CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 À l’occasion de son départ à la retraite en juin 2021, le professeur Adrian Briggs s’est vu remettre ces mélanges publiés sous la direction de deux des collègues avec lesquels il a partagé l’enseignement du droit international privé à l’université d’Oxford au cours des dernières années. L’ouvrage regroupe tout d’abord une série de témoignages et d’appréciations du collègue et du mentor que fut Briggs pendant les 40 années d’une carrière passée presque exclusivement à Oxford. Deux « vignettes » insistent plus particulièrement sur son importance dans la vie de son collège (St Edmund Hall) et sa contribution à l’enseignement du droit international privé à Oxford (Francis Reynolds l’adoube en l’admettant au panthéon de l’université, aux côtés de Dicey et de Morris). Dans la préface de l’ouvrage, Lord Mance insiste enfin sur la carrière de praticien de Briggs, qui a plaidé certaines de plus grandes affaires de droit international privé des dernières années devant la Cour suprême du Royaume-Uni.

2 Le choix des directeurs de l’ouvrage a été de réunir les contributions de 13 auteurs ayant soit étudié avec Briggs à Oxford, soit y ayant obtenu un master (BCL) ou un doctorat (DPhil) sous sa supervision. À l’exception de Koji Takahashi, qui enseigne aujourd’hui à l’université Doshiha au Japon, tous les auteurs sont des juristes de common law. La moitié d’entre eux sont basés dans divers États de tradition juridique britannique (Australie, Canada, Hong Kong, Irlande, Singapore) où ils retournèrent après avoir étudié à Oxford. À l’heure du Brexit et des rêves anglais de Global Britain, l’origine des contributeurs est une illustration frappante de l’influence globale du droit anglais et de la survivance de l’Empire britannique dans le domaine des services juridiques.

3 Les thèmes choisis par les contributeurs sont tout aussi frappants. Tous relèvent du droit international privé anglais commun, ou du droit comparé entre les différents États de tradition britannique. Une seule contribution compare la situation des co-défendeurs en droit anglais commun et dans le cadre du Règlement Bruxelles I bis. Le droit international privé européen semble déjà appartenir au passé. Alors que les juristes anglais en ont été certains des plus fins analystes, ils paraissent désormais s’en désintéresser. Briggs lui-même n’est sans doute pas d’un autre avis. Concomitamment, il publie la septième édition de son traité sur la compétence internationale et l’effets des jugements étrangers (Civil Jurisdiction and Judgments, Informa Law, 2021) qui a sans aucun doute été l’une des bibles du droit judiciaire européen : le Règlement Bruxelles I bis en a disparu ; la Convention de Lugano est étudiée à la place au motif qu’il demeure possible qu’elle redevienne un jour le droit de l’Angleterre. Le Brexit n’a pas seulement rendu le droit européen inapplicable au Royaume-Uni ; il a aussi convaincu les juristes anglais (dont le positivisme n’a rien à envier aux juristes français) de la perte de leur légitimité à faire entendre leur voix dans cette matière.

4 Les treize contributions couvrent tous les domaines du droit international privé. Dans la première partie consacrée à la compétence internationale, cinq articles traitent de la doctrine du forum non conveniens (Andrew Bell, Martin Davies), de l’appréciation du caractère approprié de la compétence fondée sur le lieu du dommage pour les accidents arrivés au cours de séjours de vacances à l’étranger (Janet Walker), des anti-suit injunctions (Andrew Dickinson) et de la compétence relative aux co-défendeurs (Andrew Scott). Dans la deuxième partie consacrée aux conflits de lois, quatre articles traitent de la loi applicable aux clauses de juridiction et compromissoires (Koji Takahashi), aux sûretés sur valeurs mobilières (Maisie Ooi) et aux remedies (Adam Rushworth). Finalement, un dernier article traite à la fois de la compétence et de la loi applicable à l’enrichissement sans cause (Andrew Burrows). La troisième partie est dédiée à l’effet des jugements étrangers, et contient un article relatif aux injonctions anti-exécution (Yeo Tiong Min) et à la reconnaissance des divorces sur le fondement du Family Law Act 1986 (Maire Ni Shuilleabhain). Finalement, une quatrième partie propose deux articles transversaux, l’un se demandant dans quelle mesure le droit international privé anglais relève du droit privé (Edwin Peel) et l’autre s’interrogeant sur les limites du principe du Comity (James Edelman et Madeleine Salinger).

5 Il n’est pas possible, dans le cadre de cette recension, de présenter chacune de ces contributions. En toute hypothèse, un grand nombre d’entre elles sont fidèles à l’esprit juridique anglais et proposent des réformes en s’appuyant sur une critique de chacun des détails de la matière étudiée, qu’il est au final impossible de résumer (ainsi la critique sévère d’Andrew Dickinson du droit anglais des anti-suit injunctions, qui conclut en proposant un ajustement du droit en huit points).

6 Certaines des contributions se prêtent toutefois à une présentation plus synthétique.

7 L’article de Martin Davies, qui enseigne à Tulane, mais est aussi l’auteur de l’ouvrage de référence en droit international privé australien, offre une analyse critique de la théorie anglaise du forum non conveniens à l’aune du droit américain. Il souligne, à raison, que le développement des nouvelles technologies fait perdre fortement de leur importance les facteurs privés d’appréciation de l’adéquation des différents tribunaux. Il est indéniable que la désignation du forum conveniens a généralement fait la part belle à l’accès aux preuves, et en particulier au lieu de résidence des témoins, dont l’audition domine toute procédure de common law. Or, note M. Davies, les preuves documentaires sont désormais accessibles sous forme électronique, et la pandémie a démontré que les témoins peuvent sans difficulté majeure être entendus à distance. Dès lors, il soutient que le futur de la théorie est dans une analyse des facteurs publics de différenciation. Il présente alors les facteurs qui selon lui relèvent de cette catégorie et devraient donc désormais prévaloir : applicabilité d’une loi étrangère ou de la loi du for, disponibilité d’un soutien financier pour les victimes impécunieuses. L’analyse, dont le point de départ est très convaincant, semble toutefois quelque peu influencée par la pensée juridique américaine. L’applicabilité d’un droit étranger a traditionnellement été envisagée comme un facteur privé (en raison des coûts qu’elle génère), et il est un peu étonnant de présenter l’accès à la justice du demandeur comme un facteur qui ne lui serait pas propre (et donc privé). Les juridictions anglaises ont par ailleurs rejeté la prise en compte des facteurs publics dans l’analyse du forum non conveniens. Si les nouvelles technologies influeront certainement sur la mise en œuvre de cette doctrine, il est douteux qu’elles aient raison de la distinction entre intérêts privés et intérêts publics.

8 L’une des contributions majeures d’Adrian Briggs a toutefois été d’affirmer que la compétence juridictionnelle concernait essentiellement les intérêts privés lorsque les parties avaient pris des engagements contractuels préalables relatifs à celle-ci (Agreements on Jurisdiction and Choice of Law, OUP, 2008 et le compte rendu d’H. Muir Watt, Rev. crit. DIP 2008. 980). C’est la justification de l’anti-suit injunction en droit anglais lorsque celle-ci veut sanctionner la violation d’une clause attributive de juridiction ou un accord d’arbitrage en en ordonnant l’exécution en nature. L’article de Yeo Tiong Min, qui enseigne à Singapour, établit à cet égard un parallèle avec l’anti-enforcement injunction. Cette technique récente a pour objet d’interdire à une partie de rechercher l’exécution d’un jugement étranger. Elle s’est développée sur le modèle de son illustre ainée, l’anti-suit injunction, qui veut interdire à une partie d’initier, ou de continuer une procédure devant un juge étranger. Les juridictions anglaises et singapouriennes s’accordent pour considérer que leur régime est, en principe, le même. Yeo montre cependant que leur fondement commun devrait, dans l’immense majorité des cas, rendre délicat l’octroi des anti-enforcement injunctions. La légitimité de l’anti-suit injunction provient, pour les juristes britanniques, de ce qu’elle sanctionne un engagement contractuel direct de ne pas intenter la procédure litigieuse. Toutefois, les juges anglais exigent que l’action soit exercée au plus vite par la partie victime de la violation contractuelle. À défaut, il lui serait reproché d’avoir laissé la procédure étrangère se développer, la partie adverse encourir des frais d’avocats et l’ordre juridique étranger y consacrer ses ressources judiciaires. Si une anti-enforcement injunction est recherchée, M. Yeo démontre que, dans cette ligne de pensée, un facteur décisif est celui de l’obligation primaire dont le demandeur exige la sanction. S’il s’agit d’un engagement de ne pas exécuter le jugement (concevable dans le cadre de transactions, par exemple), alors l’octroi d’une anti-enforcement injunction paraît très légitime, car l’obligation n’est née que postérieurement au jugement. À l’inverse, si, comme dans la majorité des cas, l’obligation primaire est la clause attributive de juridiction (ou compromissoire), alors le demandeur sera bien en mal d’expliquer pourquoi il n’a pas demandé beaucoup plus tôt une anti-suit injunction et laissé l’entier procès se dérouler devant le juge étranger. C’est sur ce fondement que la jurisprudence anglo-singarourienne a le plus souvent refusé d’octroyer ce type d’injonction.

9 On espère avoir montré que, par-delà les détails du droit international privé commun anglais, beaucoup de ces contributions posent des questions beaucoup plus générales qui devraient intéresser bien au-delà du Global Britain.

Français
  • GENERALITES
  • Bibliographie
  • Droit international
  • Conflit de lois
Gilles Cuniberti
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 06/04/2022
https://doi.org/10.3917/rcdip.221.0207
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Dalloz © Dalloz. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...