CAIRN.INFO : Matières à réflexion

I – Les notaires et l’international

1L’international a été le thème du dernier congrès annuel des notaires de France. À l’issue de travaux appuyés par une ample documentation (plus de 1200 pages) et de débats informés, nourris d’interventions de praticiens et universitaires (v. rapport accessible sur le site congrèsdesnotaires.fr/media/uploads/compte-rendus/compte-rendu-2019.pdf), les participants ont adopté diverses propositions (texte disponible sur congrèsdesnotaires.fr/media/uploads/2019/documents/propositions_formule_juridique.pdf). Leur richesse permet de percevoir les difficultés concrètes qu’affrontent, dans un environnement de plus en plus international, des professionnels voués à la stabilité des situations. Ces propositions paraissent s’efforcer de conforter la prévisibilité tant par le développement de l’information (A) que par la réglementation de certaines situations particulières (B).

A – Développer l’information.

2Les notaires et parties pourraient en effet être utilement éclairés notamment par :

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  • la codification du droit international privé ;
  • la possibilité d’établir des actes dont le texte figurerait également en langue étrangère (pour autant que le texte français fasse foi) ;
  • l’accessibilité des certificats successoraux européens (prévus par le Règl. (UE) 650/2012 du 4 juill. 2012, art. 62 et s.) ;
  • la publicité de la loi applicable choisie dans les partenariats tels que les PACS ;
  • l’indication par le législateur des textes qu’il considère comme constituant des « lois de police ».

4Pour opportunes que soient ces mesures, certaines paraissent, en l’état, imprécises et mériter un approfondissement.

5Ainsi, au-delà des interrogations traditionnelles sur toute forme de codification (par ex., cela n’interdit-il pas toute évolution ou adaptation de la jurisprudence ?), celle du droit international privé doit-elle seulement porter sur les solutions dégagées par la jurisprudence et des principes généraux, à l’heure où les règles d’origine européenne composent l’essentiel de la matière ? La codification ne serait-elle pas problématique dans le contexte actuel d’évolution des méthodes (règles de conflit/prise en considération) ou de leurs champs respectifs ? On sait d’ailleurs qu’une commission de codification a récemment été instaurée ; l’éventuelle publication, comme pour la réforme du droit des obligations et de celle de la responsabilité extracontractuelle, de son projet (après ceux, inaboutis, de 1954, 1959 et 1967) serait pleine d’intérêt quant à ces questions de principe.

6Sur un autre terrain, un acte également en langue étrangère, évidemment opportun pour s’assurer de l’intégrité du consentement d’une partie étrangère, se distingue-t-il utilement d’un acte accompagné d’une simple traduction, dès lors que le texte français prévaudra en toute hypothèse ?

7La proposition que le législateur identifie les dispositions impératives qu’il considère comme des « loi de police » parait également incertaine. S’il peut être opportun que le législateur s’interroge sur les incidences internationales des textes qu’il adopte, cette approche ne risque-t-elle pas, par exemple, d’inciter à une extension aux situations internationales de toute disposition impérative ?

B – Des changements réglementaires

8D’autres propositions prônent la réglementation de certaines situations. Par exemple :

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  • généraliser le pouvoir des consuls de célébrer des mariages entre un Français et un étranger (ce qui n’est actuellement possible qu’à l’égard des ressortissants de certains pays) ;
  • interconnecter le registre de mandats de protection future avec ceux des pays ayant des institutions similaires ;
  • admettre les clauses de for en matière de divorce ou séparation des époux. Cette question relevant du champ du Règlement (UE) 2019/1111 du 25 juin 2019 (JOUE L.178 du 2 juill. 2019, p. 1) révisant le Règlement Bruxelles II bis, elle sera donc abordée dans le commentaire de ce texte important à venir dans cette revue ;
  • ratifier la convention de La Haye du 1er juillet 1985 sur la loi applicable au trust et à sa reconnaissance. On peut noter qu’en dépit de leur nature d’agencement de droits inconnu du droit français, les trusts régis par une loi étrangère sont d’ores et déjà bien connus en France.

10Ainsi, le droit fiscal les définit selon une formulation proche de celle de la convention de la Haye (CGI art. 790-0 bis I-1) et prend pleinement en compte les mutations qu’ils impliquent (art. 792-0 bis du même code) et leur traitement au regard de l’impôt sur la fortune immobilière (BOI-PAT-IFI-20-20-30-20). Par ailleurs, la Direction Générale de l’Aviation Civile immatricule depuis longtemps des aéronefs appartenant à des trusts étrangers. Il demeure toutefois que leur nature d’agencement de droits réels inconnu du droit français ne permet pas une bonne coordination avec les règles de publicité foncière et paraît permettre d’esquiver des exigences de transparence financière et d’égalité successorale.

11De fait, la prise en compte des trusts s’effectue parfois en esquivant la question des qualités et droits respectifs des parties prenantes à l’institution, autrement dit par une forme de dénaturation du droit étranger. Ainsi, certains notaires réaliseraient des transactions impliquant des trusts en faisant comparaître l’ensemble des parties prenantes (settlor, beneficiary et trustee) ou en qualifiant le trustee d’exécuteur testateur ou de légataire universel (de telles qualifications n’étant pas sans poser des problèmes, v. F. Varin et M. Revillard, Pour la ratification par la France de la convention de La Haye du 1er juillet 1985 sur la loi applicable au Trust et sa reconnaissance, Droit et Patrimoine, n° 295, oct. 2019). De même, l’obligation d’identifier les bénéficiaires effectifs (C. mon. fin., art. L. 561) d’un trust est assurée par la désignation de toutes les personnes physiques ayant la qualité « de constituant, d’administrateur, de bénéficiaire ou de protecteur dans les cas des trusts ou de tout autre dispositif juridique comparable de droit étranger » (C. mon. fin., art. R. 561-3-0). La « lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme » que pourrait faciliter l’usage des trusts est donc assurée par une forme d’adaptation mettant sur le même plan l’ensemble de leurs parties. La ratification de la convention ne devrait probablement pas justifier une modification de la réglementation sur ce point, qui reste une préoccupation des autorités françaises (v. réponse à la question écrite 16.451 Fr. Grosdidier, JO Sénat 5 mai 2015, p. 1905) et européennes (en dernier lieu Dir. (UE) 2018/843 du 30 mai 2018 modifiant la Dir. (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme ainsi que les Dir. 2009/138/CE et 2013/36/UE, JOUE L.156 du 19 juin 2018, p. 43 ; sur les trusts, v. consid. 27 à 29 et art. 1 2) b)).

12La ratification de la convention de 1985 induirait-elle des solutions nouvelles ? La reconnaissance des droits respectifs des parties selon le droit étranger permettrait certes de désigner formellement le trustee comme le propriétaire d’un bien immobilier à la conservation des hypothèques et l’on peut penser que le trust s’intégrerait aisément dans un contexte désormais ouvert à l’organisation originale de droits réels de jouissance par l’arrêt dit Maison de la Poésie (Civ. 3e, 31 oct. 2012 n° 11-16.304). Mais cette reconnaissance ne soulèverait-elle pas des questions documentaires ? L’acte établissant le trust devra, en l’état, comprendre les mentions exigées par le décret sur la publicité foncière, être préalablement légalisé et reçu par un notaire et faire l’objet d’une traduction jurée (art. 4, décr. 55-22 du 4 janv. 1955). À peine d’une coordination avec un notaire français, la constitution d’un trust étranger ne risque-t-elle pas d’appeler un acte réitératif conforme aux exigences françaises ? Par ailleurs, quels justificatifs permettront le transfert de la propriété de l’immeuble du trustee au bénéficiaire ? Toutefois, l’article 13 de la convention, indiquant qu’« [a]ucun État n’est tenu de reconnaître un trust dont les éléments significatifs, à l’exception du choix de la loi applicable, du lieu d’administration et de la résidence habituelle du trustee, sont rattachés plus étroitement à des États qui ne connaissent pas l’institution du trust », ne suscitera-t-il pas l’hésitation du fonctionnaire dans le cas d’un trust qui ne porterait que (ou essentiellement) sur un immeuble français ?

13Le droit successoral pourrait être également un domaine suscitant des interrogations. Sur le plan de la loi applicable, le droit conféré au bénéficiaire d’un trust portant sur un immeuble en France doit-il relever du droit français de la situation de ce bien, ou bien constitue-t-il une créance personnelle à l’encontre du trustee et relevant dès lors du droit du dernier domicile du de cujus ? Présumer que la loi française serait compétente par renvoi du droit étranger (art. 34, Règl. (UE) 650/2012) serait postuler que les règles de droit international privé du droit régissant le trust portant sur un immeuble soumettent les questions de succession concernant ce trust au droit de la situation de l’immeuble. Par ailleurs, un trust étranger ne pourrait-il pas permettre de contourner la protection assurée par la réserve successorale ? La convention de la Haye précise certes qu’elle « ne fait pas obstacle à l’application des dispositions de la loi désignée par les règles de conflit du for lorsqu’il ne peut être dérogé à ces dispositions par une manifestation de volonté », impliquant que la reconnaissance du trust régie par un droit étranger ne pourrait remettre en cause la réserve (art. 15 c)). Mais le récent glissement de la rigueur d’une égalité minimale des héritiers à une protection de leur situation économique (Civ.1re, 27 sept. 2017, n° 16-13.151 et 16-17.198, D. 2017. 2185, note J. Guillaumé ; ibid. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 2384, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier ; AJ fam. 2017. 595, obs. A. Boiché ; ibid. 510, obs. A. Boiché ; ibid. 598, obs. P. Lagarde, A. Meier-Bourdeau, B. Savouré et G. Kessler ; Rev. crit. DIP 2018. 87, note B. Ancel ; RTD civ. 2017. 833, obs. L. Usunier ; ibid. 2018. 189, obs. M. Grimaldi ; RTD com. 2018. 110, obs. F. Pollaud-Dulian) ne remet-il pas en cause le caractère impératif, envisagé par la convention, de la réserve (sur « la nature de principe essentiel du droit français » qu’elle aurait, v. les interrogations de B. Ancel, préc., II B) ?

14Enfin, sur un plan économique, la reconnaissance en France des trusts étrangers ne risque-t-elle pas de favoriser l’organisation patrimoniale ou successorale par des avocats ou autres professionnels étrangers, aux dépens de la pratique des notaires français ?

15Ces quelques interrogations suscitées par certaines propositions du congrès ne peuvent qu’en suggérer la richesse et la diversité, et laisser deviner les chemins difficiles de leur aboutissement.

II – Nouvelles du Brexit

16Les convulsions parlementaires britanniques ne paraissent pas avoir atteint les textes négociés entre le Royaume-Uni et la commission européenne concernant la coopération juridictionnelle en matière civile et commerciale. Le projet du 17 octobre 2019 reprend les articles 66 à 69 de l’accord de novembre 2018. On notera notamment que le Règlements Rome I et Rome II resteraient applicables aux contrats conclus, et aux dommages survenus, avant la fin de la période de transition.

III – Mais l’Europe toujours…

17Le Règlement (UE) 650/2012 du 4 juillet 2012 (Règlement « successions ») autorise une partie à désigner la loi d’un état membre pour régir sa succession. Dans un tel cas, il peut être convenu que les tribunaux de cet État auront « compétence exclusive pour statuer sur toute succession » (art. 5). Cette formulation malhabile a été corrigée : le tribunal désigné a désormais compétence pour statuer sur « toute question concernant la succession » (JOUE L. 243, 23 sept. 2019, p. 9).

Mis en ligne sur Cairn.info le 30/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.194.1105
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