Tandis que les acteurs du débat politique local voyaient le processus de départementalisation de 1946 tantôt comme une forme originale de décolonisation, tantôt comme un prolongement de la domination coloniale sous d’autres formes, la Martinique – de même que l’ensemble des « outre-mer » – a vécu d’importantes transformations sociales. Le niveau de vie s’est élevé, les infrastructures se sont modernisées, et surtout, la politique de migration organisée via le Bumidom a durablement transformé le territoire, faisant des circulations entre l’île et l’Hexagone une expérience partagée par la majorité des familles martiniquaises. Quelles sont aujourd’hui les conséquences de ces circulations migratoires sur les formes d’identification et d’assignation raciales ? Dans cette île marquée par des représentations et des hiérarchies socio-raciales héritées de l’histoire, et alors que les départs « outre-la-mer » demeurent fréquents pour les Martiniquais, il convient d’analyser les nouvelles façons d’être blanc·he ou noir·e.
Article
En 1978, au cours d’un débat parlementaire portant sur le financement du ministère de l’Outre-Mer, le député de la Martinique, Aimé Césaire,
déclarait : « L’aspect le plus connu des Antilles-Guyane est sans doute celui de
terres d’émigration, mais j’appelle votre attention sur le fait qu’elles deviennent,
en même temps et parallèlement, des terres d’immigration. Les nouveaux venus
ne seront pas toujours un quarteron de Hmongs pitoyables qu’il convient en
effet d’aider, mais d’autres allogènes, autrement organisés, autrement pourvus,
autrement dominateurs aussi et sûrs d’eux-mêmes, qui auront tôt fait d’imposer
à nos populations la dure loi du colon. Je redoute autant la recolonisation sournoise que le génocide rampant ».En rappelant « l’aspect le plus connu des Antilles-Guyane » au début de son
intervention, le député faisait référence à la politique de migration organisée des
départements d’outre-mer vers la métropole mise en place à partir des années
1960. Face au déclin de l’économie sucrière et à l’augmentation rapide de la
population, cette mesure visait alors à réduire la pression sur le marché du travail
des économies d’outre-mer. Créé en 1962, le Bumidom (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer) a été chargé
d’accélérer le processus dès 1963. Les migrations familiales étaient préconisées
car, pour les pouvoirs publics, il était entendu que ces départs allaient s’inscrire
dans la durée.
Certes, le débat de 1978 à l’Assemblée portait principalement sur des questions
de financement du Bumidom, mais l’intervention de A…
Résumé
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Auteur
- Mis en ligne sur Cairn.info le 19/05/2022
- https://doi.org/10.3917/crii.095.0068
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