CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les dispositions de l’article L. 8251-1 du même code font obstacle à ce que le nouveau titulaire d’un marché soit tenu, en vertu de dispositions conventionnelles applicables en cas de changement de prestataire de services, à la poursuite du contrat de travail d’un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France.

2Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 16 novembre 2017), que M. R…, ressortissant d’un État tiers à l’Union européenne, a été engagé en qualité d’employé polyvalent de restauration à compter du 26 mars 2010 par la société Api restauration sans être titulaire d’un titre de séjour l’autorisant à travailler ; qu’il a été affecté sur le site de la caisse régionale d’assurance-maladie de Bordeaux dont la société Api restauration a perdu le marché et qui a été repris par la société Compass Group France à compter du 1er janvier 2012 ; qu’à la suite du refus de cette dernière de le reprendre à son service, M. R… a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société Compass Group France ;

3Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :

4Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt de juger que son contrat de travail n’a pas été transféré auprès de la société Compass Group France et de le débouter en conséquence de toutes ses demandes dirigées contre cette société alors, selon le moyen :

51°/ que l’article 3 de la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 garantit le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprise ; qu’aux termes de l’article 2 d) de ladite directive, le travailleur est défini comme toute personne qui est protégée en tant que travailleur dans le cadre de la législation nationale sur l’emploi ; qu’il en résulte que la circonstance que les dispositions de l’article L. 8251-1 du code du travail, en vertu desquelles le salarié étranger employé irrégulièrement est assimilé à un salarié régulièrement engagé, ne prévoient pas expressément qu’il l’est au regard des obligations de l’employeur définies en matière de transfert de contrat de travail, ne fait pas obstacle à la protection du travailleur dont le contrat, même irrégulier, a été transféré ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé l’article L. 8252-1 du code du travail interprété à la lumière des dispositions de la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 ;

62°/ qu’en vertu de l’avenant n° 3 du 26 février 1986 relatif au changement de prestataires de services de la convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivités, une entreprise entrant dans le champ d’application de l’avenant qui se voit attribuer un marché précédemment confié à une autre entreprise entrant également dans le champ d’application dudit avenant est tenue de poursuivre les contrats de travail des salariés de niveau I, II, III, IV et V, employés par le prédécesseur pour l’exécution exclusive du marché concerné ; que l’obligation incombant au nouveau prestataire n’est subordonnée à aucune autre condition, restriction ou exclusion ; que la cour d’appel, tout en constatant que l’exposant était lié à un contrat de travail avec la société Api Restauration, a dit que son contrat de travail n’avait pas été transféré à la société Compass Group ; qu’en statuant comme elle l’a fait, quand l’exposant était lié à la société Api Restauration par un contrat de travail en cours à la date du changement de prestataire, qu’il n’était pas contesté, d’une part, que les deux entreprises entraient dans le champ d’application dudit avenant et, d’autre part, que le salarié, employé pour l’exécution exclusive du marché, appartenait aux catégories de personnel concernées par l’application de l’article 3 a) dudit avenant, ce dont il résultait que la société Compass Group était tenue de poursuivre le contrat du salarié qui était en cours à la date du changement de prestataire, la cour d’appel a violé l’article 3 de l’avenant n° 3 du 26 février 1986 relatif au changement de prestataires de services de la convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivités, les articles L. 8251-1, L. 8252-1 et L. 8252-2 du code du travail ;

7Mais attendu, d’abord, qu’il résulte des dispositions combinées des articles L. 8251-1 et L. 8252-1 du code du travail qu’un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France n’est pas assimilé à un salarié régulièrement engagé au regard des règles régissant le transfert du contrat de travail ;

8Attendu, ensuite, que les dispositions de l’article L. 8251-1 du même code font obstacle à ce que le nouveau titulaire d’un marché soit tenu, en vertu de dispositions conventionnelles applicables en cas de changement de prestataire de services, à la poursuite du contrat de travail d’un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France ;

9Et attendu qu’ayant constaté que le salarié ne détenait pas un titre de séjour l’autorisant à travailler à la date du changement de prestataire de services, la cour d’appel a exactement décidé que l’entreprise entrante n’était pas tenue de poursuivre le contrat de travail de l’intéressé en application des dispositions de l’avenant n° 3 du 26 février 1986 relatif au changement de prestataires de services de la convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivités du 20 juin 1983 ;

10D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

11Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les troisième, quatrième et cinquième branches du moyen, ci-après annexé, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

12Par ces motifs :

13Rejette le pourvoi ;

14Du 17 avril 2019 - Cour de cassation (Soc.) - Pourvoi n° 18-15321 - M. Cathala, prés. - SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, SCP L. Poulet-Odent, av.

151. La chambre sociale de la Cour de cassation poursuit avec opiniâtreté, dans l’arrêt commenté, destiné qui plus est à la publication, son œuvre conduisant à priver le travailleur sans titre de travail de la plupart des droits accordés aux travailleurs bénéficiaires du précieux sésame. Après la privation de la protection accordée aux travailleurs titulaires d’un mandat électif ou syndical [1] de la protection résultant de l’entretien préalable et de l’assistance d’un conseiller du salarié [2] puis de la protection résultant de l’état de grossesse [3], ce sont, dans l’arrêt commenté, les règles applicables au transfert du contrat de travail dont est privé le salarié ne disposant pas d’une autorisation de travail [4]. À vrai dire, si la solution de l’espèce n’est guère surprenante compte tenu des textes, elle s’insère dans un ensemble convergent et permet de s’interroger de façon plus générale sur le traitement des travailleurs étrangers.

162. En l’espèce, le salarié, ressortissant d’un État tiers à l’Union européenne, a été engagé en qualité d’employé polyvalent de restauration à compter du 26 mars 2010 par la société Api restauration sans être titulaire d’un titre de séjour l’autorisant à travailler. La société Api restauration a perdu fin 2011 le marché du site de la caisse régionale d’assurance-maladie de Bordeaux où était affecté le salarié, et le marché a été repris par la société Compass Group France à compter du 1er janvier 2012. Cette dernière a refusé de reprendre le salarié à son service au motif qu’il ne disposait pas d’un titre régulier de travail. Le salarié a alors saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société Compass Group France. Débouté de ses demandes le salarié forma un pourvoi en cassation fondé à la fois sur la directive européenne n° 2001/23/CE du 12 mars 2001 en ce qu’elle garantit le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprise et sur l’avenant n° 3 du 26 février 1986 relatif au changement de prestataires de services de la convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivités, obligeant le nouveau prestataire à poursuivre les contrats de travail des salariés employés par son prédécesseur. En 2013, le salarié obtient sa régularisation et bénéficie d’un titre de séjour l’autorisant à travailler.

173. La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi aux motifs qu’il résulte des dispositions combinées des articles L. 8251-1 et L. 8252-1 du code du travail qu’un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France n’est pas assimilé à un salarié régulièrement engagé au regard des règles régissant le transfert du contrat de travail. Les dispositions de l’article L. 8251-1 du même code feraient obstacle à ce que le nouveau titulaire d’un marché soit tenu, en vertu de dispositions conventionnelles applicables en cas de changement de prestataire de services, à la poursuite du contrat de travail d’un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. Ainsi, comme ce salarié ne détenait pas un titre de séjour l’autorisant à travailler à la date du changement de prestataire de services, l’entreprise entrante n’était pas tenue de poursuivre le contrat de travail de l’intéressé en application des dispositions de l’avenant n° 3 du 26 février 1986 relatif au changement de prestataires de services de la convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivités du 20 juin 1983. Si l’arrêt donne très clairement priorité aux règles relatives à la police des étrangers et donc au statut administratif de l’étranger sur les droits des travailleurs (I), il semble en revanche ne pas tenir compte du comportement ou de la bonne ou mauvaise foi de l’employeur ou du salarié se limitant à une analyse totalement in abstracto (II).

I – Prédominance du statut administratif sur les droits des travailleurs

184. On sait que le travailleur étranger muni d’une autorisation de travail se voit globalement protégé au même titre que les travailleurs français en vertu du principe de l’égalité de traitement [5]. Cette égalité de traitement découle de textes internationaux comme certaines conventions de l’OIT, notamment la Convention n° 97 adoptée le 1er juillet 1949 [6] et la Convention n° 111 du 25 juin 1958 [7], et est affirmée dans l’article article 19, 4°, de la Charte sociale européenne révisée signée le 3 mai 1996 [8]. Les ressortissants européens doivent bien sûr être mis à part puisqu’ils bénéficient de l’égalité de traitement et ont accès au marché du travail sans qu’aucune autorisation de travail ne puisse être exigée, en vertu des libertés de circulation qui constituent la colonne vertébrale du droit européen.

195. La situation est bien différente concernant le travailleur ressortissant d’un État tiers non muni d’une autorisation de travail [9]. L’article L. 8251-1 du code du travail rend en effet illicite l’emploi d’un étranger sans titre l’autorisant à travailler en disposant : « Nul ne peut directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France ». Pour autant, ce travailleur est en principe assimilé, du point de vue du droit du travail, à un travailleur régulièrement employé en vertu des articles L. 8252-1 et L. 8252-2 du code du travail. Cette solution qui confère ainsi des droits au travailleur sans autorisation de travail permet donc en théorie de protéger ces travailleurs, au même titre que les autres, « en tant que travailleur », et d’éviter que des employeurs peu scrupuleux fassent appel à cette main-d’œuvre précisément en raison de son absence de droits. Malgré ce principe, la Chambre sociale de la Cour de cassation n’entend pas généraliser cette assimilation du travailleur sans autorisation de travail à celui qui en est muni. Il faut dire que l’article L. 8252-1 n’est pas formulé de façon générale mais fixe une liste d’hypothèses dans lesquelles le salarié doit être assimilé à un travailleur muni d’une autorisation de travail. Sont ainsi mentionnées les dispositions relatives aux périodes d’interdiction d’emploi prénatal et postnatal et à l’allaitement, les dispositions relatives à la durée du travail, au repos et aux congés, les dispositions relatives à la santé et la sécurité au travail et celles relatives à la prise en compte de l’ancienneté dans l’entreprise.

206. Les autres dispositions du code du travail ne sont pas visées par le texte et notamment pas celles relatives au transfert d’entreprise litigieux en l’espèce. Une interprétation de l’étendue de l’obligation d’assimilation pouvait ainsi être justifiée et il s’agissait en somme de savoir si malgré l’interdiction d’employer un travailleur sans papiers posée par l’article L. 8251-1, certains droits non mentionnés dans la liste de l’article L. 8252-1 peuvent être accordés au salarié qui se trouve dans cette situation. La Cour de cassation s’y emploie et décide que le transfert du contrat de travail en cas de transfert d’entreprise ne fait pas partie des hypothèses dans lesquels le travailleur sans autorisation est assimilé au travailleur muni d’une autorisation. Ce faisant elle s’en tient à la liste énoncée par la loi. Ainsi, la nullité, voire l’inexistence, du contrat de travail en raison de la situation administrative du salarié ; vicie l’ensemble de la relation de sorte que seuls les droits expressément mentionnés par l’article L. 8252-1 peuvent être, de façon en quelque sorte exceptionnelle, accordés. L’argumentation du pourvoi toutefois ne visait pas les seuls textes du code du travail mais leur interprétation à la lumière du droit européen tout d’abord et au regard d’une convention collective ensuite. Aucun des arguments n’emporte pourtant l’adhésion de la Cour.

217. Le pourvoi invoquait tout d’abord l’article 3 de la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements, qui garantit le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprise et l’article 2, d), de la directive qui définit le travailleur comme « toute personne qui est protégée en tant que travailleur dans le cadre de la législation nationale sur l’emploi ». Le salarié sans titre étant protégé en tant que travailleur par l’article L. 8252-1 du code du travail, il semblait que la directive pouvait permettre le maintien de ses droits en cas de transfert d’entreprise, quand bien même le texte national ne prévoyait pas cette possibilité dès lors qu’il ne l’excluait pas expressément. Pour évincer cette solution, la Cour de cassation prend le problème en amont, c’est-à-dire au moment de la qualification. Selon elle (mais la réponse est laconique), la protection au moment du transfert prévue par la directive suppose un travailleur protégé en tant que travailleur par le droit national, ce qui n’est pas le cas du travailleur sans titre au regard des règles régissant le transfert du contrat. Le travailleur non muni d’une autorisation de travail « n’est pas assimilé à un salarié régulièrement engagé » dans cette hypothèse. Il ne rentre donc pas dans la définition donnée par l’article 2, d), de la directive et ne peut bénéficier du maintien de ses droits prévu par le texte européen. Cette argumentation apparaît par ailleurs conforme à la jurisprudence de la Cour de justice, qui considère que « l’existence ou non d’un contrat ou d’une relation de travail à la date du transfert doit être appréciée en fonction du droit national, sous réserve, toutefois, que soient respectées les règles impératives de la directive relatives à la protection des travailleurs contre le licenciement du fait du transfert » [10]. Il revient ainsi au droit national de dire si le contrat de travail existe bien au moment du transfert et de s’assurer que le licenciement n’est pas lié au transfert. Le transfert n’étant en l’espèce que l’occasion du licenciement et non sa cause, la restriction posée par la Cour de Justice ne paraît pas pouvoir être utilisée. De la sorte, la nullité ou l’inexistence du contrat évoquée plus haut, qui découle de l’absence d’autorisation de travail, rend le contrat sans effets, fait sortir le travailleur du champ d’application de la directive et lui retire tous ses droits (hormis ceux mentionnés dans le code du travail).

228. Le second argument invoqué par le salarié repose sur l’avenant n° 3 de la convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivités qui prévoit « sans aucune condition d’application » précise le pourvoi, c’est-à-dire sans faire référence à une condition relative à l’existence d’un titre de travail, l’obligation pour l’entreprise entrante de poursuivre les contrats de travail des salariés employés par son prédécesseur pour l’exécution exclusive du marché concerné. L’invocation de la convention collective permettant un transfert conventionnel du contrat était rendue nécessaire par l’inapplicabilité de l’article L. 1224-1 du code du travail (prévoyant un transfert légal d’employeur) au changement d’employeur dans l’hypothèse d’une cession de marché [11]. Il ne prospère toutefois pas plus que le premier argument en raison du même motif, celui de l’absence de l’autorisation de travail qui, analysée en tout premier lieu, empêche l’application des dispositions protectrices. Ainsi, le raisonnement tenu par la Cour de cassation repose dans les deux cas sur l’idée que le contrat de travail est nul, voire inexistant, de sorte qu’aucun des droits prévus par les textes ne peuvent lui être adossés [12].

239. Très clairement, au fil des arrêts, la Chambre sociale de la Cour de cassation établit une stricte hiérarchie entre les dispositions protectrices du travailleur et celles relatives à la régularité du titre autorisant ce dernier à travailler. Ce sont ces dernières qui se trouvent placées au sommet de la pyramide, au détriment des objectifs de protection du salarié. Ainsi que l’a noté un auteur, la Cour de cassation distingue « l’ordre public fondamental, qui irrigue le droit des étrangers, de l’ordre public social, qui justifie les dispositions protectrices invoquées par les salariés. Pour la Haute juridiction, le premier doit toujours supplanter le second. » [13]. Cette solution paraît formellement se justifier au regard de l’irrégularité congénitale formulée par l’article L. 8251-1. Il est toutefois loin d’être certain qu’elle soit à même de poursuivre l’objectif des textes qui est de lutter efficacement contre le travail clandestin puisqu’elle facilite in fine la possibilité de se défaire d’un travailleur sans papiers là où le travailleur en général (national, européen, ou muni d’une autorisation de travail) est protégé par la loi.

II – Indifférence à l’analyse concrète des situations

2410. Cette solution est d’autant plus frappante qu’elle est complétée par une analyse purement abstraite des situations juridiques des intéressés, salarié et employeur, qui ne tient compte ni de leur comportement ni de leurs intentions. On sait que, si l’absence d’autorisation de travail a des conséquences pour le salarié, elle en a également pour l’employeur [14]. En effet, l’emploi d’étrangers sans titre visé à l’article L. 8251-1 du code du travail constitue une infraction au même titre que le travail dissimulé (C. trav., art. L. 8221-1), qui est constituée dès lors que l’employeur n’a pas déclaré un salarié aux organismes sociaux ou n’a pas établi de bulletin de paie.

2511. La question du comportement de l’employeur et de sa connaissance ou non de la situation du salarié, c’est-à-dire de sa bonne ou mauvaise foi, devrait donc être examinée. Concernant les droits du travailleur sans titre de travail, il est admis que leur bénéfice est acquis au travailleur, sous la réserve vue dans la première partie, quelle que soit la connaissance par l’employeur de la situation du salarié. Les droits du salarié sont donc les mêmes que l’employeur ait connu la situation administrative irrégulière ou non. Cette solution, comme on l’a vu plus haut, vise à protéger les salariés, y compris lorsqu’ils sont en situation irrégulière [15].

2612. De la même façon, semble-t-il, la connaissance par l’employeur de la situation irrégulière du salarié est indifférente lorsque, comme en l’espèce, le statut protecteur ne lui est pas accordé, c’est-à-dire lorsque les droits litigieux (ici le transfert de contrat) ne font pas partie de ceux pour lesquels le travailleur est assimilé à un travailleur muni d’une autorisation de travail. Pourtant, la loi fait obligation à l’employeur de vérifier la régularité de la situation administrative du travailleur étranger [16]. On aurait pu légitimement penser qu’au regard de cette obligation faite à l’employeur ce dernier devrait subir les conséquences de son non-respect dans ses relations avec le salarié. Or, si des sanctions existent concernant l’emploi d’un travailleur sans titre de travail, elles relèvent du droit pénal et du droit administratif [17]. L’éventuelle mauvaise foi de l’employeur – qui existait en l’espèce puisque l’employeur initial était au courant de la situation du salarié – qui embauche un salarié dépourvu d’autorisation de travail n’a aucune incidence sur le contrat de travail lui-même et sur les relations entre l’employeur et le travailleur. Ainsi, aucune analyse in concreto de la situation n’a lieu et la réponse de la Cour de cassation, formulée de façon très générale, insiste sur le vice congénital du contrat de travail, sa nullité liée à la situation administrative du salarié au regard de la législation sur la police des étrangers conduisant à l’absence de droits pour le salarié. La solution était identique dans le litige concernant le licenciement de la salarié enceinte [18], puisque cette dernière disposait bien en réalité à la date de son licenciement d’un titre de séjour « vie privée vie familiale » l’autorisant à travailler, même si elle s’était vu refuser entre temps une autorisation de travail.

2713. Enfin, le comportement du salarié lui-même n’est pas plus pris en compte. Certains éléments relevés dans les moyens du pourvoi auraient pu attester d’une certaine mauvaise foi de sa part, notamment par l’utilisation de faux papiers au moment de l’embauche. Inversement, la plupart du temps, le salarié n’a commis aucune fraude et cherche seulement à assurer sa subsistance en travaillant, parfois en bénéficiant initialement d’une autorisation de travail en bonne et due forme. Cet élément n’a aucune incidence sur la situation du travailleur alors même que l’on sait à quel point cette situation administrative peut être relative et contingente. L’actualité récente a fait état des difficultés extrêmes rencontrées par les étrangers pour obtenir simplement un rendez-vous en vue de renouveler leurs titres de séjour ou de travail, les plaçant, pour cette seule raison « d’agenda », dans des situations irrégulières. Ainsi, en l’espèce, le travailleur a-t-il été finalement régularisé en 2013 par l’octroi d’un titre de séjour l’autorisant à travailler. De même, dans l’arrêt relatif au licenciement de la femme enceinte, cette dernière n’était pas en situation irrégulière puisqu’elle était en possession, constatée par les juges du fond, d’un récépissé de sa demande de titre « vie privée et familiale » qui l’autorisait à travailler [19]. Tout ceci reste sans incidence sur les décisions qui ont été prises et c’est donc une analyse totalement abstraite qui est à l’œuvre dans la jurisprudence de la Chambre sociale.

2814. Dans l’hypothèse de l’espèce, la solution de l’arrêt protège sans doute légitimement le repreneur du marché. L’article L. 8251-1, tel qu’interprété par la Cour de cassation, pose en effet l’interdiction absolue de garder à son service un salarié sans autorisation de travail, ce qui fait obstacle à ce que le nouveau titulaire du marché soit tenu à la poursuite du contrat de travail. Cette solution peut apparaître justifiée au regard du « nouvel » employeur. Elle est sans doute plus contestable concernant l’employeur initial, qui a laissé la situation se développer et a profité du travail du salarié. Or, la Cour de cassation ne mentionne pas cet employeur et les éventuelles obligations qui pèseraient sur lui et pourraient contrebalancer la rigueur de la décision.

2915. En conclusion et pour faire écho au questionnement de deux auteurs [20] se demandant si « une salariée étrangère enceinte est d’abord une étrangère ou d’abord une femme enceinte », on pourra confirmer ici que le travailleur sans titre de travail est, aux yeux de la chambre sociale de la Cour de cassation, avant tout un étranger sans papiers et non un travailleur digne de protection, et s’alarmer avec eux de ce que « en ajoutant de la précarité à la précarité elle favorise, finalement, l’exploitation de cette main-d’œuvre asservie » [21].

Notes

  • [1]
    Soc. 10 oct. 1990, n° 88-43.683 ; 5 nov. 2009, n° 08-40.923 et pour la jurisprudence du Conseil d’État : CE 13 avr. 1988, n° 74346, Informatis, Lebon ; 9 déc. 1991, n° 109264, Lebon ; 19 juin 1996, n° 139752, Lebon.
  • [2]
    Soc. 29 janv. 2008, n° 06-44.983, Bull. civ. V, n° 27 ; D. 2008. 554.
  • [3]
    Soc. 15 mars 2017, n° 15-27.928, JCP 2017, act. 376, obs. Hablot ; D. 2017. 1511, note P. Henriot et K. Parrot ; ibid. 2018. 313, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; Dr. soc. 2017. 566, obs. J. Mouly ; C. Wolmark, « Pas de protection pour les femmes enceintes étrangères démunies d’un titre de travail », SSL, n° 1771, 2017 ; Dalloz actualités, 25 avr. 2017, obs. Roussel.
  • [4]
    Sur l’arrêt v. déjà Dalloz actualités, 27 mai 2019, obs. W. Fraisse ; Dr. soc. 2019. 660, note J. Mouly ; Rev. trav. 2019. 740, note F Jault-Seseke.
  • [5]
    C. Wolmark, Rép. Dalloz Droit du travail, Travailleur étranger, n° 315 s. et nos 698.
  • [6]
    Décr. n° 54-794 du 4 août 1954, JO 7 août.
  • [7]
    Décr. n° 82-726 du 17 août 1982, JO 22 août.
  • [8]
    Décr. n° 2000-110 du 4 févr. 2000, JO 12 févr.
  • [9]
    V. F Jault-Seseke, S. Corneloup, et S. Barbou des Places, Droit de la nationalité et des étrangers, PUF, 2015, spéc. n° 685 s. ; C. Wolmark, Rép. Dalloz Droit du travail, Travailleur étranger, nos 342 s.
  • [10]
    CJCE, 15 juin 1988, aff. C-101/87, Bork International e.a., D. 1989. Somm. 165, obs. A. Jeammaud ; CJUE, 15 sept. 2010, aff. C-386/09, J. Briot, RTD eur. 2013. 397, obs. S. Robin-Olivier concernant le travailleur précaire. V. égal. les développements de F. Jault-Seseke, Rev. trav. 2019. 740, préc.
  • [11]
    Cass., ass. plén., 15 nov. 1985, n° 82-40.301, Bull. ass. plén., n° 7 ; JCP 1986. II. 20705, note O. Flécheux et M. Bazex.
  • [12]
    Sur l’évolution d’un raisonnement en termes de nullité à un raisonnement en termes de licenciement concernant la rupture du contrat suite à la perte de l’autorisation de travail, v. C. Wolmark, Rép. Dalloz, préc., spéc. n° 351 s.
  • [13]
    J. Mouly, Dr. soc. 2017. 566, préc. ; v. égal., C. Wolmark, Pas de protection pour les femmes enceintes étrangères démunies d’un titre de travail, SSL, n° 1771, 2017 qui souligne que « le droit du travail sort rarement indemne des rencontres qu’il peut faire avec le droit de l’immigration ».
  • [14]
    V. F Jault-Seseke, S. Corneloup, et S. Barbou des Places, Droit de la nationalité et des étrangers, préc., spéc. n° 687 et n° 688 s.
  • [15]
    C. Wolmark, Rép. Dalloz, préc., spéc. n° 344.
  • [16]
    L’art. L. 5221-8 du C. trav. fait peser sur l’employeur une obligation de vérifier auprès des administrations territorialement compétentes « l’existence du titre autorisant l’étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi par l’institution mentionnée à l’article L. 5312-1 ».
  • [17]
    Pour ce dernier : contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue par l’art. L. 626-1 CESEDA et contribution spéciale prévue par l’art. L. 8253-1 du C. trav.
  • [18]
    Soc. 15 mars 2017, n° 15-27.928, préc.
  • [19]
    En ce sens, D. 2017. 1511, préc.
  • [20]
    P. Henriot, et K. Parrot, D. 2017. 1511, préc.
  • [21]
    Ibid.
Français

Il résulte des dispositions combinées des articles L. 8251-1 et L. 8252-1 du code du travail qu’un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France n’est pas assimilé à un salarié régulièrement engagé au regard des règles régissant le transfert du contrat de travail.

Mots-clés

  • EMPLOI
  • Travailleurs étrangers
  • Emploi illicite
  • Changement de prestataire de services
  • Effets
  • Poursuite du contrat de travail par l’entreprise entrante en vertu de dispositions conventionnelles
  • Exclusion
  • Portée
Mis en ligne sur Cairn.info le 30/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.194.1031
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