CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Attendu, selon les arrêts attaqués, que Mme F… X… V… a été inscrite sur les registres de l’état civil comme étant née le […] à Barcelone (Espagne) de Mme B… V… et de R… X…, qui l’a reconnue ; que celui-ci, de nationalité française, est décédé le […] ; que, les 28 octobre et 3 novembre 2010, M. O… X… et Mmes N… et P… X…, ses frère et sœurs, ont assigné Mmes B… V… et F… X… V… en contestation de sa reconnaissance de paternité à l’égard de Mme F… X… V… et aux fins d’expertise biologique ; que, le 11 mars 2011, Mme D… X…, autre sœur du défunt, est intervenue volontairement à l’instance ;

2Sur le premier moyen :

3Vu l’article 311-17 du code civil, ensemble l’article 3 du même code ;

4Attendu qu’aux termes du premier de ces textes, la reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en conformité, soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l’enfant ; qu’il en résulte que l’action en contestation d’une reconnaissance de paternité doit être possible tant au regard de la loi de l’auteur de celle-ci que de la loi de l’enfant et que la recevabilité de l’action doit être appréciée au regard des deux lois ; que, selon le second, il incombe au juge français, pour les droits indisponibles, de mettre en application la règle de conflit de lois et de rechercher le droit étranger compétent ;

5Attendu que, pour déclarer recevable l’action en contestation de la reconnaissance de paternité de R… X… et ordonner une expertise biologique, l’arrêt avant dire droit du 6 mai 2015 fait application des articles 334 et 321 du code civil qui permettent, à défaut de possession d’état conforme au titre, à toute personne qui y a intérêt, d’agir en contestation de paternité dans le délai de dix ans ;

6Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle constatait que Mme F… X… V… avait la nationalité espagnole, de sorte qu’il lui incombait de vérifier d’office si la contestation de reconnaissance paternelle était recevable au regard, non seulement de la loi de son auteur, mais également de la loi personnelle de l’enfant, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

7Et sur le second moyen, pris en sa première branche :

8Vu l’article 625 du code de procédure civile ;

9Attendu que la cassation, prononcée sur le premier moyen, de l’arrêt du 6 mai 2015, qui déclare recevable l’action en contestation de la reconnaissance de paternité, entraîne l’annulation, par voie de conséquence, de l’arrêt du 19 avril 2017, qui annule cette reconnaissance et dit que Mme F… X… V… n’est pas l’enfant de R… X… ;

10PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du second moyen :

11CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus les 6 mai 2015 et 19 avril 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse ;

12Du 15 mai 2019. Cour de cassation (1re ch. Civ.). Pourvoi n° 18-12.602. Mme Batut, prés., Mme Le Cotty, rapp., Mme Legoherel, av. gén., SCP Richard, SCP de Nervo et Poupet, av.

13Estampillé FS-P+B+I, l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 15 mai 2019 visant les articles 3 et 311-17 du code civil est promis à une large diffusion. Après plus de quarante ans de tergiversations jurisprudentielles et doctrinales, cette décision lève définitivement les incertitudes sur la loi applicable à l’action en contestation de reconnaissance de filiation. On ne peut que se féliciter de cet ultime éclaircissement qui vient clore un débat trop longtemps entretenu. Mais la solution étant maintenant acquise, ce sont ses mérites, et plus encore ses faiblesses, qui retiendront l’attention de la doctrine. Or, le système du rattachement cumulatif que consacre en définitive l’arrêt sous examen n’échappe pas à la critique, notamment parce qu’il risque d’enfermer l’enfant dans une filiation mensongère qu’il ne pourra faire tomber puisque prévaudra mécaniquement la loi la plus sévère. En l’espèce, cependant, l’enfant devenu adulte depuis bien longtemps a dû se féliciter de ce que sa loi nationale espagnole bloquait (semble-t-il) toute possibilité de faire tomber une paternité visiblement de complaisance lui permettant ainsi d’hériter de ce père providentiel au nez et à la barbe des frères et sœurs du défunt. Il lui importait donc grandement que cette loi fût prise en compte par les juges du fond et la Cour de cassation lui donne raison par l’interprétation qu’elle adopte de l’article 311-17 du code civil et le rappel de l’office incombant au juge français pour les droits indisponibles.

14Attardons-nous quelques instants sur les faits qui, dans ce type de contentieux très chargé affectivement, ne sont pas nécessairement anecdotiques. Mme F…, de nationalité espagnole, a été inscrite sur les registres de l’état civil comme étant née à Barcelone de Mme B. et de M. R., de nationalité française, qui l’a reconnue. Après le décès de ce dernier, les frères et sœurs du défunt agissent en contestation de la reconnaissance et demandent à cette fin une expertise biologique. Celle-ci n’a pas pu être diligentée, la défenderesse s’étant volontairement abstenue de déférer aux convocations des experts et de leur préciser sa nouvelle adresse. Mais ce défaut d’expertise n’empêcha pas les juges du fond de considérer qu’il existait un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes permettant de constater que la paternité du défunt ne correspondait pas à la réalité : non seulement il n’était pas allégué qu’il y ait eu possession d’état, mais celle-ci était en toute hypothèse démentie par plusieurs attestations ; ensuite le défunt avait dû être hospitalisé pour éthylisme et en avait conservé des séquelles faisant de lui une personne vulnérable et influençable ; enfin, après s’être présentée comme unique héritière, Mme F… avait immédiatement vendu l’immeuble situé en France dont elle venait d’hériter. La reconnaissance est donc annulée par la cour d’appel de Montpellier dans un arrêt du 19 avril 2017 faisant suite à celui avant dire droit du 6 mai 2015 déclarant recevable l’action en contestation de paternité établie par reconnaissance volontaire.

15Les deux arrêts sont cassés en toutes leurs dispositions. La Cour de cassation affirme que l’action en contestation de reconnaissance relève de l’article 311-17 du code civil et qu’il en résulte qu’une telle action doit être possible et recevable tant au regard de la loi de l’auteur de la reconnaissance que de la loi de l’enfant. En omettant de vérifier que la contestation de paternité naturelle était recevable au regard de la loi espagnole, loi personnelle de l’enfant, la cour d’appel a donc violé son office s’agissant d’un droit indisponible. Tandis que l’incertitude est levée sur l’applicabilité de l’article 311-17 du code civil à l’action en contestation de reconnaissance volontaire de filiation (I) et qu’une précision (incomplète) est donnée sur le champ d’application de cette disposition (II), le doute demeure sur la pertinence du rattachement cumulatif retenu (III).

I – La levée de l’incertitude

16La détermination de loi applicable à la contestation de reconnaissance a suscité une controverse dès l’adoption de la loi du 3 janvier 1972 introduisant des règles de conflit de lois en matière de filiation dans le code civil. Elle a porté sur l’articulation entre la règle de principe de l’article 311-14 soumettant les questions de filiation à la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant et la règle spéciale de l’article 311-17 dédiée uniquement à l’établissement volontaire de maternité ou de paternité et soumettant la validité de la reconnaissance à la loi personnelle de son auteur et/ou à la loi personnelle de l’enfant. Plus précisément, il s’est agi de savoir si l’article 311-17 devait s’appliquer à toute action visant à faire tomber une reconnaissance volontaire ou s’il fallait distinguer suivant qu’était attaquée la validité de la reconnaissance prise en sa dimension d’acte juridique, ou la véracité de la reconnaissance prise en sa dimension d’aveu de la filiation. Selon certains auteurs, il convenait d’adopter une approche dualiste maintenant l’action en contestation du lien de filiation sous l’empire de la règle de principe de l’article 311-14 et réservant l’article 311-17 aux actions relatives à la validité de l’acte juridique de reconnaissance d’enfant [1]. Le fait est que l’article 311-17 se réfère à « la validité de la reconnaissance volontaire » tandis que l’article 311-14 vise « la filiation » sans davantage de précision. Mais la majorité des auteurs a défendu une approche moniste et extensive de l’article 311-17 consistant à l’appliquer aussi bien à l’action en nullité de la reconnaissance qu’à celle en contestation de sa véracité.

17La jurisprudence de son côté a ajouté à la confusion. Tandis que les juges du fond hésitaient entre les deux approches, la Cour de cassation a clairement consacré la thèse moniste dans un arrêt du 6 juillet 1999 : « [l]’article 311-17 du code civil est applicable tant à l’action en nullité qu’à l’action en contestation de la reconnaissance » [2]. Dans ce cas, la règle de conflit énoncée sous une forme alternative pour valider la reconnaissance se mue en une règle de conflit cumulative pour anéantir la reconnaissance. Mais l’incertitude renaît avec un arrêt du 14 juin 2005 qui pouvait être interprété comme préconisant l’application de l’article 311-14 à l’action en contestation d’une reconnaissance [3]. La Cour de cassation crut mettre fin à l’incertitude engendrée par l’arrêt de 2005 en affirmant explicitement dans un arrêt du 15 mai 2013 « qu’étant saisie d’une action en contestation de reconnaissance de paternité de chacun des enfants, la cour d’appel n’avait pas à faire application de l’article 311-14 du code civil, partant à rechercher si cette action était ouverte par la loi personnelle de la mère de ceux-ci » [4]. Mais, la Cour n’en dit pas davantage et omet de vérifier que les juges avaient correctement mis en œuvre le rattachement cumulatif de l’article 311-17. L’arrêt de 2019 met un terme définitif à la discussion : l’article 311-17 du code civil s’applique à l’action en contestation de la reconnaissance et il doit dans ce cas être interprété a contrario.

18Notons que l’incertitude n’est toujours pas levée, en revanche, pour l’établissement de la filiation par reconnaissance. En effet, l’articulation entre les articles 311-14 et 311-17 a également provoqué un débat doctrinal sur le point de savoir si l’article 311-17 est une dérogation ou un complément à l’article 311-14 [5]. Si l’article 311-17 déroge à l’article 311-14, la reconnaissance ne peut être valable que selon la loi nationale de l’auteur de la reconnaissance ou selon celle de l’enfant, mais la loi nationale de la mère ne constitue pas une troisième option. Si l’article 311-17 complète l’article 311-14, il convient de s’assurer dans un premier temps que la reconnaissance ne pourrait être valable selon la loi nationale de la mère, pour rechercher dans un second temps si elle pourrait être admise selon la loi nationale du père (auteur de l’acte) ou de l’enfant : l’option n’est plus double mais triple [6]. Là encore, la jurisprudence est hésitante et un arrêt de principe de la Cour de cassation fait défaut. Un choix implicite en faveur de la thèse faisant de l’article 311-17 un complément de l’article 311-14 a pu être déduit de la combinaison de deux arrêts rendus le 14 avril 2010 et le 27 mai 2000 [7]. La jurisprudence des juges du fond semble pourtant fixée en sens contraire [8].

19La recherche d’une symétrie juridique entre l’établissement et la contestation de la filiation par reconnaissance devrait conduire à considérer que l’article 311-17 constitue une disposition autonome régissant à titre exclusif tous les litiges relatifs à la reconnaissance d’enfant. Autrement dit, le choix offert entre la loi de l’auteur de la reconnaissance et la loi de l’enfant serait limitatif et la loi nationale de la mère ne formerait pas une troisième alternative pour valider la reconnaissance. Cela étant, la nature des questions à régler pourrait justifier une dissymétrie des solutions : qu’une alternative entre trois lois soit offerte pour établir la validité d’une reconnaissance d’enfant se justifierait en application d’un principe de faveur à l’établissement de la filiation ; en revanche, faire intervenir la loi de la mère cumulativement avec celle du père et de l’enfant pour contester la reconnaissance serait inopportun car constituant un triple verrou enfermant l’enfant dans une filiation éventuellement mensongère alors qu’il pourrait avoir intérêt à la faire tomber. L’arrêt du 15 mai 2019 ne dénoue pas la difficulté s’agissant de l’établissement de la filiation, mais au moins a-t-il le mérite de clarifier (après plus de quarante ans !) que l’action en contestation d’une reconnaissance est, pour sa part, soumise à l’application exclusive de l’article 311-17. Une précision nous est de surcroît apportée sur le champ d’application de cette disposition.

II – Le champ d’application de l’article 311-17

20Cet arrêt présente un autre intérêt, relatif au domaine de l’article 311-17. Il indique en effet que la recevabilité de l’action en contestation de paternité relève des lois personnelles visées par ledit article. Cette précision est utile car s’agissant d’une question d’ordre procédural la lex fori aurait pu trouver un titre sérieux à s’y appliquer [9]. En l’espèce, les juges du fond avaient apprécié l’intérêt à agir et le délai pour agir des frères et sœurs du défunt en application de la loi française. Cette loi pouvait aussi bien avoir été appliquée comme loi de fond (loi nationale de l’auteur de la reconnaissance), que comme loi de procédure (lex fori), mais la lecture des moyens annexés à l’arrêt fait plutôt pencher pour une application de la loi française à titre de loi de procédure. En effet, dans son arrêt avant dire droit du 6 mai 2015, la cour d’appel a vérifié la recevabilité de l’action en contestation de paternité à l’aune des articles 334 et 321 du code civil sans mention d’une désignation de la loi française au titre de l’article 311-17. En qualifiant la recevabilité de l’action en contestation de la filiation de question de fond soumise à la lex causae, cet arrêt se situe dans le droit fil de celui rendu le 28 mars 2018 par la même chambre de la Cour de cassation. Elle y décide en effet que la loi de fond s’applique à la question de l’admissibilité des modes de preuve de la filiation [10]. La question de la recevabilité de l’action en contestation de reconnaissance appelait la même analyse en raison des liens très étroits qu’entretiennent en cette matière les considérations de fond et de procédure. Pour que la filiation de Mme F… puisse être contestée en justice par les frères et sœurs du défunt, il fallait donc qu’une telle action soit recevable tant au regard de la loi française, que de la loi espagnole. Or, les juges du fond n’avaient pas vérifié que le droit espagnol autorisait une telle action et s’étaient contentés de ce qu’elle fût recevable et bien fondée en droit français. La cour d’appel est ainsi sanctionnée pour n’avoir pas « vérifié d’office si l’action en contestation de reconnaissance paternelle était recevable au regard, non seulement de la loi de son auteur, mais également de la loi personnelle de l’enfant ». La cassation de l’arrêt du 6 mai 2015 par lequel les juges du fond avaient admis la recevabilité de l’action en contestation de la filiation, ne pouvait qu’entraîner par voie de conséquence la cassation de celui du 19 avril 2017 statuant sur le fond et écartant le lien de filiation.

21Le champ d’application de l’article 311-17 du code civil ne se limite pas au demeurant à la recevabilité de l’action en contestation de reconnaissance naturelle. En effet, dans son attendu de principe, la Cour de cassation indique qu’il résulte de l’article 311-17 que l’action en contestation doit également être « possible » au regard de ces mêmes lois personnelles. Or, il n’est pas aisé de saisir exactement ce qui est visé par le terme « possible ». S’agit-il simplement de s’assurer que les lois nationales de l’auteur de la reconnaissance et de l’enfant reconnu offrent les moyens juridiques d’anéantir le lien de filiation établi par la reconnaissance, que ce soit en apportant la preuve de sa nullité ou de son caractère mensonger ? Autrement dit, suffit-il que le droit de la famille dont ces lois relèvent n’interdise pas une telle action ? Ou est-ce à dire que l’action en contestation de la reconnaissance doive être bien fondée en application des deux lois personnelles en ce sens que l’une et l’autre feraient tomber la reconnaissance dans les exactes circonstances de l’espèce ? Le droit espagnol limiterait ainsi la possibilité de contester une reconnaissance de paternité au seul cas où il y a eu un vice du consentement [11]. Partant, la cour d’appel de renvoi devrait-elle vérifier que le consentement de l’auteur de la reconnaissance a été vicié au sens du droit espagnol pour faire tomber l’aveu de paternité qu’elle contient ? Après tout, parmi les indices retenus par les juges français pour annuler la reconnaissance figurait l’état de vulnérabilité de son auteur à l’époque de l’acte, mais cela suffit-il à prouver l’existence d’un vice du consentement au sens du droit espagnol ? Rien n’est moins sûr… La charge pour le juge et les parties apparaîtrait en tout cas bien lourde s’il fallait vérifier que la reconnaissance soit effectivement anéantie par les deux lois personnelles.

22L’autre façon de comprendre la référence à la possibilité d’une action en contestation de reconnaissance naturelle consiste à adopter l’interprétation de l’article 311-17 défendue par Pierre Mayer et Vincent Heuzé, selon laquelle le législateur a énoncé une règle substantielle qui ne fait qu’imposer la prise en considération, et non l’application, des lois personnelles de l’auteur et de l’enfant [12]. Ainsi, « un certain résultat (par exemple : le droit de divorcer, ou la constatation d’une paternité naturelle) n’est autorisé que si les lois désignées par ces rattachements en admettent toutes la possibilité » [13]. Il faudrait ainsi consulter les lois personnelles de l’auteur et de l’enfant pour s’assurer qu’elles admettent l’une et l’autre le principe d’une contestation de la filiation établie par la voie de reconnaissance. Mais, une fois cette vérification opérée et à supposer que la réponse soit affirmative, il ne semble plus guère possible de se dispenser de l’application d’une loi pour faire effectivement tomber (ou non) la reconnaissance. Or laquelle des deux lois personnelles mettre en œuvre lorsque, tout en admettant la possibilité d’une contestation de la reconnaissance, l’une l’admet plus largement que l’autre, ce qui pourrait correspondre à l’hypothèse du cas d’espèce avec un droit espagnol limitant aux seuls vices du consentement la possibilité de contester une reconnaissance de paternité ? Le choix d’un système de rattachement cumulatif exprimant une défaveur envers la contestation de la filiation établie par reconnaissance pourrait conduire à faire prévaloir l’application de la loi la plus sévère. Ce faisant, serait respecté le souhait supposé du législateur de limiter les cas où l’enfant se voit privé de sa filiation. Il est douteux au demeurant que cette solution restrictive satisfasse toujours l’intérêt de l’enfant.

III – Le doute persistant

23Les raisons de douter de la pertinence de l’approche cumulative de l’article 311-17 sont connues. En imposant que la loi personnelle du père prétendu et la loi personnelle de l’enfant déclarent recevable et possible (quel que soit le sens de cette expression) la contestation de reconnaissance naturelle, la Cour de cassation prend le risque d’enfermer l’enfant dans une filiation mensongère dont il ne pourra plus se dégager. Or, il est loin d’être certain que l’intérêt de l’enfant commande a priori que soit maintenu un lien de filiation mensonger, surtout si ce dernier constitue un obstacle à l’établissement de la véritable filiation de l’enfant. Cette approche est d’abord contestable au regard de l’importance grandissante accordée à la vérité biologique en droit français interne de la filiation depuis la réforme du 3 janvier 1972. Mais c’est surtout sa compatibilité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui interroge. En effet, dans un arrêt Mandet c/ France du 14 janvier 2016 [14], la Cour juge que l’intérêt supérieur de l’enfant est de voir sa filiation biologique reconnue même s’il a déjà une autre filiation paternelle établie et qu’il ne souhaite pas la voir remise en cause. La place de choix que la Cour européenne des droits de l’homme réserve à la vérité biologique apparaît aussi de façon saillante dans le traitement qu’elle réserve à la question de la gestation pour autrui puisque la possibilité pour l’enfant né d’une mère porteuse de faire établir la vérité de sa filiation paternelle constitue un aspect de son droit au respect de la vie privé garanti par l’article 8 de la Conv.EDH [15]. Dans ces conditions, il est parfaitement envisageable que l’enfant qui se trouve dans l’impossibilité de contester une filiation pour faire établir sa véritable filiation invoque son droit à l’identité fondé sur l’article 8 de la Conv.EDH.

24À vrai dire, une telle situation se prêterait particulièrement au contrôle de proportionnalité qui est devenu un incontournable en droit interne de la filiation [16]. L’élargissement du contrôle de proportionnalité aux affaires mettant en jeu les règles du droit international privé est parfaitement envisageable et serait probablement de nature à bouleverser les solutions établies [17]. Comme le remarque très justement Michel Farge [18], « en matière de contestation de reconnaissance, l’objet du contrôle [de proportionnalité] est singulier car l’ingérence dans le droit fondamental invoqué résulte de la conjonction de la règle de conflit française poursuivant la stabilité de la filiation et de la loi ou des lois désignées permettant d’atteindre cet objectif ». La mise à l’écart de la loi étrangère restrictive par le contrôle de proportionnalité s’apparenterait alors fortement au jeu de l’exception d’ordre public fondée sur une appréciation in concreto du résultat produit par la loi étrangère [19]. En effet, il y a lieu de penser qu’une loi étrangère interdisant toute contestation de la reconnaissance serait contraire à l’ordre public international, ne serait-ce que parce qu’interdire toute contestation revient à empêcher l’établissement ultérieur de la véritable filiation de l’enfant ce qui va à l’encontre d’un des principes fondamentaux de la loi du 3 janvier 1972 [20]. C’est d’ailleurs la solution retenue par la cour d’appel de Paris dans un arrêt récent où elle estime que le refus de principe opposé par la loi algérienne, loi personnelle de l’auteur de la reconnaissance, à la contestation de reconnaissance paternelle est contraire à la conception française de l’ordre public international « en ce qu’elle prive en l’espèce une femme française résidant sur le territoire français de toute possibilité de contester la reconnaissance d’un enfant de nationalité française qu’il [le père] a reconnu en France » [21]. On reconnait bien sûr ici la mise en œuvre de la théorie dite l’ordre public de proximité étendue par la cour d’appel de Paris à l’action en contestation de reconnaissance, alors qu’est toujours en question son maintien ou son abandon par la Cour de cassation dans les actions en établissement de la filiation naturelle lorsque la loi étrangère interdit un tel établissement [22]. Qu’il côtoie ou absorbe l’exception d’ordre public, le contrôle de proportionnalité finira bien de toute façon par se frayer un chemin en droit international privé et la théorie de l’ordre public de proximité, déclinaison contemporaine de l’ordre public, lui aura déjà préparé le terrain, sinon ouvert la voie. Or, le système du rattachement cumulatif consacré par la Cour de cassation pour contester la reconnaissance de filiation ne survivra pas à ce nouveau contrôle chaque fois qu’il apparaîtra que l’impossibilité pour l’enfant d’établir son lien de filiation biologique constitue une atteinte disproportionnée à son droit à connaître ses origines.

25Certes, la situation en l’espèce ne se présentait pas du tout sous cet angle puisque l’enjeu était exclusivement successoral, aussi bien du côté des frères et sœurs du défunt que du côté de la femme reconnue. Il ne s’agissait pas de contester la reconnaissance paternelle mensongère comme étape préliminaire à l’établissement de la véritable filiation, mais d’exclure un héritier indésirable de la succession du de cujus. Cette distinction selon que la contestation est ou non invoquée dans le but d’établir la filiation véritable forme, au demeurant, la base d’une proposition doctrinale défendant « une lecture cumulative nuancée de l’article 311-17 » [23]. Lorsque la contestation forme un préalable à l’établissement de la filiation véritable, alors seule la règle de conflit alternative devrait s’appliquer, et les deux questions, contestation et établissement, seraient régies par une loi unique, celle qui admet la reconnaissance ; en revanche, lorsqu’il ne s’agit comme en l’espèce que d’agir en contestation pour exclure la filiation, sans la remplacer par une autre, alors l’approche cumulative devrait se maintenir [24]. La solution, relativement simple à mettre en œuvre, aurait le mérite d’éviter des bouleversements trop importants. Rapportée au cas d’espèce, elle ne convainc pourtant pas pleinement. En effet, on ne peut s’empêcher de se demander si la politique législative de stabilisation du lien de filiation consistant à limiter autant que faire se peut les cas où l’enfant se voit privé de sa filiation se justifie encore lorsque l’enfant est devenu un adulte, que son lien de filiation paternelle apparaît dénué de tout consistance et que l’unique intérêt de le maintenir est purement patrimonial. À supposer, d’ailleurs, que le droit espagnol ne permette pas in fine d’anéantir la filiation paternelle, les frères et sœurs du défunt ne pourraient-ils invoquer une atteinte disproportionnée au droit au respect de leurs biens garanti par l’article 1er du protocole numéro 1 additionnel à la Conv. EDH ? En somme, on se perd en conjectures et finit par douter de chaque issue qui pourrait être offerte à ce litige car c’est le propre du contrôle de proportionnalité, empreint d’une forte casuistique, que d’altérer les méthodes de réglementation traditionnelles pour tenter d’offrir une réponse (adaptée ?) aux revendications individualistes grandissantes de nos sociétés. Un mal pour un bien ? Plutôt un abîme d’incertitudes qui s’ouvre devant nous et viendrait presque gâcher le plaisir qu’il ait été finalement mis un terme, avec l’arrêt du 15 mai 2019, à l’incertitude initiale sur l’application exclusive de l’article 311-17 à l’action en contestation de reconnaissance.

Notes

  • [1]
    V. not. J. Massip, D. 1976. 636.
  • [2]
    Civ. 1re, 6 juill. 1999, n° 97-19.453, JurisData n° 1999-002786 ; D. 1999. 483, concl. J. Sainte-Rose ; ibid. 2000. 162, obs. A. Bottiau ; Dr. fam. 2000. Comm.24, note H. Fulchiron ; LPA 2000, n° 36. 16, note J. Massip ; JCP 2000. II. 10353, note T. Vignal.
  • [3]
    Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 03-18.825, JurisData n° 2005-028928 ; D. 2005. 883 ; AJ fam. 2005. 328, obs. F. C. ; Defrénois 2005, art. 38278, p. 1851, J. Massip.
  • [4]
    Civ. 1re, 15 mai 2013, n° 11-12.569, D. 2013. 1208 ; ibid. 2014. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2013. 379, obs. C. Gatto ; Rev. crit. DIP 2014. 92, note E. Gallant ; RTD civ. 2013. 586, obs. J. Hauser ; JDI 2013. 1145, note J. Guillaumé ; RJPF sept.2013. 32, obs. T. Garé ; Dr. fam. 2013. Comm. 104, obs. C. Neirinck.
  • [5]
    Sur ce débat, v. E. Gallant, P. Bourel et H. Muir Watt, J.-Cl. Droit international, fasc. 548-10, n° 103 s.
  • [6]
    En ce sens v. P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, LGDJ, 11e éd., 2014, § 640, p. 453.
  • [7]
    V. M. Farge, Le quarante-sixième anniversaire des articles 311-14 et suivants du code civil, Dr. fam. 2018. Dossier 4, p. 18, spéc. p. 19, § 3 à 8 et les références jurisprudentielles des arrêts de 2000 et 2010, notes 8 et 9.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    V. déjà pour une affirmation de la compétence de la lex substantiae : Civ. 1re, 6 juill. 1999, préc.
  • [10]
    Civ. 1re, 28 mars 2018, n° 17-14.596, AJ fam. 2018. 297, obs. C. Roth ; Rev. crit. DIP 2018. 872, note S. Corneloup.
  • [11]
    Selon V. Mikalef-Toudic, Dalloz actualité, 21 juin 2019.
  • [12]
    Droit international privé, LGDJ, 11e éd., § 144-145, p. 112-113.
  • [13]
    Op. cit. § 145, p. 113.
  • [14]
    CEDH, 14 janv. 2016, n° 30955/12, Mandet c/ France, D. 2016. 257 ; ibid. 1966, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2016. 213, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2016. 331, obs. J. Hauser.
  • [15]
    CEDH, 26 juin 2014, n° 65192/11, Mennesson c/ France, AJDA 2014. 1763, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2014. 1797, et les obs., note F. Chénedé ; ibid. 1773, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 1806, note L. d’Avout ; ibid. 2015. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1007, obs. REGINE ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2014. 499, obs. B. Haftel ; ibid. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RDSS 2014. 887, note C. Bergoignan-Esper ; Rev. crit. DIP 2015. 1, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 144, note S. Bollée ; RTD civ. 2014. 616, obs. J. Hauser ; ibid. 835, obs. J.-P. Marguénaud.
  • [16]
    V. not. Civ. 1re, 21 nov. 2018, n° 17-21.095, JurisData n° 2018-019560 ; D. 2018. 2305 ; ibid. 2019. 64, entretien P.-Y. Gautier ; ibid. 505, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 663, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2019. 36, obs. M. Saulier ; RTD civ. 2019. 87, obs. A.-M. Leroyer ; Dr. fam. 2019. Comm. 28, note H. Fulchiron ; JCP 2019. 41, obs. M. Douchy-Oudot ; 7 nov. 2018, n° 17-25.938, JurisData 2018-019560 ; D. 2018. 2136 ; ibid. 2019. 505, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 663, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2018. 685, obs. J. Houssier ; RTD civ. 2019. 87, obs. A.-M. Leroyer ; Dr. fam. 2019. Comm. 27, H. Fulchiron ; sur ce contrôle, v. not. H. Fulchiron, Le contrôle de proportionnalité : questions de méthode, D. 2017. 656.
  • [17]
    S. Godechot-Patris, Le contrôle de proportionnalité devant la Cour de cassation – Quelles conséquences en droit international privé ?, in Mélanges en l’honneur de Bertrand Ancel, LGDJ, 2019. 767 ; notes sous Civ. 1re, 27 sept. 2017, n° 16-19.654, D. 2017. 2518, note J. Guillaumé ; ibid. 2018. 765, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2018. 41, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2018. 882, note D. Boden ; JDI 2018. 145. Comm. 11, S. Godechot-Patris.
  • [18]
    Note sous cet arrêt, Dr. fam. 2019, n° 9, comm. 190.
  • [19]
    Ibid.
  • [20]
    En ce sens, H. Fulchiron, note sous Civ. 1re, 16 juill. 1999, note préc.
  • [21]
    Paris, 14 mars 2017, n° 15/10552, Rép. Gén.
  • [22]
    V., en dernier lieu, Civ. 1re, 27 sept. 2017, réf. préc.
  • [23]
    M. Minois, Interrogations sur la pertinence de l’article 311-17 du code civil, note sous cet arrêt, réf. préc. ; comp. J. Hauser, S. Sana-Chaillé de Néré, M. Cresp (coord.) et M. Ho-Dac (coord.), Droit de la famille, Droits français, européen, international et comparé, Bruylant, 2018, n° 870.
  • [24]
    M. Minois, op. cit.
Français

Aux termes de l’article 311-17 du code civil, la reconnaissance volontaire de maternité ou de paternité est valable si elle a été faite en conformité, soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l’enfant ; il en résulte que l’action en contestation d’une reconnaissance de paternité doit être possible tant au regard de la loi de l’auteur de celle-ci que de la loi de l’enfant et que la recevabilité de l’action doit être appréciée au regard des deux lois ; il incombe au juge français, pour les droits indisponibles, de mettre en application la règle de conflit de lois et de rechercher le droit étranger compétent.

Christelle Chalas
Maître de conférences à l’Université de Lille – Membre du LERADP
Mis en ligne sur Cairn.info le 30/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.194.1039
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