CAIRN.INFO : Matières à réflexion

7. La revendication collective de l’exercice du droit de retrait par les chauffeurs de la STIB : une première dans l’histoire sociale en Belgique

1Lors du premier confinement décidé par les autorités publiques belges dans le cadre de la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19, de mars à mai 2020, les chauffeurs des trois sociétés de transport en commun régionales se retrouvent en première ligne : Opérateur de transport de Wallonie (OTW, qui utilise la dénomination commerciale TEC) en Wallonie, Société des transports intercommunaux de Bruxelles (STIB) en Région bruxelloise et De Lijn en Flandre. Alors que le télétravail se généralise dans nombre de secteurs et de fonctions, ces travailleurs poursuivent leur activité professionnelle dans des conditions sanitaires pour le moins interpellantes, liées aux spécificités des transports publics collectifs (dont la proximité entre les agents et les usagers).

2En mai 2020, époque du déconfinement, une partie importante des chauffeurs de la STIB font collectivement usage de leur « droit de retrait ». Reconnu tant par l’Union européenne  [1] que par l’Organisation internationale du travail (OIT)  [2], le droit de retrait est inscrit dans la législation belge depuis 1992. Il y fait partie des dispositifs spécifiques de protection de la santé au travail en cas de « danger grave et immédiat ». Plus précisément, ce droit est actuellement consacré en Belgique dans l’article I.2-26 du Code du bien-être au travail du 28 avril 2017  [3], qui dispose : « Un travailleur qui, en cas de danger grave et immédiat et qui ne peut être évité, s’éloigne de son poste de travail ou d’une zone dangereuse ne peut en subir aucun préjudice et doit être protégé contre toutes conséquences dommageables et injustifiées »  [4]. Cependant, la mise en œuvre du droit de retrait par les chauffeurs de la STIB en 2020 constitue une première historique en Belgique. Jusqu’alors, semble-t-il, ce droit n’avait en effet jamais été exercé dans le pays (du moins, si tel a été le cas, il n’en subsiste aucune trace). Contrairement à la situation prévalant dans d’autres pays comme l’Espagne, la France, l’Italie ou les États nordiques, le droit de retrait n’avait encore donné lieu à aucun différend soumis aux juridictions du travail en Belgique et il ne figurait pas dans le répertoire belge des actions syndicales.

3L’initiative collective d’une large frange des chauffeurs de la STIB s’explique par le contexte particulièrement anxiogène pour ces travailleurs du déconfinement entrepris en mai 2020. Alors que des consignes très strictes de santé publique générale restent en vigueur, la poursuite du travail (ou sa reprise dans des entreprises ayant interrompu des activités) semble négliger la mise en place d’une prévention efficace adaptée à la spécificité des activités de travail. En revendiquant une meilleure prévention par l’exercice du droit de retrait, les chauffeurs de la STIB poursuivent un double objectif : défendre leur santé et celle de leurs proches, mais aussi celle des usagers. À ce titre, il s’agit de l’un des très rares exemples d’initiative « d’en bas » articulant santé au travail et santé publique dans le cadre de la lutte contre le Covid-19.

4Le droit de retrait n’est pas reconnu par la direction de la STIB, qui fait le choix d’une position forte et clivante face à l’action de ses chauffeurs. In fine, un collectif de 215 chauffeurs porte le différend devant le tribunal du travail de Bruxelles. Il s’agit là d’une démarche assez exceptionnelle dans la mesure où, en Belgique, les différends collectifs relatifs à la santé au travail ne sont généralement pas soumis aux tribunaux.

5Si le conflit oppose une partie des chauffeurs au management de la STIB, une autre ligne de fracture oppose les permanents syndicaux à une partie de leur base, les premiers s’opposant à l’usage du droit de retrait au nom d’accords qu’ils ont conclus avec la direction. Dans une large mesure, le conflit met en lumière un malaise très antérieur à la crise du Covid-19, qui porte sur la démocratie syndicale et sur la forme très spécifique que prend la représentation des travailleurs au sein de la STIB.

6Le conflit a aussi une dimension politique. Au niveau national, il pose la question de l’exercice d’un droit qui peut contribuer à modifier les rapports de force concernant la santé au travail dans les entreprises. À la Région bruxelloise, il interpelle un gouvernement régional qui joue un rôle décisif dans le fonctionnement de cette entreprise publique (dont, en outre, le conseil d’administration reflète les sensibilités politiques régionales  [5]).

7Avec 9 600 travailleurs, dont 5 000 ouvriers, la STIB est le plus grand employeur de cette région. En outre, les habitants des quartiers populaires y sont largement tributaires des transports publics pour leurs déplacements  [6]. En effet, la possibilité ou non de recourir au télétravail durant la crise sanitaire est très connotée en termes de hiérarchie sociale des activités professionnelles. Elle implique souvent une double exposition : au travail et dans les transports en commun pour se rendre sur le lieu de travail  [7].

7.1. La conflictualité sociale à la STIB : rapide mise en contexte

8La STIB a une histoire sociale riche en tensions et en conflits. Les travailleurs de la STIB sont souvent en première ligne lors des mouvements interprofessionnels. D’autres arrêts de travail sont spécifiques à l’entreprise. En la matière, les derniers grands arrêts de travail remontent à 2011 et 2012  [8]. Ils faisaient suite à des agressions contre des chauffeurs et/ou du matériel roulant. Le principal arrêt en termes de nombre de journées non travaillées a découlé de l’agression mortelle dont a été victime Iliaz Tahiray, un superviseur qui était intervenu suite à un accident de roulage impliquant un bus de la STIB : pendant cinq jours, du 7 au 11 avril 2012, les véhicules de la STIB n’ont pas circulé. La sécurité au travail a été l’enjeu majeur de ces actions.

9Ces arrêts de travail ont aussi mis en lumière trois grands axes de tensions. Ils opposaient, avec une intensité variable selon les moments, les décideurs politiques – détenteurs des ressources nécessaires au financement des mesures de sécurité – aux travailleurs et aux syndicats, la direction de l’entreprise aux travailleurs et aux syndicats, et enfin les travailleurs à leurs permanents syndicaux. À titre d’exemple, en avril 2012, le directeur général ad interim de la STIB a souligné « le signal fort » envoyé par le monde politique en matière de sécurité, tout en dénonçant l’attitude des syndicats qui s’étaient, selon lui, livrés à une « surenchère syndicale » en vue des élections sociales. De plus, poursuivait-il, « ils ont perdu le contrôle de leurs partisans. Qu’un travailleur ne croie pas son patron, je peux comprendre. Mais qu’il n’ait pas confiance dans son syndicat, je trouve ça inquiétant. Sur ce point, la direction de la STIB a encore beaucoup de travail à effectuer »  [9].

10Une des particularités de la STIB est d’avoir développé un système de relations professionnelles atypique, dans lequel chaque organisation syndicale dispose, depuis les années 1990, de délégués permanents administrateurs (DPA). Ces personnes exercent leur activité syndicale à temps plein au siège de l’entreprise et restent des salariés de celle-ci. Elles siègent avec voix consultative tant au comité de gestion qu’au conseil d’administration. Mais elles ne siègent pas dans les instances représentatives mises en place conformément à la législation : conseil d’entreprise (CE) et comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT). D’ailleurs, leur mandat ne dépend pas des élections sociales. En effet, les DPA sont désignés « du haut », au sein de leurs centrales syndicales, avec des modalités qui varient d’une organisation à l’autre et qui limitent les possibilités de contrôle par la base. Des tensions existent entre les DPA et certains représentants syndicaux élus, y compris au sein d’une même organisation syndicale.

11Au sein de la STIB, il y a donc une particularité tant au niveau de la conflictualité sociale que de la concertation. Les DPA des trois organisations syndicales tendent à agir en bloc, et leur action est parfois contestée par la base et une partie des représentants syndicaux élus, qui considèrent que les DPA se comportent comme des courroies de transmission du management. Pendant le mouvement de 2020, un des chauffeurs impliqués dans l’action s’exprime en ces termes : « La STIB est devenue un lieu de non-droits syndicaux »  [10].

12En 2011, différents arrêts de travail ont donné lieu à la conclusion d’un accord destiné à renforcer les mécanismes de prévention des grèves sauvages en cas d’agression. S’agissant du dernier arrêt de travail intervenu cette année-là, le texte précise que, bien que la procédure de concertation préalable n’ait pas été respectée, la direction accepte, à titre exceptionnel, de le considérer comme une grève. Il mentionne également la nécessité « d’améliorer les modalités de la concertation d’urgence » et « de clarifier les conditions de spontanéité d’une grève pour qu’elle soit reconnue comme conforme à la [convention collective de travail (CCT)] »  [11]. Très logiquement, cet accord n’envisage pas la question du droit de retrait puisque, légalement, celui-ci n’est soumis à aucune procédure de concertation préalable. En outre, à l’époque de la conclusion de l’accord, aucun précédent n’existait à la STIB quant à une mise en œuvre du droit de retrait. Peut-être les obligations procédurales assez lourdes qui figurent dans l’accord de 2011 afin de limiter le droit de grève sont-elles susceptibles d’avoir contribué, en 2020, au choix de cet outil spécifique qu’est le droit de retrait dans le contexte d’un conflit portant sur la gestion d’un danger grave pour la santé au travail.

13Les trois syndicats interprofessionnels et nationaux sont présents à la STIB et le taux de syndicalisation est très élevé dans l’entreprise. Sur le plan de la représentation syndicale, le conflit de 2020 laissera des traces dans l’entreprise. Lors des élections sociales de novembre 2020, dans un contexte marqué notamment par une mobilisation collective pour couvrir les frais du procès intenté par 215 chauffeurs (cf. infra), la Centrale générale des Services publics (CGSP, affiliée à la FGTB) recule d’un rang, passant en troisième position derrière la CSC-Services publics (qui était déjà sortie en première place des élections sociales de mai 2016) et la CGSLB. Suite à ce scrutin, les sièges au sein du collège ouvrier du CPPT se répartissent comme suit : 5 CSC, 5 CGSLB et 3 FGTB (contre 7 CSC, 4 FGTB et 2 CGSLB quatre ans plus tôt). Si les structures des trois organisations se sont opposées au mouvement de 2020, la FGTB a été la plus virulente et il semble bien qu’elle en subisse les conséquences. Son recul est également lié aux tensions entre DPA et délégués élus de la FGTB qui avaient entraîné le passage d’un de ceux-ci au syndicat libéral. Pour le collège ouvrier du CPPT, elle recueille environ 23 % des voix et obtient 3 représentants contre 5 de la CSC et 5 de la CGSLB. Aux élections sociales de mai 2016, la CSC avait fait élire 7 représentants dans le collègue ouvrier pour le CPPT, la FGTB en avait obtenu 4 et la CGSLB 2. D’ailleurs, l’analyse des voix de préférence paraît confirmer cette interprétation, puisque c’est un candidat de la CSC ayant joué un rôle important dans le mouvement de 2020 qui obtient le nombre de voix de préférence le plus élevé (516), au point d’être réélu au CPPT sans avoir besoin pour cela de recourir à l’appoint des voix exprimées pour la liste.

7.2. Les mesures prises lors du premier confinement

14En Belgique comme dans la plupart des pays, les autorités politiques tardent à prendre la mesure du danger sanitaire représenté par le coronavirus. À la date du 25 février 2020, alors que la maladie s’étend en Italie, la ministre des Affaires sociales et de la Santé publique du gouvernement fédéral Michel I (N-VA/MR/CD&V/Open VLD), Maggie De Block (Open VLD), se veut rassurante et limite ses conseils à la population à des gestes simples : se laver les mains, utiliser des mouchoirs en papier que l’on jette après utilisation et protéger son entourage lorsque l’on tousse ou éternue  [12].

15Le 11 mars, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifie le Covid-19 de pandémie. Le lendemain, le Conseil national de sécurité (CNS) décide de « renforcer le dispositif existant par des mesures additionnelles de distanciation sociale ». À ce moment, l’Europe est devenue l’épicentre de la pandémie. Parmi les mesures adoptées, figure la suspension des cours dans les établissements d’enseignement, l’encouragement des cours à distance et du télétravail, l’annulation des activités récréatives, la fermeture des commerces le week-end, la fermeture des discothèques, cafés et restaurants. Il est aussi demandé aux citoyens de limiter leurs déplacements à ceux vraiment indispensables. Quant aux transports en commun, ils continuent à circuler : ils font partie des services considérés comme essentiels pour répondre aux besoins de la population et de l’économie.

16Dans un premier temps, en dépit des décisions gouvernementales, la STIB ne modifie pas son offre de transport. Toutefois, elle mise sur la conscientisation des voyageurs et sur le respect de certaines consignes sanitaires comme se laver les mains ou éternuer dans son bras. Elle prend aussi certaines mesures, dont la désinfection des cabines et des boutons présents dans les rames et les bus et la suppression de la vente de tickets dans les bus et les trams.

17Face à la dégradation de la situation sanitaire, le CNS décide de confiner le pays à partir du mercredi 18 mars. Les déplacements doivent être limités à l’essentiel : santé, nourriture, banque, pharmacie, poste, essence, aide aux personnes dans le besoin. Les transports en commun continuent de circuler mais doivent s’organiser afin de permettre le respect des mesures de distanciation sociale. Cette fois, la STIB, comme les autres sociétés de transport en commun, annonce une réduction de son offre de transport. Si toutes les lignes restent exploitées, les fréquences de passage sont réduites d’un tiers. D’une part, la STIB doit faire face à un absentéisme de près de 30 % au sein de son personnel, résultant sans doute en grande partie d’une incitation à la prudence. En effet, le personnel est invité à ne pas se présenter au travail « dès l’apparition de symptômes »  [13], et ce même sans certitude d’être malade. D’autre part, le nombre de voyageurs chute littéralement : on comptabilise 75 % de voyageurs en moins dès le lundi 16 mars. À la suite de la fermeture des restaurants, cafés et lieux culturels, les lignes du réseau de bus nocturne Noctis sont supprimées les vendredis et samedis.

18Le 23 mars, alors que la Belgique entre dans sa deuxième semaine de confinement et que de nouvelles mesures sont prises en urgence, les transports publics sont maintenus. Cependant, l’arrêté ministériel portant les mesures d’urgence pour limiter la propagation du Covid-19 précise que les transports en commun « doivent être organisés de manière à garantir le respect des règles de distanciation sociale, en particulier le maintien d’une distance de 1,5 mètre entre chaque personne ».

19On peut distinguer nettement deux périodes en ce qui concerne l’organisation de la prévention contre le Covid-19 à la STIB.

20De la mi-mars à la fin du mois d’avril, des mesures de prévention sont mises en place. Si le management ne respecte pas les modalités légales de consultation des travailleurs, ces derniers parviennent néanmoins à peser sur les décisions. Dans les faits, la STIB ne réunit plus le CPPT à partir du 2 mars 2020. Elle se limite à consulter une délégation restreinte, en s’appuyant sur la réglementation relative aux CPPT qui prévoit la formation d’une délégation restreinte dans un nombre très limité de cas comme l’organisation d’une enquête approfondie périodique sur les lieux de travail ou la réalisation d’une enquête en cas de risque grave  [14]. À partir du 31 mars, c’est même une délégation plus restreinte encore qui est consultée, et ce alors que le règlement d’ordre intérieur n’a pas été modifié. Ainsi, à la réunion du 7 mai 2020 (qui précède immédiatement le conflit social), la direction et les DPA n’invitent que 5 membres du CPPT (3 employés et 2 ouvriers) sur les 21 représentants effectifs élus.

21Durant cette période, les mesures de prévention instaurées ne se limitent plus à la mise en place de barrières hygiéniques. Elles portent surtout sur l’offre de transport (avec des limitations du nombre de passagers dans les véhicules) et sur l’organisation du travail avec la suppression des « horaires coupés » (cf. infra), élément qui est particulièrement important pour les chauffeurs. Par ailleurs, les autorités publiques rappellent régulièrement à la population de n’utiliser les transports en commun que pour des besoins essentiels. Il s’agit principalement de permettre au personnel des services de santé, des magasins d’alimentation et d’autres services dits essentiels de se rendre au travail, et aux particuliers de faire leurs courses et de venir en aide aux personnes fragilisées dans le besoin.

22À la fin du mois de mars, la situation est résumée ainsi par le quotidien Le Soir : « La STIB a diminué son offre de transport. Tout le réseau reste exploité, mais à fréquence réduite. Cette mesure répond à la volonté de limiter les déplacements non essentiels et permet au personnel de conduite de concentrer ses efforts pour répondre aux besoins prioritaires. Pour garantir une distance physique suffisante, la STIB limite le nombre de passagers dans ses véhicules et demande à ses usagers de ne pas s’asseoir les uns contre les autres et de garder suffisamment d’écart entre deux personnes (1,5 mètre). Une attention particulière est donnée aux périodes durant lesquelles s’effectue la majorité des trajets domicile-travail ainsi qu’aux lignes desservant les hôpitaux et lieux de soin. Les lignes Noctis ne circulent plus le vendredi et samedi soir »  [15].

23La situation change vers la fin du mois d’avril. Le 24 avril, le CNS annonce les modalités de sortie du confinement. Celle-ci se déroulera en trois étapes, échelonnées du 4 mai au 8 juin 2020. Dans la stratégie que présente la Première ministre, Sophie Wilmès (MR), la question de la prévention sur les lieux de travail n’est abordée que de façon incidente, en se référant au guide générique intersectoriel  [16] qui vient d’être élaboré dans l’urgence sous l’égide du Groupe des dix  [17]. L’obligation de maintenir une distance de 1,5 mètre dans les transports en commun est levée. Un arrêté ministériel du 30 avril 2020 instaure l’obligation pour les passagers âgés de 12 ans et plus de se couvrir la bouche et le nez avec un masque ou toute autre alternative en tissu. Il est souligné que l’efficacité d’une telle mesure dépend de la qualité du masque et de la manière de le porter. Autrement dit, qu’elle repose sur la responsabilité individuelle de chaque passager.

24Dans la perspective de la réouverture des magasins dits non essentiels, la STIB annonce aussi une augmentation de son offre de transport à partir du 11 mai : « En semaine, elle atteindra (…) 90 % de l’offre proposée en temps normal dans le métro et 85 % pour le reste des transports. Le week-end, les transports circuleront comme à leur habitude »  [18]. Une augmentation des fréquences aux heures de pointe est également prévue. La société de transport en commun bruxelloise recommande toutefois de limiter les déplacements à ceux qui sont « nécessaires » tout en évitant les heures de pointe. La vente de tickets dans les bus et les trams reste suspendue, tout comme l’entrée dans ces véhicules par la porte avant.

25La perspective d’un élargissement de l’offre de transport suscite des inquiétudes importantes parmi le personnel de la STIB, d’autant que des informations circulent qui font état de contaminations parmi les travailleurs. Si la Belgique ne publie aucune statistique sur les groupes socio-professionnels les plus atteints par le Covid-19, les informations en provenance d’autres pays indiquent une surmortalité parmi les conducteurs d’autobus et de taxis. Les incertitudes quant à une nouvelle vague sont très fortes et les commentaires des uns et des autres alimentent l’anxiété d’une partie de la population.

26Afin d’être accompagnée dans la gestion du déconfinement, la direction de STIB met en place un groupe d’experts. Le 30 avril, sans réunir le CPPT, un « accord » est conclu au sein de ce groupe, qui prévoit trois phases : maintien des mesures en place entre le 4 et le 10 mai ; mesures de transition vers les horaires normaux au cours de la semaine suivante (avec des possibilités de dérogation pour les conducteurs qui le désirent) ; retour complet à l’organisation du travail antérieure à partir du 18 mai. Le CPPT n’est pas convoqué mais il est prévu d’organiser une réunion avec la délégation restreinte le 7 mai. Cette réunion n’abordera que les mesures d’hygiène (masques, gel désinfectant, toxicité éventuelle des produits de nettoyage). La direction de la STIB considère que l’organisation du travail relève de ses compétences exclusives et qu’elle a fait l’objet de décisions prises avec l’aval des DPA. Ces derniers s’estiment d’ailleurs liés par l’accord qu’ils ont conclu avec la direction.

7.3. Le recours au droit de retrait

27Le lundi 11 mai, plus de 1 300 conducteurs de bus et de tram, soit près de 40 % des chauffeurs de l’entreprise, envoient un courriel collectif à la direction de la STIB pour signifier qu’ils exercent leur droit de retrait. Le mouvement a un fort impact sur 22 lignes. Les travailleurs réclament le maintien de mesures plus strictes, dont le contrôle du port du masque obligatoire par les voyageurs, la limitation du nombre de voyageurs dans les véhicules et le respect de la distanciation sociale à bord, la fermeture hermétique du poste de conduite (de manière à éviter le port du masque pour le chauffeur), la désinfection du véhicule après chaque service. Il importe de souligner que les chauffeurs qui ont recours à l’exercice du droit de retrait sont présents sur leurs lieux de travail. Cette présence contribue aussi à donner une dimension collective à l’action et à la renforcer.

28L’organisation du travail est au cœur de l’exercice inédit du droit de retrait. En mars, le fonctionnement des lignes de bus avait été réorganisé dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. La direction de la STIB avait alors suspendu le système traditionnel des horaires coupés, qui morcellent la journée de travail et qui voient les conducteurs monter dans le véhicule en cours de parcours. Depuis lors, la rotation s’effectue dans les dépôts, de manière à rendre possible une désinfection des véhicules. Le 2 mai, en vue de l’élargissement de l’offre des transports, la direction de la STIB a annoncé un retour à l’organisation antérieure du travail.

29L’ampleur du mouvement et sa créativité (première application connue du droit de retrait en Belgique) ne peuvent être comprises qu’à partir de la subjectivité des travailleurs qui s’exprime. Le contexte est dangereux. Il est surtout angoissant par le déni ressenti de l’importance des expositions professionnelles et par l’inquiétude que toute contamination au travail puisse être à l’origine d’une chaîne de contaminations parmi les proches. Le contraste entre une santé publique avec des exigences très strictes et une santé au travail au rabais est exprimé dans ces termes par les chauffeurs : « Pourquoi maintenir des centaines de travailleurs plusieurs heures dans les dépôts avec des services coupés qui nous tiendront éloignés de nos familles de 6 heures du matin à 19 heures ? Alors que les écoles sont fermées ! » Un des chauffeurs impliqués déclare au journal parlé de la RTBF : « On a joué avec des mots : les infirmières sont des héros, les chauffeurs sont des héros. Nous, tous, on veut bien rouler. Mais héros et kamikaze c’est deux choses différentes »  [19].

30D’emblée, la direction de la STIB refuse de reconnaître l’exercice du droit de retrait ; les chauffeurs n’ayant pas repris leurs fonctions sont pointés en code 51, c’est-à-dire en absence injustifiée. La pression mise sur les chauffeurs est donc maximale. En effet, l’absence injustifiée entraîne une perte de revenus – correspondant à une absence de salaire pour les jours non prestés – et expose à des sanctions plus graves, dont le licenciement. Pour se justifier, la direction met en avant l’accord conclu avec les DPA des trois syndicats – et, donc, l’existence d’une concertation parallèle aux dispositions légales sur la santé au travail.

31Dans un tract rédigé début mai, le front commun syndical signale qu’il ne « couvrira aucune action pendant la période de Covid-19 », car, à ses yeux, il est important de maintenir [la] mission de service public [de la STIB] et de respecter les mots d’ordre syndicaux »  [20]. Et de fait, aucune organisation syndicale ne couvre l’action des chauffeurs. À cet égard, un DPA de la CGSP, Mohsine Rachik, explique le 11 mai que les syndicats sont tenus par l’accord conclu en front commun avec la direction et qu’ils ont mis en œuvre tout ce qui leur est possible : « Nous avons conclu un accord en front commun avec la direction et nous avons fait le maximum en écoutant les conducteurs, en mettant toutes les mesures de distanciation sociale en place et en mettant les désinfectants à leur disposition. La vente de tickets est toujours interdite à bord des véhicules et les postes de conduite sont isolés et la montée à l’avant est aussi interdite. Donc nous les avons entendus et nous les comprenons, mais syndicalement on ne peut pas les soutenir »  [21].

32Réuni le mardi 12 mai en soirée, le conseil d’administration de la STIB avalise la ligne de conduite de la direction. Pour lui, comme pour la direction, il n’est pas possible de toucher à l’offre de transport. La porte-parole de l’entreprise publique souligne néanmoins que « le dialogue n’est pas rompu » et qu’une solution est recherchée, « mais avec le préalable précité »  [22], c’est-à-dire le maintien de l’offre.

33Une lettre ouverte, signée par plus de 500 agents de la STIB, est adressée au ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale, Rudi Vervoort (PS), et à la ministre régionale bruxelloise de la Mobilité, Elke Van den Brandt (Groen). Le texte reflète la perception du danger grave qu’ont ces travailleurs : « Jusqu’à dimanche passé [10 mai], les services commençaient au dépôt, avec un bus nettoyé et désinfecté, et se terminaient au dépôt où le véhicule était à nouveau désinfecté avant de ressortir du dépôt avec un autre chauffeur. (…) Ces services dépôt–dépôt, comme la suspension des services coupés, nous permettaient d’éviter des déplacements et une exposition inutile et évitable, juste pour y récupérer un véhicule sur ligne que nous pouvions prendre en toute sécurité au dépôt. Ces remplacements sur ligne engendrent un risque encore plus grand, à savoir que l’immense majorité des véhicules circuleront donc du matin jusqu’à minuit, sans le moindre nettoyage-désinfection du compartiment voyageur. (…) L’augmentation de la fréquentation sans limite du nombre de passagers et sans aération correcte des véhicules augmente également le risque de propagation du virus au sein du véhicule et le risque de contamination directe des chauffeurs et des voyageurs. Les masques distribués ne protègent en effet pas contre la contamination du porteur du masque (…). Nous ne voulons pas conduire un bus ou un tram plein à craquer, sans la moindre distanciation sociale, ce qui pourrait nous contaminer ou contaminer les voyageurs. Il y a encore trop de voyageurs sans masque, et pas assez de contrôles sur le réseau pour faire respecter cette obligation, ainsi que la distanciation sociale, ce qui nous met en danger, nous les conducteurs, mais aussi les autres voyageurs. Une paroi hermétique en plexiglas dès que possible nous protégerait encore mieux, comme chez De Lijn, et nous permettrait de ne pas devoir conduire avec un masque pendant six ou sept heures, cela nous étouffe et nous donne des maux de tête. Deux collègues à la STIB ont été aux soins intensifs, 30 chauffeurs de bus à Londres sont morts, plus de 80 conducteurs de métro sont morts à New York ».

34La crainte de voir se généraliser le recours au droit de retrait est alors bien vivace. La question est d’autant plus sensible que le président de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) déclare le 30 avril 2020 : « J’ose (…) dire que l’endroit où vous travaillez est peut-être le lieu le plus sûr pour ne pas être contaminé »  [23]. Cette vision qui minimise le Covid-19 en tant que risque professionnel n’est pas l’apanage du patronat. Ainsi, le 12 mai, le quotidien Le Soir souligne que la question qui se pose en filigrane du bras de fer à l’œuvre à la STIB est celle de savoir si « cette première » inspirera « d’autres professions fort exposées ». La question est politiquement des plus sensibles car une multiplication de l’usage du droit de retrait pourrait modifier les rapports de force dans les entreprises et, plus largement, à l’extérieur de celles-ci. Les entreprises organisent la reprise en se référant aux seules mesures prises par l’autorité politique dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire. Or l’exercice du droit de retrait se fonde sur la perception des travailleurs, leur subjectivité. De la sorte, il est un outil d’intervention directe qui peut remettre en question une organisation du travail ou des mesures de prévention insuffisantes en cas de danger grave et immédiat. Au niveau politique, certains accusent ouvertement le Parti du travail de Belgique (PTB) d’être présent en sous-main, du moins à la STIB, à travers l’un de ses députés régionaux bruxellois : Youssef Handichi, qui est un ancien chauffeur de la société de transport en commun. Ces accusations sont rapidement démenties par le parti.

35Le 12 mai, la STIB réagit très durement, dans l’intention de briser le mouvement. Elle annonce qu’elle appliquera le code 51 (absence injustifiée) aux journées concernées par l’exercice du droit de retrait. C’est la seule information donnée au personnel en retour de l’action. L’importance du mouvement et l’alerte précise donnée par les travailleurs sont niées par cette approche purement disciplinaire, qui reçoit le soutien du gouvernement régional bruxellois.

36Le 14 mai, un accord intervient entre la direction et les DPA des trois organisations syndicales. Cet accord, qui n’a pas été signé, doit être présenté aux travailleurs. Son application est conditionnée « à la reprise immédiate et totale du travail » (selon un communiqué de presse de la direction). Le texte prévoit une série de mesures complémentaires, dont la limitation des services coupés à un par quatorzaine, la possibilité de prendre des jours de congé supplémentaires pour faire face à des obligations privées, la possibilité de prendre le service sur ligne sans passer par le dépôt, l’octroi d’un temps pour désinfecter la cabine lors des remplacements et l’absence d’obligation de porter le masque pour les chauffeurs qui sont seuls dans une cabine. Le nettoyage réalisé dans certains terminus se voit prolongé. Par contre, les sanctions ne seront pas levées. En soirée, la ministre E. Van den Brandt fait part de son espoir de voir « le personnel accepter le projet d’accord » et la STIB « très rapidement reprendre son service indispensable aux Bruxellois et aux visiteurs de Bruxelles »  [24]. Le lendemain, elle rappelle sur les ondes de RTL : « Comme ce n’est pas une grève officielle, ce sont des actions sauvages. Ils ne sont donc pas payés. C’est très dommage mais c’est la réalité. Ce ne sont pas des actions soutenues par les syndicats ». Elle ajoute qu’elle « espère que l’accord convenu hier entre la direction et les syndicats puisse être appliqué. Toutes les choses obtenues dedans sont importantes. Et je pense que cet accord mérite d’être étudié et il faut donner le temps aux employés pour bien le lire ».

37La reprise du travail intervient le lundi 18 mai 2021, soit une semaine après le déclenchement du droit de retrait. C’est la promesse de l’organisation en urgence d’une réunion du CPPT qui a permis de débloquer la situation. Il doit y être notamment question de l’adaptation du poste de conduite et des remplacements sur ligne. C’est un tract rédigé en front commun par les organisations syndicales le 16 mai qui a annoncé la tenue d’un CPPT en urgence. Cependant, le 18 mai, Le Soir précise que le suivi de l’accord ne sera pas effectué par le CPPT mais par les signataires de l’accord, c’est-à-dire le management et les DPA.

38Le 19 mai, le député régional bruxellois Christophe De Beukelaer (CDH) demande l’ouverture d’une enquête interne à la STIB, visant à déterminer les faits, les responsabilités et, le cas échéant, les mesures disciplinaires à prendre. Selon lui, « il y a un problème PTB à la STIB. La tension sociale de cette semaine a été exploitée par quelques personnes très proches du PTB ou fortement influencées »  [25].

39Les accusations politiques négligent l’angoisse réelle du personnel de la STIB face aux risques de contamination. Les 19 et 21 mai, la STIB annonce deux cas de contamination au Covid-19 parmi les conducteurs. L’un d’eux est un chauffeur de bus attaché au dépôt Delta, un dépôt qui a été à la pointe de l’action pour l’exercice du droit de retrait. Dans sa communication, la société de transport insiste sur le respect des procédures, dont le tracing et l’information de la médecine du travail. Il semble également qu’une désinfection des espaces communs dans ce dépôt est réalisée.

40Dans la nuit du 24 au 25 mai, un chauffeur testé positif au coronavirus décède. Sur Facebook, il avait diffusé une copie d’un rapport d’anomalie adressé à sa hiérarchie. Dans celui-ci, il dénonçait l’absence du port du masque par de nombreux chauffeurs durant les temps de conduite ainsi que dans les espaces communs des dépôts. Toujours sur ce réseau social, il avait expliqué avoir repris le travail pour des raisons financières. Parmi les chauffeurs, ce décès ravive les craintes de contamination et réactive les demandes de mesures complémentaires. En réponse, la STIB déclare examiner la possibilité d’organiser une campagne de dépistage interne tout en annonçant, via son porte-parole, qu’elle ne compte pas prendre de mesures supplémentaires lors de la réunion mensuelle du CPPT du 28 mai. Elle veut s’en tenir au protocole d’accord « qui a été signé et dont le suivi a été confié à des groupes de travail »  [26]. De fait, la réunion du CPPT ne donnera lieu à aucune avancée pour les chauffeurs.

7.4. Le recours à la justice

41Le 4 novembre 2020, soit six mois après les faits, un collectif de 215 agents de la STIB  [27] introduit une requête auprès du tribunal du travail de Bruxelles afin d’obtenir la reconnaissance de leur droit de retrait. Pour le collectif, il s’agit d’obtenir l’annulation des absences pointées comme injustifiées, la rémunération des jours de retrait, et le respect des règles de sécurité et de santé au travail, et notamment du rôle des CPPT. Pour la première fois depuis sa consécration dans l’ordre juridique belge en 1992, le droit de retrait est au centre d’un différend soumis à une juridiction du travail. Selon l’un des représentants du collectif, une issue positive pour les travailleurs permettrait « de consolider grâce au procès un droit vital, une protection supplémentaire parmi les outils pour la prévention au travail », et ce pour « l’ensemble du monde du travail en Belgique »  [28].

42Pour l’avocate des plaignants, cette action en justice a un caractère exceptionnel à un titre supplémentaire : « Il est extrêmement compliqué pour des personnes d’introduire une procédure alors qu’elles sont toujours sous contrat de travail. Si on regarde les litiges qui sont introduits au niveau du tribunal du travail, vous constaterez que plus de 90 % de ces affaires sont le fait de travailleurs qui ne sont plus en service auprès de leur employeur. Il est extrêmement rare d’avoir des travailleurs qui osent aller en justice alors qu’ils sont toujours sous contrat de travail avec leur employeur. Donc ça explique évidemment qu’il n’y ait qu’une partie d’entre eux qui osent demander justice sur la question du droit de retrait »  [29].

43Le procès débute le 4 janvier 2021 devant le tribunal du travail de Bruxelles. Au cours des mois précédents, le collectif d’agents a dû faire appel à une souscription publique afin de compenser l’absence de soutien par les organisations syndicales belges  [30]. La première audience est destinée à la mise en état du dossier mais ne porte pas sur le fond. Les avocats de la STIB ont demandé que le procès soit morcelé en 215 procédures individuelles et ont réclamé des délais très longs pour l’échange de conclusions (qui est la partie écrite de la procédure). La présidente du tribunal ne les suit pas en ce qui concerne le morcellement des procès mais elle accepte des délais d’une longueur inhabituelle devant une juridiction du travail. La première audience sur le fond n’aura lieu qu’en octobre 2022. Il est vraisemblable que cette question de procédure reflète un calcul politique de la STIB et du gouvernement régional bruxellois. En cas de victoire judiciaire des travailleurs, leur employeur et les décideurs politiques peuvent espérer que le contexte sanitaire aura changé et que la portée de la décision judiciaire en ce qui concerne la politique de prévention dans l’entreprise sera estompée.

44En parallèle, un chauffeur introduit une action judiciaire individuelle pour faire reconnaître le droit de retrait dans le cadre d’une procédure d’urgence. Cela permet d’éviter les délais considérables qui s’appliquent à l’action collective. Une première audience est fixée au 7 juin 2021 devant le tribunal du travail de Bruxelles. Le travailleur a fini par se désister avant l’audience. Les conclusions déposées par la STIB montrent que l’entreprise reconnaît elle-même n’avoir pas respecté ses obligations de consulter le CPPT conformément à la réglementation existante mais qu’elle estime qu’il ne s’agit que de problèmes formels et que, sur le fond, elle a mis en place une véritable politique de prévention fondée sur des évaluations quantitatives d’un niveau de risque acceptable selon elle. Cette optique semble en contradiction avec les exigences du Code du bien-être au travail, qui n’autorise pas l’employeur à définir ce qui serait pour lui un « risque résiduel acceptable » dès lors que des mesures de prévention permettraient d’éliminer ou de réduire ce risque.

7.5. En guise de conclusion : un conflit qui interroge l’effectivité d’un droit fondamental

45Le droit de retrait est apparu il y a plus de quatre décennies, dans le contexte d’un renouveau des luttes syndicales pour la santé au travail. Il est d’abord né en 1977 aux États-Unis et en Suède. Il a été introduit en 1979 au Canada, tant dans la législation fédérale que québécoise, sous le nom de « droit de refus »  [31]. En France, il fait partie des mesures élargissant les droits collectifs des travailleurs adoptées en 1982 (« lois Auroux »).

46Le droit de retrait s’oppose à la conception selon laquelle, par le contrat de travail, l’employeur dispose d’une emprise sur l’organisation du travail et peut dès lors soustraire les lieux de travail aux règles ordinaires de protection de la vie humaine. Au contraire, il affirme que la vie et la santé ne sont pas plus négociables dans le contrat de travail que dans des accords collectifs. Le droit de retrait concrétise un principe juridique novateur qui justifie une forme d’insubordination dans le travail dès que le droit humain fondamental à la santé et à la vie est menacé. C’est cet intérêt essentiel qui explique que l’exercice de ce droit n’est pas subordonné au soutien préalable d’une organisation syndicale.

47Dès le début de la pandémie de Covid-19, le droit de retrait a joué un rôle important dans de nombreux pays. Ainsi, il a été invoqué en France par le personnel du musée du Louvre dès le 1er mars 2020, alors que le gouvernement français repoussait encore la perspective d’un confinement. Par la suite, ce droit a été exercé à de multiples reprises en Europe comme dans d’autres parties du monde.

48Comment expliquer que l’exercice d’un droit aussi fondamental, et largement reconnu ailleurs dans le monde, ait été contesté en Belgique ? Peu après le mouvement du personnel du Louvre, la RTBF a affirmé : « Cette disposition du droit français n’a pas d’équivalent en Belgique »  [32]. Certes erronée, cette information ne s’appuyait pas moins sur le fait que, jusqu’alors, le droit de retrait était resté ineffectif en Belgique. Ainsi, il n’était pas intégré dans les stratégies syndicales de défense de la santé au travail. Alors que, dans de nombreux autres pays européens, les organisations syndicales ont défini des stratégies judiciaires ayant permis de faire reconnaître ce droit et d’en préciser les conditions d’application, il n’existait encore aucune jurisprudence en la matière en Belgique.

49À cet égard, l’action des travailleurs de la STIB n’est pas sans faire penser à celle des ouvrières de la Fabrique nationale (FN) de Herstal parties en grève en 1966 pour revendiquer l’égalité salariale entre hommes et femmes. Le principe juridique de cette égalité existait déjà, au moins dans le droit européen que la Belgique devait mettre en œuvre. Mais ce n’est qu’après la grève de la FN que des actions judiciaires ont contribué à changer le rapport de force. Et que ce qui n’était qu’un droit sur le papier est devenu un outil de transformation sociale dont nous pouvons mesurer aujourd’hui l’impact historique.

50Au sein de la STIB, le conflit autour du droit de retrait montre des tensions importantes entre les DPA et une partie de leur base. Il fait voir également des tensions fortes entre la direction de la société de transport en commun et une partie importante du personnel en « front office », pour reprendre un terme fréquemment utilisé dans la littérature managériale et académique. La direction, soutenue par le conseil d’administration, a fait le choix d’une position forte et clivante, d’une part, en refusant de reconnaître le droit de retrait et, d’autre part, en usant de la sanction pour faire pression sur les chauffeurs et réduire ainsi l’impact du mouvement. Sur le court terme, elle a réussi à imposer son point de vue sans devoir faire aucune concession de taille. Toutefois, ce conflit, à la charge émotionnelle forte et très atypique par le recours au droit de retrait, est et restera longtemps dans la mémoire collective de l’entreprise publique. En outre, il est loin d’être terminé, comme l’indiquent les actions actuellement menées en justice. Les décisions judiciaires qui seront prises joueront un rôle important dans l’apaisement ou non du climat social au sein de la STIB. Elles feront aussi date par rapport à l’exercice réel du droit de retrait en Belgique. En rencontrant les demandes des travailleurs de la STIB, la justice faciliterait l’usage effectif de ce droit en Belgique. Et même si tel ne devait pas être le cas, ce ne serait alors sans doute que partie remise. Il serait en effet difficile et incompréhensible de maintenir la Belgique à l’écart d’une norme reconnue au niveau européen et international.

8. Audi Brussels : formes et dynamiques des conflits du travail en période de Covid-19

51Au cours de l’année 2020, l’usine de construction automobile Audi Brussels (située à Forest, en Région bruxelloise, et employant alors plus de 3 700 personnes  [33]) a connu divers conflits du travail. Sans surprise, certaines de ces mobilisations ouvrières intervenues dans l’implantation belge du groupe allemand Audi ont été liées aux impacts de la pandémie de Covid-19 sur les conditions de travail. Globalement, des tensions sont apparues entre, d’un côté, une recherche de profitabilité accrue de la part de la direction et, de l’autre côté, la volonté de garantir davantage de sécurité pour les salariés et salariées de la part des syndicats et des travailleurs et travailleuses. L’évolution de l’activité de différents sous-traitants et des dynamiques ouvrières ayant cours en leur sein ont également eu des répercussions sur la situation de l’usine Audi Brussels ; en particulier, tel a été le cas de l’entreprise Weerts Supply Chain (WSC).

8.1. Des tensions autour des fournisseurs

52L’année 2020 commence de manière relativement tendue au sein de l’usine Audi Brussels, avec deux séries d’événements que la direction lie à des problèmes de fournisseurs.

53Tout d’abord, à la fin du mois de janvier, la direction annonce une réduction de la production : une diminution d’ entre 4 100 et 5 700 voitures est prévue pour le premier trimestre, et ce alors qu’une croissance des volumes (de 20 à 24 voitures à l’heure) avait été précédemment augurée et que des embauchements avaient été réalisés en conséquence  [34]. Le management met en cause des problèmes de fourniture de pièces, notamment en ce qui concerne les composantes de batteries provenant d’entreprises comme LG Chem (implantation polonaise du groupe sud-coréen LG Corp) et Samsung  [35]. Les impacts sur les travailleurs et travailleuses sont conséquents : 16 jours de chômage économique par équipe et l’arrêt de la production de batteries pendant la nuit. En outre, 145 intérimaires ne sont pas réembauchés, tandis qu’une centaine d’autres sont considérés comme constituant un sureffectif. Les syndicats rencontrent la direction le 29 janvier. La FGTB veut limiter le nombre d’intérimaires touchés par les mesures et demande une garantie d’emploi jusqu’en 2025, comme cela a d’ailleurs été accordé pour les travailleurs et travailleuses de la maison mère en Allemagne  [36]. La tension est importante, étant donné le passé d’une partie des salariés et salariées les plus anciens, qui ont vécu la sérieuse menace de fermeture du site lors de la restructuration de Volkswagen Forest en 2006 et avant la reprise par Audi en 2007  [37].

54Ensuite, fin février, l’usine est de nouveau à l’arrêt pour des problèmes que la direction impute aux fournisseurs (manque de feux arrière et de pare-soleil  [38]). Le porte-parole de l’usine de Forest indique qu’il ne s’agit pas d’un problème lié à la pandémie de Covid-19. Cependant, le contexte en Chine est bien celui du nouveau coronavirus SARS-CoV-2, et les chaînes logistiques sont mises à l’épreuve, occasionnant des retards de livraison  [39]. La direction d’Audi Brussels décide alors de fermer la majorité des départements de l’usine pour 5 jours et prévoit un maximum de 16 jours de chômage économique ; la possibilité d’une reprise sera évaluée au jour le jour.

8.2. Première vague, grève et négociations

55C’est dans ce contexte déjà difficile qu’un arrêt de chaîne spontané se produit à Audi Brussels le 16 mars, en parallèle avec les premières mesures gouvernementales visant à faire face à la pandémie et les premières fermetures d’entreprise. Les travailleurs et travailleuses de l’usine se mettent en grève en raison des risques de contamination, qui leur semblent trop importants pour continuer la production. Ils dénoncent les contacts fréquents et nombreux que requiert le travail en usine, et revendiquent que la direction prenne des mesures permettant de sécuriser leur espace de travail. Les syndicats soutiennent les salariés et salariées, et rencontrent la direction dans la matinée du 16 mars. La décision est prise d’annuler la rotation (« shift ») de l’après-midi.

56Dans la soirée, la FGTB et la CSC annoncent qu’elles couvriront les personnes voulant continuer la grève ; la direction accepte alors de renoncer à toute production pour le lendemain (cette décision étant sans doute facilitée par le fait que la mise au chômage économique des travailleurs et travailleuses avait déjà été prévue pour cette même période, en raison des problèmes de fournitures non résolus).

57Par ailleurs, les 16 et 17 mars, des réunions se tiennent entre les syndicats et la direction générale du groupe Audi en Allemagne pour déterminer les mesures à prendre contre la pandémie. Finalement, c’est le groupe Volkswagen (dont Audi est une des filiales) qui prend la décision de fermer la majorité des usines pour cause de Covid-19.

58Au début du mois d’avril, l’usine Audi Brussels est toujours à l’arrêt. Certains ingénieurs et équipements ont certes été temporairement mobilisés pour appuyer un projet de la Vrije Universiteit Brussel (VUB) visant à développer un prototype de respirateur (destiné au traitement de personnes malades du Covid-19) basé sur un moteur d’essuie-glace. Mais l’activité centrale de production de voitures est pour sa part arrêtée depuis deux semaines. La direction d’Audi Brussels annonce vouloir reprendre la production après les vacances de Pâques, grâce à la mise en place de certaines mesures. Cependant, la FGTB s’y oppose : selon elle, le risque est trop important et les mesures de la direction insuffisantes. Gregory Dascotte, permanent FGTB Audi Brussels, indique qu’une reprise de la production ne sera pas envisageable tant que le confinement ne sera pas terminé  [40].

59À la mi-avril, la direction continue à préparer l’usine en vue d’une reprise après les vacances de Pâques. Elle annonce des mesures telles que la distribution de gants, de gel hydroalcoolique et de masques aux salariés et salariées, la réorganisation des espaces de pause pour respecter la distanciation sociale, la mise en place de vitres en plexiglas et de films plastiques entre les personnes sur la chaîne et dans les espaces de pause, la ventilation des espaces de travail, un allongement des pauses pour pouvoir se laver les mains et la mise en télétravail des employés de bureau. Fait qui semble relativement rare, l’usine installe également son propre centre de dépistage interne.

60Les syndicats répondent en front commun qu’ils s’opposeront à une reprise avant la fin du confinement. Parallèlement, des pressions externes en faveur d’une reprise de la production chez Audi Brussels se font sentir. Lors de discussions sectorielles se tenant sans les syndicats, la direction tente d’influencer le monde politique en sa faveur par l’intermédiaire de l’organisation patronale du secteur de l’industrie technologique, Agoria. Les délégués de l’usine l’apprennent indirectement par leurs centrales respectives, ce qui crée de nouvelles tensions et incite d’autant plus les syndicats à ne pas accepter de reprise avant la fin du confinement.

61Le 20 avril, la production reprend partiellement dans l’usine Volvo à Gand, concurrent d’Audi dans le domaine des modèles électriques. Or l’usine de Forest est le seul site du groupe Audi à produire des modèles électriques, ce qui rend sa relance d’autant plus cruciale dans la compétition sur les marchés automobiles internationaux. Les 29 et 30 avril, des tests de reprise sont effectués dans l’usine de Forest, mobilisant un millier de travailleurs et travailleuses. Les résultats sont jugés concluants par les différents interlocuteurs sociaux. La reprise – à deux équipes au lieu de trois, soit sans recourir aux capacités totales de l’usine – a lieu le lundi suivant, 4 mai 2020.

8.3. Après la reprise, des problèmes subsistants chez Audi Brussels et ses sous-traitants

62Dans les mois qui suivent, certains problèmes liés à la pandémie interviennent au sein d’Audi Brussels. Ils concernent entre autres les membres du personnel identifiés comme positifs au Covid-19. La direction applique une politique relativement stricte dans de tels cas, testant les salariés et salariées et écartant les personnes au moindre symptôme (en les renvoyant immédiatement chez elles par le moyen de chèques-taxis). La mesure pose rapidement de sérieux problèmes de personnel ; à certains moments, il y aurait jusqu’à 400 travailleurs et travailleuses en quarantaine. Des intérimaires figurant sur une liste de réserve sont alors mobilisés, ce qui permet à l’usine de fonctionner malgré tout. La direction accède à la demande formulée par les syndicats que les jours de maladie dus au contexte particulier de la pandémie ne soient pas comptabilisés dans les bilans d’évaluation des salariés et salariées.

63Pour sa part, le gouvernement fédéral fait en sorte que l’inscription au chômage économique puisse être réalisée par voie électronique, rendant les procédures plus rapides. L’absentéisme est conséquent parmi les personnes en contrat fixe, c’est-à-dire celles susceptibles de bénéficier du chômage économique. La direction d’Audi Brussels mise également sur les intérimaires pour pallier cette pénurie de main-d’œuvre (les intérimaires ne peuvent pas se permettre de prendre le risque de refuser, sous peine de potentiellement devoir renoncer à être embauchés sur le site dans l’avenir).

64Des tensions interpersonnelles se font sentir autour de la question sensible du risque d’une contamination. Elles sont notamment liées à la proximité physique avec d’autres personnes dans de nombreux postes de travail, due à la manière dont la production est organisée, ou au fait que les travailleurs et travailleuses n’appliquent pas de la même manière les mesures d’hygiène (par exemple, quant à la manière de placer son masque sur son visage, en couvrant correctement ou non le nez et la bouche, ou de procéder à la désinfection des espaces de travail). Cela provoque parfois des arrêts de chaîne, lorsqu’un mouvement de panique gagne les salariés et salariées. De plus, l’application de mesures sanitaires va à l’encontre de certaines habitudes du management et des intérêts économiques. Ainsi, des travailleurs et travailleuses sont amenés à devoir défendre leur droit à des mesures sanitaires de qualité directement avec leur manager, au besoin en mettant la pression sur celui-ci pour l’inciter au respect des protocoles. Toutefois, il semble que, de manière générale, les syndicats sont relativement satisfaits de la manière dont la direction réagit durant cette période sur les questions liées au Covid-19. Il est à noter, concernant les négociations internes à l’usine relatives aux mesures sanitaires, que le comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT), en charge des questions liées à la sécurité des travailleurs, devient un lieu de négociation bien plus important qu’auparavant.

65Des tensions sont aussi observées chez Weerts Supply Chain (WSC), sous-traitant en charge d’une partie importante de la logistique de l’usine Audi Brussels concernant la réception, la préparation et le traitement des déchets des pièces destinées à être montées sur les voitures construites à Forest. La direction de WSV décide d’appliquer les mêmes mesures que son principal client. La distanciation sociale pose aussi problème, en raison de la nécessité de travailler à proximité d’autres salariés et salariées dans les tâches effectuées. En effet, s’agissant d’une chaîne de fabrication, il est de nombreux postes qui sont distants entre eux de moins de 1,50 mètre ; en outre, le télétravail n’est bien entendu pas envisageable. Des tensions éclatent aussi autour de la question de l’approvisionnement en masques et en gel hydroalcoolique. La direction chercherait à économiser sur la qualité du matériel de protection face au Covid-19 (le produit fourni serait hors normes et provoquerait des brûlures cutanées). Les syndicats parviennent à obtenir une amélioration des équipements mis à la disposition du personnel. La question du port du masque se pose également, les travailleurs et travailleuses demandant à pouvoir prendre des pauses durant la journée pour pouvoir respirer quelques minutes sans masque. La direction d’Audi Brussels, usine qui dépend directement du travail de sous-traitance de WSC, fait pression pour que ce ne soit pas le cas et que la production se poursuive à un rythme soutenu. Les salariés et salariées de WSC entament plusieurs courts arrêts de travail afin d’appuyer leur revendication, qui est finalement acceptée.

66Au sein de WSC, la gestion des cas de contamination en interne représente également une source de tension et de conflit durant les mois qui suivent la reprise du travail. À différentes reprises, la révélation d’un ou plusieurs cas de personnes testées positives au Covid-19 provoque une vague de panique dans l’usine ; certains travailleurs et travailleuses se mettent en quarantaine, tandis que d’autres entament une grève visant à réclamer des mesures sanitaires les protégeant davantage d’un risque d’infection au coronavirus. De manière générale, la direction de WSC opte pour l’évaluation au cas par cas des situations personnelles et des mesures à prendre. Dans certains cas, elle fait appel à la direction d’Audi Brussels afin qu’une partie de son personnel puisse bénéficier des services du centre de dépistage récemment installé sur le site forestois. De nombreux salariés et salariées restent relativement insatisfaits des mesures de prévention et de traçage qui découlent de cette attitude de la direction, notamment quant au fait qu’elles sont effectuées sur le lieu de travail et non au domicile des travailleurs. Les syndicats regrettent l’absence de règle collective et applicable à tous et toutes, situation qui laisse selon eux la porte ouverte à des abus de pouvoir.

67Enfin, l’enjeu de l’espace de travail disponible – au-delà de la simple question de la distanciation sociale – apparaît également au cœur de tensions entre Audi Brussels et WSC et sont à la source de mobilisations ouvrières. Depuis plusieurs années, WSC loue une partie de l’Automotive Park (site dédié aux sous-traitants de l’usine forestoise) à Audi Brussels, qui en est le propriétaire. Cette relation implique que WSC doit recevoir l’accord d’Audi Brussels – qui est pour rappel son principal client – avant toute transformation significative. Or un problème grave de manque d’espace est pointé du doigt par les syndicats de WSC comme étant la cause principale d’un taux particulièrement élevé d’accidents du travail. Le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale aurait même été amené à intervenir au cours des dernières années pour trouver une solution, signe que la situation était déjà fort préoccupante avant le Covid-19. Les syndicats et les salariés et salariées de WSC revendiquent donc davantage d’espace auprès de leur direction et auprès de la direction d’Audi Brussels. La situation est d’autant plus inacceptable à leurs yeux que des espaces de l’Automative Park sont régulièrement vides, étant gardés disponibles par Audi Brussels pour pouvoir les utiliser en cas de besoin occasionnel (par exemple, en guise d’espace de stockage).

68Après le premier confinement, les salariés et salariées de WSC revendiquent particulièrement des espaces supplémentaires aménagés pour leurs pauses. En effet, les risques de contamination les ont incités à manger dehors ou dans des containers externes jugés inconfortables. De nouveau, la demande n’est pas nouvelle mais devient d’autant plus visible et sensible en cette période de pandémie, poussant les travailleurs et travailleuses à l’action collective.

8.4. Le projet du travail le samedi : la goutte de trop

69En octobre 2020, un nouveau conflit important émerge au sein de l’usine Audi Brussels. La direction fait part de sa volonté que les travailleurs et travailleuses ayant des horaires en semaine prestent trois samedis par équipe entre novembre et décembre. Elle justifie cette position par un manque de production de près de 2 000 voitures par rapport aux volumes prévus et par la pression qu’exerce sur elle la maison mère allemande à cet égard. Après avoir initialement opposé un refus, les syndicats négocient un projet d’accord consistant en deux samedis par équipe avec une récupération à 150 % et 150 euros de chèques à la consommation. Lorsque les délégués syndicaux, de la FGTB comme de la CSC, présentent ce texte obtenu aux travailleurs et travailleuses, ceux-ci se mettent en arrêt de travail spontané. Ils sont en colère contre les syndicats d’avoir accepté un tel projet d’accord. Ce mécontentement est aussi lié à une accumulation de mesures relativement contradictoires : la direction demande de travailler les samedis alors que, dans le même temps, elle recourt au chômage économique en raison des problèmes d’approvisionnement qui subsistent et que des négociations relatives aux récupérations se tiennent avec les interlocuteurs sociaux. In fine, l’idée d’imposer le travail les samedis est abandonnée.

70Les tensions autour de la question du travail le samedi semblent correspondre à un schéma relativement classique de stratégie patronale, sans lien direct avec la pandémie. Le Covid-19, le confinement et les bouleversements socio-économiques y relatifs n’ont pas refaçonné les relations industrielles du tout au tout. Cet épisode montre également que, en dépit de l’adoption d’un modèle de négociations relativement consensuel depuis la reprise de l’usine de Forest par le groupe allemand Audi en 2007  [41], ni les tensions en termes de conditions de travail et d’emploi, ni les conflits du travail n’ont disparu de l’entreprise. Alors que certains voient les négociations tenues au sein du CPPT et celles relatives aux mesures sanitaires comme les preuves du succès de ce modèle, il semble que la place davantage valorisée des syndicats dans les processus de prise de décision soit aussi parfois à la source de certaines tensions entre les salariés et salariées et les organisations syndicales.

71Dans la suite de l’année, des signes de tension restent perceptibles, soit une situation fort différente du discours optimiste de l’administrateur délégué (chief executive officer) d’Audi Brussels, Volker Germann  [42]. Cependant, tant Audi Brussels que WSC évitent les conflits majeurs.

8.5. Conclusion

72L’année 2020 a été relativement conflictuelle pour les travailleurs et travailleuses de l’usine Audi Brussels et de ses sous-traitants. Dès le début de l’année, des tensions émergent autour de la question des retards de fournitures. Déjà, un impact du Covid-19 sur les chaînes logistiques et donc sur les espaces de production se fait jour. Ensuite, le risque de contamination et la gestion de cette situation totalement nouvelle que constitue la pandémie induisent une conflictualité entre les salariés et salariées et la direction sous des formes particulières et en des lieux spécifiques. On assiste à des arrêts de chaîne et à des négociations en lien avec l’application de diverses mesures sanitaires ; le comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT), en charge des questions liées à la sécurité des travailleurs, devient en outre un lieu de négociation bien plus important qu’auparavant.

73Plus largement, c’est une véritable tension qui s’établit autour de la gestion de la situation d’urgence que représente le Covid-19 entre, d’une part, l’intérêt de maintenir une certaine profitabilité et productivité de l’entreprise et, d’autre part, la volonté de minimiser les risques pour les travailleurs et travailleuses. Cette contradiction fondamentale mobilise les interlocuteurs sociaux de différentes manières. La direction met en place une série de mesures (dont des tests) et mobilise des acteurs externes afin de faire pression en faveur de la reprise de la production. Les syndicats et les salariés et salariées négocient et entreprennent des actions collectives pour défendre leur droit à un espace de travail sécurisé.

74Après la reprise, une série de problèmes s’expriment, tant chez Audi Brussels que chez WSC, sous-traitant dont les activités sont directement liées à celles de l’usine forestoise. Temps et espaces de travail sont réorganisés afin d’intégrer diverses mesures sanitaires tout en maintenant un certain degré de productivité. Outre les problèmes internes aux deux entreprises, les relations entre Audi Brussels et WSC sont également au cœur de plusieurs conflits. Dans ces cas également, se donne à voir une tension entre des intérêts de profitabilité – que ce soit de la part de la direction de WSC ou de celle d’Audi Brussels – et la sécurité des travailleurs et travailleuses. Cette tension est à la source de plusieurs actions collectives.

75En ce qui concerne les perspectives, les années à venir ne semblent pas réjouissantes pour l’usine Audi Brussels. La baisse des ventes durant l’année 2020 et une potentielle diminution de la production à l’avenir, la place des syndicats dans un modèle relativement consensuel de relations collectives (bien que conservant une part de conflictualité), la réduction du nombre de contrats à durée indéterminée en Allemagne, la généralisation du travail intérimaire (avec la renégociation de la nouvelle convention intérimaire en 2021) et la compétition interne entre les différentes usines du groupe Audi pour décrocher un contrat de production d’un nouveau modèle sont autant d’enjeux pour le futur.

9. AB InBev : le brassin de la colère

76En septembre 2020, en pleine pandémie de Covid-19, les travailleurs du service logistique de la brasserie AB InBev à Jupille-sur-Meuse ont mené deux semaines de grève – dont ils sont sortis victorieux – pour le respect des mesures sanitaires sur leur lieu de travail. Ce conflit a été le théâtre d’une forte politisation, dépassant largement le cadre particulier d’AB InBev. Notamment, il est à souligner que les travailleurs ont revendiqué un rôle central dans la définition et la mise en œuvre de mesures de sécurité au travail.

9.1. Un géant brassicole et une délégation syndicale combative

77AB InBev est une entreprise multinationale de production de bière dont le siège social se trouve à Louvain. Le groupe, numéro un mondial en volume de bière brassée, résulte d’une série de fusions et acquisitions commencée en 2004 par la fusion entre l’entreprise belge Interbrew  [43] et le brésilien AmBev. Sa croissance s’est poursuivie au cours des années suivantes avec notamment l’acquisition d’Anheuseur-Busch (États-Unis, 2008), Grupo Modelo (Mexique, 2012), Oriental Brewery (Corée du Sud, 2015) et SAB Miller (Royaume-Uni, 2016).

78Le groupe est contrôlé par les différentes branches des familles historiquement actionnaires d’Interbrew (Spoelberch, de Mévius et Vandamme), rassemblées depuis les années 1990 dans un pacte d’actionnariat. Sa gestion opérationnelle est confiée à des managers professionnels. En 2019, les revenus de l’entreprise s’élèvent à 52,33 milliards de dollars (soit 57,56 milliards d’euros).

79Le site de Jupille-sur-Meuse est l’une des 260 brasseries du groupe, qui en compte cinq en Belgique. Avec ses 760 employés, elle produit les différentes déclinaisons des bières Jupiler et Piedboeuf, ainsi que de la Stella Artois pour le marché américain (en soutien au site de Louvain).

80Tout au long des années 2000 et 2010, la croissance de l’entreprise s’accompagne de délocalisations et de restructurations occasionnant une conflictualité sociale chronique  [44]. On pointera à cet égard le dur conflit de l’hiver 2010 : dans un contexte de croissance des bénéfices, l’annonce de la suppression de 260 emplois en Belgique est mal reçue. La grève dure plus de deux semaines dans les différentes implantations belges. À Jupille, elle se traduit par un blocus du site, la séquestration de la direction et la distribution de bières devant l’usine. La durée du conflit menace l’approvisionnement en bière des cafés et de la grande distribution, contribuant à la visibilité du mouvement et au soutien d’une partie du monde politique. Finalement, le mouvement se solde par une révision à la baisse du nombre de licenciements (80). Cet épisode est un jalon dans l’histoire de la délégation FGTB, syndicat historiquement majoritaire dans l’entreprise  [45] : ainsi, la banderole de 2010 sera accrochée sur le piquet de grève lors du mouvement de 2020.

9.2. Des manquements sanitaires à l’origine de la grève

81Entre novembre 2019 et janvier 2020, une série d’arrêts de travail, de grèves et de blocages débouchent sur une convention collective de travail (CCT) réglant des problèmes de paiement des salaires, offrant des garanties sur la sécurité de l’emploi et, surtout, maintenant le salaire dans son intégralité en cas de chômage économique. Rapidement, ce dernier point se révélera important : dès le mois de mars 2020, la direction accédera aux demandes des syndicats de maintien du salaire lors des placements en quarantaine.

82La gestion de la pandémie de Covid-19 ouvre un nouveau conflit. Pour les syndicats, les mesures de sécurité prises par l’entreprise sont insuffisantes : il manque des masques de protection et du gel hydroalcoolique, aucune protection en plexiglas n’a été installée, rien n’est prévu en termes de tests et de traçage des cas positifs . De mars à août 2020, les représentants syndicaux demandent à la direction, via le comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT), de remédier à ces manquements, mais sans succès.

83Les derniers jours d’août voient la situation s’aggraver. Deux personnes du secteur logistique de l’usine  [46] sont testées positives au Covid-19. La direction est prévenue mais le service interne pour la prévention et la protection au travail (SIPP) ne prend aucune mesure de suivi de leurs contacts. Quelques jours plus tard, une dizaine de cas sont avérés. Le délégué principal FGTB-Horval (horeca et alimentation) du site, José Borrego, raconte : « Quand on a appris cela, j’ai contacté la directrice des ressources humaines (DRH) pour qu’elle informe les travailleurs et réponde à l’inquiétude grandissante au sein de l’entreprise. Elle m’a répondu qu’elle allait s’en occuper directement. Une heure après, le chef de la logistique m’appelle et me dit : “José, il faut que tu viennes avant que je ne fasse une communication”. Je me dis qu’elle a tenu parole et qu’elle lui a demandé de faire passer le message. Mais il me raconte que la directrice des ressources humaines a fait pression... pour qu’il ne parle pas aux travailleurs ! Donc non seulement elle a menti en disant qu’elle allait informer les travailleurs, mais elle a tenté d’empêcher la diffusion de cette info ! »  [47]

84Le 28 août, J. Borrego envoie un message à la directrice des ressources humaines, avec un ultimatum : si des mesures de protection et de testing ne sont pas prises sous une semaine, la FGTB appellera à la grève. Entre-temps, un médecin du travail œuvrant sur le site d’AB InBev à Jupille lance un appel sur un groupe WhatsApp de médecins de la région, expliquant qu’un cluster est en train de se développer au sein de l’entreprise . Cet appel est entendu par la maison médicale d’Herstal, par ailleurs membre du réseau Médecine pour le Peuple (MPLP, lui-même lié au Parti du travail de Belgique - PTB), qui prend contact avec les délégations FGTB et CSC pour proposer un testing général. Ce n’est pas la première fois que ce réseau s’illustre par une médecine « qui dépasse les murs de la maison médicale » : depuis le début de la crise sanitaire, les maisons médicales sont impliquées dans les campagnes de vaccination dans les maisons de repos, dans le testing d’accompagnateurs de train et dans les protocoles de réouverture des lieux culturels.

85La négociation entre la maison médicale, les syndicats et la direction de l’usine est compliquée.

86Avant, pendant et après le conflit, la direction n’a de cesse de nier l’existence d’un problème de sécurité au travail. Longtemps, elle ne communique pas sur les contaminations et minimise sa responsabilité en tant qu’employeur. In fine, elle rejette la faute sur les comportements individuels des travailleurs, indiquant être impuissante si les travailleurs prennent leur repas ensemble et font du covoiturage. Face au rapport de force qui commence à s’installer et à l’arrivée de MPLP dans la discussion, la direction propose de tester les travailleurs par groupes de dix pour éviter un impact sur la production. Au contraire, les délégations syndicales souhaitent, en accord avec la maison médicale, que l’entièreté des membres du service logistique soient testés en une fois. Dans un second temps, le service des ressources humaines d’AB InBev déclare ne pas avoir besoin de la maison médicale, tout en affirmant en parallèle que celle-ci n’a pas les capacités nécessaires pour intervenir. Finalement, la délégation syndicale parvient à imposer le testing externe.

87L’équipe médicale de MPLP se rend sur le site dans la matinée du 3 septembre et commence le testing. Dans l’après-midi, entre 17 et 18 heures, les travailleurs apprennent l’hospitalisation, dans un état grave, d’un de leurs collègues. L’émotion est très grande  [48] et précipite de quelques jours le déclenchement de la grève par la FGTB. Le blocage du site est organisé au moyen de remorques. La première réaction de la direction de l’entreprise est de satisfaire l’une des revendications syndicales : en début de soirée, elle fait procéder à une désinfection des locaux par une entreprise spécialisée.

9.3. Un conflit tendu, entre pression de la direction, forte mobilisation syndicale et politisation

88Une première réunion a lieu le lendemain, 4 septembre. À leurs revendications de mise en place de protocoles de sécurité plus stricts et d’équipements adéquats, les syndicats ajoutent désormais deux éléments supplémentaires : d’une part, la réalisation d’un audit sur la gestion de la situation sanitaire et, d’autre part, le déplacement vers un autre site du groupe de la responsable en charge des ressources humaines et du conseiller en prévention responsable du fonctionnement du SIPP. La FGTB estime que leur travail a été insuffisant et que la confiance est rompue. Le secrétaire régional FGTB, Patrick Rehan, déclare : « Les personnes qui n’ont pas bien géré la situation n’ont plus leur place ici »  [49]. Cette revendication directement relative à l’organisation de l’entreprise reflète l’état d’esprit des travailleurs : à de nombreuses reprises, ils estiment être les mieux placés pour savoir ce qui doit être fait en matière de protection sanitaire et veulent assumer un rôle décisionnaire. Cela se retrouve également dans la demande des syndicats d’être impliqués dans l’audit.

89Cette première réunion n’apporte aucune avancée, la direction estimant avoir fait tout ce qu’elle était légalement tenue de faire et contestant l’existence de manquements. Une position qu’elle maintiendra tout au long du conflit, et qu’elle maintient encore. L’inspection du bien-être au travail, qui visitera l’entreprise le 7 septembre, semblera tout d’abord lui donner raison.

90Pendant le week-end des 5 et 6 septembre, la direction charge une entreprise de transports externe, accompagnée d’huissiers, de lever le blocage en déplaçant les remorques qui entravent la circulation. En parallèle, des messages sont envoyés aux travailleurs pour les inciter à reprendre le travail. Dans la nuit du lundi 7 au mardi 8 septembre, les huissiers se présentent à nouveau sur le piquet de grève, porteurs désormais d’astreintes de 2 500 euros par jour et par personne. La direction a obtenu une ordonnance du tribunal de première instance de Liège exigeant la levée du blocage, en arguant du fait qu’un grand nombre d’employés sont empêchés de travailler et que les confrontations entre employés créent « des situations et des contacts dangereux qui violent [les] lignes directrices internes et gouvernementales Covid-19 ». La FGTB décide donc de faire reculer les remorques qui bloquaient l’accès aux camions, mais elle fait constater par l’huissier que les grévistes ne bloquent pas l’entrée au personnel et qu’aucun d’eux n’a souhaité reprendre le travail suite aux invitations de la direction  [50].

91Des contacts semblent avoir été pris avec la CSC afin de présenter un front commun syndical face à la direction, mais sans résultat probant puisque le syndicat chrétien ne cautionne ni la grève ni le blocage et privilégie la poursuite du dialogue avec la direction. Un certain nombre d’affiliés de la CSC ne suivent pas leurs délégués et participent tout de même aux piquets. Pendant la suite du conflit, une animosité se développe entre les deux syndicats : la CSC accuse la FGTB d’entretenir le conflit dans la perspective des prochaines élections sociales  [51]. Profitant de ces divisions, la direction interdit aux délégués FGTB d’accéder à une réunion d’information que la CSC organise à destination de l’ensemble du personnel.

92Le 8 septembre, en dépit de cinq heures de discussions, aucun accord de fin de conflit n’est conclu. La FGTB estime que la direction, malgré ses discours, n’agit pas concrètement pour régler les problèmes de gestion de la situation sanitaire dans l’usine. En outre, le syndicat socialiste réclame toujours l’écartement des responsables de l’usine , au moins le temps de l’audit, ce que la direction refuse. Le principe d’un audit externe chargé d’estimer si des manquements sont à déplorer est acté par les participants. Si cela satisfait la CSC, la FGTB considère que cet audit prendra du temps et ne réglera pas les problèmes à court terme.

93Le lendemain soir, la direction d’AB InBev durcit le ton : elle dénonce, sur la base des rapports d’huissier, une « atmosphère agressive sur [son] site, du sabotage et un contexte dangereux dans lequel le syndicat a même rassemblé au piquet de grève un collègue qui est mis en quarantaine ». Cette raison est invoquée pour faire exécuter les astreintes  [52].

94Les effets du durcissement du conflit se font sentir le 11 septembre. Des huissiers mandatés par la direction se présentent au domicile des travailleurs en grève pour leur signifier les astreintes. Le délégué principal, J. Borrego, est visé pour un total de 11 000 euros  [53]. La FGTB réagit dans la presse par la voix de son avocat, qui dénonce des manœuvres d’intimidation en soulignant le caractère inédit de la situation : la direction s’en prend personnellement aux travailleurs en menaçant leur patrimoine. Pour ajouter à la pression, les travailleurs ayant déjà reçu une astreinte s’en voient notifier une seconde 24 heures plus tard, les informant que leurs biens mobiliers peuvent être saisis pour s’assurer du paiement.

95Le lundi 14 septembre est l’un des points culminants du conflit. Une réunion de conciliation est prévue à Bruxelles, dans les locaux du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale. Les deux camps discutent dans une atmosphère tendue. La FGTB explique que les huissiers sont constamment présents sur les piquets de grève, ainsi qu’aux changements de pause pour prendre des notes lors des points d’information organisés par le syndicat. Les huissiers vont même jusqu’à reprocher aux policiers en civil, également présents, de ne pas agir. La police locale se sent obligée de réagir par un communiqué de presse expliquant que les piquets ne posent pas de problème nécessitant l’action des agents .

96Du premier au dernier jour du conflit, la direction met une pression importante sur les grévistes en appelant et envoyant des messages aux travailleurs pour les inciter à reprendre le travail, parfois même en annonçant que la grève est terminée.

9.4. Un front large de soutien

97D’après J. Borrego, le piquet de grève tient grâce aux nombreux soutiens qui se déplacent à l’usine de Jupille  [54]. Dépassant le particularisme d’un conflit, la délégation syndicale met en avant le caractère global et intersectoriel des revendications de « sécurité sanitaire sur les lieux de travail ».

98Les travailleurs des dépôts d’AB InBev à Ans, Jumet et Anderlecht débraient pendant 24 heures, le 7 septembre, en solidarité avec Jupille  [55]. Le 10 septembre, les travailleurs des dépôts à Louvain et Hoegaarden font de même pendant quatre jours  [56]. Le secrétaire national de la CSC-Alimentation et Services, Kris Vanautgaerden, indique : « Ce n’est pas un problème local. Sur les sites flamands également, la direction considère la production plus importante que la sécurité et la santé de ses employés »  [57]. La CSC en profite pour demander la réalisation d’un audit externe visant à déterminer les éventuels dysfonctionnements des procédures en matière de sécurité au travail  [58].

99Le 14 septembre, une manifestation de soutien est organisée devant l’usine de Jupille au même moment que la réunion de conciliation à Bruxelles. Une centaine de personnes s’y retrouvent, en ce compris des permanents syndicaux FGTB et le président de la FGTB fédérale, Thierry Bodson  [59]. Lors de son allocution, ce dernier souligne que l’enjeu du conflit dépasse le cadre local : « Il y a un foyer de la pandémie qui s’est déclaré dans cette entreprise, et la seule réponse de la direction, c’est que les protocoles ont été respectés ; mais je suis désolé, alors, c’est que les protocoles sont mauvais, et qu’il faut les changer. Clairement, l’humain est passé au second plan par rapport à des préoccupations économiques : il y a des méthodes de management, pas spécifiques à InBev, d’ailleurs, où les cadres reçoivent des gratifications, parfois assez importantes, en fonction des objectifs à atteindre, et certains se soucient exclusivement de la prime de fin d’année »  [60].

100Le piquet de grève reçoit également un large soutien intersectoriel, avec des « visites de solidarité » de la part du PTB et du Parti socialiste de lutte (PSL), et de délégations de la sucrerie de la Raffinerie tirlemontoise située à Awans, de Bio Wanze (usine de production de bioéthanol, située à Wanze), de la Fabrique nationale d’armes de Herstal (FN Herstal), de la Société régionale wallonne du transport (SRWT, qui utilise la dénomination commerciale TEC), etc.  [61] En outre, une « motion de solidarité » est adoptée par la Centrale générale des services publics Administrations locales et régionales (CGSP-ALR, affiliée à la FGTB)  [62].

9.5. La fin du conflit

101Au terme des réunions de la journée du 14 septembre, la direction accepte de mettre en place un protocole Covid-19 permettant à chaque travailleur de se faire tester à sa demande, ainsi que de procéder à un renforcement du nettoyage et de la protection sur site. En outre, un audit externe sera conduit dans le cadre de la commission paritaire de l’industrie alimentaire (CP 118) pour examiner la manière dont la société a géré son foyer de contamination au Covid-19 et celle dont les procédures pourraient éventuellement, ou devraient, être améliorées. Cet audit sera présidé par le président de la CP 118 et sera constitué de deux experts désignés par la FGTB, de deux experts désignés par la CSC et de deux experts désignés par la direction. La directrice des ressources humaines et le conseiller en prévention incriminés en sont exclus. Enfin, en échange d’une reprise du travail, la direction s’est déclarée prête à lever les astreintes.

102Ces avancées sont considérées comme « une bonne base de travail » par la FGTB, même si toutes les revendications ne sont pas satisfaites. La grève a déjà duré deux semaines et, malgré les 30 euros d’indemnités journalières de grève, la situation est difficile pour beaucoup de travailleurs. Le syndicat arrive à convaincre la grande majorité des travailleurs de retourner à leur poste. Quelque 15 % des travailleurs, le noyau dur des grévistes, maintiendront toutefois un piquet filtrant pendant quelques jours, en continuant à demander le départ de la directrice des ressources humaines et du conseiller en prévention.

9.6. Conclusion

103Peut-être davantage que ceux des années précédentes, ce conflit laisse des traces chez les différents acteurs. La relation entre la FGTB et la CSC est exécrable ; ainsi, le délégué principal CSC fait état de menaces de mort et d’intimidations de la part de militants et délégués FGTB, tout en accusant la délégation d’avoir « utilisé la crise sanitaire, le malheur de nos amis malades, comme tribune électorale en vue des élections sociales »  [63].

104Les relations entre la FGTB et la direction sont également très problématiques. Pour la FGTB, la direction actuelle  [64] a franchi un cap. Certes, le recours à des huissiers n’est pas inédit. Mais les notes prises par les huissiers pendant la tenue des piquets, ainsi que certaines déclarations dans les journaux, ont servi de base à une plainte civile déposée par AB InBev contre J. Borrego pour « diffamation, calomnies et menaces ». Entendu en novembre 2020, ce dernier est toujours en attente de procès. Contrairement aux astreintes, qui ont été levées, cette plainte a suivi son cours.

105Pour les syndicats, ce conflit est atypique dans le sens où il n’a pas pour but de défendre ou d’augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs, mais d’assurer la sécurité sur le lieu de travail. Il se déroule dans un contexte (inter-)national saturé d’informations sur l’évolution de la pandémie et des mesures restrictives qui y sont liées. La situation incertaine et angoissante favorise l’expression des émotions, notamment lorsque des ouvriers de l’usine sont directement affectés par la maladie. Cet événement sert de catalyseur à un conflit dont les germes ont été plantés précédemment.

106S’il ne s’agit pas d’une « grève émotionnelle » à proprement parler, l’émotion légitime des ouvriers de l’usine face à la situation de santé de leurs collègues permet de mobiliser la base plus seulement sur un risque, mais sur des faits concrets. Ceux-ci servent d’illustration à un propos plus général sur le respect minimal par les employeurs des règles de protection au travail, par ailleurs largement inadaptées. Ce discours est audible par les travailleurs tant au sein de l’usine de Jupille qu’au-delà, puisque la revendication de pouvoir travailler en sécurité est reprise par les délégués d’autres entreprises et d’autres secteurs, qui entendent bien faire de ce cas un exemple.

107La direction perçoit la puissance de cette narration et l’écho qu’elle reçoit dans l’opinion, puisqu’elle tente de s’emparer des questions de respect des règles sanitaires. Aux demandes de gestion collective de celles-ci, elle répond par une individualisation du problème en dénonçant les pratiques de certains ouvriers. L’exigence de respect des « gestes barrières », cause partielle de déclenchement du conflit, est avancée également par la direction pour dénoncer les regroupements d’ouvriers et demander la dissolution des piquets.

108Très tôt dans le conflit, la question des mesures à mettre en place pour assurer la sécurité des travailleurs est résolue : la direction doit accéder aux demandes des syndicats, renforcés par l’avis des médecins. La délégation FGTB se sent suffisamment en position de force pour faire durer le conflit sur une revendication forte, plus politique : faire reconnaître à l’entreprise sa responsabilité dans ce que les délégués estiment être des manquements et faire sanctionner des responsables.

109Si cette revendication n’aboutit pas, la direction ne manque pas de l’inscrire au passif de sa relation avec la FGTB. En février 2021, la direction internationale d’AB InBev délocalise une partie de la production de la Stella Artois – originellement effectuée au site de Jupille – vers son usine de Saint-Louis, aux États-Unis. Pour justifier cette décision, elle invoque, non pas des raisons économiques (une partie de la production sortant du site de Jupille était destinée au marché américain), mais l’activité syndicale de l’usine de Jupille. Ainsi, la porte-parole Laure Stuyck déclare dans De Tijd : « [Jupille] utilise trop vite la grève comme solution et trop peu le dialogue. Si la brasserie devient plus fiable, nous n’excluons pas la possibilité d’ajouter une nouvelle production. La brasserie de Louvain n’est (…) pas en danger puisque le climat social y est complètement différent »  [65]. Face à une délégation syndicale combative qui obtient régulièrement des résultats, la direction du groupe prend donc, de manière très claire, la décision de sanctionner l’usine de Jupille en y supprimant des postes. En outre, elle continue à agiter la menace d’une suppression d’emploi, en espérant non seulement calmer les ardeurs de la délégation FGTB mais également montrer sa détermination aux autres sites qui seraient tentés de suivre la voie de la revendication.

10. GSK : une restructuration sans conflit

110La restructuration de la filiale belge du géant pharmaceutique américano-britannique GlaxoSmithKline (GSK) est un événement socio-économique important du début de l’année 2020 en Wallonie. En effet, GSK compte quelque 9 250 salariés répartis sur trois sites de production (Rixensart, Wavre et Gembloux) et entre plusieurs sociétés, dont la principale est GSK Biologicals (8 968 salariés)  [66]. Ces chiffres font du groupe le plus grand employeur privé en Région wallonne. Après ArcelorMittal  [67] et Caterpillar  [68], c’est donc un autre moteur de l’économie wallonne qui réduit l’emploi. Cependant, à la différence de la sidérurgie ou des machines-outils, le secteur des biotechnologies est toujours considéré comme un secteur d’avenir pour la Belgique et, particulièrement, pour la Région wallonne. Dans ce cadre, GSK est le pilier d’un pôle de compétitivité qui doit participer au redéploiement de l’économie régionale. La restructuration opérée en 2020 est une source de conflit entre les interlocuteurs sociaux, mais elle questionne aussi la viabilité à long terme de la politique de compétitivité du gouvernement wallon.

111Cette restructuration est remarquable car elle touche principalement des cadres. En effet, le 5 février 2020, la direction belge du groupe annonce son intention de supprimer 720 emplois à durée indéterminée, dont 595 postes de cadre et 125 places d’employé. À cela, elle ajoute le non-renouvellement de 215 contrats à durée déterminée  [69]. Deux débats autour du statut de cadre dans le secteur de la chimie sont ainsi ravivés : la représentation du personnel-cadre et la tendance à la « cadrification » des employés, deux problématiques dénoncées de longue date par les syndicats  [70].

112En Belgique, GSK produit essentiellement des vaccins. Le site Internet de l’entreprise indique : « C’est en Belgique que se trouve le noyau de la division Vaccins de GSK, avec trois grands sites de production et plus de 9 000 collaborateurs. C’est le plus vaste réseau industriel de production de vaccins au monde »  [71]. Alors que la pandémie de Covid-19 a déjà atteint l’Europe, la restructuration annoncée au début du mois de février 2020 a donc également une portée symbolique.

113Enfin, bien qu’elle touche près de 10 % des salariés de l’entreprise, la restructuration chez GSK ne donne lieu à aucune grève. La concomitance du premier confinement et le profil socio-économique des personnels licenciés conduisent les syndicats à préférer la négociation à l’action collective. Traditionnellement, les cadres choisissent en effet la négociation individuelle plutôt que la mobilisation collective.

10.1. L’ancrage wallon de GSK

114Comme le montre le schéma 1, le groupe GlaxoSmithKline est le résultat d’un long processus de concentration, caractéristique des grands secteurs industriels. En 2000, le groupe britannique Glaxo Wellcome a fusionné avec l’américain SmithKline Beecham pour donner naissance à GlaxoSmithKline (GSK) et devenir, pendant une courte période, le plus grand laboratoire pharmaceutique mondial.

Schéma 1. Processus de constitution du groupe GSK

Schéma 1. Processus de constitution du groupe GSK

Schéma 1. Processus de constitution du groupe GSK

Source : N. Hirtz, « GlaxoSmithKline. Historique », Mirador (Observatoire critique des multinationales), avril 2015, www.mirador-multinationales.be.

115Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le mouvement de concentration de l’industrie chimique et pharmaceutique accentue la dépendance de la Belgique aux firmes étrangères, principalement états-uniennes. Ces dernières cherchent à s’implanter en Europe, surtout à partir de la fin des années 1950 pour profiter du marché commun naissant  [72]. Pour ce faire, elles investissent directement dans de nouveaux outils de production où elles prennent le contrôle de laboratoires existants.

116C’est dans ce contexte que les sociétés qui constituent aujourd’hui le groupe GSK investissent en Belgique. L’entreprise Beecham s’implante à Molenbeek-Saint-Jean en 1955 puis dans la région de Charleroi à la fin des années 1960. Le britannique Glaxo constitue une filiale à Ixelles en 1960. Mais c’est surtout en 1959, année du début de la prise de contrôle progressive du laboratoire belge Recherche et industrie thérapeutiques (RIT) par l’américain SmithKline & French, qu’il faut situer l’origine du groupe GSK en Wallonie. Constituée en 1945 à Genval, RIT est à l’origine une spin-off, pionnière dans la production d’antibiotiques, ; elle se spécialise ensuite dans la recherche, le développement et la commercialisation de vaccins  [73]. En 1968, l’entreprise prend le nom de SmithKline-RIT. Elle devient ensuite SmithKline Beecham Biologicals en 1989, puis GlaxoSmithKline Biologicals.

117Bien qu’elles figurent depuis plusieurs décennies au cœur de la politique de compétitivité des gouvernements wallons successifs, ce n’est pas la première fois que les filiales belges de GSK connaissent des restructurations. Ainsi, en 2008, GSK annonce la fermeture du site de Heppignies (spécialisé dans la production d’antibiotiques à base de pénicilline), ce qui signifie la perte de 290 emplois sur un site qui en a compté jusqu’à 500. Un an plus tard, GSK supprime 75 emplois dans son usine de Genval. En 2012, 40 employés sont licenciés sur le site de GSK Pharmaceuticals de Wavre, qui emploie à l’époque 350 personnes  [74]. Cependant, ces restructurations passées n’ont jamais remis en cause la croissance de GSK sur le sol wallon.

118Deux choix stratégiques pris par le groupe au niveau mondial fragilisent néanmoins l’ancrage belge de GSK. Depuis le début du XXIe siècle, GSK se concentre de plus en plus sur le marché asiatique  [75]. L’Inde et la Chine ont besoin de vaccins à bas prix. En échange de l’ouverture de leur marché domestique à l’investissement étranger, les deux pays émergents réclament l’implantation de capacités de production sur leur territoire. En 2007, le groupe américano-britannique ouvre un centre de recherche et de développement à Shanghai ; en outre, il investit l’équivalent de 300 millions d’euros pour construire à Singapour l’usine qui fabriquera son nouveau vaccin Synflorix  [76], conçu jusque-là dans les sites de GSK Biologicals à Rixensart et Wavre. En février 2013, GSK annonce vouloir réduire ses activités de production et de recherche et développement en Europe. Dès 2014, la CSC-Bâtiment Industrie Énergie (CSC-BIE) attire l’attention de la fédération syndicale européenne IndustriAll European Trade Union sur les risques de délocalisation d’une partie de la production de vaccins localisée en Belgique vers l’usine de Singapour. Lors d’une réunion syndicale européenne, les syndicalistes de la CSC pointent même 2020 comme étant appelée à être une année charnière pour les implantations wallonnes de GSK. C’est en effet à ce moment-là que le site de Singapour sera censé atteindre sa capacité de production maximale et qu’il sera à même de prendre le relais de l’usine de Wavre pour certains produits  [77].

119Outre cette délocalisation de certaines productions vers l’usine de Singapour, le rachat (pour plus de 6 milliards d’euros) de la branche vaccins  [78] du groupe suisse Novartis par GSK en avril 2014 inaugure une série de transactions entre les deux groupes, qui touchent les activités de la filiale belge du groupe américano-britannique  [79]. Dans un second temps, GSK se déleste de sa division oncologie auprès de Novartis, pour enfin s’allier en 2015 avec lui dans le domaine des médicaments délivrables sans ordonnance. Les deux groupes créent pour ce faire une coentreprise, dont GSK acquiert finalement la totalité en 2018 pour 10,4 milliards d’euros  [80]. Dès cette acquisition conclue, la direction de GSK annonce que ce rachat sera accompagné « d’une revue stratégique de la société et de ses autres activités de nutrition »  [81]. En effet, pour intégrer ces nouvelles activités dans le groupe, la direction de GSK a engagé un personnel nombreux, principalement dans les fonctions dirigeantes. Or il s’agit là de postes de travail qui, une fois l’intégration de la nouvelle entité terminée, peuvent se révéler surnuméraires.

10.2. Coup d’arrêt pour la success story

120Lors d’un conseil d’entreprise tenu le mercredi 5 février 2020, la direction belge du groupe GSK annonce aux organisations syndicales son intention de licencier 720 salariés (595 cadres et 125 employés) sur deux ans. À ces pertes d’emplois, s’ajoute la non-reconduction de 215 contrats à durée déterminée. La direction justifie principalement cette restructuration par deux facteurs. Tout d’abord, une réorganisation interne qui verra en 2020 la séparation du groupe multinational en deux nouvelles sociétés : New GSK, une société biopharmaceutique axée sur la recherche et développement, et Consumer Healthcare, une société axée sur la santé grand public  [82]. Toujours selon le communiqué de la direction, cette restructuration vise à créer des synergies en termes de recherche et développement entre les divisions Pharma et Vaccins. La direction belge de GSK évoque en effet un nombre trop élevé de « couches de cadres », principalement issues de l’intégration à partir de 2018 des activités de la coentreprise GSK-Novartis  [83]. Parallèlement à ce licenciement collectif, la direction annonce également un investissement de 500 millions d’euros sur trois ans pour, d’une part, améliorer ses capacités de recherche en vaccinologie et, d’autre part, automatiser les lignes de production afin d’accélérer la mise sur le marché de nouveaux vaccins.

121Les syndicats soulignent l’ampleur du licenciement collectif dans une entreprise qui réalise des bénéfices importants. En effet, le groupe GSK a dégagé un bénéfice de 5,3 milliards d’euros en 2019  [84] et, depuis sa création en 2000, le groupe n’a jamais connu de pertes. Si elle peut sembler paradoxale au vu des résultats du groupe, l’annonce de la restructuration ne surprend pourtant pas les syndicats. Selon les délégués de la FGTB-Chimie  [85], plusieurs signaux ont indiqué l’éventualité d’une restructuration dès la fin de l’année 2018. Tout d’abord, une succession de petites réorganisations de services ont été opérées  [86] : des salariés, principalement des cadres, perdaient leur emploi puis étaient, dans certains cas, invités à repostuler à d’autres postes, nouvellement créés. Ensuite, en 2019, malgré des ventes exceptionnelles et le succès du vaccin Shingrix contre le zona, la direction belge a décidé de geler les embauches.

122Cette restructuration fait aussi craindre des répercussions sur l’ensemble du secteur biotechnologique qui s’est construit autour de GSK au fil des années. Un grand nombre de start-up et de petites et moyennes entreprises (PME) telles qu’Eurogentec, Mastercell, Bone Therapeutics, Univercells et Takeda travaillent en sous-traitance pour GSK. Inévitablement, elles souffriraient d’une baisse structurelle des activités du groupe en Région wallonne. Le ministre en charge de l’Économie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l’Innovation au sein du gouvernement wallon Di Rupo III (PS/MR/Écolo), Willy Borsus (MR), ne s’y trompe pas lorsqu’il évoque « un coup rude pour l’emploi » dans la région. Écolo qualifie la restructuration de « véritable tragédie pour les familles concernées » et « de très mauvais coup pour l’économie ». La ministre wallonne de l’Emploi, Christie Morreale (PS), s’engage à tout faire pour sauver le plus d’emplois possible. Siégeant dans l’opposition tant au niveau wallon qu’au niveau fédéral, le PTB annonce pour sa part qu’il réintroduira une proposition de loi visant à interdire les licenciements collectifs par les entreprises qui font des bénéfices  [87].

123Le lendemain de l’annonce de la restructuration, l’administrateur délégué de GSK en Belgique est reçu par le gouvernement wallon à l’Élysette. S’il s’agit du premier coup d’arrêt dans la croissance de GSK en Wallonie, la direction se veut rassurante. Outre l’investissement de 500 millions d’euros sur trois ans, elle met en avant la construction de deux nouveaux bâtiments à Wavre dédiés à la production du vaccin Boostrix (contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche) et à celle du vaccin contre la poliomyélite  [88].

124Dès le 6 février, les syndicats annoncent qu’ils soutiendront d’éventuels arrêts de travail spontanés. Toutefois, les actions collectives liées à cette restructuration se limiteront à des moments d’information et de sensibilisation du personnel. Le 12 février, juste avant le premier conseil d’entreprise de la procédure Renault, la FGTB-Chimie organise une distribution de tracts devant les trois sites du groupe pour affirmer sa volonté d’éviter les licenciements secs  [89]. Le même jour, la CGSLB distribue également des tracts ; pour sa part, le syndicat libéral souhaite visibiliser un problème structurel dans le secteur de la chimie, à savoir la représentation des cadres. Cette question se trouve également au cœur des premières discussions entre les syndicats et la direction de GSK, qui se tiennent le 12 février. En effet, les premiers veulent obtenir des garanties quant à la représentation des 595 cadres menacés par le licenciement collectif  [90].

10.3. Un licenciement collectif de cadres

125Au sein de GSK, les cadres représentent près de 40 % du personnel, soit un total de 3 700 emplois  [91]. En droit belge, la définition du statut de cadre est peu précise. Aux termes de l’article 14 de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie, est considéré comme cadre « un employé qui, à l’exclusion de ceux qui font partie du personnel de direction, exerce dans l’entreprise une fonction supérieure réservée généralement au titulaire d’un diplôme d’un niveau déterminé ou à celui qui possède une expérience professionnelle équivalente »  [92]. Dans les entreprises qui comptent au minimum 15 cadres, ce qui est le cas de GSK, les cadres ont droit à une représentation au conseil d’entreprise (CE)  [93]. En revanche, ils n’ont pas de représentant au comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) et ils sont dépourvus de délégation syndicale. Or la procédure Renault se déroule en deux phases. La première, dite d’information-consultation, se tient en conseil d’entreprise. Les délégués du personnel-cadre sont donc associés à cette première phase. Par contre, la seconde est une phase de négociation entre la direction de l’entreprise et la délégation syndicale, dont sont exclus les cadres. Traditionnellement, ce sont les délégués syndicaux qui représentent ces derniers lors de la phase de négociation. Mais dans le cas de GSK, à la différence de la plupart des restructurations, le licenciement collectif concerne majoritairement des cadres. C’est pourquoi, même si la Confédération nationale des cadres (CNC)  [94] n’est pas représentée dans l’entreprise, son président souhaite que les représentants des cadres élus au conseil d’entreprise de GSK soient associés directement à la phase de négociation  [95].

126Outre cette question de la représentation des cadres, les permanents de la Centrale nationale des employés (CNE, affiliée à la CSC) et de la FGTB-Chimie profitent de la restructuration chez GSK pour dénoncer dans la presse ce qu’ils appellent une « cadrification» des employés dans le secteur de la chimie. Selon ces syndicalistes, les employeurs privilégieraient ce statut pour contourner la négociation collective. De leur côté, les employeurs estiment que les personnels-cadres préfèrent négocier individuellement leurs conditions de travail et de rémunération. En outre, ils soulignent que la plupart des cadres ne se retrouvent pas dans l’idéologie des syndicats traditionnels  [96].

127Finalement, un « arrangement »  [97] est rapidement trouvé entre les organisations syndicales et la direction de GSK pour que les représentants des cadres puissent assister aux réunions de la seconde phase de la procédure Renault.

10.4. Une négociation confinée

128Outre le profil socio-économique du personnel licencié, le confinement imposé à la population belge à partir du 18 mars 2020 par le gouvernement fédéral Wilmès II (MR/CD&V/Open VLD) a également un impact sur les capacités de mobilisation des organisations syndicales au sein de GSK.

129À partir de cette date en effet, une partie du personnel se trouve en télétravail. Après une interruption, la procédure Renault reprend au mois de mai  [98]. Les réunions se tiennent une fois par semaine, en présentiel au siège de l’entreprise. Dans un premier temps, elles portent sur l’emploi. Les syndicats veulent limiter les licenciements secs. Dans cette optique, la direction diminue tout d’abord le nombre de suppressions d’emplois à durée indéterminée, en le restreignant à 699 (au lieu de 720 initialement). Ensuite, le 7 mai, elle annonce ouvrir 87 postes de cadre ; il s’agit de postes de travail qui étaient auparavant occupés par des consultants externes à l’entreprise, dont le contrat n’a pas été renouvelé. Enfin, elle propose un plan de départs volontaires qui doit permettre d’éviter les licenciements secs.

130Le 17 juin, un accord est trouvé entre les organisations syndicales et la direction de GSK : afin d’éviter autant de licenciements secs, une possibilité de départ volontaire assorti d’une prime sera proposée à 97 employés administratifs, 317 cadres et 50 ouvriers – soit un total de 464 salariés. Dans ce cas, le contrat de travail est résilié d’un commun accord entre l’employeur et le salarié. Contrairement au licenciement collectif, le départ volontaire ne donne donc pas droit au chômage pour le salarié. Par contre, il peut s’avérer financièrement intéressant lorsque le salarié est certain de retrouver facilement un emploi. Pour l’employeur, un plan de départ volontaire est moins coûteux financièrement et moins long administrativement qu’une procédure de licenciement collectif  [99].

131Alors que le personnel ouvrier n’était initialement pas concerné par la restructuration, la FGTB-Chimie a obtenu que 50 ouvriers puissent avoir accès au plan de départ volontaire. Ainsi, les délégués du syndicat socialiste ont voulu prévenir, dans de bonnes conditions, les restructurations futures liées à la robotisation et à l’automatisation des procédures de travail  [100].

132Le plan de départ volontaire doit désormais être présenté aux travailleurs qui, individuellement, peuvent l’accepter ou non. Dans un second temps, les syndicats et la direction négocient le plan social pour les salariés ayant refusé le départ volontaire.

133Le 2 octobre 2020, la direction de GSK et les syndicats annoncent la signature d’une convention collective de travail qui clôt la procédure Renault entamée le 5 février. Si la procédure de départ volontaire a rencontré un succès auprès des ouvriers (98 d’entre eux décident finalement de quitter l’entreprise par ce moyen  [101]), elle séduit moins de cadres que prévu. Ils sont finalement 386  [102], des cadres essentiellement, à quitter l’entreprise dans le cadre de la procédure Renault.

134Comme durant l’ensemble de la procédure, la négociation du plan social n’a pas donné lieu à d’importantes divergences de vues entre les parties. La direction a accordé aux travailleurs licenciés un coefficient multiplicateur de 1,8 par rapport à l’indemnité de préavis légale  [103]. Selon les délégués syndicaux de la FGTB-Chimie, cette négociation a été facilitée par le fait que certains représentants de la direction se trouvaient eux-mêmes sur la liste du personnel licencié.

135Dans le cadre d’une restructuration compétitive, la stratégie de la direction d’une entreprise est rarement fondée uniquement sur le nombre de salariés à licencier. Le plus souvent, celui-ci est d’ailleurs revu à la baisse au cours des négociations qui se déroulent dans le cadre de la procédure Renault. Par contre, il ne faut pas sous-estimer une seconde dimension de cette stratégie, qui vise à faire baisser les rémunérations au sein de l’entreprise par le truchement du licenciement collectif. Ainsi, dans les semaines qui suivent la clôture de la procédure Renault, la direction de GSK ouvre finalement 405 postes à destination de cadres (certains postes exigeant de nouvelles compétences, et d’autres non). Et, le plus souvent, le personnel est engagé ou réengagé à un grade et pour un salaire inférieurs  [104].

10.5. Perspectives

136La restructuration engagée chez GSK le 5 février 2020 a finalement eu peu d’impact sur l’emploi en Région wallonne. Alors qu’il était initialement prévu que l’entreprise se sépare de 935 salariés (720 CDI et 215 CDD), la négociation entre les syndicats et la direction et les décisions individuelles de travailleurs ont permis d’aboutir à une limitation du nombre de licenciements secs à moins de 400. En outre, la relance de l’embauche après la clôture de la procédure Renault devrait aboutir, à la fin de l’année 2020, à un nombre d’emplois sur les trois sites de GSK en Wallonie assez similaire à ce qu’il était au début de la même année  [105].

137En revanche, cette restructuration a permis à la direction de GSK, d’une part, de réorganiser son personnel-cadre en se séparant de certaines compétences pour en acquérir de nouvelles et, d’autre part, de diminuer les frais salariaux globaux.

138De leur côté, s’ils sont certes parvenus à limiter le nombre de membres du personnel licenciés, les syndicats restent inquiets quant à la pérennité à moyen terme des investissements de GSK en Région wallonne. Certains délégués craignent d’ailleurs une nouvelle restructuration dans les cinq prochaines années. Les délocalisations de capacités de production vers l’Asie ressemblent davantage à une tendance structurelle qu’à des mouvements ponctuels. À ce titre, le statut de premier employeur privé wallon de la firme est précaire.

139En outre, le groupe GSK a perdu la course aux vaccins contre le Covid-19. Selon les syndicalistes, la filiale belge du groupe américano-britannique était en capacité de développer et de produire un vaccin contre le nouveau coronavirus à partir d’une méthode traditionnelle (virus atténué ou virus désactivé). Cependant, le groupe a choisi de développer un vaccin à partir de la technologie dite de l’acide ribonucléique messager (ARNm). Ne disposant pas de cette technologie en interne, c’est au travers d’un partenariat avec le laboratoire français Sanofi que GSK a décidé de mettre son vaccin sur le marché. Sanofi devait développer le vaccin pour que, ensuite, les usines de GSK produisent celui-ci à grande échelle . Cependant, des erreurs ont été commises chez Sanofi lors de la phase de développement du vaccin. Si bien que, lors des tests effectués en décembre 2020, le prototype de vaccin obtenu n’a pas permis de développer une immunité suffisante, principalement chez les personnes âgées  [106]. Alors que GSK espérait en disposer au début de l’année 2021, son vaccin devrait n’être disponible qu’à partir de décembre 2021  [107]. Ce retard a des répercussions sur l’activité des sites belges, car il se combine avec une diminution de la production d’autres vaccins. En effet, nombre de personnes devant se faire vacciner contre le Covid-19 choisissent de reporter leur vaccination contre d’autres maladies. Cela explique la baisse de la demande pour le Shingrix, un vaccin « de confort » contre le zona. L’interdiction de voyager a aussi mis un coup d’arrêt à la production des vaccins de « voyage », comme celui du blockbuster contre l’hépatite A. Les stocks de GSK en Région wallonne sont donc pleins, ce qui ne constitue jamais un signal favorable dans le contexte de la concurrence interne d’un groupe multinational.

140Enfin, la restructuration chez GSK a mis en lumière deux enjeux importants liés au statut de cadre dans le secteur de la chimie. Le premier concerne la définition de ce statut dans les relations collectives de travail en Belgique. Pour les syndicats, cette définition est trop imprécise. La classification de fonction des employés de la chimie n’a plus été mise à jour depuis 1971  [108]. Or, si par des tâches qu’il effectue, un salarié se situe en dehors de la catégorie « employé », il devient mécaniquement un cadre. Selon les syndicats, cette imprécision permet une ingénierie sociale qui les empêche de représenter un tiers du personnel du secteur.

141Devant cette inflation de cadres dans le secteur de la chimie se pose un second enjeu, à savoir celui de leur représentation. Actuellement, le personnel-cadre est représenté au conseil d’entreprise lorsqu’il compte au moins 15 cadres . Mais il est dépourvu de délégation syndicale et, donc, d’accès à la négociation collective. Dans le cas de GSK en 2020, la délégation syndicale a finalement représenté, ponctuellement, les cadres pendant la procédure Renault. Néanmoins, selon les délégués de l’entreprise, cette situation est appelée à se répéter dans l’avenir. À terme, la création de syndicats de cadres, dont la délégation syndicale est le prolongement dans l’entreprise, soit par les trois principales organisations représentatives de travailleurs (FGTB, CSC et CGSLB), soit par d’autres organisations, risque cependant de modifier les paramètres de la conflictualité sociale et les relations collectives de travail au niveau de l’entreprise. En effet, de par leur statut et leurs conditions de travail, les cadres exercent, le plus souvent, une autorité sur d’autres catégories de personnel. De plus, leurs intérêts sont proches de ceux du personnel de direction, dont ils peuvent même faire partie. Dès lors, permettre aux cadres de participer à la négociation collective ou même introduire des délégations syndicales de cadres plutôt que préciser le statut des cadres aurait vraisemblablement pour effet de bouleverser fondamentalement la dimension antagoniste de la concertation sociale.

11. L’Avenir : conflit éteint, futur à conjuguer

142Les origines et les différentes étapes du développement du conflit au sein des Éditions de l’Avenir (EDA) ont été relatées dans les deux précédentes études annuelles du GRACOS  [109]. Pour sa part, le présent article analyse l’issue et la résolution de ce conflit.

143C’est en octobre 2018 que le personnel des Éditions de l’Avenir a manifesté sa forte désapprobation, à la suite de l’annonce par les dirigeants de l’entreprise d’un plan de restructuration devant conduire à une diminution du volume de l’emploi de 60 personnes. Bien vite, il est apparu que l’on était en présence d’un conflit d’une extrême complexité, aux enjeux de multiples natures mais étroitement imbriqués les uns dans les autres. D’emblée, ce conflit a pris une tournure sociale au sens classique du terme, opposant une direction et des organisations syndicales, avec pour objet la constitution d’un plan social acceptable de part et d’autre et l’élaboration de nouvelles conditions (changement d’imprimeur et renforcement des liens entre le pôle télécom et le pôle média) visant à donner des perspectives de développement à l’entreprise. Le conflit s’est aussi porté sur l’actionnariat, dont la légitimité était fortement entachée, et ce non seulement au sein de la rédaction des Éditions de l’Avenir mais également auprès d’une majorité de mandataires politiques, qui estimaient souhaitable que les Éditions de l’Avenir quittent le giron de Nethys. Enfin, le conflit s’est étendu au problème de la représentation des journalistes, opposant, de façon grandissante avec le temps, les organisations syndicales et les organisations professionnelles : la Société des rédacteurs (SDR) des Éditions de l’Avenir et l’Association des journalistes professionnels (AJP). L’année 2019 s’est terminée non seulement sous le signe du déchirement et de l’affaiblissement des acteurs, mais également sous de fâcheux auspices économiques et politiques.

144La situation économique de la presse écrite en général est très difficile, le lectorat étant en diminution et aucun modèle économique ne s’imposant pour générer des revenus à partir des produits numériques. L’actionnaire Nethys s’est montré passif et le contexte politique électoral n’a pas aidé au dégagement d’une piste de changement crédible. Il est vrai que le dossier contenait une série de pièges juridiques (les responsabilités, la gouvernance et les confusions d’intérêts chez Nethys) qui n’ont pu être démêlés qu’en fin d’année par le ministre du Logement, des Pouvoirs locaux et de la Ville du gouvernement wallon Di Rupo III (PS/MR/Écolo), Pierre-Yves Dermagne (PS), pour enfin établir un consensus gouvernemental à la Région wallonne et à la Communauté française. Le conseil d’administration de Nethys a été progressivement mis sous contrôle, pour finalement adopter une marche à suivre et gérer la vente des actifs du holding soumis à la concurrence  [110].

145Les dégâts causés par le conflit ont touché les deux principaux camps en présence. D’une part, le capital de Nethys a changé d’orientation, avec l’arrivée aux manettes de ce groupe public multiforme et controversé d’une nouvelle équipe dépêchée par le gouvernement wallon, le départ forcé de Stéphane Moreau (exclu du PS le 26 avril 2017) et le choix de mettre en vente les Éditions de l’Avenir. D’autre part, les équipes du journal ont été réduites et ce n’est pas sans amertume que la rédaction a vu le départ de trois de ses membres, considérés comme « ciblés » en raison de leur activité durant le conflit.

146Les rétroactes étant rappelés, venons-en à l’année 2020.

11.1. La coopérative « Notre Avenir »

147Au début de l’année 2020, les membres de la rédaction de L’Avenir peuvent se consoler quelque peu avec la reconnaissance de la légitimité de leur action, lorsque Yves Raisière et Dominique Vellande, deux des trois journalistes licenciés, obtiennent le prix du journalisme 2019 du Parlement de la Communauté française pour l’article collectif de la rédaction de L’Avenir titré « Comment Stéphane Moreau et Pol Heyse ont sabordé L’Avenir » paru le 16 février 2019. Le jury salue un article qui « est à lui seul une épreuve de force et de courage et qui présente les faits avec honnêteté et la volonté de faire bouger les choses »  [111]. Cette victoire symbolique n’est pas à négliger, mais elle représente peu de choses en regard des opérations qui vont s’enclencher peu après pour mettre en vente les Éditions de l’Avenir et qui se dérouleront de janvier à juillet 2020.

148Si le climat général est à l’opposition, un projet constructif ne cesse pas pour autant de mobiliser nombre de journalistes : celui de la coopérative « Notre Avenir », dont les statuts ont été déposés le 25 octobre 2019. Dès le moment où la majorité du personnel a été convaincue qu’il convenait de changer d’actionnaire pour forger l’avenir du journal, l’idée a en effet germé de constituer une coopérative des rédacteurs, des lecteurs et des sympathisants dans un double but : d’une part, peser sur l’avenir de l’institution par le moyen d’une participation dans le capital des Éditions de l’Avenir et dès lors d’une présence au conseil d’administration aux côtés des actionnaires principaux et, d’autre part, maintenir un cap rédactionnel indépendant des effets qui seront induits par le futur nouveau propriétaire de l’entreprise. Ce double objectif a fait l’objet d’un large consensus. Rapidement, le projet a suscité un certain enthousiasme, au point que d’aucuns lui attribuent même une dimension démesurée, allant jusqu’à la reprise complète du journal lui-même. De manière plus réaliste, la coopérative compte sur une souscription « significative » destinée à peser sur la nouvelle politique du repreneur quel qu’il soit. L’équipe initiatrice indique que « l’influence que la coopérative aura vis-à-vis des autres actionnaires dépendra du montant récolté ».

149La fin de l’année 2019 et le début de 2020 sont mis à profit pour concrétiser juridiquement le projet. Diverses catégories de souscripteurs sont créées, sous la forme de collèges reflétant bien les différentes origines des actionnaires : les fondateurs, formant le premier organe d’administration ; l’ensemble des rédacteurs et des personnels du journal ; les lecteurs, pris individuellement ; les institutions et pouvoirs publics ; les entreprises privées ; les professionnels du secteur et le syndicat libéral (CGSLB). En revanche, les organisations syndicales socialiste (FGTB) et chrétienne (CSC) déclinent l’invitation à participer à la coopérative, ne voulant pas être juges et parties ou adopter un profil cogestionnaire. Comme tels, la SDR et l’AJP ne figurent pas non plus parmi les souscripteurs, mais nombre de leurs membres font partie de la coopérative Notre Avenir à titre individuel.

150En vertu des statuts de la coopérative, aucune catégorie de souscripteurs ne peut devenir dominante. De toute façon, aucune personne physique ou morale ne peut disposer de plus d’une voix. Dans de telles conditions, il est évident que les souscripteurs ne peuvent spéculer sur rien d’autre que sur la réussite collective du projet.

151Quel que soit le rayonnement de la coopérative, il n’est pas acquis que celle-ci pourra être acceptée comme partenaire par un repreneur. Pour cela, il faut que la mise en vente soit assortie de la condition explicite d’une prise de participation de la coopérative. Sur ce plan, les rédacteurs et lecteurs associés ont obtenu rapidement gain de cause, puisque la déclaration de politique régionale (DPR) wallonne 2019-2024 stipule qu’une place devra être faite, parmi les actionnaires, à une coopérative représentant les travailleurs. Les managers de crise nommés chez Nethys et à la maison mère Enodia se voient ainsi tenus de signifier cette position à tout repreneur.

152Il n’en reste pas moins qu’être partenaire (minoritaire) ne suffit pas pour disposer d’une influence significative dans les organes de gestion. La coopérative devra modeler juridiquement ses exigences pour les rendre compatibles avec les choix du repreneur. A minima, une place devra lui être réservée au conseil d’administration de l’entité nouvelle formule. Plus avant, les actions de la coopérative devront être assorties d’un « pouvoir spécial » pour tout ce qui concerne l’indépendance rédactionnelle et les grandes nominations au sein de la rédaction.

153En 2018 et en 2019, les travailleurs des Éditions de l’Avenir ont battu les cartes de la négociation, de la mobilisation, de la sensibilisation et de la grève. En 2020, ils mettent sur la table ce qui est désormais devenu leur principal atout : la coopérative comme instrument de participation à la prise de décision. Leur objectif est de lever des fonds pour assurer le financement de 7,5 % du capital d’EDA Presse et acquérir une part significative au sein de la future entité  [112].

11.2. Le processus de vente des Éditions de l’Avenir

154Le 17 janvier 2020, le journal L’Écho annonce que la nouvelle direction de Nethys mise en place en octobre 2019 (plus précisément, son directeur général, Renaud Witmeur, et le président de son conseil d’administration, Laurent Levaux) mandate le bureau de consultance Ernst & Young (EY) et la banque d’affaires privée Degroof Petercam pour mettre en vente les Éditions de l’Avenir dès le mois de mars. Et L’Écho de préciser que la coopérative Notre Avenir devrait avoir son mot à dire en participant au capital de la nouvelle structure et en décrochant une présence au conseil d’administration. On apprend aussi que la Région wallonne décide de ne pas prendre de parts dans la coopérative mais, précise le ministre wallon de l’Économie, Willy Borsus (MR), « quand le repreneur sera connu, le gouvernement wallon pourrait examiner la possibilité d’accompagner si besoin cette reprise, éventuellement temporairement, pour que les Éditions de l’Avenir aient un maximum de chance d’être pérennes »  [113].

155À la mi-mars, quatre structures se déclarent officiellement candidates au rachat des Éditions de l’Avenir et sont retenues par Nethys pour participer à la suite de la procédure. Il s’agit du fonds d’investissement allemand Fidelium Partners ; du Groupe Rossel (propriétaire du Soir, du Grenz Echo, de Vlan et des journaux du groupe Sudpresse) ; d’IPM Group (détenteur de La Libre Belgique et de La Dernière Heure) associé à trois investisseurs agissant à titre personnel qui sont Pierre Rion, président du Conseil du numérique (CDN), Bernard Delvaux, dirigeant de Sonaca Group, et Juan de Hemptinne, fondé de pouvoir de la holding Sogescap ; et de Roularta Media Group (propriétaire du Vif/L’Express, de Knack et de Femmes d’aujourd’hui). Ces quatre candidats retenus sont invités à remettre une offre indicative pour le 16 avril. Sur cette base, il reviendra à Nethys d’opérer une sélection et de poursuivre les négociations pour aboutir à une offre liante.

156Selon Le Soir, Nethys préférerait une vente de toutes les sociétés du groupe plutôt qu’une vente séparée  [114]. Cela ne pose de problème ni au Groupe Rossel, ni à IPM Group ni à Fidelium Partners, dont l’intention est de remettre une offre pour les trois sociétés. En revanche, Roularta Media Group est surtout intéressé par le pôle des magazines (Moustique et Télé Pocket).

157On n’enregistre pas de réaction de la part des organisations syndicales ni des organisations professionnelles. Seule transparaît dans le quotidien L’Avenir une inquiétude d’un journaliste qui craint que, au pire moment de la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19 et de l’effondrement des recettes publicitaires qu’elle occasionne, les Éditions de l’Avenir soient vendues au rabais à des groupes eux-mêmes affaiblis par les conséquences économiques de la crise sanitaire  [115]. Or clairement, un tel risque existe. En effet, on apprend que les offres rentrées ne sont pas jugées recevables par le conseil d’administration de Nethys, qui donne un délai supplémentaire aux candidats acquéreurs pour clarifier leurs dossiers et surtout renchérir. L’intention est bien entendu de réduire la moins-value à acter, compte tenu des 50 millions d’euros payés pour le rachat en 2014 au groupe de presse flamand Corelio et de la couverture des pertes d’exploitation sur les années ultérieures.

158L’inquiétude devant la perspective d’un échec des négociations se manifeste chez les journalistes et singulièrement au sein de la coopérative Notre Avenir, qui, au début du mois de juin, met sur la table la proposition d’un portage de la Région wallonne sous la forme d’une fondation d’utilité publique. Relayée par le parlementaire Benoît Dispa (CDH) et, à sa suite, par tous les groupes politiques présents au Parlement wallon, cette proposition fait l’objet d’une demande du gouvernement wallon adressée à la Société régionale d’investissement de Wallonie (SRIW) pour examiner sa faisabilité. Fin juin, le rapport de la SRIW est remis au gouvernement et au conseil d’administration de Nethys. Y est évoqué le scénario d’une structure actionnariale en trois parties pour la reprise des actifs des Éditions de l’Avenir : un opérateur privé, la coopérative Notre Avenir et une fondation d’utilité publique réunissant des investisseurs publics ou privés qui ne souhaitent pas s’inscrire dans le modèle de la coopérative mais qui sont prêts à apporter leur soutien dans un but désintéressé. La SRIW précise que si un tel scénario voit le jour, il faudrait absolument veiller à l’alignement des intérêts des trois actionnaires, qui n’ont pas les mêmes priorités  [116].

159Parallèlement, les discussions se poursuivent avec les acquéreurs potentiels. Seuls deux d’entre eux, IPM Group et Fidelium Partners, sont prêts à racheter l’ensemble des actifs. Quant à lui, Roularta Media Group dépose une offre ferme pour acquérir L’Avenir Hebdo, Moustique et Télé Pocket, tandis que le Groupe Rossel finit par limiter son offre à Proximag. Nethys confie alors à la banque Degroof Petercam la mission de réaliser un dernier travail de clarification des offres avec chaque candidat acquéreur.

11.3. IPM Group l’emporte

160Le 9 juillet 2020, la décision tombe. Sous réserve d’une approbation d’Enodia, d’une part, et de l’Autorité belge de la concurrence (ABC), d’autre part, Nethys propose de vendre l’essentiel de son pôle presse au groupe IPM, c’est-à-dire le quotidien L’Avenir et les hebdomadaires Moustique et Télé Pocket. Mais pas Proximag, qui est voué à disparaître, Nethys n’ayant pas trouvé de repreneur pour ce périodique toutes-boîtes  [117].

161Pour réaliser l’acquisition, IPM Group doit procéder à une augmentation de capital ouverte à ses trois investisseurs associés et à la coopérative Notre Avenir, et constituer avec eux une nouvelle société qui prend temporairement le nom de New. Nulle part il n’est fait mention de la présence d’une fondation d’utilité publique et, sur ce point, le ministre wallon W. Borsus donne les explications suivantes : « Il fallait que des mécènes engagent des moyens importants, il fallait que l’opérateur industriel de presse soit lui-même prêt à investir dans le redéploiement sans majorité significative et on était déjà loin dans le processus quand la coopérative en a parlé »  [118].

162L’acte de vente, dont le prix reste alors confidentiel, prévoit la participation de la coopérative Notre Avenir au capital à raison de 7,5 % maximum et la désignation d’un administrateur indépendant choisi en concertation entre IPM Group et la coopérative ainsi que la mise à disposition gratuite pendant quatre ans des bâtiments namurois appartenant à Nethys où se trouvent les Éditions de l’Avenir (ce qui représente quelque 2 millions d’euros d’économie, selon une estimation du journaliste Philippe Leruth). L’accord prévoit aussi le respect de la charte rédactionnelle, ainsi que le maintien à Namur du siège social du quotidien  [119]. On apprendra plus tard que « le prix provisoire de la cession d’activités a été fixé à 2,875 millions d’euros et sera susceptible de varier à la date effective du transfert », en fonction « de la comparaison entre les placements de trésorerie et des valeurs disponibles [des Éditions de l’Avenir] au 31 décembre 2019, des propres placements de trésorerie et valeurs disponibles de la branche d’activité au 31 décembre 2020 et de la dette [des Éditions de l’Avenir] à l’égard de Nethys, ainsi que de la moyenne quotidienne, sur trois ans, de la diffusion imprimée du journal L’Avenir »  [120].

163Le fait que les Éditions de l’Avenir finissent par trouver un acquéreur ne dissipe pas l’inquiétude des syndicats et singulièrement de la Centrale nationale des employés (CNE, affiliée à la CSC), qui regrette de n’avoir jamais reçu d’informations sur les profils des acquéreurs et sur leurs offres. « Nous ne faisons pas de procès d’intention aux candidats qui étaient en lice pour la reprise du journal, et nous n’avons aucune exclusive, mais nous ne savons pas si les demandes des syndicats ont été entendues, de même que celles de la coopérative, qui doit être intégrée dans le nouveau conseil d’administration», précise un communiqué de presse le 10 juillet  [121]. En outre, la CNE s’interroge aussi sur la capacité d’IPM Group à prendre en charge un troisième titre et à procéder aux investissements nécessaires. Pour cette raison également, elle nourrit une inquiétude relative à l’emploi « car l’adossement à un groupe de presse belge implique une série d’économies d’échelle, qui risquent de toucher les services administratifs, mais aussi la rédaction. L’Avenir est un journal complet, avec un ton propre, et ne peut pas être vidé de sa vision du sport, de la culture et [de] l’info nationale et internationale. Nous n’avons, à cette heure, aucune garantie pour l’emploi. Pour rappel, le personnel sort à peine d’une restructuration douloureuse, les syndicats n’accepteront pas une nouvelle braderie de l’emploi ». La CNE conclut par le souhait d’être consultée par Enodia avant que les décisions définitives soient prises.

164Dans un communiqué commun  [122], la SDR et l’AJP prennent acte de cette nouvelle page qui se tourne et se montrent attentives « au projet qui doit se construire, au respect de toutes les rédactions mais aussi de toutes les équipes de L’Avenir, qui ont tenu le navire à flots malgré les turbulences ». Les deux organes représentatifs des journalistes espèrent que le nouvel actionnaire profitera de l’opportunité qu’il a d’intégrer la coopérative Notre Avenir à son groupe de presse et disent rester attentifs « aux statuts de chacun, au maintien de toutes les rédactions locales, au respect de l’indépendance de chaque rédaction du groupe de presse, en bonne intelligence... et sans nouveau plan de restructuration ou nivellement social par le bas. La qualité de l’information, l’offre pluraliste de contenus originaux, la proximité avec les lecteurs sont l’ADN des Éditions de l’Avenir. La SDR et l’AJP y veilleront demain, comme elles l’ont fait par le passé, dans un esprit constructif et dans le dialogue ».

165À côté des inquiétudes syndicales et de l’annonce d’une vigilance de la SDR et de l’AJP, la coopérative Notre Avenir affiche son optimisme. Elle dit « se réjoui[r] de voir la procédure de vente avancer, tant elle s’avère nécessaire pour le suivi des projets, pour la nomination de nombreux postes vacants, dont celui d’un rédacteur en chef, et parce qu’elle permettra enfin de déterminer un plan stratégique de développement à long terme ». La coopérative s’engage à jouer un rôle significatif, conformément au souhait des membres du personnel et des plus de 1 300 coopérateurs  [123].

166Le 18 juillet 2020, le conseil d’administration de l’intercommunale Enodia (ex-Publifin), maison mère du groupe Nethys, rend un avis conforme favorable sur les ventes des Éditions de l’Avenir (L’Avenir et le Journal des enfants) et des périodiques Moustique et Télé Pocket au groupe de presse IPM. La tutelle administrative wallonne et l’ABC n’opposeront ensuite aucun avis défavorable à la poursuite du processus.

167À la fin de l’année, le résultat des élections sociales qui se sont déroulées entre le 16 et le 29 novembre est connu. Le Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCA, affilié à la FGTB) perd la totalité de ses représentants au comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) et au conseil d’entreprise (CE), tandis que la CNE n’y conserve que trois représentants au lieu de cinq précédemment. Il est évident que les tensions entre ces deux organisations syndicales et la SDR et l’AJP expliquent en grande partie ce revers électoral. En accueillant des transfuges de poids venant de la CNE, la CGSLB sort gagnante de ces élections sociales en obtenant trois représentants dans les instances de concertation alors qu’elle n’en comptait aucun auparavant. La CGSLB fait dorénavant jeu égal avec la CNE pour écrire les nouvelles pages de la concertation sociale qui ne manqueront pas de s’ouvrir après cet ultime épisode de cession de l’activité à un nouvel opérateur.

11.4. Conclusion

168Entamé en octobre 2018, le conflit entre la direction des Éditions de l’Avenir et ses travailleurs ne se clôt pas par un accord ou par une déclaration de paix entre les parties. Il s’éteint littéralement à la fin de l’année 2020. D’abord parce qu’une nouvelle configuration d’acteurs s’installe progressivement à la place de celle qui avait été au cœur des premiers moments du conflit.

169Dès le mois d’octobre 2019, un des acteurs principaux, le management de Nethys, totalement déconsidéré en raison de ses pratiques liées à la vente de plusieurs des filiales du groupe, a laissé la place à une nouvelle équipe chargée de trouver un acquéreur pour les Éditions de l’Avenir. En juillet 2020, après une longue période de tractations, Nethys décide de céder son pôle médias au groupe de presse IPM accompagné par trois investisseurs privés et par la coopérative Notre Avenir. Au sein des Éditions de l’Avenir, Yves Berlize, qui a occupé la direction et piloté le plan de restructuration de 2018, quitte l’entreprise en janvier 2021 et est remplacé par le responsable du pôle presse d’IPM Group comme directeur général. Le directeur des rédactions, Philipe Lawson, quitte ses fonctions en août 2020 et un nouveau rédacteur en chef est engagé. Suite aux élections sociales, la représentation syndicale est elle aussi modifiée, la CGSLB devenant une interlocutrice de même poids que la CNE et le SETCA n’ayant plus de représentant. Pour sa part, la coopérative Notre Avenir se structure et entre au capital de la nouvelle société New, filiale d’IPM Group, et dispose d’un administrateur indépendant ; elle devient donc un nouvel acteur œuvrant dans la stratégie future du journal et attentif à sa ligne éditoriale spécifique.

170Nouvelle configuration d’acteurs signifie aussi modification des modes d’action. Dès le moment où une nouvelle équipe dirigeante s’est mise en action à la tête de Nethys, la confrontation avec la rédaction s’est arrêtée pour laisser toute la place à la recherche d’un acquéreur susceptible de reprendre les activités des Éditions de l’Avenir. De leur côté, les unions professionnelles, satisfaites de voir les Éditions de l’Avenir sortir enfin du giron de Nethys, adoptent une posture attentiste tout en soutenant l’initiative prise par les journalistes de constituer la coopérative Notre Avenir. Les organisations syndicales adoptent la même attitude, tout en n’adhérant pas au projet de coopérative dans le cas de la FGTB et de la CSC, qui ne veulent pas être juges et parties.

171La crise sanitaire éclatant en mars 2020 en raison de la pandémie de Covid-19 nourrit la crainte qu’il n’en résulte une dégradation de la situation financière des Éditions de l’Avenir et une vente au rabais de celles-ci. Mais elle contribue aussi à calmer le jeu.

172Une nouvelle page s’ouvre donc, sur laquelle s’écriront les relations collectives entre le personnel des Éditions de l’Avenir et le nouveau propriétaire de l’entreprise, IPM Group. Des éléments de contexte sont favorables. L’épisode Nethys a pris fin et un actionnariat ancré dans le domaine de la presse prend le relais. L’ambition d’IPM Group, qui est de consolider ses activités et de devenir le deuxième acteur sur le marché belge francophone (et le premier sur le marché wallon), redonne de l’espoir. Des complémentarités évidentes, en termes de gamme de journaux ou d’ancrage géographique, existent bel et bien pour constituer un ensemble cohérent « presse générale - presse régionale » au sein du futur groupe L’Avenir. Une dimension régionale est ajoutée au groupe IPM, à l’instar de ce qui a cours au sein du Groupe Rossel qui possède les titres de Sudpresse. Enfin, et ce n’est pas négligeable, le conflit mené par les journalistes n’a affecté ni les ventes, ni les abonnements. Au contraire, il a créé et renforcé le capital sympathie du journal auprès de son lectorat. En outre, le besoin d’information provoqué par la crise sanitaire est à l’origine d’un renforcement des ventes.

173Mais rien n’est acquis et des questions subsistent. La première est de savoir si IPM Group dispose des capacités suffisantes pour investir et développer les activités du journal et des magazines, en particulier dans le domaine numérique payant, alors que l’on assiste à un triple mouvement : la baisse du lectorat en général, le transfert d’une partie du lectorat papier vers le lectorat digital, la pression concurrentielle croissante des sites d’information gratuits (comme celui de la RTBF), le tout occasionnant une baisse du chiffre d’affaires lié aux ventes et aux abonnements mais aussi aux recettes publicitaires (la plus grande partie des revenus de publicité numérique allant aux GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).

174En lien avec ces contraintes, des restructurations des rédactions s’opéreront certainement dans les secteurs où il n’est guère pertinent de conserver des spécificités. Tel est déjà le cas dans le secteur des sports, pour lequel une seule rédaction est mise en place. Tel pourrait aussi devenir le cas lorsque la question du format se reposera, sachant que l’hypothèse d’un changement d’imprimeur est probable et que tous les journaux d’IPM Group ont un format tabloïd.

175Une autre question est de savoir si, après le déchirement qui s’est opéré entre la CNE, le SETCA et les organisations professionnelles SDR et AJP, les capacités de négociation de la rédaction et du personnel des Éditions de l’Avenir pourront se rétablir face à une nouvelle direction. Plus précisément, la CGSLB, qui fait dorénavant jeu égal avec la CNE au sein de la représentation syndicale, sera-t-elle à même de contribuer à l’apaisement des tensions et une nouvelle convention liant les syndicats à l’AJP pourra-t-elle être conclue ?

176Enfin, il sera intéressant d’observer la manière dont la coopérative Notre Avenir va se situer dans la période de transformations qui s’ouvre et particulièrement dans les négociations qui s’entameront avec le groupe IPM sur la place spécifique qu’elle occupera dans l’actionnariat de la société.

Conclusion

177En 2020, la Belgique a affronté deux vagues de la pandémie de Covid-19, ce qui a entraîné des mesures de confinement et la mise en œuvre de dispositifs sanitaires et de télétravail. Les premières mesures de confinement ont été prises en mars par le gouvernement minoritaire Wilmès II (MR/CD&V/Open VLD) mis en place le 17 mars, tandis que les secondes l’ont été en novembre par le gouvernement De Croo (PS/MR/Écolo/CD&V/Open VLD/SP.A/Groen) installé le 1er octobre.

178Cette crise sanitaire a-t-elle exercé une influence sur les conflits sociaux survenus en 2020 ? Les diverses situations que nous avons examinées dans ces deux livraisons du Courrier hebdomadaire nous permettent de dégager quelques enseignements. Ceux-ci montrent que, sauf exceptions, la pandémie de Covid-19 a eu une empreinte indéniable sur la conflictualité sociale.

La baisse des conflits sociaux et le rôle de la concertation sociale interprofessionnelle

179Sur le plan quantitatif, l’année 2020 a été marquée par une forte diminution du nombre de journées de grève. On en a dénombré 139 612 alors que, en moyenne, ce sont plus de 300 000 jours qui ont été comptabilisés chaque année au cours de la période 1991-2020. Sur le plan régional, 55 % des actions de grève ont lieu en Flandre et c’est dans cette région que la durée des grèves a été sensiblement la plus longue. Quelque 37 % des grèves ont eu lieu en Wallonie et 7 % en Région bruxelloise. En valeur relative, cependant, le nombre de journées de grève est resté supérieur en Wallonie avec 43 jours par 1 000 travailleurs, contre 30 jours en Flandre et 26 jours en Région bruxelloise. Sur le plan sectoriel, le pourcentage de jours de grève a fortement diminué dans l’industrie, ce qui confirme une tendance présente depuis plusieurs années. L’évolution est aussi à la baisse dans le secteur public. En revanche, le pourcentage de jours de grève a fortement augmenté dans le secteur tertiaire privé.

180La diminution générale du nombre de conflits sociaux et d’actions de grève s’explique à la fois, d’une part, par des situations objectives inédites dans lesquelles les interlocuteurs sociaux se sont trouvés durant la pandémie et, d’autre part, par une volonté commune de ces derniers de faire contribuer la concertation sociale à la production de solutions pour faire face à la crise sanitaire et à ses effets sur l’activité économique. Cela n’a toutefois pas empêché les interlocuteurs sociaux de marquer leurs différences face aux décisions gouvernementales ou aux différentes propositions issues des divers groupes d’experts lorsqu’ils estimaient que celles-ci empiétaient sur les compétences du Conseil national du travail (CNT).

181Sur le plan interprofessionnel, au sein du CNT précisément, les interlocuteurs sociaux ont fait, dès le 6 mars, offre de service aux autorités ; ils ont aussi rappelé l’importance de s’appuyer sur la concertation dans les entreprises et les secteurs. Cette volonté commune a été suivie d’effets durant toute l’année 2020. En avril, le Groupe des dix s’est accordé sur la garantie du paiement du salaire pendant 30 jours en cas d’infection au Covid-19 et a accompagné la réalisation d’un guide générique intersectoriel visant à éviter la contagion sur le lieu de travail. En mai et en juin, les interlocuteurs sociaux ont demandé ensemble au gouvernement la reconduction jusqu’à la fin de l’année des mesures de protection des revenus des travailleurs et des entreprises affectés par la fermeture de certains secteurs. Début septembre, le Groupe des dix a publié une déclaration relative à la relance dans le cadre de la pandémie. Enfin, durant l’année, le Conseil supérieur pour la prévention et la protection au travail (CSPPT) a produit plusieurs déclarations ou appels et a donné son avis sur une série de propositions ou de mesures telles que la généralisation de tests de dépistage du Covid-19 en entreprise ou l’obligation de télétravail partout où cela était possible.

182La diminution de la conflictualité interprofessionnelle en 2020 trouve donc son origine dans la volonté des interlocuteurs sociaux de privilégier la concertation pour faire face aux effets de la pandémie sur l’activité économique et à leurs conséquences sociales. Mais cela n’explique pas tout. Par exemple, les organisations syndicales ont consacré énormément d’attention et d’énergie à assurer leur mission de paiement des allocations de chômage et leurs services ont été très fortement sollicités durant la crise sanitaire. La surcharge de travail, les mesures sanitaires telles que le télétravail et, last but not least, les interdictions de rassemblement expliquent elles aussi en partie la baisse de la conflictualité en 2020.

183Baisse de la conflictualité ne signifie cependant pas automatiquement consensus. L’année 2020 a aussi été une année durant laquelle des thématiques clivantes se sont exprimées : flexibilité et droit du travail, négociation de l’enveloppe bien-être, salaire minimum et marge salariale à fixer dans un accord interprofessionnel ont fait l’objet de débats et de controverses. Le temps n’a manifestement pas été à la négociation d’un nouveau pacte social  [124], en dépit des appels lancés en ce sens  [125].

184Si la pandémie et ses effets sur l’activité économique ont globalement fait baisser le nombre de jours de grève et ont mobilisé la concertation sociale, ils n’ont pas joué un rôle univoque dans toutes les situations que ces deux livraisons du Courrier hebdomadaire proposent d’éclairer. Dans certains cas, ces chamboulements ont exacerbé la conflictualité ou ont déplacé les axes structurant les conflits sociaux. Dans d’autres situations, la crise sanitaire a été saisie par des mouvements sociaux comme leviers d’action. En revanche, certains conflits n’ont tout simplement pas été affectés prioritairement par la pandémie.

185Enfin, la condamnation par la justice de syndicalistes ayant mené une action de blocage sur une autoroute en 2015 pose la question des rapports entre action collective et judiciarisation des conflits sociaux.

La sécurité au travail : entre judiciarisation et création d’un nouveau droit

186En mai 2020, à la sortie du confinement entamé le 18 mars, des chauffeurs de la Société des transports intercommunaux de Bruxelles (STIB) ont collectivement fait usage de leur droit de retrait pour protester contre l’insuffisance, à leurs yeux, des mesures de sécurité sanitaire prises par la direction, et ce alors même que ces dispositions avaient fait l’objet d’un accord avec les délégués permanents administrateurs issus des différentes organisations syndicales. Dans ce cas comme dans celui du conflit au sein des Éditions de l’Avenir, on a donc assisté à une tension portant sur la représentation des travailleurs de l’entreprise. Si, dans le cas des Éditions de l’Avenir, cette tension s’est exprimée par l’opposition entre les organisations syndicales et les organisations professionnelles représentatives des journalistes, dans le cas de la STIB, elle s’est manifestée entre la représentation syndicale au sein du comité de gestion et du conseil d’administration de la société et une partie importante des chauffeurs (40 %) et de leurs représentants élus dans les organes de concertation que sont le conseil d’entreprise (CE) et le comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT). Il s’est donc agi d’un conflit à l’égard non seulement d’une direction jugée clivante et irrespectueuse des procédures et des instances légales de consultation comme le CPPT, mais aussi des responsables syndicaux dont les travailleurs ont estimé qu’ils n’avaient pas soutenu la revendication pour le droit de retrait ni pris suffisamment en compte leur perception et leur subjectivité.

187Le mouvement des chauffeurs de la STIB questionne deux éléments fondamentaux du répertoire syndical. Le premier concerne les formes de démocratie économique présentes dans l’entreprise. Certes, la présence de syndicats disposant de voix consultatives au sein d’instances de décision est très loin d’être une forme aboutie de démocratie économique (ni du « bicaméralisme » proposé par certains partisans d’une avancée radicale de la démocratie dans le champ de l’entreprise  [126]). Néanmoins, il s’agit là d’une forme d’expression d’une volonté démocratique d’aller au-delà des structures habituelles de concertation. Les chauffeurs de la STIB ne l’ont pas entendu de cette façon en 2020 : ils ont considéré que la présence syndicale dans le comité de gestion et le conseil d’administration constituait une source de connivence entre direction et syndicats.

188Le deuxième élément concerne la judiciarisation des conflits, c’est-à-dire un recours accru à l’institution judiciaire pour régler les conflits. Conclu en 2002 entre les interlocuteurs sociaux au niveau interprofessionnel, un protocole d’accord fixe un certain nombre d’accords et d’engagements concernant la résolution des conflits sociaux. En cas de conflit collectif, ce « gentlemen’s agreement » donne priorité à la concertation sociale sur des procédures juridiques telles que des requêtes unilatérales signifiées par des huissiers de justice. Dans le cas présent, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui ont décidé de ne pas entamer une action collective classique telle qu’une grève mais d’introduire une requête auprès du tribunal de travail de Bruxelles  [127] afin de faire reconnaître, face aux risques liés à l’exercice de leur métier en période de pandémie, le droit de retrait qui les mettrait à l’abri des menaces brandies par la direction de sanctionner les absences qu’elle considérerait comme injustifiées. Ce conflit indique que les stratégies judiciaires ne sont pas l’apanage du seul acteur patronal. Plus encore, il met en avant l’invocation par des travailleurs d’un droit qui est bien présent au niveau international et interne mais qui n’avait encore jamais été mis en œuvre en Belgique. En effet, cette action a tendu à rendre effectif l’article I.2-26 du Code du bien-être au travail, qui prévoit qu’« un travailleur qui, en cas de danger grave et immédiat et qui ne peut être évité, s’éloigne de son poste de travail ou d’une zone dangereuse ne peut en subir aucun préjudice et doit être protégé contre toutes conséquences dommageables et injustifiées ». Cette règle s’applique quelles que soient les dispositions prévues par le contrat de travail ou par des accords collectifs.

189À l’heure actuelle, il est encore trop tôt pour savoir dans quelle mesure ce conflit inédit mené par les chauffeurs de la STIB contre la volonté de leurs responsables syndicaux et, plus largement, sans le soutien d’autres secteurs syndicaux annonce des changements futurs dans la façon dont le monde du travail se positionne au sujet des enjeux majeurs que sont la démocratisation de l’entreprise, le sens et la place d’une stratégie judiciaire dans l’arsenal des actions collectives et la mise en œuvre effective du droit de retrait.

190Les relations entre actions collectives et pouvoir judiciaire ont aussi été questionnées dans un contexte qui était antérieur à la pandémie mais a été rattrapé par celle-ci : celui de la condamnation, par le tribunal correctionnel de Liège le 23 novembre 2020, de dix-sept militants et responsables de la FGTB à plusieurs jours de prison avec sursis et à une amende  [128] au motif « d’entrave méchante à la circulation » ; l’action visée était le blocage pendant quelques heures, le 19 octobre 2015, du pont autoroutier de Cheratte dans le cadre de la contestation des mesures prises par le gouvernement fédéral Michel I (N-VA/MR/CD&V/Open VLD)  [129]. Le fait que cette action de protestation avait été menée dans le contexte de l’exercice du droit de grève n’a pas été pris en compte par le pouvoir judiciaire, qui a jugé l’action comme il l’aurait fait de n’importe quel litige pénal ordinaire. Plus précisément, les trois magistrats ayant procédé au jugement ont opéré une distinction entre le droit de grève, qu’ils considèrent n’avoir pas été remis en cause, et les actions syndicales qu’ils ont condamnées, peu importe qu’elles avaient été menées dans le contexte d’une grève. Ce jugement confirme une tendance dans la jurisprudence, selon laquelle les actes considérés comme accessoires peuvent être jugés et faire l’objet d’une condamnation même s’ils sont commis dans le cadre d’un conflit social. Dans ce sens, le droit de grève ne signifie pas, pour le pouvoir judicaire, un droit à l’action collective mais consiste simplement en un droit à l’arrêt de travail. Cette conception restrictive du droit de grève de la part de la justice renforce les arguments patronaux selon lesquels les actions de mobilisation syndicale menées en cas de grève, telles que la mise sur pied de piquets ou le blocage d’accès à une entreprise ou à un zoning, entravent l’exercice du droit de propriété et la liberté de circuler.

191On verra à l’avenir si ces deux cas de nature différente provoqueront une actualisation du « gentlemen’s agreement » de 2002. Le dernier essai du Groupe des dix en ce sens a été tenté en 2016 mais il n’a pas abouti. Si les textes conservent la priorité à la concertation sociale, il en va peut-être autrement dans les faits.

192Enfin, il est à noter que, ici aussi, la pandémie s’est invitée dans le conflit puisque leur présence à une action de soutien aux dix-sept condamnés menée devant le Palais de justice de Liège le 10 décembre 2020 a valu à certains responsables de la FGTB d’être poursuivis par le parquet pour infraction aux règles sanitaires, qui limitaient alors les manifestations à 100 participants.

Quand la pandémie exacerbe une conflictualité existante et questionne la concertation sociale

193Croissance économique faible, concurrence à la hausse, rentabilité en recul, restructurations à l’œuvre : les conditions étaient réunies avant même la survenance de la pandémie de Covid-19 pour que des tensions se manifestent et que des conflits sociaux éclatent dans le secteur de la grande distribution. Dès le mois de janvier, plusieurs grèves sporadiques avaient ainsi déjà éclaté dans différents centres de distribution et enseignes pour protester contre la dégradation des conditions de travail, pour revendiquer des investissements nouveaux et pour réclamer un renfort de main-d’œuvre afin de permettre d’améliorer la situation.

194En mars 2020, au début du confinement, ce secteur jugé essentiel a fait face à des vagues d’achat particulièrement importantes de la part de la population. Cela a engendré une intensification du travail, en particulier au niveau du réassortiment, et un recours aux heures supplémentaires et au travail de nuit et de week-end. Passée une première phase d’acceptation de ces pratiques, des négociations sectorielles entre la fédération patronale Comeos et les syndicats se sont tendues en mars-avril. Après plusieurs actions syndicales, des accords ont finalement été conclus au sein de différentes enseignes, les travailleurs obtenant des jours de congé supplémentaires et le versement de primes sous la forme de bons d’achat, de chèques repas ou d’écochèques. Cependant, la trêve produite par ces accords a été de courte durée. Entre les deux vagues de la pandémie, plusieurs arrêts de travail se sont produits pour dénoncer les charges de travail jugées trop lourdes, ainsi que l’agressivité croissante d’une partie de la clientèle. À cela s’est ajoutée l’annonce d’une restructuration de la chaîne Makro, impliquant la suppression de 500 emplois. L’année s’est néanmoins terminée par un accord sectoriel concernant les enseignes de la commission paritaire des magasins d’alimentation à succursales multiples (CP202) et les hypermarchés du groupe Carrefour.

195L’année 2020 a donc été celle d’une exacerbation des tensions et conflits présents dans un secteur caractérisé par une forte concurrence. La pandémie de Covid-19 a contribué à mettre en évidence les raisons structurelles d’une conflictualité préexistante, à savoir la pénibilité et l’intensité des conditions de travail et les restructurations récurrentes. Elle a aussi révélé de nouvelles questions liées au commerce en ligne, à l’apparition de nouveaux opérateurs et au rôle clé de la logistique, ainsi qu’à leurs conséquences sur le travail de nuit et de week-end. Peut-être de manière conjoncturelle, les relations avec une clientèle agressive ont constitué le motif de plusieurs arrêts de travail en 2020. Enfin, la pandémie a aussi pesé sur la concertation sociale, qui a glissé du secteur vers les différentes enseignes lors de la première vague avant d’aboutir à un accord au sein de la CP202 en fin d’année.

196Un autre cas de figure illustrant le phénomène d’exacerbation de la conflictualité par la pandémie est celui d’Audi Brussels. Comme dans le secteur de la grande distribution, la situation précédant la crise sanitaire était problématique dans l’usine bruxelloise d’assemblage automobile, essentiellement en raison de problèmes d’approvisionnement dus aux fournisseurs et des conséquences qui en découlaient. Le non-renouvellement de contrats de nombreux travailleurs intérimaires, l’augmentation du chômage économique et la réduction de la production avaient rendu l’inquiétude déjà bien présente lorsqu’a déferlé la première vague de la pandémie et que, avec elle, est arrivée la crainte de contaminations au cœur même de l’entreprise. À partir de ce moment-là, les conflits sociaux se sont focalisés sur la gestion de la crise sanitaire par la direction. La sécurisation des espaces de travail est devenue la revendication majeure des travailleurs, qui ont arrêté le travail dès le début de la pandémie pour exiger que la direction prenne des mesures de protection. Plus tard, les travailleurs ont manifesté leur opposition à la reprise des activités de production avant la fin du confinement. Du côté patronal, plusieurs initiatives ont été prises afin que la production puisse reprendre le plus rapidement possible. Des mesures de sécurité sanitaire ont été mises en œuvre, allant de la réorganisation des espaces à l’installation d’un centre de dépistage interne en passant par une politique d’écartement des travailleurs dès l’apparition de premiers symptômes du Covid-19. Si tout cela a fini par faire consensus au sein d’Audi Brussels, des tensions ont en revanche subsisté chez Weerts Supply Chain (WSC), sous-traitant en charge d’une partie importante de la logistique. Ces tensions ont porté sur la proposition d’organiser des pauses sans masque, sur la gestion des contaminations (la direction privilégiant le traçage, alors que les syndicats préconisaient la mise en quarantaine) et sur la sécurisation des espaces de travail.

197Dans le cas d’Audi Brussels, le compromis trouvé entre la direction et les travailleurs portant sur la gestion de la crise sanitaire a été rompu non pour des raisons liées à la pandémie mais pour des questions de flexibilité du travail, la direction voulant recourir davantage au travail du samedi. L’accord entre la direction et les syndicats sur ce point a été rejeté par les travailleurs et le projet d’étendre le travail du samedi a été abandonné.

198Comme dans d’autres cas, la crise sanitaire chez Audi Brussels a à la fois exacerbé une conflictualité préexistante et pesé sur la concertation. Si cela s’est traduit par des accords entre direction et organisations syndicales, des différends entre ces dernières et leur base sont également apparus.

Quand la crise sanitaire constitue un levier d’actions

199On aurait pu s’attendre à ce que la crise sanitaire et ses conséquences pour le secteur de la santé, qui s’est situé en première ligne sur le front de la lutte contre la pandémie, provoquent une trêve dans les conflits sociaux qui avaient émaillé l’année 2019. Il n’en a rien été.

200Le début de l’année 2020 a été marqué par l’échec des négociations entre les organisations syndicales et patronales portant sur la mise en œuvre, par des conventions collectives de travail, de l’accord social du non-marchand conclu le 25 octobre 2017 entre le gouvernement fédéral et les interlocuteurs sociaux du secteur privé des soins de santé fédéraux pour la période 2017-2020. Cet accord prévoyait de meilleures conditions de travail, une plus grande stabilité d’emploi pour les travailleurs et le versement par les autorités fédérales d’une prime annuelle aux employés pour préserver leur deuxième pilier de pension. En mars 2020, ce désaccord entre travailleurs et employeurs s’est accompagné d’une forte tension entre les syndicats et le gouvernement fédéral, et en particulier la ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, Maggie De Block (Open VLD), qui a signifié aux organisations syndicales une fin de non-recevoir à leur proposition de mettre les 402 millions d’euros du fonds Blouses blanches à la disposition du gouvernement pour qu’il les consacre à la lutte contre la pandémie. Clairement, les relations collectives au sein du secteur ainsi qu’entre les organisations syndicales et le gouvernement ont résonné tout à fait différemment que les applaudissements adressés au personnel soignant par la population en fin de journée.

201La tension a augmenté d’un cran lorsque trois arrêtés royaux ont été adoptés les 19 avril, 29 avril et 20 mai dans le cadre du déconfinement enclenché à dater du 4 mai. Le premier ouvrait la possibilité pour des professionnels de santé non qualifiés d’exercer l’art infirmier jusqu’au 31 décembre 2020, le deuxième prévoyait la possibilité de réquisitionner des professionnels de soins de santé jusqu’au 31 décembre 2020 et le troisième permettait aux maisons de repos et aux maisons de repos et de soins de recourir à des bénévoles jusqu’au 30 juin 2020. La riposte ne s’est pas fait attendre. Elle a pris la forme du dépôt d’un préavis de grève et d’une « haie de déshonneur » à l’encontre de la Première ministre, Sophie Wilmès (MR), de la part du personnel soignant d’un hôpital bruxellois. Le résultat en a été que les deux arrêtés royaux des 19 et 29 avril, qui étaient les plus controversés, ont été abrogés le 29 mai par le gouvernement, qui s’est engagé à reprendre la concertation. La justification du gouvernement concernant le retrait de l’arrêté royal du 19 avril parle d’elle-même : « Cette mesure (…) a entraîné un malaise social important. Vu l’évolution de cette pandémie, le risque immédiat de voir apparaître une pénurie de professionnels de soins de santé disponibles en suffisance est écarté pour l’instant. Compte tenu de l’urgence de mettre fin à ce malaise social, et de l’évolution de la situation, il a été convenu avec le secteur de retirer cet arrêté »  [130]. Si cette décision les a satisfaits, les syndicats ont cependant tenu à maintenir la pression, par une série d’actions symboliques visant essentiellement le refinancement du secteur.

202Le 18 juin 2020, la Chambre des représentants a adopté la proposition de loi pérennisant le fonds Blouses blanches à raison de 402 millions d’euros  [131] et, le 7 juillet, le gouvernement fédéral a décidé, dans le cadre d’un avant-projet d’accord social « post-covid », de dégager un budget complémentaire de 600 millions d’euros visant principalement à revaloriser les salaires et les avantages extra-salariaux du personnel hospitalier. Le 12 novembre 2020, l’accord a été conclu : 500 millions seront consacrés à la revalorisation salariale, en ce non compris l’octroi d’une prime exceptionnelle de 985 euros bruts pour chaque membre du personnel des hôpitaux, et 100 millions à l’amélioration des conditions de travail (cette seconde partie devant être précisée par les différentes commissions paritaires du secteur). Tout cela a conduit à apaiser les relations sociales dans le secteur, sans toutefois éteindre les mobilisations face à l’adoption par la Chambre des représentants, le 5 novembre, d’une loi autorisant la délégation d’actes infirmiers de manière exceptionnelle et temporaire à des personnes non légalement qualifiées  [132].

203L’année 2020 a donc été une année de forte mobilisation de la part du personnel des soins de santé. Incontestablement, la crise sanitaire ainsi que la reconnaissance et l’appréciation par l’opinion publique de l’implication des professionnels de la santé sur le front de la lutte contre la pandémie ont été des leviers d’action pour revaloriser le secteur de la santé et ses métiers. Des succès incontestables ont été engrangés, même si la question du financement et celle des conditions de travail resteront certainement d’actualité durant les années à venir. Les syndicats ont agi tantôt en ordre dispersé, tantôt en front commun mais en démontrant leur réelle capacité d’action et de négociation aboutissant à des accords sociaux d’importance. Ils n’ont cependant pas été les seuls à mener des actions. Le collectif La Santé en lutte s’est imposé lui aussi comme un acteur interprofessionnel doté d’une capacité de mobilisation, susceptible de renforcer l’action des syndicats mais aussi d’être critique à leur égard (par exemple, lorsque le front commun syndical a proposé de mettre le fonds Blouses blanches à la disposition du gouvernement). Néanmoins, l’ambition de ce collectif de coordonner des actions intersyndicales est restée relative et son implantation ne s’est pas étendue à l’ensemble du territoire puisqu’elle reste concentrée en Région bruxelloise et à Liège, où il a joué un rôle d’aiguillon dynamique et actif.

204Le mouvement des sans-papiers s’est également saisi de la crise sanitaire pour tenter de faire aboutir ses revendications, singulièrement celle de la régularisation des personnes sans papiers. La pandémie a affecté la situation déjà extrêmement précaire de celles-ci. Nombre d’entre elles ont vu leurs conditions d’existence se détériorer gravement, ne serait-ce que par la suppression de leurs possibilités d’exercer une série d’activités au noir dans différents secteurs comme le nettoyage, l’horeca, l’aide aux personnes et la construction. Dans les centres fermés, les conditions de vie ont empiré : interdiction des visites, conditions d’hygiène déplorables, règles sanitaires déficientes et retours forcés malgré l’interdiction des voyages essentiels ont provoqué plusieurs grèves de la faim dès le mois de mars et ont donné lieu à des interpellations médiatisées de la part de plusieurs associations de soutien.

205Aux yeux du mouvement des sans-papiers, la pandémie justifiait incontestablement de mettre en œuvre des procédures de régularisation au moins temporaires. La loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers permet en son article 9bis d’octroyer une régularisation pour des raisons humanitaires dans des circonstances exceptionnelles. C’est fort de cet argument que le mouvement a lancé une série d’actions, pétitions, rassemblements et interpellations auprès de plusieurs conseils communaux afin qu’ils adoptent des motions en faveur de la régularisation. Avec un certain succès, puisque onze communes wallonnes et bruxelloises ont agi dans ce sens. Cependant, le mouvement des sans-papiers n’est pas totalement homogène. Ainsi, au-delà des motifs humanitaires, le collectif des sans-papiers de la CSC de Bruxelles a mis en avant des raisons économiques et sociales pour appuyer la revendication d’une régularisation par le travail. Selon cet acteur, cela avait d’autant plus de sens qu’il existait une importante main-d’œuvre sans papiers et que des pénuries d’emploi se manifestaient, par exemple à la suite de la fermeture des frontières et de l’impossibilité qui en résultait pour les travailleurs étrangers de prendre part aux travaux agricoles. Ces arguments en faveur de la régularisation n’ont toutefois pas suffi à convaincre les gouvernements Wilmès II et De Croo, qui sont restés intransigeants quant à toute forme de régularisation collective. Le levier d’action constitué par la pandémie n’a donc pas pu être actionné avec le même succès par le mouvement des sans-papiers et par le monde de la santé.

Quand la crise sanitaire déplace les axes structurant les conflits

206Au sein de la brasserie AB InBev, l’année 2020 s’est ouverte sous de bons auspices puisqu’une convention collective de travail a réglé des problèmes de paiement des salaires, en particulier en cas de chômage économique, et a offert des garanties sur l’emploi. Mais cet accord n’a pas été suffisant pour apaiser la tension sociale chronique qui régnait au siège de l’entreprise, à Jupille-sur-Meuse, non seulement entre la direction et la délégation de la FGTB, mais aussi entre cette dernière et la délégation de la CSC.

207Dans cette entreprise, la question sanitaire a déplacé les axes structurant la conflictualité sociale puisqu’elle a porté, non plus sur les questions des salaires et de l’emploi, mais sur celles de la santé et de la sécurité au travail. Entre une direction estimant que tout était mis en œuvre pour assurer la protection des travailleurs face aux risques liés à la pandémie et des syndicats considérant au contraire que la gestion de la situation sanitaire était défaillante, en particulier dans le chef de la directrice des ressources humaines et du conseiller en prévention, les relations se sont tendues de plus en plus, débouchant sur une confrontation. Début septembre, la FGTB a bloqué le site de Jupille et a déclenché une grève qui a duré deux semaines. La direction a également adopté un positionnement dur. Forte d’une ordonnance assortie d’astreintes, elle a mandaté des huissiers pour qu’ils signifient celle-ci, non seulement sur les lieux de blocage mais aussi au domicile des travailleurs. Il a fallu que ce conflit local prenne une dimension plus large pour qu’une résolution se dessine. Au sein du groupe AB InBev, les travailleurs de plusieurs dépôts de Wallonie et de Flandre ont arrêté le travail pour soutenir leurs collègues liégeois. En outre, un large soutien intersectoriel s’est manifesté en région liégeoise. Le 14 septembre, un accord a finalement été conclu. La direction a accepté de mettre en place un protocole permettant à chaque travailleur de se faire tester et a décidé de procéder à un renforcement du nettoyage du site. Il a été aussi convenu qu’un audit externe serait mis en œuvre dans le cadre de la commission paritaire de l’industrie alimentaire (CP118) pour analyser la situation sanitaire et la façon dont elle a été gérée par la direction d’AB InBev et pour avancer des recommandations d’amélioration.

208Dans le secteur des prisons, on a assisté à une baisse des actions revendicatives ou d’opposition – les actions de grèves ont été rares et sporadiques –, mais aussi à un déplacement en raison de la crise sanitaire des axes structurant le conflit entre les agents pénitentiaires et les autorités publiques. La question de l’imposition du service minimum s’est effacée au profit de la question des conditions de travail et de la sécurité des agents dans des établissements dont la surpopulation et la vétusté chronique constituaient des éléments favorables à la propagation du coronavirus. En revanche, entre les agents et les détenus, il n’a pas été question d’un déplacement de l’axe structurant leur différend, mais d’une accentuation de la tension entre les intérêts et revendications des uns et des autres.

Quand la crise sanitaire n’a qu’une faible influence sur les conflits en cours

209Si dans de nombreux cas la pandémie de Covid-19 a été source de situations conflictuelles, facteur d’exacerbation de tensions préexistantes ou cause de déplacement des axes de tension et d’opposition, elle s’est par contre avérée totalement étrangère à certains conflits et à leur résolution.

210En février 2020, soit un mois à peine avant le premier confinement, le groupe pharmaceutique GlaxoSmithKline (GSK) – qui constitue le plus grand employeur privé de la Région wallonne – a annoncé une restructuration de grande ampleur devant conduire à la suppression de 720 emplois, dont 595 postes de cadre, ainsi que le non-renouvellement de 215 contrats à durée déterminée. Il s’est avéré que cette restructuration n’était pas liée à une baisse de la profitabilité mais à des mouvements de fusion et acquisition conduisant à des réorganisations internes au groupe américano-britannique.

211Certes, les mesures de confinement ont affecté les capacités de mobilisation des syndicats de l’entreprise, mais elles n’expliquent pas à elles seules le fait que les acteurs de ce conflit aient privilégié la concertation sociale comme mode de régulation. Entamée dès février, la procédure Renault a été suivie sans trop d’encombre et a abouti à la conclusion d’une convention collective de travail le 2 octobre 2020. Les syndicats ont obtenu une réduction du nombre de licenciements secs et l’octroi de primes pour les cadres et ouvriers acceptant de partir sur une base volontaire, ainsi qu’une augmentation de l’indemnité de préavis pour les travailleurs licenciés. De son côté, la direction a pu réorganiser son personnel-cadre et opérer une diminution des frais salariaux globaux dans un contexte de paix sociale relative. Cependant, cette restructuration a révélé une double problématique relative aux cadres : l’imprécision de la définition de leur statut particulier et la question de leur représentation et de leur capacité à participer à la négociation collective.

212Dans le cas de GSK, entre l’annonce de la restructuration et la conclusion de la convention collective de travail, neuf mois se sont écoulés. C’est peu de chose en comparaison avec les Éditions de l’Avenir. Dans ce dossier, le conflit entre la direction et les travailleurs avait débuté en octobre 2018 et s’est littéralement éteint à la fin de l’année 2020. En juillet, Nethys, propriétaire des Éditions de l’Avenir, a vendu son pôle médias au groupe de presse IPM accompagné de trois investisseurs privés, tandis que la coopérative Notre Avenir était mise sur pied par les journalistes. L’ancienne direction, qui avait été à la manœuvre durant le conflit, s’est effacée et, du côté syndical, les élections sociales – reportées de mai à novembre en raison de la pandémie – ont modifié de façon significative la représentation au détriment des deux organisations qui avaient été actrices du conflit, le Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCA, affilié à la FGTB) et la Centrale nationale des employés (CNE, affiliée à la CSC), et ce au profit de la CGSLB  [133]. Pour leur part, les organisations professionnelles se sont réjouies de voir les Éditions de l’Avenir sortir du giron de Nethys et ont apporté leur soutien à la coopérative. C’est dorénavant à travers celle-ci que les travailleurs des Éditions de l’Avenir tenteront de peser sur la nouvelle direction.


213Par rapport aux années précédentes, 2020 a incontestablement été marquée par une baisse du nombre de conflits sociaux en Belgique. Les mesures de confinement qui ont accompagné les deux vagues de la pandémie de Covid-19 et l’absence d’un gouvernement fédéral majoritaire avant le 1er octobre expliquent en bonne partie cela. Mais cette tendance générale ne doit pas occulter quelques constats que nous pouvons faire à la lecture des différents cas analysés dans ces deux livraisons du Courrier hebdomadaire.

214Tout d’abord, rappelons une évidence : la dynamique conflictuelle s’articule étroitement à une dynamique de concertation. Sur le plan interprofessionnel, les conditions de gestion de la pandémie ont été saisies par les interlocuteurs sociaux afin de renforcer la légitimité de la concertation sociale. Pour autant, elles n’ont pas tiré le rideau sur la scène conflictuelle, où les divergences et antagonismes ont été bien présents. Dans ce sens, la crise sanitaire n’a pas constitué un problème social majeur présentant des enjeux de structure, même si elle a bouleversé les épreuves individuelles vécues entre autres dans l’exercice du travail et génératrices de réactions sous la forme d’émotions. Dans un ouvrage récent, le sociologue français Pierre Rosanvallon souligne avec pertinence que « ces émotions ne sont pas cantonnées dans le for intérieur des individus ; elles acquièrent aussi une dimension collective en étant partagées de multiples façons »  [134]. Cette distinction entre « enjeux de structure » et « épreuves individuelles » permet d’éclairer les raisons pour lesquelles la tournure des différents cas analysés présente des différences.

215Dans la majorité de ceux-ci, les conflits ont été marqués par des négociations et ponctués par des accords. Quelquefois, comme dans le cas de la restructuration intervenue au sein de l’entreprise GSK, la concertation a constitué la forme dominante, sinon exclusive, de l’action collective. Dans d’autres situations, on a eu affaire à des formes hybrides d’action collective, où des grèves et des arrêts de travail parfois durs ont précédé la conclusion des accords, dont certains ont été obtenus à l’arraché. Il en a été ainsi dans les secteurs de la santé et de la grande distribution, secteurs jugés essentiels en temps de pandémie et dont les travailleurs ont été acclamés dans un premier temps pour s’être trouvés en première ligne lors de la crise sanitaire, mais sans que ces travailleurs aient eu l’impression que cela se traduisait de la part des directions et des autorités publiques par une reconnaissance effective. Il est évident que les « épreuves personnelles » à dimension émotionnelle forte ont été au cœur de ces conflits et ont parfois été mises en scène de manière protestataire (par exemple, lorsqu’une « haie de déshonneur » a tourné le dos à la Première ministre le 16 mai, au CHU Saint-Pierre à Bruxelles). C’est aussi une dynamique alliant conflit et compromis qui a prévalu dans la brasserie AB InBev et l’usine Audi Brussels. En revanche, certaines actions collectives n’ont pas abouti à des rapprochements de points de vue et à des accords. Le mouvement des sans-papiers en est l’exemple le plus marquant. Quant à l’action des chauffeurs de la STIB visant à faire reconnaître leur droit de retrait, il faudra attendre 2022 au moins pour savoir si elle sera couronnée de succès par la justice.

216Ensuite, il est à noter que la conflictualité ne s’est pas réduite simplement à une opposition entre deux acteurs, la direction et les travailleurs. Dans plusieurs cas, des tensions ont existé aussi entre les travailleurs et leurs représentants. En 2019, le cas le plus emblématique avait été celui des Éditions de l’Avenir, qui connaissaient une déchirure entre un grand nombre de journalistes et leurs unions professionnelles, d’une part, et les syndicats d’employés SETCA (FGTB) et CNE (CSC), d’autre part, quant à la stratégie à mener face à la direction. En 2020, la situation la plus saillante à cet égard a été celle qui a vu s’opposer au sein de la STIB de nombreux travailleurs, qui voulaient que le droit de retrait intègre les stratégies syndicales de défense de la santé au travail, et les centrales syndicales, qui continuaient à privilégier d’autres modes plus classiques d’intervention et de gestion des relations sociales. En outre, le conflit social intervenu à la STIB ne peut se comprendre sans prendre en considération la subjectivité des chauffeurs et leur émotion face aux risques liés à l’exercice de leur métier en situation de pandémie, alors que les organisations syndicales se montraient soucieuses de maintenir la mission de service public de la société de transport bruxelloise. Ici aussi, expériences personnelles et enjeux de structure se sont répondus de manière dialectique.

217Enfin, de manière moins frontale mais bien réelle, on a constaté chez Audi Brussels un rejet par les travailleurs d’un projet d’accord (sur l’extension du travail des samedis) et chez AB InBev la poursuite par 15 % des travailleurs des actions de blocage alors que leur organisation syndicale avait décidé de stopper la grève. On a également assisté à des différends entre les syndicats et d’autres acteurs collectifs. Ainsi, le collectif La Santé en lutte a exprimé son désaccord avec la proposition avancée par le front commun syndical de mettre à la disposition du gouvernement fédéral le fonds Blouses blanches pour faire face aux besoins du secteur hospitalier durant la première vague de la pandémie. De même, au sein du mouvement des sans-papiers, la suggestion de la CSC de Bruxelles de mettre l’accent sur « la régularisation par le travail » a fait l’objet d’objections vives de la part de celles et ceux qui ne souhaitaient pas que le mouvement établisse un lien entre régularisation et travail. Certes bien réels dans ce contexte de pandémie, ces différends n’ont cependant pas empêché la réalisation d’actions et de mobilisations communes.

Annexe : Les jours de grève en 2020

218La présente annexe donne un bref aperçu des données relatives aux grèves en 2020. Sur le plan formel, ces données sont un « dérivé » d’une procédure administrative placée sous la responsabilité de l’Office national de la sécurité sociale (ONSS) depuis 2002. Les données de l’ONSS relatives aux grèves – données qui sont officieusement disponibles depuis 1991  [135] – sont publiées dans la « brochure bleue », publication annuelle qui renseigne sur les périodes assimilées des travailleurs assujettis à la sécurité sociale  [136].

219En 2020, l’on a dénombré 139 612 jours de grève, ce qui revient à 34 jours de grève par 1 000 travailleurs (cf. Tableau A1). Il s’agit du plus faible nombre de jours de grève depuis 2007, année où 127 441 jours de grève avaient été enregistrés, soit également 34 jours de grève par 1 000 travailleurs  [137]. Depuis la nouvelle série de données de 1991, outre l’année 2007, seules les années 1999 (23 jours de grève), 2002 (18 jours de grève) et 2006 (23 jours de grève) ont compté moins de jours de grève  [138]. Les premier et troisième trimestres de 2020 se situent légèrement au-dessus de la médiane des années 1991-2020, mais tous les trimestres de 2020 affichent des chiffres inférieurs à la moyenne de la période. La pandémie de Covid-19 et ses conséquences économiques ont donc fait baisser le nombre de jours de grève. Néanmoins, trois remarques s’imposent. Primo, la pandémie de Covid-19 n’a pas empêché les grèves (spontanées) ou les actions collectives des travailleurs en général. Les actions de grève ont également pu être menées dans le respect des règles sanitaires. Cependant, le processus de mobilisation et l’organisation d’actions collectives ont été rendus plus difficiles, dans la mesure où les contacts physiques et personnels sont restés rares dans certains secteurs. Secundo, certaines grèves ou autres actions collectives peuvent avoir été liées à la pandémie, l’exemple le plus marquant étant les actions menées dans le secteur de la santé et de l’aide sociale. Tertio, l’absence d’un gouvernement fédéral de plein exercice depuis les élections fédérales du 26 mai 2019 et jusqu’au 1er octobre 2020 est susceptible d’expliquer en partie le faible nombre de jours de grève.

220En effet, les statistiques de grève sont dominées par les grandes grèves : il s’agit principalement de manifestations syndicales nationales contre la politique du gouvernement fédéral, couvertes par un préavis de grève et donnant donc droit à une indemnité de grève, ou de grèves dans le secteur public contre les mesures d’austérité des dernières décennies. Les mouvements de grève sectoriels dans le secteur privé sont plutôt rares. Cependant, une importante grève sectorielle, non pas en termes de volume, mais avec une valeur de précédent, a eu lieu le 8 janvier 2020 ; c’était la première fois que les travailleurs du secteur des titres-services, principalement des aide-ménagères mais aussi des travailleurs des ateliers de repassage, partaient en grève  [139] après les actions nationales pour de meilleures conditions salariales menées en novembre et décembre 2019  [140]. Seule la CSC-Alimentation et Services avait appelé à la grève ; les syndicats socialistes concernés, la Centrale générale (CG) et le Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCA), réunis dans la FGTB Titres-services, avaient choisi de manifester à Bruxelles quelques jours plus tard. Les deux actions avaient tenté de susciter l’attention des médias. Alors qu’une manifestation, tout comme une action dans la rue, revendique de facto l’espace public, la grève s’était accompagnée d’une campagne orchestrée sur les réseaux sociaux. Les syndicats et employeurs du secteur des titres-services sont parvenus à un projet d’accord début février, qui prévoit une augmentation des salaires de 0,8 % à partir de 2020. Peu de temps après, les sociétés de titres-services ont temporairement interrompu leurs activités en raison de l’apparition du coronavirus.

Tableau A1. Nombre de jours de grève par trimestre et par année (2016-2020)

Tableau A1. Nombre de jours de grève par trimestre et par année (2016-2020)

Tableau A1. Nombre de jours de grève par trimestre et par année (2016-2020)

Remarques :
- Suite à quelques différences minimes, le total diffère parfois de la somme des trimestres.
- Ruptures temporelles en 2003 et 2013 (qui influencent la médiane et la moyenne).
Sources : ONSS (statistiques en ligne) ; Brochure bleue, ONSS.

221Pour la première fois depuis la nouvelle série temporelle, des données relatives aux nombres d’employeurs et de travailleurs concernés par les grèves sont disponibles par le biais des statistiques trimestrielles sur les périodes assimilées, lesquelles sont accessibles en ligne  [141]. Les données remontent jusqu’à l’année 2017. Le nombre d’employeurs concernés ou « d’employeurs touchés » fait référence à l’employeur en tant qu’entité juridique et non au nombre d’établissements. Le nombre d’entreprises touchées par une action de grève peut donc être sous-estimé. Le nombre de travailleurs concernés ou de « grévistes » fait référence au décompte statistique du nombre de lieux de travail  [142]. Comme pour le nombre de jours de grève, les nombres réels d’employeurs touchés et de grévistes peuvent être sous-estimés. En effet, la fin d’une grève peut se solder par un accord conclu entre le(s) syndicat(s) et l’employeur de ne pas considérer les jours de grève comme une période assimilée, mais de les déclarer à l’ONSS comme des jours de travail ordinaires.

222Le tableau A2 montre que 3 386 employeurs ont été touchés par des mouvements de grève en 2020. Ce nombre est presque trois fois moins élevé que l’année précédente. Il est également clair que le nombre de grévistes a considérablement diminué : on recense presque cinq fois moins de grévistes en 2020 qu’en 2019. Si le nombre de grévistes était encore de 376 634 en 2019, il est passé à 78 748 l’année suivante, soit 19 grévistes pour 1 000 travailleurs. Cependant, au cours de l’année 2020, marquée par la pandémie de Covid-19, la durée de grève moyenne par travailleur était de presque deux jours, ce qui représente une augmentation par rapport à l’année précédente. En d’autres termes, les grévistes ont en moyenne interrompu leur travail plus longtemps que les années précédentes.

Tableau A2. Nombre d’employeurs touchés et de grévistes (2017-2020)

Tableau A2. Nombre d’employeurs touchés et de grévistes (2017-2020)

Tableau A2. Nombre d’employeurs touchés et de grévistes (2017-2020)

Sources : ONSS (statistiques en ligne) ; Brochure bleue, ONSS.

223Le tableau A3 montre les différences entre les régions pour le nombre de grévistes et le nombre de jours de grève  [143]. Il y a davantage de grévistes en Wallonie qu’en Flandre en 2020 ; l’année précédente, la tendance était inverse, du moins en chiffres absolus. Le nombre de grévistes pour 1 000 travailleurs est (considérablement) plus élevé en Wallonie qu’en Flandre pour l’ensemble des années de la période 2016-2020. En outre, le nombre relatif de grévistes n’a été plus élevé en Flandre qu’en Région bruxelloise qu’en 2019. Les deux indicateurs des mouvements de grève, à savoir le nombre de grévistes et le nombre de jours de grève, suivent généralement la même orientation dans toutes les régions (mais pas avec la même ampleur). Seule l’année 2019 fait exception à cette règle. Par ailleurs, on constate une augmentation du nombre de grévistes et du nombre de jours de grève en Flandre, et ce en termes tant absolus que relatifs, alors que l’on observe une diminution dans les autres régions. Enfin, la durée moyenne des grèves évolue également plus ou moins dans le même sens : soit elle augmente dans toutes les régions, soit elle diminue dans toutes les régions, soit elle reste la même. La durée moyenne des grèves est plus longue en Wallonie qu’en Flandre pour les années 2017, 2018 et 2019. Ainsi, non seulement le nombre de grévistes mais aussi la durée moyenne plus longue des grèves expliquent que le nombre de jours de grève soit plus élevé en Wallonie.

Tableau A3. Nombre de grévistes et de jours de grève selon le lieu d’occupation (2016-2020)

Tableau A3. Nombre de grévistes et de jours de grève selon le lieu d’occupation (2016-2020)

Tableau A3. Nombre de grévistes et de jours de grève selon le lieu d’occupation (2016-2020)

Sources :- données relatives aux jours de grève : Brochure bleue, ONSS. - données relatives aux travailleurs : SPF Économie, PME, Classes moyennes et Énergie, Direction générale Statistique, Enquête sur les forces de travail (EFT). * : Données révisées.

224Le nombre de jours de grève a sensiblement diminué dans toutes les régions en 2020. La Wallonie est à nouveau en tête avec 43 jours de grève pour 1 000 travailleurs, suivie par la Flandre. Les provinces de Hainaut et de Liège représentent 82,1 % du nombre de jours de grève en Wallonie en 2020. Les jours de grève en Flandre sont moins concentrés géographiquement : les deux provinces affichant le nombre de jours de grève le plus élevé, soit Anvers et la Flandre orientale, représentent 60,7 % du nombre de jours de grève dans cette région. Si l’on compare avec l’Allemagne et les Pays-Bas, par exemple, la Flandre n’est toutefois pas particulièrement épargnée par les grèves, même si le nombre de jours de grève y est moins élevé que dans les deux autres régions de Belgique. Fait surprenant : en 2020, les grèves en Flandre ont duré en moyenne deux fois plus longtemps que l’année précédente, et la durée des grèves est nettement plus élevée que dans les autres régions. C’est particulièrement le cas au cours du deuxième trimestre, avec une durée moyenne de 18,8 jours de grève  [144].

225S’il nous est impossible de déterminer quelles grèves de longue durée sont responsables de cette augmentation, nous savons qu’une grève particulièrement longue a eu lieu au premier trimestre, avec plus de six semaines d’arrêt de travail dans l’entreprise chimique Ineos Phenol à Doel  [145]. La grève menée dans l’implantation flamande de cette multinationale britannique avait commencé début janvier en raison du licenciement d’un représentant syndical de la CGSLB ; avec 43 jours de grève, elle est l’une des plus longues grèves jamais enregistrées dans l’industrie chimique  [146]. Par la suite, le conflit social s’était aggravé : des tensions étaient apparues au sujet des conditions de travail, la polyvalence des opérateurs étant la principale source de désaccord. Fait remarquable : les grévistes avaient également reçu le soutien d’activistes climatiques, qui s’opposent à un investissement d’un milliard de dollars d’Ineos dans le port d’Anvers  [147]. Le représentant syndical n’a finalement pas été réembauché ni reçu de compensation financière supplémentaire, mais l’accord prévoit néanmoins que le déploiement des opérateurs d’un département à l’autre se fasse désormais sur une base volontaire, avec une compensation financière et une formation complémentaire.

226Le tableau A4 dresse un aperçu de la part des grands secteurs économiques dans le nombre de jours de grève recensés au cours de la période 2016-2020. L’évolution de l’emploi au sein de ces secteurs n’est pas prise en compte. La part des jours de grève au sein de l’industrie a considérablement diminué ces dernières années si l’on compare avec la médiane et la moyenne de ce secteur. Cela s’explique en partie par une révision des données relatives aux grèves en 2013, mais aussi par la politique d’austérité menée dans le secteur public à partir de 2010, qui a entraîné de nombreuses grèves parmi les fonctionnaires. En 2020, le pourcentage de jours de grève a considérablement diminué dans l’industrie, a baissé dans le secteur public et a augmenté de manière significative dans le secteur tertiaire privé.

227Le tableau A5 indique le nombre de jours de grève dans les secteurs économiques, regroupés sur la base des commissions paritaires. Seuls les groupes sectoriels dont la part est en moyenne supérieure à 5 % durant la période 2007-2020 ont été pris en considération. Six groupes sectoriels représentent ensemble environ 81 % du nombre de jours de grève enregistrés sur un an. Tous les autres groupes sont repris dans la catégorie « Autres commissions paritaires ».

228La catégorie « Autres commissions paritaires » enregistre le nombre de jours de grève le plus élevé en 2020, suivie par le secteur public, pour lequel il n’existe pas de commission paritaire, et le secteur « Transport et logistique ». L’augmentation de la catégorie résiduelle par rapport aux années précédentes est due exclusivement au secteur « Activités de services administratifs et de soutien » : ce secteur a représenté 89 % du nombre de jours de grève au deuxième trimestre. La part du secteur « Métal » dans le nombre de jours de grève a sensiblement diminué au cours de l’année 2020, tandis que le secteur public a systématiquement compté plus de jours de grève que le secteur du métal depuis 2014. Néanmoins, à quelques exceptions près (2007, 2009, 2010, 2014 et 2020), les trois premiers secteurs (le secteur public, le secteur du métal et le secteur Transport et logistique) occupent la tête de ce classement depuis le début de la série de données en 2007. À la lumière de la pandémie de Covid-19, il est à noter également que le secteur non marchand est un secteur plutôt sensible aux grèves, puisqu’il figure dans le top 5 depuis 2010. Toutefois, la part de ce secteur reste inférieure à la médiane et à la moyenne de la période en 2020.

229Enfin, le tableau A6 renseigne le nombre de jours de grève par 1 000 travailleurs, ventilés selon le statut et le sexe du travailleur. Le nombre de jours de grève est toujours plus élevé chez les ouvriers que chez les employés et les fonctionnaires ; cela reste une constante. Du côté des employés et les fonctionnaires, le nombre de jours de grève est légèrement plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Par rapport à l’année précédente, le nombre de jours de grève a diminué dans toutes les catégories.

Tableau A4. Nombre de jours de grève selon les secteurs économiques et répartition entre secteurs (2016-2020)

Tableau A4. Nombre de jours de grève selon les secteurs économiques et répartition entre secteurs (2016-2020)

Tableau A4. Nombre de jours de grève selon les secteurs économiques et répartition entre secteurs (2016-2020)

Remarque : Ruptures temporelles en 2003 et 2013 (qui influencent la médiane et la moyenne).
Sources : ONSS (statistiques en ligne) ; Brochure bleue, ONSS. Calculs propres.

Tableau A5. Nombre de jours de grève selon les commissions paritaires (2016-2020)

Tableau A5. Nombre de jours de grève selon les commissions paritaires (2016-2020)

Tableau A5. Nombre de jours de grève selon les commissions paritaires (2016-2020)

Remarque : Rupture temporelle en 2013 (qui influence la médiane et la moyenne).
Sources : ONSS (statistiques en ligne) ; Brochure bleue, ONSS. Calculs propres.

Tableau A6. Répartition du nombre de jours de grève selon le statut et le sexe des travailleurs par 1 000 travailleurs (2016-2019)

Tableau A6. Répartition du nombre de jours de grève selon le statut et le sexe des travailleurs par 1 000 travailleurs (2016-2019)

Tableau A6. Répartition du nombre de jours de grève selon le statut et le sexe des travailleurs par 1 000 travailleurs (2016-2019)

Remarque : Ruptures temporelles en 2003 et 2013 (qui influencent la moyenne).
Sources : - données relatives aux jours de grève : ONSS (statistiques en ligne) ; Brochure bleue, ONSS. Calculs propres. - données relatives aux travailleurs : EFT.

Conclusion

230L’année 2020 a été caractérisée par un nombre relativement faible de jours de grève, mais la pandémie de Covid-19 n’a pas complètement paralysé les actions de grève ou autres actions collectives, et certaines actions ont été justement liées à cette pandémie. Le fait que la Belgique soit restée longtemps dépourvue d’un gouvernement fédéral de plein exercice en 2020 peut également expliquer le faible nombre de jours de grève. Ce chiffre sera plus élevé en 2021. Avec 183 198 jours de grève au premier trimestre de 2021, on compte déjà 43 586 jours de grève de plus que pour l’ensemble de l’année 2020 – la part de l’industrie étant de 55 %, suivie des secteurs des transports et de l’entreposage (12 %) puis du commerce et de la réparation d’automobiles et de motocycles (10 %). La grève nationale du 29 mars 2021 menée par la CSC et la FGTB dans le secteur privé pour une interprétation plus large et indicative de la norme salariale (et une révision de la loi sur la norme salariale) n’y est bien sûr pas étrangère.

Notes

  • [1]
    * Chapitre rédigé par Jean Vandewattyne et Laurent Vogel.
    Directive du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, Journal officiel des Communautés européennes, L 183, 29 juin 1989. Il s’agit là d’une disposition juridique contraignante pour les États membres.
  • [2]
    Convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs, adoptée par la conférence générale de l’OIT. En Belgique, cette convention a reçu l’assentiment tant de l’Autorité fédérale (loi du 3 juin 2007 : Moniteur belge, 17 février 2012) que des différentes entités fédérées du pays : Région wallonne (décrets du 20 novembre 2008 : Moniteur belge, 5 et 8 décembre 2008), Région de Bruxelles-Capitale (ordonnance du 19 avril 2007 : Moniteur belge, 19 juin 2007), Communauté française (décret du 14 novembre 2008 : Moniteur belge, 23 janvier 2009), Communauté flamande (décret du 4 juillet 2008 : Moniteur belge, 29 août 2008) et Communauté germanophone (décret du 22 novembre 2010 : Moniteur belge, 10 décembre 2010).
  • [3]
    Moniteur belge, 2 juin 2017.
  • [4]
    Pour une analyse juridique du droit de retrait en Belgique, cf. É. Dermine, S. Remouchamps, L. Vogel, « Le droit de retrait face à un danger grave et immédiat pour la santé : esquisse d’un régime juridique », Journal des tribunaux du travail, n° 1365, 2020, p. 193-213 ; É. Dermine, « Le droit de retrait : un outil juridique central pour assurer la protection effective de la santé des travailleurs en période de Covid-19 », Carnet de crise du Centre de droit public de l’ULB, n° 20, 24 avril 2020, https://droit-public.ulb.ac.be (cf. aussi É. Dermine, « Le Covid-19 ne suspend pas le droit de la santé au travail. Il en renforce les exigences », Carnet de crise du Centre de droit public de l’ULB, n° 19, 23 avril 2020, https://droit-public.ulb.ac.be).
  • [5]
    Le président du conseil d’administration de la STIB désigné le 9 janvier 2020 est un représentant du parti Groen, tandis que le vice-président est membre du PS.
  • [6]
    Différentes analyses des inégalités sociales en matière de santé depuis le déclenchement de la crise due à la pandémie de Covid-19 indiquent que le fait de dépendre des transports publics pour ses déplacements contribue vraisemblablement à une surexposition au risque.
  • [7]
    A. Lambert, J. Cayouette-Remblière (dir.), L’explosion des inégalités. Classes, genre et générations face à la crise sanitaire, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2021.
  • [8]
    M. Capron, J. Vandewattyne, « La conflictualité dans les transports en commun : la SNCB, les TEC et la STIB », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2011 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2135-2136, 2012, p. 40-56 ; J. Vandewattyne, M. Capron, « La conflictualité dans les transports en commun : la SNCB et la STIB », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2012. II. Secteur public et questions européennes », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2174-2175, 2013, p. 7-19.
  • [9]
    J. Vandewattyne, M. Capron, « La conflictualité dans les transports en commun : la SNCB et la STIB », op. cit., p. 18.
  • [10]
    Gauche Anticapitaliste, « Interview d’un chauffeur de la STIB : “La STIB est devenue un lieu de non-droits syndicaux” », 15 mai 2020, www.gaucheanticapitaliste.org/.
  • [11]
    M. Capron, J. Vandewattyne, « La conflictualité dans les transports en commun : la SNCB, les TEC et la STIB », op. cit., p. 54.
  • [12]
    Le Soir en ligne, 25 février 2020, https://plus.lesoir.be .
  • [13]
    RTBF Info, 18 mars 2021, https://www.rtbf.be/.
  • [14]
    Les pratiques concernant le fonctionnement du CPPT mises en place par la STIB au cours du premier confinement seront considérées comme illégales par l’Inspection du contrôle du bien-être au travail dans un avertissement dressé le 10 juin 2020.
  • [15]
    Le Soir en ligne, 23 mars 2020, https://plus.lesoir.be .
  • [16]
    Ce guide générique a été publié dans sa première version le 23 avril 2020. Sa quatrième version date du 12 mai 2021 : SPF Emploi, Travail et Concertation sociale, CGSLB, CSC, FEB, FGTB, MWSV, UCM, UNISOC, UNIZO, « Travailler en sécurité. Guide générique pour lutter contre la propagation du Covid-19 au travail », 2021, https://emploi.belgique.be. À la date du 20 juin 2021, la Commission paritaire du transport urbain et régional (CP 328) n’avait pas adopté de document sectoriel spécifique sur la prévention contre le Covid-19.
  • [17]
    « Coronavirus : la Belgique a fixé sa stratégie de sortie de crise. Communiqué de presse de la Première ministre Sophie Wilmès », 24 avril 2020, info-coronavirus.be/.
  • [18]
    Le Soir, 4 mai 2021.
  • [19]
    Cité par J. Christiaens, « À la STIB et ailleurs : on flatte les “héros” pour en faire des kamikazes », 13 mai 2020, www.gaucheanticapitaliste.org .
  • [20]
    Tract du front commun syndical de la STIB, non daté.
  • [21]
    RTBF Info, 11 mai 2020, www.rtbf.be/.
  • [22]
    Le Soir, 14 mai 2020.
  • [23]
    RTBF Info, 30 avril 2020, www.rtbf.be/.
  • [24]
    RTBF Info, 14 mai 2020, www.rtbf.be/.
  • [25]
    RTBF Info, 19 mai 2020, www.rtbf.be/.
  • [26]
    BX1, 29 mai 2020, https://bx1.be.
  • [27]
    Le nombre de demandeurs est mouvant, en raison de désistements et de ralliements. Ainsi, il est de 215 au 4 janvier 2021 (date de la première audience) et de 226 au 20 juin 2021. Il est à noter que, les syndicats ne soutenant pas l’action en justice, les coûts se montent à une centaine d’euros par demandeur.
  • [28]
    « L’application du droit de retrait en Belgique. Perspectives des travailleurs de la STIB. 4 questions à Olivier Rittweger de Moor », in « Le procès de la STIB pour le respect du droit de retrait », s.l.n.d. (document disponible sur le site Internet d’Investig’Action : www.investigaction.net, 29 janvier 2021).
  • [29]
    RTBF Info, 4 janvier 2021, www.rtbf.be/.
  • [30]
    Par contre, le syndicat français SUD-Rail (membre de l’Union syndicale-Solidaires) s’est montré solidaire.
  • [31]
    M. Renaud, G. Trudeau, C. Saint-Jacques, L. Dubé, Le droit de refus : une révolution tranquille. Étude de la mise en œuvre d’un nouveau droit, Université de Montréal, École de relations industrielles, 1989.
  • [32]
    RTBF Info, 3 mars 2020, www.rtbf.be/.
  • [33]
    * Chapitre rédigé par Alexandre Orban.
    Dont près de 700 employés et 2 400 ouvriers, auxquels s’ajoutent quelque 670 intérimaires (selon le bilan social du début de l’année 2020).
  • [34]
    Cela depuis le début de l’année 2019 (L’Écho, 24 janvier 2019).
  • [35]
    Mercedes-Benz connaîtrait des problèmes similaires pour la production de son propre modèle électrique (L’Écho, 24 janvier 2020). Ce type de difficultés s’observe également chez Ford, dont certaines usines sont fermées pour cette raison, mais aussi chez Honda, Toyota et Volkswagen (De Standaard, 14 février 2020).
  • [36]
    L’Écho, 24 janvier 2020.
  • [37]
    À ce sujet, cf. notamment H. Houben, « Les restructurations dans l’industrie automobile en Belgique », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2295-2296, 2016, p. 35-37, 50 et 53.
  • [38]
    Selon L’Écho, 21 février 2020.
  • [39]
    Pour une vue d’ensemble des impacts de la pandémie de Covid-19 sur le transport de marchandises dans le monde en 2020, cf. United Nations Conference on Trade and Development (UNCTAD), « Review of maritime transport 2020 », 2020, https://unctad.org.
  • [40]
    L’Écho, 7 avril 2020.
  • [41]
    41 La reprise de l’usine par le groupe Audi en 2007 a été l’occasion pour la nouvelle direction d’instaurer un modèle de relations entre interlocuteurs sociaux moins conflictuel que celui qui avait prévalu durant les années Volkswagen. S’inspirant de la « cogestion » appliquée au sein de la maison mère allemande d’Audi (où notamment les syndicats disposent du même nombre de voix au conseil d’administration de l’entreprise que le management et ont donc davantage de poids dans les décisions), la direction d’Audi Brussels a commencé à ouvrir bien davantage le dialogue avec les représentants syndicaux, en les consultant sur les nouvelles mesures projetées . En outre, il semble que, lorsque les syndicats s’opposent à l’application d’une mesure après des négociations, cette mesure est la plupart du temps écartée.
  • [42]
    L’Écho, 3 octobre 2020.
  • [43]
    * Chapitre rédigé par Eva Deront et Thomas Hausmann.
    Elle-même était le résultat de la fusion des grandes brasseries belges Artois et Piedboeuf.
  • [44]
    Cf. notamment A. Bingen, E. Martinez, « La conflictualité liée aux restructurations d’entreprises », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2011 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2135-2136, 2012, p. 58 et 65-67.
  • [45]
    La FGTB représente environ 75 % des votes aux élections sociales, contre 25 % à la CSC.
  • [46]
    Le secteur logistique est en charge des chargements et déchargements des camions livrant les matières premières ou emportant la production. Il compte 80 employés et employées.
  • [47]
    J. Lefèvre, « Les travailleurs d’InBev en grève pour se protéger et protéger les autres », Solidaire, 4 septembre 2020, www.solidaire.org.
  • [48]
    « On a deux collègues à l’hôpital et la seule chose qu’on nous dit, c’est : “La vie continue”. Ça vient des managers, ça. Pour nous, en tout cas, elle continue mais pas dans ces conditions », indique J. Borrego dans une vidéo postée sur Facebook le 2 septembre 2020. Le même J. Borrego déclare dans la presse : « On est en colère. Ça dépasse cela. Il y a l’émotion, mais nous estimons que ce que la direction n’a pas fait est criminel, tout bonnement criminel » (RTL Info, 4 septembre 2020, www.rtl.be).
  • [49]
    Agence France-Presse (AFP), 4 septembre 2020.
  • [50]
    50 Belga, 9 septembre 2020.
  • [51]
    Les élections sociales 2020 ont été reportées en raison de la pandémie de Covid-19 : initialement prévues en mai, elles se dérouleront en novembre.
  • [52]
    Belga, 9 septembre 2020.
  • [53]
    53La Libre Belgique, 14 septembre 2020.
  • [54]
    RTBF Info, 9 septembre 2020, www.rtbf.be/.
  • [55]
    Le Soir, 7 septembre 2020.
  • [56]
    Belga, 9 septembre 2020 ; France 3 (Région Hauts-de-France), 10 septembre 2020.
  • [57]
    RTBF Info, 9 septembre 2020, www.rtbf.be/.
  • [58]
    Belga, 9 septembre 2020.
  • [59]
    France 3 (Région Hauts-de-France), 10 septembre 2020.
  • [60]
    RTBF Info, 14 septembre 2020, www.rtbf.be/.
  • [61]
    « AB-InBev : grève contre la gestion criminelle de la crise sanitaire par la multinationale », Parti socialiste de lutte (PSL), 5 octobre 2020, https://fr.socialisme.be.
  • [62]
    Ibidem.
  • [63]
    RTBF Info, 19 novembre 2020, www.rtbf.be/.
  • [64]
    Les directions changent tous les quatre ans environ.
  • [65]
    Cité par Gondola, « AB InBev délocalise la brasserie de Jupille en raison des grèves », 10 février 2021, www.gondola.be.
  • [66]
    * Chapitre rédigé par Bruno Bauraind.
    GSK Biologicals emploie 8 968 personnes à Rixensart. GlaxoSmithKline Consumer Healthcare, VIIV Healthcare et GlaxoSmithKline Pharmaceuticals emploient ensemble 264 salariés à Wavre et Aseptics Technologies compte 14 salariés à Gembloux. Cf. CRISP, « L’actionnariat des entreprises wallonnes », www.actionnariatwallon.be.
  • [67]
    B. Bauraind, J. Vandewattyne, « ArcelorMittal Liège : la fin d’un bastion syndical ? », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociales en 2013 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2208-2209, 2014, p. 41-52.
  • [68]
    A. Bingen, B. Bauraind, « La fermeture de Caterpillar à Gosselies », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2016 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2341-2342, 2017, p. 61-73.
  • [69]
    La Libre Belgique, 6 février 2020.
  • [70]
    Le Soir, 2 mars 2020.
  • [71]
    Site Internet belge de GSK : https://be.gsk.com.
  • [72]
    C. Goethals, M. Wunderle, « Le secteur pharmaceutique en Belgique », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2366-2367, 2018.
  • [73]
    A. Vincent, « L’industrie pharmaceutique en Belgique », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 598-599, 1973, p. 35-36.
  • [74]
    N. Hirtz, « GlaxoSmithKline. Historique », Mirador (Observatoire critique des multinationales), avril 2015, www.mirador-multinationales.be.
  • [75]
    Le Soir, 7 février 2013.
  • [76]
    Vaccin contre les pneumonies et les otites.
  • [77]
    Présentation d’Alfons De Potter et Dimitra Penidis (CSC-BIE) devant le comité pharmaceutique d’IndustriALL, mars 2014.
  • [78]
    À l’exception du vaccin contre la grippe.
  • [79]
    RTBF Info, le 22 avril 2014, www.rtbf.be/.
  • [80]
    L’Usine nouvelle, 27 mars 2018, www.usinenouvelle.com.
  • [81]
    L’Usine nouvelle, 27 mars 2018, www.usinenouvelle.com.
  • [82]
    GSK, « GSK Vaccines annonce un plan de transformation », Communiqué de presse, 5 février 2020, https://be.gsk.com.
  • [83]
    La Libre Belgique, 6 février 2020.
  • [84]
    « GlaxoSmithKline », Mirador (Observatoire critique des multinationales), www.mirador-multinationales.be.
  • [85]
    La FGTB-Chimie est le résultat d’un accord conclu en 2018 entre le Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCA) et la Centrale générale (CG) pour défendre ensemble les ouvriers et les employés dans le secteur de la chimie.
  • [86]
    Le Soir, 6 février 2020.
  • [87]
    La Libre Belgique, 6 février 2020. Cf. Chambre des représentants, Proposition de loi modifiant la loi du 13 février 1998 portant des dispositions en faveur de l’emploi et l’arrêté royal du 24 mai 1976 sur les licenciements collectifs, visant à contrôler les motifs économiques des restructurations, déposée par Raoul Hedebouw, Marco Van Hees, Nadia Moscufo Steven De Vuyst et Peter Mertens (groupe PVDA-PTB), n° 1038/1, 19 février 2020 (en reprise de : Chambre des représentants, Proposition de loi modifiant la loi du 13 février 1998 portant des dispositions en faveur de l’emploi et l’arrêté royal du 24 mai 1976 sur les licenciements collectifs, visant à contrôler les motifs économiques des restructurations, déposée par R. Hedebouw et M. Van Hees (groupe PTB-GO!), n° 2329/1, 23 février 2017).
  • [88]
    L’Écho, 6 février 2020.
  • [89]
    SETCA et CG, « Notre objectif : zéro licenciement », Tract (reproduit par La Dernière Heure, 12 février 2020).
  • [90]
    L’Écho, 13 février 2020.
  • [91]
    Le Soir, 2 mars 2020.
  • [92]
    Moniteur belge, 27 septembre 1948.
  • [93]
    Article 20bis de la loi du 20 septembre 1948 précitée.
  • [94]
    Cet organisme a été reconnu par l’arrêté royal du 26 novembre 1986 portant reconnaissance de la Confédération nationale des cadres en qualité d’organisation représentative des cadres (Moniteur belge, 10 décembre 1986).
  • [95]
    L’Écho, 13 février 2020.
  • [96]
    L’Écho, 13 février 2020.
  • [97]
    Entretien avec la délégation FGTB-Chimie de GSK, 14 avril 2021.
  • [98]
    L’Écho, 8 mai 2020.
  • [99]
    L’Écho en ligne, 15 septembre 2020, www.lecho.be/.
  • [100]
    RTBF Info, 17 juin 2020, www.rtbf.be/.
  • [101]
    La Libre Belgique, 3 octobre 2020.
  • [102]
    La Libre Belgique, 3 octobre 2020.
  • [103]
    Entretien avec la délégation FGTB-Chimie, 14 avril 2021.
  • [104]
    Entretien avec la délégation FGTB-Chimie, 14 avril 2021.
  • [105]
    À l’heure d’écrire ces lignes, les bilans 2020 des différentes sociétés belges de GSK ne sont pas encore disponibles sur le site Internet de la Banque nationale belge (BNB).
  • [106]
    Les Échos en ligne, 5 juillet 2021, www.lesechos.fr.
  • [107]
    La Libre Belgique en ligne, 5 juillet 2021, www.lalibre.be.
  • [108]
    Le Soir, 2 mars 2020.
  • [109]
    * Chapitre rédigé par Pierre Reman et Gérard Lambert.
    P. Reman, G. Lambert, « L’Avenir, un journal au futur suspendu », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2018. II. Conflits d’entreprise », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2424-2425, 2019, p. 55-74 ; P. Reman, G. Lambert, « L’Avenir, un journal sans perspective de lendemain », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2019. II. Luttes sociales : entre salariat et précariat », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2475-2476, 2020, p. 18-36.
  • [110]
    Le 6 octobre 2019, le gouvernement wallon a décidé de casser les ventes d’Elicio, de VOO et de Win pour des raisons de non-concurrence dans le cas des ventes d’Elicio et de Win et en raison des conditions dans lesquelles s’était déroulée la vente de VOO.
  • [111]
    La Libre Belgique, 16 janvier 2020.
  • [112]
    Le 25 juin 2021, la levée de fonds a atteint le montant de 470 000 euros (L’Avenir en ligne, 25 juin 2021, www.lavenir.net/).
  • [113]
    L’Avenir en ligne, 18 février 2020, www.lavenir.net/.
  • [114]
    Le Soir, 17 mars 2020.
  • [115]
    L’Avenir en ligne, 17 avril 2020, www.lavenir.net/.
  • [116]
    Le Soir, 25 juin 2020.
  • [117]
    Le 7 octobre 2020, le conseil d’administration de L’Avenir Advertising (LAA) annonce sa décision d’arrêter l’activité Proximag et de procéder à un licenciement collectif. Le plan social est approuvé à l’unanimité par le personnel : 32 travailleurs sont licenciés, 11 sont repris dans la nouvelle société, filiale d’IPM Group, et 7 sont transférés au Groupe Rossel qui rachète certaines branches de Proximag pour son toutes-boîtes Vlan. Cf. L’Avenir, 11 novembre 2020.
  • [118]
    LAvenir, 14 juillet 2020.
  • [119]
    119 L’Avenir, 9 juillet 2020.
  • [120]
    L’Écho, 15 septembre 2020.
  • [121]
    CNE, « L’Avenir et L’Avenir Hebdo repris par IPM : les syndicats sont inquiets ! », Communiqué de presse, 10 juillet 2020.
  • [122]
    122L’Avenir, 9 juillet 2020 .
  • [123]
    L’Avenir, 9 juillet 2020.
  • [124]
    Cf. É. Léonard, « Pacte social : enjeux anciens, nouveaux défis », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2452, 2020.
  • [125]
    Entre autres par le président de la FGTB fédérale, Robert Verteneuil, lors de son discours du 1er mai et, à sa suite, par l’administrateur délégué de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), Pieter Timmermans. La rencontre de R. Verteneuil et du président du MR, Georges-Louis Bouchez, et ses conclusions en faveur d’une négociation d’un nouveau pacte social livrées au journal Le Soir le 4 juin ont entraîné l’éviction du premier du poste de président de la FGTB fédérale et son remplacement par Thierry Bodson le 9 juin.
  • [126]
    Cf. I. Ferreras, « Le droit du travail parmi les droits civils et politiques ? Réflexions à propos de la participation des travailleurs au gouvernement de l’entreprise », Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, n° 3, 2018, p. 28-37.
  • [127]
    Cette décision des chauffeurs d’opter pour une stratégie judiciaire s’explique par le fait que les permanents syndicaux étaient hostiles à l’idée de déposer un préavis de grève et que, en conséquence, la grève aurait été considérée comme sauvage et aurait donc été potentiellement pénalisante pour les grévistes.
  • [128]
    Cinq délégués ou permanents de la FGTB et le président du syndicat écopent d’une peine d’un mois de prison avec sursis total durant une période de trois ans et d’une amende de 600 euros. Onze autres membres de la FGTB écopent d’une peine de quinze jours de prison avec sursis total durant une période de trois ans et d’une amende de 300 euros.
  • [129]
    Depuis lors, cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Liège, le 19 octobre 2021, et les peines d’amendes ont été alourdies.
  • [130]
    Arrêté royal n° 26 du 29 mai 2020 retirant l’arrêté royal n° 9 du 19 avril 2020 portant exécution de l’article 5, § 1er, 2°, de la loi du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus Covid-19 (II), en vue de permettre temporairement l’exercice de l’art infirmier par des professionnels de soins de santé non qualifiés (Moniteur belge, 29 mai 2020). Cf. J. Buelens, K. Reyniers, « De impact van de coronapandemie op het arbeidsrecht », in B. Vanlerberghe, J. Rozie, S. Rutten (dir.), Covid-besmetting van de rechtshandhaving, Anvers, Intersentia, 2021, p. 65-118.
  • [131]
    Loi du 30 juin 2020 pérennisant le fonds Blouses blanches et affectant ses moyens correspondants pour les années 2019 et 2020 (Moniteur belge, 14 août 2020).
  • [132]
    Loi du 6 novembre 2020 en vue d’autoriser des personnes non légalement qualifiées à exercer, dans le cadre de l’épidémie de coronavirus Covid-19, des activités relevant de l’art infirmier (Moniteur belge, 6 novembre 2020).
  • [133]
    Il est à noter qu’un semblable glissement s’est produit à la STIB également.
  • [134]
    P. Rosanvallon, Les épreuves de la vie. Comprendre autrement les Français, Paris, Seuil, 2021, p. 13. P. Rosanvallon reprend la distinction du sociologue américain Charles Wright Mills entre « épreuves individuelles » et « enjeux de structure », et montre que ces deux éléments se distinguent et se lient à la fois.
  • [135]
    * Annexe rédigée par Kurt Vandaele.
    Cf. K. Vandaele, « Les statistiques de grèves et leur exploitation », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2079, 2010, p. 19-20 ; K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève durant la période 1991-2011 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2011 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2135-2136, 2012, p. 111-121 ; K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève en 2011-2012 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2012. II. Secteur public et questions européennes », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2174-2175, 2013, p. 82-86 ; K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève en 2012-2013 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2013 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2208-2209, 2014, p. 105-109 ; K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève en 2013-2017 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2017 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2383-2384, 2018, p. 94-103 ; K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève en 2018 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2018. II. Conflits d’entreprise », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2424-2425, 2019, p. 101-106 ; K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève en 2019 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2019. II. Luttes sociales : entre salariat et précariat », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2475-2476, 2020, p. 99-103. Pour la période 1991-2012, les statistiques de grève restent inchangées et sont donc sous-estimées.
  • [136]
    Les périodes assimilées sont des périodes d’absence du travail qui ne sont pas rémunérées, mais qui sont assimilées à des périodes de travail en vue de déterminer certains avantages sociaux à accorder aux travailleurs. Chaque trimestre, les employeurs ou leurs mandataires (secrétariats sociaux) déclarent ces périodes à l’ONSS. Les grèves et lock-out relèvent également de la définition des périodes assimilées. Les données pour ces deux derniers indicateurs ont été rendues accessibles en 2020, mais sont disponibles rétroactivement à partir de l’année 2017.
  • [137]
    Le nombre de jours de grève par 1 000 travailleurs dépend du nombre total de travailleurs. Dès lors, il peut être identique entre deux années alors que celles-ci présentent des nombres de jours de grève différents ; de même, il peut être différent entre deux années alors que celles-ci présentent des nombres de jours de grève identiques.
  • [138]
    Il y a certes eu 138 677 jours de grève en 1998, mais cela représentait alors 44 jours de grève par 1 000 travailleurs.
  • [139]
    Les travailleurs du secteur de l’aide familiale avaient également participé.
  • [140]
    À ce sujet (en ce compris la grève du 8 janvier 2020 et la suite du mouvement jusqu’à la mi-mai 2020), cf. L. Mélon, A. Bingen, P. Reman, « Mobilisation inédite dans le secteur des titres-services », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2019. II. Luttes sociales : entre salariat et précariat », op. cit., p. 62-71.
  • [141]
    La brochure bleue de l’ONSS et les tableaux présentant le bilan annuel n’indiquent pas le nombre d’employeurs touchés ni celui de grévistes.
  • [142]
    Aucune distinction ne peut être établie entre le nombre direct et le nombre indirect de grévistes.
  • [143]
    Il s’agit de données révisées pour le nombre de jours de grève pour les années 2017, 2018 et 2019. Après révision, le nombre de jours de grève après révision est plus faible en Région bruxelloise, et légèrement plus élevé en Wallonie et en Flandre. La révision augmente également le nombre de jours de grève qui ne peuvent être rattachés à une région et de travailleurs provenant des quatre pays limitrophes et d’autres pays.
  • [144]
    La durée des grèves pour les premier, troisième et quatrième trimestres est respectivement de 1,3, 1,4 et 2,1 jours.
  • [145]
    De Tijd, 22 février 2020 ; De Standaard, 22 février 2020.
  • [146]
    De Standaard, 17 février 2020.
  • [147]
    De Tijd, 30 janvier 2020.
  1. 7. La revendication collective de l’exercice du droit de retrait par les chauffeurs de la STIB : une première dans l’histoire sociale en Belgique
    1. 7.1. La conflictualité sociale à la STIB : rapide mise en contexte
    2. 7.2. Les mesures prises lors du premier confinement
    3. 7.3. Le recours au droit de retrait
    4. 7.4. Le recours à la justice
    5. 7.5. En guise de conclusion : un conflit qui interroge l’effectivité d’un droit fondamental
  2. 8. Audi Brussels : formes et dynamiques des conflits du travail en période de Covid-19
    1. 8.1. Des tensions autour des fournisseurs
    2. 8.2. Première vague, grève et négociations
    3. 8.3. Après la reprise, des problèmes subsistants chez Audi Brussels et ses sous-traitants
    4. 8.4. Le projet du travail le samedi : la goutte de trop
    5. 8.5. Conclusion
  3. 9. AB InBev : le brassin de la colère
    1. 9.1. Un géant brassicole et une délégation syndicale combative
    2. 9.2. Des manquements sanitaires à l’origine de la grève
    3. 9.3. Un conflit tendu, entre pression de la direction, forte mobilisation syndicale et politisation
    4. 9.4. Un front large de soutien
    5. 9.5. La fin du conflit
    6. 9.6. Conclusion
  4. 10. GSK : une restructuration sans conflit
    1. 10.1. L’ancrage wallon de GSK
    2. 10.2. Coup d’arrêt pour la success story
    3. 10.3. Un licenciement collectif de cadres
    4. 10.4. Une négociation confinée
    5. 10.5. Perspectives
  5. 11. L’Avenir : conflit éteint, futur à conjuguer
    1. 11.1. La coopérative « Notre Avenir »
    2. 11.2. Le processus de vente des Éditions de l’Avenir
    3. 11.3. IPM Group l’emporte
    4. 11.4. Conclusion
  6. Conclusion
    1. La baisse des conflits sociaux et le rôle de la concertation sociale interprofessionnelle
    2. La sécurité au travail : entre judiciarisation et création d’un nouveau droit
    3. Quand la pandémie exacerbe une conflictualité existante et questionne la concertation sociale
    4. Quand la crise sanitaire constitue un levier d’actions
    5. Quand la crise sanitaire déplace les axes structurant les conflits
    6. Quand la crise sanitaire n’a qu’une faible influence sur les conflits en cours
Iannis Gracos
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Le Groupe d’analyse des conflits sociaux (GRACOS) est un collectif interdisciplinaire ayant pour objectif l’étude des principaux mouvements de grève et autres éléments de la conflictualité sociale qui jalonnent chaque année civile. Ce Courrier hebdomadaire est consacré aux conflits qui ont marqué l’actualité belge en 2020. Particulièrement significatifs par rapport à l’histoire sociale et aux enjeux futurs, ceux-ci sont regroupés en deux volumes.

L’année 2020 a été fortement marquée par la pandémie de Covid-19 et par les mesures prises par les autorités publiques afin de lutter contre elle. Ce contexte a affecté la concertation et la conflictualité sociales et, plus largement, l’ensemble des acteurs du monde du travail.

Le second volume traite de grèves et de conflits sociaux survenus au niveau d’entreprises : la société de transport en commun STIB, l’usine de construction automobile Audi Brussels et ses sous-traitants, l’usine brassicole AB InBev, l’entreprise pharmaceutique GlaxoSmithKline (GSK) et les Éditions de l’Avenir. À travers ces différents cas, ce sont plus globalement l’évolution des relations collectives de travail et de la concertation sociale et l’impact de la pandémie sur celles-ci qui sont questionnés.

L’étude se clôt par une annexe statistique fournissant un aperçu quantitatif du phénomène des grèves en Belgique en 2020. Le GRACOS se compose actuellement de 23 membres : B. Bauraind, A. Bingen, M. Brodersen, J. Buelens, B. Conter, V. Demertzis, E. Deront, A. Dufresne, J. Faniel, C. Gobin, T. Hausmann, N. Hirtz, G. Lambert, V. Lefebve, C. Leterme, E. Martinez, L. Mélon, A. Orban, P. Reman, M. C. Trionfetti, K. Vandaele, J. Vandewattyne et C. Vanroelen. La présente étude a été rédigée avec la collaboration de L. Vogel.

Mis en ligne sur Cairn.info le 21/12/2021
https://doi.org/10.3917/cris.2513.0007
ISBN 9782870752753
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