CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1[…]

2Sur la question préjudicielle

333. La juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13, paragraphe 2, du règlement n° 1215/2012, lu en combinaison avec l’article 11, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’il peut être invoqué par une personne physique, dont l’activité professionnelle consiste, notamment, à recouvrer des créances d’indemnisation auprès des assureurs et qui se prévaut d’un contrat de cession de créance conclu avec la victime d’un accident de circulation pour assigner en responsabilité civile l’assureur de l’auteur de cet accident, qui a son siège dans un État membre autre que celui du domicile de la personne lésée, devant une juridiction de ce dernier État membre.

434. À titre liminaire, il convient de relever qu’il ressort de la décision de renvoi, premièrement, que le recours au principal de M. Hofsoe ayant été introduit le 4 février 2015, soit postérieurement au 10 janvier 2015, le règlement n° 1215/2012 est applicable, conformément à son article 81.

535. Deuxièmement, l’article 822, paragraphe 4, du code civil ouvre à la personne ayant droit à une réparation la faculté d’intenter une action directe contre l’assureur, laquelle, aux termes de l’article 13, paragraphe 2, du règlement n° 1215/2012, a pour conséquence de rendre applicables les articles 10 à 12 de ce règlement.

636. Troisièmement, dans la mesure où l’article 11, paragraphe 1, sous b), et l’article 13, paragraphe 2, du règlement n° 1215/2012 reprennent, pour l’essentiel, les libellés respectifs de l’article 9, paragraphe 1, sous b), et de l’article 11, paragraphe 2, du règlement n° 44/2001, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de ce dernier règlement demeure valable pour les dispositions équivalentes du règlement n° 1215/2012 (voir, par analogie, arrêts du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide, C-352/13, EU:C:2015:335, point 60, et du 21 janvier 2016, SOVAG, C-521/14, EU:C:2016:41, point 43).

737. Quatrièmement, il importe également de rappeler que la Cour a jugé que le renvoi opéré à l’article 13, paragraphe 2, du règlement n° 1215/2012 a pour objet d’ajouter à la liste des demandeurs, contenue dans l’article 11, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, les personnes ayant subi un dommage, sans que le cercle de ces personnes eût été restreint à celles l’ayant subi directement (arrêt du 20 juillet 2017, MMA IARD, C-340/16, EU:C:2017:576, point 33 et jurisprudence citée).

838. C’est ainsi que le forum actoris doit être respectivement étendu aux héritiers d’un assuré et à l’employeur qui a maintenu la rémunération d’un salarié pendant la durée du congé de maladie consécutif à un accident de la circulation subi par son employé (arrêts du 17 septembre 2009, Vorarlberger Gebietskrankenkasse, C-347/08, EU:C:2009:561, point 44, et du 20 juillet 2017, MMA IARD, C-340/16, EU:C:2017:576, point 35).

939. Ces décisions sont fondées sur une motivation selon laquelle, d’une part, l’objectif des dispositions figurant sous la section 3 du chapitre II du règlement n° 1215/2012 est de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales et, d’autre part, un cessionnaire des droits de la personne directement lésée, qui peut être lui-même considéré comme partie faible, devrait pouvoir profiter des règles spéciales de compétence juridictionnelle définies aux dispositions combinées de l’article 11, paragraphe 1, sous b), et de l’article 13, paragraphe 2, du règlement n° 1215/2012 (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2009, Vorarlberger Gebietskrankenkasse, C-347/08, EU:C:2009:561, points 40 et 44).

1040. Cela étant, les dérogations au principe de compétence du for du défendeur doivent présenter un caractère exceptionnel et s’interpréter strictement (voir, en ce sens, arrêts du 17 juin 1992, Handte, C-26/91, EU:C:1992:268, point 14 ; du 19 janvier 1993, Shearson Lehman Hutton, C-89/91, EU:C:1993:15, points 14 à 17 ; du 13 juillet 2000, Group Josi, C-412/98, EU:C:2000:399, points 49 et 50, ainsi que du 17 septembre 2009, Vorarlberger Gebietskrankenkasse, C-347/08, EU:C:2009:561, points 36 à 39).

1141. Dans ces conditions, la fonction de protection que remplit l’article 13, paragraphe 2, du règlement n° 1215/2012, lu à la lumière de l’article 11, paragraphe 1, sous b), dudit règlement implique que l’application des règles de compétence spéciales prévues par ces dispositions ne soit pas étendue à des personnes pour lesquelles cette protection ne se justifie pas (voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 2000, Group Josi, C-412/98, EU:C:2000:399, points 65 et 66 ; du 26 mai 2005, GIE Réunion européenne e.a., C-77/04, EU:C:2005:327, point 20, et du 17 septembre 2009, Vorarlberger Gebietskrankenkasse, C-347/08, EU:C:2009:561, point 41).

1242. Il s’ensuit qu’aucune protection spéciale ne se justifie dans les rapports entre des professionnels du secteur des assurances, dont aucun d’entre eux ne peut être présumé se trouver en position de faiblesse par rapport à l’autre (voir arrêts du 26 mai 2005, GIE Réunion européenne e.a., C-77/04, EU:C:2005:327, point 20 ; du 17 septembre 2009, Vorarlberger Gebietskrankenkasse, C-347/08, EU:C:2009:561, point 42, et du 21 janvier 2016, SOVAG, C-521/14, EU:C:2016:41, points 30 et 31).

1343. Partant, une personne, telle que M. Hofsoe, qui exerce une activité professionnelle dans le domaine du recouvrement des créances d’indemnités d’assurance, en qualité de cessionnaire contractuel de telles créances, ne saurait bénéficier de la protection spéciale que constitue le forum actoris.

1444. Si, certes, ainsi que le précise le considérant 18 du règlement n° 1215/2012, l’objectif de la section 3 du chapitre II de ce règlement est de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales, il apparaît que la demande en cause au principal s’inscrit dans des rapports entre professionnels et qu’elle n’est pas de nature à affecter la situation procédurale d’une partie réputée plus faible (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, SOVAG, C-521/14, EU:C:2016:41, points 29 et 30).

1545. À cet égard, la circonstance qu’un professionnel, tel que M. Hofsoe, exerce son activité dans le cadre d’une petite structure ne saurait mener à considérer qu’il s’agit d’une partie réputée plus faible que l’assureur. En effet, une appréciation au cas par cas de la question de savoir si un tel professionnel peut être considéré comme une « partie plus faible » afin de pouvoir relever de la notion de « personne lésée », au sens de l’article 13, paragraphe 2, du règlement n° 1512/2012, ferait naître un risque d’insécurité juridique et irait à l’encontre de l’objectif dudit règlement, énoncé au considérant 15 de celui-ci, selon lequel les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité (voir, en ce sens, arrêt du 20 juillet 2017, MMA IARD, C-340/16, EU:C:2017:576, point 34).

1646. Une telle interprétation est, du reste, confortée par l’objectif rappelé au considérant 15 du règlement n° 1215/2012, selon lequel les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur.

1747. Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 13, paragraphe 2, du règlement n° 1215/2012, lu en combinaison avec l’article 11, paragraphe 1, sous b), de ce règlement doit être interprété en ce sens qu’il ne peut pas être invoqué par une personne physique, dont l’activité professionnelle consiste, notamment, à recouvrer des créances d’indemnisation auprès des assureurs et qui se prévaut d’un contrat de cession de créance conclu avec la victime d’un accident de circulation pour assigner l’assureur en responsabilité civile de l’auteur de cet accident, qui a son siège dans un État membre autre que l’État membre du domicile de la personne lésée, devant une juridiction de ce dernier État membre.

18[…]

19Du 31 janvier 2018 – Cour de justice de l’Union européenne (8e ch.) – Aff. C-106/17 – M. J. Malenovský, prés., M. D. Šváby, rapp., M. M. Bobek, av. gén.

201. L’arrêt Hofsoe du 31 janvier 2018 est le troisième arrêt que la Cour de justice a rendu en l’espace de quelques mois sur la compétence pour statuer sur l’action directe contre l’assureur du responsable d’un accident (v. sur cet arrêt déjà Europe 2018. Comm. 126, obs. L. Idot ; Procédures 2018. Comm. 108, obs. C. Nourissat ; RGDA mars 2018. 167, note G. Parléani), les deux autres datant du mois de juillet 2017 (CJUE 13 juill. 2017, Assens Havn c. Navigators Management (UK) Limited, aff. C-368/16, D. 2017. 1536 ; ibid. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; RTD com. 2017. 741, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; Rev. UE 2018. 301, chron. A. Cudennec, N. Boillet, O. Curtil, C. De Cet-Bertin, G. Guéguen-Hallouët et M. Taillens ; Europe 2017. Comm. 391, obs. L. Idot ; Procédures 2017. Comm. 235, obs. C. Nourissat ; 20 juill. 2017, Landeskrankenanstalten-Betriebsgesellschaft KABEG c. Mutuelles du Mans assurances MMA IARD SA, aff. C-340/16, D. 2017. 1606 ; ibid. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; Europe 2017. Comm. 390, obs. L. Idot ; Procédures 2017. Comm. 238, obs. C. Nourissat). L’importance pratique de ce contentieux indemnitaire justifie que l’on fasse un point sur les derniers enseignements apportés par la Cour qui possèdent un intérêt également pour l’interprétation des autres fors de protection du règlement Bruxelles I bis, notamment celui en faveur des consommateurs.

212. À la lecture de ces arrêts, il apparaît clairement que la Cour cherche à préserver l’efficacité de la protection voulue par le législateur européen. C’est ainsi qu’elle a dans l’arrêt Assens Havn pour la première fois explicitement écarté l’opposabilité à la victime de la clause attributive de juridiction convenue entre l’assureur de responsabilité et l’assuré responsable. Lorsque la victime dispose d’une action directe contre l’assureur, ce dernier ne peut pas se prévaloir de la clause attributive de juridiction stipulée dans le contrat d’assurance, auquel la victime est un tiers. Sur le fond, la solution ne faisait probablement guère de doute, mais compte tenu de l’importance pratique de la question au regard du caractère systématique de la stipulation de telles clauses dans les contrats d’assurance, une décision claire sur ce point était attendue. L’extension à la victime de l’effet contraignant de la clause attributive de juridiction aurait évidemment contredit l’esprit de faveur pour la victime, à qui le règlement permet justement d’attraire l’assureur devant le tribunal de son propre domicile ou devant celui du lieu du fait dommageable.

223. En même temps, il apparaît également à la lecture des arrêts que la Cour entend réserver les fors spéciaux de protection des parties faibles aux seules personnes qu’elle considère être réellement en position de faiblesse, écartant par là toute approche abstraite qui serait fondée uniquement sur la logique des techniques de transfert de droits, telles que la subrogation et la cession de créance, lesquelles sont susceptibles d’introduire dans la position du demandeur des professionnels que le législateur européen n’avait pas à l’esprit en instituant les règles spéciales. L’approche concrète de la Cour correspond ainsi parfaitement à l’objectif qui fonde les dispositions du règlement. C’est sur cet aspect, qui était au cœur de l’arrêt Hofsoe, que le présent commentaire se concentrera.

234. L’affaire Hofsoe (comme déjà l’affaire MMA IARD) portait, en effet, sur la question de la détermination des personnes autorisées à se prévaloir des règles de compétence protectrices instituées par le règlement. Le règlement lui-même fait explicitement référence au preneur d’assurance, à l’assuré, au bénéficiaire et à la victime, ce qui suscite une difficulté d’interprétation en cas de cession par la victime de sa créance d’indemnisation à un tiers. En l’espèce, le litige était né à l’occasion d’un accident de la circulation survenu en Allemagne. L’accident avait été causé par une conductrice allemande, assurée auprès du Landwirtschaftlicher Versicherungsverein Münster (LVM), tandis que la victime était une personne domiciliée en Pologne qui, en raison de l’accident, a dû louer un véhicule de remplacement dont le coût lui a été seulement partiellement remboursé par LVM. La victime a cédé contractuellement sa créance, correspondant aux 2 800 € non remboursés par l’assureur, à M. Hofsoe, un professionnel du recouvrement des créances d’indemnités d’assurance qui exerce son activité commerciale en Pologne. Aux termes de ce contrat, M. Hofsoe, après avoir indemnisé la victime, devait se charger lui-même du recouvrement des dommages-intérêts auprès de l’assureur du responsable de l’accident. Il a fait le choix d’assigner LVM en remboursement devant les juridictions polonaises du domicile de la victime (et sans doute de son propre établissement professionnel), en invoquant l’article 13, paragraphe 2, lu en combinaison avec l’article 11, paragraphe 1, sous b). Le second de ces textes permet au preneur d’assurance, à l’assuré ou au bénéficiaire de porter l’action contre l’assureur devant la juridiction du lieu où le demandeur a son domicile. Quant au premier de ces textes, il rend le second applicable en cas d’action directe intentée « par la personne lésée » contre l’assureur. Il en découle un forum actoris : la victime peut assigner l’assureur du responsable devant les juridictions de son propre domicile. En l’espèce, se posait dès lors la question de savoir si un demandeur comme M. Hofsoe pouvait être assimilé à la personne lésée et bénéficier ainsi du for protecteur de l’action directe institué en faveur de la victime. La Cour de justice y a répondu par la négative, au terme d’un raisonnement qui, sans emporter la conviction sur tous les points, mérite néanmoins l’approbation quant à son résultat final.

245. L’on sait que le règlement Bruxelles I bis ne régit pas lui-même la possibilité d’exercer une action directe contre l’assureur. Son article 13 définit la compétence « lorsque l’action directe est possible », ce qui requiert au préalable un détour par la loi applicable et donc par la règle de conflit du juge saisi (H. Gaudemet-Tallon, Compétence et exécution des jugements en Europe, LGDJ, 2015, n° 275). En l’espèce, sans apporter d’explications sur la règle de conflit appliquée, la Cour de justice s’est référée à l’article 822, paragraphe 4 du code civil polonais qui ouvre l’action directe en des termes très généraux (pt 35 de l’arrêt). Si l’on essaie de retracer le raisonnement conflictuel qui a pu mener à cette conclusion, on peut se demander si la Cour n’est pas allée un peu vite. S’agissant d’une instance engagée devant la juridiction d’un État membre – la Pologne – ayant ratifié la Convention de La Haye de 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière, il fallait se fonder sur l’article 9 de cette Convention. Ce texte renvoie d’abord à la loi du lieu de survenance de l’accident, ici la loi allemande (article 3 ; les articles 4 et 5 également visés par l’article 9 n’entraient pas en ligne de compte en l’espèce). Si cette loi n’admet pas l’action directe, celle-ci est néanmoins possible si elle est admise par la loi régissant le contrat d’assurance. En l’espèce, s’agissant d’un contrat conclu entre un assureur allemand et une assurée également allemande, il est vraisemblable que la loi allemande était également applicable à ce titre. Notons que l’article 18 du règlement Rome II n’aurait pas conduit à un autre résultat, à moins que le contrat de location du véhicule de remplacement ait été conclu en Pologne, auquel cas on aurait éventuellement pu soutenir que le dommage était survenu en Pologne, et non en Allemagne. Toutefois, l’arrêt ne fournit pas d’informations factuelles à ce sujet et, de toute façon, le règlement Rome II n’était pas applicable en l’espèce. On ne voit donc pas très bien comment la Cour a pu se fonder sur le code civil polonais. L’arrêt a été rendu sans conclusions écrites de l’avocat général, qui auraient sans doute pu éviter une telle erreur. De son côté, la Cour de cassation se montre plus vigilante puisqu’elle a récemment censuré une cour d’appel, qui s’était pareillement fondée sur la lex fori pour constater que l’action directe était possible, alors qu’elle aurait dû rechercher quelle était la loi applicable à l’action directe et si celle-ci était possible selon ce droit (Civ. 1re, 17 mai 2017, n° 16-17.327, D. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; JCP 2017. 731, note V. Heuzé, qui critique l’arrêt toutefois pour avoir appliqué la règle de compétence propre à l’action directe à une assurance sur corps, qui est une assurance de choses, alors que le règlement ne semble viser que les assurances de responsabilité). Heureusement, sur le fond, l’erreur ne prête pas à conséquence dans l’affaire Hofsoe, puisque le § 115 de la loi allemande sur le contrat d’assurance (Versicherungsvertragsgesetz du 23 novembre 2007, BGBl. I p. 2631) permet l’action directe dans le cadre des assurances obligatoires de responsabilité civile, ce qui était le cas ici.

256. Lorsque la possibilité de l’action directe est ainsi acquise, il convient de s’interroger sur les personnes pouvant bénéficier du forum actoris institué par le législateur européen pour protéger le demandeur. En reprenant l’intégralité des principes consacrés dans les arrêts antérieurs, la Cour conclut en l’espèce que le cessionnaire de créance, qui était un professionnel du recouvrement des créances d’indemnités d’assurance, ne pouvait se prévaloir du forum actoris institué pour protéger la partie la plus faible. En effet, l’action oppose alors deux professionnels du secteur des assurances, peu important à cet égard que le cessionnaire était une personne physique qui exerçait son activité professionnelle dans le cadre d’une petite structure alors que l’assureur était une personne morale, dotée d’une force économique et juridique plus importante. La Cour inscrit cette interprétation dans la logique de l’interprétation stricte des dérogations au principe de compétence du for du défendeur, qui la conduit à ne pas étendre l’application des règles spéciales à des personnes pour lesquelles la protection ne se justifie pas, ce qui est précisément le cas, selon elle, dans les rapports entre deux professionnels du secteur des assurances. Elle s’appuie en outre sur la nécessaire prévisibilité des solutions pour écarter une appréciation de la position de faiblesse au cas par cas. Il est vrai que l’on ne voit pas très bien quel critère permettrait de définir de façon rigoureuse la position de faiblesse dans les rapports entre professionnels. Tout seuil en termes de chiffres d’affaires, par exemple, a quelque chose d’arbitraire. Une distinction entre personnes physiques et personnes morales serait sans doute plus pertinente, mais dans l’ensemble, l’approche ne semble pas indiquée. En droit interne, la France a inséré au cours des dernières années des règles protectrices dans le droit commun des contrats civils et commerciaux, mais l’approche poursuivie ne peut pas non plus être transposée ici puisqu’elle est fondée sur l’existence d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, et non sur les caractéristiques des parties elles-mêmes (v. C. civ., art. 1171 et C. com., art. L. 442-6 I 2 et, en droit de la consommation, C. consom., art. L. 212-1).

267. La Cour de justice avait déjà mis en avant l’objectif de prévisibilité dans l’arrêt MMA IARD, ce qui incite à se livrer à une comparaison des deux affaires. Dans MMA IARD, il s’était agi d’un accident de la circulation survenu en Italie. La victime était un salarié domicilié en Autriche, travaillant pour un établissement de droit public autrichien, tandis que le véhicule impliqué était assuré auprès d’une assurance française. L’employeur autrichien avait maintenu la rémunération pendant la durée du congé de maladie consécutif à l’accident et était subrogé dans les droits de la victime à cette hauteur. Il avait assigné l’assureur français dans le cadre d’une action directe devant la juridiction autrichienne de son propre domicile, et se posait donc de façon similaire la question du forum actoris invoqué par un demandeur qui n’était pas la personne directement lésée. La Cour de justice avait admis dans son arrêt du 20 juillet 2017 la compétence de la juridiction autrichienne en considérant que l’employeur subrogé dans les droits de la victime relevait de la notion de victime à qui le for protecteur de l’action directe est ouvert. Selon la Cour, un tel employeur pouvait être considéré comme plus faible que l’assureur. La solution est consacrée en des termes généraux, sans égard pour la taille et la forme juridique de l’employeur (pt 35 de l’arrêt), ce qui a le mérite de la prévisibilité, en évitant toute appréciation au cas par cas. Par conséquent, on constate aujourd’hui une nette opposition entre, d’un côté, la situation de l’employeur subrogé dans les droits de la victime et, de l’autre, celle du professionnel cessionnaire de la créance d’indemnisation de la victime.

278. Pour saisir la logique d’ensemble, il convient de placer ces arrêts dans une perspective plus générale au regard de la jurisprudence antérieure de la Cour, ce qui permet de constater que la situation de l’employeur subrogé s’oppose également à celle de l’organisme de sécurité sociale lorsque celui-ci agit contre l’assureur en qualité de cessionnaire légal des droits de la victime. En effet, dans l’arrêt Vorarlberger Gebietskrankenkasse, la Cour avait refusé le bénéfice du recours direct devant les juridictions de l’État de son propre domicile à l’organisme de sécurité sociale afin d’éviter une application des règles de compétence protectrices à des personnes pour qui une telle protection ne se justifie pas (CJUE 17 sept. 2009, Vorarlberger Gebietskrankenkasse, aff. C-347/08, pts 41 à 43, RTD eur. 2010. 421, chron. M. Douchy-Oudot et E. Guinchard ; RGDA 2010. 469, note V. Heuzé). Elle avait alors précisé que si, au contraire, le cessionnaire légal des droits de la personne directement lésée peut lui-même être considéré comme partie faible, comme cela serait notamment le cas des héritiers de la victime d’un accident, il devrait pouvoir profiter des règles protectrices (pt 44 de l’arrêt Vorarlberger Gebietskrankenkasse). Plus généralement, depuis l’arrêt GIE Réunion européenne, la Cour considère de façon constante qu’aucune protection spéciale ne se justifie dans les rapports entre des professionnels du secteur des assurances, dont aucun d’entre eux ne peut être présumé se trouver en position de faiblesse par rapport à l’autre (CJUE 26 mai 2005, GIE Réunion européenne e.a., aff. C-77/04, point 20, Rev. crit. DIP 2006. 168, note A. Sinay-Cytermann).

289. Ce qu’il faut comprendre de la lecture combinée des arrêts est que la Cour raisonne en fonction de la qualité précise de chaque demandeur, et non à partir des techniques juridiques de transferts des droits. Les droits de la victime peuvent avoir été transférés de la même façon à un organisme de sécurité sociale, à un employeur ou à un héritier. Mais ce n’est pas le fait de recueillir les droits de la victime qui est déterminant, seule important la qualité de celui qui les acquiert. L’employeur subrogé n’est pas un professionnel du secteur des assurances et c’est pour cette raison qu’il a pu être qualifié de partie plus faible. Une telle lecture de la jurisprudence permet également de comprendre la solution consacrée dans l’arrêt Hofsoe puisque celui-ci, au contraire, était bien un professionnel du recouvrement des créances d’indemnités d’assurance. En revanche, pour des considérations de sécurité juridique et de prévisibilité des solutions, la Cour ne pousse pas l’analyse in concreto jusqu’à opérer une différenciation en fonction de la taille ou de la forme juridique du demandeur. On peut donc avoir, d’un côté, un employeur subrogé qui est considéré comme partie faible bien qu’il s’agisse d’une grande structure de droit public et, de l’autre, une personne physique cessionnaire conventionnel à qui cette qualité est refusée malgré sa taille modeste. En dépit de ce paradoxe apparent, il y a dans cette jurisprudence une cohérence indiscutable.

2910. Pour conclure, il est possible de faire un parallèle avec les règles protectrices des consommateurs. Dans l’arrêt MMA IARD, la Cour explique, en suivant la position de l’avocat général M. Bobek, que la notion de partie plus faible a une acception plus large en matière d’assurances qu’en matière de contrats de consommation, puisqu’elle comprend des parties qui peuvent être des entités assez fortes sur les plans économique et juridique (AG M. Bobek, conclusions dans l’affaire C-340/16, pt 47), alors qu’en matière de consommation, le demandeur doit lui-même être le consommateur (v. à propos des associations de défense des consommateurs, CJCE 1er oct. 2002, Verein für Konsumenteninformation c. Karl Heinz Henkel, aff. C-167/00, D. 2002. 3200, note H. K. Gaba ; Rev. crit. DIP 2003. 682, note P. Remy-Corlay ; RTD com. 2003. 204, obs. A. Marmisse ; JDI 2004. 903, note F. Leclerc). Mais au-delà de cette différence, les approches sont cohérentes. En effet, la Cour a déjà eu l’occasion de décider qu’en cas de cession conventionnelle d’une créance par un consommateur à un cessionnaire qui agit dans le cadre de son activité professionnelle, le for de protection n’est pas disponible (CJCE 19 janv. 1993, Shearson Lehmann Hutton, aff. C-89/91, D. 1993. 214, obs. J. Kullmann ; Rev. crit. DIP 1993. 320, note H. Gaudemet-Tallon ; comp., en cas de cession à un autre consommateur, le cessionnaire consommateur ne peut pas faire valoir devant les juridictions de son propre domicile les droits qui lui ont été cédés par un consommateur domicilié dans un autre État membre, CJUE 25 janv. 2018, Schrems, aff. C-498/16, D. 2018. 246 ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1033, obs. B. Fauvarque-Cosson et W. Maxwell ; Dalloz IP/IT 2018. 371, obs. M. Combet ; Rev. crit. DIP 2018. 593, note H. Muir Watt). La solution est donc la même en matière de consommation et en matière d’assurances.

Français

L’article 13, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, lu en combinaison avec l’article 11, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’il ne peut pas être invoqué par une personne physique, dont l’activité professionnelle consiste, notamment, à recouvrer des créances d’indemnisation auprès des assureurs et qui se prévaut d’un contrat de cession de créance conclu avec la victime d’un accident de circulation pour assigner l’assureur en responsabilité civile de l’auteur de cet accident, qui a son siège dans un État membre autre que l’État membre du domicile de la personne lésée, devant une juridiction de ce dernier État membre (1).
Paweł Hofsoe c/ LVM Landwirtschaftlicher Versicherungsverein Münster AG

Mots clés

  • Règlement (UE) n° 1215/2012
  • Article 13, paragraphe 2 lu en combinaison avec l’article 11, paragraphe 1, sous b)
  • Accident de la circulation
  • Action directe contre l’assureur du responsable
  • Cession de la créance d’indemnisation
  • Action du cessionnaire
  • Professionnel du recouvrement de créances d’indemnisation.
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.183.0609
Pour citer cet article
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