien, répondant ainsi au second objectif de justice spatiale. Il faut cependant bien constater qu’elles restent très marginales. Surtout, une des dimensions essentielles de la justice spatiale ne consiste-t-elle pas en la liberté également partagée de choisir son lieu d’habitat ?

Notes

  • [*]
    Marie-Hélène Bacqué, professeur à l’université Paris Ouest Nanterre-La Défense et chercheuse à louest
    mhbacque@club-internet.fr
  • [**]
    Yankel Fijalkow, professeur à l’ensa Paris-Val-de-Seine et chercheur à louest
    yankel.fijalkow@paris-valdeseine.archi.fr
  • [***]
    Amélie Flamand, postdoctorante et chercheuse à louest
    amelie.flamand@paris-valdeseine.archi.fr
  • [****]
    Stéphanie Vermeersch, chargée de recherche cnrs à louest
    stephanie.vermeersch@paris-valdeseine.archi.fr
  • [1]
    Il s’agit de consacrer 25 % des nouveaux programmes immobiliers de plus de 1 000 m2 shon (surface hors œuvre nette) au logement social dans les arrondissements déficitaires, arrondissements aisés du centre et de l’ouest parisiens.
  • [2]
    Cette catégorisation, effectuée à partir du croisement des salaires et des professions ainsi que des domaines d’activité, suppose l’existence tout à la fois des élites et des pauvres, et correspond à la volonté d’introduire des nuances en lieu et place d’une catégorie classe moyenne trop nivelante. Elle ne se veut ni universelle ni généralisable.
  • [3]
    L’opac (Office public d’aménagement et construction) instaure dès 2002 un dispositif réglementaire permettant d’intégrer les immeubles privés au parc de logement social sous la forme d’un conventionnement des loyers, classant les appartements selon la catégorie de revenus des ménages déjà en place. Plus de 3 000 appartements, dont plus des deux tiers sont destinés aux ménages à revenus modestes, sont ainsi acquis entre 2001 et 2007 dans des arrondissements déficitaires en logements sociaux ; cf. à ce propos, Lydie Launay, 2006, Mixité sociale et politique locale de l’habitat : quels effets sur les pratiques sociales des habitants, mémoire de master 2, Bacqué M.-H. (sous la dir. de), université d’Évry.
  • [4]
    Député Pierre Lellouche in Valeurs actuelles, 7 octobre 2005, p. 21.
  • [5]
    C’est en écho au climat social tendu après cette acquisition que l’opac nous proposa en 2005 d’étudier ces immeubles, un peu plus de deux ans après les premières attributions hlm. Les fichiers de locataires complétés par questionnaire – administré auprès des 3/4 des foyers – et une vingtaine d’entretiens ciblés ont constitué nos matériaux empiriques pour analyser les évolutions du peuplement, les trajectoires résidentielles des ménages et les représentations des habitants. Une analyse factorielle nous a permis d’élaborer une typologie des ménages pour chaque immeuble, croisant la date d’arrivée dans le logement, l’âge de la personne de référence du ménage, le niveau d’études, le revenu, le projet résidentiel, l’attachement et la pratique du quartier.
  • [6]
    En l’absence de toute autre donnée, cette méthode d’analyse des noms de famille, utilisée également par Stéphane Beaud dans 80 % au bac… et après ? ou Georges Felouzis dans son analyse de la ségrégation scolaire, nous a permis de vérifier l’arrivée de familles d’origine africaine.
  • [7]
    Les noms des interviewés ont été modifiés.
  • [8]
    Ils ont cette signification pour les nouveaux locataires qui soulignent la proximité des lieux prestigieux (Champs-de-Mars, tour Eiffel), la centralité au regard des arrondissements périphériques d’où ils viennent souvent, et le caractère non populaire.
  • [9]
    Sachant qu’à Paris les revenus mensuels imposables pour un ménage biactif avec deux enfants ne doivent pas dépasser 1 800 euros environ en plai (prêt locatif aidé d’intégration), 3 500 euros environ en plus (prêt locatif à usage social), et 4 500 euros environ en pls (prêt locatif social), on compte dans l’immeuble du 9e : 28 plai, 10 pls, 100 plus ; dans celui du 15e : 52 plai, 15 pls, 101 plus, 13 indéterminés.
Français

Résumé

Cet article entend travailler la thématique de la mixité sociale à partir d’une perspective dynamique, qui envisage les situations de mixité à travers la coprésence non de positions mais de trajectoires socio-résidentielles différenciées, interagissant au sein d’un cadre global lui-même en évolution. À partir d’une enquête sur les actions menées depuis 2002 par la Ville de Paris en vue d’agir sur la mixité sociale résidentielle, il met en évidence la pertinence de la distinction entre mobilités actives et passives afin de comprendre les discours et pratiques des habitants concernés. Il éclaire la multiplicité des points de vue, de l’ascension sociale au déclassement, et souligne comment la contrainte vécue conduit à l’exacerbation des rapports sociaux et des logiques de distinction autour de la question raciale. Dans cette perspective, la figure du ghetto devient prégnante et souligne combien l’objectif de cohésion par la mixité est loin d’être atteint.

Mots-clés

  • logement social
  • mixité
  • mobilité
  • trajectoire
  • déclassement
Español

“Cómo nos convertimos en hlm”. Las operaciones de mixidad social en Paris en los años 2000

Resumen

El presente artículo aborda la temática de la mixidad social a partir de una perspectiva dinámica, que observa las situaciones de mixidad a través de la coexistencia, no de las posiciones sino de las trayectorias socio-residenciales diferenciadas, interactuando en el marco global en evolución. A partir de una encuesta sobre las acciones llevadas a cabo desde el 2002 por la ciudad de Paris afín de incitar la mixidad social residencial, evidenciamos la pertinencia de la diferencia entre las movilidades activas y pasivas afín de comprender los discursos y las practicas de los habitantes involucrados. Ello ilustra la variedad de los puntos de vista, de la ascensión social al cambio de clase, y subraya como la continuidad vivida conduce a la exacerbación de las relaciones sociales y de las lógicas de distinción sobre la cuestión racial. En esta perspectiva, la figura de geto es primordial y resalta hasta que punto el objetivo de la cohesión a partir de la mixidad esta aún lejos de ser alcanzado.

Palabras claves

  • vivienda social
  • mixidad
  • movilidad
  • trayectoria
  • cambio de clase

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Marie-Hélène Bacqué [*]
  • [*]
    Marie-Hélène Bacqué, professeur à l’université Paris Ouest Nanterre-La Défense et chercheuse à louest
    mhbacque@club-internet.fr
Yankel Fijalkow [**]
Amélie Flamand [***]
Stéphanie Vermeersch [****]
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/03/2010
https://doi.org/10.3917/esp.140.0093
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