CAIRN.INFO : Matières à réflexion

European Commentaries on Private International Law. Brussels I bis Regulation, Magnus (Ulrich) et Mankowski (Peter) (dir.), 3e éd., Otto Schmidt, 2016, 1163 pages

1.Après la parution l’an passé de la cinquième édition du livre d’Hélène Gaudemet-Tallon intitulé Compétence et exécution des jugements en Europe (LGDJ, 2015), celle de la troisième édition de l’ouvrage dirigé par MM. Ulrich Magnus et Peter Mankowski, tous deux professeurs à l’Université de Hambourg, constitue un événement majeur pour tous ceux, justiciables, universitaires, étudiants et praticiens qui se trouvent parfois confrontés au règlement européen « Bruxelles I » ainsi qu’à son successeur le règlement « Bruxelles I bis ».

2Depuis leur première édition en 2007, ces Commentaires ont bénéficié, comme le rappellent MM. Magnus et Mankowski dans leur préface à cette troisième édition, d’un accueil « exceptionnellement bon » qui en fait assurément l’un des « leading works on the Brussels I Regulation » (p. V).

3À mesure que grandissait la notoriété de l’ouvrage, il s’est également étoffé. Ainsi, tandis que la première édition comptait 852 pages, et la deuxième, parue en 2012, 972, la troisième franchit allégrement la barre des 1 100 pages. Ceci rappelle que l’exégèse des instruments européens de droit international privé, et tout particulièrement des règlements Bruxelles I et I bis, doit être sans cesse reprise, dans les délais d’ailleurs relativement brefs qu’imposent les modifications des textes et une jurisprudence foisonnante.

4Forts de leur succès, ces Commentaires ont ouvert la voie à d’autres, au point qu’ils ne sont plus, aujourd’hui, que l’une des pièces d’un ensemble plus vaste, dont on espère qu’il poursuivra son expansion : ils forment en effet le tome I des European Commentaries on Private International Law. Le tome II est consacré au règlement Rome I et le tome III au règlement Rome II. L’on se souvient en outre qu’en 2012 avait paru un commentaire du règlement Bruxelles II bis. L’initiative était salutaire s’agissant d’un texte qui fait quelque peu figure de parent pauvre des règlements européens, du moins si l’on compare l’attention qui lui est portée par la doctrine à celle suscitée par les règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis.

5Le succès de ces Commentaires est au demeurant pleinement mérité. La qualité de cet ouvrage est en effet à la hauteur de l’ambition qui a présidé à son élaboration.

6Si l’anglais a remplacé le latin, ce livre participe, avec d’autres (v. par ex. A. Nuyts et N. Watte (dir.), International Civil Litigation in Europe and Relations with Third States, Bruylant, 2005) de la renaissance d’un véritable jus commune européen. Il en constitue même, sans doute, la forme la plus achevée.

7L’équipe d’auteurs, légèrement remaniée par rapport à l’édition précédente – Gilles Cuniberti et Isabelle Rueda remplacent Konstantinos Kerameus et Lennart Palsson, Xandra Kramer se substitue à Lajos Vékas, Thomas Garber épaule désormais Marta Pertegas – incarne à cet égard l’Europe dans sa diversité et sa richesse : les auteurs enseignent en effet aux quatre coins du continent (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suisse).

8Cette richesse et cette diversité se retrouvent bien sûr dans l’ouvrage. Ce dernier réussit en effet le tour de force d’être homogène, grâce à un important travail éditorial, et de ménager dans le même temps une place à différentes sensibilités ainsi qu’à une multitude de sources doctrinales et prétoriennes, lesquelles varient d’une contribution à l’autre, eu égard notamment à la nationalité des auteurs.

9Le plan de l’ouvrage, d’une parfaite simplicité puisqu’il procède d’un découpage par articles suivant l’ordre du règlement, est lui-même aux confins de traditions diverses : il évoquera à certains un commentaire à l’allemande, et rappellera à d’autres, par certains aspects, la méthode exégétique un temps suivie en France par les commentateurs du Code Napoléon.

10Nonobstant sa simplicité et la lisibilité qu’il procure, le plan choisi comporte également quelques menus inconvénients. Il sied mal, en particulier, à certaines questions fondamentales, dont la transversalité se prête peu à une approche article par article. L’on songe notamment, sous ce rapport, à deux questions d’ailleurs étroitement liées : celle de l’effet dit « réflexe » ou « miroir » de certaines dispositions du règlement et celle du forum non conveniens.

11S’agissant de l’effet réflexe, il est ainsi abordé à de multiples reprises dans l’ouvrage : il l’est au sujet des compétences exclusives de l’article 24 (p. 562-563), des clauses d’élection de for visées par l’article 25 (p. 608-610), des prorogations volontaires de compétence évoquées à l’article 26 (p. 677), des nouvelles règles, énoncées aux articles 33 et 34, sur la connexité et la litispendance impliquant des fors tiers (p. 770-777), à propos enfin des motifs de refus de reconnaissance posés par l’article 45 (p. 938). Or les positions défendues par les auteurs dans ces différents passages de l’ouvrage ne sont pas toujours aisément conciliables. L’effet réflexe est ainsi plébiscité concernant les articles 24 et 25, mais fermement écarté à propos de l’article 26. Il est également exclu au stade de la reconnaissance, lorsque la décision émane d’un juge d’un État membre qui a admis sa compétence sans tenir compte du fait que l’un des critères posés par l’article 24 se réalisait dans un État tiers. Dans son très intéressant commentaire, nourri de jurisprudence anglaise, des nouveaux articles 33 et 34, M. Richard Fentiman adopte pour sa part une approche nuancée, et envisage les modalités d’une articulation entre l’effet réflexe et le recours aux règles de droit international privé commun des États membres (§ 21 s., p. 766 s.). Un tel recours est en revanche condamné sans appel par MM. Calvo Caravaca et Gonzalez dans leur étude de l’article 26 (§ 22, p. 677). Ces différences d’approche ne sont évidemment pas critiquables en elles-mêmes : elles attestent la différence de sensibilités des auteurs et contribuent à enrichir le débat. L’on regrettera en revanche que les termes de celui-ci ne soient pas mieux posés. Si en effet la plupart des contributeurs retiennent de l’effet réflexe une conception identique, et fidèle aux idées de Droz, tel n’est pas le cas des commentateurs sus-évoqués de l’article 26, pour qui la théorie de l’effet réflexe justifierait l’éviction du règlement Bruxelles I bis dans les cas où un État tiers aurait probablement une compétence exclusive, et l’application des seules règles de droit international privé commun (§ 22, p. 677). Il y a là une approche pour le moins dissidente de cette théorie.

12Une observation du même ordre peut être faite au sujet du forum non conveniens, qui aurait pu faire l’objet d’une approche unitaire mais qui, du fait du plan choisi, est traité de manière éparse : ainsi est-il abordé à propos de la règle actor sequitur forum rei de l’article 4 (p. 109-111), des relations entre les articles 4 et 7 (p. 153), de la mise en œuvre de l’article 7-1 b) instituant une option de compétence en matière contractuelle (p. 234), de celle de l’article 7-2 pour les délits commis via internet (p. 322), de l’article 8 relatif à la compétence à l’égard des co-défendeurs (p. 380-381), des clauses d’élection de for (p. 613) et des nouvelles règles posées par les articles 33 et 34 sur la litispendance et la connexité impliquant des fors tiers (p. 770 s.).

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14L’ouvrage s’ouvre par la préface à la dernière édition, rédigée par MM. Magnus et Mankowski. Elle est suivie d’une liste des contributeurs, de la préface à la première édition de l’ouvrage et d’une table des matières. Ces premières pages comportent également une liste très utile des rapports officiels consacrés non seulement au règlement Bruxelles I bis, mais aussi à ses prédécesseurs ainsi qu’aux conventions de Lugano. Suivent deux bibliographies, l’une principale, l’autre additionnelle, toutes deux très complètes, recensant les principaux ouvrages, monographies et articles relatifs aux règles de compétence européennes. L’on découvre alors une liste des abréviations tout à fait impressionnante, qui donne à elle seule une première impression de l’ampleur de ces Commentaires et de la multitude des sources auxquelles ils ont puisé.

15L’on entre ensuite dans le vif du sujet par le biais d’une introduction de M. Ulrich Magnus, chapeautée par une reproduction des considérants du nouveau règlement. Extrêmement riche, cette introduction, qui excède les 50 pages, aborde des thèmes divers. Elle retrace ainsi les finalités du règlement Bruxelles I bis, le cheminement qui, depuis la convention de Bruxelles de 1968 en passant par les multiples révisions, a conduit au texte actuel. Elle évoque aussi la place qu’occupe ce texte au sein du droit judiciaire européen, ou encore la question de son articulation avec les conventions de Lugano (§ 32 s.) et de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for (§ 15). L’auteur revient par ailleurs, bien évidemment, sur le processus de refonte du règlement Bruxelles I : il en souligne les enjeux, et rappelle les propositions faites par la Commission. Suit une utile synthèse des modifications finalement apportées par le règlement Bruxelles I bis au règlement Bruxelles I (§ 26 a. et s.). L’on notera aussi les développements intéressants et originaux que l’auteur consacre aux méthodes d’interprétation des règles de compétence européennes – méthode exégétique, « historique », c’est-à-dire fondée sur les intentions du législateur telles qu’elles transparaissent dans les travaux préparatoires, « systématique », téléologique et comparatiste – (§ 98 s.). Loin de se contenter d’évoquer ces méthodes, l’auteur entreprend courageusement d’en examiner la réception par la Cour de justice, ce qui n’est pas chose aisée. Cette introduction comporte au surplus un guide de la procédure de recours préjudiciel (§ 111 s.) et s’achève par des remarques sur l’avenir du règlement Bruxelles I bis et les évolutions possibles (§ 131 s.).

16Cette entrée en matière est aussi l’occasion d’aborder des questions délicates et, pour certaines, controversées.

17Au titre des questions délicates figure celle du domaine d’application spatial des règles européennes – l’étude du domaine d’application matériel est logiquement renvoyée à l’article 1er (§ 88) ; quant au champ d’application temporel, qui est aussi brièvement abordé (§ 90), il ne soulève guère de difficulté. Ce domaine peut en effet être envisagé sous plusieurs angles. Il peut l’être sous celui des territoires sur lesquels le règlement s’applique (§ 46 s.). Ce point fait l’objet de développements détaillés et utiles, notamment au sujet de certains États membres comportant des territoires ultramarins, tels que la France et le Royaume-Uni, ou encore dans le cas particulier du Danemark. Mais il faut également identifier les litiges et les décisions relevant des règles de compétence et de reconnaissance élaborées par le règlement. Ce point est brièvement abordé dans l’introduction (§ 44-45). L’on regrettera ici que la distinction ne soit pas plus clairement faite entre les critères généraux d’applicabilité des règles de compétence européennes tels qu’ils s’infèrent de l’article 6.1 du règlement, et les critères retenus par les règles de compétence elles-mêmes, lesquelles ne doivent être consultées qu’après s’être assuré que le litige relevait bien du règlement : à titre d’exemple, il ne suffit pas, pour que les compétences optionnelles posées par l’article 7 s’appliquent, que les critères qu’elle posent se réalisent sur un État membre ; il faut encore que le domicile du défendeur se trouve bien, lui aussi, sur le territoire d’un État membre. Il est également dommage que les développements sur l’internationalité du litige ne soient pas inclus dans l’étude du champ d’application spatial, et figurent dans le commentaire consacré à l’article 1er (§ 4).

18Parmi les questions délicates et controversées figure aussi celle de la compétence dont dispose l’Union européenne, au regard des traités et notamment de l’article 81 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, aux fins d’uniformiser les règles de compétence, de reconnaissance et d’exequatur des États membres. Ce point n’est pas éludé par M. Magnus, qui considère qu’une telle compétence existe bel et bien, y compris au sujet des règles de compétence internationale (§ 35-36). On sait toutefois les objections qu’une telle position provoque au sein de la doctrine française, certains soulignant notamment qu’être autorisé à assurer « la compatibilité des règles applicables dans les États membres en matière de conflit de lois et de compétence » (TFUE, art. 81 2. c.) n’implique pas, quel que soit le sens – passablement obscur – de la formule, de pouvoir les uniformiser.

19Après cette riche introduction, l’ouvrage se présente sous la forme d’un commentaire par article ou par groupe d’articles. Chaque commentaire est construit sur le même modèle : les dispositions étudiées sont reproduites, suivies d’une bibliographie toujours très complète, consacrée à chaque disposition, et d’un plan du commentaire. L’identité du ou des auteurs de chaque commentaire figure sous la forme d’une indication en bas de page.

20Chaque article donne lieu à des analyses fines et très fouillées : aucune question n’est omise, et chacune est passée au crible de la jurisprudence, européenne certes, mais aussi nationale, ce qui donne à l’ouvrage une dimension résolument comparatiste et dénote par là-même les limites de l’unification entreprise. Certains passages en particulier, tel celui consacré aux options de compétence de l’article 7, qui couvre pas moins de 248 pages, apparaissent même comme de véritables chefs d’œuvre de clarté, de rigueur et de complétude.

21Le tout s’achève par trois outils très utiles : une table de correspondance entre les dispositions des règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis, une table de jurisprudence à jour au mois de septembre 2015 – peut-être un peu avant si l’on en juge par exemple par l’absence de l’arrêt Gazprom du 13 mai 2015 –, qui recense les décisions de la Cour de justice par ordre alphabétique et indique où elles sont citées dans les différents commentaires, et enfin un index très complet, qui procède par renvoi aux paragraphes des commentaires consacrés à chaque article.

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23Il est évidemment impossible, dans le cadre restreint de cette recension, d’entreprendre un résumé de ce qui s’apparente à une véritable encyclopédie du règlement Bruxelles I bis. Nous voudrions, malgré tout, donner ne serait-ce qu’un aperçu de la substance de ces Commentaires.

24Aussi n’est-il pas sans intérêt d’évoquer le regard porté par les contributeurs sur les principaux changements engendrés par la refonte du règlement Bruxelles I, laquelle était en cours lorsqu’a paru, en 2012, la précédente édition de ces Commentaires.

25Le bilan dressé par les auteurs de cette refonte s’avère d’emblée mitigé. MM. Magnus et Mankowski soulignent ainsi, dès la préface à la dernière édition, que la refonte n’a pas remédié à certaines des faiblesses et lacunes du règlement Bruxelles I (p. V : « Some of the major weaknesses and shortcomings of the Brussels I regime have not been extinguished but retained. Others have been remedied »).

26On ne peut que se rallier à un tel jugement, qu’étayent également les différentes contributions de l’ouvrage : il en ressort que, si la refonte a corrigé certaines difficultés apparues sous les auspices des textes antérieurs, elle en a laissé perdurer d’autres et en a créé de nouvelles.

27Au risque de prendre quelques libertés avec le plan de l’ouvrage, l’on peut évoquer brièvement certains passages de ces Commentaires consacrés respectivement au champ d’application des règles posées par le nouveau règlement, à certaines règles de compétence, à la connexité et à la litispendance, et enfin à la reconnaissance et à l’exequatur.

28Le champ d’application des règles de compétence et de reconnaissance posées par le règlement constitue une question lancinante, apparue avec la convention de Bruxelles de 1968, et à laquelle il demeure délicat d’apporter des réponses satisfaisantes. Ceci est tout particulièrement vrai de leur champ d’application dans l’espace et de leur champ d’application matériel.

29S’agissant du champ d’application spatial, le règlement nouveau a innové, sans toutefois reprendre à son compte les propositions plus radicales d’internationalisation portées par la Commission, laquelle avait notamment envisagé d’admettre le jeu des options de compétence de l’article 7 y compris lorsque le défendeur était domicilié dans un État tiers (v. sur ce dernier point, Peter Mankowski, § 21, p. 153).

30Les nouveautés concernent notamment les clauses d’élection de for. Il résulte en effet du nouvel article 25, qui ne subordonne plus son application au fait que l’une des parties soit domiciliée sur le territoire d’un État membre, et de l’article 6, qui admet l’application du règlement sur le fondement d’une clause visée par l’article 25, que le règlement peut désormais entrer en jeu sur simple désignation, par l’entremise d’une clause d’élection de for, d’une juridiction d’un État membre, y compris lorsque toutes les parties sont domiciliées dans des États tiers. Dans son commentaire de l’article 25, M. Magnus paraît approuver cette modification et souligne que le nouveau règlement a de la sorte supprimé les difficultés liées à l’exigence que l’une des parties ait son domicile dans un État membre (§ 50 : « Now, Brussels I bis has done away with the complications related to the former requirement of domicile »). À quoi l’on peut rétorquer que ces difficultés n’étaient sans doute pas insurmontables et que la nouvelle mouture du règlement place son applicabilité à la disposition des parties, qui peuvent décider de s’y soumettre, et de bénéficier ensuite des règles libérales de reconnaissance et d’exequatur, au moyen d’un simple choix de for. Le rattachement ainsi créé avec l’Union se révèle pourtant particulièrement ténu lorsqu’aucune des parties n’est domiciliée dans l’Union. La solution renforce en outre la faveur, qui s’était certes déjà manifestée sous l’égide du règlement Bruxelles I, pour des clauses attribuant une compétence à for d’un État membre là où celui-ci n’aurait sinon pas compétence et n’a en réalité aucun intérêt à trancher le litige.

31L’on sait en outre que la modification de l’article 25 est susceptible de rejaillir sur le cas des prorogations tacites de compétence visées par l’article 26 : peut-on admettre, dans le sillage du nouvel article 25, que la simple comparution du défendeur devant le for d’un État membre saisi par le demandeur puisse déclencher l’applicabilité du règlement sous prétexte que le défendeur n’a pas contesté la compétence et alors même qu’aucune des parties ne serait domiciliée sur le territoire d’un État membre ? Dans leur commentaire consacré à l’article 26, MM. Calvo Caravaca et Carrascosa Gonzalez y sont résolument favorables et citent à l’appui de leur opinion la décision Group Josi, qui n’est toutefois pas sur ce point d’une parfaite limpidité (§ 31). Il nous semble toutefois que, dès lors que la solution proposée par ces auteurs n’est pas prévue par l’article 6, qui ne fait référence qu’à l’article 25, elle devrait être écartée. Outre le fait qu’elle n’est pas mentionnée par les textes, cette solution serait problématique : le rattachement avec l’Union européenne serait en pareil cas plus faible encore que sous l’empire de l’article 25 et les problèmes soulignés plus hauts décuplés.

32On évoquera encore, toujours au titre du champ d’application dans l’espace du règlement et des clauses d’élection de for, la position prise par M. Magnus au sujet de l’internationalité. À ses yeux, celle-ci est, nonobstant le silence des textes, requise pour que l’article 25 puisse trouver à s’appliquer, mais il suffirait pour qu’elle soit satisfaite que les parties à un litige objectivement interne attribuent compétence à un for tiers (§ 26, p. 604 ; § 40, p. 611). L’auteur indique, au soutien de cette suggestion, que recourir dans ce cas au droit international privé commun ne garantirait pas que de telles clauses seraient privées d’effet. À tout prendre, mieux vaudrait donc réserver un traitement uniforme aux clauses d’élection de for, qu’elles soient stipulées dans des situations objectivement internes ou objectivement internationales. Cette proposition, qui avait déjà été défendue par Droz, nous paraît néanmoins fort discutable. Il est douteux à ce sujet qu’un litige objectivement interne relève de la compétence de l’Union européenne ; quant à l’« internationalisation » réalisée au moyen d’une clause attributive de juridiction, elle nous paraît totalement artificieuse. Donner effet à la clause dans un tel cas, sur le fondement de l’article 25, reviendrait à valider une forme de fraude à la compétence des juridictions de l’État – membre ou tiers – dans lequel la situation est localisée par tous ses éléments objectifs. L’application du droit international privé commun pourrait certes conduire à un résultat analogue, mais tel ne serait pas fatalement le cas et l’on voit mal ce qui justifierait de retirer aux États membres la liberté de s’élever contre ce type de manœuvre : ainsi, pourquoi contraindre un juge français à donner effet, sur le fondement de l’article 25, à une clause attributive de juridiction visant à éluder sa compétence dans un litige purement interne, lors même que la clause violerait les conditions de l’article 48 du Code de procédure civile ? Ce débat souligne en tout cas combien il est regrettable que la refonte du règlement ait laissé sans réponse cette question délicate.

33Moins problématique que le cas des clauses d’élection de for est l’extension du champ d’application spatial du règlement intervenue en faveur des consommateurs et des salariés : ces derniers peuvent en effet, désormais, exciper des règles de compétence forgées pour leur protection, y compris lorsque le défendeur n’a ni domicile ni établissement secondaire dans un État membre (règl., art. 18.1 pour les consommateurs et art. 21.2 pour les salariés). Cette innovation majeure, qui renforce considérablement la protection de ces parties faibles, reçoit la pleine approbation des auteurs des Commentaires, tant au sujet des consommateurs (v. Peter Mankowski et Peter Nielsen, § 21, p. 447) qu’à propos des salariés (v. Carlos Esplugues Mota et Guillermo Palao Moreno, § 3-5, p. 542-543). Quant au fait qu’une telle extension du domaine du règlement ne bénéficie pas à l’assuré, il se comprend dans la mesure où, comme le rappelle M. Helmut Heiss dans son introduction aux articles 10 à 16 relatifs à l’assurance (p. 408 s.), tous les assurés ne sont pas des parties faibles et où ils bénéficient déjà d’un forum actoris, institué par l’article 11.1 b), dans des conditions moins exigeantes que celles applicables aux consommateurs. Il n’est d’ailleurs pas à exclure que les assurés ayant aussi la qualité de consommateurs puissent se prévaloir des règles de compétence relatives aux contrats de consommation. En toute hypothèse, le règlement continuera de s’appliquer aux assureurs domiciliés dans des États tiers mais possédant un établissement secondaire sur le territoire d’un État membre, conformément à la théorie des « gares principales » (règl. refondu, art. 11.2).

34On renverra par ailleurs, toujours au titre de l’extension du domaine d’application spatial du règlement, aux multiples analyses, fort stimulantes, consacrées par les auteurs de ces Commentaires à la théorie de l’effet réflexe. L’intérêt que présentent ces réflexions révèle néanmoins en creux les insuffisances du règlement refondu : il est navrant qu’un problème, qui avait été parfaitement mis au jour par Droz dans sa thèse voilà près de quarante-cinq ans, n’ait toujours pas reçu la moindre réponse commune, si ce n’est, avec les nouveaux articles 33 et 34 consacrés à la connexité et à la litispendance, qui sont ici commentés par M. Richard Fentiman.

35La démarche généralement adoptée en la matière par les auteurs de ces Commentaires consiste à rechercher un point d’équilibre. S’il est ainsi proposé d’admettre l’effet réflexe des chefs de compétence exclusive de l’article 24, afin que les fors des États membres saisis déclinent leur compétence lorsque les critères édictés par cette disposition se réalisent dans des États tiers (v. en ce sens, Luis de Lima Pinhero, p. 562-563, § 9-12), la difficulté resurgit pour les cas où les juridictions d’un État membre auraient statué sans admettre cet effet réflexe. Dans l’hypothèse où elles auraient admis leur compétence, sur le fondement de l’article 4 du règlement par exemple, en tant que juridictions de l’État membre où le défendeur est domicilié, y a-t-il lieu pour les fors d’États membres requis de se prononcer sur la reconnaissance et l’exécution de leur décision de les lui refuser ? Les auteurs optent alors pour la négative, tantôt par égard pour la lettre du règlement, qui ne renferme aucune obligation pour les États membres de conférer un effet réflexe aux chefs de compétence de l’article 24 (en ce sens, Luis de Lima Pinheiro, § 12, p. 563), tantôt pour éviter que ne l’emporte, devant le for requis, une éventuelle décision d’un for tiers sur celle rendue dans un État membre (Peter Mankowski, § 106, p. 938).

36Il est en revanche suggéré qu’un juge d’un État membre, appelé à statuer sur la reconnaissance d’une décision d’un États tiers rendue en violation de l’article 24, aurait l’obligation de la lui refuser. Quand bien même la question serait régie par le droit international privé commun du for requis, la solution serait, en effet, indirectement imposée par la politique poursuivie par l’article 45.1 e) (v. Peter Mankowski, § 107, p. 939). Cette dernière disposition se verrait ainsi elle-même reconnaître une sorte d’effet réflexe.

37Mises bout à bout, ces différentes propositions entérinent une asymétrie qui peut ne pas convaincre, même si la question est assurément complexe et n’appelle pas de réponse évidente. À suivre les auteurs des Commentaires, les États tiers seraient indirectement tenus, sous peine de ne pas voir leurs décisions reconnues dans les États membres, de respecter les compétences exclusives de l’article 24, tandis que les États membres verraient leurs décisions reconnues quand bien même ils auraient, en acceptant de statuer, méconnu la compétence exclusive d’un for tiers reposant pourtant sur un critère identique à l’un de ceux posés par l’article 24. Il est décidément regrettable que le nouveau règlement n’ait pas instillé une once de clarté dans ces débats.

38Si l’on délaisse les difficultés inhérentes au domaine d’application spatial du règlement, pour aborder son champ d’application matériel, l’on sait que l’un des principaux enjeux de la refonte résidait dans la clarification des relations délicates qu’entretient le règlement avec l’arbitrage. Dans son commentaire de l’article 1er, Mme Pippa Rogerson consacre des développements approfondis à cette question (v. § 41 s., p. 76 s.). Elle souligne, après d’autres, les problèmes que ne manquera pas de poser sur ce chapitre le déjà célèbre considérant 12, dont l’ambiguïté a déjà été maintes fois relevée : si le premier alinéa de ce considérant semble condamner la très critiquée jurisprudence West Tankers, en excluant l’application du règlement à l’arbitrage y compris lorsque le for d’un État membre est saisi, à titre principal ou incident, de la validité d’une convention d’arbitrage, les alinéas suivants paraissent démentir cette impression première. Tel est en particulier le cas de l’alinéa 3, qui prévoit d’étendre le bénéfice des règles européennes de reconnaissance et d’exécution à la décision au fond d’un juge d’un État membre ayant au préalable écarté une convention d’arbitrage. Il pourrait s’en inférer, même si aucune certitude n’est permise en la matière, que le règlement demeure applicable au cas où une juridiction d’un État membre est amenée, à la demande de l’une des parties qui contesterait son pouvoir de juger – et non pas, faut-il le rappeler, sa « compétence » stricto sensu –, à exercer un contrôle incident sur une convention d’arbitrage. Le possible maintien de la solution West Tankers, ajouté à l’application des règles européennes de reconnaissance et d’exécution aux décisions rendues au fond après qu’ait été évincée une clause d’arbitrage, soulève d’importantes difficultés, parmi lesquelles celle, soulignée par Mme Rogerson (v. § 51, p. 82), d’un éventuel conflit entre une sentence arbitrale et une décision étatique rendue au fond dans un même litige. La première bénéficiera en principe, comme le rappelle le considérant 12 en son troisième alinéa, des règles de reconnaissance et d’exécution posées par la convention de New York du 19 juin 1958, tandis que la seconde se verra appliquer les règles de reconnaissance et d’exécution du règlement, lesquelles ne mentionnent pas l’inconciliabilité avec une sentence parmi les motifs de refus de reconnaissance. De beaux problèmes d’articulation entre ces deux textes sont donc à prévoir.

39Si l’on passe du champ d’application aux règles de compétence édictées par le règlement refondu, l’impression qui s’évince de ces Commentaires est celle de la modestie des apports du texte nouveau.

40Les plus notables concernent à ce sujet les clauses d’élection de for. Leur séparabilité par rapport aux clauses substantielles du contrat principal, déjà affirmée par l’arrêt Benincasa, est désormais expressément consacrée (v. sur ce point, Ulrich Magnus, § 140, p. 655). Surtout, le règlement comporte désormais, à l’article 25.1, une règle nouvelle, étroitement inspirée de celle contenue dans l’article 5 de la convention de La Haye du 30 juin 2005, relative à la détermination de la loi applicable à la validité de la clause d’élection de for. M. Ulrich Magnus consacre à cette nouvelle disposition une analyse très riche, dans laquelle il s’efforce de déterminer sa signification exacte, de cerner son domaine d’application et de résoudre les difficultés qu’engendrera immanquablement sa mise en œuvre, notamment dans l’hypothèse où la clause attribuera compétence aux fors de plusieurs États membres (§ 81 f). L’on retiendra notamment de ces développements que l’auteur juge, conformément au considérant 20, que la référence au droit de l’État du for prorogé inclut ses règles de droit international privé et qu’il conviendrait, selon lui, d’appliquer par analogie à la clause la loi du contrat principal telle qu’elle découle des règles de conflit de lois édictées par le règlement Rome I, quand bien même celui-ci exclut de telles clauses de son champ d’application (§ 81 a). Cette proposition présente notamment, selon M. Magnus, le mérite de garantir une uniformité de solutions d’un État membre à l’autre. Elle n’en soulève pas moins plusieurs interrogations, que l’on ne peut guère ici qu’esquisser. La solution proposée vaudrait-elle aussi lorsque le for prorogé est partie à des conventions de La Haye dérogeant au règlement Rome I, telle celle du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes internationales d’objets mobiliers corporels ou celle du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaires et à la représentation, toutes deux en vigueur en France ? Ne faudrait-il pas aussi appliquer ces conventions par analogie, au risque de sacrifier l’uniformité recherchée ? Quid par ailleurs lorsque les questions litigieuses, soumises à la clause, relèvent de la matière délictuelle ou empruntent à la fois à la matière contractuelle et à la matière délictuelle ? La clause demeurerait-elle alors soumise à la loi du contrat principal ? Est-il enfin opportun d’aligner de la sorte le régime des clauses d’élection de for sur celui de clauses substantielles, nonobstant leur profonde différence de nature et leur séparabilité ?

41On lira par ailleurs avec intérêt, à l’aune de la récente jurisprudence de la Cour de cassation, les développements consacrés par l’auteur aux clauses asymétriques. Tandis que ces clauses ont, en France, donné lieu à d’importantes discussions, leur validité est ici affirmée sans ambages par référence à la jurisprudence Anterist (§ 148-149, p. 658 s.).

42Une autre nouveauté du règlement a trait à l’encadrement de la prorogation tacite de compétence en présence d’une partie faible : l’article 26.2 prévoit en effet dans ce cas que « la juridiction s’assure que le défendeur est informé de son droit de contester la compétence de la juridiction et des conséquences d’une comparution ou d’une absence de comparution ». Dans leur commentaire de cette disposition, MM. Calvo Carravaca et Carrasco Gonzalez s’interrogent sur les sanctions dont doit être assortie la violation de l’obligation nouvelle (§ 33 s., p. 681 s.). Il est déplorable que le règlement n’ait apporté aucune précision sur ce point, d’autant que la mise en œuvre de cette obligation pourra elle-même soulever des difficultés. Peut-être aurait-il été plus simple, dans ces conditions, d’écarter toute prorogation tacite en présence d’une partie faible.

43Toujours au titre des innovations du règlement refondu, les auteurs de ces Commentaires saluent la possibilité, désormais offerte aux salariés par l’article 20.1, de se prévaloir de l’article 8.1 aux fins d’attraire plusieur employeurs devant la juridiction du domicile de l’un d’eux : il y a là un remède heureux aux inconvénients découlant de la position contraire, excessivement rigide, adoptée par la Cour de justice dans son arrêt GlaxoSmithKline (v. sur ce point Carlos Esplugues Mota et Guillermo Palao Moreno, § 10, p. 539). Peut-être cette innovation aurait-elle aussi pu être signalée au lecteur sous l’égide de l’article 8.

44On mentionnera enfin, à propos des modifications apportées par le règlement refondu aux règles de compétence, les remarques de Peter Mankowksi sur les propositions de refonte des compétences optionnelles de l’article 7 (v. § 9 s., p. 147 s.). Les modifications apportées s’avèrent en définitive modestes et très en deçà des propositions initiales. Outre la renumérotation intervenue, l’option relative aux obligations alimentaires a disparu, la matière étant désormais régie par le règlement n° 4/2009 du 18 décembre 2008, et une nouvelle option a vu le jour au point 4, qui concerne la restitution des biens culturels. L’introduction d’un forum rei sitae optionnel, un temps envisagé, a été heureusement abandonnée, de même que celle d’un forum fortunae et d’un forum necessitatis dans les cas où le défendeur aurait été domicilié dans un État tiers. L’auteur regrette par ailleurs le fait que le processus de refonte n’ait pas permis d’améliorer l’article 5.1, devenu 7.1, dont les difficultés de mise en œuvre demeurent extrêmement nombreuses. Ces difficultés ne justifieraient cependant pas, à ses yeux, son abrogation pure et simple, laquelle irait à l’encontre des intérêts du demandeur et conférerait une rigidité excessive à la règle actor sequitur forum rei (§ 13, p. 148). Il ne nous paraît pourtant pas certain que l’on ait beaucoup à gagner à conserver cette option de compétence qui, aux fins d’assurer une proximité généralement inutile entre le juge compétent et le litige, suscite une grande imprévisibilité, favorise le forum actoris, et rompt l’égalité des armes au détriment du défendeur. La prétendue rigidité de la règle actor sequitur forum rei est de surcroît déjà tempérée par la possibilité pour les parties d’insérer une clause d’élection de for. En fin connaisseur de l’article 7.1, M. Mankowksi estime d’ailleurs que les parties seraient bien avisées d’en éviter l’application par le truchement de telles clauses (§ 13, p. 149).

45Même si, comme le souligne M. Mankowski, les appels à une modification de l’article 5.3, devenu 7.2 du règlement refondu, ont toujours été moins pressants que ceux visant l’article 5.1, il nous semble qu’une nouvelle réflexion sur ce texte n’aurait pas été superflue tant la jurisprudence de la Cour de justice en la matière, qui tantôt professe son hostilité au forum actoris, tantôt l’encourage, s’avère déconcertante. Il est dommage, à ce propos, qu’il n’ait pas été jugé opportun, dans le cadre de la refonte, de revenir sur l’exclusion de la matière délictuelle du domaine des règles de compétence protectrices du consommateur : pareille modification aurait, en effet, peut-être permis de tarir les cas de forum actoris consacrés sous les auspices de l’article 5.3/7.2 (sur ce point, v. Peter Mankowski et Peter Nielsen, § 37 s., p. 452 s.). Faudrait-il dès lors inciter les parties, lorsque cela leur est possible, à se soustraire également aux affres de l’article 7.2 au moyen de clauses d’élection de for, dont la validité n’est pas limitée à la matière contractuelle (v. sur ce point, Ulrich Magnus, § 150 s., p. 659 s.) ?

46Outre le champ d’application et les règles de compétence, le règlement refondu innove à propos des règles relatives à la connexité et à la litispendance. La principale nouveauté réside, sur ce chapitre, dans le renversement de la fameuse jurisprudence Gasser, qui avait considéré que le for élu était tenu de surseoir à statuer jusqu’à ce que le juge saisi en premier lieu se soit déclaré incompétent. La solution avait été critiquée au motif qu’elle minerait l’efficacité des clauses d’élection de for et encouragerait les manœuvres dilatoires. Désormais, l’article 31 prévoit que, lorsqu’une clause d’élection de for visée par l’article 25 octroie une compétence exclusive au for d’un État membre, les autres juridictions saisies doivent, même lorsqu’elles sont premières saisies, surseoir à statuer jusqu’à ce que la juridiction désignée par la clause ait décliné sa compétence (art. 31.2). Et lorsque la juridiction élue a admis sa compétence, toute juridiction d’un autre État membre doit se dessaisir en sa faveur (art. 31.2). Dans son commentaire consacré à l’article 31, M. Richard Fentiman livre une intéressante analyse de ce nouveau dispositif, dont il souligne les inconvénients (§ 10 s., p. 751 s.). L’auteur pointe en particulier le risque qu’il soit détourné par des plaideurs désireux de conférer la priorité au for d’un État membre prétendument élu, en se prévalant d’une clause d’élection de for en réalité inexistante. Il y aurait là une manœuvre dilatoire symétrique de celles favorisées par l’arrêt Gasser. Il s’interroge en outre sur le seuil à partir duquel une juridiction première saisie devrait surseoir à statuer : une apparence de clause visée par l’article 25 suffira-t-elle ? M. Fentiman souligne de surcroît que les coûts liés à des procédures parallèles ne disparaîtront pas : une procédure aura bien lieu devant le for non élu et celui qui entend invoquer la clause sera contraint, s’il entend bénéficier du dispositif de l’article 31, d’engager une procédure devant le juge élu. Dans la mesure, enfin, où le texte ne s’applique qu’aux clauses attribuant une compétence exclusive au juge élu, l’on pourra se demander ce qu’il adviendra des clauses asymétriques instaurant une compétence exclusive à l’égard de l’une des parties, mais non de l’autre.

47Quitte à vouloir renforcer l’efficacité des clauses d’élection de for, il aurait peut-être été opportun, par ailleurs, d’ériger la violation, par un juge d’un État membre, d’une clause d’élection de for exclusive visée par l’article 25, au rang d’un motif de refus de reconnaissance et d’exequatur, à moins que la question de la validité de la clause n’ait déjà été abordée devant le for à l’origine de la décision (sur l’exclusion, en l’état, d’un tel motif de non-reconnaissance, v. Ulrich Magnus, § 165, p. 665).

48L’on signalera enfin, sans pouvoir l’aborder en détail, l’étude extrêmement exhaustive, qui couvre plus de cent-cinquante pages de l’ouvrage, des nouvelles règles de reconnaissance et d’exequatur (p. 813 s.). Il en ressort que l’inversion du contentieux de l’exequatur introduite par le nouveau texte n’est sans doute pas le point le plus problématique, malgré les polémiques que l’abandon de la procédure d’exequatur avait pu déclencher.

49Désormais, il est en effet loisible à la personne à l’encontre de laquelle l’exequatur est sollicité de s’y opposer dès la première instance, en invoquant les motifs de refus de reconnaissance énoncés à l’article 45 (v. à ce sujet le commentaire de l’art. 46 par Gilles Cuniberti et Isabelle Rueda, p. 953 s.). Exceptée l’inclusion salutaire parmi eux de la violation des règles protectrices du salarié, ces motifs demeurent pour l’essentiel semblables à ceux énoncés par le règlement Bruxelles I : les propositions formulées par la Commission, dont celle de supprimer tout contrôle au regard de l’ordre public substantiel, ont heureusement été écartées (v. sur ce point, le commentaire consacré par Stéphanie Franck à l’art. 45, spéc. p. 875 s.).

50Les nouvelles règles n’en soulèvent pas moins quelques difficultés, qui sont bien mises en exergue par les auteurs de ces Commentaires. L’une d’elles concerne en particulier l’interprétation qu’il conviendra de réserver à l’article 44.1 du règlement refondu, lequel instaure une faculté, pour le juge saisi d’une demande de refus d’exécution, de limiter, à la demande du débiteur du jugement, la procédure d’exécution à des mesures conservatoires, de subordonner l’exécution à la constitution d’une sûreté qu’il détermine, ou de suspendre, intégralement ou partiellement, la procédure d’exécution. Comme le soulignent M. Cuniberti et Mme Rueda dans le commentaire qu’ils consacrent à cette disposition, aucune indication n’est donnée quant aux conditions dans lesquelles le juge exerce cette faculté (§ 3 s., p. 860 s.). On peut le regretter car l’enjeu n’est pas nul : la protection du débiteur du jugement variera considérablement selon que la suspension de l’exécution est plus ou moins facilement accordée, et des disparités de traitement sont à craindre d’un État membre à l’autre. Les règles antérieures, énoncées par le règlement Bruxelles I, étaient par contraste plus protectrices du débiteur. Elles prévoyaient en effet que, durant le délai de recours contre la décision accordant l’exequatur, et, lorsqu’un recours avait été intenté, jusqu’à ce qu’il soit statué sur lui, seules pouvaient être ordonnées des mesures conservatoires sur les biens de la partie contre laquelle l’exécution était sollicitée (règl. Bruxelles I, art. 47.3).

51*

52Sur tous ces points, et bien d’autres encore, ces Commentaires constitueront à n’en pas douter un précieux viatique pour tous ceux qui auront à percer les arcanes du nouveau règlement Bruxelles I bis.

53L’on ne peut qu’être admiratif devant cette œuvre doctrinale qui, se plaçant au service du texte, allie pédagogie, précision et exhaustivité. L’admiration qu’emporte cet ouvrage n’a toutefois d’égale que la perplexité suscitée par le texte du règlement Bruxelles I bis. La vocation première des lois, lato sensu, n’est en effet ni de favoriser les exploits doctrinaux ni de donner aux meilleurs auteurs l’occasion d’exercer leurs talents. Elle devrait être, en principe, d’offrir aux justiciables des solutions raisonnablement simples et prévisibles. Ceci est particulièrement vrai en droit international privé, dont la pierre angulaire demeure la recherche de sécurité et d’harmonie dans les relations privées internationales. Or pas plus que son prédécesseur, le règlement Bruxelles I bis ne semble répondre à ces préoccupations.

Revues

54 Recensant sur l’année 2016 les articles de la doctrine internationalprivatiste dans les revues soeurs, cette rubrique est accessible sur le site figure im1

David Sindres
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Mis en ligne sur Cairn.info le 07/06/2020
https://doi.org/10.3917/rcdip.163.0579
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