CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1[…]

2Sur les questions préjudicielles

3Sur la recevabilité

426. Il convient de constater, à titre liminaire, que la juridiction de renvoi est saisie non pas d’une demande en divorce, mais d’une demande de reconnaissance d’une décision de divorce rendue par une autorité religieuse dans un État tiers.

527. La Cour a déjà jugé que la reconnaissance d’une décision de divorce rendue dans un État tiers ne relève pas du droit de l’Union dès lors que, ni les dispositions du règlement n° 1259/2010, ni celles du règlement n° 2201/2003, ni aucun autre acte juridique de l’Union ne sont applicables à une telle reconnaissance (v., en ce sens, ordonnance du 12 mai 2016, Sahyouni, C-281/15, EU:C:2016:343, points 22 et 23).

628. Toutefois, il ressort d’une jurisprudence bien établie de la Cour que l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union peut s’avérer pertinente dans les cas où, même si les faits au principal ne relèvent pas directement du droit de l’Union, les dispositions de ce droit ont été rendues applicables par la législation nationale, laquelle s’est conformée, pour les solutions apportées à des situations dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre, à celles retenues par le droit de l’Union (v., en ce sens, arrêt du 15 nov. 2016, Ullens de Schooten, C-268/15, EU:C:2016:874, point 53 et jurisprudence citée).

729. À cet égard, la juridiction de renvoi relève que, en vertu du droit allemand, le règlement n° 1259/2010 s’applique à la reconnaissance en Allemagne des divorces privés prononcés dans un État tiers, tels que notamment celui en cause au principal.

830. En particulier, il ressort des informations fournies par cette juridiction ainsi que des observations du gouvernement allemand que, en vertu du droit allemand, la reconnaissance des divorces prononcés dans un État tiers est effectuée dans le cadre de la procédure prévue à l’article 107 du FamFG. Conformément à cette disposition, la reconnaissance des décisions d’une juridiction ou d’une autorité étatiques étrangères prononçant un divorce de manière constitutive est accordée en l’absence de tout examen de leur légalité, alors que la reconnaissance des divorces privés est subordonnée au contrôle de leur validité au regard du droit matériel de l’État désigné par les règles de conflit de lois pertinentes.

931. À ce dernier égard, il est précisé que, avant l’entrée en vigueur du règlement n° 1259/2010, le droit matériel applicable au divorce était déterminé par la règle de conflit de lois prévue à l’article 17 de l’EGBGB, dans sa version en vigueur jusqu’au 28 janvier 2013. Avec l’entrée en vigueur de ce règlement, le législateur allemand, partant de la prémisse selon laquelle ledit règlement était également applicable aux divorces privés, a considéré que l’examen de la validité d’un divorce privé prononcé dans un État tiers, aux fins de sa reconnaissance en Allemagne, devait être effectué désormais au regard du droit de l’État déterminé par les règles de conflit de lois fixées par le règlement n° 1259/2010.

1032. Aussi, par la loi adaptant le droit international privé au règlement n° 1259/2010 et modifiant d’autres dispositions du droit international privé, le législateur allemand a modifié l’article 17, § 1, de l’EGBGB et supprimé la règle de conflit de lois y figurant et qui était devenue obsolète. Ainsi, en vertu de la pratique juridique allemande, depuis l’entrée en vigueur du règlement n° 1259/2010, aux fins de la reconnaissance en Allemagne d’un divorce privé prononcé dans un État tiers, les conditions de fond auxquelles doit satisfaire un tel divorce sont examinées au regard du droit de l’État déterminé sur le fondement de ce règlement.

1133. Cela étant, ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, s’il s’avérait que le règlement n° 1259/2010 ne s’applique pas aux divorces privés, le litige dont elle est saisie devrait être tranché sur la base des règles de conflit allemandes.

1234. Par conséquent, il y a lieu de considérer que les conditions énoncées par la jurisprudence citée au point 28 du présent arrêt sont satisfaites et que, dès lors, les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi sont recevables.

13Sur la première question

1435. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er du règlement n° 1259/2010 doit être interprété en ce sens qu’un divorce résultant d’une déclaration unilatérale d’un des époux devant un tribunal religieux, tel que celui en cause au principal, relève du champ d’application matériel de ce règlement.

1536. Afin de répondre à cette question, il convient d’interpréter cette disposition, qui définit le champ d’application matériel de ce règlement, en tenant compte non seulement de ses termes mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (v., en ce sens, arrêt du 11 juill. 2013, Csonka e.a., C-409/11, EU:C:2013:512, point 23 et jurisprudence citée).

1637. S’agissant, en premier lieu, des termes de l’article 1er du règlement n° 1259/2010, cet article se borne à indiquer, à son paragraphe 1, que ce règlement s’applique, dans les situations impliquant un conflit de lois, au divorce et à la séparation de corps. À son paragraphe 2, cet article énumère les questions qui sont exclues du champ d’application du même règlement, « même si elles ne sont soulevées qu’en tant que questions préalables dans le cadre d’une procédure de divorce ou de séparation de corps ». Le libellé dudit article ne fournit donc aucun élément utile pour définir la notion de « divorce » au sens de celui-ci.

1738. S’agissant, en deuxième lieu, du contexte dans lequel s’insère l’article 1er du règlement n° 1259/2010, tout d’abord, il y a lieu de relever qu’aucune autre disposition de ce règlement ne fournit de définition de la notion de « divorce » au sens de celui-ci. En particulier, l’article 3 dudit règlement se borne à définir les notions d’« État membre participant » et de « juridiction », cette dernière devant être comprise comme visant « toutes les autorités des États membres participants compétentes ».

1839. Ensuite, s’il est vrai que les divorces privés ne sont pas explicitement exclus du champ d’application du règlement n° 1259/2010, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 60 de ses conclusions, les références à l’intervention d’une « juridiction » et à l’existence d’une « procédure », figurant dans plusieurs dispositions de ce règlement, telles que l’article 1er, § 2, l’article 5, § 2 et 3, les articles 8 et 13, ainsi que l’article l8, § 2, dudit règlement, mettent en évidence que ce dernier vise exclusivement les divorces prononcés soit par une juridiction étatique soit par une autorité publique ou sous son contrôle. Du reste, le fait que l’article 18, § 1, du même règlement mentionne les « actions judiciaires » conforte cette considération.

1940. Enfin, aux termes du considérant 10 du règlement n° 1259/2010, le champ d’application matériel et les dispositions de celui-ci devraient être cohérents par rapport au règlement n° 2201/2003.

2041. Or, conformément à l’article 1er, § 1, sous a), de ce dernier règlement, celui-ci « s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction […] au divorce ». Quant à l’article 2, point 4, dudit règlement, il définit la notion de « décision » au sens du même règlement comme visant, notamment, « toute décision de divorce […] rendue par une juridiction d’un État membre, quelle que soit la dénomination de la décision, y compris les termes “arrêt”, “jugement” ou “ordonnance” ».

2142. Il ne serait pas cohérent de définir de manière différente le même terme de divorce employé dans ces deux règlements et, partant, de faire diverger leurs champs d’application respectifs.

2243. À ce dernier égard, il importe de rappeler que tant le règlement n° 1259/2010 que le règlement n° 2201/2003 ont été adoptés dans le cadre de la politique de coopération judiciaire en matière civile. Il ressort en outre des observations de la Commission que celle-ci avait même envisagé, dans la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement n° 2201/2003 en ce qui concerne la compétence et instituant des règles relatives à la loi applicable en matière matrimoniale [COM(2006) 399], d’insérer dans le règlement n° 2201/2003 les règles de conflit de lois en matière de divorce, mais que, cette proposition n’ayant pas abouti, ces règles ont finalement fait l’objet d’un règlement distinct, en l’occurrence le règlement n° 1259/2010

2344. S’agissant, en troisième lieu, de l’objectif poursuivi par le règlement n° 1259/2010, celui-ci établit, ainsi qu’il ressort de son intitulé, une coopération renforcée entre les États membres participants dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps.

2445. Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 65 de ses conclusions, lors de l’adoption de ce règlement, dans les ordres juridiques des États membres participant à une telle coopération renforcée, seuls des organes à caractère public pouvaient adopter des décisions ayant une valeur juridique dans la matière concernée. Il y a donc lieu de considérer que, en adoptant ledit règlement, le législateur de l’Union a eu uniquement en vue les situations dans lesquelles le divorce est prononcé soit par une juridiction étatique soit par une autorité publique ou sous son contrôle, et que, dès lors, il n’entrait pas dans son intention de voir le même règlement s’appliquer à d’autres types de divorces, tels que ceux qui, comme en l’occurrence, reposent sur « une déclaration de volonté privée unilatérale » prononcée devant un tribunal religieux.

2546. Une telle interprétation est corroborée par la circonstance, invoquée par la Commission lors de l’audience, qu’aucune mention n’a été faite, au cours des négociations ayant conduit à l’adoption du règlement n° 1259/2010, à une application de celui-ci aux divorces privés.

2647. À cet égard, s’il est vrai que plusieurs États membres ont introduit, depuis l’adoption du règlement n° 1259/2010, dans leurs ordres juridiques, la possibilité de prononcer des divorces sans intervention d’une autorité étatique, il n’en demeure pas moins que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 66 de ses conclusions, l’inclusion des divorces privés dans le champ d’application de ce règlement nécessiterait des aménagements relevant de la compétence du seul législateur de l’Union.

2748. Ainsi, à la lumière de la définition de la notion de « divorce » qui figure dans le règlement n° 2201/2003, il ressort des objectifs poursuivis par le règlement n° 1259/2010 que celui-ci ne couvre que les divorces prononcés soit par une juridiction étatique soit par une autorité publique ou sous son contrôle.

2849. Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 1er du règlement n° 1259/2010 doit être interprété en ce sens qu’un divorce résultant d’une déclaration unilatérale d’un des époux devant un tribunal religieux, tel que celui en cause au principal, ne relève pas du champ d’application matériel de ce règlement.

29Sur les deuxième et troisième questions

3050. Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions.

31Sur les dépens

3251. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

33Par ces motifs, La cour (première chambre) dit pour droit :

34L’article 1er du règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil, du 20 décembre 2010, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, doit être interprété en ce sens qu’un divorce résultant d’une déclaration unilatérale d’un des époux devant un tribunal religieux, tel que celui en cause au principal, ne relève pas du champ d’application matériel de ce règlement.

35Du 20 décembre 2017 – Cour de justice de l’Union européenne – Aff. C-372/16 – Mme Silva de Lapuerta, prés., rapp., M. Saugmandsgaard, av. gén. – Mme Wenz-Winghardt, av.

361. Un divorce privé relève-t-il du règlement Rome III ? L’arrêt Sahyouni rendu par la Cour de justice le 20 décembre 2017 apporte un début de réponse, dans le cas particulier d’une répudiation unilatérale émanant d’un État tiers, mais qui au-delà conduit à s’interroger sur le sort réservé au divorce par consentement mutuel sans juge français.

372. L’espèce a trait à la reconnaissance en Allemagne d’un divorce prononcé en Syrie selon la formule rituelle devant les autorités religieuses de la charia, par un mari de double nationalité allemande et syrienne contre son épouse également double nationale. Statuant sur la régularité de cette répudiation, les juges allemands avaient une première fois saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle au sujet de l’application du règlement Rome III à ce type de divorce : la Cour s’était déclarée manifestement incompétente dans une ordonnance du 12 mai 2016 Sahyouni I (aff. C-281/15), considérant que les juges allemands n’avaient pas justifié en quoi les dispositions du règlement Rome III auraient été rendues applicables par le biais du droit national allemand, de manière directe et inconditionnelle, à ce divorce qui n’émane pas d’un État membre. La Cour avait toutefois laissé à la juridiction allemande de renvoi la faculté de soumettre une nouvelle question préjudicielle, en justifiant le lien nécessaire avec le droit de l’Union, ce que fit l’OLG München. Il formule sa question en trois temps. En premier lieu, il demande si un divorce résultant d’une déclaration unilatérale d’un époux devant un tribunal religieux relève du champ d’application de Rome III au sens de son article 1er. Dans l’affirmative, il s’interroge en deuxième lieu sur la mise en œuvre de l’article 10 du règlement, notamment quant à savoir s’il suppose un examen in abstracto ou in concreto du droit étranger. En troisième lieu enfin, dans le cas d’un examen in concreto, le juge allemand demande si le consentement de l’époux discriminé au divorce ou à ses conséquences financières suffit pour écarter le jeu de l’article 10.

383. Avant de répondre au fond, la CJUE confirme préalablement la recevabilité de la question préjudicielle. En effet, même s’il s’agit ici de la reconnaissance dans un État membre d’un divorce rendu dans un État tiers, qui en elle-même ne relève pas du droit de l’UE (cf. CJUE Sahyouni I, préc., point 22 s.), les dispositions européennes sont ici applicables par le biais du droit allemand : selon celui-ci en effet, le règlement Rome III s’applique à la reconnaissance d’un divorce privé émanant d’un État tiers, tel qu’en l’espèce (point 29), à l’égard duquel le juge allemand se livre à un contrôle de la validité au regard du droit matériel désigné par les règles de conflit de lois allemandes (point 30). Celles-ci étaient initialement posées par l’article 17 EGBGB, mais après l’entrée en application du règlement Rome III, le législateur allemand a modifié l’article 17 § 1 EGBGB en supprimant l’ancienne règle de conflit de lois devenue obsolète. Il revient donc a priori au règlement Rome III de régir l’appréciation de la validité des divorces privés. Le rattachement au droit de l’Union est ainsi suffisamment établi, même si subsistent peut-être deux ambiguïtés quant aux conditions de celui-ci : d’une part, on peut s’étonner qu’au titre de ces « conditions » (point 34), la Cour évoque des « situations dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre » (point 28), alors qu’en l’espèce la situation est réellement internationale mais émane d’un État tiers ; d’autre part, l’appréciation des conditions d’une possible extension du champ d’application du texte européen par le biais du droit national à des cas n’en relevant pas n’est pas réellement clarifiée (v. not. concl. av. gén. Saugmandsgaard, point 50 ; comp. CJUE 18 oct. 2012, aff. C-583/10, Nolan).

394. Sur le fond, et contrairement à la position adoptée par le droit allemand, la CJUE répond négativement à la première question soulevée en estimant que « l’article 1er du règlement Rome III doit être interprété en ce sens qu’un divorce résultant d’une déclaration unilatérale d’un époux devant un tribunal religieux, tel que celui en cause au principal, ne relève pas du champ d’application matériel de ce règlement ». Excluant ainsi le jeu du règlement Rome III, la Cour n’a pas à eu répondre aux deux autres questions. L’arrêt suscite en cela le double regret d’une définition restrictive de la notion de « divorce » au sens du règlement Rome III, et d’une occasion manquée de clarification du jeu de la clause spécifique d’ordre public de son article 10. Une appréciation des justifications avancées par la Cour de justice pour exclure les divorces privés du champ du texte européen mérite d’être menée (I), avant de s’interroger sur les répercussions de cette décision pour le divorce par consentement mutuel extra-judiciaire du droit français (II).

I – L’exclusion des divorces privés du règlement Rome III

405. La question de l’inclusion des divorces privés dans les instruments européens n’est pas nouvelle, puisqu’elle se posait déjà sous l’empire de la Convention de Bruxelles de 1998 et du règlement Bruxelles II pour les divorces purement religieux (v. sur leur exclusion cons. 9 du règlement ; A. Borrás, Rapport explicatif à la Convention, JOCE C 221, 16 juill. 1998, p. 27, spéc. n° 20, p. 37), avant d’être aujourd’hui renouvelée pour tout type de divorce privé reposant sur le seul accord des époux sans intervention constitutive d’une autorité étatique (v. sur les discussions en droit allemand, U.P. Gruber, Scheidung auf Europäisch – die Rom III-Verordnung, IPRax 2012. 381). Pour y répondre dans le cadre ici du règlement Rome III relatif à la loi applicable au divorce, la Cour de justice fait le choix de passer par une définition générale de la notion de « divorce » au sens du droit européen, l’exclusion du divorce privé s’en déduisant a contrario. La méthode d’interprétation restrictive suivie par la Cour (A) n’emporte pas pleinement l’adhésion (B).

416. A – Face au silence du règlement Rome III sur le sens du terme « divorce », la Cour de justice emprunte la voie d’une qualification autonome européenne. On aurait pu imaginer que, comme pour les questions préalables tenant notamment aux mariages couverts par le règlement, la question soit laissée à l’appréciation des États membres (v. art. 1 § 2b et art. 13) – à l’image aussi de la faculté d’opt out laissée par l’article 13 aux États ne connaissant pas la divorce. Mais « l’interprétation univoque » a été préférée, pour permettre une application uniforme du règlement dans tous les États membres (v. concl. av. gén., point 54). C’est donc au travers de la délimitation du champ d’application matériel du règlement Rome III que la Cour de justice définit la notion de « divorce » qu’il vise, en se fondant sur trois séries d’arguments « tenant compte non seulement de ses termes, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation » dont la notion fait partie (point 36), adoptant une méthode exégétique d’interprétation issue de la lettre et de l’intention initiale du législateur européen.

427. Les termes mêmes du règlement Rome III sont tout d’abord sollicités. Or force est de constater que le texte est silencieux et « ne fournit donc aucun élément utile » (point 37). De fait, l’article 1er fixant son champ d’application ne définit pas la notion de divorce, indiquant tout au plus qu’il vise les divorces impliquant un conflit de lois, donc présentant un caractère international – sans d’ailleurs que l’internationalité elle-même ne soit clairement précisée. Cette absence de définition pourrait en elle-même signifier que la notion se doit d’être compréhensive et d’inclure les divorces même privés (v. point 39 ; rappr. loi d’adaptation allemande au règlement Rome III du 23 janv. 2013, p. 8 s.), mais aussi être considérée comme non signifiante en elle-même. Après tout, ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus.

438. Pour lever cette incertitude, la Cour se tourne ensuite vers le contexte du règlement Rome III.

44Le contexte interne imposerait d’adopter une interprétation de la notion de divorce qui soit en cohérence avec l’ensemble des dispositions du règlement Rome III. Or les termes de « juridiction » ou « procédure » qui figurent à diverses reprises dans le règlement « mettent en évidence » (point 39) que seuls les divorces prononcés par une autorité étatique sont visés. L’argument apparaît réversible : d’autres dispositions reflètent une vision plus large du divorce et conduiraient alors à assouplir les termes à connotation judiciaire pour les adapter.

45À cela s’ajoute le contexte externe dans lequel s’inscrit le règlement Rome III, au premier rang duquel se trouve le règlement Bruxelles II bis avec lequel il doit s’articuler de façon cohérente (v. règl. Rome III, cons. 10). Or là encore, l’on retombe sur le contexte exclusivement juridictionnel, le règlement Bruxelles II bis présupposant qu’une « juridiction » ou une « autorité » prononce le divorce, donc qu’il existe en ce sens une « décision » de divorce. S’agissant d’un texte relatif aux conflits de juridictions, cela ne surprend pas. La Cour voit là une « définition de la notion de “divorce” » (point 48), ce qui laisse perplexe car le terme n’est jamais défini dans le règlement – et c’est là tout le problème. L’exigence de cohérence invite à aborder le règlement Rome III « à la lumière » (point 48) de cette définition juridictionnelle – donc à exclure les divorces privés –, ce que conforterait l’historique même de l’adoption de ce dernier, issu d’une proposition de refonte du règlement Bruxelles II bis (point 43, v. Proposition de 2006 COM(2006) 399). Mais ne peut-on considérer que « le problème de la compétence judiciaire et celui de la loi applicable répondent à des préoccupations d’ordres fort différents » (H. Batiffol, RCADI 1973, t. II, spéc. p. 91) pouvant justifier une différence de critères ou en l’occurrence de champ d’application ?

469. S’y ajoute enfin la prise en compte des objectifs poursuivis par le règlement Rome III, visant à instaurer une coopération renforcée entre États membres participants dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps. Or lors de son adoption, seul des organes à caractère public pouvaient adopter des décisions ayant une valeur juridique en matière de divorce. Dès lors « l’intention » du législateur européen ne visait que ce type de divorce et non les divorces purement privés, en particulier pas les divorces reposant sur « une déclaration de volonté unilatérale » prononcée devant un tribunal religieux : les inclure nécessiterait des aménagements relevant du seul législateur de l’Union (v. concl. av. gén., point 66).

4710. Par ces trois séries d’arguments d’interprétation, la Cour considère donc que le règlement Rome III « ne couvre que les divorces prononcés soit par une juridiction étatique soit par une autorité publique ou sous son contrôle » (point 48).

4811. B – L’interprétation restrictive et procédurale de la notion de divorce retenue par la Cour ne satisfait pas pleinement, amenant à regretter qu’une lecture plus compréhensive n’ait pas été adoptée, reposant sur une interprétation plus évolutive au-delà de la seule intention initiale du législateur européen. Surtout en définissant négativement le divorce privé comme n’étant pas « juridictionnel » au sens de non-prononcé ou contrôlé par une autorité étatique, la Cour laisse de côté les objectifs du règlement Rome III qui auraient peut-être justifié une définition propre du divorce (1°). Elle étend en outre la catégorie des divorces privés, restreignant de façon peut-être excessive le champ des deux règlements européens (2°).

4912. 1°) L’insatisfaction tient avant tout au prisme exclusivement juridictionnel à travers lequel la Cour de justice aborde la délimitation du champ d’application du règlement Rome III, pourtant relatif aux seuls conflits de lois. Elle ne se livre pas à une classique opération de qualification, permettant de savoir si la question juridique posée relève de la catégorie de rattachement « divorce » employée par Rome III. Elle délivre sa qualification des règles européennes touchant au divorce, pour délimiter les contours de leur présupposé – considéré unique – auquel sera attaché l’ensemble du régime européen de droit international privé. Dans cette approche « surplombante » du divorce, le conflit de lois (règl. Rome III), se trouve absorbé par le conflit de juridictions (règl. Bruxelles II bis) : la Cour transpose au premier la définition du divorce qui, selon ses termes, « figure » (point 48) dans le second. En témoigne aussi le fait qu’à plusieurs reprises, la Cour se place dans l’hypothèse d’un divorce obtenu dans un État membre ou participant (v. points 45 et 47), alors que ce n’était pas celle à laquelle elle était confrontée : était en cause ici un divorce obtenu hors Union européenne, en l’occurrence une répudiation obtenue en Syrie. Or si un divorce (privé ou non) obtenu hors Union échappe certainement aux règles de compétence de Bruxelles II bis, cette seule origine ne l’exclut pas nécessairement de Rome III, dont le caractère universel permet d’appréhender des divorces relevant de lois d’États tiers.

5013. Cette approche en termes juridictionnels tend à hypertrophier le parallélisme entre les champs d’application respectifs des règlements Rome III et Bruxelles II bis, ce qui ne convainc pas. S’il convient d’adopter une lecture cohérente des deux instruments, cela ne signifie pas pour autant qu’elle doive être rigoureusement identique. À l’image de leurs intitulés mêmes, les deux ne couvrent pas les mêmes hypothèses de désunion, l’un visant d’ailleurs la « matière matrimoniale » l’autre spécifiquement « le divorce et la séparation de corps ». Et de fait, le souhait de « cohérence » évoqué par la première phrase du considérant 10 du règlement Rome III est immédiatement battu en brèche par la seconde phrase qui exclut du champ de l’instrument l’annulation du mariage (v. art. 1, § 2c) pourtant incluse dans le règlement Bruxelles II bis. C’est bien reconnaître que des logiques différentes peuvent être à l’œuvre sur le terrain des conflits de lois et de juridictions. En l’occurrence, la différence se justifie car l’annulation du mariage n’est pas connue de tous les États, et au-delà, pas dans les mêmes termes, mais aussi car l’objectif de faveur à la désunion sous-jacente au règlement Rome III et qui se traduit notamment par le choix de loi ouvert aux époux ne serait pas approprié pour l’annulation du mariage (v. Proposition de règlement du 24 mars 2010, COM(2010) 105 final, spéc. p. 7 ; rappr. H. Gaudemet-Tallon, La désunion du couple en droit international privé, RCADI 1991, spéc. p. 116 s).

51La même logique (inversée) aurait pu conduire à considérer que certaines formes de divorce exclues de Bruxelles II bis puissent être incluses dans le règlement Rome III. Précisément les formes privées de divorce ne peuvent être appréhendées par la méthode du conflit de juridictions, faute d’autorité étatique les prononçant, mais elles peuvent au contraire parfaitement être abordées sur le terrain du conflit de lois (v. S. Corneloup, in Le droit européen du divorce, LexisNexis Credimi, 2013, spéc. n° 9, p. 498) – ce qu’illustre d’ailleurs l’approche adoptée par le droit allemand. Certes, une adaptation de certaines règles du règlement Rome III est alors nécessaire (v. M.-L. Niboyet et G. de la Pradelle, Droit international privé, 6e éd., LGDJ, 2017, spéc. n° 66). Par exemple, la référence à la loi du for (art. 5, § 1d) ou de la juridiction saisie (art. 8d), l’hypothèse de l’accord procédural (art. 5, § 3) ne peuvent fonctionner tel que en absence de tout juge ; de même pour l’appréciation des critères objectifs « au jour de saisine de la juridiction » (v. S. Corneloup, ibid.). Mais hormis ces ajustements, la logique même du règlement Rome III, par la faveur à la volonté des époux qu’il comporte, ne serait pas heurtée en son principe par l’inclusion des formes privées de divorce.

52Si l’on s’attache en effet à ses objectifs spécifiques – que la Cour occulte au profit du seul contexte de son adoption –, le règlement Rome III vise à assurer « davantage de souplesse et une plus grande sécurité juridique » aux époux (cons. 15), ce qui passe par un renforcement de leur autonomie par le biais d’une option de législation. C’est admettre que ce choix de lois doit pouvoir se faire en amont, hors de tout contexte juridictionnel, comme l’illustrent d’ailleurs tant le moment d’appréciation des critères de proximité avec la loi choisie que les modalités du choix et l’appréciation de son caractère éclairé. Le même constat vaut pour les règlements comportant à la fois règles de conflit de lois et de juridictions, comme le règlement « régimes matrimoniaux » par exemple. L’évocation du projet de refonte de Bruxelles II bis par la Cour (point 43) pour justifier l’appréhension de Rome III dans le seul contexte juridictionnel n’est donc pas convaincante (rappr. D. Coester-Waltejen, IPRax 2018. 238, spéc. p. 240) et s’écarte des fondements mêmes du règlement.

5314. L’inclusion des divorces privés dans le règlement Rome III n’aurait pas exclu tout contrôle au regard des exigences européennes, lors de leur obtention dans un État membre ou lors de l’accueil de tels divorces étrangers, celles-ci étant intégrées dans l’ordre public international du for, soit dans les termes de la clause générale d’ordre public de l’article 12 ; soit dans les termes de l’article 10. En particulier, les conditions tenant à l’égalité des époux lors du divorce pourraient ainsi être contrôlées. C’est d’ailleurs la voie suggérée par les juges allemands en l’espèce, à supposer la répudiation unilatérale appréhendée par le règlement.

54On peut regretter à cet égard qu’en raison de la réponse négative à la première question, la Cour de justice ne se soit pas prononcée sur les conditions de mise en œuvre de l’article 10 sur lesquelles l’interrogeaient également les juges allemands. On notera que sur ce point l’avocat général préconise dans ses conclusions (points 70 s.) une confrontation in abstracto de la loi étrangère aux exigences d’égalité en raison notamment des fonctions respectives des articles 10 et 12 du règlement (points 72 s.), et de la finalité de l’article 10 qui « tend à protéger un droit si fondamental, à savoir le droit de pouvoir divorcer dans des conditions égalitaires entre hommes et femmes, qu’il ne saurait être possible de le restreindre » (point 84). Partant, une loi étrangère admettant une répudiation unilatérale, par essence inégalitaire serait nécessairement écartée dans son ensemble par le biais de l’article 10. L’on rejoint la vision absolue de l’égalité également adoptée par la Cour de cassation dans ces arrêts de principe relatifs aux répudiations musulmanes (v. not. Civ. 1re, 17 févr. 2004, GADIP, 5e éd., Dalloz, 2006, n° 84), laquelle n’est cependant pas « restreinte » par des considérations de proximité dans le cadre de l’article 10 du règlement. Dès lors, toute acceptation par la femme des conséquences pécuniaires de la répudiation – comme c’était le cas dans l’affaire Sahyouni – serait sans aucune incidence (v. concl. av. gén., points 90 s.).

5515. 2°) Même à admettre la nécessité d’une notion unique de divorce répondant au contexte européen d’ensemble, on peut être surpris que le divorce soit appréhendé exclusivement comme une procédure et non au regard de son objet – la dissolution du mariage. Sur un plan général, cette appréhension procédurale d’un statut familial contraste avec la logique retenue par la Cour sur le terrain de la reconnaissance des situations individuelles. Pourquoi le divorce « européen » serait-il exclusivement un divorce prononcé par ou sous le contrôle d’une autorité étatique ? Ce contexte procédural est-il vraiment de l’essence du divorce aujourd’hui ?

56On peut en douter à s’en tenir à l’évolution des droits nationaux en matière de divorce, divers États au sein de l’Union connaissant aujourd’hui des divorces non judiciaires, dans lesquels peut intervenir une autorité à des fins variées face à la volonté des époux (contrôle de fond, enregistrement, octroi d’effets civils ou de force exécutoire…). On s’interroge aussi à observer les rapprochements entre divorce et dissolution du partenariat, dont le traitement différencié en droit international privé est discuté (v. not. sur la question d’une extension de Bruxelles II bis au partenariat, D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, t. II, 4e éd., 2017, spéc. n° 762). L’approche exclusivement formelle du droit européen crée une curieuse dichotomie avec les droits internes lesquels définissent le divorce avant tout par son objet. (comp. pour l’accueil du divorce sans juge français en Tunisie, S. Ben Achour, Le divorce extrajudiciaire français devant le juge tunisien, une tolérance à contrecoeur…, Rev. crit. DIP 2018. 211).

57Dans le cadre européen, une telle vision procédurale du divorce cadre mal avec l’approche davantage substantielle de celui-ci véhiculée par les deux règlements, afin d’embrasser un maximum de formes de divorces tout en permettant une lecture évolutive de leur champ matériel. Ainsi, même dans le règlement Bruxelles II bis, les termes souples de « juridiction » (devenu « autorité » dans la proposition de refonte, COM(2016) 411 final, art. 2, § 1) ou « décision » permettent « d’inclure des procédures qui du temps de la création du règlement n’étaient pas encore connues dans le droit des États membres » (U.P. Gruber, in Le droit européen du divorce, LexisNexis Credimi, 2013, n° 39, p. 206) ; sans parler de l’article 46 assimilant aux décisions les actes authentiques et accords privés dotés de force exécutoire. Surtout, le règlement Rome III lui-même est sous-tendu par une faveur au divorce : outre la promotion de la volonté des époux, l’article 10 du règlement impose un retour à la loi du for si la loi applicable « ne prévoit pas le divorce ». L’on n’est pas loin alors d’un réel « droit au divorce » (rappr. remarque préc. av. gén. concernant le droit « si fondamental » à un divorce égalitaire, point 84), alors même que celui-ci n’est pas comme tel consacré par la Cour européenne des droits de l’homme (v. not. CEDH 14 juin 2011, n° 15001/04, Ivanova et Petrova c/ Bulgarie ; CEDH 10 janv. 2017, n° 1995/10, Barbiarz c/ Pologne). La lettre même du règlement s’éloigne donc de l’approche exclusivement juridictionnelle – ou a minima permet de faire coexister diverses formes de divorce, l’essentiel tenant au fond (permettre la rupture) plus qu’à la voie procédurale.

5816. L’on peut alors se demander s’il n’aurait pas été envisageable de se départir de la stricte logique juridictionnelle au sens du règlement Bruxelles II bis, pour donner une définition positive des divorces de nature privée, évoquée par les conclusions de l’avocat général (v. not. points 4, 55 et 67).

59Certes toute ouverture n’est pas absente de l’approche de la Cour puisqu’outre les divorces « prononcés par » des juridictions ou autorités étatiques, elle évoque aussi les divorces « sous le contrôle de » telles autorités. Mais il reste que cette notion de « contrôle » est assez floue en elle-même, sans trouver d’éclaircissement dans l’hypothèse d’espèce puisqu’aucune autorité étatique n’est intervenue lors de l’obtention de la répudiation unilatérale. Rien ne permet donc de dire quel degré de contrôle sera requis pour que le divorce perde sa nature privée et soit un « divorce » au sens européen du terme (rappr. U.P. Gruber, in BGB NomosKommentar, Band 1, spéc. p. 2224, n° 14). Et ce d’autant plus que, en pratique, le rôle exact des autorités – notaire ; officier de l’état civil ; procureur – qui dans les droits étrangers peuvent intervenir en cas de divorce par consentement mutuel des époux n’est pas toujours aisé à déterminer : même sans qu’ils prononcent le divorce à proprement parler, ils exercent parfois une vérification de fond ou en termes d’équité (v. D. Coester-Waltjen, note préc., spéc. p. 241), voire attribuent des effets supplémentaires à l’accord des époux.

60En ce sens, on peut regretter que les distinctions proposées par l’avocat général n’aient pas été reprises, évoquant les divorces privés comme « prononcés sans le concours à caractère constitutif d’une juridiction ou autorité publique » (point 67) ou mieux « obtenus sans la participation constitutive d’une autorité publique » (point 55) ou encore ceux qui « reposent non pas sur une décision à caractère constitutif d’une juridiction ou d’une autre autorité publique, mais sur une déclaration de volonté des époux, unilatérale ou mutuelle, éventuellement avec le concours à caractère purement déclaratif d’une autorité étrangère » (point 4). L’accent ainsi mis sur le caractère constitutif, et non simplement déclaratif, de l’autorité intervenante est sans doute plus précis que le terme de « contrôle », même si plus restrictif.

6117. On notera enfin que, dans un contexte transfrontière, une telle définition procédurale du divorce tend à restreindre encore le champ d’application déjà limité des règlements Bruxelles II bis et surtout Rome III, qui non seulement ne couvrent que le principe même du divorce à l’exclusion de ses effets, mais à présent uniquement certains types de divorces. L’objectif de créer « un cadre juridique clair et complet dans le domaine de la loi applicable au divorce » affiché par le règlement Rome III (cons. 9) s’éloigne sensiblement. S’ajoute une brique supplémentaire à la différence de traitement des divorces au sein de l’Union, au-delà de celle déjà créée par la différence de champ spatial des règlements Bruxelles II bis et Rome III, ce dernier ne s’appliquant que dans les États participant à la coopération renforcée (17 États aujourd’hui). S’ajoute un morcellement du divorce entre règles nationales et européennes : non appréhendé par les règlements, le principe même du divorce privé relèvera des règles nationales de droit international privé (qu’il faudra restaurer, à l’image du droit allemand en l’espèce, v. D. Coester-Waltjen, note préc., spéc. p. 242, soulevant la question d’un recours à la méthode de reconnaissance pour apprécier à l’avenir la validité des divorces privés étrangers en Allemagne) ; en revanche les effets tenant aux obligations alimentaires ou au régime matrimonial pourraient toujours relever des règlements afférents.

62Au final, le résultat atteint par la qualification autonome restrictive adoptée n’est pas bien différent de celui auquel aurait conduit un renvoi aux droits nationaux – du moins lorsqu’il s’agit de l’obtention d’un tel divorce dans un État membre. Loin de dépasser les divergences nationales, la qualification autonome tend à les accentuer, autant qu’elle risque d’accroître l’insécurité juridique. Cela contraste singulièrement avec la faveur à la continuité du statut personnel par ailleurs défendue par cette même Cour au nom de la citoyenneté européenne.

II – La portée de cette exclusion pour le divorce par consentement mutuel sans juge français

6318. Si l’arrêt Sahyouni restreint le champ des règlements européens aux divorces « prononcés soit par une juridiction étatique soit par une autorité publique ou sous son contrôle », quelles conséquences faut-il en tirer pour le divorce par consentement mutuel extrajudiciaire du droit français (C. civ., art. 229-1 s.) ? Doit-il être compris dans l’exclusion à l’image des répudiations unilatérales par déclaration devant un tribunal religieux ? Si la qualification de divorce privé au sens de l’arrêt Sahyouni peut être discutée (A), il faut néanmoins s’interroger sur les conséquences d’une possible exclusion du champ des règlements européens (B).

6419. A – Divorce déjudiciarisé, le nouveau divorce par consentement mutuel de l’article 229-1 du code civil est « contractualisé », donc généralement qualifié de divorce privé car reposant sur le seul accord des époux (v. H. Fulchiron, Divorcer sans juge – À propos de la loi n° 2016/1541 du 18 nov. 2016 de modernisation de la justice du xxie siècle, JCP 2016. 1267). Mais est-il un divorce privé au sens européen ? La question est discutée. Ce qui est certain c’est qu’il ne s’agit pas d’un divorce « prononcé par une autorité étatique ». À cet égard, faute d’intervention d’une « juridiction » au sens du règlement Bruxelles II bis, il ne fait pas de doute que les règles de compétence directe de celui-ci ne lui sont pas applicables (v. notre commentaire, Rev. crit. DIP 2017. 143, spéc. n° 6 s.), ce qui a pu être considéré comme une violation du droit européen (v. A. Boiché, Divorce 229-1 : aspect de droit international privé et européen – La France, nouveau Las Vegas du divorce ?, AJ fam. 2017. 57 ; v. la plainte déposée pour non-respect par la France du droit de l’Union européenne, sur laquelle « Le divorce par consentement mutuel “à la française” met à mal l’espace judiciaire commun et le principe de confiance mutuelle » – 3 questions à Cyril Nourissat, professeur, Me Alexandre Boiché, Me Delphine Eskenazi, Me Alice Meier-Bourdeau, Me Grégory Thuan Dit Dieudonné, JCP 2017. 549).

6520. S’il n’est pas prononcé par une autorité, peut-on considérer que le divorce sans juge français est obtenu « sous le contrôle d’une autorité publique » ? Tout dépend ici de la conception retenue du rôle du notaire français, lequel procède à l’enregistrement de la convention des époux contresignée par les avocats et à cette occasion exerce un certain contrôle de légalité (v. not. C. civ., art. 229-1, al. 2). S’il n’est pas une autorité publique au sens strict, ses fonctions peuvent exprimer une « participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique » (CJUE 10 sept. 2015, aff. C-151/14, l’excluant à propos du notaire letton, dont il est indiqué qu’en matière de divorce sa compétence repose exclusivement sur la volonté des parties et laisse intacte les prérogatives du juge en l’absence d’accord).

66Une première interprétation tendrait à refuser cette qualification au notaire dans le cadre de ce divorce, puisqu’il ne procède à aucun contrôle d’opportunité, mais se borne à prendre acte de l’accord de volonté des époux en vérifiant la réunion des conditions légales formelles (v. A. Devers, Dr. fam. 2018. Comm. 114). Une seconde lecture pourrait cependant être envisagée pour plusieurs raisons : le contrôle du notaire français, formel en théorie, pourrait être plus poussé en pratique, ne serait-ce que pour vérifier la persistance du consentement des époux et du refus de l’enfant d’être entendu jusqu’au dépôt de la convention ; le dépôt par le notaire « donne ses effets à la convention en lui conférant date certaine et force exécutoire » (C. civ., art. 229-1, al. 3), ce qui conditionne donc la pleine efficacité de la volonté des époux ; le notaire délivre le certificat prévu à l’article 39 du règlement Bruxelles II bis (C. pr. civ., art. 509-3, issu du décret du 28 déc. 2016). Par là, le notaire attribue bien certains effets à l’accord privé « qui correspondent dans son ordre juridique aux effets de l’acte d’une autorité » (pour reprendre les termes de l’Office fédéral de l’état civil suisse pour justifier la reconnaissance du divorce sans juge français en tant que décision). En cela, la situation se distingue de l’hypothèse de la répudiation unilatérale en cause dans l’affaire Sahyouni, ne comportant aucune intervention à quelque titre que ce soit d’une autorité agissant au nom de l’État. Il semblerait donc possible, au regard du critère flou de « contrôle » employé par la Cour de ne pas inclure le divorce sans juge français dans le champ des divorces privés au sens européen exclus du champ du règlement Rome III (en ce sens M.-L. Niboyet et G. de la Pradelle, Droit international privé, 6e éd., LGDJ, 2017, spéc. n° 66 ; contra A. Devers, op. cit. ; A. Boiché, AJ fam. 2018. 119, préc.).

6721. B – Dans l’hypothèse cependant où le divorce extrajudiciaire français serait considéré comme un divorce privé exclu des instruments européens, quelles conséquences en résultent d’une part sur les règles de conflit de lois applicables, d’autre part sur sa circulation au sein de l’Union sur le fondement de l’article 46 du règlement Bruxelles II bis ?

6822. S’agissant en premier lieu des règles de conflit de lois applicables, s’il faut considérer le divorce français comme un divorce privé au sens de l’arrêt Sahyouni, en découle son exclusion du champ d’application de Rome III (v. en ce sens, A. Boiché, AJ fam. 2018. 145 ; C. Nourissat, Procédures 2018. 44 ; A. Devers, Dr. fam. 2018. Comm. 114 ; contra M.-L. Niboyet et G. de la Pradelle, Droit international privé, 6e éd., LGDJ, 2017, spéc. n° 66). On s’écarte alors de la solution préconisée par la circulaire du 26 janvier 2017 (v. spéc. fiche 4), qui considère que ce divorce relève du règlement Rome III, ce qui permet aux époux de choisir la loi applicable dans les termes de l’article 5. Plus avant, la circulaire préconise le choix de la loi française, seule à même de garantir l’efficacité de ce divorce français (v. pour une contestation de cette nécessaire application de la loi française, M-L. Niboyet, I. Rein-Lescastereyres et L. Dimitrov, La « désinternationalisation » du nouveau divorce par consentement mutuel ?, Gaz. Pal. 4 avr. 2017, n° 22 s.).

69Si le règlement Rome III est écarté, quelles seraient alors les règles de conflit applicables ? Sans doute faudrait-il alors revenir soit à d’éventuelles conventions bilatérales (on songe à la convention franco-marocaine de 1981), soit surtout à la règle de conflit unilatérale de l’article 309 du code civil, toujours existant, mais ce qui ne manquera pas de soulever certaines difficultés d’application. En particulier, le jeu de l’alinéa 3 du texte, qui prévoit une compétence de la loi française en l’absence de loi étrangère se reconnaissant compétence ne sera pas aisé : non seulement pour mener cette recherche même, qui risque de demeurer lettre morte ; mais surtout car il impose dans ce cas que « les tribunaux français soient compétents pour connaître du divorce », or point de tribunal ici par hypothèse. Est-ce à dire que toute compétence subsidiaire de la loi française doive être exclue faute de for français ? En tout état de cause, que l’on considère ou non que le divorce par consentement mutuel sans juge français doive nécessairement relever du droit français, les hypothèses de son application à l’international s’en trouveraient sensiblement réduites, puisque supposant en pratique des couples à fort lien avec la France par la nationalité ou le domicile commun (al. 1 et 2, art. 309) – ce qui en soit ne serait pas nécessairement une mauvaise chose.

7023. S’agissant en second lieu de la circulation du divorce sans juge français sur le fondement de l’article 46 du règlement de Bruxelles II bis, la question reste fort controversée.

71Avant la présente décision, il était soutenu que, dans la mesure où le règlement Bruxelles II bis ne concerne que le prononcé du divorce, l’article 46 ne visait que les questions de responsabilité parentale, puisque le principe même du divorce n’est pas susceptible d’exécution forcée (v. U.P. Gruber, in Droit européen du divorce, n° 43, p. 207). Néanmoins, l’accord des époux dans le cadre de l’article 229-1 du code civil porte sur le principe et les effets du divorce : la force exécutoire que lui confère le notaire par l’enregistrement de la convention couvre les deux aspects, y compris le principe du divorce, le rendant par là justiciable de l’article 46 (v. H. Gaudemet-Tallon, J.-Cl. internat, fasc. 547-30, n° 3 ; notre commentaire, Rev. crit. DIP 2017. 143, spéc. p. 152 ; A. Devers, in Droit européen du divorce, p. 437), position adoptée par le législateur français (v. art. 509-3, dernier al., introduit décr. 28 déc. 2016, permettant au notaire de délivrer le certificat de l’article 39 du règlement ; rappr. Fiche 10 Circ. 26 janv. 2017, p. 1).

72En adoptant dans le présent arrêt une définition générique et unitaire du divorce, la Cour aborde la notion en termes de délimitation de champ des règlements dans leur ensemble, à savoir compétence directe, reconnaissance, autant que conflit de lois. À l’instar de la répudiation unilatérale, certains estiment que le divorce sans juge ne pourrait plus bénéficier de l’article 46 car il serait hors règlement, ne relevant plus de la matière couverte (v. A. Boiché, AJ fam. 2018. 145, préc. estimant que soutenir le contraire serait « une aberration »).

73Une lecture plus nuancée est peut-être envisageable, notamment en raison des spécificités du divorce privé français, par la force exécutoire attachée à l’accord des époux (comp. M.-L. Niboyet, I. Lescastereyres et L. Dimitrov, op. cit., n° 14, p. 74). Il répond en cela à la définition des actes visés par l’article 46, qui en eux-mêmes ne correspondent pas aux « décisions » et partant à la notion de « divorce » au sens général du règlement. Sauf à considérer qu’un divorce européen ne serait que procédure, indépendamment de son objet même de rupture du mariage. Faute de bénéficier des règlements pour lesquels ils ne sont pas « divorcés européens », il resterait alors pour ces époux « divorcés français », s’ils sont citoyens européens, à se tourner vers leur droit à la libre circulation pour invoquer à ce titre la reconnaissance dans un autre État membre de leur statut acquis valablement en France. Au-delà du droit européen, mais par le droit européen.

Français

L’article 1er du règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, doit être interprété en ce sens qu’un divorce résultant d’une déclaration unilatérale d’un des époux devant le tribunal religieux, tel que celui en cause au principal, ne relève pas du champ d’application matériel de ce règlement.
Soha Sahyouni c/ Raja Mamisch

Mots clés

  • Règlement (UE) n° 1259/2010 Rome III
  • Article 1
  • Champ d’application matériel
  • Notion de divorce
  • Divorce de nature privée
  • Reconnaissance d’un divorce religieux émanant d’un État tiers
  • Répudiation unilatérale
  • Exclusion
Petra Hammje
Professeur à l’Université de Nantes
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.184.0899
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