CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1République démocratique du Congo c/ FG Hemisphere Associates LLC

2La Cour :

3

  • Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

4Vu l’article 1699 du code civil ;

5Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la République démocratique du Congo a conclu un accord de réalisation et de financement d’une ligne haute tension avec la société Energoinvest, laquelle, après avoir initié une procédure d’arbitrage pour le recouvrement d’impayés, a cédé sa créance à la société FG Hemisphere Associates LLC ; que la République démocratique du Congo a exercé un recours en annulation contre la sentence rendue à Paris, la condamnant au paiement de diverses sommes dont la société FG Hemisphere Associates LLC avait obtenu l’exequatur ;

6Attendu que, pour déclarer irrecevable la demande de retrait litigieux formée par la République démocratique du Congo, l’arrêt retient que la mission de la cour d’appel, saisie en application des articles 1520 et 1525 du code de procédure civile, est limitée à l’examen des vices énumérés par ces textes, de sorte que la demande qui tend, après une instruction du fond de l’affaire, à la libération de la République du Congo par le paiement au cessionnaire du prix de cession et de divers accessoires, n’est pas comprise dans cette mission ;

7Qu’en statuant ainsi, alors que l’exercice du retrait litigieux affecte l’exécution de la sentence, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

8Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

9Casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 12 avril 2016, entre les parties, par la Cour d’appel de Paris.

10Du 28 février 2018 – Cour de cassation (Civ. 1re) – Pourvoi n° 16-22.112 – Mme Batut, prés. ; M. Hascher (rapp.) ; SCP Lesourd, SCP Ortscheidt, av.

11(1) Cet arrêt retient l’attention en ce qu’il illustre le potentiel du retrait litigieux pour permettre aux pays pauvres de résister contre les attaques des fonds spéculatifs cessionnaires de créances acquises sur le marché secondaire de la dette souveraine. En l’espèce, ce potentiel se révèle à l’occasion d’une tentative de la part d’un tel fonds d’obtenir exécution d’une sentence arbitrale condamnant l’État débiteur au paiement de la valeur nominale de la créance cédée.

12En l’occurrence, l’État souverain était la République démocratique du Congo, classée par la Banque mondiale parmi les pays pauvres très endettés (PPTE), dont la charge de remboursement est intenable (http://www.worldbank.org/en/topic/debt/brief/hipc ; comp. https://www.tresor.economie.gouv.fr/…/3766_Initiative-en-faveur-des-pays-pauvres-très-endettés). Le gouvernement de ce pays avait conclu un contrat avec la société Energoinvest (« compagnie yougoslave ») pour la réalisation et le financement d’une ligne haute tension. Divers incidents et vicissitudes plus tard, cette dernière a initié une procédure d’arbitrage à Paris (conformément à la clause d’arbitrage figurant dans le contrat) pour le recouvrement d’impayés, et l’arbitre a condamné la République démocratique du Congo au paiement de diverses sommes. C’est à ce stade que se produisent les événements qui confèrent tout son intérêt à un contentieux par ailleurs très banal mettant en jeu le statut de la sentence arbitrale. En effet, une fois la sentence rendue, Ergoinvest a cédé sa créance à la société FG Hemisphere Associates LLC.

13On sait que FG Hemisphere, incorporé aux États-Unis et parfois appelé FG Capital Management, fait partie des fonds « vautours » spécialisés dans la poursuite de la dette de pays « émergents » et que ce fonds décrit son objet comme « uncovering, investigating and managing alternative investment opportunities and special situations within the emerging markets » – sinistre euphémisme désignant spécifiquement la poursuite (le harcèlement procédural) de la République du Congo, dont il a déjà aspiré des sommes considérables, notamment en saisissant l’aide internationale au développement versée par la communauté internationale à cet État (v. en 2009, H. Stewart et A. Seager, Vulture fund swoops on Congo over 100m debt, Observer, 9 août 2009, www.guardian.co.uk/world/2009/aug/09/congo). On sait que d’autres fonds se concentrent sur la dette d’autres pays pauvres : leurs activités contentieuses ont été suivies de près dans les pages de cette Revue (v. en dernier lieu : Dette souveraine et main visible du marché : de nouveaux enjeux du droit international privé des contrats, Rev. crit. DIP 2015. 331). L’opération de cession intervenue à l’initiative de la société Ergoinvest au profit de FG Hemisphere ne doit pas non plus étonner. En effet, à lire le rapport du haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies sur la dette souveraine, on constate que la relation entre Ergoinvest et ce fonds vautour est déjà ancienne (A/HRC/14/21, 29 avr. 2010 : « Report of the independent expert Cephas Lumina on the effects of foreign debt and other related international financial obligations of States on the full enjoyment of all human rights, particularly economic, social and cultural rights », § 18).

14Quoi qu’il en soit, ce fonds a immédiatement recherché l’exequatur de la sentence arbitrale devant les juridictions parisiennes mais a été devancé par la République démocratique du Congo exerçant à son tour un recours en annulation contre celle-ci. Le présent contentieux résulte de ce que, à l’occasion de ce même recours, la République démocratique du Congo a déclaré exercer son droit de retrait litigieux en vertu de l’article 1699 du code civil, en proposant de payer au cessionnaire le prix de cession. Comme on le sait, celui-ci est nécessairement peu élevé et certainement bien moindre que le prix nominal de la créance dont le paiement est poursuivi devant l’arbitre. En effet, le marché secondaire de la dette souveraine est tributaire, d’une part, de la volonté des créanciers cédants de se débarrasser d’une créance devenue difficile à exécuter contre un État notoirement endetté (que cette circonstance fût prévisible, s’agissant d’un pays tel la République du Congo, ou non, et que le tout fasse partie d’une stratégie orchestrée par le fonds cessionnaire, ou non), d’autre part, sur le monopole et l’ultra-spécialisation des fonds cessionnaires, qui exercent en toute hypothèse une pression à la baisse du prix de rachat. Le retrait litigieux offrait donc à l’État débiteur le moyen de racheter sa propre dette, à la mesure du rabais consenti au cessionnaire de la créance.

15Mais la Cour d’appel de Paris saisie du contentieux de l’annulation déclare cette demande irrecevable, au motif que sa mission, au regard des articles 1520 et 1525 du code de procédure civile, serait limitée à l’examen des vices énumérés par ces textes, de sorte que la demande tendant, après une instruction du fond de l’affaire, à la libération de la République du Congo ne serait pas comprise dans cette mission (Paris, 12 avr. 2016, n° 11/20730, Gaz. Pal. 12 juill. 2017, p. 24, obs. D. Bensaude). C’est cet arrêt qui est censuré par la Cour régulatrice pour violation de l’article 1699 du code civil. L’exercice du retrait litigieux affectant l’exécution de la sentence, il appartenait bien aux juges saisis de l’annulation de celle-ci de statuer sur la demande du retrayant au titre de l’article 1699 du code civil. Le pourvoi fournit lui-même les éléments qui sous-tendent implicitement ce moyen très succinct et qui fournissent le cadre juridique de l’exercice du retrait litigieux. D’une part, le recours en annulation de la sentence engagée par la République démocratique du Congo était susceptible de conduire à la nullité de la sentence, de sorte qu’il imprimait bien à la créance un caractère litigieux. D’autre part, la cour d’appel était saisie d’un recours en annulation et tenue en vertu de l’article 4 du code de procédure civile de statuer sur toutes les demandes incidentes nées d’un fait postérieur à la sentence ou révélé postérieurement à celle-ci.

16Au-delà de la question – ici centrale – de la délimitation de la compétence du juge de l’annulation pour statuer sur le retrait intervenu postérieurement à la sentence, l’intérêt de l’arrêt rapporté du point de vue du droit international privé est de faire apparaître, en droit civil (entendre, dans un droit de tradition civiliste), l’un des rares moyens potentiellement efficaces, toutes traditions confondues, pour lutter contre l’action des fonds vautours en cas de rachat par ces derniers d’une dette souveraine. On ne reviendra pas ici sur les raisons éthiques pour lesquelles une telle résistance nous paraît entièrement légitime (comp. la préoccupation du Club de Paris dans sa résolution de mai 2007 d’éviter la vente de ses créances sur les pays les pauvres les plus endettés à d’autres créanciers non disposés à consentir un allégement de la dette au titre de l’initiative PPTE, préc.), nonobstant le barrage d’arguments juridiques régulièrement mobilisés par les fonds et tirés soit du droit des contrats (liés à la force obligatoire du contrat initial), soit de l’analyse économique (liés à l’utilité du marché secondaire de la dette souveraine en termes d’accès au crédit des pays pauvres), soit des principes de l’arbitrage d’investissement (liés au consentement formel de l’État à l’arbitrage), soit du régime juridique de l’immunité d’exécution de l’État (v. sur toutes ces discussions notre article préc., et comp. en dernier lieu, sur les velléités de la protection judiciaire de l’immunité d’exécution des États pauvres, D. Alland et T. Fleury Graff, Les limites de la renonciation par l’État à son immunité d’exécution, Rev. crit. DIP 2016. 1).

17L’investissement phénoménal des fonds dans la production de ces argumentaires, accompagnant la création progressive de précédents judiciaires sur tous ces points dans les systèmes de common law et la scission du contentieux entre le jugement de fond, ou l’arbitrage, et l’exécution, de façon à diluer la force des défenses tirées du fond de l’affaire, explique le rétrécissement remarquable des ressources argumentatives disponibles contre les activités des fonds vautours (sur toutes ces stratégies, v. notre art. préc.). Certaines juridictions en étaient arrivées alors, afin de protéger le débiteur souverain, à distordre les principes ordinairement applicables à l’immunité (par ex., pour les organismes autonomes, [2012] UKPC 27, Privy Council Appeal, n° 0061 of 2011, Rev. crit. DIP 2013. 632, note H. Muir Watt) ou à conclure que malgré l’évidente injustice de la solution atteinte, le droit ne leur donnait pas les moyens d’intervenir (High Court, Donegal international v. Republic of Zambia, 2007, EWHC (Comm.) 197). C’est pourquoi certains législateurs ont réagi en tentant avec plus ou moins de succès d’imposer d’autorité des barrages à l’entrée des fonds (cf. au Royaume-Uni, le Debt Relief (Developing Countries) Act 2010, qui plafonne le montant des sommes pouvant être obtenues contre des pays pauvres à un certain pourcentage de la valeur nominale de la dette ; v. D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, 4e éd., PUF, coll. « Thémis », 2017, n° 1079-4 ; en Belgique, une législation anti-vautours de 2015 vient d’être validée par le Conseil constitutionnel par décision du 31 mai 2018, après contestation par le fonds NML http://www.cadtm.org/Debt-justice-prevails-at-the-Belgian-Constitutional-Court-Vulture-funds-law ; aux États-Unis en revanche, un projet analogue a été un échec : https://www.theguardian.com/business/2009/jun/19/us-outlaw-vulture-funds).

18Or, parmi les arguments proposés, et généralement rejetés, par les États défendeurs devant les juridictions de common law, figurait la qualification de la cession de créance litigieuse de champerty (pour une discussion de la défense de champerty dans le contentieux de la dette souveraine, et de son déclin, v. Jonathan I. Blackman et R. Mukhi, The Evolution of Modern Sovereign Debt Litigation: Vultures, Alter Egos, and Other Legal Fauna, 73 L. & CONTEMP. PROBS. 47, 59 (2010), p. 52). Cette ancienne catégorie de common law (dérivée de l’ancien français féodal champart), qui a disparu aujourd’hui de nombre de systèmes, se traduit procéduralement par un moyen de défense ou exception qui permet de s’opposer à une action en justice de la part du cessionnaire lorsque la cession s’est faite à des fins exclusivement spéculatives. Il est devenu plus courant, plus populaire ou plus à la mode, au fur et à mesure que la spéculation est devenue une pratique de marché, de parler de litigation finance. Le recours par les États défendeurs à cette stratégie a été globalement un échec, se heurtant notamment à la difficulté de démontrer la fin exclusivement spéculative du rachat des créances sur le marché secondaire de la dette souveraine (v. au Royaume-Uni, Camdex international v. Bank of Zambia, [1997] EWCA Civ 798 et aux États-Unis, Elliott v. Banco de la Nacion and Republic of Peru, 76 F.R.D. 93 [S.D.N.Y. 1997]). Il a été remarqué alors que le retrait litigieux du droit civil, institution apparentée car destinée pareillement à lutter contre la spéculation sur les procès judiciaires, aurait pu au contraire prospérer (v. au sujet d’une affaire impliquant un autre vautour, NML, filiale d’Elliott, nos obs. sous Civ. 1re, 28 mars 2013, Rev. crit. DIP 2013. 671). Désormais, c’est chose faite. Bien que le pas franchi le soit sur un point de procédure, l’arrêt rapporté confirme le potentiel de cette institution pour éradiquer, au moins devant les juridictions françaises, le fléau que représente le rachat et la poursuite des dettes souverains. Le changement est significatif, sachant qu’il y a peu de temps, la présence des fonds vautours semblait échapper à la vigilance générale, y compris de la Cour de cassation (sur le terrain de l’immunité : Civ. 1re, 28 sept. 2011, n° 09-72.057, D. 2011. 2412 ; Rev. crit. DIP 2012. 124, note H. Gaudemet-Tallon).

19Rappelons que le retrait litigieux est régi par l’article 1699 du code civil, qui dispose que « celui contre lequel on a cédé un droit litigieux peut s’en faire tenir quitte par le cessionnaire, en lui remboursant le prix réel de la cession avec les frais et loyaux coûts, et avec les intérêts à compter du jour où le cessionnaire a payé le prix de la cession à lui faite ». Il est présenté comme un instrument de lutte contre la spéculation, doublé d’un moyen de mettre fin à un procès (v. en ce sens, F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil. Les obligations, 11e éd., Dalloz, 2013, n° 1296, p. 1343). Ainsi, en l’espèce, ce mécanisme empêche la poursuite par le fonds vautour du recouvrement de la valeur nominale de la cession en payant le prix réel de celle-ci. La question qui ne manquera pas de se poser, et dont on peut supposer qu’elle est déjà en voie de l’être du côté de la défense juridique des fonds vautours, est de savoir à quel titre le retrait litigieux intervient ainsi devant le juge du for, juge de l’exécution (ou de l’annulation) de la décision judiciaire ou de la sentence condamnant le débiteur (l’État souverain ici) au paiement du prix nominal de la créance au profit du cessionnaire (ici, le fonds vautour). Autrement dit, le retrait litigieux relève-t-il, comme son cousin le champerty, des institutions procédurales destinées à assurer la loyauté de l’action en justice et donc du domaine de la loi du for, ou serait-il plutôt une qualité intrinsèque à la créance cédée et, partant, du ressort du droit applicable à celle-ci, ou bien encore, sur le terrain du droit applicable, une loi de police ?

20Quoi qu’il en soit de l’analyse sur ce point du point de vue du droit civil (v. après la rédaction de cette notule, M. Laazouzi, Réflexions sur le retrait litigieux des créances en situation internationale, in Mélanges en l’honneur de Bertrand Ancel, LGDJ, coll. « Iprolex », 2018, p. 1090), dans le contexte spécifique de la dette souveraine l’existence de cette institution en tant que ressource de police procédurale nous paraît très opportune. Évocatrice de la sanction de la fraude à la loi qui se solde par l’inopposabilité de la manœuvre dénoncée, elle met en œuvre l’idée parfaitement économe (dont le fondement religieux est plausible mais discuté) selon lequel, devant subir soi-même les conséquences fâcheuses de ses actes, on est puni par là où l’on a péché (ou, selon des termes juridiques plus choisis, « présentant en outre l’intérêt de ne léser personne, le cédant ayant été désintéressé par le cessionnaire, lui-même remboursé par le cédé », F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op. et loc. cit.). Au demeurant, dans le débat souvent stérile sur les vertus respectives des traditions civiliste et de common law, il y a ici une démonstration intéressante de la façon dont une règle très simple du code civil permettrait d’éviter une intervention législative qui s’avère, comme on le voit dans les exemples de droit comparé cités plus haut, politiquement compliquée à réaliser. La suite de l’affaire sera donc très instructive !

Français

A violé l’article 1699 du code civil l’arrêt qui, pour déclarer irrecevable la demande de retrait litigieux formée par la République démocratique du Congo, retient que la mission de la cour d’appel, saisie en application des articles 1520 et 1525 du code de procédure civile, est limitée à l’examen des vices énumérés par ces textes, de sorte que la demande qui tend, après une instruction du fond de l’affaire, à la libération de la République du Congo par le paiement au cessionnaire du prix de cession et de divers accessoires, n’est pas comprise dans cette mission, alors que l’exercice du retrait litigieux affecte l’exécution de la sentence (1).

Mots clés

  • Retrait litigieux
  • Article 1699 du code civil
  • Sentence arbitrale
  • Juge saisi de l’annulation
  • Articles 1520 et 1525 du code de procédure civile
  • Mission du juge saisi de l’annulation
  • Exercice du retrait litigieux
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.184.0862
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