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Avant-propos

1GRACOS est l’acronyme de « Groupe d’analyse des conflits sociaux ». Il s’agit d’un collectif interdisciplinaire de chercheuses et de chercheurs s’intéressant à la conflictualité sociale au sens large, en lien avec les questions de relations collectives de travail.

2Fondé en 2011, le groupe s’est fixé pour premier objectif de produire annuellement une publication dans laquelle sont étudiés les principaux conflits sociaux qui se sont déroulés en Belgique durant l’année civile précédente. Cette publication, qui paraît dans le Courrier hebdomadaire du CRISP, comporte en outre une analyse annuelle des statistiques officielles sur la grève. Dans de précédentes livraisons du Courrier hebdomadaire, le GRACOS s’est penché sur les années 2011 à 2017  [1] ; la présente étude procède de même pour 2018. Par ailleurs, le GRACOS organise également d’autres activités en rapport avec son thème d’étude, comme des séminaires.

3Les conflits sociaux analysés sont sélectionnés par les membres du GRACOS sur la base de deux critères : d’une part, le caractère marquant de ces conflits et, d’autre part, leurs conséquences potentiellement fortes sur la philosophie des relations collectives de travail ou sur le fonctionnement du système social en Belgique. Les événements étudiés sont donc remarquables soit par l’ampleur qu’ils ont prise (en termes de mobilisation sociale ou de retentissement médiatique), soit par les décisions politiques qu’ils ont générées, soit par les effets qu’ils pourraient engendrer. Une attention particulière est portée au phénomène de la grève, qui constitue un droit fondamental dans un système démocratique. Plus largement, tout conflit social considéré par le groupe comme un événement important peut être traité.

4Le GRACOS se compose de sociologues, de politologues, de juristes, d’économistes, tant francophones que néerlandophones, qui portent un intérêt tout particulier à l’évolution de l’exercice de la grève. Les nouveaux membres désireux de participer à l’écriture collective sont intégrés par cooptation. En fonction des sujets susceptibles d’être traités, le groupe s’ouvre à l’occasion à des contributions extérieures. Actuellement, le GRACOS se compose de 18 membres : Bruno Bauraind, Aline Bingen, Meike Brodersen, Jan Buelens, Bernard Conter, Vaïa Demertzis, Anne Dufresne, Jean Faniel, Corinne Gobin, Natalia Hirtz, Cédric Leterme, Esteban Martinez, Laetitia Mélon, Pierre Reman, Maria-Cécilia Trionfetti, Kurt Vandaele, Jean Vandewattyne et Christophe Vanroelen. Ont également participé à la présente publication : Laura Gutierrez Florez, Thomas Hausmann, Gérard Lambert, Chedia Leroij, Alexandre Orban et Marc Zune. Pour 2018, la coordination a été assurée par Aline Bingen et la conclusion préparée par Bernard Conter.

5Le nom « Iannis Gracos » a été retenu comme appellation collective des auteurs de la publication annuelle, par référence à la lutte du peuple grec contre les mesures d’austérité qui lui sont imposées depuis 2010.

Introduction

6L’année 2017 avait été marquée par un nombre de jours de grève significativement plus bas que les précédentes, reflétant, en ce qui concerne les actions interprofessionnelles, une forme d’impuissance voire de lassitude du monde syndical à l’égard d’un gouvernement fédéral bien décidé à maintenir le cap de ses réformes jusqu’à la fin de la législature, en mai 2019, en dépit des contestations.

7À cet égard, 2018 constitue un contraste à plus d’un titre. Le nombre de jours de grève a connu une recrudescence importante (422 249, soit + 70,5 %), faisant de cette année la troisième la plus conflictuelle de la législature, proche du niveau de 2016 (481 754 jours) mais loin derrière 2014 (853 355 jours), année où a été mis en place par Charles Michel (MR) un gouvernement marqué à droite associant la N-VA, le MR, le CD&V et l’Open VLD.

8Par ailleurs, ce gouvernement fédéral a vécu à l’automne une crise qui a conduit, le 9 décembre 2018, au départ des ministres et secrétaires d’État N-VA et à son remplacement par un gouvernement Michel II minoritaire. Faute de soutien suffisamment large au Parlement fédéral, ce nouvel exécutif a rapidement dû présenter sa démission au roi, qui l’a chargé, le 21 décembre, d’expédier les affaires courantes jusqu’au scrutin multiple prévu le 26 mai 2019. Notons que cette situation n’est pas liée aux actions syndicales ou aux autres mouvements sociaux qui se sont développés mais a eu pour toile de fond les résultats du scrutin local du 14 octobre 2018 et la signature par la Belgique du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (Pacte dit de Marrakech) préparé au niveau de l’Organisation des Nations unies. Néanmoins, ce changement politique important a eu pour effet de bloquer certains projets que les partis du gouvernement Michel I entendaient faire aboutir avant les élections de mai 2019 et qui suscitaient l’opposition des syndicats.

9Parallèlement à ces événements aux retombées non négligeables pour la conflictualité sociale, la fin de l’année 2018 a été caractérisée par l’amorce d’un ralentissement de la croissance économique, dans le pays et plus largement à l’échelle de l’Union européenne, cette croissance passant au niveau national, selon la Banque nationale de Belgique (BNB), de 1,7 % en 2017 à 1,4 % l’année suivante, et en particulier à 1,2 % lors du dernier trimestre de 2018.

10En ce qui concerne l’ensemble des pertes d’emploi consécutives à des faillites d’entreprise, qui sont répertoriées par le Fonds d’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d’entreprise   [2], on observe un nombre équivalent à l’année 2017, avec 21 535 travailleurs concernés, marquant par là un arrêt dans la tendance à la baisse observée au cours des 5 années précédentes (avec 21 767 travailleurs concernés en 2017 contre 22 697 en 2016, 25 388 en 2015, 28 507 en 2014 et 30 028 en 2013). Sur les 3 357 entreprises ayant connu une faillite, seuls 6 % d’entre elles occupaient plus de 20 travailleurs. Les entreprises de plus grande taille sont surtout représentées parmi celles qui ont annoncé des licenciements collectifs suite à une restructuration ou à une fermeture (statistique dont sont exclues les entreprises de moins de 20 travailleurs). Après une année 2017 caractérisée par un nombre particulièrement faible d’annonces de ce type (3 829 suppressions d’emploi envisagées, contre 8 092 en 2015 ou 12 042 en 2016), 2018 a marqué une recrudescence de l’impact des fermetures ou des restructurations, conduisant à l’annonce de 6 027 pertes d’emploi dans un cadre collectif   [3]. Le secteur de la grande distribution a concentré à lui seul près de 37 % de ces pertes d’emploi, en raison des « plans de transformation » annoncés pour les hypermarchés et les services centraux de Carrefour (1 778 travailleurs) et pour la chaîne de supermarchés Carrefour-Mestdagh (450 emplois). Ces annonces – dont celle de Carrefour, qui a résonné comme un coup de tonnerre au début de l’année – ont contribué à alimenter la contestation sociale au cours de l’année 2018, en l’occurrence avec un caractère défensif (cf. infra).

11Un autre conflit d’entreprise, déjà largement amorcé en 2017 et dans les années précédentes, a retenu l’attention en 2018. Deux catégories de personnel de la compagnie aérienne irlandaise à bas coût Ryanair ont eu recours à des actions de grève, cette fois dans une perspective offensive. Le caractère transnational de ce mouvement ainsi que les résultats que ces travailleurs ont pu engranger grâce à leur mobilisation ont particulièrement frappé les esprits, d’autant que la direction de cette compagnie a toujours fait preuve d’une forte hostilité à l’égard de la syndicalisation de son personnel. Cet état d’esprit ne semble pas avoir totalement disparu et on relèvera à titre d’illustration que, lors d’un de ses passages à Bruxelles en 2019, Michael O’Leary, le principal responsable de cette compagnie, a déclaré sans vergogne qu’en Belgique, faire grève est un « hobby national »  [4].

12En 2018, la conflictualité sociale s’est aussi développée sur le terrain interprofessionnel ou intersectoriel. Au niveau national, c’est la contestation des projets du gouvernement fédéral en matière de pensions de retraite qui a conduit à l’organisation de plusieurs actions, menées en front commun ou en ordre plus dispersé. Si certains dirigeants syndicaux, dont le président de la FGTB, ont appelé à une journée de grève générale, un tel mot d’ordre n’a finalement pas été décidé. En Région wallonne, c’est la réforme du dispositif des aides à la promotion de l’emploi par le gouvernement Borsus (MR/CDH) qui a provoqué une assez large mobilisation du secteur non marchand et d’une partie du secteur public, et ce dans un mouvement mené par le monde syndical mais soutenu par plusieurs représentants patronaux du secteur non marchand.

13En Wallonie, la conflictualité a aussi été caractérisée en fin d’année par un mouvement original, imprévu et non lié au monde syndical, lancé en même temps que son homologue français et connu sous le nom de Gilets jaunes, ses partisans s’identifiant par des chasubles fluorescentes de sécurité et se rassemblant autour de dépôts de carburant, de sites industriels ou de ronds-points pour en bloquer ou en limiter l’accès. Ce mouvement a traduit le ras-le-bol d’une part importante et hétérogène de la population, peu coutumière des mobilisations sociales (indépendants, retraités, salariés en situation précaire ou non organisés syndicalement), face à la dégradation de ses conditions d’existence et de rémunération. La mobilisation des Gilets jaunes a aussi interpellé le monde syndical, politique et médiatique à un double titre : d’une part en raison des modes d’action auxquels il a recouru (blocages routiers et de sites de dépôt de carburant, occupations et manifestations non concertées au préalable avec les forces de l’ordre) et, d’autre part, par ce qu’il révèle à propos de la difficulté du système politique et des institutions de la concertation sociale à prendre en compte les revendications de couches précarisées de la population et à y apporter des réponses efficaces.

14L’année 2018 a donc été marquée tant par des événements politiques majeurs que par des développements singuliers en ce qui concerne l’évolution des grèves et de la conflictualité sociale. Étant donné le nombre de cas qu’il nous a paru important d’examiner pour rendre compte de cette dernière, nous avons été amenés à dissocier en deux volumes l’ensemble de cette étude. Le premier d’entre eux porte sur des mobilisations présentant un caractère transversal, deux menées dans le cadre syndical et deux apparues en dehors de celui-ci. Le second volume examine la conflictualité sociale au niveau de l’entreprise ; il comprend également la conclusion générale et l’annexe statistique.

15 Sur le plan national interprofessionnel, trois thématiques ont focalisé la contestation syndicale en 2018 : la réforme des pensions et des fins de carrière, le jobsdeal décidé par le gouvernement Michel I dans le cadre de l’élaboration du budget 2019 et la négociation de la marge salariale. Dans le premier chapitre, Bernard Conter et Jean Faniel montrent que l’accumulation des griefs syndicaux a permis en cours d’année, d’une part, de réunifier le front commun syndical quelque peu mis à mal par ses divergences et par ses défaites successives face au gouvernement fédéral et, d’autre part, d’accentuer la mobilisation, sans toutefois déclencher de grève générale. Ils soulignent aussi que la conflictualité sociale s’est diversifiée puisqu’elle a été marquée, en fin d’année, par le mouvement des Gilets jaunes, dont l’émergence a quelque peu questionné le rôle des organisations syndicales et mis une certaine pression sur celles-ci, et par une première manifestation de masse en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique.

16En Wallonie, l’initiative prise par le gouvernement régional MR/CDH de réformer en profondeur le régime des aides à la promotion de l’emploi (APE) a engendré la mobilisation des organisations syndicales interprofessionnelles et des acteurs sociaux du secteur non marchand. Le conflit interpelle par les mobilisations d’ampleur qui l’ont ponctué, au format parfois inédit, entre juin 2018 et mars 2019. Celles-ci ont été favorisées par les craintes nourries simultanément par les représentants syndicaux et leurs homologues patronaux vis-à-vis de leur pouvoir subsidiant. Le chapitre rédigé par Cédric Leterme, Aline Bingen et Maria-Cécilia Trionfetti revient, dans un premier temps, sur les processus successifs de réforme des aides à l’emploi en Wallonie. Il s’arrête ensuite, de manière chronologique, sur les contours des mobilisations qui ont accompagné le chantier porté par le ministre wallon de l’Emploi, Pierre-Yves Jeholet (MR), en pointant les pierres d’achoppement entre défenseurs et détracteurs de la réforme.

17L’émergence du mouvement des Gilets jaunes en Belgique est un événement important à analyser pour réfléchir à la dynamique de la contestation sociale belge. Dans le chapitre qu’ils lui consacrent, Anne Dufresne, Corinne Gobin et Marc Zune retracent d’abord la chronologie du mouvement belge en pointant le poids de son pendant français comme déclencheur de la lutte. Ils s’arrêtent ensuite sur l’action collective de blocage des dépôts de carburant qui, par la tradition de syndicalisme d’action directe dont elle est porteuse, peut être lue comme un contrepoint critique aux manifestations syndicales plus convenues et disciplinées. Dans un troisième temps sont examinées les réactions des dirigeants syndicaux face à ce mouvement : en l’occurrence, ceux-ci l’ont largement boudé, l’accueillant au mieux comme une action parallèle sympathique mais de peu d’importance. Le contexte d’un dépassement des organisations syndicales par une base hétéroclite a conduit la grande majorité de leurs dirigeants à réagir très prudemment, essentiellement à titre personnel (seule la CGSLB a publié un communiqué exposant sa position). Enfin, les auteurs s’arrêtent sur les violences qui ont ponctué le mouvement et soulignent que les autorités politiques ont choisi de réprimer sévèrement les quelques manifestations qui se sont déroulées à Bruxelles en novembre et décembre 2018.

18Ce premier volume consacré à la conflictualité sociale en 2018 se clôt par un chapitre consacré à la mobilisation des prostituées du quartier bruxellois dit des carrées, survenue au mois de juin. Pendant deux jours, ces femmes provenant principalement d’Afrique subsaharienne ont fermé leurs volets, menant ainsi une action de grève historique à l’échelle de la Belgique et remarquable par sa durée, par ses initiatrices (des prostituées majoritairement sans titre de séjour en Belgique ou avec un permis de séjour précaire) ainsi que par les différents acteurs impliqués dans la mobilisation. L’assassinat de l’une d’entre elles a constitué l’élément déclencheur d’un mouvement qui entendait dénoncer une accumulation de discriminations dues au fait d’être femmes, noires, pauvres et immigrées. Natalia Hirtz et Chedia Leroij soulignent que cette action a également mis en évidence une addition de violences qui sont le fait des clients, des proxénètes, des forces de police, de la justice, des autorités communales ou des autorités fédérales en raison des politiques migratoires mises en œuvre. Ces prostituées ont rapidement été rejointes et soutenues par les associations actives dans le secteur, dont les intérêts et les revendications sont parfois en tension mais qui se rassemblent pour défendre une revendication commune à toutes : « We need care, not violence ».

19Le second volume, consacré aux conflits d’entreprise, s’ouvre par un chapitre consacré à trois conflits qui ont marqué le secteur de la grande distribution, qui connaît des transformations importantes. Alexandre Orban et Laura Gutierrez-Florez montrent que les mobilisations des travailleurs et de leurs représentants syndicaux parviennent à influencer, de manière différenciée, leurs conditions de travail en fonction de la situation socio-économique des différentes enseignes. Intervenant dans le cadre de plans de restructuration, les grèves menées chez Carrefour et Mestdagh ont eu pour but de limiter au maximum l’impact social des décisions de ces entreprises. Chez Lidl, chaîne qui gagne des parts de marché, c’est la surcharge de travail qui a poussé les travailleurs à déclencher une grève qui a constitué une première pour cette enseigne. Chacun des trois conflits a produit des résultats positifs pour les travailleurs. Néanmoins, dans chaque cas, cela s’est fait au prix de concessions douloureuses pour le personnel. Ce chapitre révèle par ailleurs les différences d’approche syndicale qui peuvent être relevées, ainsi que les différences géographiques qui ont caractérisé les mobilisations, la Région wallonne et, en particulier, la région liégeoise montrant davantage de combativité.

20Le mouvement qui a pris forme à la fin de l’année 2017 chez Ryanair est sans doute un des conflits sociaux les plus remarquables de ces dernières années. Il appartient à ces mobilisations considérées dans la littérature sociologique comme hautement improbables, en raison notamment des pratiques de recrutement et de gestion de ses salariés mises en place par la compagnie aérienne, ainsi que des profils particuliers des travailleurs qu’elle emploie. Jean Vandewattyne et Bruno Bauraind relèvent que ce mouvement témoigne du passage d’une conflictualité limitée à quelques actions, essentiellement sous la forme de procédures judiciaires, de personnes quittant l’entreprise mais soutenues par la Confédération nationale des employés (CNE, centrale francophone affiliée à la CSC), à une conflictualité collective symbolisée par l’expression de revendications et par le dépôt de préavis de grève puis, faute d’un dialogue social, par le déclenchement effectif de grèves. Ce conflit est également remarquable par son caractère offensif et en raison des deux catégories professionnelles très particulières qui l’ont mené : il y est en effet question d’amélioration des conditions d’emploi et de travail du personnel de cockpit, d’une part, et du personnel de cabine, d’autre part. Enfin, ce dossier est aussi frappant par sa dimension géographique puisqu’il dépasse de loin le cadre des frontières d’un État national et fait partie des rares conflits sociaux d’entreprise à se caractériser par des actions de grève de dimension européenne.

21Dans le chapitre suivant, Bruno Bauraind et Jean Vandewattyne reviennent sur un autre conflit qui a touché le secteur aérien au cours de l’année étudiée. La grève survenue chez Aviapartner a paralysé l’aéroport de Bruxelles-National pendant une semaine complète à la fin du mois d’octobre : ce mouvement spontané, non préavisé, a entraîné la suppression de 960 vols et touché quelque 115 000 passagers.

22À la même période, la direction du journal L’Avenir a annoncé sa décision de mettre en œuvre un plan de restructuration conduisant à supprimer un quart du personnel. Dans le cadre de la loi Renault, des procédures d’information et de négociation se sont mises en place, impliquant la direction et les organisations syndicales. Mais Pierre Reman et Gérard Lambert soulignent que le conflit social s’est rapidement élargi à d’autres acteurs et a pris une tournure politique portant sur la légitimité de l’actionnaire Nethys. C’est dans ce contexte que des tensions sont apparues entre la Société des rédacteurs des Éditions de l’Avenir et l’Association des journalistes professionnels (AJP), d’une part, et les organisations syndicales, d’autre part. Tandis que ces dernières sont restées concentrées sur la négociation du plan social avec la direction, les associations professionnelles ont plutôt cherché à mobiliser le lectorat du journal et à faire pression sur le monde politique pour sortir le quotidien du giron de Nethys.

23 Le dernier chapitre du second volume est consacré au secteur postal. Alors que tout semblait annoncer une année 2018 prometteuse, la direction de bpost s’est retrouvée, dès le mois de février, au cœur d’une véritable tempête, d’abord boursière puis sociale. Visant à redresser la situation, les mesures proposées par la direction ont transformé, à l’automne, le malaise social ambiant en un mouvement de grève d’une ampleur inédite depuis près de vingt ans. Jean Vandewattyne et Thomas Hausmann montrent que si le conflit déclenché en novembre 2018 a d’abord remis en avant la logique du front commun, la CSC a ensuite refusé de signer le projet de convention collective de travail.

24Figurant également dans le second volume, la conclusion de cette double livraison du Courrier hebdomadaire cherche à dégager les principales caractéristiques des conflits examinés, en s’intéressant en particulier aux implications de ceux-ci pour les organisations syndicales.

25Elle est suivie par l’annexe statistique réalisée par Kurt Vandaele, qui se concentre sur l’évolution quantitative, à la hausse, du nombre de journées de grève enregistrées en 2018. Durant cette année, l’on a dénombré 104 jours de grève par 1 000 travailleurs. Ce nombre, supérieur à la moyenne des trente dernières années, s’explique par les nombreuses grèves organisées contre la politique d’austérité et la politique en matière de marché du travail et de pensions du gouvernement Michel I, dans le secteur privé et plus encore dans le secteur public.

26Au final, de par le nombre de jours de grève enregistrés au cours de la législature fédérale écoulée, ce gouvernement termine à la deuxième place depuis 1991, derrière le gouvernement Dehaene I (CVP/PS/SP/PSC) dont l’action avait été marquée par les vives réactions au Plan global. Plus largement, l’année 2018 pourrait apparaître comme celle d’un premier bilan de l’action du gouvernement fédéral Michel I et de la manière dont celle-ci a pesé sur la contestation sociale et sur l’évolution des relations collectives de travail. En effet, si la chute de la coalition associant la N-VA, le MR, le CD&V et l’Open VLD a empêché ces quatre partis de mettre en œuvre certains de leurs projets contenus dans le jobsdeal ou développés dans le cadre de la réforme des pensions, elle ne peut faire oublier les nombreuses réformes que cette coalition a menées. Modération salariale (via le saut d’index de 2015 ou via la réforme de la loi de 1996 encadrant la formation des salaires  [5]), introduction de plus de flexibilité dans le droit du travail (via la loi du 5 mars 2017 concernant le travail faisable et maniable  [6], dite loi Peeters) et nombreuses réformes dans le domaine de la sécurité sociale (en matière de soins de santé, de pensions, d’assurance-chômage, de retour à l’emploi des malades de longue durée, etc.) ont été accueillies favorablement par les fédérations patronales mais ont suscité une contestation syndicale certes variable mais qui a caractérisé toute la durée de la législature, sans toutefois parvenir à faire reculer significativement le gouvernement, dont la chute n’a pas été provoquée par les actions syndicales.

27Si le gouvernement Michel I a mis en avant son bilan jugé positif en matière de création d’emplois (le Premier ministre a maintes fois répété son objectif à cet égard : « Jobs, jobs, jobs »), l’opposition a régulièrement pointé une croissance économique systématiquement moindre en Belgique qu’au niveau européen et a critiqué une politique budgétaire se soldant au final par un déficit conséquent ; ainsi, le Bureau fédéral du plan (BFP) redoute une dizaine de milliards d’euros de déficit en 2020. Une étude interne de la BNB a estimé que le saut d’index et la modération salariale mis en œuvre par le gouvernement fédéral avaient eu pour conséquence de ralentir la consommation privée dans le pays. Ce constat rejoint celui de l’Institut syndical européen (ETUI) indiquant qu’en Belgique, le salaire réel moyen ajusté en fonction de l’inflation a stagné entre 2009 et 2019. Gouvernement et patronat opposent à ces études l’évolution du salaire net (et non brut), positive selon eux, en raison notamment du glissement fiscal (« tax shift ») opéré par le gouvernement Michel I.

28Parallèlement, cette législature a aussi été marquée par une mise sous tension importante de la concertation sociale, les syndicats bénéficiant de peu de relais au sein d’une coalition paraissant davantage sensible aux discours et intérêts du monde patronal. Corollairement, tout au long de la période écoulée, le droit de grève a été mis en cause, entraînant notamment d’âpres discussions entre interlocuteurs sociaux ainsi que l’introduction du service minimum en cas de grève dans le secteur ferroviaire ou carcéral  [7]. L’année examinée ici a vu le débat sur le droit de grève revenir dans l’actualité par deux biais. Au mois de juin, le Premier ministre a demandé aux interlocuteurs sociaux de se pencher une nouvelle fois sur la révision éventuelle de l’accord conclu par eux en 2002 concernant l’exercice du droit de grève  [8] ; pas plus qu’au cours des années précédentes, ceux-ci n’ont pu se mettre d’accord sur une telle révision. Quelques mois auparavant, la chambre du conseil de Liège a décidé de renvoyer 17 personnes devant le tribunal correctionnel, dont 16 affiliées à la FGTB, parmi lesquelles figure le secrétaire général de l’aile wallonne du syndicat, Thierry Bodson. Elles sont inculpées du chef d’entrave méchante à la circulation dans le cadre du blocage d’un viaduc d’autoroute lors de la journée de grève interprofessionnelle menée le 19 octobre 2015 par la FGTB Liège-Huy-Waremme. Cet épisode avait relancé le débat sur le droit de grève, sur lequel n’ont pu s’accorder patronat et syndicats depuis lors  [9].

29Après une législature caractérisée par une conflictualité sociale importante, l’année 2019, marquée par des élections législatives à tous les niveaux de pouvoir ainsi que par le maintien durable en affaires courantes d’un gouvernement fédéral minoritaire et par conséquent peu actif sur le front social, pourrait présenter un visage sensiblement différent de celle analysée dans la présente étude et constituer une année de transition vers un futur incertain en matière de grèves et de conflictualité sociale.

1. La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2018 : de l’essoufflement à la contestation polychrome

30La politique du gouvernement fédéral Michel I (N-VA/MR/CD&V/Open VLD) a suscité une forte hostilité au début de la législature 2014-2019. Les réformes annoncées des pensions et prépensions (ces dernières désignées sous l’appellation « régime de chômage avec complément d’entreprise », RCC), le saut d’index, la réforme du droit du travail (ou « loi Peeters ») ainsi que la révision de la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité  [10] (communément appelée « loi de 1996 »)  [11], qui régit la fixation des salaires, ont été les principales pierres d’achoppement. Les syndicats ont vu dans ces réformes la stricte application du programme patronal, d’une part, et la négation de la tradition belge de concertation sociale, d’autre part.

31Si l’on s’appuie sur la fréquence et l’intensité des actions ou encore sur le nombre de jours de grève, la contestation syndicale a été d’une ampleur rare au cours de la première année de la législature 2014-2019 et s’est maintenue dans des formes moins exacerbées ensuite.

32Au cours de l’année 2018, trois thématiques ont focalisé la conflictualité sociale : la réforme des pensions et des fins de carrière, le « jobsdeal » décidé par le gouvernement Michel I dans le cadre de la préparation du budget 2019, et enfin la négociation de la marge salariale. L’accumulation des griefs syndicaux a permis en cours d’année, d’une part, de réunifier le front commun syndical quelque peu mis à mal par ses défaites successives face au gouvernement fédéral et par une approche différente des syndicats et de leurs composantes quant aux réponses à apporter à la politique menée par la coalition gouvernementale, et, d’autre part, d’accentuer la mobilisation. En outre, le développement, en Wallonie, du mouvement des Gilets jaunes a questionné les rangs syndicaux francophones à partir de l’automne et mis une certaine pression sur les organisations syndicales.

1.1. L’impossible entente sur les fins de carrière

33Comme en 2017, la réforme des fins de carrière continue d’occuper les responsables syndicaux, essentiellement dans un cadre institutionnel à travers l’examen des projets du gouvernement et la formulation d’observations et de contre-propositions, mais aussi par le biais de mobilisations. La contestation de la politique gouvernementale en matière de fin de carrière porte sur trois objets : la prise en compte de la pénibilité dans le cadre de la réforme des pensions, le projet de pension à points, le projet de pension à mi-temps.

1.1.1. Métiers pénibles

34L’accord de gouvernement conclu en 2014 prévoit que l’élévation de l’âge légal de la retraite et les restrictions d’accès aux RCC s’accompagnent de compensations pour les travailleurs exerçant des métiers pénibles. Il revient à la concertation sociale d’en définir les critères.

35Les négociations se déroulent dans plusieurs institutions où les organisations syndicales sont présentes : le Conseil national des pensions (CNP)  [12], le comité de gestion du Service fédéral des Pensions (SFP, paritaire), le Comité A (pour ce qui concerne le secteur public)  [13] et le Conseil national du travail (CNT). Le gouvernement fédéral a toutefois balisé l’espace de négociation en définissant l’enveloppe budgétaire disponible pour financer les départs anticipés, à savoir respectivement 40 et 70 millions d’euros pour 2019 et 2020.

36De manière récurrente, la notion de métier pénible s’est avérée constituer un objet conflictuel de la concertation menée entre les interlocuteurs sociaux et le gouvernement fédéral et entre les interlocuteurs sociaux eux-mêmes. La discussion a débuté en 2005, dans le cadre du pacte de solidarité entre les générations  [14]. Elle s’est encore manifestée dix ans plus tard, en début de législature, dans le cadre de la révision des régimes de RCC  [15].

37Quatre « catégories de critères de pénibilité » ont été établies par le CNP en 2016 : la pénibilité des circonstances de travail, celle de l’organisation du travail, celle liée à des risques élevés, celle liée à une charge mentale ou émotionnelle. Dans un deuxième temps, ces catégories ont dû être traduites en critères permettant d’identifier des métiers ou des fonctions auxquels serait associée la faculté de départ anticipé. Les négociations portant sur ces critères se sont tenues séparément dans le secteur public et dans le secteur privé, malgré leurs forts liens de dépendance.

38En avril 2017, les trois organisations syndicales ont déposé au CNP une proposition de méthodologie visant à mesurer les conditions de pénibilité de tous les métiers, et ce sur la base de données quantitatives  [16]. Cette proposition a été rejetée par le banc patronal et par le gouvernement fédéral. Les discussions se sont cependant poursuivies, pour le secteur public, en Comité A et, pour le secteur privé, au CNT. Pour ce qui concerne le secteur public, après une grève menée par la seule CGSP (centrale affiliée à la FGTB) le 27 février 2018 (cf. infra), un accord portant sur l’avant-projet de loi relatif à la reconnaissance de la pénibilité de certaines fonctions dans le secteur public pour la détermination des droits de pension a été conclu avec l’assentiment de la CSC-Services publics et du SLFP (affilié à la CGSLB), le 23 mai, sur une liste de 70 métiers  [17] permettant un départ anticipé lié au degré de pénibilité. La CGSP n’y a pas adhéré  [18].

39Alors que le ministre fédéral des Pensions, Daniel Bacquelaine (MR), soutenu par le CD&V et le MR, se félicite de l’accord, l’Open VLD et la N-VA le contestent quelques jours plus tard. Ces deux partis membres du gouvernement fédéral estiment que la liste est trop large et que le dossier doit être lié avec la négociation concernant le secteur privé. La N-VA demande au gouvernement de vérifier que les conditions préalables imposées par celui-ci sont bien remplies (l’âge effectif de départ doit augmenter et l’enveloppe budgétaire doit être respectée). Du côté patronal, la FEB et l’UNIZO disent craindre un effet tache d’huile de cette liste  [19], qu’elles considèrent également comme trop large et créant des attentes importantes chez les salariés du secteur privé. In fine, le gouvernement Michel I décide de ne pas avaliser la liste des métiers pénibles et d’attendre les résultats de la concertation au sein du secteur privé.

40Les négociations au sein du CNT s’avèrent plus difficiles encore. Le banc syndical cherche à faire adopter des critères qui épousent au mieux les situations de pénibilité, regrette l’insuffisance des moyens disponibles, demande des moyens complémentaires et refuse que les départs anticipés aient pour conséquence une réduction de la pension. À l’inverse, la FEB veut que le résultat des discussions s’inscrive dans le budget disponible et soutient que les départs anticipés doivent rester l’exception. Dans un premier temps, les interlocuteurs sociaux demandent le report du délai que leur avait accordé le gouvernement fédéral (fixé au 30 septembre). Ils apprennent aussi, par voie de presse, que le Conseil d’État a formulé un avis critique sur l’avant-projet de loi du ministre D. Bacquelaine. Le Conseil d’État souligne le risque de discrimination (et donc de recours) entre les travailleurs. L’avant-projet considère en effet que le quatrième critère ne peut être pris en compte que si la charge psychologique est cumulée avec l’un des trois autres critères (travail lourd, organisation du travail, risques physiques ; cf. supra) et non isolément. Les interlocuteurs sociaux réclament au ministre l’exposé des motifs de l’avant-projet de loi et l’avis du Conseil d’État. Ils obtiennent du ministre un délai supplémentaire (le 15 novembre) mais pas les textes.

41À la mi-novembre, les interlocuteurs sociaux se quittent sur un échec des négociations et remettent un avis divisé au gouvernement. S’ils s’accordent sur le fait qu’une « liste de métiers lourds ne couvre pas suffisamment la complexité du monde du travail », ils constatent que, « malgré leurs efforts répétés pour arriver à un consensus, ils se sont heurtés à des difficultés insurmontables pour définir des critères précis, objectifs, mesurables et enregistrables et n’ont pu dégager de position unanime »  [20].

42Alors que le contenu de la négociation avait jusque-là peu filtré, la FEB puis la FGTB rendent publics leurs arguments par le biais de cartes blanches publiées dans la presse  [21]. Pour la FEB, en raison des faibles durées des carrières en Belgique, la solidarité de la population active, dans le cadre d’un régime par répartition, risque de disparaître pour des raisons démographiques. Il convient donc, selon l’organisation patronale, de prolonger les carrières et de réduire les possibilités, certes rendues plus strictes, de départ anticipé. La FEB indique qu’il est « logique » qu’elle n’ait « pas pu marquer [son] accord sur la moitié de la population belge comme exerçant un métier lourd ». Elle explique que, « pour garantir la viabilité financière des pensions à l’avenir, il faut d’abord élaborer des réformes générales. Ensuite seulement, il pourra être question d’un nombre limité d’exceptions ». La FGTB qualifie de « véritable ode aux réformes » cette carte blanche de « la FEB qui oriente les lois et projets de ce gouvernement ». Le syndicat socialiste dénonce la logique qui vise à pousser les travailleurs à travailler plus longtemps afin de réduire les cotisations patronales. Il dénonce l’argument gouvernemental selon lequel il sera toujours possible aux travailleurs de prendre une pension anticipée. Selon la FGTB, 54 % des femmes ne pourront, faute du nombre d’années requises, accéder à la retraite à 54 ans. Globalement, le syndicat socialiste conclut qu’il « est impossible de discuter pénibilité sur base d’un budget aussi restreint que celui fixé par le ministre ». Pour sa part, la CSC appelle le patronat à faire un pas et à reprendre la négociation  [22].

43En raison de l’échec de la concertation, le gouvernement Michel I prend une nouvelle initiative dans un contexte de contestation réaffirmée et d’actions syndicales programmées pour la deuxième semaine de décembre : le 16 novembre, deux conciliateurs sociaux sont nommés par le gouvernement (Paul Soete et Étienne de Callataÿ  [23]). Le rapport qu’ils remettent aux ministres fédéraux Daniel Bacquelaine (MR, ministre des Pensions) et Kris Peeters (CD&V, vice-Premier ministre et ministre de l’Emploi, de l’Économie et des Consommateurs, chargé du Commerce extérieur) le 4 décembre acte l’éloignement prononcé des positions patronales et syndicales. Les conciliateurs suggèrent toutefois de dissocier les négociations du secteur public et celles du secteur privé en avançant dans les premières sur la base de la liste des 70 métiers pénibles et en abandonnant l’idée de fonctions miroir (similaires dans le public et le privé, comme les infirmières  [24]).

1.1.2. Pension à points

44Outre qu’il a poursuivi le processus entamé par ses prédécesseurs de relèvement de l’âge auquel les travailleurs mettent un terme à leur carrière, le gouvernement Michel I souhaite aussi réformer (à l’échéance 2025) et uniformiser les systèmes de pension à travers le principe de la « pension à points ». Chaque année de travail accompli correspondrait à un point et l’ensemble des points serait converti en pension en fin de carrière. Le nombre de points serait pondéré pour les métiers pénibles. Le montant du point serait lié au montant du salaire. Les périodes de recherche d’emploi seraient aussi convertibles en points. Dans ce schéma, la valeur du point serait établie annuellement par le gouvernement fédéral ; de ce fait, un travailleur ne pourrait connaître le montant définitif de sa pension que l’année où celle-ci est prise.

45Depuis 2015, les interlocuteurs sociaux se sont rencontrés à intervalles réguliers pour discuter de ce sujet. La critique syndicale de ce projet est virulente. Les syndicats dénoncent un système comportant trop d’incertitude (« une loterie ») et qui supprime l’idée d’âge fixe d’accès à la pension pour les travailleurs qui veulent bénéficier d’une pension complète. Au mois de décembre 2017, ils organisent une manifestation à Bruxelles, qui réunit 25 000 à 40 000 personnes sur cette thématique  [25]. En janvier 2018, les interlocuteurs sociaux remettent un avis divisé au CNP.

46Le gouvernement Michel I, qui a repris la main suite à ce désaccord, avance finalement peu sur le sujet. Le ministre D. Bacquelaine évoque la mise en œuvre de son projet lors de la législature suivante  [26], quelle que soit la majorité  [27]. Selon lui, « la pension à points va devenir la norme en Europe »  [28].

1.1.3. Pension à mi-temps

47Une autre façon d’aménager les fins de carrière est de permettre l’accès à la pension à mi-temps. Au début du mois d’octobre 2018, le gouvernement fédéral approuve une proposition en ce sens, avec l’objectif de la faire adopter par le Parlement et de permettre sa mise en œuvre dès le 1er juillet 2019.

48Le système de la pension à mi-temps pourrait, selon les syndicats, remplacer celui du crédit-temps de fin de carrière (même si le ministre annonce le maintien des deux systèmes). Contrairement à ce dernier, qui donne droit à une indemnité de l’Office national de l’emploi (ONEM) et reconnaît des périodes assimilables, la pension à mi-temps entraîne, pour son bénéficiaire, une diminution du montant de la retraite puisque celle-ci est prise anticipativement. Pour les syndicats, les travailleurs supporteront le coût de la pension à mi-temps, alors que l’objectif est de maintenir les gens plus longtemps à l’emploi.

49Le projet du gouvernement prévoit que la pension à mi-temps puisse être accessible pour les travailleurs ayant travaillé au moins à 4/5e temps l’année précédente pour autant qu’ils répondent aux conditions d’accès à la pension anticipée  [29]. Comme pour ce qui concerne la pénibilité, le projet est soumis à concertation séparément pour le secteur public et pour le secteur privé.

50Cette fois, les interlocuteurs remettent un avis unanimement négatif, pointant la surcharge administrative imposée aux employeurs (chargés d’émettre des attestations d’occupation) et les discriminations entre ouvriers, employés, fonctionnaires et indépendants. Les syndicats pointent par ailleurs les discriminations à l’égard des femmes, qui sont moins nombreuses que les hommes à disposer d’une carrière complète.

1.2. Un « deal unilatéral » pour l’emploi

51À côté du dossier des pensions, d’autres mesures envisagées par le gouvernement fédéral suscitent le mécontentement des organisations syndicales. Au cours du mois de juin 2018, le Premier ministre, Charles Michel (MR), demande aux interlocuteurs sociaux ainsi qu’aux gouvernements régionaux  [30] d’aider le gouvernement fédéral à trouver des solutions aux pénuries de main-d’œuvre. Celles-ci sont présentées comme un frein à la croissance : « Certaines entreprises subissent des pertes de productivité parce qu’elles ne peuvent pas pourvoir aux postes vacants. En d’autres termes, la pénurie de main-d’œuvre constitue une menace pour la croissance économique », indique le vice-Premier ministre K. Peeters  [31].

52 En juillet 2018, le Groupe des dix, qui rassemble les principaux représentants patronaux et syndicaux, remet au gouvernement fédéral un avis unanime  [32] comportant un énoncé de propositions qui portent essentiellement sur le développement de la formation continue et de la formation en alternance, ainsi que sur la réintégration des malades de longue durée. Le Premier ministre annonce qu’il va s’en inspirer.

53Quelques jours plus tard, le gouvernement Michel I présente son projet de budget 2019. Celui-ci, pour répondre aux engagements liés au pacte européen de stabilité  [33], doit afficher un déficit de 0,6 % et comprendre un effort de 2,6 milliards d’euros. Parmi les mesures censées contribuer au redressement budgétaire, figure le « jobsdeal », un accord entre les membres de la coalition gouvernementale destiné à promouvoir l’emploi. Ce jobsdeal doit rapporter environ 505 millions d’euros en 2019. Le calcul du gouvernement est établi comme suit. La Belgique compte 134 000 emplois non pourvus. Les différentes mesures du plan gouvernemental (formation, dégressivité accrue des allocations de chômage, etc.) doivent permettre de réduire ce nombre de 10 %. S’appuyant sur une étude, déjà ancienne, du Bureau fédéral du plan (BFP) estimant le coût annuel du chômage – en termes d’allocation et de non-rentrées fiscales – à 40 400 euros par demandeur d’emploi, le gouvernement escompte une recette d’un demi-milliard d’euros.

54Le plan du gouvernement fédéral intègre bien quelques idées du Groupe des dix, mais son contenu global heurte les syndicats ; quant à elle, la FEB y voit « plus de points positifs que de points négatifs »  [34]. À côté de dispositifs visant à identifier les pénuries  [35] ou à procurer des incitants aux demandeurs d’emploi pour se former dans ces métiers, le jobsdeal comprend, parmi une trentaine de mesures, une dégressivité accélérée des allocations de chômage, la restriction de l’accès au crédit-temps (passage de 55 à 60 ans) et aux RCC (en 2020, allongement de la durée de carrière à 41 ans pour les RCC individuelles et élévation de l’âge d’accès à 60 ans pour les RCC en cas de restructuration). Il comporte aussi l’annonce de la fin de la progression des salaires à l’ancienneté (les hausses barémiques) au profit d’une rémunération à la compétence, ainsi que la mise en place d’un service d’intérêt général pour les demandeurs d’emploi de longue durée.

55S’agissant des allocations de chômage, le gouvernement envisage d’accentuer la dégressivité des allocations de chômage en les augmentant durant les 6 premiers mois (soit en rehaussant le plafond de l’ancien salaire pris en compte – qui se monte alors à 2 619 euros mensuels bruts –, soit en augmentant le pourcentage de remplacement, qui est fixé à 65 % les 3 premiers mois et à 60 % les 3 mois suivants) mais en les diminuant par la suite avant d’atteindre les allocations forfaitaires de troisième période.

56S’agissant des fins de carrière, le gouvernement entend relever l’âge d’accès au crédit-temps de fin de carrière (qui permet de réduire son temps de travail d’un cinquième ou de moitié jusqu’à la pension) de 55 à 60 ans en 2019.

57En ce qui concerne l’évolution des salaires en cours de carrière, le gouvernement précise que « le ministre de l’Emploi conviendra avec les partenaires sociaux d’un agenda précis de la réforme en cours des rémunérations qui ne doivent plus être liées à l’âge mais à la compétence et à la productivité ».

58Comme cela avait été le cas deux ans plus tôt avec l’avant-projet de loi concernant le travail faisable et maniable (ou « Plan Peeters », du nom du ministre de l’Emploi) renforçant la flexibilité du travail, annoncée à l’occasion du contrôle budgétaire d’avril 2016  [36], ou en 2017 avec l’« accord de l’été » portant notamment sur des matières relevant de la sécurité sociale ou du droit du travail  [37], certaines de ces mesures apparaissent de façon assez inattendue dans le cadre de la préparation du budget 2019. Elles s’inscrivent en fait dans les recommandations adressées par la Commission européenne dans le cadre du semestre européen  [38], qui soulignent que « le taux de vacance d’emploi est parmi les plus élevés d’Europe, ce qui témoigne d’une profonde inadéquation des compétences », et pressent notamment la Belgique de « supprimer les contre-incitations à travailler », de « renforcer l’efficacité des politiques actives du marché du travail » et de « poursuivre la réforme des pensions »  [39].

59L’annonce de ces mesures contribue à accroître le mécontentement syndical (cf. infra). À côté de la contestation de fond, en particulier concernant la dégressivité accrue des allocations de chômage et la suppression des augmentations salariales à l’ancienneté, la remise en cause de la possibilité de négocier certaines fins de carrière – qui contrevient au programme gouvernemental et à l’accord interprofessionnel (AIP) 2017-2018  [40] – est considérée comme une remise en cause de la concertation sociale.

60Cependant, la chute du gouvernement Michel I en décembre 2018 rend incertaine la mise en œuvre du jobsdeal. La FEB s’en inquiète et appelle la N-VA à soutenir au Parlement fédéral l’exécution du plan. L’Open VLD n’est pas favorable à la dégressivité accrue des allocations de chômage, lui préférant la limitation de celles-ci dans le temps : à 3 ou 4 ans, avant que les centres publics d’action sociale (CPAS) ne prennent le relais. Selon ce parti, cette limitation est justifiée par le nombre d’emplois créés récemment et le nombre d’emplois vacants. On apprendra finalement, en janvier 2019, que le projet de loi portant sur le jobsdeal ne sera pas discuté en commission des Finances de la Chambre des représentants.

1.3. L’étroitesse de la marge salariale

61Les négociations qui s’ouvrent entre interlocuteurs sociaux en décembre 2018 en vue de conclure un AIP 2019-2020 s’annoncent difficiles. Ainsi, le président de la FGTB, Robert Vertenueil, attire l’attention sur le fait que les données publiées par le Conseil central de l’économie (CCE)  [41] lui font craindre une marge salariale de – 0,2 %, c’est-à-dire l’absence de toute augmentation du salaire réel pour les deux années suivantes  [42]. Il met en garde le gouvernement fédéral et les employeurs contre ce type de scénario et pointe ainsi les effets de la révision de la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité qui, opérée en mars 2017, réduit la marge de progression des salaires (cf. Encadré 1). Il préconise une hausse de 1,4 % en plus de l’indexation des salaires et des hausses barémiques, annonçant sinon une situation explosive en décembre  [43].

62Deux semaines plus tard, son homologue de la CSC, Marc Leemans, indique que la marge salariale devrait au moins être équivalente à celle décidée dans l’AIP conclu en 2017, soit 1,1 %, et que, vu la croissance économique intervenue depuis lors, il demande qu’elle soit fixée à 1,5 %, faute de quoi ce pourrait être « le chaos » en février 2019  [44].

63In fine, la marge estimée par le CCE en décembre sur la base du prescrit de la loi du 19 mars 2017 revoyant la loi de 1996 est établie à 0,8 %, ce que n’acceptent pas les syndicats, qui demandent une révision de la loi. Selon des modalités diverses, le SP.A, Groen et les partis francophones (à l’exception du MR et du PP) demandent également la révision de cette loi. Pour sa part, la FEB n’entend pas déroger à la loi dans le cadre des négociations salariales.

64Au début de l’année 2019 cependant, s’appuyant sur de nouvelles prévisions de l’inflation, le CCE revoit à la hausse la marge salariale disponible. Un projet d’AIP comprenant une marge salariale maximale de 1,1 % est approuvé par le Groupe des dix, mais il ne sera finalement pas ratifié par la FGTB  [45].

Encadré 1. La loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité et la marge salariale pour 2019-2020

Conformément à la loi du 26 juillet 1996  [46], le secrétariat du CCE estime, avant le début des négociations entre interlocuteurs sociaux, la marge salariale disponible pour les deux années couvertes par l’AIP.
Cette loi prévoyait de fixer une norme relative à la progression des salaires qui tienne compte de l’évolution attendue du coût salarial dans trois pays voisins (l’Allemagne, la France et les Pays-Bas), sachant que l’indexation des salaires et les progressions barémiques restent garanties.
La loi a été adaptée en 2017  [47] afin, d’une part, d’éviter que des erreurs de prévision (de l’inflation ou des salaires à l’étranger) n’entraînent une croissance plus rapide des salaires en Belgique que dans les trois pays de référence et, d’autre part, de prendre en compte un écart de coût salarial hérité d’avant 1996.
La loi prévoit désormais de nouveaux paramètres qui ont pour effet de limiter la marge de progression des salaires :
  • - une marge préventive de sécurité (de minimum 0,5 %) dont la part non utilisée est reportée pour les négociations suivantes ;
  • - un terme de correction visant à effacer l’écart accumulé depuis 1996 ;
  • - la non-prise en compte d’une part des réductions de cotisations patronales de sécurité sociale (notamment de celles accordées dans le cadre du tax shift) afin de résorber progressivement l’écart d’avant 1996.
Tenant compte de ce cadre légal, le secrétariat du CCE a calculé la marge disponible sur la base des données suivantes.
La progression des salaires attendue dans les trois pays de référence s’élève à 5,6 %.
L’inflation attendue en Belgique pour les années 2019-2020 est de 3,8 % (l’indice santé progresserait pour sa part de 3,6 %, mais le secrétariat se base sur l’indice des prix à la consommation).
Durant la période 1996-2018, les salaires auraient augmenté en Belgique de 0,9 % de plus que chez nos voisins. La loi impose désormais d’en tenir intégralement compte (c’est le terme de correction).
Enfin, un léger écart a été observé en 2017-2018 par rapport aux prévisions réalisées en amont du dernier AIP, signé le 2 février 2017. Les salaires des pays voisins ont progressé en moyenne de 0,2 % de plus que prévu et l’indexation a été supérieure de 0,3 % aux prévisions. Au total, les salaires belges ont donc progressé de 0,1 % de plus qu’ils ne l’auraient dû aux termes de la loi. Par conséquent, la part non utilisée de la marge de sécurité de 0,5 % prévue (par anticipation du nouveau cadre légal) par l’AIP conclu à l’hiver 2017, soit 0,4 %, doit être prise en compte dans la négociation en vue de conclure un AIP 2019-2020.
En déduisant de la progression des salaires attendue en 2019-2020 dans les pays voisins (+ 5,6 %) l’indexation prévue en Belgique (– 3,8 %), l’écart depuis 1996 (– 0,9 %) et une marge de sécurité préventive (– 0,5 %), et en ajoutant la marge non consommée lors des deux années passées (+ 0,4 %), le secrétariat du CCE a établi la marge de progression salariale maximale à 0,8 % pour les années 2019-2020. C’est donc sur cette base que les discussions au sein du Groupe des dix se sont engagées fin 2018 en ce qui concerne le volet salarial des négociations en vue de la conclusion d’un AIP 2019-2020.

1.4. D’une manifestation nationale à des actions décentralisées

65En début d’année, la contestation sociale semble relativement faible. Certes, le dossier des pensions suscite l’hostilité des syndicats mais, comme indiqué plus haut, c’est par la négociation d’abord (ou aussi) qu’ils tentent de faire prévaloir leurs points de vue.

66 Un mois après la manifestation du 19 décembre 2017, les syndicats n’ont en effet reçu aucune réponse du gouvernement Michel I. Seule la FGTB cherche dans un premier temps à mobiliser ses troupes pour des actions de masse. Cependant, divisée en son sein sur la stratégie à poursuivre, elle renonce à appeler à la grève et menace, fin janvier 2018, le gouvernement fédéral d’une telle action s’il ne retire pas ses projets en matière de pension. Les deux autres confédérations syndicales estiment l’action prématurée et privilégient la concertation. Seule la CGSP fait grève le 27 février pour contester le projet gouvernemental sur les métiers pénibles. Transports en commun, écoles et administrations publiques sont notamment touchés, particulièrement à Bruxelles, à Charleroi et à Liège. La capacité de mobilisation de la CGSP reste manifestement importante.

67Les trois organisations syndicales poursuivent des actions de sensibilisation auprès du public. En mars, elles éditent ensemble et distribuent plus de 1 200 000 exemplaires d’un « journal des pensions » qui porte sur la politique du gouvernement fédéral en matière de relèvement de l’âge légal de la retraite, de pénibilité et de pension à points. Le 29, une action symbolique en front commun rassemble 200 militants à Bruxelles pour souligner l’écart dont les femmes sont victimes par rapport aux hommes en matière de pension et pour pointer le risque de creusement de cette inégalité suite aux projets du gouvernement.

68Les négociations sur les fins de carrière n’avançant pas, le front commun syndical annonce, à la mi-avril, la tenue d’une manifestation nationale le 16 mai à Bruxelles. Dans l’intervalle, la CGSP et la CSC-Services publics organisent une grève le 30 avril dans la fonction publique fédérale pour contester les mesures prises par le gouvernement Michel I en matière de statut, de travail intérimaire, de congés de maladie et de fin de carrière.

69Peu avant la fête du Premier mai, syndicat et mutualités socialistes critiquent ensemble le gouvernement fédéral et lui enjoignent à nouveau d’abandonner ses projets en matière de pension. Malgré l’unité syndicale, le ministre D. Bacquelaine cible la seule famille socialiste et dénonce une « opposition (…) de nature politique » : « La FGTB joue le premier rôle (…). Le syndicat socialiste travaille dans le cadre de l’action commune avec le PS et probablement aussi avec le PTB »  [48].

70Les participants à la manifestation du 16 mai 2018 sont couverts par un préavis de grève. Alors que les syndicats attendaient entre 40 000 et 60 000 personnes, les médias citent le chiffre de 55 000 à 70 000 manifestants dans les rues. Dans la foulée de la manifestation, mais aussi face au refus du gouvernement fédéral d’adopter la liste des métiers pénibles établie pour le secteur public, les syndicats indiquent, fin juin, qu’ils maintiendront la pression et annoncent un plan d’action pour la rentrée, qui comprend une journée d’action le 2 octobre.

71Le projet de budget 2019 du gouvernement Michel I et le jobsdeal prévu par ce dernier suscitent une accentuation du mécontentement social et la conduite d’actions par un front commun syndical reconstitué après les divergences de stratégie du début d’année.

72Le président de la FGTB réagit au jobsdeal avec des mots très durs. Il dénonce « un accord abject » et « un coup de poignard dans le dos », et menace d’actions de grève : « Je vais aller voir toutes mes centrales et je vais les remonter à balles de guerre. La rentrée sera chaude (…). Je vais faire tout ce que je peux pour convaincre mes affiliés. Et si j’ai la capacité d’arrêter ce pays, je le ferai. Ce gouvernement nous méprise, il méprise les travailleurs. Je vais lui pourrir la vie »  [49]. À moins de trois mois des élections communales et provinciales du 14 octobre 2018, il promet aussi aux partis qui composent le gouvernement fédéral de « leur pourrir la campagne électorale »  [50]. R. Vertenueil souhaite que la grève se déroule en front commun.

73Les trois organisations syndicales attendent la réunion de leurs instances en septembre pour décider de la réaction à adopter. Le président de la FGTB annonce qu’il défendra le principe d’une grève générale en front commun le 2 octobre  [51]. Le MR dénonce une grève politique qui sera organisée quelques jours avant le scrutin local.

74À la fin du mois d’août, le ministre fédéral de l’Emploi invite les syndicats à négocier. K. Peeters convie le Groupe des dix en septembre pour « expliquer le paquet de mesures »  [52] et dit avoir tenu compte des propositions des interlocuteurs sociaux. Deux semaines plus tard, il prie les interlocuteurs sociaux de se mettre à table pour négocier des questions restées jusque-là pendantes : l’encadrement du droit de grève  [53], la définition des métiers qui doivent être considérés comme pénibles dans le cadre de la réforme des pensions, la réforme de la loi dite Renault sur les licenciements collectifs.

75In fine, le bureau de la FGTB appelle, non pas à une grève générale, mais à une journée d’actions décentralisées. Celle-ci est organisée en front commun, non seulement contre la réforme des pensions, mais aussi en réaction au jobsdeal. Elle est précédée par l’édition d’un deuxième numéro du « journal des pensions », distribué en septembre, qui titre : « Avis de tempête sur les métiers lourds ». Ce numéro contient un appel à rejoindre les mobilisations.

76En prélude à la mobilisation du 2 octobre, le front commun syndical de la fonction publique fédérale organise une manifestation à Bruxelles le 28 septembre pour dénoncer en particulier la réforme du régime des congés de maladie (qui, non utilisés, pouvaient jusqu’alors être accumulés pour être pris en fin de carrière). D’autres motifs de mécontentement sont mis en avant, relatifs au manque de concertation sur les réformes entreprises, au recrutement de contractuels ou au manque d’effectifs dans certains secteurs. Environ 10 000 participants sont recensés, dont un groupe important de pompiers.

77Organisées dans tout le pays, les actions syndicales interprofessionnelles du 2 octobre sont diverses et d’une ampleur variable. Des arrêts de travail ont lieu dans différentes entreprises et dans les transports publics : TEC, STIB, SNCB. La FGTB Liège-Huy-Waremme organise une grève de 24 heures, à laquelle s’associe la régionale de Verviers-Ostbelgien, assortie d’un défilé qui rassemble 7 000 manifestants. D’autres manifestations réunissent 11 000 à 15 000 personnes à Anvers, 6 000 à Tournai, 4 000 à 5 000 personnes à Bruxelles et autant à Courtrai, à Gand et à Hasselt, 3 000 à Namur et 500 à Louvain, pour un total de 40 000 à 50 000 manifestants à travers le pays.

78Pour la FGTB, cette journée ne constitue qu’une étape dans la mobilisation. Et les négociations salariales à venir dans le cadre de l’AIP constituent des objets supplémentaires de mécontentement. Le 26 octobre, la FGTB adopte un plan d’action prévoyant une journée d’actions contre la politique du gouvernement fédéral avant le 15 décembre. Dans ses rangs, l’idée d’une journée de grève générale revient à nouveau, si possible en front commun, et la date du vendredi 14 décembre est envisagée pour organiser au minimum une manifestation. Cette date est cependant problématique pour la CSC, dont les régionales de Liège-Huy-Waremme et de Verviers-Ostbelgien tiennent ce jour-là un congrès destiné à acter leur fusion. Les syndicats conviennent d’une semaine d’actions de protestation du 10 au 14 décembre et d’une « vague de grèves » le vendredi. La liberté est cependant laissée aux secteurs et aux sections régionales d’organiser ces actions. Une semaine avant, en pleine crise gouvernementale autour de la signature par la Belgique du Pacte mondial des Nations unies pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (dit Pacte de Marrakech), les trois syndicats décident de concentrer finalement leurs actions le 14 décembre et de les maintenir même en cas de chute du gouvernement fédéral. À Charleroi, le front commun syndical organise une journée de grève interprofessionnelle ; à Liège, seule la FGTB fait de même. Différentes centrales professionnelles des deux syndicats couvrent les grèves du 14 décembre. Des blocages d’entreprises, de centres commerciaux et de zonings sont organisés. Les services publics (hors transport ferroviaire) et le transport aérien sont également touchés. Enfin, un rassemblement syndical est organisé devant le siège de la FEB ; les syndicats estiment en effet que, « depuis quatre ans, le patronat et le gouvernement sont complices. (…) Les patrons refusent la concertation sociale et comptent sur le gouvernement pour mettre en œuvre leurs politiques antisociales »  [54]. En outre, le démarrage des négociations en vue de la conclusion d’un nouvel AIP approche.

79Ces nouvelles actions connaissent un certain succès dans les rangs syndicaux. Plusieurs dirigeants se disent surpris de la détermination de leurs affiliés à se mettre en grève  [55]. Cette tendance est manifestement due à l’accumulation de motifs de mécontentement à l’égard de la politique du gouvernement fédéral, notamment l’absence de reconnaissance de la pénibilité au travail et les critiques à l’égard du manque de pouvoir d’achat. Mais la vigueur de la mobilisation peut vraisemblablement s’expliquer aussi parce que, dans l’intervalle, un mouvement nouveau et assez original a surgi en dehors de tout cadre classique de la contestation : le « mouvement des Gilets jaunes » qui, à certains égards, questionne les limites de l’action syndicale voire met en évidence l’impuissance des syndicats à contrer la politique gouvernementale. Outre l’approche des négociations relatives à l’AIP, l’émergence du mouvement des Gilets jaunes semble avoir mis une certaine pression sur les responsables syndicaux, les incitant à réussir tout particulièrement la mobilisation du 14 décembre.

1.5. À côté du vert, du rouge et du bleu, le mouvement des Gilets jaunes et la marche pour le climat

80Relayant un appel à la mobilisation lancé en France sur les réseaux sociaux, des personnes non directement liées à des organisations préexistantes entreprennent de bloquer certains dépôts de carburant situés en Wallonie à partir du vendredi 16 novembre 2018. S’identifiant au moyen d’une chasuble fluorescente de sécurité – et se démarquant de ce fait des couleurs et accessoires traditionnellement utilisés par les organisations syndicales ou les partis politiques –, les « Gilets jaunes », tels qu’ils se nomment eux-mêmes, entendent protester contre la hausse du prix des produits pétroliers, notamment liée au relèvement des accises décidé par le gouvernement Michel I pour compenser le tax shift  [56] par lequel il entend réduire l’impôt sur les personnes physiques (IPP)  [57].

81Ce mouvement se singularise de plusieurs manières  [58]. Il met en présence des personnes d’horizons divers (salariés, indépendants ou allocataires sociaux), marquées par la précarité ou préoccupées par la hausse du coût de la vie, rassemblées essentiellement par le biais des réseaux sociaux. D’emblée dures, les actions prennent tout d’abord la forme de blocages de dépôts de carburant et de carrefours routiers ou de portions d’autoroute avant, dans un deuxième temps, de se doubler de manifestations  [59]. En tentant, directement et sans préavis, de bloquer l’économie  [60], en affrontant parfois les forces de l’ordre de manière violente et en commettant dans certains cas des actes de dégradation matérielle (formes d’action qui ne sont pas menées par tous mais qui ne sont pas nécessairement rejetées par les militants plus pacifiques, qui disent parfois comprendre l’expression de colère que traduit ce recours à la violence), les Gilets jaunes marquent clairement la rupture avec les modes d’action utilisés de manière répétée mais généralement bien ordonnée par les syndicats. Ils s’en distancient aussi par la volonté de demeurer un mouvement non organisé, qui refuse de se doter de porte-parole ou de négociateurs, ce qui met mal à l’aise le monde politique, peu habitué à ne pas disposer d’interlocuteur attitré pour négocier les modalités des actions ou pour discuter des mesures susceptibles de faire retomber la tension et le mouvement social qui l’exprime.

82Les syndicats éprouvent également certaines difficultés à réagir à la mobilisation des Gilets jaunes. Ils ne souhaitent pas être accusés de récupérer le mouvement et se montrent prudents face à des revendications essentiellement hostiles aux impôts et aux cotisations sociales et à une forme de rejet de la démocratie représentative. Les délégués ou militants syndicaux qui rejoignent les actions des Gilets jaunes sont relativement peu nombreux. Cependant, les griefs mis en avant quant aux difficultés vécues par une large part de la population laborieuse (y compris des indépendants) ou par les allocataires sociaux, de même que les situations de misère mises en évidence par les militants, rejoignent très largement ce que les syndicats dénoncent depuis de nombreuses années. De plus, le discours sur la nécessité de relever le pouvoir d’achat des couches inférieures et moyennes de la société est également largement commun aux deux univers, même si les syndicats insistent sur la nécessité de l’articuler avec d’autres éléments, tels que la justice fiscale (et non la simple baisse des taxes) ou l’importance des services publics et d’une protection sociale forte  [61].

83Par ailleurs, le 2 décembre 2018, une manifestation en faveur de mesures urgentes et actives pour lutter contre le réchauffement climatique réunit quelque 70 000 personnes à Bruxelles, dont des militants syndicaux.

84 En l’espace de deux semaines, se déroulent donc deux mobilisations certes différentes mais marquant toutes deux fortement l’actualité et montrant l’exaspération de certains segments de la population face aux politiques menées (ou à l’absence de politique face à un problème jugé important). Interpellés, notamment par la presse, sur leur perte supposée de légitimité face à ces types d’action ou à ces sujets de mobilisation considérés comme nouveaux, les syndicats ont probablement souhaité mettre à profit la mobilisation annoncée pour la mi-décembre afin de se repositionner comme acteurs majeurs de la contestation de la politique du gouvernement fédéral.

1.6. Conclusion

85La conflictualité sociale interprofessionnelle a d’abord été ponctuée par une importante manifestation syndicale convoquée en mai en réponse au positionnement du gouvernement fédéral Michel I (N-VA/MR/CD&V/Open VLD) dans le dossier des pensions. Ensuite, afin de préserver l’unité du front commun syndical et faute de consensus en son sein, la FGTB a été amenée par deux fois (en octobre puis en décembre) à renoncer à un mot d’ordre de grève générale souhaité par une partie de ses militants pour mener plutôt des actions diverses et décentralisées. Mais la tension, restée forte en fin d’année, et une certaine concurrence dans la contestation, exercée par le mouvement des Gilets jaunes et par la mobilisation en faveur du climat, a ouvert la voie à de nouvelles actions en 2019. Les marges étriquées de la négociation salariale conduiront d’ailleurs à une grève nationale le 13 février 2019.Alors que la contestation sociale avait atteint une ampleur inédite au début de la législature 2014-2019, l’incapacité des syndicats à infléchir significativement la position du gouvernement fédéral sur la plupart de ses projets a conduit ces organisations à prolonger leurs actions en mode mineur tout en privilégiant la concertation sociale bien que celle-ci se situe dans un cadre de plus en plus bridé par le gouvernement. La contestation semble cependant avoir repris quelques forces en fin de législature en raison de la conjugaison des motifs de mécontentement syndical (pensions, jobsdeal et salaires) et de la colère exprimée sous différentes formes par des secteurs variés de la population.

2. La tentative avortée de réforme des points APE en Wallonie

86L’année 2018 est marquée par la mobilisation d’une large alliance regroupant des partis politiques d’opposition, les principales organisations syndicales interprofessionnelles et les acteurs syndicaux et patronaux du secteur non marchand contre l’initiative prise par le gouvernement régional wallon (gouvernement Borsus, MR/CDH) de réformer en profondeur le dispositif des aides à la promotion de l’emploi (APE) en Wallonie.

87Une première tentative de réforme, menée en concertation avec le secteur et les organisations syndicales, a pourtant failli aboutir en 2017, mais elle n’a pas survécu au changement de majorité régionale intervenu le 28 juillet 2017 – à savoir la chute du gouvernement wallon Magnette (PS/CDH) et le remplacement de celui-ci par le gouvernement Borsus. Dès son entrée en fonction, le nouveau ministre wallon de l’Emploi, Pierre-Yves Jeholet (MR), s’est en effet lancé dans une nouvelle réforme, dont l’objectif est toujours de simplifier un système que tout le monde s’accorde à reconnaître comme trop complexe, mais également de diminuer les coûts de ce système et à en « objectiver » le fonctionnement. Face à lui, l’opposition et les principaux acteurs du secteur dénoncent un processus mené sans réelle concertation et dont les conséquences sur l’emploi et les services assurés par le non-marchand risquent, selon eux, d’être considérables. Dans ce contexte, quatre mobilisations d’ampleur sont organisées entre juin 2018 et mars 2019, avec en parallèle des actions plus modestes et variées (pétition, carte blanche, etc.). In fine, c’est toutefois la perte de majorité du gouvernement Borsus au Parlement wallon qui signe l’échec de ce projet de réforme, ce qui n’empêche pas les opposants à celui-ci d’affirmer que c’est leur mobilisation qui a payé.

2.1. Origines du premier processus de réforme

88Les APE sont instituées en avril 2002 par le gouvernement wallon Van Cauwenberghe I (PS/MR/Écolo) ; cette mesure a été portée en particulier par la ministre de l’Emploi et de la Formation, Marie Arena (PS). Le décret wallon qui institue les APE  [62] poursuit trois objectifs principaux. Primo, simplifier le paysage wallon des aides à l’emploi en réunissant sous un même dispositif les différentes formes de subvention existantes : agent contractuel subventionné (ACS), troisième circuit de travail (TCT), programme de transition professionnelle (PTP), etc. Secundo, lutter contre le chômage, en particulier en favorisant la (re)mise à l’emploi des personnes les plus « éloignées » du marché du travail. Tertio, soutenir des activités (essentiellement non marchandes) utiles socialement mais difficiles à pérenniser sans soutien public.

89Pour mettre en œuvre ce dispositif, le décret wallon établit un système de « points » attribués aux demandeurs d’emploi en fonction de leur durée d’inoccupation, de leur âge, de leur niveau de qualification et du secteur concerné (les profils et/ou les secteurs les plus difficiles bénéficiant de plus de points). Tout demandeur d’emploi inoccupé peut ainsi, depuis 2002, demander un « passeport APE » à l’Office wallon de la formation professionnelle et de l’emploi (FOREM), document qui reprend le nombre de points qui lui est attribué. Ce passeport est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour que l’employeur puisse bénéficier du subside prévu en cas d’embauche. En parallèle, celui-ci doit également faire approuver son « projet » par la Région wallonne, qui, le cas échéant, lui attribue un nombre total de points qu’il peut répartir entre différents travailleurs pour autant que ces derniers soient éligibles. Trois secteurs sont couverts par le décret, avec des dispositions particulières : le secteur non marchand  [63], les pouvoirs locaux et l’enseignement. En cas d’embauche, le système APE offre un double soutien à l’employeur. D’une part, celui-ci reçoit un subside équivalent au nombre de points attribués multiplié par la valeur d’un point (en 2019, un point vaut ainsi 3 114,85 euros), montant qui est indexé annuellement sur l’indice des prix à la consommation. D’autre part, l’employeur bénéficie d’une importante réduction de cotisations patronales.

90À l’heure actuelle, le coût total du dispositif pour la Région wallonne est estimé à 1 milliard d’euros. Le système bénéficie à près de 60 000 travailleurs (45 000 équivalents temps plein - ETP) engagés par plus de 4 000 employeurs répartis entre le secteur non marchand (52 %), les pouvoirs locaux (42 %) et l’enseignement (6 %).

2.2. Critiques récurrentes à l’égard du dispositif

91Depuis sa création, le dispositif APE a essuyé de nombreuses critiques, y compris de la part des secteurs qui en bénéficient. La critique la plus largement formulée renvoie à la complexité du système. La FGTB souligne ainsi que le système repose sur deux modalités de subventionnement différentes (les subsides aux points et les réductions de cotisations), qu’il implique deux administrations différentes dans l’octroi et le paiement de ces subventions (la DGO6  [64] et le FOREM) et qu’il existe différents types de points, de durées et de modalités d’octroi selon le type de projet (par exemple, selon qu’il s’agit du non-marchand, des pouvoirs locaux ou de l’enseignement)  [65]. Dans ce contexte, en 2009 déjà, la fédération Concertation des ateliers d’insertion professionnelle et sociale (CAIPS), qui regroupe des structures d’insertion socio-professionnelle bénéficiant de l’agrément EFT-OISP  [66], plaide pour un transfert des financements APE vers des financements structurels, notamment pour en diminuer la lourdeur administrative  [67].

92Du côté du MR, la critique – formulée d’abord par les députés wallons du parti depuis les bancs de l’opposition puis, à partir de l’été 2017, relayée par P.-Y. Jeholet une fois celui-ci devenu ministre wallon de l’Emploi – porte non seulement sur la complexité du dispositif mais également sur le caractère coûteux et opaque d’un projet qui aurait été dévoyé de ses objectifs initiaux  [68].

93Sur le premier point, c’est non seulement le coût en tant que tel qui est dénoncé, mais aussi et surtout le fait qu’il serait « incontrôlable ». En cause, le fait que l’attribution de points APE fonctionne en « enveloppe ouverte » dans la mesure où « pour autant que le demandeur réponde aux prescrits légaux, il bénéficie de points APE ». À en croire le MR, cette situation est d’autant plus problématique que, depuis la sixième réforme de l’État, c’est la Région wallonne qui assume le coût des réductions de cotisations sociales liées aux APE, à partir d’un transfert budgétaire en enveloppe fermée, alors que l’octroi de nouveaux points APE génère des réductions supplémentaires. En outre, dans la mesure où les employeurs sont libres de répartir à leur guise les points APE dont ils bénéficient entre leurs travailleurs, on ne peut estimer à l’avance le montant exact de réduction de cotisations sociales qui en découlera  [69].

94Sur le deuxième point, le MR dénonce le fait qu’il n’existerait pas de critères objectifs pour l’attribution des subsides, celle-ci étant « le fait du prince » avec dès lors des risques de clientélisme et de politisation du dispositif  [70].

95Enfin, une dernière critique est le fait que le dispositif, qui devait normalement favoriser l’insertion des personnes les plus éloignées de l’emploi, serait trop souvent utilisé pour embaucher du personnel qualifié en détournant dès lors le programme de ses objectifs initiaux. Le MR note ainsi que « plus de 60 % des travailleurs APE ont un niveau d’études secondaires supérieures minimum. Près d’un tiers ont un niveau d’études de bachelier ou universitaire. Les niveaux bachelier et master connaissent d’ailleurs la plus forte augmentation au détriment des profils moins qualifiés. En réalité, les employeurs du secteur public et non marchand utilisent le dispositif APE comme un soutien financier pour engager des moyens et hauts profils »  [71].

2.3. Première tentative de clarification du dispositif

96Dans la foulée de la sixième réforme de l’État, qui a transféré aux Régions davantage de compétences mais aussi de responsabilités budgétaires en matière d’aides à l’emploi, le gouvernement wallon Magnette (PS/CDH) formé à la suite des élections du 25 mai 2014 décide d’élaborer un Pacte pour l’emploi et la formation, qui s’appuie notamment sur une réforme des aides à l’emploi, dont le dispositif APE. Cette réforme est menée par la ministre wallonne de l’Emploi et de la Formation, Éliane Tillieux (PS), en collaboration avec le Groupe des partenaires sociaux wallons (GPSW) dans le cadre du Conseil économique, social et environnemental de Wallonie (CESE Wallonie)  [72].

97En février 2017, un projet de réforme soutenu par l’ensemble des interlocuteurs sociaux est approuvé en première lecture. Comme l’explique alors la ministre, l’objectif principal de la réforme est de simplifier le dispositif. Le texte en gestation prévoit notamment le versement aux bénéficiaires d’une subvention unique regroupant le montant des APE et le montant des réductions des cotisations sociales. La réforme projetée inclut également la création de nouveaux postes de travail à destination des publics plus fragilisés, à partir de nouveaux budgets et sans conséquence sur les emplois APE existants. Le mécanisme prendra la forme d’appels à projets répondant à des besoins de société prioritaires, dont le premier devra être lancé en 2018, pour un budget de 8 millions d’euros  [73]. En parallèle, les secteurs concernés obtiendront la garantie qu’aucun emploi subsidié en 2015 ne sera menacé par la réforme et que « les budgets pour le dispositif APE de 605 millions d’euros pour les subventions de la Région wallonne, auquel est ajoutée une enveloppe de 343 millions d’euros pour les réductions de cotisations sociales », seront maintenus  [74]. Une période transitoire est prévue pour permettre au nouveau dispositif de se mettre en place progressivement, compte tenu de la complexité du processus. À cet égard, quatre « secteurs pilotes » sont retenus pour « tester » la réforme, parmi lesquels celui de l’insertion socio-professionnelle (pour lequel le transfert des financements APE en fonds structurels a d’ailleurs déjà eu lieu).

2.4. Revirement ministériel et refonte globale du projet

98La réforme de la ministre É. Tillieux est « gelée » suite à la décision du CDH de ne plus gouverner avec le PS en Wallonie, annoncée le 19 juin 2017  [75], et à la mise sur pied du gouvernement wallon Borsus (MR/CDH). Officiellement, il s’agit pour le nouveau ministre de l’Emploi, Pierre-Yves Jeholet (MR), de clarifier une situation qu’il juge « confuse »  [76]. Pour sa part, l’opposition socialiste dénonce toutefois très vite ce qu’elle perçoit comme une volonté de la part de la nouvelle majorité de contourner une réforme ayant fait l’objet d’une large concertation : « La réforme des aides à l’emploi a fait l’objet d’un large accord entre partenaires sociaux », déclare ainsi le président du PS, Elio Di Rupo, en réaction à la déclaration de politique générale du nouveau gouvernement wallon.

99Il poursuit : « La méthode wallonne, avec le PS, privilégiait le respect de la concertation sociale. Remettre en cause ce que les patrons et syndicats ont négocié rappelle la politique fédérale du gouvernement MR/N-VA  [77] »  [78].

100Moins d’un an après son entrée en fonction, le 29 mars 2018, le ministre P.-Y. Jeholet fait adopter un avant-projet de réforme en première lecture par le gouvernement wallon. Le contenu du texte fait immédiatement l’unanimité contre lui au sein des organisations syndicales et patronales des secteurs concernés  [79]. Le projet vise à supprimer à terme les APE, en transférant les crédits budgétaires aux différents ministres fonctionnels compétents au plus tard au 31 décembre 2020. En attendant, une période transitoire est mise en place, durant laquelle le système de points et les passeports APE sont supprimés ; les aides sont transformées en une subvention unique calculée sur la base des subventions et réductions de cotisations reçues en 2015-2016, en tenant partiellement compte de l’indexation ; les montants sont plafonnés ; l’enveloppe budgétaire dédiée aux APE est fermée ; une économie de 20 millions d’euros est réalisée sur les crédits engagés en 2018 ; un cadastre des employeurs bénéficiaires et des montants alloués est mis en place ; le contrôle de l’utilisation de la subvention est renforcé ; certains employeurs du secteur public n’ont plus accès au dispositif, à savoir les provinces, les zones de secours et de police, les régies communales autonomes, certains services du gouvernement wallon et du gouvernement de la Communauté française et les établissements publics qui en dépendent (cf. Tableau 1).

Tableau 1. Réforme des APE projetée par le ministre P.-Y. Jeholet (mars 2018)

Tableau 1. Réforme des APE projetée par le ministre P.-Y. Jeholet (mars 2018)

Tableau 1. Réforme des APE projetée par le ministre P.-Y. Jeholet (mars 2018)

Source : Note ministérielle.>

101Avant le fond, c’est d’abord la forme de la démarche qui est dénoncée par l’opposition, ainsi que par les organisations syndicales et patronales. Tous ces acteurs regrettent en particulier l’absence de concertation et l’empressement dont fait preuve le ministre, alors même que le sujet est complexe et qu’il met directement en jeu des milliers d’emplois et plus largement l’avenir de secteurs entiers. Dès le 29 mars, le ministre-président de la Communauté française, Rudy Demotte (PS), se plaint par exemple de ne pas avoir été consulté alors que la réforme nécessitera de nouveaux accords de coopération entre la Région wallonne et la Communauté française, de nombreux emplois APE dépendant de la tutelle communautaire (45 % rien que dans le non-marchand, selon lui). Même son de cloche du côté des organisations syndicales, qui dénoncent « un manque total de transparence » et « une absence de concertation » de la part du ministre, la FGTB ajoutant que les avis des fédérations d’employeurs concernées – Union des entreprises à profit social (UNIPSO), Union des villes et communes de Wallonie (UVCW), Fédération des centres publics d’action sociale (Fédération des CPAS), etc. – n’ont « pas non plus été pris en compte »  [80].

102Il est également reproché au ministre P.-Y. Jeholet de vouloir justifier sa réforme en peignant un portrait excessivement négatif du système des APE, au point d’en faire, selon le site de l’asbl Le Guide social, « LE nouveau scandale qui touche l’associatif »  [81]. La veille du vote de l’avant-projet, une interview du ministre a ainsi été publiée dans les colonnes du quotidien La Libre Belgique, dans laquelle P.-Y. Jeholet dénonçait un système dévoyé de ses objectifs initiaux, trop coûteux et fonctionnant largement hors de tout contrôle. Des propos qu’a rejetés dès le lendemain, entre autres, l’UNIPSO, qui a regretté que la communication et la réforme du ministre se basent sur une vision qu’elle juge biaisée  [82].

103Sur le fond, les principales craintes des opposants portent sur les pertes d’emploi qui seraient occasionnées par la réforme et plus largement sur la fragilisation qui en découlerait pour toute une série de services aujourd’hui assurés par le non-marchand. En cause, notamment, l’instauration d’une clé de plafonnement pour les subventions, le recours à des enveloppes fermées ou encore le fait que certains employeurs publics ne pourraient plus bénéficier du dispositif. La FGTB estime par exemple à 4 750 le nombre de travailleurs menacés par la réforme (812 ETP et 1 102 travailleurs en raison de l’exclusion de certains employeurs en 2020 ; 750 ETP et a minima 950 travailleurs dans les pouvoirs locaux ; 800 ETP et a minima 1 200 travailleurs dans le non-marchand ; 1 500 travailleurs en raison du sous-financement des projets à durée déterminée)  [83]. Les syndicats dénoncent par ailleurs d’autres « choix problématiques », à l’image de la suppression du passeport APE et des critères qui y sont liés, permettant ainsi à un employeur de remplacer un travailleur APE par tout demandeur d’emploi inoccupé, sans autre condition. Plus largement, les opposants à la réforme regrettent surtout que cette disparition annoncée du système des APE s’opère sans qu’un système de remplacement soit clairement défini, le ministre renvoyant sur ce point la balle au prochain gouvernement wallon et aux futurs ministres compétents.

2.5. Enclenchement des premières mobilisations

104Devant ce qui est largement perçu comme une tentative de passage en force, les premières mobilisations s’organisent. Au début du mois de juin 2018, les branches wallonnes de la FGTB et de la CSC appellent ainsi à une manifestation pour l’emploi, à Namur, le 25 juin, avec, en ligne de mire, la réforme des points APE portée par le ministre P.-Y. Jeholet. Entre-temps, ce dernier fait toutefois adopter par le gouvernement wallon un texte en deuxième lecture, le 21 juin, qui maintient l’essentiel des points contestés – une « provocation », pour les syndicats.

105Dans ce contexte, la manifestation est considérée comme un grand succès par les organisateurs  [84] puisqu’elle réunit finalement 10 000 personnes selon les organisateurs (6 400 selon la police), soit près du double du nombre de manifestants pressenti. Le mouvement est remarquable du point de vue de la diversité des acteurs qui le composent. Ils sont issus des pouvoirs locaux et des différents sous-secteurs du non-marchand, parmi lesquels la culture, le social, l’enseignement, les soins, la prise en charge des aînés, les garderies scolaires, les centres sportifs ou encore l’aide à la jeunesse. Le quotidien Le Soir parle ainsi d’une « bombe à fragmentation » au regard des nombreuses composantes issues des pouvoirs locaux et du non-marchand qui assurent des services de proximité à la population. En outre, la mobilisation peut compter sur le soutien plus ou moins direct – ou, du moins, sur l’absence d’opposition – des fédérations d’employeurs du non-marchand.

106Dans la foulée de cette première action réussie, le 27 juin, les responsables des deux syndicats manifestent à nouveau leur mécontentement en pratiquant conjointement la politique de la chaise vide à la réunion mensuelle du comité de gestion du FOREM. Au-delà de l’opacité qui caractérise, selon leurs dires, la réforme des APE, c’est l’accumulation des décisions prises de manière unilatérale par le ministre qui attise la colère des hauts responsables syndicaux wallons (remise en question du soutien aux acteurs issus des organisations syndicales dans les politiques d’accompagnement des demandeurs d’emploi, projet de réduction des effectifs au sein du FOREM à hauteur de près de 500 emplois, etc.). Loin de se laisser impressionner, le ministre menace en retour de dissoudre la gestion paritaire du FOREM, en raison du frein que ladite gestion représenterait pour le dynamisme et le redressement de la Wallonie.

107Néanmoins, les pressions continuent de s’exercer sur le ministre, y compris depuis les rangs de l’opposition politique. Le ministre-président de la Communauté française, R. Demotte, s’exprime ainsi à nouveau sur le problème que pose le transfert de compétences et donc de moyens entre les deux entités fédérées, en soulignant à nouveau que 45 % des aides liées au non-marchand bénéficient de la tutelle communautaire. De leur côté, le PS, Écolo et le PTB dénoncent également le contenu, le calendrier et le caractère unilatéral de la réforme, en s’appuyant notamment sur une enquête réalisée au sein d’un échantillon de 20 communes et 16 CPAS, qui conforte le scénario d’une perte conséquente d’emplois. Enfin, en juillet, la Fédération des employeurs des secteurs de l’éducation permanente et de la formation des adultes (FESEFA), une des fédérations d’employeurs concernés par la réforme, lance une pétition en ligne à destination des députés wallons ; l’objectif est de réunir au moins 30 000 signatures sur les 60 000 travailleurs qui bénéficient des APE  [85].

108Dans ce contexte, le 26 juillet, peu avant les vacances politiques d’été, le ministre P.-Y. Jeholet annonce qu’il reporte d’un an le démarrage de la phase transitoire, prévu initialement pour janvier 2019. Ce geste suscite un certain soulagement au sein des secteurs concernés, qui « gagnent » un an de plus dans le système actuel. La CSC n’hésite d’ailleurs pas à parler de « victoire », qu’elle attribue aux mobilisations de l’été. À l’inverse, la FGTB est plus circonspecte. D’une part, elle souligne que le contenu de la réforme n’est en rien modifié par cette décision. D’autre part, elle fait remarquer que la date du passage au nouveau système reste, elle, inchangée, ce qui signifie que la transition devra se faire en une année au lieu de deux.

2.6. Rupture du front commun

109Cette différence de lecture entraîne une rupture du front commun au retour des vacances, à l’automne 2018  [86].

110D’un côté, la CSC donne au gouvernement Borsus jusqu’au 30 novembre pour organiser de « réelles » consultations  [87]. En attendant, elle ne s’associe plus au front commun, dans la mesure où elle souhaite laisser au ministre P.-Y. Jeholet la possibilité de prouver sa bonne foi. Cette position est partagée par la CGSLB, qui souligne toutefois, en octobre 2018, la vigilance avec laquelle elle entend faire respecter le principe de concertation sociale  [88]. La CSC privilégie également la mise sous pression du CDH et en particulier de la ministre wallonne de l’Action sociale, Alda Greoli – par ailleurs également ministre de la Communauté française dans le gouvernement Demotte III (PS/CDH)  [89] – : le syndicat chrétien considère que le CDH pourrait se montrer plus réceptif à ses demandes et ensuite les répercuter, à son tour, au sein du gouvernement wallon. Cette piste semble d’autant plus prometteuse que P.-Y. Jeholet est loin de faire l’unanimité au sein de sa coalition. Certains craignent en effet les probables conséquences électorales de sa réforme menée « à la hussarde » (les élections communales et provinciales auront lieu le 14 octobre 2018, et les élections européennes, fédérales, régionales et communautaires le 26 mai 2019). Cette stratégie n’empêche toutefois pas la CNE d’organiser, le 19 septembre, un rassemblement devant le cabinet du ministre pour réclamer des garanties sur le maintien de l’emploi et brandir la menace de durcir le ton à défaut d’obtenir de telles garanties de manière concertée.

111De l’autre côté, la FGTB vit ce rassemblement d’autant plus mal qu’elle appelle pour sa part à une nouvelle manifestation à Namur le lendemain. Pour le secrétaire général de l’Interrégionale wallonne de la FGTB, Thierry Bodson, la CSC avait évidemment le droit de ne pas mener d’action commune, mais il regrette néanmoins qu’elle court-circuite le défilé du 20 septembre en mobilisant ses propres troupes à la veille de la manifestation. Finalement, notamment grâce au soutien toujours plus ou moins explicite des fédérations d’employeurs, ce seront néanmoins malgré tout près de 6 000 personnes qui, le 20 septembre, contestent à nouveau la réforme et les risques de pertes d’emploi qu’elle comporte  [90]. La FGTB refuse ainsi de se satisfaire du seul report d’un an de la phase transitoire, sans modification intervenue sur le fond et sans qu’une réelle concertation avec les interlocuteurs sociaux ait été mise en place. Elle s’oppose également à une disposition apparue en deuxième lecture et qui prévoit de ne plus financer les APE octroyés pour des projets à durée déterminée qu’à hauteur de 80 %. Ce sous-financement a pour but de permettre la constitution d’un « buffer » (un « pare-chocs ») d’environ 30 millions d’euros susceptible de soutenir, par la suite, certains employeurs mis en difficulté par la réforme.

2.7. Quelques améliorations en troisième lecture

112Pour sa part, le ministre P.-Y. Jeholet continue de défendre sa réforme. Il en profite pour dénoncer le PS et la FGTB, coupables, selon lui, de pratiques clientélistes destinées à soutenir les associations sans but lucratif (asbl) « syndicales, politisées ou paramutuelles » au détriment d’une réforme jugée plus équitable, transparente et « qui vise à privilégier la création d’emplois marchands et à diminuer le taux d’emploi subsidié » (qui s’élève à 30 % en Wallonie contre les 20 % observés au nord du pays). Il conteste également les chiffres de pertes d’emplois avancés par le PS et la FGTB en parlant d’une « campagne de désinformation » et de procédés « intellectuellement malhonnêtes »  [91].

113Dans la foulée, il concède néanmoins certains gains aux opposants à sa réforme. Ces modifications sont actées dans le texte adopté en troisième lecture par le gouvernement wallon, le 4 octobre 2018. Parmi ceux-ci, figurent l’abandon du mécanisme du « buffer » – rejeté entre-temps par le Conseil d’État –, une révision à la hausse du mode de calcul pour les subventions transférées et une révision à la hausse de l’enveloppe budgétaire globale.

114Toutefois, pour les syndicats et les fédérations d’employeurs, de nombreuses incertitudes persistent. Tout d’abord, ils craignent que les révisions à la hausse des montants ne suffisent toujours pas à garantir la pérennité des emplois existant, d’autant plus que la clé de plafonnement, elle, est maintenue. Ensuite, l’exclusion de certaines catégories d’employeurs du dispositif est elle aussi maintenue, avec à la clé des menaces pour environ un millier d’emplois. Enfin, de nombreux aspects de la réforme continuent à être reportés à un futur gouvernement, à l’image de la question clé des « critères objectifs » censés guider l’octroi des futures subventions  [92].

115Dans ce contexte, le 17 novembre 2018, le syndicat socialiste détaille les 3 500 emplois qui continuent d’être menacés selon lui par la réforme (au regard des 5 000 avancés au début du conflit) dans les colonnes des organes du groupe Sudpresse  [93]. Le 29 novembre, c’est sous la forme d’une chaîne humaine éclairée par des torches rouges reliant les deux endroits symboliques du pouvoir régional, à savoir le Parlement wallon et le siège de l’exécutif régional, que près de 3 000 militants de la FGTB se rassemblent pour dénoncer la volonté de passage en force du gouvernement Borsus sur le dossier APE. Cette troisième mobilisation organisée par la FGTB se veut également un appel au changement à l’aube des élections régionales du 26 mai 2019, plusieurs personnalités politiques s’étant d’ailleurs déplacées pour l’occasion, comme les députés Éliane Tillieux (PS) et Thierry Warmoes (PTB).

116Le jour même, le ministre-président de la Communauté française revient quant à lui une nouvelle fois à la charge, chiffres à l’appui, au sujet des transferts de fonds et de compétence entre la Région wallonne et la Communauté française liés à la réforme. Réaffirmant que 45 % des points APE bénéficient à des missions qui relèvent des compétences de la Communauté française (enseignement, culture, accueil de la petite enfance, sports, etc.), il donne également le détail des emplois menacés  [94]. Critiquant la précipitation avec laquelle le ministre P.-Y. Jeholet entend faire aboutir sa réforme et les effets de celle-ci sur des pans entiers des activités liées aux matières culturelles et personnalisables, R. Demotte déclare qu’il ne signera pas le texte. En retour, P.-Y. Jeholet a toutefois déjà déclaré que, en l’absence d’accord entre les deux gouvernements, les employeurs subventionnés et les montants correspondant aux compétences communautaires seraient figés. C’est dans ce contexte tendu que P.-Y. Jeholet entame les débats sur la réforme, le 4 décembre 2018, en commission de l’Économie, de l’Emploi et de la Formation du Parlement wallon, où il réaffirme les grandes lignes de son projet. Toutefois, dans la nuit du 4 au 5 décembre, les trois principaux partis de l’opposition (PS, Écolo et PTB) décident de solliciter l’avis de la section de législation du Conseil d’État sur la réforme, arguant ne pas avoir été entendus sur leurs demandes d’audition d’experts et de mise en place d’une commission conjointe avec le Parlement de la Communauté française. Dans l’attente de cet avis, le vote de la réforme est donc suspendu.

117Lors de la réunion suivante de la commission, le 15 janvier 2019, les trois mêmes partis de l’opposition déposent une série d’amendements, pour lesquels Pierre-Yves Dermagne (PS) suggère de requérir également l’avis du Conseil d’État. Cette demande d’avis ne suspend pas le cours de la procédure en commission mais le retour du Conseil d’État est nécessaire pour permettre à la commission de déposer ses conclusions. La majorité refuse de reporter une fois de plus la réforme pour attendre un avis sur des amendements qu’elle juge non techniques, qu’elle qualifie de manœuvres de retardement et dont elle affirme qu’« aucun (…) ne va avoir l’aval de la majorité »  [95]. L’opposition réitère sa demande d’organiser des auditions. La séance est alors longuement interrompue pour que se tiennent des discussions entre les chefs de groupe. La négociation finit par aboutir à un compromis : les auditions parlementaires demandées par l’opposition pourront finalement avoir lieu (elles sont fixées au 31 janvier 2019), mais les amendements ne seront pas soumis au Conseil d’État.

118Ce jour-là, des représentants de l’UNIPSO, de l’UVCW, de la Fédération des CPAS, de la plateforme des APE  [96], de la CSC, de la FGTB et de la CGSLB sont entendus par les députés wallons. Plusieurs éléments sont pointés par les acteurs auditionnés, dont certains font l’unanimité, à savoir le manque de concertation avec le terrain, l’absence de neutralité budgétaire engagée par la réforme, la prise en compte insuffisante de l’indexation dans les estimations du ministre  [97], le maintien d’une clé de plafonnement peu réaliste, une période de transition jugée trop courte, une répartition des compétences inadéquate, des décrets « de réception » pour la mise en place de nouveaux mécanismes d’aide à partir des budgets APE transférés dont les contenus sommaires sont sources d’incertitude et de crainte.

119En parallèle, le ministre P.-Y. Jeholet doit aussi faire face au scepticisme de certains membres du MR et du CDH, et en particulier d’A. Greoli (qui est, pour rappel, ministre à la fois dans le gouvernement wallon et dans celui de la Communauté française), quant au contenu et à la mise en œuvre de sa réforme. Un accord est toutefois finalement conclu entre eux le 25 février, dans le cadre duquel P.-Y. Jeholet s’engage notamment à ne pas bloquer le financement des compétences de la Communauté française en cas d’absence d’accord de coopération et à reporter la période transitoire à 2022 (au lieu de 2021). Après un ultime passage en commission le 26 février pour acter ces amendements, le texte doit finalement être voté, le 20 mars, en séance plénière du Parlement wallon.

120Du côté des opposants, la résignation commence alors à l’emporter, comme en témoigne notamment l’action menée le 18 février par une trentaine d’associations de Wallonie-Picarde, durant laquelle celles-ci mettent en scène leur propre enterrement  [98]. Une dernière mobilisation est toutefois décidée pour le 18 mars (deux jours avant le vote, donc), à Namur, à l’appel des organisations syndicales et patronales, dans l’ultime espoir d’infléchir encore le vote du Parlement wallon. Plus de 12 000 personnes répondront à cet appel.

121Cependant, c’est un tout autre concours de circonstances qui décide finalement du sort de la réforme. En effet, le jour même de la mobilisation, la députée wallonne Patricia Potigny (MR) annonce qu’elle quitte son parti pour rejoindre les rangs des Listes Destexhe (une formation politique tout récemment créée) dans la perspective des élections du 26 mai 2019. Or cette décision prive la coalition MR/CDH de sa majorité au Parlement wallon (puisque celle-ci ne tenait qu’à un seul siège : 38 sur 75). Certes, P. Potigny et l’autre député wallon ayant rejoint les Listes Destexhe (André-Pierre Puget, élu en 2014 sur une liste du PP) ont tous deux indiqué qu’ils s’abstiendraient lors du vote du 20 mars, afin de ne pas bloquer l’adoption de la réforme, ce qui assurerait au MR et au CDH 37 voix sur 73. Toutefois, cela ne résout nullement le problème des deux partenaires de gouvernement, en raison du fait que l’un des membres du groupe CDH est absent, à savoir Maxime Prévot (par ailleurs président du parti), qui est alors et pour quelques jours encore en voyage d’agrément en Laponie ; en cas de vote, le rapport serait donc seulement de 36 voix sur 72, ce qui est insuffisant.

122Le 20 mars 2019, alors que le vote final de la réforme doit avoir lieu en séance plénière, celui-ci est reporté de 15 jours, le temps de voir comment une éventuelle majorité pourrait être réunie – tâche à laquelle s’attelle notamment le président du Parlement wallon, André Antoine (CDH). Dès le lendemain, le ministre P.-Y. Jeholet annonce toutefois qu’il ne croit pas à cette solution et qu’il ne pense plus que le projet puisse être adopté avant la prochaine législature  [99]. Dans la foulée de cette déclaration, les opposants à la réforme crient victoire – une victoire que le PS et la FGTB n’hésitent pas, de leur côté, à attribuer à « une mobilisation et une opposition acharnée »  [100].

2.8. Conclusion

123Plusieurs éléments méritent d’être soulignés concernant ce conflit qui a rythmé l’année 2018 et une partie de l’année 2019. Les mobilisations organisées entre juin 2018 et mars 2019 ont été d’ampleur. Elles ont été favorisées par le soutien, ne serait-ce que passif (mais souvent actif), des organisations d’employeurs du secteur non marchand, qui se sont unies avec les organisations de travailleurs pour défendre leurs intérêts communs vis-à-vis de leur pouvoir subsidiant. En outre, les plus importantes de ces actions ont été menées en front commun syndical, une situation qui a été favorisée par l’affiliation politique et l’attitude peu conciliante du ministre wallon en charge de la réforme, Pierre-Yves Jeholet (MR).

124À l’inverse toutefois, la nature particulière du secteur non marchand – tant du point de vue de ses activités que de son financement – s’est traduite par une capacité d’influence et par des modalités d’action limitées. Par exemple, la question s’est posée de la pertinence de mener une grève alors que les principaux coûts de l’action ne seront pas supportés par l’institution visée. Une autre solution aurait été le recours à des stratégies de blocage ou d’occupation, mais les opposants ont plutôt opté pour des mobilisations « classiques », dont on sait que l’efficacité est restreinte. Par ailleurs, malgré un contexte plutôt favorable au front commun, celui-ci a été rompu durant plusieurs mois en raison de divergences stratégiques entre la FGTB et la CSC. Cette dernière a notamment voulu se donner les moyens de faire pression sur le gouvernement wallon par le biais de ses ministres CDH, et en particulier d’Alda Greoli (en charge de l’Action sociale au niveau wallon et également ministre de la Communauté française), alors que, en l’absence de relais (le PS étant dans l’opposition en Wallonie depuis fin juillet 2017), la FGTB plaidait plutôt pour la poursuite d’actions plus « directes ».

125Dans ce contexte, il est donc difficile d’affirmer – comme ils l’ont pourtant fait – que ce sont les opposants au projet de réforme qui, grâce à leur mobilisation, ont mené ce que le gouvernement Borsus (MR/CDH) renonce à celui-ci au mois de mars 2019.

126En effet, c’est la perte de majorité de la coalition au pouvoir qui a causé le report puis l’abandon du projet. Il n’en reste cependant pas moins que les mobilisations avaient tout de même bel et bien réussi à mettre la pression sur un ministre relativement isolé au sein de son gouvernement, notamment vis-à-vis de ses partenaires du CDH, ce qui a rendu définitivement illusoire l’adoption du projet après la perte de majorité, quand bien même une majorité alternative aurait été arithmétiquement possible.

3. Le mouvement social des Gilets jaunes en Belgique : une contestation largement atypique

127L’émergence du mouvement des Gilets jaunes (GJ) en Belgique doit être analysée à plus d’un titre pour toute personne réfléchissant à la dynamique de la contestation sociale belge.

128Par son existence même : dans un pays où le taux d’affiliation syndicale et l’institutionnalisation des multiples causes à travers l’existence d’associations diverses (sans-papiers, antiracisme, antifascisme, féminisme, minorités sexuelles, etc.) laissent très peu de place à un mouvement social d’ampleur, autonome des structures partisanes et/ou syndicales.

129Par les raisons de son émergence : faire état des difficultés socio-économiques auxquelles est confrontée une part de plus en plus importante de la population. Ce mouvement social repolitise et réactualise la question de la politique d’austérité mise en œuvre par les gouvernements européens et acceptée par la très grande majorité des partis politiques libéraux, socialistes, chrétiens-démocrates et écologistes. Il se veut « hors système institutionnel politique et social », et il l’est de facto dès lors qu’il remet radicalement en cause la légitimité de la compression des bas salaires et des revenus sociaux.

130Par la manière dont il a été reçu : d’une part, les instances syndicales l’ont largement « boudé », l’accueillant au mieux comme une action parallèle sympathique mais de peu d’importance ; d’autre part, les autorités politiques fédérales ont « surréagi », par une répression policière ayant accompagné les quelques manifestations qui ont eu lieu à l’échelle nationale (à savoir à Bruxelles, en novembre et décembre 2018).

131Le présent chapitre n’abordera pas de façon développée chacun des points qui viennent d’être listés  [101]. Il sera centré sur quatre objectifs : retracer la chronologie, de la mi-novembre à la fin décembre 2018, en exposant le poids du mouvement français des GJ en tant qu’enclencheur de la lutte ; attirer l’attention sur l’action collective de blocage (ici, d’axes routiers et de dépôts de carburants), qui, par la tradition de syndicalisme d’action directe dont elle est porteuse, peut être lue comme un contrepoint critique aux traditionnelles manifestations festives du dimanche comme principal mode d’une mobilisation syndicale nationale ; relater les réactions des dirigeants syndicaux face au mouvement ; faire état de la question des « violences » (celle des casseurs et celle de la police) ayant terni les manifestations.

3.1. Une émergence belge rythmée sur la naissance du mouvement français

132Si, sur le terrain, les premières actions visibles des GJ belges se sont déroulées le vendredi 16 novembre 2018, il faut se reporter plus tôt et en France pour saisir les multiples éléments du contexte général de la montée de cette contestation sociale, dans des espaces culturels à la fois spécifiques et partiellement communs.

133L’origine du mouvement français des GJ   [102] peut être datée du 29 mai 2018, lorsqu’une jeune femme française d’origine martiniquaise, Priscillia Ludosky, met en ligne sur le site Internet www.change.org une pétition (à destination du ministre d’État et ministre français de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy) qui invite à une mobilisation massive contre la hausse prévue du prix des carburants – le prix de ceux-ci étant constitué de taxes pour les deux tiers – et revendique une diminution du tarif à la pompe   [103]. Cette pétition bénéficie de la visibilité que lui donne le quotidien La République de Seine-et-Marne en lui consacrant un article dans son édition du 12 octobre 2018. Un habitant de la Seine-et-Marne est particulièrement intéressé par cet article. Il s’agit d’Éric Drouet, camionneur français et animateur d’un club d’automobilistes ; en effet, il envisage alors, pour protester également contre la hausse du prix de l’essence, d’organiser un cortège d’automobiles sur le périphérique de Paris le 17 novembre 2018. Il entre en contact avec P. Ludosky, puis relaie la pétition de celle-ci sur son compte Facebook avec son propre appel à un rassemblement automobile. Une dynamique « boule de neige » se met alors en place : le nombre de signataires de la pétition et celui des personnes indiquant qu’elles comptent participer au cortège augmentent, ce qui aboutit à la publication d’un second article de presse, à savoir dans le journal Le Parisien du 21 octobre 2018, ce qui favorise la visibilité du mouvement et contribue à sa croissance.

134 Devant l’incohérence de l’idée d’une manifestation autour de Paris – parcourir des centaines de kilomètres tout en se plaignant du prix des carburants –, de nombreux protestataires décident de créer des événements locaux consistant en autant de blocages du réseau routier à travers tout le pays. Ils diffusent l’information par Facebook et répertorient les initiatives envisagées sur un site spécifique créé à cette occasion par un étudiant : http://blocage17novembre.com. Fin octobre, ce sont des centaines de groupes Facebook locaux qui ont vu le jour, se partageant le titre « Blocage national contre la hausse des prix du carburant ».

135 Face à l’ampleur que prend le mouvement, dont il est par ailleurs de plus en plus souvent question dans les médias, le gouvernement français (Philippe II : LREM/MoDeM/MRSL/Agir) réagit par une communication axée sur le thème de la nécessaire lutte contre la pollution par le biais de l’augmentation du prix des carburants. En outre, il argue que la hausse des accises évite une politique fiscale directe de ponction des salaires   [104]. En creux, le gouvernement français fait donc apparaître les protestataires comme des personnes anti-écologie et profondément égoïstes.

136Cette communication gouvernementale contribue-t-elle à fâcher davantage les membres du mouvement naissant ? Quoi qu’il en soit, de premiers cortèges bloquants sont organisés avant le grand événement national prévu pour le 17 novembre (à Dole le 2 novembre, où les manifestants lient spontanément hausse des prix et salaire trop bas, à Narbonne le 9 novembre, etc.).

137Le 17 novembre, dès l’aube, des groupes de blocage de la circulation prennent place en de multiples endroits de la France. Cet événement est couvert par la presse (tant locale que nationale), qui dénomme déjà ces fauteurs de trouble dans l’espace routier les « gilets jaunes », du nom de la jaquette de sécurité à revêtir de façon obligatoire pour toute situation de détresse ou de danger liés à l’usage routier et dont se sont munis les contestataires.

138En Belgique francophone, la protestation – qui circule via les réseaux sociaux et est relayée dans les médias – trouve un certain écho favorable : en Wallonie et en Région bruxelloise, le mouvement des GJ fait des adeptes. Sans doute le climat social français constitue-t-il une toile de fond favorisant la prise de parole contre l’augmentation de la taxation des carburants et, plus largement, contre l’augmentation du coût de la vie.

3.2. Le déroulement des blocages et actions collectives en Wallonie et en Région bruxelloise

139Tout comme en France, c’est par le biais de groupes et de pages Facebook que la mobilisation s’organise en Belgique francophone. Le mouvement belge est composé de petits groupes locaux structurés par leur appartenance à une ville (grande ou petite) mais souvent connectés entre eux via ces groupes Facebook. Dès le démarrage de ses interventions, il déploie et articule des actions collectives diverses, essentiellement ciblées sur les nœuds du transport automobile privé : des dépôts de carburant   [105] sont bloqués afin de provoquer des pénuries aux stations-service ; des cortèges de voitures ralentissent le trafic (opérations « escargot »), des barrages filtrants sont installés à des lieux de grand passage comme des ronds-points, des entrées de sites commerciaux et d’anciens postes-frontières avec la France (ce qui permet également la distribution de tracts). Ces actions sont souvent suivies par une manifestation en fin de journée dans la ville la plus proche.

140Sans épuiser la diversité de ces groupes et leurs influences croisées, il est possible de reconstituer la généalogie suivante.

141Début octobre 2018 est créé le groupe « Grève générale contre le gouvernement », qui atteint en quelques semaines plus de 60 000 membres. Il permet l’expression de nombreuses situations de détresse économique et d’un ras-le-bol face à l’action du gouvernement fédéral, ainsi que la tenue de débats quant à l’opportunité d’un boycott du vote lors des élections communales et provinciales du 14 octobre 2018. Surtout, il relaie des appels à la mobilisation « réelle », c’est-à-dire hors du « militantisme du clic » du monde virtuel. L’idée fortement partagée est de produire des blocages afin d’engager un rapport de force avec le gouvernement fédéral en empêchant la perception des taxes sur les carburants.

142Ainsi, des participants appellent à des réunions collectives afin de discuter de la situation et des actions concrètes à mener. Sous le label de « Réunion plan action stop inflation carburant », ces rencontres sont organisées à La Louvière (21 octobre), à Mons (28 octobre), à Charleroi (4 novembre) et à Bruxelles (11 novembre). Elles se déroulent le dimanche, dans des parkings de supermarchés ou de grands magasins. Elles attirent à chaque fois plusieurs dizaines de participants et sont relayées dans la presse locale. Derrière cette initiative, se trouve une équipe d’une demi-douzaine de personnes qui expose lors de ces réunions un plan de blocage de la distribution de carburants à l’échelle du pays, voire au-delà. Ce plan a été élaboré notamment par Antonio Quattrocchi qui, ancien délégué syndical CSC au dépôt de carburants de la compagnie pétrolière Total situé à Feluy (dans la commune de Seneffe), connaît particulièrement bien l’économie générale de la chaîne logistique de la distribution de carburants en Belgique : évaluation des stocks et du volume de la demande suivant les périodes de l’année, structuration du flux d’approvisionnement vers les dépôts puis vers les pompes à essence, points névralgiques de chaque dépôt en Wallonie et en Région bruxelloise. Il a également à son actif l’organisation du blocage du site de Feluy en 2011 lors d’une négociation salariale  [106]. Le plan qui est proposé lors des réunions consiste à bloquer simultanément plusieurs dépôts durant 72 heures afin de produire un assèchement d’environ 1 000 pompes à essence et, ainsi, de provoquer une réaction du gouvernement fédéral. Loin d’être tenu secret, ce plan est annoncé par la presse et les porte-parole s’expriment à visage découvert dans les médias  [107].

143Les membres des divers groupes Facebook existants sont alors partagés quant au succès possible de ce plan d’action. L’équipe qui propose celui-ci dispose d’une expérience et d’une crédibilité certaines mais les ressorts de la construction d’une confiance mutuelle sont fragiles. Ces citoyens partagent une communauté d’expérience de situations de vie mais pas d’action collective, encore moins de référentiels idéologiques ou politiques communs qui serviraient d’appui à l’engagement.

144Un nouveau groupe Facebook est alors constitué, le 16 octobre, sous le nom d’« Actions citoyennes contre les mesures gouvernementales ». Il est décliné en plusieurs versions localisées (Namur-Brabant wallon, Philippeville-Couvin, Frontaliers France, etc.). Son objectif est de susciter et de coordonner des mobilisations diversifiées à l’échelle des différents terrains d’action, ainsi que de décentraliser l’animation au niveau local le plus proche des citoyens. Il est à noter que, à ce stade, le qualificatif de « gilets jaunes » est très peu présent dans les discussions en ligne ; toutefois, il s’imposera rapidement par la suite.

145L’action coordonnée ainsi planifiée débute le jeudi 15 novembre à 22h. Elle conduit au blocage simultané de l’accès à divers dépôts de carburants et raffineries de Wallonie : Hainaut Tanking à Tertre (Hainaut), Proxyfuel à Wierde (Namur) et les dépôts de Total à Feluy (Hainaut), à Sclessin (Liège) et à Wandre (Liège). Le site de Feluy est le centre névralgique de l’action : étant donné sa taille et sa centralité dans la chaîne d’approvisionnement (le site est desservi par un pipeline venant du port d’Anvers et est le point de départ de l’approvisionnement de stations-service en Wallonie mais également dans le nord de la France et au Grand-Duché de Luxembourg), il constitue une « prise » particulièrement stratégique et symbolique  [108]. Suivant les sites, la taille du groupe des participants varie de quelques dizaines de membres à une centaine  [109].

146Un effet d’engouement – appuyé par une forte couverture médiatique – conduit de nombreuses personnes qui n’avaient pas participé aux réunions de préparation à rejoindre les blocages. Ainsi, le plan initial, qui prévoyait un blocage de 72 heures, sera largement dépassé par les manifestants, conduisant d’ailleurs les organisateurs issus du groupe Facebook « Actions citoyennes contre les mesures gouvernementales » à déclarer le retrait de leur responsabilité dès le dimanche 17 novembre, leur objectif de démonstration de force pacifique étant atteint.

147Dans chaque point de blocage, les mêmes dynamiques sont à l’œuvre : des participants rejoignent les sites, où ils se relaient jour et nuit, et élaborent au jour le jour la ligne de conduite à tenir, partiellement articulée aux dynamiques des autres sites de blocage et partiellement autonome au gré des forces vives présentes. Le plan d’action organisé pour les 72 premières heures de blocage fait place à l’auto-organisation  [110]. Il est à noter que c’est sur les sites de blocage que se généralise le port du gilet jaune et la référence à cette dénomination commune – dépassant donc les appartenances à des groupes Facebook –, alors qu’au même moment la France fait face à une mobilisation « jaune » massive.

148 Les GJ belges interpellent le Premier ministre, Charles Michel (MR), en réclamant un plafonnement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 6 % pour tout produit de base (dont l’énergie), ainsi qu’une augmentation des petits salaires et des petites pensions. Des tracts sont distribués contre la hausse du prix des carburants. Les manifestants déclarent vouloir mener l’action au finish, c’est-à-dire jusqu’à la prise en considération de leurs revendications par le gouvernement fédéral  [111].

149Durant le week-end des 17 et 18 novembre, des opérations escargot se déroulent en parallèle des blocages de dépôt, notamment à Tournai dès le matin, avec manifestation sur la grand-place en fin d’après-midi. Cependant, devant la poursuite du blocage du dépôt de Feluy, la firme propriétaire – Total – demande, le lundi 19 novembre, l’intervention de la police pour aider un huissier à lever le barrage. Les forces de l’ordre se présentent sur place avec une autopompe et procèdent à trois arrestations administratives ; les GJ présents déplorent des blessés  [112].

150Malgré la levée forcée du dépôt de Feluy, d’autres initiatives se développent et le blocage des autres dépôts se poursuit. Ainsi, à partir du 21 novembre, un groupe de GJ de Courcelles s’installe pour occuper un rond-point 24 heures sur 24   [113]. Les rapports avec la police locale semblent bons. Quant à la population, elle contribue en apportant notamment de l’argent, de la nourriture et de quoi alimenter les braseros. Les GJ occupent aussi des stations-service encore approvisionnées ou à court de carburant (comme celle du Cora de Châtelineau) ou filtrent l’accès à des centres commerciaux (Cora à La Louvière et à Châtelineau, Rive Gauche à Charleroi, Les Bastions à Tournai, Les Grands Prés à Mons)  [114]. Dès le 21 novembre, Le Soir annonce que 400 stations-service sont à sec en Wallonie sur les 1 200 estimées  [115].

151Après une semaine d’action, la dynamique de blocage de stations-service s’étend à la province de Luxembourg (Libramont, Marche-en-Famenne). Dans la nuit du vendredi 23 au samedi 24 novembre, des GJ freinent la circulation des camions desservant l’aéroport de Bierset. Le même week-end, un blocage est mis en place sur le quai Vercour à Sclessin et les camions venant faire le plein de carburant à Wandre sont aussi bloqués. À chaque fois, les GJ stoppent leur action dès que la police arrive pour intervenir   [116]. Pour ces différents types d’actions, les journalistes mentionnent une présence variant entre une quarantaine et une centaine de personnes. Toutefois, certaines interventions sont le fait de groupes plus restreints, dont les membres prennent alors davantage de risques. Ainsi, le soir du 23 novembre, deux personnes mènent, chacune dans une voiture, une opération escargot pour ralentir la circulation près de Tihange ; interpellées, elles font l’objet de poursuites judiciaires   [117].

152La couverture médiatique étant jugée bonne et la participation se maintenant à un haut niveau (bien qu’après une grande semaine d’action et pour un mouvement très largement composé d’apprentis militants), l’idée d’actions dans la capitale prend logiquement corps. Des manifestations bruxelloises se déroulent ainsi chaque samedi, à l’image de la dynamique française, du 23 novembre au 15 décembre (cf. infra).

153Le 25 novembre, un article paru dans La Capitale fait le point sur l’impact du mouvement belge sur l’approvisionnement en carburant après dix jours d’action. À l’échelle de la Wallonie, 250 stations restent vides (dont, à Charleroi, une soixantaine sur une centaine). En ce qui concerne les dépôts, Total fait fermer celui de Feluy chaque week-end par sécurité ; celui de Tertre est toujours bloqué par les GJ, qui acceptent cependant de laisser passer les camions pour le mazout de chauffage ; celui de Wierde n’est plus ravitaillé par Total et est donc à sec mais les GJ continuent l’occupation ; ceux de Sclessin et Wandre sont fermés la nuit pour éviter des tensions nocturnes (celui de Sclessin fermant en outre quand un match de football est prévu). Le 27 novembre, le Brabant wallon commence aussi à être touché par le manque d’essence aux pompes   [118].

154Le 4 décembre 2018, une délégation de huit représentants wallons des GJ obtient du Premier ministre l’entrevue qu’elle a sollicitée. À l’issue d’une rencontre de trois heures et demie, C. Michel demande qu’une liste de prix pour les marchandises trop chères lui soit remise, afin de voir si le gouvernement fédéral dispose d’une marge de manœuvre sur ceux-ci  [119]. Cependant, la manifestation du samedi 8 décembre est maintenue. Parallèlement à celle-ci, le blocage des dépôts se poursuit : les dépôts de Vilvorde, de Tertre, de Wierde, de Feluy et de Wandre sont à l’arrêt. Quelque 300 personnes se massent à proximité du site de Feluy. Plusieurs centres urbains (Tournai, Dison, etc.) sont bloqués, de même que des stations-service (comme celle du Cora à Châtelineau) et des points de circulation névralgiques (comme des routes menant en France)   [120]. En outre, quelques groupes commencent à se constituer en Flandre (notamment à Gand).

3.3. Gilets jaunes et syndicats : des convergences (im)possibles ?

155Le blocage des dépôts de carburants s’inscrit dans une ligne dure par laquelle s’exprime de façon directe le choc entre la légitimité politique de l’action collective de protestation dans une démocratie et le droit de la propriété privée économique. Or le système fortement institutionnalisé et centralisé, au niveau fédéral, des relations collectives en Belgique, où prime la dynamique de la négociation collective, ne favorise pas de telles lignes dures qui renvoient à un syndicalisme d’action directe. C’est ce que nous observons en analysant les réactions des instances syndicales.

156En Belgique, l’émergence des GJ en novembre 2018 est apparue à la veille d’une série de mobilisations syndicales importantes. Le 14 décembre 2018, une journée d’actions sociales se tiendra en vue de la négociation à venir sur les salaires dans le cadre du nouvel accord interprofessionnel (AIP). Le 13 février 2019, une grève nationale sera menée en front commun.

157Outre ces deux mobilisations proprement syndicales  [121], trois autres actions suivront, dont l’origine se situe en dehors du radar des organisations syndicales, et parfois même de façon conflictuelle avec celles-ci. Le 8 mars 2019, une grève des femmes sera organisée par le Collecti.e.f 8 maars  [122] avec, entre autres, l’objectif de rendre visible le travail effectué par les femmes, peu pris en compte par la société et peu ou non rémunéré. Le 15 mars, une grève internationale pour le climat fera suite à celle des Gilets verts (mouvement pour la lutte contre les changements climatiques d’origine anthropique) et à la soudaine mobilisation des élèves et étudiants. Enfin, le 12 mai, une manifestation nationale et citoyenne se tiendra dans le cadre de la campagne Tout autre modèle pour un tout autre monde (TAM-TAM)  [123], avec en ligne de mire les élections fédérales du 26 mai 2019, pour dénoncer les multiples mesures anti-sociales et anti-écologiques du gouvernement sortant.

158Le 20 novembre 2018, peu après les premières actions des GJ, le secrétaire régional de la régionale wallonne de la FGTB, Thierry Bodson, déclare : « Entre les gilets rouges, les gilets jaunes et les gilets verts, il n’y a pas de cloison étanche. Le ras-le-bol partagé d’un système est en train de s’exprimer de façons différentes »  [124].

159Toutefois, il convient de noter que, selon les cas, les modes d’expression employés et les types d’action mobilisés sont différents, selon qu’ils prennent place à l’intérieur ou en dehors des structures en place. C’est dans ce contexte bien particulier d’un dépassement des organisations syndicales par une base hétéroclite que la grande majorité des dirigeants syndicaux réagissent très prudemment, « à titre personnel », au mouvement des GJ. Seule la CGSLB publie un communiqué officiel de « clarification » de sa position  [125].

160En effet, les institutions du salaire que symbolisent les syndicats ont un autre agenda à tenir, plus réactif qu’offensif. En novembre 2018, lorsque les GJ belges apparaissent, l’attention syndicale est focalisée sur la négociation de l’AIP « avec un gouvernement qui reste sourd aux revendications »  [126] (selon les mots du secrétaire général de la FGTB, Robert Vertenueil). Les dirigeants syndicaux s’offusquent de ne pas être écoutés par le gouvernement fédéral. Selon la secrétaire générale de la CSC, Marie Hélène Ska, « en court-circuitant les corps intermédiaires, [le gouvernement Michel I] a contribué à renforcer le mouvement des Gilets jaunes »  [127] ; plus clairement encore, elle déclare que les GJ « sont nés car les syndicats n’étaient plus écoutés »  [128]. Ce mouvement apparaît donc bien comme un analyseur de l’état actuel du syndicalisme belge et de son rapport à l’État.

161Dans leurs déclarations, les dirigeants syndicaux maintiennent une distance plus ou moins grande vis-à-vis des GJ en fonction de leur degré de combativité. Ces déclarations sont par ailleurs plus nombreuses du côté socialiste que dans les rangs chrétiens ou libéraux.

162La CGSLB indique que les GJ doivent certes être pris en compte, mais qu’elle ne les rejoindra pas sur les ronds-points car elle constate « trop de déclarations “nauséabondes” (c’est-à-dire d’extrême droite) (…), de dérives violentes non maîtrisées  [129] »  [130]. Pour sa part, M.-H. Ska (CSC) explique : « Nous ne sommes pas dans la récupération car nous disons la même chose depuis des années. Mais cela fait des années que nous sommes mis à l’écart »  [131]. Quant à R. Vertenueil (FGTB), il affirme que le mouvement des GJ complète le combat syndical, sans s’en emparer : « Il y a des citoyens qui ont décidé de sortir et de dire ce qu’ils pensent, en plus de ce que font déjà les syndicats. Ça a quelque chose de sain » [132]. T. Bodson précise : « Les syndicats savent qu’ils n’ont plus le monopole de la mobilisation de masse, ils doivent tisser des liens étroits avec celles et ceux qui partagent leur combat. Les complémentarités sont évidentes »  [133]. La secrétaire générale de la FGTB-Bruxelles, Estelle Ceulemans, ajoute que le syndicat doit « pouvoir soutenir ces mouvements, les inviter à se joindre à nous, par exemple sur le combat pour le pouvoir d’achat. On n’est pas là pour organiser ces mouvements, ni les récupérer »  [134].

163Plusieurs structures syndicales sectorielles et/ou locales prennent beaucoup plus clairement parti pour les GJ, en paroles ou en actes. À Bruxelles, des militants de la Centrale générale des services publics (CGSP, affiliée à la FGTB) – à savoir, plus précisément, de la CGSP-ALR (Administrations locales et régionales) et de la CGSP-Cheminots – et de la Centrale nationale des employés (CNE, affiliée à la CSC) rejoignent la première manifestation bruxelloise des GJ  [135]. Le Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCA, affilié à la FGTB) de Liège et la CNE expriment leur solidarité avec les actions de blocage. Le secrétaire fédéral de la FGTB, Jean-François Tamellini, prône une convergence des luttes avec les GJ, tout en précisant l’importance d’un cordon sanitaire antifasciste. Il considère qu’il est important que les syndicats « participent à des actions ciblées [des actions de grève et de blocage étalées dans le temps] qui visent là où ça fait mal à ceux qui détiennent le pouvoir économique. Parce que ce sont les grands patrons qui font les lois dans ce pays et creusent les inégalités qui nuisent gravement au peuple. D’où le ciblage sur la Fédération des entreprises de Belgique »  [136].

164La secrétaire générale du SETCA Liège, Françoise Bernard, appelle également à la convergence en estimant que les GJ sont un signal à ne pas négliger : « Comme syndicalistes, nous devons prendre la mesure d’une colère sur des thèmes et avec des moyens qui nous sont proches mais qui s’exprime en dehors de nous (…) [et avec] une motivation et une organisation qui force[nt] le respect. (…) Si cette conflictualité n’est pas organisée par les organisations syndicales, elle s’exprimera sous d’autres formes qui seront clairement moins contrôlables et moins pacifiées »  [137]. La présidente du Mouvement ouvrier chrétien (MOC), Ariane Estenne, va dans le même sens : « Certaines mobilisations ont lieu hors de structures qui peuvent être perçues comme inefficaces. Tout cela oblige les mouvements sociaux à s’interroger. Ce contexte troublé est l’occasion de réhabiliter les syndicats, les mutuelles, ce qu’on appelle les corps intermédiaires, car ils font le lien entre revendications de terrain et réalisations politiques »  [138].

165Sur le plan de la revendication, syndicats et GJ sont-ils réellement en situation de convergence ? Au début du mouvement, T. Bodson (FGTB) estime que les GJ « posent en partie les bonnes questions mais ils apportent souvent des réponses incorrectes et tout à fait partielles (…). Le fond du fond n’est pas le prix du gasoil, c’est un pouvoir d’achat qui a réellement diminué. Pour répondre à cela, il faut inverser cette diminution, travailler à une couverture santé qui soit meilleure, bâtir des services publics davantage accessibles. C’est cela la réponse ad hoc, une réponse qui ne se focalise pas sur un seul élément. Si on ne peut plus aujourd’hui remplir son réservoir, c’est parce qu’en amont, il y a une série d’autres dépenses qui font qu’on n’a plus d’argent (…). La difficulté des syndicats est de faire comprendre aujourd’hui que la réponse aux problèmes est globale, que la revendication doit être globale. Saucissonner les problèmes est une erreur. Lorsqu’on ne s’occupe que de la revendication autour du prix de l’essence et pas du reste, on s’affaiblit par rapport à ceux qui décident vraiment. Ne serait-il pas plus efficace de dire aujourd’hui : “Le salaire minimum aujourd’hui est à 10 euros, on veut qu’il soit à 14 euros, point à la ligne” ? »  [139]

166Au fil du temps, les revendications des GJ s’élargissent et sont de plus en plus partagées par les syndicats, même si portées de manière différente. R. Vertenueil (FGTB) déclare que les GJ « disent exactement la même chose que nous » et qu’il leur donne un « soutien total à partir du moment où on est sur ces deux revendications qui sont : un besoin d’augmentation du pouvoir d’achat et de justice fiscale dans ce pays »  [140] . Pour le SETCA Liège, « ce mouvement ne part pas d’une de nos revendications, mais très vite les éléments pour lesquels nous nous mobilisons depuis des années sont apparus : baisse du pouvoir d’achat, conditions de travail précaires »  [141]. Enfin, le 10 décembre 2018, les Jeunes FGTB adoptent une motion de soutien au mouvement des GJ, soutenue par la CGSP-ALR le 18 décembre. Ils y affichent les revendications suivantes : « la baisse des taxes sur les énergies qui touchent en priorité les plus faibles, une fiscalisation juste sur l’ensemble des revenus et un impôt réellement progressif, une augmentation des salaires et des minimas sociaux, des mesures environnementales pour lutter contre les changements climatiques et contre le système capitaliste qui nous détruit »  [142].

167Sur le terrain, lors de la grève en front commun du 14 décembre 2018, les syndicats s’inspirent de la tactique des GJ : de petits mouvements de blocage et de filtrage sont disséminés un peu partout dans le pays. À Feluy et devant l’antenne du Service public fédéral (SPF) Finances à Charleroi, les actions ont lieu dans des lieux communs avec ceux des GJ. Parfois, les deux mouvements collaborent même, comme au rond-point de Soignies ou dans le zoning de Courcelles. Un délégué FGTB présent explique : « C’est le combat de tous. Il faut bien comprendre que nous sommes citoyens avant d’être délégués »  [143]. Nombre de délégués CSC pointent également « les contacts plutôt positifs avec les Gilets jaunes présents à certains points d’action »  [144]. À Bruxelles, environ 1 300 militants syndicaux se rassemblent devant le siège de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), rejoints par le Gang des vieux en colère (GVC)  [145] et quelques GJ  [146]. À Villers-le-Bouillet, les grévistes des syndicats CSC et FGTB relaient les GJ pour bloquer le zoning : « Nous sommes dans le même combat », explique une GJ en action  [147].

168De façon plus globale, la question de savoir si l’apparition du mouvement des GJ en lui-même n’est pas déjà le signe d’un échec des syndicats sur l’histoire courte et sur l’histoire longue semble légitime et importante à poser. Le responsable interprofessionnel de la FGTB Verviers, Christian Jacquemin, répond positivement à cette question pour ce qui est du court terme : « Effectivement, c’est un échec de notre part et je pense qu’on doit balayer devant notre trottoir. On avait, en 2014, fait pas mal de boulot. Il y avait une forte mobilisation au début de ce gouvernement. On a cru bon, malheureusement, d’arrêter cette mobilisation, contre l’avis même de nos militants, pour pouvoir aller négocier. On a bien dû constater qu’on s’est fait rouler dans la farine par le gouvernement et, depuis lors, ça a été difficile de redémarrer »  [148].

169Si l’on prend maintenant une perspective historique plus longue, on constate que la plupart des organisations syndicales continuent à défendre ou gérer la négociation collective institutionnalisée, alors même qu’elles n’ont plus le rapport de force nécessaire pour négocier  [149]. Sans « s’interroge[r] sur ce qui a fondé le compromis de la société salariale, soit la minoration ou l’exclusion de groupes de populations de la norme d’emploi à temps plein et permanent, [les directions syndicales] accordent la priorité à des stratégies qui participent (…) à la légitimation de frontières entre ceux qui ont accès à des emplois de qualité et les autres »   [150]. Cette légitimation historique des frontières entre travailleurs protégés et travailleurs précarisés éclaire le décalage, voire la méfiance initiale des dirigeants de l’appareil institutionnel envers « le peuple des Gilets jaunes ». Cette méfiance est d’ailleurs réciproque car la grande majorité des GJ, déjà farouches envers toute institution, ne se reconnaissent que peu ou pas du tout dans les structures syndicales, qu’ils considèrent le plus souvent comme des « lieux de pouvoir où ils n’ont pas leur place ».

3.4. Une désolidarisation majoritaire du mouvement des GJ envers les « casseurs »

170Divers phénomènes de « cassages » ont lieu assez vite au cours des actions collectives des GJ. De façon globale, le mouvement jaune tend plutôt à s’en dissocier.

171Le premier cassage commence dans la nuit du lundi 19 novembre sur le site de Feluy, qui a été dégagé par autopompe au cours de la journée par la police (cf. supra). Des GJ décident de réoccuper le site le soir même, par riposte et défi, mais certains entreprennent de détériorer les routes et les poteaux d’éclairage, tronçonnent des arbres pour bloquer les routes et incendient un camion-citerne à l’arrêt. Par la voix notamment du groupe « Actions citoyennes contre les mesures gouvernementales », des GJ se désolidarisent immédiatement de ces actes et demandent une dispersion par crainte que l’action ne fasse des blessés  [151] ; mais ils appellent aussi à revenir le mercredi de jour pour poursuivre le blocage de Feluy de façon « pacifiste ».

172S’installe ainsi une tension supplémentaire entre ce qui est perçu comme légitime ou pas au sein du mouvement, certains GJ ayant détruit du matériel, semble-t-il, comme exutoire au coup subi par la découverte du fait qu’une manifestation pacifiste mais non autorisée peut entraîner une intervention musclée de la part de la police, provoquant des blessés. Près de 400 personnes réoccupent le site durant les nuits des 20 et 21 novembre. Certaines d’entre elles se lancent dans une bataille rangée avec la police : celle-ci opère 53 arrestations  [152]. « Il y avait des supporters dits ultra hooligans de Charleroi. C’est vraiment eux qui étaient en première ligne, qui caillassaient les camions, la police, etc. », expliquera un membre des GJ de Feluy. « Ces gens portent des gants renforcés, se masquent le visage complètement en ne laissant passer que les yeux. Certains ont même des cagoules trois trous. Quand on achète une cagoule trois trous, ce n’est pas juste parce qu’il fait froid, je pense que c’est clairement parce qu’on n’a pas envie d’être identifié »  [153].

173Le jeudi 22 novembre, pour empêcher tout nouvel incident, la police occupe le site de Feluy : autopompes, brigade à cheval, hélicoptère, avion de la défense en patrouille, etc. Le Premier ministre intervient devant la Chambre des représentants durant l’après-midi pour appeler à la plus grande fermeté pour stopper ces « débordements »  [154]. Le déploiement policier est particulièrement marqué durant la nuit. Le 23 novembre au soir, quelques personnes s’en prennent à une station-service à sec à Charleroi, lieu de rassemblement quotidien des GJ, et mettent à sac la station et ses environs, en bataille rangée avec la police locale. Les GJ présents se désolidarisent du saccage, qui entraîne trois arrestations administratives et deux arrestations judiciaires. Néanmoins, cet épisode permet aux policiers de justifier l’expulsion dès le lendemain, samedi 24 novembre, des GJ qui occupaient le rond-point du Marsupilami à Charleroi depuis près d’une semaine   [155]. Cela n’arrête guère une dynamique de cassage nocturne de grande ampleur, qui prend pour cibles des vitrines commerciales et des éléments de mobilier urbain à Charleroi (les nuits des 23, 24 et 25 novembre), situation qualifiée de « guérilla urbaine » par le bourgmestre (Paul Magnette, PS). La police procède à l’arrestation administrative d’une vingtaine de personnes et à quatre mandats d’arrêt pour « rébellion armée », relevant le fait que la majorité des personnes arrêtées ont un casier judiciaire pour petite délinquance  [156]. Au cours de ce même week-end, Feluy est encore un lieu d’affrontements entre manifestants et forces de police. Le gouverneur de la province de Hainaut, Tommy Leclercq (PS), ordonne la fermeture de tous les accès routiers possibles au site de Feluy durant toute la semaine à partir du soir du 26 novembre  [157]. Le dimanche 25 au soir, une cinquantaine de GJ occupent un rond-point près du shopping de Nivelles, arrêtant les véhicules pour discuter avec les conducteurs, sans tension avec la police qui passe de temps à autre pour surveiller. Des personnes « indésirables » arrivent vers minuit, faisant éclater des pétards ; les GJ lèvent d’eux-mêmes le barrage et se retirent.

174Le lendemain de la manifestation du 30 novembre à Bruxelles, des GJ distribuent des tracts à Namur et se désolidarisent des « casseurs »   [158]. Il semble clair que la très grande majorité des GJ belges porte une très grande attention à donner la meilleure image publique possible à travers un fort auto-contrôle des dynamiques contestatrices internes au mouvement. Néanmoins, à partir de la toute fin du mois de novembre, divers éléments induisent dans l’esprit collectif une association forte et durable entre « casse » et GJ, qui ne peut que produire une perception troublée du mouvement des GJ (qu’il soit français ou belge) au sein du grand public : la police française déployant des dispositifs armés de façon violente et agressive, des GJ se révoltant contre cette violence de façon également active (lancements de projectiles divers, taggage de monuments, etc.), des casseurs profitant du chaos pour briser des vitrines de magasins et parfois pour dépouiller ceux-ci  [159], de nombreux médias diffusant les communiqués des autorités sans appliquer le devoir de vérification des faits.

175 Le 29 novembre à la Chambre, le Premier ministre C. Michel appelle à ce que « la colère » soit changée en projets positifs  [160].

3.5. Vers la répression du droit de manifester ?

176Parallèlement à ces actions de GJ se déroulant un peu partout en Wallonie, une manifestation est programmée à Bruxelles, sans autorisation, le samedi 24 novembre vers 11 heures à partir du carrefour Arts-Loi pour un parcours dans le « quartier européen ». Près d’un millier de personnes s’y rendent (selon le chiffre officiel) ; elles sont contraintes à manifester dans un parcours fixé par la police, des chevaux de frise bloquant tous les passages alternatifs. Une cinquantaine de personnes sont arrêtées préventivement dans les gares. Par ailleurs, la police coupe rapidement le cortège en deux, et procède à une compression des manifestants et à leur encerclement. Certains « objets urbains » sont lancés par des manifestants, ce qui entraîne la mise en action des autopompes. La police libère au compte-goutte les manifestants ainsi nassés ; elle procède à 450 arrestations administratives et 10 arrestations judiciaires   [161].

177Une nouvelle manifestation, à l’initiative du youtubeur bruxellois Gary Durant, avait été autorisée pour le 30 novembre par la Ville de Bruxelles. Mais G. Durant l’a finalement annulée, ne pouvant remplir les exigences d’encadrement exigées par le bourgmestre  [162]. Cependant, de multiples comptes sur Facebook appellent à une mobilisation spontanée. Le 30 novembre, une manifestation se déroule donc (rassemblant quelque 2 000 personnes d’après les GJ mais 500 d’après la police). À la gare de Bruxelles-Midi, des policiers procèdent à des interpellations préventives suivies de fouille (à la recherche du gilet jaune), pour empêcher tout suspect de manifester   [163]. Une zone d’affrontement se crée face au barrage qui empêche tout accès à la zone neutre : bombes lacrymogènes et autopompes d’un côté, et lancers de pavés, de pierres ou de cannettes de l’autre. Une seconde zone d’affrontement se cristallise lorsque la police coupe à nouveau en deux la manifestation rue de la Loi : d’un côté, l’autopompe intervient tandis que, de l’autre, deux camionnettes de police sont attaquées, renversées et incendiées  [164]. Il y a 82 personnes arrêtées :
77 arrestations administratives et 5 arrestations judiciaires (une personne pour port d’armes, une pour dégradations volontaires, une pour possession de stupéfiants, une pour participation à l’incendie de deux véhicules de police, une pour rébellion et coups et blessures sur un agent). Une manifestante témoigne avoir été visée sciemment au visage par une autopompe de la police alors qu’elle se tenait devant les policiers sans faire montre d’aucune agressivité, et doit être hospitalisée plusieurs jours durant, la vue fortement endommagée   [165].

178 Malgré ces événements, les GJ belges appellent à une autre manifestation « spontanée » le 8 décembre à Bruxelles. Le chiffre de 1 000 manifestants est à nouveau annoncé   [166]. Le même scénario se reproduit : arrestations préventives dans les gares, contention du cortège de façon serrée dans l’axe Arts-Loi–Schuman–Luxembourg–Trône, coupure en deux du cortège, nassage des deux poches de manifestants et arrestations de 450 personnes (arrestations administratives pour la plupart, mais judiciaires pour une dizaine de personnes détentrices d’objets « susceptibles » d’être des armes)   [167].

179Boulevard de Waterloo, haut lieu de toutes les enseignes de luxe – des boutiques de vêtements très haut de gamme aux bijoutiers –, les commerçants ont barricadé préventivement leurs vitrines par crainte de « casseurs » et de « pilleurs »   [168]. Un petit groupe de personnes présentées comme des casseurs se rend à la rue Neuve, causant des dégradations tout au long de son chemin mais étant stoppé par une forte concentration de police à l’entrée du centre commercial City 2   [169]. La police annonce qu’elle analysera très largement dans les jours suivants toute image filmée pour procéder à de futures arrestations  [170].

180Durant chaque nassage opéré lors de ces trois manifestations, des policiers relèvent l’identité des personnes qu’ils arrêtent ; apparemment, ils photographient dans de nombreux cas les cartes d’identité ainsi recueillies. Cette dynamique policière d’« arrestations préventives »  [171] et d’interpellations post-manifestation (dénommées « arrestations pacifiques » par le commissaire bruxellois Pierre Vandermissen) réduisent fortement l’enthousiasme de manifester dans la capitale. Un plus petit rassemblement de 200 personnes environ a néanmoins encore lieu à la place du Luxembourg le 15 décembre. Ce groupe peut manifester sur le trottoir mais est fortement surveillé par la police, qui empêche tout débordement sur les voies de circulation.

181Divers témoignages indiquent que les conditions de détention des personnes arrêtées lors des nassages systématiques des trois premières manifestations ont été dégradantes : menottage systématique au colson les mains dans le dos, concentration surnuméraire des personnes dans des pièces de petite taille, accès très limité sinon inexistant aux sanitaires, obligation de se dénuder pour subir une fouille corporelle invasive, non-assistance à des personnes en situation de chocs et de malaises, etc. Par exemple, une centaine des GJ arrêtés le 8 décembre sont incarcérés sans information et durant plusieurs heures dans une des anciennes écuries de la gendarmerie à Etterbeek dans des conditions insalubres (accès très limité à des sanitaires, infiltration de pluie rendant le sol boueux, etc.)  [172].

182Les événements qui entourent la chute du gouvernement fédéral Michel I, le 9 décembre, et la période de fêtes de fin d’année conduisent à un essoufflement du mouvement mais non à sa disparition. Déjà dans une pré-ambiance de concurrence électorale, le gouvernement Michel II (MR/CD&V/Open VLD), minoritaire et en affaires courantes, décide le 21 décembre que les prix de l’essence et du diesel ne seront pas indexés au 1er janvier 2019 ; il présente la décision comme étant la réponse du gouvernement fédéral au mouvement social des GJ  [173].

3.6. Conclusion

183Pour conclure, soulignons le caractère à la fois inédit et imprévisible du mouvement des GJ dans l’histoire de la contestation en Belgique, qui a eu des effets certains sur les structures en place.

184 La caractéristique la plus remarquable des GJ belges est d’avoir réussi à susciter un mouvement social d’une certaine ampleur au sein d’un public très largement « vierge » de tout militantisme antérieur, dans un système socio-politique par ailleurs très dense en rapports militants institutionnalisés. Cette spontanéité néanmoins organisée est remarquable. Ce mouvement a tout d’abord été préparé et structuré autour d’un plan de blocage d’ampleur et exigeant qui a nécessité une coordination forte autour du groupe « Actions citoyennes contre les mesures gouvernementales ». Certes, certaines personnes clés disposaient d’un fort bagage militant, bien utile et auquel le mouvement a eu recours, mais il ne s’agissait que d’une toute petite minorité. Ce mouvement s’est dès lors poursuivi par des initiatives plus distribuées entre les participants, alliant blocages, manifestations et interpellations. On peut ainsi parler d’un véritable élan d’adhésion et de participation populaires, qui a très vite dépassé le cercle des premiers initiateurs, en partie aussi grâce aux formes nouvelles de contestation et de communication permises par le développement des réseaux sociaux.

185Les GJ ont alors emprunté la voie de modes d’action imprévisibles et sortant des canevas de la manifestation négociée, en réaction au caractère désormais perçu comme inopérant de la contestation « formalisée ». En effet, il s’est agi ici de sortir de la contestation régulée par les organisations syndicales. D’une part, celle-ci prévoit un encadrement des manifestations, respectant des règles de préavis, de négociation de parcours avec les forces de l’ordre, d’encadrement des manifestants par des services de sécurité internes, etc. D’autre part, elle repose implicitement sur l’idée d’une « conscientisation », par les dirigeants politiques et/ou économiques visés, des arguments et du rapport de force afin de les forcer à revenir sur certaines décisions ; or cela n’est clairement plus le cas actuellement, en particulier depuis le gouvernement Michel I (qui n’a pas modifié sa politique malgré les mobilisations massives de 2014 et 2015). Cette spontanéité et l’inventivité des actions, dont certaines ont été déployées sur une durée remarquable (occupation jour et nuit d’un lieu pendant plusieurs semaines), tranchent ainsi fortement avec les manifestations syndicales, cadrées, décidées très longtemps à l’avance mais in fine réduites à un rassemblement de quelques heures se clôturant immanquablement par la dissolution organisée d’une force devenant dès lors essentiellement symbolique, et de très nombreux mois se déroulant en général avant un nouvel appel. Les GJ ont alors découvert qu’un rapport de force « immédiat » sur les relations économiques était possible avec des effets rapides et notables (« assèchement » au sens propre et figuré du flux économique).

186On peut finalement considérer que cette imprévisibilité du mouvement et ses formes inédites de contestation ont produit des effets tant sur les organisations syndicales que sur le monde politique, qui ne peuvent plus nier leur décalage avec les attentes d’une partie de la population fondées sur une demande de respect de droits sociaux élémentaires (avoir des ressources suffisantes pour vivre et non survivre). Le mouvement des GJ se définit en effet comme démocratique et citoyen, renvoyant dès lors par contrecoup une image dévalorisée et dévalorisante des partis et structures politiques qui ont participé ou participent au pouvoir. En outre, la capacité populaire réelle à se mobiliser, et cela sur une durée longue et continue, qui a pu être constatée par tous dans les médias rend dès lors d’autant plus « décalés » les arguments très régulièrement avancés par les dirigeants syndicaux selon lesquels c’est en raison de l’atonie sociale générale de la population que les syndicats ne peuvent fonctionner de façon plus dynamique.

187Si la chute du gouvernement fédéral et une répression policière marquée ont très sensiblement freiné le développement du mouvement, celui-ci n’en a pas moins subsisté, surprenant de très nombreux observateurs.

188 Pour clore cette analyse, il faut néanmoins signaler qu’il est possible d’appréhender aussi ce mouvement à travers un autre angle d’étude plus général. On peut légitimement, en effet, le rapprocher d’une dynamique sociale de mobilisation citoyenne antérieure, qui se manifeste par l’occupation de lieux publics afin de braver les autorités publiques pour leur signifier qu’elles ne gouvernent pas démocratiquement (les Indignés, Occupy, Nuit debout, etc.) et qui s’est installée en réaction à la néo-libéralisation mondiale qui, après le déclenchement de la crise économique et financière en 2008, a conduit les classes politiques au pouvoir à renforcer de façon paradoxale les politiques menant à l’inégalité sociale.

189 Ainsi, ce mouvement belge des GJ serait à la fois très inattendu face aux particularités du système socio-politique belge mais aussi apparenté à une lame de fond de contestation citoyenne née du paradoxe de la crise économique et financière et du traitement appliqué par le monde politique pour contrer celle-ci.

4. Grève et mobilisation des prostituées du quartier des carrées

190Le mardi 5 juin 2018, les prostituées du quartier bruxellois dit des carrées, où exercent principalement des femmes d’Afrique subsaharienne, ont fermé leurs volets. Elles venaient d’apprendre le meurtre de l’une d’entre elles. Durant la nuit, Eunice, une jeune Nigériane sans-papiers, avait en effet été assassinée dans une carrée rue de Linné (à Schaerbeek, à la limite avec Saint-Josse-ten-Noode). Choquées par cet événement, ces prostituées ont entamé une grève de deux jours afin de dénoncer une accumulation de discriminations dues au fait d’être noires, pauvres et immigrées.

191Rapidement, elles ont été rejointes et soutenues par Espace P (asbl d’accompagnement des prostituées et prostitués) et par l’Union des travailleu(r)ses du sexe organisé.e.s pour l’indépendance (UTSOPI). Cette dernière est exclusivement composée de prostituées et prostitués disposant d’un titre de séjour ; les intérêts qu’elle défend et les revendications qu’elle porte sont donc parfois en tension avec ceux des prostituées sans-papiers. Lors de ce conflit, des prostituées aux parcours et aux intérêts divers sont ainsi parvenues à se rassembler pour défendre une revendication commune à toutes : « We need care, not violence » (« Nous avons besoin de soins, pas de violence »).

192Cette grève est historique en Belgique. Elle est remarquable par sa durée, par ses incitatrices (des prostituées majoritairement sans titre de séjour dans le pays ou avec un permis de séjour précaire) et par les différents acteurs qui ont été impliqués dans la mobilisation. Elle dévoile le continuum des violences entre les politiques migratoires, les mesures communales, les forces de police, la justice, les proxénètes et les clients.

4.1. Formes de prostitution dans le quartier des carrées

193Le quartier dit des carrées est composé de quatre rues (rue des Plantes, rue de Linné, rue de la Prairie et rue de la Rivière), dont les deux premières se situent à cheval sur les communes bruxelloises de Schaerbeek et de Saint-Josse-ten-Noode et les deux dernières entièrement sur la commune de Saint-Josse-ten-Noode. Les carrées sont des espaces privatifs que les personnes prostituées  [174] louent. L’espace se compose d’une chambre où a lieu la prestation et éventuellement d’une chambre attenante. Le quartier des carrées est situé dans le quartier Nord, où s’exerce également une prostitution de vitrine et de café. Les vitrines désignent les bars avec vitrines de la rue d’Aerschot à Schaerbeek. À Saint-Josse-ten-noode, la prostitution est essentiellement une prostitution de carrées.

194Les personnes qui exercent dans la rue d’Aerschot sont majoritairement des jeunes femmes issues des pays de l’Est (essentiellement de Bulgarie et de Roumanie). Les carrées sont occupées principalement par des femmes d’Afrique subsaharienne, majoritairement du Nigeria, souvent sans titre de séjour valable.

4.1.1. La législation belge en matière de prostitution

195Le Code pénal belge n’interdit pas la prostitution. En revanche, il érige en infraction tout ce qui organise la prostitution : le proxénétisme  [175], les maisons closes  [176], le proxénétisme immobilier  [177], la publicité [178] et le racolage actif [179]. Depuis l’adoption de la loi du 21 août 1948 supprimant la réglementation officielle de la prostitution [180], qui a abrogé la réglementation de la prostitution par les communes, la gestion de la prostitution est une compétence fédérale. Elle ne peut donc plus faire l’objet de règlements communaux spécifiques. En outre, la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui des Nations unies du 2 décembre 1949, ratifiée par la Belgique en 1965 [181] , interdit toute pratique administrative organisant la prostitution (fichage, encartage, contrôle médical spécifique, etc.).

196Sur le terrain, ces dispositions entrent parfois en contradiction avec la nouvelle loi communale du 24 juin 1988 (régionalisée en 2001), et en particulier avec son article 121 qui autorise les autorités communales à prendre des règlements concernant la prostitution s’ils ont pour objet d’assurer la moralité ou la tranquillité publique, ainsi qu’avec les compétences des communes en matière d’urbanisme, de fiscalité et de réglementations administratives. Ainsi, les communes de la Région bruxelloise concernées par les formes de prostitution visibles   [182] ont adopté une série de mesures d’encadrement de l’activité prostitutionnelle. Elles imposent des taxes locales sur les hôtels de passe, les bars à vitrines et/ou les carrées. Elles interviennent dans l’aménagement des lieux de prostitution en les soumettant à l’obtention d’un certificat de conformité. Elles mettent en œuvre des politiques d’aménagement du territoire pour organiser ou limiter spatialement l’activité prostitutionnelle. Une partie de ces mesures adoptées par les communes mettent en tension la loi de 1948, la Convention de 1949 et les compétences communales. Ce conflit se traduit parfois par leur contestation sur le terrain par des personnes prostituées, des propriétaires et des associations. Depuis 2011, cette contestation a notamment pris la forme de nombreux recours au Conseil d’État contre les règlements adoptés par les communes.

4.1.2. Les politiques communales et leurs contestations dans le quartier Nord

197La grève des prostituées de juin 2018 prend place dans un contexte de conflictualité entre certaines prostituées, des acteurs qui profitent de la prostitution (notamment les propriétaires de carrées), l’asbl Espace P   [183], et les autorités communales teenodoises et schaerbeekoises. L’intensité de cette conflictualité est plus importante à Saint-Josse-ten-Noode qu’à Schaerbeek. Cette différence s’explique en partie par la divergence des politiques menées par les communes depuis l’arrivée d’Emir Kir (PS) au poste de bourgmestre de Saint-Josse-ten-Noode en 2012. Auparavant, les bourgmestres des deux entités avaient initié un processus de concertation entre les administrations de leurs communes respectives, certaines prostituées, Espace P et le parquet   [184]. En 2011, cette concertation avait abouti à l’adoption de règlements de police et d’urbanisme similaires   [185]. Ceux-ci visaient à encadrer l’activité prostitutionnelle sur les territoires respectifs des deux communes, à la circonscrire aux lieux recensés par lesdits règlements et à identifier l’ensemble des personnes exerçant dans ces lieux. Elles comprenaient également une série de prescrits urbanistiques visant à améliorer la salubrité, la sécurité et le confort minimal des lieux de prostitution  [186].

198Ces règlements ont été mis en œuvre à Schaerbeek, malgré un recours juridique initié par des exploitants de bars, celui-ci ayant échoué   [187] : 56 des 57 salons de prostitution recensés ont introduit et obtenu un certificat de conformité les autorisant à continuer leurs activités   [188], et 31 des 33 carrées recensées ont obtenu un certificat avec l’aide de la médiation d’Espace P entre les exploitantes de carrées et les autorités communales   [189]. À Saint-Josse-ten-Noode, les carrées ayant été soumises à un règlement d’urbanisme antérieur, les exploitantes en ordre de documents officiels exigés par le règlement de police ont obtenu le certificat de conformité.

199La commune de Schaerbeek a continué sa politique de concertation, qui s’est concrétisée en 2013 par la mise en place d’un organe consultatif, la Plateforme Prostitution, à laquelle participent des représentants des autorités (police fédérale, police zone Nord, agent de quartier, cabinet du bourgmestre, police administrative), des contrats de quartiers, Espace P et, depuis sa création en 2015, le collectif UTSOPI (cf. infra). Cette politique de dialogue aide à maintenir la contestation des règlements adoptés par la commune à la marge, bien que lesdits règlements soient très fragiles sur le plan légal.

200Pour sa part, la commune de Saint-Josse-ten-Noode a mis fin au processus de concertation en 2013. À partir de 2015, s’appuyant sur la nouvelle loi communale, elle a modifié le règlement qui avait été adopté de concert avec la commune de Schaerbeek. Dans sa nouvelle version (augmentée), le règlement tennoodois exige une redevance de 2 500 euros aux exploitantes de carrées pour l’ouverture d’un dossier en vue de l’obtention d’un certificat de conformité. En outre, il octroie au bourgmestre le pouvoir de statuer sur la conformité des carrées endéans un délai de 120 jours et prévoit une réponse automatiquement négative en cas d’absence de décision. Cette version du règlement réclame également des exploitantes qu’elles obtiennent un statut d’indépendantes, impose des horaires de fermeture en semaine et oblige à fermer les dimanches et jours fériés   [190]. Dans le même mouvement, les autorités communales ont majoré la taxe sur les carrées de 650 euros à 3 000 euros   [191].

201Cette politique a catalysé contre elle une opposition qui s’est notamment exprimée par l’émergence de l’UTSOPI. Cette asbl est composée de prostitués, hommes et femmes, blancs et en ordre de séjour. Depuis 2015, elle est particulièrement présente sur le terrain médiatique, au côté d’Espace P, pour dénoncer des mesures vécues comme une volonté d’éliminer la prostitution du quartier. Cette perception a été notamment alimentée par la disparition d’une vingtaine de carrées dans le recensement du règlement modifié en 2015 et par l’interdiction des carrées sur l’ensemble de la rue de la Rivière dans celui de 2018   [192].

202L’opposition s’est également exprimée sur le plan judiciaire par l’introduction de recours au Conseil d’État par des exploitantes de carrées, soutenues par Espace P, contre les règlements de police tennoodois relatifs à la prostitution.

203Deux arrêts du Conseil d’État vont dans le sens des requérantes. Le premier, rendu le 3 mai 2016, suspend l’application du règlement de police de 2011 ; le deuxième, datant du 1er avril 2019, annule partiellement le dernier règlement adopté   [193]. Ces deux arrêts révèlent les tensions qui existent entre les différentes législations. Ainsi, l’arrêt suspendant la version modifiée du règlement de 2011 estime que le certificat de conformité exigé par l’administration communale de Saint-Josse-ten-Noode s’apparente à un « papier spécial » tel que cela est formellement proscrit par l’article 6 de la Convention de 1949. En outre, il considère que l’interdiction de résider et d’élire domicile dans les carrées exigé par la commune constitue une forme d’intervention dans le mode de gestion des carrées, excédant en cela les compétences communales dans les domaines de la moralité et de la tranquillité publiques. De manière similaire, il considère que l’information exigée par l’administration communale sur l’identité de toutes les prostituées constitue des normes de gestion de l’activité des prostituées plutôt que des règles de police destinées à assurer la moralité et la tranquillité publiques. Quant à lui, le règlement de 2018 est annulé en raison du fait qu’il interdit la prostitution sur l’ensemble du territoire de la commune à l’exception des carrés référencées, en ce que cette disposition contrevient à la loi du 21 août 1948.

204Ces arrêts du Conseil d’État révèlent aussi la fragilité du règlement de police de Schaerbeek, puisqu’il contient des dispositions similaires aux règlements tennodois explicitement visés ici (certificat de conformité, identification des personnes exerçant dans les lieux, etc.). Dès lors, ce règlement ne subsiste qu’en absence de contestation.

4.1.3. La prostitution nigériane dans le quartier des carrées

205Aux tensions existantes entre Espace P, UTSOPI et la commune de Saint-Josse-ten-Noode, s’ajoutent des problèmes d’insécurité dans le quartier des carrées. Quelques mois avant le meurtre d’Eunice, la nuit du 19 février 2018, une autre jeune nigériane sans-papiers est sérieusement agressée dans la carrée qu’elle sous-loue rue de la Rivière ; elle est retrouvée inanimée avant d’être transportée aux urgences. Devant les médias, des propriétaires de carrées et des prostituées témoignent d’une augmentation de la violence dans le quartier. Mais, selon la police, le nombre des plaintes n’a pas augmenté de manière significative   [194]. En effet, que ce soit parce qu’elles n’ont pas de titre de séjour, parce qu’elles sous-louent une carrée, parce qu’elles sont lassées par les réactions de certains agents de police   [195] ou parce qu’elles ne parlent pas le français ou le néerlandais, les prostituées portent rarement plainte. Leur méfiance à l’égard de la police de la zone Nord est également due au manque de formation des agents concernant la problématique de la prostitution et de la traite des êtres humains. La plupart du temps, lors des contrôles, ils visent les personnes sans-papiers afin de les faire transférer dans un centre fermé. Par exemple, en 2017, une Nigériane, mineure d’âge, victime de traite, s’est présentée dans un commissariat pour y chercher de l’aide afin d’échapper à l’exploitation sexuelle dont elle était victime ; elle n’a obtenu qu’une convocation à l’Office des étrangers, les policiers s’étant limités à rédiger un dossier pour séjour illégal   [196].

206L’augmentation des violences dont les prostituées témoignent au début de l’année 2018 se déroule dans un contexte particulier. En janvier 2018, les journaux flamands Het Nieuwsblad et De Standaard publient une interview de Franz-Manuel Vandelook, spécialiste de la police fédérale en matière de prostitution nigériane. Le commissaire y dénonce une exploitation croissante de jeunes prostituées nigérianes dans des conditions d’« esclavage »   [197]. En effet, un réseau de prostitution nigérian est identifié par la police belge depuis 2017. Le procès de onze membres présumés s’ouvre devant le tribunal correctionnel de Bruxelles en mars 2018. Lors de l’enquête, la police a identifié une trentaine de victimes, dont certaines mineures, contraintes de se prostituer dans le quartier des carrées. La peine contre les inculpés est prononcée le 31 mai. Une femme surnommée Mama Leather, présentée comme la maquerelle, est condamnée en première instance à 14 ans de prison   [198].

207Le réseau avait pris le contrôle d’une série de carrées (qu’il sous-louait au double du prix de manière officieuse) au tournant des années 2010. Il n’avait pas le monopole de cette pratique. Chaque nuit, la plupart des carrées sont occupées par des femmes sans-papiers ou issues de filières clandestines (quasiment toutes nigérianes). L’exploitation de ces femmes ne bénéficie pas exclusivement aux membres du réseau, mais aussi aux propriétaires des carrées qui en profitent pour doubler les prix. Plus sordide encore, étant donné les prix exorbitants des loyers des carrées (entre 2 000 et 3 000 euros par mois), certaines prostituées, tenancières officielles du bail, sous-louent leur carrée durant la nuit à une femme en situation irrégulière, qui doit leur verser la moitié de ses gains   [199]. Ainsi, si les services offerts par une femme africaine travaillant dans une carrée du quartier la nuit varient entre 10 euros et 20 euros (alors que, dans le cas des femmes blanches du quartier, les prix varient entre 30 euros et 50 euros selon les origines et les situations), il ne lui en reste que la moitié, or elle doit encore verser plus de la moitié du montant restant au réseau qui l’exploite   [200].

208La condamnation des inculpés du réseau dit de Mama Leather est, pour ce type d’affaires, l’une des plus lourdes prononcées en Belgique. La police fédérale estime qu’il existe une quinzaine de réseaux « nigérians » en activité à Bruxelles   [201]. Les victimes ont peu de marges de manœuvre à l’heure de dénoncer les réseaux car, bien qu’elles puissent bénéficier d’une certaine protection en Belgique, leurs familles sont menacées au Nigeria   [202]. Depuis le procès du réseau de Mama Leather, deux membres de la famille de victimes ont par exemple été assassinés au Nigeria. En outre, tous les procès n’ont pas la même issue que celui du réseau de Mama Leather. En 2017, les parquets belges ont classé sans suite 24 % des affaires pour exploitation sexuelle (à savoir 43 sur un total de 176 affaires)   [203] ; une telle décision est extrêmement grave pour les femmes concernées, car non seulement elles perdent leur statut de victime de traite d’êtres humains mais, en plus, elles ne peuvent plus bénéficier de la procédure de protection et d’assistance. En effet, pour être reconnues comme victimes de traite des êtres humains, les femmes doivent contribuer en donnant tous les éléments nécessaires concernant le réseau. Or, souvent, elles ne disposent pas de ces informations.

4.2. Grève et manifestation au quartier des carrées

209À l’aube du mardi 5 juin, l’accès à la rue de Linée est bloqué par un cordon de police. Les policiers refusent de donner des explications aux passants et aux prostituées. Espace P (dont le local se trouve à 150 mètres des faits) parvient à obtenir l’information en contactant un inspecteur de police.

210Une vingtaine de prostituées nigérianes et ghanéennes se rendent dans le local de l’association à la recherche de renseignements. En apprenant l’assassinat d’Eunice, elles quittent Espace P en colère et se redirigent vers la rue de Linée. Elles s’en prennent aux agents de police, car elles considèrent que le meurtre de leur collègue est le résultat de leur manque de réactivité lorsqu’il arrive un problème aux prostituées noires. Interviewées par les médias, elles expliquent que, lorsqu’elles appellent le commissariat (qui se trouve à quelques mètres de distance), la police arrive « une heure plus tard. Alors que si c’est une blanche, elle arrive en trois minutes ». Elles dénoncent des discriminations racistes, en exprimant leur sentiment d’être délaissées par la police parce qu’elles sont « des femmes noires »   [204].

211Selon Espace P, peu de temps après le retour des femmes africaines dans la rue de Linée, les forces de police ont contacté l’asbl pour lui demander d’intervenir afin d’apaiser les esprits et de stopper un « début d’émeute » provoqué par des prostituées et par certains habitants du quartier en colère. Des membres de l’association arrivent rapidement sur place et parviennent à « négocier avec les meneuses » de quitter le lieu et de rejoindre leur local afin de se recueillir et de réfléchir ensemble sur les stratégies à entreprendre. Ils proposent d’organiser une réunion avec les forces de police afin qu’elles puissent être entendues.

212Certains membres d’UTSOPI et une trentaine de prostituées africaines assistent à la réunion. Les participants sont décidés à exiger une véritable enquête et un procès équitable concernant le meurtre d’Eunice. Ils veulent que l’enquête soit menée avec la même rigueur que celle qui aurait été déployée pour une citoyenne belge. Des problèmes plus concrets sont également abordés concernant l’enterrement d’Eunice. Une collecte d’argent est organisée pour les funérailles.

213La journée du mardi, les volets des carrées restent fermés dans le quartier. Selon Espace P, « à l’exception d’une ou deux prostituées blanches », aucune femme du quartier ne reprendra ses activités avant le jeudi matin. À l’initiative des femmes africaines, la grève est décidée lors de la réunion tenue dans le local d’Espace P. Pour sa part, UTSOPI lance un appel de grève en invitant toutes les prostituées, au-delà du quartier Nord, à rejoindre le mouvement. Mais mercredi, la grève ne dépasse pas les rues des carrées. Rue d’Aerschot, les prostituées poursuivent leurs activités. Par contre, dans le quartier des carrés, les néons restent éteints. Des portraits d’Eunice sont collés sur plusieurs façades, des bougies et des fleurs sont installées devant la carrée où elle a été assassinée.

214Le mercredi 6 juin, les Nigérianes en « grève » se rassemblent devant l’ambassade du Nigeria. Interviewée par les médias, l’une d’entre elles explique les motifs du rassemblement : « Pour demander à l’ambassade d’aider la police à trouver la personne qui a tué Eunice. Nous n’en pouvons plus de cette situation et la police ne fait rien, elle n’est pas assez présente ou intervient trop tard. Notre insécurité augmente, les clients finissent puis ils demandent qu’on les rembourse. Si on ne le fait pas, ils nous frappent et ils sont déjà loin quand la police arrive (…). Aujourd’hui, nous avons décidé de parler, car si on ne fait rien, la situation va continuer et cela ne peut plus durer »   [205]. Les manifestantes exigent que l’ambassadeur se rende dans le quartier afin qu’il prenne conscience de la situation. L’ambassadeur finit par accompagner les femmes devant la carrée sous-louée par Eunice, mais il ne prendra pas d’engagements concernant le meurtre.

215Le jeudi 7 juin au matin, la police de la zone Nord tient une réunion avec des représentants des prostituées nigérianes, d’Espace P et d’UTSOPI. La réunion est l’occasion de discuter de l’insécurité, du manque d’hygiène et du trafic de drogue exercé en plein jour dans le quartier. Des demandes concrètes sont formulées : la présence visible et régulière en journée, en soirée et de nuit d’une police de proximité, formée par rapport à la situation des prostituées, en contact avec le quartier et proactive par rapport aux problèmes de sécurité. Les associations expriment également leur souhait de travailler en concertation avec la police   [206]. Les volets des carrées du quartier sont rouverts suite à cette réunion.

216Certaines personnes habitant dans le quartier prennent également part à la mobilisation. Le collectif Dupont plus Verte (un groupe d’habitants des rue Dupont et rue Verte) se dit solidaire avec les prostituées africaines en deuil et indique qu’il souhaite rendre hommage à une voisine assassinée. Ainsi, les prostituées mobilisées, Espace P, UTSOPI et le collectif du quartier décident organiser une marche de commémoration, prévue pour le jeudi 14 juin.

217Le rendez-vous pour la marche de commémoration est fixé devant le local d’Espace P. Les médias sont venus en nombre pour couvrir l’événement, ce qui intimide beaucoup de prostituées africaines (sans-papiers et/ou enrôlées dans des réseaux de traite), qui hésitent à y participer. La distribution de masques par Espace P (l’association a été chargée de la sécurité lors de la manifestation) rassure davantage la quarantaine d’Africaines présentes. Au total, autour de 150 amis, voisins, prostituées, travailleurs du monde associatif et militants participent à la marche, qui est emmenée par les prostituées africaines interprétant des chants traditionnels et religieux nigérians. La manifestation prend fin devant la carrée d’Eunice, où les manifestants déposent des roses et des bougies. Il n’y a ni discours ni pancartes, à l’exception d’une banderole exclamant « We need care, not violence », seule revendication rassemblant tous les collectifs impliqués dans la mobilisation et qui est centrale pour les prostituées africaines.

4.2.1. De l’arrêt du travail à la « grève »

218Si, le mardi 5 juin, les prostituées africaines arrêtent le travail de manière spontanée, la décision d’appeler à une « grève » pour le lendemain a pour effets d’unifier et d’organiser les prostituées, ainsi que de médiatiser le conflit. L’arrêt spontané de l’activité des prostituées devient ainsi un acte politique. Cependant, comme dans tout conflit, les revendications sont diverses et peuvent, parfois, être contradictoires. Ainsi, bien que tous les collectifs mobilisés suite à l’assassinat d’Eunice (prostituées africaines, Espace P et UTSOPI) revendiquent la fin des violences et le renforcement de la sécurité pour les prostituées, la détermination des acteurs visés par cette revendication et l’analyse des fondements des violences dénoncées, et donc les solutions exigées, ne sont pas nécessairement les mêmes.

219Les revendications des prostituées africaines sont plutôt axées sur la justice, sur la sécurité, sur les discriminations racistes et sur les possibilités d’obtention d’un titre de séjour en Belgique. Pour ces personnes, la sécurité passe par le renforcement d’une présence policière dans le quartier mais aussi, et surtout, par l’accès aux titres de séjour dans le pays. Les grévistes africaines sont peu nombreuses à prendre la parole devant les médias. Celles qui acceptent de se prêter à cet exercice n’ont pas pour objectif de revendiquer la reconnaissance de la prostitution en tant que travail. La question concernant la prostitution est assez marginale dans leurs interventions ; lorsqu’elles l’abordent, c’est pour dénoncer l’inaccessibilité aux titres de séjour leur permettant de trouver un emploi (« Si tu n’as pas de papiers, tu ne peux rien faire d’autre. [La prostitution] est le seul [moyen par lequel] on peut survivre »   [207]).

220En ce qui la concerne, l’association Espace P centre les revendications sur les questions liées à la sécurité. Elle revendique une réelle présence policière, avec une police de proximité qui connaît les habitants et les prostituées du quartier   [208]. Elle demande également qu’un travail de sensibilisation soit effectué auprès des services de dispatching sur la situation des prostituées africaines ; qu’une concertation se tienne entre services de police, associations et prostituées ; et que les nuisances subies par les habitants du quartier et par les prostituées soient prises en considération par les représentants politiques   [209].

221Enfin, alors que le meurtre s’est déroulé sur le territoire de la commune de Schaerbeek, UTSOPI, poursuivant son combat contre les politiques développées dans l’entité voisine de Saint-Josse-ten-Noode, axe fortement ses interventions médiatiques sur les mesures que cette commune a mises en œuvre sans se concerter avec l’administration communale de Schaerbeek, les associations et les prostituées. Pour UTSOPI, cette politique tennoodoise explique l’abandon du quartier par les autorités communales et les forces de police   [210]. Elle dénonce également les montants exorbitants des taxes levées par la commune et les conditions de travail de certaines prostituées dues à des politiques communales qui mettent les péripatéticiennes « dans des endroits pourris, où il n’y a personne, dans des coins déserts. Oui, elles ne gênent personne mais elles travaillent dans des conditions épouvantables, sans sanitaires, sans lumières, sans rien »   [211].

4.2.2. L’issue du conflit du quartier des carrées

222Dans un premier temps, les discussions tenues avec la police de la zone Nord lors de la réunion du 7 juin semblent relativement fructueuses. Le 20 juin, l’assassin d’Eunice est retrouvé par la police. L’agresseur, qui est un mineur de 17 ans, est placé en institution publique de protection de la jeunesse (IPPJ), en régime fermé, après avoir avoué le meurtre en arguant d’un « différend après une relation sexuelle tarifée »   [212]. Les camarades d’exil d’Eunice se réjouissent, mais elles ne se sentent pas pour autant plus rassurées. En peu de temps, deux autres prostituées nigérianes sans-papiers ont été sauvagement attaquées dans un contexte marqué par le démantèlement d’un réseau de prostitution nigérian installé dans ce quartier.

223La présence des forces de police est importante dans le quartier durant les premières semaines qui suivent le meurtre d’Eunice. Cependant, une fois que les activités du quartier reprennent leur cours « normal », la présence policière diminue   [213]. Deux semaines avant les réveillons, prostituées, associations et habitants du quartier contactent la police pour lui faire part de bruits qui courent dans le quartier quant à l’intention de quelques jeunes hommes de provoquer des incidents durant les fêtes de fin d’année. Le soir du 31 décembre, à partir de 19 heures, des dizaines d’hommes investissent les rues du quartier, en incendiant des poubelles et en jetant des projectiles sur les vitrines des carrées. La police, pourtant prévenue depuis plusieurs jours, n’intervient que quelques heures plus tard. Sept carrées sont endommagées. Des victimes sont évitées grâce aux dispositifs mis en place par les prostituées elles-mêmes, qui, suite aux rumeurs, ont décidé de fermer les carrées durant les réveillons   [214]. Cet événement augmente la méfiance des prostituées envers la police, ainsi que leur sentiment d’insécurité.

224Quant aux autorités belges et aux représentants nigérians, la mobilisation pour Eunice semble avoir peu d’impact. L’ambassade du Nigeria se limite à contacter la famille d’Eunice qui, faute de moyens financiers, ne peut rapatrier le corps. Eunice est enterrée dans le cimetière d’Evere, loin de ses proches et sans qu’aucun membre de sa famille ou ami d’enfance ne puisse assister à ses funérailles. Ni l’État belge ni l’ambassade nigériane n’entendent prendre en charge les frais liés à un rapatriement du corps ou, du moins, à la visite d’un membre de la famille de la défunte. Les funérailles d’Eunice sont entièrement financées par la collecte organisée par ses camarades d’exil, Espace P et UTSOPI.

225Le bourgmestre de Schaerbeek, Bernard Clerfayt (Défi), ne fait aucune déclaration publique concernant le meurtre. Pour sa part, le bourgmestre de Saint-Josse-ten-Noode, Emir Kir (PS), visé par UTSOPI (ainsi que par B. Clerfayt) pour sa décision de fermer des carrées dans le quartier, ne se prononce publiquement que pour se défendre des accusations liant le meurtre d’Eunice à ses décisions de police   [215]. Il est à noter que ni Espace P ni UTSOPI (toutes deux membres de la Plateforme Prostitution mise en place à Schaerbeek, cf. supra) ne portent de revendications envers la commune de Schaerbeek.

226En revanche, la mobilisation a des répercussions sociales, même si celles-ci sont difficilement mesurables dans le court terme. Les Nigérianes ont quitté leurs carrées, se sont organisées et, pour certaines d’entre elles, ont même parlé dans les médias. Cette mobilisation a rendu visible la situation des prostituées nigérianes en Belgique, victimes de traite d’êtres humains et coupables du seul fait d’être nées dans un pays où les autres alternatives pour pouvoir migrer sont très difficiles pour celles qui ne sont pas fortunées.

227En outre, la mobilisation a permis de nouer des contacts entre les prostituées africaines et UTSOPI (qui est, pour rappel, une association composée de prostituées et prostitués en ordre de séjour et revendiquant le choix de leur métier). Pour les associations d’accompagnement des travailleuses et travailleurs du sexe, cette mobilisation a été l’occasion de créer des liens. Bien que l’association Espace P soit bien insérée dans le quartier, son contact avec les prostituées africaines est souvent réduit aux consultations médicales et aux aides concernant le suivi des dossiers administratifs. Les prostituées du quartier connaissent le local, mais le contact est délicat avec les péripatéticiennes nigérianes, celles-ci étant toujours accompagnées par leur « mama » (c’est-à dire leur maquerelle).

228Certes, ces mobilisations n’ont pas permis aux filles de se libérer de leurs exploitantes (les « mamas » ont été présentes tout au long des événements, autant lors des réunions que lors de la manifestation devant l’ambassade du Nigeria). Toutefois, leur relation avec d’autres prostituées et prostitués ainsi qu’avec le monde associatif a été modifiée, ce qui représente un pas indispensable pour l’avancée du combat contre l’exploitation sexuelle ainsi que pour la représentation de ces femmes au sein des débats relatifs à la prostitution.

4.3. Conclusion

229Dans son concept restreint, la grève est caractérisée comme un outil d’action déployé pour appuyer des revendications en faisant pression sur un tiers (État, entreprise, etc.) par l’arrêt de la production, de gains ou de services provoqué par la cessation de travail. Toutefois, cette définition étroite néglige une autre fonction essentielle de la grève, qui implique un arrêt des activités quotidiennes pour se rassembler, s’organiser, s’informer et se former.

230Dans ce sens, la grève des prostituées du quartier des carrées est historique en Belgique. Elle est remarquable par sa durée, par ses incitatrices (des prostituées étrangères majoritairement sans-papiers) et par les différents acteurs impliqués dans la mobilisation. Les prostituées nigérianes sont aujourd’hui un peu plus unies et, donc, plus fortes. Elles ont rendu visible leur situation au grand public, dénonçant les violences patriarcales, racistes et classistes auxquelles elles sont quotidiennement confrontées. Ainsi, cette grève dévoile le continuum des violences entre les politiques migratoires, les mesures communales, les forces de police, la justice, les proxénètes, les clients et une bonne partie de la société qui aimerait voir disparaître ces femmes de son champ visuel.

231Par leur mobilisation, les prostituées nigérianes sont parvenues à obtenir le soutien d’une asbl comme UTSOPI, pourtant composée uniquement par des prostituées et prostitués disposant d’un permis de séjour et défendant donc des intérêts souvent en opposition avec ceux des prostituées sans-papiers. En effet, étant donné la précarité de leur statut, celles-ci bradent les prix, acceptent plus facilement des pratiques imposées par les clients (comme l’absence de préservatif) et sont la cible privilégiée des agressions racistes et misogynes, attirant ainsi, dans les quartiers où elles exercent leur activité, un public spécialement agressif. Or, cette situation a des répercussions sur les conditions des prostituées belges, ce qui les met souvent en situation de concurrence et/ou de tension avec les étrangères sans-papiers. En outre, si les membres d’UTSOPI revendiquent la reconnaissance du « travail du sexe », cette vision n’est pas nécessairement partagée par des prostituées immigrantes ; en effet, nombre de celles-ci considèrent leur activité, non comme un choix individuel, mais comme une forme d’exploitation, une manière de pouvoir fuir la misère ou un sacrifice individuel nécessaire à la survie familiale.

232Ainsi, par leur rencontre, des prostituées aux parcours variés et aux intérêts divers sont parvenues à trouver et à défendre une revendication commune à toutes : le slogan « We need care, not violence », constitue un premier point de convergence et d’organisation. La pérennisation de ces relations dépendra de la manière dont les besoins et les avis des femmes aux parcours migratoires douloureux seront ou non pris en considération. S’ils ne le sont pas, la lutte se réduira à un débat centré exclusivement sur les questions de réglementation ou d’abolition de la prostitution. Or il s’agit là d’un débat qui concerne peu les principales actrices de la mobilisation de juin 2018, à savoir les prostituées africaines sans-papiers. En effet, tant que les politiques migratoires continueront à les priver de droit à la mobilité, ces femmes devront continuer à se soumettre aux réseaux de trafic d’êtres humains afin d’échapper à des situations de misère extrême.

Notes

  • [1]
    I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2011 », « Grèves et conflictualité sociale en 2012. I. Grève générale et secteur privé », « Grèves et conflictualité sociale en 2012. II. Secteur public et questions européennes », « Grèves et conflictualité sociale en 2013 », « Grèves et conflictualité sociale en 2014 », « Grèves et conflictualité sociale en 2015 », « Grèves et conflictualité sociale en 2016 », « Grèves et conflictualité sociale en 2017 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2135-2136 (2012), n° 2172-2173 et 2174-2175 (2013), n° 2208-2209 (2014), n° 2246-2247 (2015), n° 2291-2292 (2016), n° 2341-2342 (2017) et n° 2383-2384 (2018).
  • [2]
    Cf. le site Internet de l’Office national de l’emploi (ONEM) : www.onem.be.
  • [3]
    Les pertes d’emploi annoncées dans le cadre de la procédure Renault sont enregistrées par le Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale au moment de l’annonce de l’intention de procéder au licenciement collectif.
  • [4]
    La Libre Belgique, 10 mai 2019.
  • [5]
    Loi du 19 mars 2017 modifiant la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité, Moniteur belge, 29 mars 2017.
  • [6]
    Moniteur belge, 15 mars 2017.
  • [7]
    Cf. V. Demertzis, « La conflictualité fédérale et régionale dans les services publics » et V. Demertzis, R. Poriaux, J. Vandewattyne, « De la grève et du droit de grève dans le secteur du rail en 2017 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2017 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2383-2384, 2018, p. 26-34 et 35-44.
  • [8]
    Cf. P. Palsterman, « L’accord sur le droit de grève », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1755, 2002.
  • [9]
    Cf. V. Demertzis, C. Leterme, J. Vandewattyne, « Droit de grève sous pression, en Belgique et au niveau international », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2015 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2291-2292, 2016, p. 35 ; B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité interprofessionnelle en 2016 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2016 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2341-2342, 2017, p. 14-15.
  • [10]
    * Chapitre rédigé par Bernard Conter et Jean Faniel.
    Moniteur belge, 1er août 1996.
  • [11]
    Loi du 19 mars 2017 modifiant la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité, Moniteur belge, 29 mars 2017.
  • [12]
    Le CNP a été créé par une loi du 21 mai 2015. Cet organe consultatif a pour mission de rendre des avis (sous la forme de « rapports exprimant les différents points de vue exposés en son sein ») sur « toutes propositions en matière de pensions qui lui sont soumises » par le ministre fédéral des Pensions. Il est composé de 8 représentants des organisations patronales, de 8 représentants syndicaux (dont 3 du secteur public), de 8 représentants de l’Autorité fédérale, ainsi que d’un président et d’un vice-président (fonctions exercées respectivement, depuis la création du CNP, par Paul Windey, président du CNT, et par Anne Thiry, consultante de la société Nexyan, active dans le secteur des pensions complémentaires d’entreprises).
  • [13]
    Le Comité A est un comité de négociation commun à l’ensemble des services publics fédéraux.
  • [14]
    Cf. T. Moulaert, « Le pacte de solidarité entre les générations », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1906-1907, 2006.
  • [15]
    B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2015 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2015 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2191-2192, 2016, p. 14-32.
  • [16]
    Les syndicats présentent un répertoire de facteurs de risque professionnels qui ont un impact sur la santé. Pour ce faire, ils se sont basés sur la réglementation et les pratiques en matière de bien-être au travail. Selon les syndicats, l’approche permet d’inventorier et de suivre l’exposition de chaque travailleur aux facteurs de risques collectifs (Communiqué du front commun syndical, 8 mai 2017).
  • [17]
    Les métiers sont classés en quatre degrés de pénibilité. Plus un agent accumule des critères, plus il peut partir tôt, mais en aucun cas avant 60 ans et pour autant que le métier pénible ait été exercé durant au moins 10 ans.
  • [18]
    Selon la CGSP, au terme de la réforme, un fonctionnaire mettra davantage d’années avant d’atteindre une pension équivalant à 75 % de son traitement ; le coefficient de pénibilité permet certes aux individus concernés de partir plus tôt, mais avec une pension moindre (ce que ne conteste pas le ministre fédéral des Pensions). Relevons qu’un an auparavant, la CGSP s’était déjà trouvée isolée sur le dossier des pensions complémentaires des agents contractuels de la fonction publique, seuls la CSC-Services publics et le SLFP ayant signé l’accord soumis au Comité A. Cf. V. Demertzis, « La conflictualité fédérale et régionale dans les services publics », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2017 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2383-2384, 2018, p. 27-28.
  • [19]
    « Si un agent de police est considéré comme un métier pénible, pourquoi un agent d’une société de surveillance n’y aurait pas droit également » (Le Soir, 25 mai 2018).
  • [20]
    CNT, Avis n° 2.105, 13 novembre 2018.
  • [21]
    « Travailler jusqu’à 67 ans ? N’y pensez pas », carte blanche de Monica De Jonghe, directrice de la FEB, dans Le Soir du 14 novembre 2018 ; « On ne peut réduire la discussion sur la pénibilité à une question de budget », réponse de la FGTB dans l’édition du lendemain.
  • [22]
    Pour sa secrétaire générale, Marie-Hélène Ska, « une partie du patronat est extrêmement conservatrice sur ce dossier. Mais les employeurs sur le terrain ont une approche différente car ils vivent les difficultés de leurs salariés » (Le Soir, 15 novembre 2018).
  • [23]
    P. Soete a été chief executive officer (CEO) de la fédération sectorielle Agoria et est président du comité de gestion de l’Office national de sécurité sociale (ONSS), tandis que l’économiste É. de Callataÿ, administrateur d’Orcadia Asset Management, est notamment membre du Conseil académique des pensions.
  • [24]
    Ce qui induirait une différence de traitement selon le secteur pour une même fonction ou profession.
  • [25]
    25 B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2017 : l’espace exigu de la négociation », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2017 », op. cit., p. 23-24.
  • [26]
    « La théorie est connue. La mise en pratique est pour 2025. Il ne faut pas absolument voter les textes avant la fin de la législature » (La Libre Belgique, 28 avril 2018).
  • [27]
    Le ministre estime que, dans une majorité, le PS mettrait en œuvre la pension à points : « S’il n’y avait ce clivage majorité/opposition, tout le monde serait d’accord sur la pension à points » (Ibidem).
  • [28]
    Ibidem.
  • [29]
    C’est-à-dire avoir 63 ans et compter 42 années de carrière, ou avoir 61 ans et compter 43 années de carrière, ou avoir 60 ans et compter 44 années de carrière.
  • [30]
    Gouvernement wallon Borsus (MR/CDH), gouvernement bruxellois Vervoort II (PS/Open VLD/Défi/
    SP.A/CDH/CD&V) et gouvernement flamand Bourgeois (N-VA/CD&V/Open VLD).
  • [31]
    Communiqué de presse, 24 juillet 2018.
  • [32]
    Groupe des dix, « Deal pour l’emploi. Réponses du Groupe des dix au Premier ministre », 17 juillet 2018.
  • [33]
    Le 23 mai 2018, la Commission européenne indique que le déficit sera plus grand qu’attendu et que la Belgique n’a pas fait assez d’efforts pour le réduire. Elle recommande une croissance des dépenses publiques inférieure à 1,8 % en 2019. L’objectif est d’atteindre l’équilibre budgétaire en 2021.
  • [34]
    FEB, Communiqué de presse, 24 juillet 2018.
  • [35]
    Le discours gouvernemental est assez confus sur le thème. Il évoque le chiffre de 134 000 emplois « vacants » (au 4e trimestre 2017), ce qui correspond au nombre d’offres d’emploi ouvertes mais pas aux emplois qui ne trouvent aucun candidat. À titre d’exemple, le nombre de postes vacants était de l’ordre de 29 000 en Wallonie en 2017 et le nombre d’emplois non pourvus était estimé, sur une base annuelle, à 5 100 par l’Office wallon de la formation professionnelle et de l’emploi (FOREM) en Wallonie.
  • [36]
    Cf. B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2016 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2016 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2341-2342, 2017, p. 16-18.
  • [37]
    B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2017 : l’espace exigu de la négociation », op. cit., p. 19.
  • [38]
    La CSC voit dans le jobsdeal un moyen pour le gouvernement de « s’assurer la clémence des instances européennes » (CSC, Communiqué de presse, 24 juillet 2018).
  • [39]
    Commission européenne, Recommandation du Conseil concernant le programme national de réforme de la Belgique pour 2018 et portant avis du Conseil sur le programme de stabilité de la Belgique pour 2018, COM (2018) 401 final, 23 mai 2018. Ces recommandations ont été approuvées par le Conseil de l’Union européenne en juillet de la même année.
  • [40]
    L’AIP conclu le 11 janvier et signé le 2 février 2017 stipule que les interlocuteurs sociaux programmeront le relèvement de l’âge des RCC pour atteindre les objectifs du gouvernement en 2020. Le gouvernement Michel I s’était engagé à respecter l’AIP, même si certains partis de la majorité s’étaient montrés critiques.
  • [41]
    CCE, « Rapport Emploi compétitivité 2017 », n° 170, 22 janvier 2018.
  • [42]
    La Libre Belgique, 29 novembre 2018.
  • [43]
    R. Vertenueil réaffirmera ce chiffre quelques semaines plus tard, envisageant 1,1 % de hausse comme un minimum (Le Soir, 9 janvier 2019).
  • [44]
    De Standaard, 13 décembre 2018.
  • [45]
    Le contenu et les enjeux liés à l’adoption de l’AIP seront traités dans le Courrier hebdomadaire du GRACOS portant sur la conflictualité sociale en 2019.
  • [46]
    Loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité, Moniteur belge, 1er août 1996.
  • [47]
    Loi du 19 mars 2017 modifiant la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité, Moniteur belge, 29 mars 2017.
  • [48]
    La Libre Belgique, 28 avril 2018.
  • [49]
    Le Soir, 24 juillet 2018, www.lesoir.be.
  • [50]
    La Libre Belgique, 25 juillet 2018.
  • [51]
    Le Soir, 27 août 2018.
  • [52]
    Le Soir, 27 août 2018.
  • [53]
    Cf. B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2016 », op. cit., p. 13-15.
  • [54]
    La Libre Belgique, 7 décembre 2018.
  • [55]
    De Standaard, 11 décembre 2019 ; La Libre Belgique (Gazette de Liége), 15 décembre 2018.
  • [56]
    Sur cette notion, cf. L. Simar, « Le “tax shift” ou glissement fiscal », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2319-2320, 2016.
  • [57]
    Dans son édition du 27 novembre 2018, le quotidien De Standaard estime ainsi que le tax shift a engendré une hausse d’environ 20 centimes du prix du litre de diesel de roulage par rapport au début de l’année 2016, accentuant ainsi en bonne partie la hausse du prix du carburant à la base de la colère des Gilets jaunes.
  • [58]
    Cf. également A. Dufresne, C. Gobin, M. Zune, « Le mouvement social des Gilets jaunes en Belgique : une contestation largement atypique » (chapitre 3 de la présente publication).
  • [59]
    La première se tient à Bruxelles le 30 novembre 2018.
  • [60]
    Dès le 20 novembre, soit 4 jours à peine après le démarrage du mouvement, un tiers des 1 200 pompes
    à essence de Wallonie connaît une pénurie au moins partielle (Le Soir, 21 novembre 2018).
  • [61]
    Cf., par exemple, l’interview du secrétaire général de la FGTB wallonne, Thierry Bodson, dans Le Soir du 20 novembre 2018.
  • [62]
    * Chapitre rédigé par Cédric Leterme, Aline Bingen et Maria-Cécilia Trionfetti.
    Décret wallon du 25 avril 2002 relatif aux aides visant à favoriser l’engagement de demandeurs d’emploi inoccupés par les pouvoirs locaux, régionaux et communautaires, par certains employeurs du secteur non marchand, de l’enseignement et du secteur marchand, Moniteur belge, 24 mai 2002.
  • [63]
    Le secteur non marchand couvre, du point de vue des relations collectives de travail, l’ensemble des activités professionnelles couvertes par le champ d’intervention de dix commissions paritaires dites du non-marchand. Ce découpage sectoriel mobilisé dans le cadre de la concertation entre interlocuteurs sociaux se distingue des nomenclatures professionnelles des codes NACE et des découpages liés à la tutelle du pouvoir fédéral, régional ou communautaire subventionnant.
  • [64]
    Direction générale opérationnelle de l’Économie, de l’Emploi et de la Recherche, qui appartient au Service public de Wallonie (SPW).
  • [65]
    FGTB wallonne, « Réforme des APE : présentation et analyse », Position du bureau de l’Interrégionale wallonne de la FGTB, 8 novembre 2018.
  • [66]
    Entreprises de formation par le travail (EFT) et organismes d’insertion socio-professionnelle (OISP), réunis sous l’appellation de centres d’insertion professionnelle (CISP) en vertu du décret wallon du 10 juillet 2013 relatif aux centres d’insertion socio-professionnelle (Moniteur belge, 20 août 2013) et de l’arrêté du gouvernement wallon du 15 décembre 2016 portant exécution dudit décret (Moniteur belge, 30 janvier 2017).
  • [67]
    CAIPS, « Mémorandum CAIPS 2009 », 2 décembre 2008, www.caips.be.
  • [68]
    Cf., par exemple : MR, « Aide à la promotion de l’emploi : un soutien à l’emploi wallon enfin clarifié », 24 avril 2018, www.mr.be.
  • [69]
    « Réforme des aides à la promotion de l’emploi (APE) », Communiqué de presse, 29 mars 2018, https://jeholet.wallonie.be.
  • [70]
    L’expression « le fait du prince » est régulièrement utilisée par le MR pour qualifier la façon dont les points APE sont attribués selon lui (cf., par exemple : L’Écho, 30 mars 2018).
  • [71]
    MR, « Aide à la promotion de l’emploi : un soutien à l’emploi wallon enfin clarifié », op. cit.
  • [72]
    Jusqu’en novembre 2018, cet organe est dénommé le Conseil économique et social de Wallonie (CESW).
  • [73]
    FGTB wallonne, « Réforme des APE : présentation et analyse », op. cit., p. 3.
  • [74]
    Belga, 17 février 2017.
  • [75]
    Cf. J. Faniel, C. Istasse, « Le “coup” du 19 juin 2017 : premier bilan », Les @nalyses du CRISP en ligne, 19 juin 2019, www.crisp.be.
  • [76]
    RTBF Info, 31 août 2017, www.rtbf.be.
  • [77]
    Allusion au gouvernement fédéral Michel I (MR/N-VA/CD&V/Open VLD).
  • [78]
    Le Vif/L’Express, 25 juillet 2017, www.levif.be.
  • [79]
    Certaines fédération patronales, notamment la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abris (AMA), avaient déjà affiché leur opposition à la réforme plusieurs semaines auparavant (cf. par exemple : AMA, « L’AMA dit non à la réforme APE ! », 14 mars 2019, www.ama.be).
  • [80]
    FGTB wallonne, « Réforme des APE : présentation et analyse », op. cit.
  • [81]
    « Bye bye les APE, welcome la marchandisation ! », 30 mars 2018, https://pro.guidesocial.be.
  • [82]
    UNIPSO, « APE : l’UNIPSO, la fédération des employeurs du secteur non marchand, réagit aux déclarations du ministre Jeholet », Communiqué de presse, 29 mars 2018, http://pro.guidesocial.be.
  • [83]
    FGTB wallonne, « Réforme des APE : présentation et analyse », op. cit.
  • [84]
    Le Soir, 26 juin 2018.
  • [85]
    « APE : non à une réforme qui fragiliserait toute la société », www.change.org. La pétition a recueilli un peu plus de 13 500 signatures.
  • [86]
    Le Soir, 20 septembre 2018, www.lesoir.be.
  • [87]
    Le Soir, 6 septembre 2018, www.lesoir.be.
  • [88]
    CGSLB, « Les travailleurs APE ne sont pas tout à fait rassurés sur leur sort », 5 octobre 2018, www.cgslb.be.
  • [89]
    En Région wallonne, A. Greoli est vice-présidente et ministre de l’Action sociale, de la Santé, de l’Égalité des chances, de la Fonction publique et de la Simplification administrative ; en Communauté française, elle est vice-présidente et ministre de la Culture et de l’Enfance.
  • [90]
    À l’occasion de cette deuxième manifestation, certains militants de la Centrale générale des services publics (CGSP, affiliée à la FGTB) Tram, Bus, Métro témoignent leur solidarité à l’égard de la manifestation interprofessionnelle par la voie d’un mouvement de grève spontané qui reçoit les foudres de l’Opérateur de transport wallon (OTW) et du ministre wallon de la Mobilité et des Transports, Carlo Di Antonio (CDH), dans la mesure où il intervient dans un contexte social déjà tendu.
  • [91]
    91 Le Soir, 20 septembre 2018, https://plus.lesoir.be.
  • [92]
    CSC, « La réforme APE. Où en sommes-nous ? », s.d., www.mocliege.be.
  • [93]
    L’évolution de la valeur du point de 0,7 % inférieure aux années précédentes équivaudrait à près de 500 travailleurs, la sous-estimation de l’enveloppe globale pour 2020 correspondrait à 1 400 travailleurs, celle de 2021 à 480 travailleurs, auxquels s’ajoutent les 1 100 travailleurs exclus dès le départ en raison de l’exclusion des travailleurs des provinces et du FOREM du champ d’application du dispositif.
  • [94]
    À savoir 90 ETP dans l’administration générale de l’enseignement, 110 ETP liés aux secteurs de l’aide à la jeunesse (services de l’aide à la jeunesse - SAJ ; services de protection judiciaire - SPJ), 30 ETP dans les maisons de Justice, 54 ETP affectés à des sportifs de haut niveau.
  • [95]
    Parlement wallon, Commission de l’Économie, de l’Emploi et de la Formation, Compte rendu intégral, n° 64, 15 janvier 2019, p. 25-26.
  • [96]
    La plateforme s’est créée – selon les dires de « Monsieur Charlier, représentant habilité de la plateforme des APE » – « au départ d’un vent de grande appréhension – pour ne pas dire de panique – au départ d’employeurs du secteur de l’éducation, de la formation des adultes et puis, qui, très rapidement, s’est étendu à l’ensemble des sous-secteurs » (Parlement wallon, Commission de l’Économie, de l’Emploi et de la Formation, Compte rendu intégral, n° 74, 30 janvier 2019, p. 31).
  • [97]
    La valeur du coefficient est fixée à 4,32 % par le ministre. Selon la méthode de calcul adoptée (car chaque acteur a fait l’exercice avec une méthode différente), elle devrait être de 10,92 % pour l’UVCW, de 10,81 % pour la FGTB, de 10,00 % pour l’UNIPSO, etc.
  • [98]
    Le Soir, 25 février 2019, www.lesoir.be.
  • [99]
    RTBF Info, 21 mars 2019, www.rtbf.be.
  • [100]
    RTBF Info, 21 mars 2019, www.rtbf.be ; « Victoire ! », 21 mars 2019, www.fgtb-wallonne.be.
  • [101]
    * Chapitre rédigé par Anne Dufresne, Corinne Gobin et Marc Zune.
    Pour une analyse plus approfondie des raisons socio-politiques de l’émergence de ce mouvement, cf. C. Gobin, « Gilets jaunes : le retour de la démocratie ? », Politique, n° 108, 2019, p. 102-110.
  • [102]
    Cette narration des débuts du mouvement se base sur la source suivante : www.francetvinfo.fr.
  • [103]
    « Pour une baisse des prix du carburant à la pompe », www.change.org. Cette pétition a recueilli plus de 1 250 000 signatures et plus de 50 000 commentaires.
  • [104]
    Le Journal du dimanche, 28 octobre 2018.
  • [105]
    Il semble que, à l’automne 2018, la pratique du blocage de dépôts de carburant a commencé en Belgique, avant d’apparaître presque concomitamment en France. Cependant, des précédents existaient. Ainsi, en juin 2018, des agriculteurs français avaient déjà bloqué divers dépôts et raffineries en France pour protester contre la concurrence de l’huile de palme dans le marché des biocarburants. En outre, la très longue grève tournante menée par les cheminots français tout au long de l’année 2018 était également dans toutes les têtes. De façon plus générale, étant donné l’aspect vital des carburants pour le fonctionnement économique, les lieux de dépôts sont régulièrement bloqués lors d’actions collectives (par exemple, en France en mai 2016, dans le cadre des luttes syndicales contre la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi Travail ou loi El Khomri). Dans un système capitaliste qui accroît l’intensité des flux de circulation de tout type au sein d’un espace-monde de transferts divers, tout ce qui touche au transport touche au cœur névralgique de ce système économique.
  • [106]
    La Dernière Heure, 28 mai 2011.
  • [107]
    Cf. La Province, 28 octobre 2018 ; La Dernière Heure, 30 octobre 2018.
  • [108]
    Le site de Vilvorde présente des caractéristiques similaires, mais la négociation concernant son blocage pacifique a échoué.
  • [109]
    Le Soir, 17 novembre 2018.
  • [110]
    L’analyse de la dynamique de groupe qui s’est développée à l’occasion des blocages des GJ (socialisation des manifestants, processus de prise de décision, définition des frontières du groupe, soutien de la population, négociation avec les autorités, etc.) reste à décrire précisément. De nombreux témoignages relatent cependant des effets d’engagement de sympathisants venus en observateurs ou en curieux, et ayant décidé de rester plusieurs jours durant sur les blocages, marqués par la similitude de difficultés de vie et de ras-le-bol exprimés sur place.
  • [111]
    Le Soir, 19 novembre 2018.
  • [112]
    Le Soir, 20 novembre 2018.
  • [113]
    La Capitale, 24 novembre 2018.
  • [114]
    L’Écho, 23 novembre 2018, www.lecho.be.
  • [115]
    Le Soir, 21 novembre 2018.
  • [116]
    La Capitale, 25 novembre 2018.
  • [117]
    La Capitale, 26 novembre 2018.
  • [118]
    La Capitale, 27 novembre 2018.
  • [119]
    RTBF Info, 4 décembre 2018, www.rtbf.be.
  • [120]
    La Capitale, 9 décembre 2018.
  • [121]
    Cf. B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2018 : de l’essoufflement
    à la contestation polychrome » (chapitre 1 de la présente publication).
  • [122]
    Cf. la page Internet www.facebook.com/8maars.
  • [123]
    TAM-TAM est une campagne menée par un « collectif d’expert.e.s, d’associations, d’acteurs de terrains et de citoyen.ne.s pour remettre la dignité humaine au centre des débats à la veille des élections » (cf. le site Internet www.campagnetamtam.be). Cette manifestation sera portée notamment par des dizaines d’associations, du sud et du nord du pays, dont Tout autre chose et Hart boven Hard ; une représentation des GJ sera conviée à une prise de parole finale.
  • [124]
    Le Soir, 20 novembre 2018.
  • [125]
    CGSLB, « Le Comité régional wallon de la CGSLB a envoyé un message de soutien aux travailleurs de l’entreprise sidérurgique NLMK et a apporté une clarification par rapport aux actions des Gilets jaunes », Communiqué, 18 janvier 2019, www.cgslb.be.
  • [126]
    Le Soir, 12 février 2019.
  • [127]
    Le Soir, 14 décembre 2018.
  • [128]
    RTL Info, 14 décembre 2018, www.rtl.be.
  • [129]
    Le cadrage « Gilets jaunes = fascistes » s’est construit très rapidement dans de nombreux réseaux dits de gauche ou d’extrême gauche en France (cf., par exemple, le témoignage livré par François Ruffin au début du film « J’veux du soleil ») et a été repris massivement par de nombreux médias tant français que belges. Il est pourtant erroné. Avec une posture générale hostile aux partis politiques, la grande majorité des GJ français ou belges rejette les quelques tentatives d’infiltration d’extrême droite (tout comme d’extrême gauche, d’ailleurs) que connaît le mouvement. Plus largement, comme celui-ci tente de construire une dynamique « anti-partis » sur la base de l’union des couches sociales déshéritées, toutes les opinions politiques présentes dans la société peuvent logiquement y être décelées, dont l’extrême droite.
  • [130]
    CGSLB, « Le Comité régional wallon de la CGSLB a envoyé un message de soutien aux travailleurs de l’entreprise sidérurgique NLMK et a apporté une clarification par rapport aux actions des Gilets jaunes », op. cit.
  • [131]
    RTL Info, 14 décembre 2018, www.rtl.be.
  • [132]
    Le Soir, 29 novembre 2018.
  • [133]
    Le Soir, 12 février 2019.
  • [134]
    Le Soir, 5 décembre 2018.
  • [135]
    « Les Gilets jaunes et la lutte des classes en Belgique », Révolution, 16 janvier 2019, https://marxiste.be.
  • [136]
    Intervention lors de la soirée organisée par l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC) sur le thème « Gilets jaunes et syndicats : quelles convergences possibles ? » le 6 février 2019 à Bruxelles (cf. le site Internet http://bxl2.attac.be).
  • [137]
    Le Soir, 22 novembre 2018.
  • [138]
    138 L’info, n° 1, 11 janvier 2019, p. 3, www.lacsc.be.
  • [139]
    Le Soir, 19 novembre 2018.
  • [140]
    Le Soir, 29 novembre 2018.
  • [141]
    Carte blanche du SETCA Liège dans Le Soir, 22 novembre 2018.
  • [142]
    « Motion de soutien au mouvement des Gilets jaunes », 18 décembre 2018, http://cgspalrbru.be.
  • [143]
    RTL Info, 14 décembre 2018, www.rtl.be.
  • [144]
    Site Internet www.csc-en-ligne.be.
  • [145]
    Sur ce mouvement, cf. le site Internet https://gangdesvieuxencolere.be.
  • [146]
    Site Internet www.csc-en-ligne.be.
  • [147]
    L’Avenir, 15 décembre 2018.
  • [148]
    Sudinfo, 26 novembre 2018.
  • [149]
    Les blocages salariaux qui ont cours dans la majorité des pays de l’Union européenne le montrent très clairement. Pour la Belgique, cf. « Le salaire en Belgique », GRESEA Échos, n° 97, janvier 2019.
  • [150]
    C. Yerochewski, D. Gagné, « Quand le droit conforte les stratégies syndicales reproduisant les arrangements institutionnels sources de discrimination systémique », Relations industrielles, volume 72, n° 3, 2017, p. 571.
  • [151]
    Le Soir, 20 novembre 2018.
  • [152]
    Le Soir, 23 novembre 2018.
  • [153]
    RTBF Info, 22 novembre 2018, www.rtbf.be.
  • [154]
    Ibidem.
  • [155]
    La Capitale, 25 novembre 2018.
  • [156]
    Le Soir, 26 novembre 2018.
  • [157]
    Le Soir, 27 novembre 2018.
  • [158]
    La Capitale, 2 décembre 2018.
  • [159]
    Le phénomène de casse dans des manifestations tendues est toujours un processus très ambigu où, dans de nombreux cas, la police (notamment par le biais d’agents en civil) excite sciemment des personnes en révolte, voire intervient elle-même dans la casse pour créer un effet de contagion.
  • [160]
    Le Soir, 29 novembre 2018.
  • [161]
    La Capitale, 23 novembre 2018.
  • [162]
    Le Soir, 27 novembre 2018.
  • [163]
    La Capitale, 4 décembre 2018.
  • [164]
    Le Soir, 1er décembre 2018. Il semblerait que ces deux camionnettes de police – étrangement garées rue de la Loi, vides et ressemblant à du matériel obsolète – auraient servi d’« appâts » pour inciter certains manifestants à « se défouler » sur elles.
  • [165]
    La Capitale, 2 décembre 2018.
  • [166]
    La Capitale, 9 décembre 2018.
  • [167]
    Ibidem.
  • [168]
    La Capitale, 10 décembre 2018.
  • [169]
    Ibidem.
  • [170]
    Le Soir, 10 décembre 2018.
  • [171]
    La technique de répression policière préventive pour empêcher des manifestations massives s’est implantée au sein de l’Union européenne dans le cadre des manifestations anti-mondialisation de la fin des années 1990 et du début des années 2000, un contrôle aux frontières empêchant nombre de manifestants de rejoindre la ville prévue comme lieu de rassemblement. En Belgique, il semble que la technique d’arrestation préventive par la police de Bruxelles lors de manifestations pourtant autorisées ne cesse de se généraliser depuis au moins 2010 (cf. le communiqué de presse de la Ligue des droits de l’homme et de Bruxelles laïque du 30 septembre 2010 repris sur le site Internet d’ATTAC, www.bxl.attac.be). Il en va de même pour le menottage au colson des manifestants arrêtés simplement parce qu’ils manifestent (cf. notamment le cas des arrestations du 15 mai 2014 à Bruxelles lors d’une des manifestations anti-TTIP : Le Monde, 15 mai 2014, www.lemonde.fr).
  • [172]
    Sudinfo, 9 décembre 2019.
  • [173]
    Le Soir, 22 décembre 2018.
  • [174]
    * Chapitre rédigé par Natalia Hirtz et Chedia Leroij.
    La notion de « prostitution » ne fait pas l’objet d’un consensus. Primo, le champ que recouvre ce terme varie en fonction des critères moraux en vigueur. Secundo, le vocable englobe des situations extrêmement diverses en termes de pratiques, de tarifs, de marges de manœuvre envers les clients et de contraintes (par des tiers ou en raison des circonstances, notamment l’absence d’alternative financière). Tertio, les politiques publiques délimitent de manière diverse, dans le temps et dans l’espace, les contours de ce qui est désigné comme activité prostitutionnelle et de ce qui peut ou non l’organiser (proxénétisme, publicité, maisons closes, etc.). Il convient donc mieux de parler de « formes de prostitutions ». Cf. C. Leroij, R. Maes, « Étude relative aux nouvelles formes de prostitution à Bruxelles, et visant à l’obtention de données comparatives à l’égard de la prostitution et de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle au sein de 3 villes européennes. Rapport final réalisé dans le cadre du marché public de services initié et attribué par la Commission communautaire commune de la Région de Bruxelles-Capitale », Collectif Formation Société, 1er octobre 2016 ; C. Leroij, « Prostitution, de quoi parle-t-on ? », Bruxelles en mouvements, n° 294, mai-juin 2018, p. 4.
  • [175]
    Article 380, § 1er, 1° du Code pénal. La disposition a été introduite par la loi du 26 mai 1914 sur la répression de la traite des blanches (Moniteur belge, 10 juin 1914) et visait donc le proxénétisme de femmes blanches à l’étranger.
  • [176]
    Article 380, § 1er, 2° du Code pénal.
  • [177]
    Article 380, § 1er, 3° du Code pénal.
  • [178]
    Article 380ter, § 2 du Code pénal.
  • [179]
    Article 380ter, § 3 du Code pénal.
  • [180]
    Moniteur belge, 13 septembre 1948.
  • [181]
    Loi du 6 mai 1965 portant approbation de la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, et le Protocole de clôture, signés à New York, le 21 mars 1950, Moniteur belge, 13 août 1965.
  • [182]
    C’est-à-dire les formes de prostitution qui prennent place dans l’espace public ou sont visibles depuis celui-ci : prostitution de rue, de parc, de bars, de vitrine, de carrée, etc.
  • [183]
    L’antenne bruxelloise d’Espace P est située dans le quartier des carrées. L’association offre un accompagnement des publics prostitués en fonction des demandes. Celles-ci peuvent porter sur des questions de santé, de logement, de médiation de dettes, de recherche de logement, de cours de français, ou encore d’interruption de grossesse.
  • [184]
    Commune de Schaerbeek, Bulletin communal, 149e année, n° 3, séance du 1er avril 2015.
  • [185]
    Administration communale de Schaerbeek, « Règlement de police relatif à la prostitution en vitrine », 22 juin 2011 ; Administration communale de Saint-Josse-ten-Noode, « Règlement de police relatif
    à la prostitution en vitrine », 21 juin 2011.
  • [186]
    En parallèle, la commune de Schaerbeek a adopté un règlement-taxe sur les salons de prostitution et les carrées. Concernant les salons de prostitution, ce règlement a opéré le transfert d’une taxe antérieure exigée aux exploitants vers une taxe sur les établissements, calculée en fonction du nombre de chambres, à hauteur de 8 200 euros par an et par chambre. Concernant les carrées, le règlement a instauré une nouvelle taxe de 1 025 euros par an (somme majorée de 2,5 % chaque année), due par l’exploitant(e) ou, à défaut de paiement, par le propriétaire de l’immeuble ou partie d’immeuble abritant l’activité prostitutionnelle. À Saint-Josse-ten-Noode, il existait déjà un règlement-taxe en vigueur sur les carrées, exigeant une taxe de l’ordre de 650 euros par carrée mais due par les propriétaires et non par les exploitantes.
  • [187]
    Cf. Conseil d’État, Section du contentieux administratif, Arrêt n° 223.696, 4 juin 2013.
  • [188]
    Commune de Schaerbeek, Bulletin communal, 149e année, n° 3, séance du 1er avril 2015.
  • [189]
    Immédiatement après l’obtention du certificat, 7 carrées ont été fermées par la police, après qu’elle y a constaté la prostitution de femmes africaines en situation irrégulière (cf. ibidem).
  • [190]
    Administration communale de Saint-Josse-ten-Noode, « Règlement de police afférant à la prostitution en vitrine », 30 novembre 2015.
  • [191]
    Administration communale de Saint-Josse-ten-Noode, « Règlement-taxe sur les immeubles ou parties d’immeubles appelées “carrées” ; abrogation et adoption d’un nouveau règlement », 30 novembre 2015.
  • [192]
    Administration communale de Saint-Josse-ten-Noode, « Règlement de police afférant à la prostitution en vitrine », 30 mai 2016 ; Administration communale de Saint-Josse-ten-Noode, « Règlement de police afférant à la prostitution en vitrine : modification », 28 mai 2018.
  • [193]
    Conseil d’État, Section du contentieux administratif, Arrêt n° 234.644, 3 mai 2016 et Arrêt n° 244.075, 1er avril 2019.
  • [194]
    La Dernière Heure, 19 février 2018.
  • [195]
    Les préjugés sociaux à l’encontre des prostituées ont de lourdes conséquences sur leurs droits à la sécurité. Par exemple, selon les témoignages de certaines d’entre elles, lorsqu’une prostituée porte plainte pour viol, certains agents de la police jugent qu’il ne s’agit pas d’un viol mais du cas d’un client qui n’a pas payé (La Dernière Heure, 14 juin 2018).
  • [196]
    Myria (Centre fédéral Migration), Rapport annuel d’évaluation 2018. Traite et trafic des êtres humains. Mineurs en danger majeur, Bruxelles, 2018, p. 59-63.
  • [197]
    Het Nieuwsblad, 13 janvier 2018 ; De Standaard, 13 janvier 2018.
  • [198]
    RTBF, 31 mai 2018. En avril 2019, la peine sera finalement réduite à 10 ans en appel (cf. É. Walravens, « De la mama aux proprios : les exploiteurs de filles nigérianes condamnés en appel », https://medor.coop, 3 avril 2019).
  • [199]
    É. Walravens, « Traite sous néons rouges. Exploitation sexuelle des Nigérianes à Bruxelles », Médor, n° 14, printemps 2019, p. 72-79.
  • [200]
    Ibidem.
  • [201]
    Ibidem.
  • [202]
    Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, La traite et le trafic de$ être$ humain$. Lutter contre la fraude sociale, c’est prévenir la traite des êtres humains. Rapport annuel 2010, Bruxelles, 2011, p. 45.
  • [203]
    Myria, Rapport annuel d’évaluation 2018, op. cit., p. 139.
  • [204]
    RTBF Info, 5 juin 2018.
  • [205]
    La Dernière Heure, 6 juin 2018.
  • [206]
    Fédération des services sociaux (FDSS) et Fédération des services sociaux bicommunautaires (FDSSB), Newsletter, n° 23, juin 2018 ; La Dernière Heure, 7 juin 2018.
  • [207]
    RTBF Info, 1er juillet 2018.
  • [208]
    La Dernière Heure, 14 juin 2018.
  • [209]
    FDSS et FDSSB, Newsletter, op. cit.
  • [210]
    RTL France, 6 juin 2018 ; RTL, 5 juin 2018 ; Le Guide social.be, 6 juin 2018 ; La Dernière Heure, 21 juin 2018.
  • [211]
    RTL Info, 5 juin 2018.
  • [212]
    La Dernière Heure, 21 juin 2018.
  • [213]
    La Dernière Heure, 17 décembre 2018.
  • [214]
    La Capitale, 7 janvier 2019.
  • [215]
    La Dernière Heure, 7 juin 2018.
  1. Avant-propos
  2. Introduction
  3. 1. La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2018 : de l’essoufflement à la contestation polychrome
    1. 1.1. L’impossible entente sur les fins de carrière
      1. 1.1.1. Métiers pénibles
      2. 1.1.2. Pension à points
      3. 1.1.3. Pension à mi-temps
    2. 1.2. Un « deal unilatéral » pour l’emploi
    3. 1.3. L’étroitesse de la marge salariale
    4. 1.4. D’une manifestation nationale à des actions décentralisées
    5. 1.5. À côté du vert, du rouge et du bleu, le mouvement des Gilets jaunes et la marche pour le climat
    6. 1.6. Conclusion
  4. 2. La tentative avortée de réforme des points APE en Wallonie
    1. 2.1. Origines du premier processus de réforme
    2. 2.2. Critiques récurrentes à l’égard du dispositif
    3. 2.3. Première tentative de clarification du dispositif
    4. 2.4. Revirement ministériel et refonte globale du projet
    5. 2.5. Enclenchement des premières mobilisations
    6. 2.6. Rupture du front commun
    7. 2.7. Quelques améliorations en troisième lecture
    8. 2.8. Conclusion
  5. 3. Le mouvement social des Gilets jaunes en Belgique : une contestation largement atypique
    1. 3.1. Une émergence belge rythmée sur la naissance du mouvement français
    2. 3.2. Le déroulement des blocages et actions collectives en Wallonie et en Région bruxelloise
    3. 3.3. Gilets jaunes et syndicats : des convergences (im)possibles ?
    4. 3.4. Une désolidarisation majoritaire du mouvement des GJ envers les « casseurs »
    5. 3.5. Vers la répression du droit de manifester ?
    6. 3.6. Conclusion
  6. 4. Grève et mobilisation des prostituées du quartier des carrées
    1. 4.1. Formes de prostitution dans le quartier des carrées
      1. 4.1.1. La législation belge en matière de prostitution
      2. 4.1.2. Les politiques communales et leurs contestations dans le quartier Nord
      3. 4.1.3. La prostitution nigériane dans le quartier des carrées
    2. 4.2. Grève et manifestation au quartier des carrées
      1. 4.2.1. De l’arrêt du travail à la « grève »
      2. 4.2.2. L’issue du conflit du quartier des carrées
    3. 4.3. Conclusion
Iannis Gracos
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Le Groupe d’analyse des conflits sociaux (GRACOS) est un collectif interdisciplinaire ayant pour objectif l’étude des principaux mouvements de grève et autres éléments de la conflictualité sociale qui jalonnent l’actualité de chaque année civile.

Ce Courrier hebdomadaire est consacré aux conflits qui ont marqué l’actualité belge en 2018. Particulièrement significatifs par rapport à l’histoire sociale et aux enjeux futurs, ceux-ci sont regroupés en deux volumes et neuf chapitres. Le premier volume traite des mobilisations transversales. Quatre thèmes y sont étudiés : la conflictualité sociale interprofessionnelle – focalisée, cette année, sur la réforme des pensions et des fins de carrière, sur le jobsdeal décidé par le gouvernement Michel I dans le cadre de la préparation du budget 2019, et sur la négociation de la marge salariale –, la tentative avortée de réforme du dispositif des aides à la promotion de l’emploi (APE) en Wallonie, le mouvement social des Gilets jaunes en Belgique, et la mobilisation des prostituées du quartier bruxellois dit des carrées.

Le GRACOS se compose actuellement de 18 membres : B. Bauraind, A. Bingen, M. Brodersen, J. Buelens, B. Conter, V. Demertzis, A. Dufresne, J. Faniel, C. Gobin, N. Hirtz, C. Leterme, E. Martinez, L. Mélon, P. Reman, M.-C. Trionfetti, K. Vandaele, J. Vandewattyne et C. Vanroelen. La présente étude a été rédigée avec la collaboration de C. Leroij et M. Zune.

Mis en ligne sur Cairn.info le 13/11/2019
https://doi.org/10.3917/cris.2422.0007
ISBN 9782870752180
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