CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1M. X. c/ Consorts Y.

2La Cour : – Attendu que Raymond Y…, de nationalité française et libanaise, est décédé le […] à […] (Liban), laissant pour lui succéder son conjoint survivant, Mme B…, ainsi que ses quatre enfants issus d’une première union, Mmes K…, L… et G… Y…, et M. F… Y…, (les consorts Y…) ; qu’aux termes d’un testament établi le 11 octobre 2010, celui-ci a, notamment, légué les immeubles situés en France, à son épouse et à ses nièces, Mmes A… et Nicole E… et a consenti divers legs particuliers de sommes d’argent ; que les consorts Y… ayant saisi la juridiction libanaise d’une contestation de ce testament, celle-ci, par un jugement du 9 juin 2013, s’est déclarée compétente, a rejeté les demandes de nullité et de révocation des dispositions testamentaires et faisant application de la loi libanaise, a rejeté la demande d’annulation partielle pour cause de dépassement de la quotité légale et atteinte aux parts réservataires ; que, par arrêt du 21 février 2017, la Cour d’appel de Paris a rejeté la demande d’exequatur de cette décision formée par M. X…, agissant en qualité d’exécuteur testamentaire de Raymond Y…, motif pris de la compétence exclusive des juridictions françaises à l’égard des immeubles situés en France ;

3Attendu qu’à l’occasion du pourvoi formé contre cet arrêt, M. X… demande, par mémoire spécial et motivé, de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité suivantes : 1°/ « L’article 3, alinéa 2, du code civil, tel qu’interprété de manière constante par la jurisprudence affirmant le caractère exclusif de la compétence internationale des juridictions françaises pour connaître de la dévolution successorale d’immeubles sis en France, en ce qu’il crée une inégalité de traitement injustifiée dans l’hypothèse de successions portant sur des immeubles situés dans plusieurs pays, entre, d’une part, les successibles de propriétaires d’immeubles sis en France, contraints au morcellement du règlement de la succession et, d’autre part, les successibles de propriétaires d’immeubles sis à l’étranger susceptibles d’organiser ou de bénéficier d’un traitement unitaire du règlement de la succession, est-il contraire au principe d’égalité devant la loi et à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? » ;

42°/ « L’article 3, alinéa 2, du code civil, tel qu’interprété de manière constante par la jurisprudence affirmant le caractère exclusif de la compétence internationale des juridictions françaises pour connaître de la dévolution successorale d’immeubles sis en France méconnaît-il le principe d’égalité en ce qu’en présence d’une succession comportant des biens dans d’autres pays que la France, il fait dépendre la part globale de la succession de chaque héritier, dans la totalité de la succession, du hasard et du résultat auquel peut conduire l’addition de solutions retenues par différentes juridictions qui ne font l’objet d’aucune coordination ? » ;

53°/ « L’article 3, alinéa 2, du code civil, tel qu’interprété de manière constante par la jurisprudence affirmant le caractère exclusif de la compétence internationale des juridictions françaises pour connaître de la dévolution successorale d’immeubles sis en France, qui conduit à régir la dévolution successorale des immeubles situés en France sans égard pour la façon dont la dévolution des autres biens successoraux peut être imposée par les juridictions étrangères et à attribuer aux héritiers ou légataires une part successorale globale qui n’est conforme à aucune loi, est-il contraire au principe d’effectivité du droit et à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? » ;

6Attendu que les dispositions légales contestées, qui sont applicables au litige, n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ;

7Mais attendu que, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, les questions ne sont pas nouvelles ;

8Et attendu qu’elles ne présentent pas un caractère sérieux en ce que, bien qu’elle déroge à la loi étrangère désignée par la règle de conflit de lois française en cas de décès à l’étranger d’une personne y ayant son dernier domicile, cette règle de conflit, qui est en rapport direct avec l’objet de la loi, dès lors que, s’agissant de la dévolution d’immeubles situés en France, le règlement successoral s’exécutera et produira ses effets sur son territoire, n’introduit aucune différence de traitement entre les successibles, soumis, quelle que soit leur nationalité, à la loi française pour la dévolution desdits biens et est fondée sur un critère de rattachement réel déterminable avec certitude, de sorte qu’elle ne méconnaît aucun des principes constitutionnels invoqués ;

9D’où il suit qu’il n’y a pas lieu de renvoyer les questions au Conseil constitutionnel ;

10Par ces motifs : – Dit n’y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité ;

11Du 11 avril 2018 – Cour de cassation (Civ. 1re) – Pourvoi n° 17-21.869 – Mme Batut, prés., SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, av.

121. Refusant par l’arrêt du 11 avril 2018 de transmettre au Conseil constitutionnel les trois questions prioritaires de constitutionnalité qui étaient formées à l’occasion d’un conflit de juridictions, la première chambre civile développe la motivation de son refus sur le terrain des conflits de lois.

13Il faut donc d’emblée relever que cette décision confirme que les liens entre accueil des jugements étrangers et règles de conflit n’ont pas été entièrement défaits par l’arrêt Cornelissen (Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 05-14.082, D. 2007. 1115, obs. I. Gallmeister, note L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2007. 420, note B. Ancel et H. Muir Watt ; JDI 2007. 1195, note F.-X. Train), qui n’avait pourtant pas intégré, dans l’appréciation de la compétence du juge étranger, l’existence d’une compétence exclusive des tribunaux français. Le lien caractérisé tressé par la nationalité libanaise du défunt et par la localisation d’une fraction significative de son patrimoine n’a pas suffi face aux immeubles sis en France et à la compétence exclusive qui en résultait. Mais il n’est pas indispensable d’insister sur ce point, la persistance dans le droit commun de l’efficacité des jugements de cette voie étroite et oblique de censure de la non-conformité conflictuelle n’étant guère contestée.

142. En l’occurrence, cette compétence exclusive était donc celle qui, d’après le droit international privé antérieur à la mise en application du règlement UE n° 650/2012, appartenait aux tribunaux français lorsque les immeubles successoraux étaient situés en France. Elle était opposée par la Cour d’appel de Paris à la demande d’exequatur d’une décision prononcée au Liban en 2013 par le juge du dernier domicile du défunt qui avait, en application de la loi libanaise, rejeté la contestation du testament par lequel étaient légués des immeubles français. L’exécuteur testamentaire se pourvut devant la Cour de cassation en soutenant que violait la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen la règle de conflit française traditionnelle ; selon le mémoire, cette violation était imputable au morcellement du patrimoine héréditaire associé à la compétence exclusive des tribunaux français, qui procédaient l’un comme l’autre de l’approche dualiste caractéristique du droit français des successions internationales. Le morcellement, était-il prétendu, portait atteinte en premier lieu au principe d’égalité de l’article 6 de la Déclaration en ce qu’il conduisait d’abord à traiter différemment les successibles selon que les immeubles étaient situés en France ou à l’étranger et ensuite en ce que, dans le cas de dispersion des immeubles en plusieurs pays, il débouchait sur un règlement hasardeux et composite des droits de chacun qui, pris dans son ensemble, n’était rapportable à aucune loi – ce qui, en second lieu, ruinait toute sécurité juridique alors que l’article 16 énonce que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée … n’a point de Constitution ».

153. Ce second grief, ramené à l’exigence d’effectivité, est écarté aisément par la Cour : le lieu de situation de l’immeuble héréditaire constitue un critère de rattachement « déterminable avec certitude ». Intervenu après que la décision étrangère avait pleinement approuvé la dévolution volontaire organisée par le de cujus, le refus d’exequatur révélait certainement un double défaut de sécurité et d’effectivité des droits ainsi proclamés au Liban ; cependant cette source de déconvenue était à rechercher, non pas du côté du « point de vue » du droit international privé français fondé sur l’article 3, alinéa 2 du code civil, mais bien du côté de la juridiction étrangère qui ne l’avait pas pris en compte et avait placé l’universalité de la succession sous la seule autorité de la loi libanaise.

164. C’est aussi sur cette unité de la succession que s’appuyaient les soupçons d’atteinte au principe d’égalité. Il est vrai qu’une jurisprudence ancienne a pu encourager l’idée que le morcellement met en danger l’égalité des partages. L’arrêt Stewart de 1837 en consacrant l’approche dualiste et le morcellement le suggérait clairement (Civ. 14 mars 1837, Grands Arrêts, n° 3) : la donataire de l’immeuble anglais était à l’abri de la réserve héréditaire que la loi anglaise ignore, alors que la donataire de l’immeuble français était exposée à subir la réduction que la loi française impose (selon ce qu’expose le commentaire, eod. loc. p. 29). Sur quoi, bien sûr, il pouvait être observé qu’il aurait appartenu au disposant de prendre en compte le droit international privé français et les exigences de l’article 913 du code civil que celui-ci imposait au « propriétaire d’immeuble sis en France ». Aussi bien est-ce plutôt vers l’arrêt Jeannin qu’il faut se tourner. Statuant voici un siècle et demi (Civ. 27 avr. 1868, DP 1868. 1. 302, S. 1868. 1. 257) sur l’application de la loi du 14 juillet 1819, cette décision estimait que le principe d’égalité des partages « dans aucun cas et sous aucun prétexte ne peut être atteint en France par les dispositions contraires des coutumes locales étrangères » et déclarait que le droit de prélèvement de l’article 2 s’imposait même entre cohéritiers français car, « loin de déroger à ce principe [d’égalité, il] n’en peut être considéré que comme une application nouvelle et extensive » ; ce droit de prélèvement est alors réputé être l’instrument de l’égalité, reconstituée sur la base de l’unité de la succession – telle que conçue par le droit civil français. Mais si l’emploi de cet instrument consolidant la dévolution est offert à tous les cohéritiers français, il ne l’est pas aux cohéritiers étrangers.

175. Cette différence de traitement a été sanctionnée par le Conseil constitutionnel dont la décision du 5 août 2011 (n° 2011-159 QPC, Rev. crit. DIP 2013. 457, note B. Ancel ; JDI 2012. 135, note S. Godechot-Patris ; JCP N 2011. 1236, obs. E. Fongaro ; LPA 2011, n° 214, p. 18 obs. L. d’Avout, chron. M. Attal in JCP 2011. 1139) a censuré l’article 2 de la loi de 1819. Le mémoire en conclut que le remède ayant été écarté, ne subsiste plus que le mal. Pareille conclusion est cependant réfutée par la Cour de cassation qui, tout en adhérant par une incise à la condamnation du Conseil constitutionnel (« quelle que soit leur nationalité »), ne décèle dans le morcellement aucun ferment d’inégalité. Souscrire à l’idée que l’application de la lex rei sitae selon l’article 3, alinéa 2 du code civil, qui conduit à une diversification des régimes applicables, violerait l’article 6 de la Déclaration, ce serait admettre que le morcellement est un facteur de discrimination alors qu’il tend simplement à garantir le respect des « liaisons verticales » pour parvenir à une fluidité de la transmission des biens du défunt dans l’ordre juridique même qui en assure la protection et au sein duquel « le règlement successoral s’exécutera et produira ses effets ». Aussi bien, s’il peut résulter de cette déférence à l’ordre juridique le plus fort une incoordination des règlements successoraux que le mémoire analyse en un manquement au principe d’égalité, ce manquement serait légitimé par l’objectif du rattachement réel – en « rapport direct avec l’objet de la loi ». Sans doute, ce rattachement risque de déjouer les prévisions du disposant qui aura ignoré les lois en vigueur dans les lieux de situation de ses immeubles et ne se sera point soucié de l’étendue des prérogatives que celles-ci lui reconnaissaient sur ses biens, mais cet inconvénient, dont ses légataires feront les frais, sera imputable ici encore à un défaut d’information laissant prospérer la représentation de la succession internationale comme un tout.

186. Il reste toutefois que l’inconvénient se ressent plus vivement avec l’essor contemporain de la conception individualiste de la succession, qui tend au renforcement du pouvoir du propriétaire sur le sort de ses biens post mortem. L’approche dualiste évidemment semble contrarier ce mouvement en compliquant les choix du disposant par les calculs, équations et péréquations auxquels l’astreignent, lorsqu’il s’en inquiète, « les solutions retenues par différentes juridictions qui ne font l’objet d’aucune coordination », selon les termes mêmes du mémoire. Mais ce mémoire ne distingue pas entre l’égalité qu’il prétend rompue et l’opportunité qui est le terrain sur lequel il attaque l’article 3, alinéa 2.

197. La Cour de cassation pour sa part ne s’y trompe pas. Elle saisit même l’occasion de rappeler l’économie du système dualiste en l’état où l’a établi la jurisprudence à la veille de sa disparition ; elle énonce en effet que s’agissant des immeubles, la règle de conflit « déroge à la loi désignée par la règle de conflit de lois française en cas de décès à l’étranger d’une personne y ayant son domicile ». Dérogation : il faut entendre ici que le principe était la désignation de la loi du dernier domicile tandis que l’application de la loi du lieu de situation à la dévolution des immeubles ne constituait qu’une exception. Cette « dialectique du principe et de l’exception » (F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Les successions, les libéralités, n° 80, p. 86) rend justement compte de la relative fragilité de la seconde (strictissimae interpretationis), que révèle, par exemple, l’accueil mesuré fait au mécanisme du renvoi (Civ. 1re, 20 juin 2006, n° 05-14.281, Wildenstein, D. 2007. 1710, note P. Courbe ; Rev. crit. DIP 2007. 383, note B. Ancel ; JDI 2007. 125, note H. Gaudemet-Tallon ; Civ. 1re, 11 févr. 2009, n° 06-12.140, Riley, D. 2009. 1658, obs. V. Egéa, note G. Lardeux ; Rev. crit. DIP 2009. 512, note B. Ancel ; JDI 2009. 567, note H. Péroz ; JCP 2009. II. 10068, note F. Boulanger ; Defrénois, 2009, n° 8971, note M. Revillard ; Dr. et patr. déc. 2009, n° 187, obs. M.-E. Ancel ; Civ. 1re, 23 juin 2010, n° 09-11.901, Tassel, D. 2010. 2955, note L. d’Avout ; Rev. crit. DIP 2011. 53, note B. Ancel ; JDI 2010. 1263, note H. Péroz ; Defrénois 2010. 1805, note P. Callé).

20Et la Cour de cassation peut ainsi souligner que, ramenée par ses soins à l’équilibre (v. Rev. crit. DIP 2007, préc., p. 389) et conforme aux principes constitutionnels, la vénérable construction dualiste meurt en pleine santé.

Français

Ne méconnaît ni le principe d’égalité de l’article 6, ni le principe d’effectivité du droit de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la règle de conflit propre à la succession immobilière qui, si elle déroge à la loi étrangère désignée par la règle de conflit de lois française en cas de décès à l’étranger d’une personne y ayant son dernier domicile, est cependant en rapport direct avec l’objet de la loi, dès lors que, s’agissant de la dévolution d’immeubles situés en France, le règlement successoral s’exécutera et produira ses effets sur son territoire, et elle n’introduit aucune différence de traitement entre les successibles, soumis, quelle que soit leur nationalité, à la loi française pour la dévolution desdits biens et est fondée sur un critère de rattachement réel déterminable avec certitude, de sorte qu’il n’y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires la mettant en cause (1).

Mots clés

  • Succession immobilière
  • Loi applicable
  • Morcellement
  • Articles 6 et 16, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
  • Principe d’égalité
  • Principe d’effectivité des droits
  • Questions prioritaires de constitutionnalité
  • Non transmission
  • Compétence
  • Compétence indirecte
  • Testament
  • Legs immobiliers
  • Immeubles sis en France
  • Compétence exclusive des tribunaux français
  • Constitutionnalité
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.184.0877
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Dalloz © Dalloz. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...