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Avant-propos

1 GRACOS est l’acronyme de « Groupe d’analyse des conflits sociaux ». Il s’agit d’un collectif interdisciplinaire de chercheuses et de chercheurs s’intéressant à la conflictualité sociale au sens large, en lien avec les questions de relations collectives de travail.

2Fondé en 2011, le groupe s’est fixé pour premier objectif de produire annuellement une publication dans laquelle sont examinés les principaux mouvements de grève et d’autres éléments de la conflictualité sociale qui se sont déroulés en Belgique durant l’année civile précédente. Cette publication, qui paraît dans le Courrier hebdomadaire du CRISP, comporte en outre une analyse annuelle des statistiques officielles sur la grève. Dans de précédentes livraisons du Courrier hebdomadaire, le GRACOS s’est penché sur les années 2011 à 2016  [1] ; la présente étude procède de même pour 2017. Par ailleurs, le GRACOS organise également d’autres activités en rapport avec son thème d’étude, comme des séminaires.

3 Les conflits sociaux analysés sont sélectionnés par les membres du GRACOS sur la base de deux critères : d’une part le caractère marquant de ces conflits, et d’autre part leurs conséquences potentiellement fortes sur la philosophie des relations collectives de travail ou sur le fonctionnement du système social en Belgique. Les événements étudiés sont donc remarquables soit par l’ampleur qu’ils ont prise (en termes de mobilisation sociale ou de retentissement médiatique), soit par les décisions politiques qu’ils ont générées, soit par les effets qu’ils pourraient engendrer. Une attention particulière est portée au phénomène de la grève, qui constitue un droit fondamental dans un système démocratique. Plus largement, tout conflit social considéré par le groupe comme un événement important peut être traité.

4 Le GRACOS se compose de sociologues, de politologues, de juristes, d’économistes, tant francophones que néerlandophones, qui portent un intérêt tout particulier à l’évolution de l’exercice de la grève. Les nouveaux membres désireux de participer à l’écriture collective sont intégrés par cooptation. En fonction des sujets susceptibles d’être traités, le groupe s’ouvre à l’occasion à des contributions extérieures. Actuellement, le GRACOS se compose de 16 membres : Bruno Bauraind, Aline Bingen, Meike Brodersen, Jan Buelens, Bernard Conter, Vaïa Demertzis, Anne Dufresne, Jean Faniel, Corinne Gobin, Natalia Hirtz, Cédric Leterme, Esteban Martinez, Laetitia Mélon, Kurt Vandaele, Jean Vandewattyne et Christophe Vanroelen. Ont également participé à la présente publication : Romain Poriaux et Maria-Cécilia Trionfetti. Pour 2017, la coordination a été assurée par Bruno Bauraind.

5 Le nom « Iannis Gracos » a été retenu comme appellation collective des auteurs de la publication annuelle, par référence à la lutte du peuple grec contre les mesures d’austérité qui lui sont imposées depuis 2010.

Introduction

6Le regard porté sur la conflictualité sociale en 2017 tranche avec les années précédentes. En effet, cette année a été marquée par la conclusion d’un accord interprofessionnel (AIP) ratifié par toutes les parties qui l’ont négocié, ce qui n’était plus arrivé depuis 2008. Cet accord, valable pour la période 2017-2018, prévoit notamment de limiter à 1,1 % sur deux ans les hausses de salaire, indépendamment de l’indexation automatique de ces derniers et des hausses barémiques (liées à l’ancienneté). Cet AIP marque une certaine détente dans la concertation sociale nationale interprofessionnelle et il relâche quelque peu la modération salariale menée depuis le déclenchement, en 2008, de la crise financière et bancaire, appuyée notamment par le gouvernement fédéral (N-VA/MR/CD&V/Open VLD) dirigé par Charles Michel (à travers le saut d’index) ainsi que par ses prédécesseurs  [2]. Mais cet accord a été conclu dans un cadre légal revu, déterminant de manière plus restrictive qu’auparavant la marge d’évolution des salaires afin de combler le « handicap salarial historique » identifié par le gouvernement fédéral actuel et par le patronat – mais que les syndicats estiment déjà résorbé, en particulier au regard des réductions de cotisations de sécurité sociale accordées aux entreprises.

7 L’année a aussi été marquée par la poursuite et le renforcement de la politique menée depuis octobre 2014 par le gouvernement Michel. Celle-ci s’est incarnée tout particulièrement dans l’« accord de l’été » conclu par les quatre partis de la majorité sur diverses thématiques socio-économiques, largement dénoncé par les trois organisations syndicales (CSC, FGTB et CGSLB), sans toutefois susciter de leur part d’action massive de contestation en retour. Seule la réforme des pensions de retraite a conduit les trois syndicats à organiser en front commun, en toute fin d’année, une manifestation nationale qui a rassemblé entre 25 000 et 40 000 personnes, soit l’action de ce type la moins suivie depuis plusieurs années.

8 Par ailleurs, le gouvernement fédéral a introduit au cours de cette année le service minimum en cas de grève dans le transport ferroviaire de personnes (sous le nom de « service garanti »). En Wallonie, le gouvernement MR/CDH emmené par Willy Borsus (MR), mis en place à la fin du mois de juillet 2017 suite à la rupture par le CDH de sa coalition avec le PS (gouvernement Magnette), a imposé le service minimum en cas de grève dans les transports en commun du groupe TEC (dénommé ici « service continu »). Ces deux décisions ont suscité une réaction syndicale de mécontentement de la part des agents concernés, mais qui n’a toutefois guère pris la forme d’actions de protestation de masse ou répétées et ne s’est pas accompagnée d’actions de solidarité de la part d’autres secteurs professionnels, hormis dans les rangs de la Centrale générale des services publics (CGSP, centrale affiliée à la FGTB).

9 Plus largement, la mise sur pied d’un gouvernement de centre-droit en Région wallonne en remplacement d’une coalition de centre-gauche a provoqué d’autres réactions syndicales de mécontentement, en particulier dans le secteur public, en raison de la crainte ou du constat d’un changement de direction du gouvernement dans des matières affectant les agents des services publics ou, plus largement, les citoyens. Ici également, ces réactions ont essentiellement été le fait des agents du secteur public et guère de leurs homologues des centrales actives dans le secteur privé, même lorsque les actions étaient portées par les instances régionales interprofessionnelles de la CSC ou de la FGTB.

10 Au final, l’année 2017 a été marquée par un nombre de jours de grève significativement plus bas que les dernières années, et quasiment deux fois moins élevé que l’année précédente, 2016 ayant vu une hausse de ce nombre. Une forme d’impuissance, voire de lassitude – déjà relevée en 2016 – semble se renforcer dans les rangs syndicaux, accentuée sans doute par le sentiment que le gouvernement fédéral maintiendra son cap jusqu’à la fin de la législature, en mai 2019, en dépit des actions menées par les trois syndicats.

11 Par ailleurs, l’économie belge a connu une croissance de 1,7 % en 2017 et le nombre d’annonces de grandes restructurations s’est avéré drastiquement moins élevé qu’au cours des années précédentes (cf. infra). Pour leur part, le chômage et la dette publique ont quelque peu reculé. Tandis que ce bilan est présenté comme positif par le gouvernement fédéral, par les partis qui le composent et par des institutions telles que la Banque nationale de Belgique (BNB), l’opposition et les syndicats soulignent que la croissance s’est avérée moindre que celle enregistrée en moyenne dans la zone euro (2,4 % selon Eurostat) et que l’emploi créé est souvent de qualité médiocre (travail à temps partiel, etc.).

12 Parallèlement, tandis que les travailleurs belges restent les plus productifs d’Europe occidentale (derrière ceux de Suisse)  [3], et malgré une hausse des salaires autorisée plus large que les années précédentes en vertu de l’AIP conclu au début de l’année, l’écart entre le salaire médian et la rémunération des dirigeants des plus grandes entreprises actives en Belgique (en particulier celles du BEL 20, mais aussi de sociétés de moindre importance) s’est à nouveau accru. Au début du mois de janvier 2018, la Centrale nationale des employés (CNE, affiliée à la CSC) a calculé que, comme un an auparavant, la rémunération empochée par les chief executive officers (CEO) des sociétés du BEL 20 depuis le 1er janvier avait atteint après quelques jours l’équivalent du salaire annuel moyen des travailleurs belges ; c’est ce que le syndicat baptise le « CEO jackpot day »  [4].

13L’année 2017 a aussi été caractérisée par une accalmie sur le front des licenciements collectifs, après une année 2016 marquée par plusieurs annonces lourdes de conséquences pour l’emploi, en particulier dans les cas de Caterpillar et d’ING. Au nombre de 3 829 en 2017, les pertes d’emploi annoncées dans le cadre de la procédure Renault mise en place en cas de fermeture ou de restructuration  [5] ont baissé de 77 % par rapport à l’année précédente, atteignant le niveau le plus bas depuis le début de la collecte de ces données en 2009. Il est toutefois délicat de considérer dès à présent qu’il s’agirait là d’une baisse appelée à se poursuivre car, au cours des années précédentes déjà, une évolution en dents de scie a pu être constatée, ce nombre passant de 16 295 en 2013 à 6 240 en 2014, puis à 8 092 en 2015 et à 12 042 en 2016. En 2017, c’est le secteur de la transformation du métal qui a été le premier touché, avec 1 147 travailleurs concernés. Viennent ensuite la distribution (702 travailleurs) et l’industrie agro-alimentaire (352 travailleurs).

14 En ce qui concerne l’ensemble des pertes d’emploi consécutives à des faillites d’entreprise, qui sont répertoriées au Fonds d’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d’entreprise (FFE)  [6], on constate le maintien d’une tendance à la baisse sur les 5 dernières années, avec 21 767 travailleurs concernés en 2017 (contre 22 697 en 2016, 25 388 en 2015, 28 507 en 2014 et 30 028 en 2013). Le secteur de la construction arrive en tête, concentrant à lui seul 40 % de ces pertes d’emploi, suivi du secteur de l’électricité, du gaz et de l’eau, ainsi que du secteur des services (respectivement près de 20 % et 17 % des pertes d’emploi enregistrées). Près de 44 % des 21 767 travailleurs ayant perdu leur emploi en raison d’une faillite étaient issus d’entreprises de 20 travailleurs ou plus.

15 Dans le contexte d’une année 2017 marquée par une contestation syndicale moindre que durant les années précédentes, une démarche visant à peser à terme sur le cours de la politique a retenu l’attention à la mi-septembre. Le secrétaire général de la FGTB wallonne, Thierry Bodson, a annoncé que son organisation allait convier des représentants du PS, du PTB et d’Écolo afin de leur exposer les priorités du syndicat et de les inviter à se positionner à leur égard  [7]. De manière répétée par la suite, le dirigeant syndical a dit sa volonté de voir ces trois partis former une coalition de gauche pour diriger la Wallonie au terme du scrutin régional du 26 mai 2019 s’ils en ont la possibilité au vu de leurs résultats électoraux.

16 Comme de coutume, le premier chapitre de cette livraison consacrée à l’année 2017 concerne le niveau interprofessionnel. Le début de l’année a été marqué par la conclusion puis l’approbation de l’AIP. Si celui-ci semble avoir été conclu sans trop de difficulté, c’est notamment parce que le gouvernement fédéral a très strictement encadré la négociation du volet salarial de l’accord. La conclusion de l’AIP n’a toutefois pas complètement apaisé les relations sociales. Durant les mois qui ont suivi, l’« accord de l’été » conclu par le gouvernement Michel a suscité de vives critiques de la part du monde syndical. Bernard Conter et Jean Faniel montrent toutefois que c’est le dossier de la réforme des pensions qui a conduit, après quelques hésitations, les syndicats à organiser une manifestation nationale, d’une ampleur toutefois limitée. Par ailleurs, ils relèvent que, au cours de cette année, les mobilisations dans le secteur public ont davantage retenu l’attention que celles organisées au niveau interprofessionnel.

17 Abordant la conflictualité fédérale et régionale dans les services publics, Vaïa Demertzis souligne à son tour que, sur le plan fédéral, la réforme des pensions du secteur public et l’accord budgétaire de l’été 2017 ont alimenté les tensions sociales dans la seconde moitié de l’année 2017. Sur le plan régional, la fonction publique régionale et le secteur des transports en commun ont constitué des priorités du nouveau gouvernement wallon. Les organisations syndicales des services publics ont cependant réagi différemment et en ordre dispersé. La CGSP est montée rapidement et durablement au front contre les décisions et projets des gouvernements fédéral et wallon. Du côté de la CSC-Services publics, seule l’aile wallonne a rejoint le mouvement, fin novembre et pour la fonction publique régionale uniquement. Cette disparité reflète des stratégies syndicales divergentes. Le syndicat chrétien semble privilégier ses relais politiques aux gouvernements fédéral (CD&V) et wallon (CDH), tandis que le syndicat socialiste des services publics continue à s’opposer à la politique gouvernementale fédérale et, désormais aussi, à dénoncer la politique régionale wallonne en matière de services publics. Néanmoins, la CGSP n’est pas parvenue à obtenir le soutien des centrales du secteur privé au sein même de la FGTB, ni à développer un front commun avec les syndicats des services publics d’obédience chrétienne et libérale.

18 Contrairement aux années antérieures, le rail belge n’a pas connu d’actions de grève propres au secteur en 2017. Vaïa Demertzis, Romain Poriaux et Jean Vandewattyne soulignent que les seules grèves que ce secteur a connues sont intervenues dans le cadre d’actions nationales menées par les organisations syndicales interprofessionnelles ou par la seule CGSP contre le gouvernement fédéral. L’année 2017 a par ailleurs connu l’aboutissement de deux procédures judiciaires à l’encontre de la SNCB en lien avec des actions de grève antérieures. La première a pris la forme d’une class action initiée par l’association de consommateurs Test-Achats en 2015 et la seconde concerne le recours en annulation introduit en décembre 2016 auprès de la Cour constitutionnelle par le Syndicat indépendant des cheminots (SIC) et l’Union nationale des services publics (UNSP) à l’encontre de l’article 12 de la loi du 3 août 2016 portant des dispositions diverses en matière ferroviaire. Mais ce calme apparent ne rend pas compte du transfert de la conflictualité sociale vers le niveau intersectoriel et la sphère politique. C’est l’instauration du service minimum dans le secteur du rail (« service garanti »), inscrit dans l’accord gouvernemental fédéral du 9 octobre 2014, qui a structuré ce transfert de conflictualité en 2017. Face à l’échec des négociations en interne, le gouvernement Michel a, comme annoncé, repris le dossier en main et a déposé un projet de loi sur la continuité du service de transport ferroviaire de personnes en cas de grève. La conflictualité s’est alors poursuivie sur deux plans : d’une part, la mobilisation syndicale intersectorielle de la CGSP et, d’autre part, la négociation politique dans le cadre du processus législatif. Le gouvernement a finalement imposé son projet, qui a été adopté par la Chambre des représentants et est dès lors devenu loi, finalisant ainsi un dossier qui était sur la table depuis des années. Il s’agit incontestablement d’une victoire politique et symbolique pour le gouvernement Michel et, plus particulièrement, pour la N-VA, pour le MR et pour l’Open VLD, qui en avaient fait un de leurs chevaux de bataille.

19 Au sein du secteur privé commercial, les mobilisations du Collectif des coursier.e.s contre Deliveroo ont tout particulièrement retenu l’attention au cours de l’année 2017. Anne Dufresne, Cédric Leterme et Jean Vandewattyne traitent des actions menées contre les décisions prises par cette société tant au niveau de son service clientèle qu’à l’encontre de ses coursiers. Né de façon informelle en 2015, ce collectif vise à organiser les livreurs des différentes start-up actives dans la livraison de repas à domicile (UberEats, Deliveroo, TakeAway, etc.). Si ses premières actions remontent à juillet 2016 et ont eu pour cible certaines pratiques de Take Eat Easy (TEE), c’est surtout en 2017 que ce collectif a fait parler de lui, en mobilisant les coursiers de Deliveroo contre la décision prise par la filiale belge de la multinationale de passer d’une rémunération à l’heure à une rémunération à la course. Ce conflit a trouvé une forme d’épilogue en février 2018. Outre le rapport du Collectif des coursier.e.s aux syndicats traditionnels, ce chapitre aborde également le rôle joué par la coopérative SMart comme tiers-acteur.

20Deux autres cas abordés dans cette livraison du Courrier hebdomadaire rendent compte de la conflictualité sociale intervenue au sein du secteur secondaire. Bruno Bauraind revient sur deux grèves qui ont eu lieu durant le second semestre 2017 à la Fabrique nationale d’armes de Herstal (FN Herstal). Il souligne leur caractère remarquable à deux égards. D’une part, il s’agit d’un conflit industriel avec pour enjeu le salaire, ce qui, dans un contexte marqué par le durcissement de la norme salariale, la concurrence internationale et un processus de désindustrialisation, est de plus en plus rare en Belgique. D’autre part, ces deux mouvements de grève ont pris cours dans une entreprise tout à fait atypique en Belgique : une entreprise multinationale dont le siège social est situé sur le territoire belge et qui est détenue à 100 % par la Région wallonne. Le changement de majorité au gouvernement wallon a d’ailleurs eu un impact sur ce conflit et sur son déroulement.

21Le second cas traité est celui intervenu à quelques kilomètres de là, au sein de l’entreprise de pneumatique Truck Technic, qui a connu, entre décembre 2016 et fin janvier 2017, une grève avec occupation d’usine. Une quarantaine de salariés de l’entreprise Truck Technic, la filiale belge du groupe états-unien Meritor, ont cessé le travail durant 58 jours et ont occupé l’usine. Ils contestaient la décision de la firme de délocaliser leur entreprise vers la République tchèque et le plan social proposé par la direction dans le cadre de la procédure Renault. Natalia Hirtz et Bruno Bauraind soulignent que cette action est remarquable par sa durée et par les pratiques de lutte mises en œuvre dans une petite filiale d’une entreprise multinationale.

22Laetitia Mélon et Maria-Cecilia Trionfetti reviennent sur le conflit intervenu au sein de l’asbl Aide aux autistes adultes (AAA) - Mistral. Cette grève survenue dans le secteur non marchand illustre la résistance d’un collectif porteur de deux revendications principales : le changement des pratiques managériales mises en place par la direction de l’établissement et la réintégration d’un délégué licencié. Remarquable par son inscription dans le temps long (plus d’une quarantaine de jours) et par sa solidité dans la durée, ce mouvement a connu une issue favorable pour les travailleurs mobilisés en raison de différents facteurs : une lutte menée pour des objectifs transversaux (impacts du management sur les conditions de travail et préservation de la concertation sociale), un front commun fort sans lutte de pouvoir et largement suivi, une mission sociale remplie même pendant la grève ou encore la diversité des moyens mis en œuvre pour résister sur la longueur (fonds de solidarité atténuant la perte salariale, interpellation des médias et des responsables politiques, relais vers les administrations, soutien des familles des résidents, etc.). Ce mouvement a permis de mettre en exergue la mise à mal du sens au travail que subissent les travailleurs du secteur non marchand.

23 Enfin, l’annexe statistique réalisée par Kurt Vandaele fournit un aperçu quantitatif de l’évolution du phénomène des grèves en Belgique. Les données montrent qu’en 2017, le nombre de jours de grève a presque diminué de moitié, comparé à l’année précédente. L’essentiel du mouvement de grève en 2017 se concentre au quatrième trimestre. L’élargissement du champ d’observation, par l’intégration des jours de grève liés à l’Office national de sécurité sociale (ONSS) des administrations provinciales et locales, permet de disposer pour la première fois d’un aperçu quasi complet des grèves en Belgique en 2017.

1. La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2017 : l’espace exigu de la négociation

24Le début de l’année 2017 a été marqué par la conclusion d’un accord interprofessionnel (AIP). L’approbation d’un tel accord par chacune des organisations l’ayant négocié n’était plus arrivée depuis l’accord dit exceptionnel conclu en décembre 2008  [8]. Cet événement a été largement considéré comme le signe d’une certaine normalisation des relations sociales, dans un contexte de tensions entre syndicats et employeurs sur fond d’épisodes répétés et parfois massifs de mobilisation syndicale contre des projets du gouvernement fédéral appuyés par le patronat. Cependant, le reste de l’année n’a pas été exempt de tensions entre les uns et les autres et a été émaillé par quelques mobilisations syndicales interprofessionnelles. À cet égard, la volonté du gouvernement Michel (N-VA/MR/CD&V/ Open VLD) de réformer en profondeur le régime des pensions de retraite a tout particulièrement cristallisé les critiques et actions syndicales.

1.1. Un AIP attendu dans un cadre revu

25Lors de la déclaration gouvernementale présentée à la Chambre des représentants le 14 octobre 2014, le Premier ministre, Charles Michel (MR), a signifié l’engagement de son équipe à faire disparaître, pour la fin de la législature, « l’aggravation du handicap salarial depuis 1996 » et à adapter pour ce faire la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité  [9] (communément appelée « loi de 1996 »)  [10]. Cette modification de la loi de 1996 ne rend a priori pas aisée la négociation interprofessionnelle, déjà mise à mal au cours des dernières années. En effet, depuis l’accord portant sur les années 2009-2010, plus aucun projet d’AIP n’a pu être approuvé, voire parfois simplement négocié, par l’ensemble des interlocuteurs sociaux participant au Groupe des dix  [11]. Les négociations interprofessionnelles censées débuter à l’automne 2016 sont donc à la fois très attendues pour déterminer l’avenir des relations entre interlocuteurs sociaux et placées sous le signe de la volonté commune du gouvernement fédéral et du patronat de résorber le « handicap salarial » de la Belgique par rapport aux pays de référence que sont l’Allemagne, la France et les Pays-Bas.

26 S’inscrivant dans une volonté commune de préserver la compétitivité de l’économie belge, organisations patronales et syndicales divergent cependant sur les éléments qui influencent celle-ci, les syndicats refusant de limiter l’analyse à l’examen des seuls salaires. Néanmoins, le débat salarial focalise l’attention et s’est, depuis plusieurs années, concentré sur l’évolution, depuis 1996, de l’écart entre les salaires moyens belges, d’une part, et la moyenne des salaires allemands, français et néerlandais, d’autre part, écart généralement dénommé « handicap salarial ».

27 Au cours des dernières années, sous l’effet notamment du saut d’index opéré en 2015 par le gouvernement Michel et, plus largement, de la modération salariale appliquée de manière renforcée depuis 2011, ledit handicap salarial s’est réduit. D’après le rapport publié au début de l’année 2017 par le secrétariat du Conseil central de l’économie (CCE), cet écart est tombé à 1,4 % en 2015 et devrait être négatif en 2016  [12].

28 Face à cette évolution, les interlocuteurs sociaux ont réagi de manière divergente. Tandis que les syndicats pointent régulièrement l’inutilité des mesures gouvernementales pour brider les salaires, la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) insiste sur le « handicap salarial historique » (soit celui accumulé avant 1996) dont la Belgique souffre selon elle à l’égard des trois pays de référence. Ainsi, elle considère qu’en 2016, les salaires sont plus élevés d’une dizaine de pourcents en Belgique que dans les trois pays voisins, raison pour laquelle elle en appelle de manière répétée à une révision de la loi de 1996. Pour leur part, les syndicats contestent l’objectif de résorption de l’écart historique. Ainsi, pour la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), le niveau plus élevé des salaires en Belgique s’explique par une productivité du travail supérieure : « L’écart de productivité positif de l’industrie belge annule complètement l’écart en termes de coût salarial horaire avec nos pays voisins »  [13].

1.1.1. Révision de la loi de 1996 et pression sur les interlocuteurs sociaux

29 La loi de 1996 prévoit que les salaires ne peuvent évoluer en Belgique plus rapidement que dans les trois pays de référence. Pour ce faire, le secrétariat du CCE établit, en amont des négociations interprofessionnelles bisannuelles, un rapport qui synthétise les prévisions relatives aux évolutions salariales dans ces pays et à l’inflation en Belgique.

30Cette loi a fait l’objet de remises en cause, notamment de la part de la Commission européenne et des organisations patronales, en raison desdits dérapages salariaux (liés à une inflation plus forte que prévu ou à de moindres hausses des salaires dans les pays voisins) qu’elle ne permettait pas d’éviter (les mécanismes correcteurs prévus par la loi n’étant pas systématiquement appliqués).

31En 2016, le gouvernement Michel décide de modifier la loi de 1996 afin de réduire le handicap historique. Le 28 octobre, le Conseil des ministres examine un avant-projet déposé par le vice-Premier ministre CD&V, Kris Peeters, en charge notamment de l’Emploi et de l’Économie. L’examen en commission parlementaire du projet de loi qui en résulte débute le 10 janvier 2017 à la Chambre, et la loi modifiant la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité  [14] est promulguée le 19 mars suivant. Cette loi entre en vigueur, de manière rétroactive, au 1er janvier 2017.

32 Elle prévoit l’introduction d’un mécanisme préventif : une marge de sécurité d’au moins 0,5 % doit être adoptée dans les négociations salariales afin de neutraliser les erreurs de prévision de l’indexation et des évolutions salariales dans les pays de référence. Si cette marge n’est pas épuisée après deux ans, elle peut, sous certaines conditions, être en partie restituée aux interlocuteurs sociaux lors des négociations suivantes. Sont également introduits des mécanismes correctifs pour rectifier un éventuel accroissement de l’écart salarial, tandis que d’autres mécanismes doivent permettre de poursuivre la résorption du handicap salarial historique via une croissance des salaires inférieure en Belgique que dans les pays de référence. Des sanctions financières sont prévues pour les employeurs qui concluent des conventions collectives de travail (CCT) dépassant la norme salariale déterminée au niveau interprofessionnel, de manière à garantir le caractère impératif de cette norme. Enfin, tout ou partie de certaines réductions de cotisations patronales de sécurité sociale (en particulier celles décidées dans le cadre du tax shift [15]) ne sont pas prises en compte dans la comparaison des salaires belges avec ceux des trois pays de référence.

33 Dès l’automne 2016, le CCE prépare son traditionnel rapport sur l’évolution des salaires, sur la base duquel négocient les membres du Groupe des dix, en tenant pour acquise la révision de la loi voulue par le gouvernement fédéral et en intégrant celle-ci dans son calcul de la marge disponible  [16]. Alors qu’elle ne sera adoptée qu’à la mi-mars 2017, cette modification de la législation détermine donc déjà le cadre dans lequel les interlocuteurs sociaux mèneront leurs négociations.

34 Cette réforme de la loi de 1996 projetée par le gouvernement Michel jette le trouble dans le monde syndical. Le 18 octobre 2016, la Confédération des syndicats chrétiens de Belgique (CSC) annonce qu’elle envisage la possibilité de ne pas participer aux négociations en vue de la conclusion d’un AIP. La secrétaire générale du syndicat chrétien, Marie-Hélène Ska, indique : « Si au bout du compte [après les calculs du CCE] il reste quand même une marge salariale, elle sera verrouillée dans une loi ou une convention et les entreprises qui la dépasseraient se verraient lourdement sanctionnées. Bref, on est loin de la liberté de négocier les salaires »  [17]. Le secrétaire fédéral de la FGTB, Jean-François Tamellini, se demande également sur quoi pourra porter la négociation. En revanche, le secrétaire général du syndicat socialiste, Marc Goblet, entend bien participer à la négociation afin de ne pas mettre en péril la concertation sociale interprofessionnelle, déjà mise à mal par plusieurs échecs. Le 15 novembre, le conseil général de la CSC décide de participer quand même à la négociation pour conclure un AIP. Les syndicats estiment que la marge à négocier sera très faible.

35 Ils sont également mécontents de la nette réduction que le gouvernement a décidé d’appliquer, pour l’année 2017, à l’enveloppe bien-être  [18], soit le budget alloué, depuis 2005, pour revaloriser certaines allocations sociales selon les priorités déterminées par les interlocuteurs sociaux : tandis que cette enveloppe s’élèvera à 506,8 millions d’euros en 2018, elle est limitée à 169,9 millions pour la première année sur laquelle portera un accord.

36 Enfin, au début du mois de janvier 2017, l’inflation montre des signes d’augmentation. Tandis que le patronat s’inquiète de l’impact de cette hausse sur l’évolution des salaires, en raison de l’indexation automatique des salaires, les syndicats estiment que la négociation ne doit pas s’en trouver affectée, la marge de sécurité étant précisément destinée à compenser ce type de phénomène.

37 Le rapport du CCE ne sera rendu public qu’au début de l’année 2017. Cependant, avant Noël déjà, circule dans la presse le chiffre de 1,2 % comme marge maximale d’évolution des salaires (hors indexation et hausses barémiques, et déduction faite de la marge de sécurité de 0,5 %) à négocier par les interlocuteurs sociaux. Dans son rapport, cependant, et « tenant compte des prévisions d’inflation les plus récentes », le CCE fixe cette marge maximale disponible à 1,1 %  [19].

1.1.2. Un AIP conclu rapidement

38Le 11 janvier, un accord intervient au sein du Groupe des dix sur un projet d’AIP. Le texte comporte quatre volets. Primo, sur le plan salarial, une hausse de maximum 1,1 % au cours des années 2017 et 2018 (outre l’indexation et les hausses barémiques) pourra être négociée au niveau des secteurs et des entreprises. Secundo, les négociateurs s’accordent sur une répartition de l’enveloppe bien-être qui s’attache en particulier à relever les allocations les plus basses en matière de pensions (y compris pour les indépendants) et de maladie-invalidité, celles des chômeurs chefs de ménage et celles des bénéficiaires du revenu d’intégration sociale, en accordant une attention particulière à la situation des familles monoparentales. Tertio, différents dispositifs négociés antérieurement sont reconduits. En outre, les interlocuteurs sociaux s’accordent sur une programmation du relèvement de l’âge d’accès au régime de chômage avec complément d’entreprise (RCC, autrefois prépension) voulu par le gouvernement fédéral, ce qui a pour effet de retarder jusqu’à 2019 les modalités décidées par celui-ci (cf. infra). Quarto, les interlocuteurs sociaux s’engagent, sur la base d’un calendrier assez précis, à discuter prochainement d’une série de « défis sociétaux » : le burn-out, la simplification administrative, l’organisation du travail, la digitalisation et l’économie collaborative, la mobilité, les restructurations, l’emploi des jeunes, la promotion de l’embauche et de l’emploi, ainsi que l’amélioration et le renforcement de la concertation sociale.

39Ce projet est approuvé dès le lendemain par l’Union des classes moyennes (UCM), le 18 janvier par son homologue flamande (Unie van Zelfstandige Ondernemers - UNIZO) à l’unanimité, puis par la FEB le 26 janvier. D’emblée, l’administrateur délégué de la FEB, Pieter Timmermans, avait estimé que « l’accord présente un bon équilibre entre compétitivité et pouvoir d’achat » et qu’il permettrait « une baisse du handicap salarial historique de 1 % », celui-ci passant « de 10 à 9 % »  [20]. Du côté syndical, les trois organisations interprofessionnelles marquent leur assentiment au projet le 31 janvier : la Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique (CGSLB) à une très large majorité, la CSC à 88 % et la FGTB à 70 %. Le Comité ministériel restreint avalise l’accord dans la foulée (cf. infra) et l’AIP 2017-2018 est officiellement signé le 2 février 2017.

40Différents facteurs permettent d’expliquer la relative facilité avec laquelle le projet d’AIP a été conclu puis ratifié par l’ensemble des composantes du Groupe des dix, avant l’approbation du gouvernement fédéral. Pour les négociateurs du Groupe des dix, atteindre un accord était une manière de montrer au gouvernement et à leurs mandants que la concertation nationale interprofessionnelle peut encore produire des résultats. Entre eux, un succès pouvait être l’occasion de restaurer une certaine confiance, après des projets âprement négociés mais non ratifiés unanimement (en 2011 et en 2015).

41Pour le patronat, l’accord représente un coût très modéré sur le plan salarial, puisqu’il ne compense pas le saut d’index imposé en 2015 et ne met pas en péril la compétitivité sur le plan salarial ; il contribue même à réduire le handicap historique que les fédérations patronales entendent résorber. En outre, la norme salariale ne se traduit pas par une hausse automatique des salaires (elle constitue seulement un maximum) et les négociations sectorielles ou d’entreprise ne porteront pas partout l’effort salarial jusqu’à 1,1 % en 2 ans (après plusieurs années de quasi-blocage salarial). Par contre, le relèvement des allocations sociales profite aux indépendants, sans contrepartie en matière de hausse des cotisations, éléments appréciables en particulier pour l’UCM et l’UNIZO. Enfin, même s’il accorde aux syndicats une brève prolongation de certaines modalités régissant les RCC, l’accord ne remet pas en question la volonté du gouvernement Michel et du patronat de relever l’âge effectif de départ à la retraite.

42 Du côté syndical, s’est progressivement diffusée l’idée, depuis 2015, qu’il n’est pas possible de faire plier le gouvernement fédéral actuel par la mobilisation. En janvier de cette année-là déjà, la CGSLB et la CSC ont préféré souscrire à l’accord salarial conclu avec les représentants patronaux, la FGTB faisant primer son désaccord à l’égard du saut d’index  [21]. Cette fois, en l’absence de saut d’index et avec une marge salariale limitée mais située au maximum de la norme avancée par le CCE, les syndicats ont pu estimer qu’ils étaient parvenus à négocier une avancée correspondant à ce qu’ils pouvaient obtenir de mieux dans le rapport de force actuel et dans le cadre légal en cours de révision. Même limitée, la norme de 1,1 % permet aussi aux permanents en charge de secteurs d’entrevoir la possibilité de disposer d’une certaine marge de manœuvre pour mener ensuite les négociations sectorielles. Enfin, on peut supposer que le relèvement des allocations sociales traduisant leur attachement à la solidarité entre actifs et allocataires sociaux et le report pour deux ans des mesures voulues par le gouvernement pour restreindre l’accès aux RCC ont dû paraître importants aux yeux des militants syndicaux amenés à ratifier le projet d’AIP, d’autant que d’importantes restructurations sont alors annoncées ou en cours.

43Néanmoins, le texte sur lequel le Groupe des dix s’est accordé a soulevé une série de critiques de la part des interlocuteurs sociaux. Aussitôt le document dévoilé, la fédération patronale flamande VOKA, la fédération sectorielle du textile, du bois et de l’ameublement (Fedustria) et celle des commerces et des services (Comeos) rappellent une nouvelle fois leur hostilité au mécanisme de l’indexation automatique des salaires, en particulier dans un contexte de reprise de l’inflation  [22]. Ces critiques sont partagées par la fédération de l’industrie technologique (Agoria, la plus importante fédération sectorielle du pays) qui, bien qu’elle concède que « même en ajoutant les indexations prévues, les augmentations de salaires resteront inférieures aux pays voisins », fustige le système d’indexation automatique des salaires, présenté comme « malsain et plus de notre temps »  [23]. En revanche, l’UCM exprime son attachement au principe de l’indexation en ce qu’il « protège le pouvoir d’achat et la consommation intérieure »  [24], tandis que la FEB et l’UNIZO préfèrent ne pas aborder le sujet alors que l’AIP vient tout juste d’être conclu. Le journal L’Écho relève que les organisations patronales qui relancent ce débat ne siègent pas au Groupe des dix, qui a négocié l’AIP  [25]. Pour sa part, le ministre K. Peeters dit préférer travailler à la limitation de l’inflation plutôt qu’à la réforme de l’indexation des salaires  [26].

44Du côté syndical, si on se réjouit d’avoir pu conclure un accord permettant de négocier aux autres niveaux la hausse salariale maximale calculée par le CCE, on réaffirme toutefois son regret de voir le cadre de négociation corseté par le gouvernement fédéral. La CGSLB indique ainsi à propos de la révision de la loi de 1996 : « Nous sommes bien obligés de nous y plier, alors qu’elle ne permet pas une véritable libre négociation des rémunérations »  [27]. La FGTB partage cet avis, ajoutant « qu’aucun résultat n’a été obtenu sur plusieurs aspects cruciaux comme l’augmentation du salaire minimum interprofessionnel ou en matière de réduction du temps de travail » et qu’elle « continuera à mettre ces thèmes à l’agenda »  [28]. J.-F. Tamellini avait déjà mis en garde, dès la conclusion du projet d’AIP : « La paix sociale a trait aux points de l’AIP, pas au reste. (…) Adhérer à l’AIP ne signifie nullement que nous ne nous mobiliserons pas dans les prochains mois », notamment par rapport aux projets du gouvernement concernant « la réforme du financement de la sécurité sociale, la flexibilité du travail, la révision de la loi de 1996 sur la formation des salaires (…), les attaques contre les services publics, les pensions… »  [29]. Les composantes de la CSC se disent « satisfaites, mais pas heureuses », car « la réforme de la norme salariale que prépare le gouvernement cadenasse la concertation sociale et pèse déjà sur l’AIP. Elles auraient voulu aussi des avancées en matière d’emplois de qualité et de formation. Le flou qui entoure les fins de carrière et les pensions inquiète aussi de très nombreux travailleurs »  [30]. Enfin, CSC et FGTB réclament du gouvernement Michel qu’il mette en œuvre l’AIP dans sa totalité et sans l’altérer.

45 Or, si le Premier ministre a salué la conclusion d’un accord à l’issue d’une rencontre, le 12 janvier, entre le Comité ministériel restreint et les représentants du Groupe des dix, il a aussi indiqué que le gouvernement allait examiner le texte et « prendre le temps de regarder quelles sont les conséquences de cet accord ». Au sein de la coalition fédérale, alors que le vice-Premier ministre CD&V se félicite de la ratification du projet par les interlocuteurs sociaux, la N-VA et l’Open VLD apparaissent assez réservés par rapport à l’AIP  [31]. En particulier, ces deux partis veulent s’assurer qu’il ne remet en cause ni les choix budgétaires du gouvernement ni les réformes menées par celui-ci, en particulier dans la partie du troisième volet du texte qui reporte à 2019 l’essentiel de la réforme des RCC. Ainsi, le cabinet du vice-Premier ministre N-VA, Jan Jambon, fait savoir que ce dernier aspect de l’AIP « ne colle pas avec ce qui était prévu par le gouvernement »  [32]. Toutefois, dans la foulée de la signature de l’AIP, le gouvernement fédéral annonce, le 2 février, qu’il accepte de mettre à exécution le texte tel quel.

1.2. Une opposition syndicale persistante envers le gouvernement fédéral

46La suite de l’année 2017 est marquée par la répétition, sous différentes formes, de critiques par les syndicats envers la politique du gouvernement Michel. Celles-ci se concentrent parfois sur un sujet ponctuel, comme le projet de la ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, Maggie De Block (Open VLD), approuvé par le gouvernement fin mars mais durement critiqué par l’opposition, qui vise à remettre davantage de malades de longue durée au travail. La CSC et la FGTB déplorent l’approche répressive adoptée envers les malades et jugent que la responsabilisation des employeurs ne pourra guère être contrôlée.

47 Plus souvent, c’est l’ensemble de la politique socio-économique fédérale qui est dénoncée. En avril, les trois syndicats présentent en front commun leur bilan de l’action du gouvernement Michel en matière de revenus, d’emploi, de protection sociale et de justice fiscale, ainsi que pour le secteur non marchand et les services publics. Sans surprise, l’avis est sévère. Pour chaque section, CSC, FGTB et CGSLB présentent leurs revendications, dans une perspective de justice sociale et fiscale  [33]. Le 19 mai 2017, la seule FGTB rassemble environ 2 000 personnes à Bruxelles, place de la Monnaie, pour soutenir ces revendications ; elle appelle les deux autres organisations syndicales à se mobiliser davantage. Début juillet, après une campagne commune auprès des citoyens  [34], les syndicats décernent symboliquement un bulletin au gouvernement Michel, où sont pointées en rouge différentes mesures, notamment fiscales et en matière de pensions (cf. infra).

48 Durant l’été, les quatre partis de la coalition fédérale concluent un accord important à l’occasion du contrôle budgétaire. Accueilli de manière assez positive par le patronat  [35], cet « accord de l’été » est vivement dénoncé par chacun des trois syndicats. Sont pointés un budget jugé peu crédible, un accroissement du manque à gagner pour la sécurité sociale, une réduction de la pension des personnes ayant connu une période de chômage ou de RCC (cf. infra), des économies dans différents secteurs de la sécurité sociale au détriment des allocataires, un accroissement de la flexibilisation par un assouplissement de la législation relative au travail de nuit et du dimanche dans l’e-commerce sans réel contrôle syndical, une extension des « flexi-jobs » créés pour l’horeca à d’autres secteurs (en particulier dans la distribution), ainsi que l’introduction d’un plafond annuel de rémunération sans cotisations sociales et faiblement taxée pour l’exercice de certaines activités, en particulier dans l’économie collaborative. Les trois syndicats estiment que le gouvernement Michel donne fortement satisfaction aux employeurs, au détriment des travailleurs et allocataires sociaux. La CGSLB indique ainsi que « ce gouvernement a choisi son camp depuis le départ. Il ne rendra jamais le travail faisable. Par contre, il réalise tout ce dont les patrons rêvent – même avant qu’ils le demandent – pour rendre le travail maniable »  [36]. Le président de la CSC, Marc Leemans, estime que « la redistribution à contresens entamée par ce gouvernement se poursuit »  [37].

49On ne peut toutefois manquer d’être frappé par le contraste, dans les publications syndicales, entre la sévérité du jugement et l’absence d’annonce de mobilisation interprofessionnelle en conséquence. Seule la FGTB indique qu’elle « s’opposera évidemment à ce démantèlement social », mais encore est-ce essentiellement en prévenant qu’elle informera « sur cette mauvaise politique »  [38]. Fin septembre, la CSC et la FGTB annoncent qu’elles s’en tiendront à des campagnes de sensibilisation et à des actions ciblées, excluant des actions de grève interprofessionnelle ou des manifestations nationales  [39]. La critique générale de l’action du gouvernement donnera toutefois lieu à une manifestation en front commun, le 21 novembre 2017 à Liège, réunissant environ 10 000 personnes.

50Deux domaines vont néanmoins conduire à des formes ouvertes et plus significatives de conflictualité sociale. Dans les services publics, plusieurs mouvements de grève couvrant de nombreux secteurs sont menés, à la fin du printemps puis à l’automne, essentiellement par la seule Centrale générale des services publics (CGSP, affiliée à la FGTB)  [40]. Par ailleurs, le dossier de la réforme des retraites et des fins de carrière menée par le ministre des Pensions, Daniel Bacquelaine (MR), conduit à la manifestation syndicale la plus importante de l’année, le 19 décembre à Bruxelles.

1.3. Les pensions au centre de la conflictualité sociale interprofessionnelle

51 Depuis le début de la législature, la réforme des pensions menée par le gouvernement Michel constitue un point de tension entre interlocuteurs sociaux et entre le gouvernement et les syndicats. Dès son entrée en fonction, la coalition fédérale a annoncé le relèvement de l’âge de la retraite à 67 ans à l’horizon 2030 (66 ans en 2025), le relèvement de l’âge de la pension anticipée et la restriction de l’accès aux prépensions (RCC). Les aspects relatifs à l’âge légal de la retraite ont été adoptés dans le cadre de la loi du 10 août 2015 visant à relever l’âge légal de la pension de retraite et portant modification des conditions d’accès à la pension de retraite anticipée et de l’âge minimum de la pension de survie  [41], les éléments relatifs à la prépension et certaines mesures transitoires étant soumises à la concertation sociale.

52 Le gouvernement a imposé le relèvement à 60 ans de l’âge minimal requis pour accéder à une prépension pour tous les cas de figure à partir de 2019. Dans son troisième volet, l’AIP signé le 2 février 2017 (cf. supra) a prévu un phasage de ce relèvement. En cas de restructuration, l’accès à un RCC passe à 56 ans en 2017 et en 2018 (contre 55 ans auparavant). Pour ce qui concerne les métiers lourds ou les carrières longues, l’accord prévoit que l’âge d’accès aux prépensions soit maintenu à 58 ans en 2017, puis relevé à 59 ans en 2018.

1.3.1. Le temps de la négociation

53Le débat et le conflit sur le dossier des pensions ne se sont cependant pas clos avec l’AIP. Au printemps 2017, le ministre D. Bacquelaine adresse au Comité national des pensions (CNP, qui rassemble les interlocuteurs sociaux, des experts ainsi que des représentants de l’administration) une liste de questions générales visant à baliser sa réforme  [42]. Mais les discussions sont tendues en raison de projets plus particuliers du ministre en préparation depuis le début de l’année 2016. Ces projets tournent autour de plusieurs thématiques : la pension à points, les assouplissements des conditions de pension pour les métiers lourds et pénibles, les carrières longues, les conditions d’accès à la pension minimale, les périodes assimilées. Ces projets doivent être soumis à la concertation ; les interlocuteurs sociaux en débattent à des rythmes divers mais tous font l’objet d’une contestation par les syndicats.

54Primo, le ministre promeut le principe d’une pension à points afin de rendre l’âge de la pension flexible, avec une allocation de pension qui varie en fonction de la durée de la carrière. Dans ce système, tous les revenus professionnels accumulés durant la carrière sont convertis en points. Au moment de la retraite, le point est calculé en fonction du revenu moyen et du taux de remplacement. L’idée du ministre Bacquelaine est en effet de lier davantage le montant de la pension au nombre d’années effectivement prestées et aux sommes cotisées. Le gouvernement Michel semble avancer le principe selon lequel la valeur du point serait fixée annuellement par l’exécutif  [43]. Pour les syndicats, ce principe est inacceptable et s’apparente à une loterie pour les nouveaux pensionnés, qui ne pourront anticiper le montant de leur allocation. À leurs yeux, cette décision annuelle pourrait faire de la pension une variable d’ajustement budgétaire. Les syndicats refusent de se prononcer sur un système dont la valeur du point n’est pas connue.

55Secundo, le gouvernement fédéral avait accepté le principe d’une discussion au sein du CNP sur la prise en compte de la pénibilité du travail, ce thème étant considéré comme une compensation à la prolongation de la carrière. Après de longs mois de discussions qualifiées d’infructueuses par les parties, les syndicats déposent, le 8 mai 2017, une proposition méthodologique, appuyée sur un répertoire de quatre catégories de risques professionnels qui ont un impact sur la santé : la charge physique, l’organisation du travail, les risques en matière de sécurité et la charge mentale ou émotionnelle. Les syndicats complètent ces dimensions par 22 catégories et une centaine de sous-critères. Ils demandent aussi au gouvernement un effort financier supplémentaire. Leur proposition consiste en l’attribution d’un coefficient à chaque travailleur. Plus le coefficient de pénibilité est élevé, plus un départ anticipé à la retraite serait garanti. Les employeurs n’acceptent pas le principe d’une liste d’exceptions trop longue ni le fait que l’on définisse les exceptions avant la règle générale  [44]. Le ministre des Pensions met la pression sur les syndicats en demandant une position des interlocuteurs sociaux avant l’été, menaçant, à défaut d’accord, de décider seul.

56Tertio, le gouvernement Michel entend valoriser les carrières longues. Pour les carrières continues, il souhaite accorder davantage d’importance aux années de travail prestées au-delà de 45 ans d’activité. En revanche, pour les carrières se terminant par exemple par une prépension, seules les premières années seraient prises en compte. Cette suppression de « l’unité de carrière », favorable aux travailleurs « qui ont du souffle », selon l’expression du ministre Bacquelaine, se fait selon les syndicats sur le dos des malades, des chômeurs et des prépensionnés.

57Quarto, le ministre annonce une modification des conditions d’accès à la pension minimale. Auparavant, il fallait compter 30 années de carrière pour accéder à ce droit. Ce critère devrait passer à 20 ans, mais alors que, dans la situation initiale, le calcul ne faisait pas de différence entre les journées effectivement prestées et les périodes de maladie ou de chômage, la réforme conduirait à ne prendre en compte que les seules périodes de travail effectif.

58Quinto, le gouvernement fédéral valide en juillet la proposition du ministre Bacquelaine de revoir la prise en compte des périodes assimilées. Celles-ci sont les temps de vie au cours desquels un travailleur n’a pu exercer d’emploi (étant au chômage, en prépension, en maladie, etc.). Jusqu’alors, elles étaient prises en compte dans le calcul de la pension pour éviter une double pénalisation financière (durant la carrière puis durant la retraite). Le gouvernement prévoit que les périodes assimilées ne soient plus prises en compte sur la base du dernier salaire mais en tenant compte d’un droit minimum  [45]. Pour les syndicats, il s’agit là d’une rupture de contrat. Selon le montant de la pension, la mesure ferait perdre au bénéficiaire de 12 à 44 euros mensuellement (soit 147 à 531 euros par an) par année de prépension ou de chômage  [46] (selon les calculs du Service public fédéral Pensions). En septembre cependant, le gouvernement fait marche arrière pour les demandeurs d’emploi de plus de 50 ans, dont le calcul de la pension ne serait plus affecté. Il annonce en revanche des efforts d’activation. Le CD&V semblait opposé à l’idée de pénaliser les chômeurs âgés, alors que le président de la N-VA, Bart De Wever, indique que le gouvernement ne fait que reporter l’examen de la question sans abandonner l’idée. Le Premier ministre annonce en effet qu’il consultera le Conseil national du travail (CNT) et les Régions.

59À la mi-septembre, le Conseil académique des pensions, présidé par Frank Vandenbroucke, exprime son inquiétude face à l’enlisement de la réforme et appelle à renouer la concertation  [47]. Cet organe, qui a publié en 2014 le rapport sur la réforme des pensions sur lequel s’appuie le gouvernement Michel pour mener ses réformes, renvoie deux acteurs dos à dos. À la FGTB, qui avait évoqué les critiques d’experts sur le plan pension, il rappelle qu’il a apporté les éléments techniques assurant la faisabilité d’une transition vers un système de pension à points. Au gouvernement, il indique que, contrairement aux déclarations du Premier ministre, il n’a jamais proposé que la valeur du point de pension soit définie annuellement. Au contraire, précise-t-il, une loi doit selon lui fixer de manière très précise les mécanismes d’adaptation  [48].

60 Une autre inquiétude est exprimée publiquement par le Conseil pour l’égalité entre les femmes et les hommes (CEFH). Celui-ci indique que les femmes seront désavantagées par la réforme des pensions. En effet, les périodes assimilées concernent davantage des femmes, en raison de la maternité et d’une probabilité de chômage plus élevée. Le CEFH craint aussi que des critères restrictifs en matière de métiers pénibles (limités aux métiers physiquement lourds) ne prennent pas en compte la pénibilité liée, par exemple, au stress ou à l’organisation du travail et qui concerne de nombreuses femmes.

1.3.2. Le temps de la mobilisation

61En fin d’année, face à l’inflexibilité du gouvernement Michel et du banc patronal, et contrairement à ce qu’ils avaient indiqué à la fin du mois de septembre, les syndicats annoncent une « période d’action interprofessionnelle » d’un mois, s’étendant du 21 novembre au 20 décembre 2017. Celle-ci débute par une manifestation à Liège (cf. supra), dont on a toutefois vu que les revendications dépassent largement le seul dossier des pensions.

62Par rapport à ce dernier, une manifestation régionale est prévue à Bruxelles à la date du 19 décembre. Dans les rangs syndicaux, certains militants et permanents font pression pour en faire une action d’envergure nationale. Fin novembre, l’administration fédérale met en ligne le site mypension.be, sur lequel tout travailleur peut aisément découvrir à quel montant devrait s’élever sa retraite (en fonction de l’état de sa carrière et de la législation). Les syndicats observent que nombre de leurs militants découvrent avec effarement la faiblesse de ce montant. De très technique, la problématique devient en quelque sorte plus concrète. Dans la foulée, la CSC et la FGTB annoncent, le 28 novembre, que l’événement sera une manifestation nationale couverte par un préavis de grève  [49]. Le 5 décembre, soit une semaine après les deux autres syndicats, la CGSLB annonce qu’elle se joint au mouvement.

63Outre la revendication relative à l’assimilation des périodes de maladie, de chômage et de RCC dans le calcul des pensions, les mots d’ordre de la manifestation sont formulés de façon générale : maintien des droits acquis en matière de pension, pension digne pour tous, reconnaissance de la pénibilité des carrières et revalorisation des carrières des femmes  [50]. Pour le surplus, les organisations syndicales déclinent chacune leurs revendications pour une pension digne et juste. La FGTB exige le retour de la pension à 65 ans, une pension légale forte et garantie qui corresponde à 75 % du salaire moyen et, au minimum, à 1 500 euros par mois  [51], des règles particulières et adaptées pour les métiers lourds et pénibles, et une sécurité sociale forte et financée de manière juste  [52]. La CSC refuse l’élévation de l’âge de la pension et demande des mesures pour les métiers lourds, ainsi que des pensions au moins supérieures de 10 % au seuil de pauvreté, suffisamment en rapport avec le salaire antérieur et prenant en compte les périodes assimilées. Elle pose en outre un ensemble de revendications relatives à la politique de l’emploi, à la fiscalité et à la lutte contre la fraude, ainsi qu’au financement de la sécurité sociale  [53]. La CGSLB dénonce l’absence de concertation et le traitement injuste du dossier pension (pension à points, pénibilité, niveau des pensions et périodes assimilées)  [54].

64 La manifestation rassemble, dans les rues de Bruxelles, 25 000 personnes selon la police et 40 000 selon les syndicats. Les slogans des manifestants portent pour l’essentiel sur l’âge de la pension, le système à points et la prise en compte de la pénibilité.

65 De son côté, la FEB dénonce l’attitude des syndicats. Elle indique que le poids des pensions va augmenter de 2 % du produit intérieur brut (PIB) à l’horizon 2060. L’organisation patronale estime qu’il reste une place pour la concertation, pour autant que chaque partie assume ses responsabilités et respecte le cadre fixé par le gouvernement. Elle refuse notamment que la réforme soit vidée de sa substance par un régime d’exception pour les métiers lourds  [55]. À l’issue de la manifestation, la FEB dit n’être pas « intéressée par une pseudo-concertation sous la menace d’action syndicale ». La proximité, déjà soulignée, de ses revendications et du programme gouvernemental lui permet d’accepter une concertation limitée.

66Malgré le mouvement social, le gouvernement Michel ne change pas d’attitude en fin d’année. Le Premier ministre accuse syndicats et partis d’opposition de diffuser des mensonges. Il indique que le gouvernement fera davantage d’efforts afin d’expliquer ses décisions pour rassurer les citoyens.

67 Les syndicats entendent maintenir la pression mais se montrent divisés en fin d’année. La FGTB annonce une possible grève générale au début 2018, ce que la CSC et la CGSLB refusent immédiatement, préférant d’autres types de protestation et craignant que, en cas de grève, la forme de la contestation attire davantage l’attention que le fond.

1.4. Conclusion

68Au niveau interprofessionnel, l’année 2017 a été caractérisée d’abord par la signature d’un AIP, le premier depuis celui de l’automne 2008, puis par une contestation syndicale des décisions et projets du gouvernement fédéral, accompagnée cependant d’une moindre mobilisation qu’au cours des années précédentes, particulièrement qu’en 2014 ou en 2015. Parmi les dossiers qui ont concentré les critiques des syndicats, figure assurément celui des pensions, mais également l’« accord de l’été » du gouvernement Michel, même si ce dernier n’a suscité que peu d’actions interprofessionnelles de protestation.

69 Au cours de cette année, les syndicats ont clairement privilégié la concertation avec les employeurs et avec le gouvernement fédéral. Dans le cas de l’AIP, cela s’est avéré efficace puisqu’un accord a pu être conclu. Cependant, les trois organisations syndicales ont souligné que le cadre de la négociation contraignait fortement celle-ci. Les employeurs voyant leurs demandes prises en compte par le gouvernement en matière de résorption du « handicap salarial historique », de relèvement de l’âge d’accès aux RCC et de flexibilisation accrue du travail, il leur a été assez aisé d’approuver la marge salariale maximale établie par le secrétariat du CCE et de lâcher un peu de lest quant à la transition vers les changements en matière de RCC afin de parvenir à conclure un accord, gage de paix sociale.

70 Sur les pensions, en revanche, les syndicats ont été forcés de changer d’attitude en fin d’année. La concertation avec le gouvernement Michel a fait apparaître de nombreux points de blocage avec celui-ci et avec le patronat, et n’a pas livré d’avancées. En outre, la pression interne et la prise de conscience par un nombre croissant d’affiliés des enjeux concrets du dossier ont conduit les directions syndicales à revenir sur l’annonce faite à la fin du mois de septembre de ne plus mener ni grève ni grande manifestation en 2017. Il faut cependant constater que les cortèges qui ont défilé à Liège en novembre et à Bruxelles en décembre étaient nettement moins fournis que les défilés organisés au cours des années précédentes, y compris sous le gouvernement Di Rupo. Plusieurs explications se conjuguent sans doute. La manifestation bruxelloise n’est passée que fort tardivement du statut d’action régionale à celui de mobilisation nationale, ce qui s’est ressenti dans son organisation. En outre, ce mouvement allait à l’encontre de la ligne définie deux mois plus tôt par les instances syndicales nationales. Une certaine lassitude à l’égard d’actions très routinisées se fait probablement aussi jour et contribue à une certaine démobilisation. Enfin, l’impuissance syndicale à arrêter les projets d’un gouvernement dont le programme est très éloigné des revendications syndicales alimente fortement la démotivation des militants.

71 Au niveau interprofessionnel, encore un peu plus qu’en 2016, les syndicats ont balancé entre participation à la concertation dans le cadre proposé par le gouvernement fédéral et contestation de celui-ci, mais sur un mode encore un peu plus mineur qu’en 2016 et, pour la première année depuis le début de la législature, sans qu’aucun syndicat mène d’action de grève générale. Pour autant, la contestation syndicale n’a pas disparu en proportion de l’actualité. Mais ce sont surtout les mobilisations menées par les syndicats dans les services publics, en particulier par la CGSP, qui ont retenu l’attention des médias  [56].

2. La conflictualité fédérale et régionale dans les services publics

72 À l’été 2017, la Région wallonne connaît un changement de coalition gouvernementale, l’exécutif PS/CDH dirigé par Paul Magnette (PS) devant céder sa place à une coalition MR/CDH conduite par Willy Borsus (MR). La législature régionale prenant fin au printemps 2019, ce nouveau gouvernement entend mettre rapidement en œuvre ses objectifs prioritaires, au nombre desquels la réduction des dépenses publiques et la rationalisation du secteur des transports en commun (TEC). Au niveau fédéral, le gouvernement Michel (N-VA/MR/CD&V/Open VLD) continue d’avancer dans les réformes socio-économiques, particulièrement au sein des services publics fédéraux et dans la mise en place d’un service minimum dans le secteur du rail.

73 Si le premier semestre est relativement calme sur le plan social, la situation se dégrade dès la fin juin, avec des actions mises en place par la seule Centrale générale des services publics (CGSP, affilée à la FGTB) – au niveau tant fédéral que régional. Le syndicat socialiste des services publics est rejoint, à la fin du mois de novembre, et pour la fonction publique régionale seulement, par l’aile wallonne de la centrale syndicale chrétienne des services publics (CSC-Services publics).

74 Les points de tension ne manquent pas, tant du côté fédéral que du côté régional. Au niveau fédéral, la réforme des pensions du secteur public et l’accord budgétaire de l’été alimentent la conflictualité  [57], dans un contexte rendu sensible par l’instauration du service minimum dans le secteur du rail  [58] enflamme les secteurs cheminots des organisations syndicales. Au niveau régional, la conflictualité se traduit, d’une part, par les actions de grève de De Lijn en Flandre et, d’autre part et surtout, par les priorités de la nouvelle déclaration de politique régionale (DPR) wallonne et leur impact sur la fonction publique régionale et le secteur des transports en commun (TEC).

2.1. Les tensions au niveau fédéral

75 En 2017, la conflictualité sociale a d’abord et surtout été marquée par des dossiers intersectoriels et fédéraux, issus de la négociation en cours avec les organisations syndicales représentatives sur des dossiers hautement problématiques et qui, pour certains, constituent des points de rupture syndicaux.

2.1.1. Le dossier des pensions du secteur public

76Le 22 décembre 2016, le ministre fédéral des Pensions, Daniel Bacquelaine (MR), a déposé un avant-projet de loi relatif à la reconnaissance de la pénibilité de certaines fonctions pour les conditions d’accès à la pension anticipée et pour le calcul du montant de la pension dans le secteur public. Cet avant-projet de loi prévoit un départ anticipé à la pension pour certains travailleurs du secteur, à condition que la pénibilité de leur métier ait été préalablement reconnue sur la base d’une liste de critères. Parmi ceux-ci, figure la pénibilité de nature mentale ou émotionnelle, mais ce critère ne peut à lui seul permettre une reconnaissance de la pénibilité, excluant de ce fait une grande majorité des enseignants, à l’exception potentielle du niveau maternel. Le texte prévoit aussi de supprimer les tantièmes préférentiels  [59] et les coefficients d’augmentation qui y sont attachés, applicables dans le secteur public. Il vise également à mettre progressivement fin aux régimes préférentiels de pension des militaires et du personnel roulant de la SNCB, c’est-à-dire les derniers régimes préférentiels de pension qui existaient encore dans le secteur public.

77 Toutefois, cet avant-projet de loi sur la pénibilité des métiers dans la fonction publique n’atteint que tardivement l’agenda des négociations sociales entre interlocuteurs sociaux au sein du Comité national des pensions (CNP). Il suscite en effet un vif débat au sein même de la majorité fédérale, et fait ainsi l’objet de nombreuses réunions intercabinets et en Comité ministériel restreint tout au long du premier semestre 2017. Les discussions achoppent sur les coefficients de pénibilité, la N-VA et l’Open VLD s’alarmant de leur impact budgétaire et craignant qu’une trop grande largesse en la matière dans le secteur public serve ensuite de base aux négociations dans le secteur privé. Le ministre D. Bacquelaine, quant à lui, presse ses partenaires de majorité de s’accorder sur cette réforme des critères de pénibilité dans la fonction publique, redoutant, si un accord n’est pas obtenu rapidement, qu’elle ne puisse plus se dérouler sous cette législature en raison des échéances électorales d’octobre 2018 et de mai 2019.

78 Pendant ce temps, durant le premier semestre 2017, les organisations syndicales du secteur public sont accaparées par les négociations concernant la pension complémentaire des agents contractuels de la fonction publique fédérale. À l’arrivée, deux de ces trois organisations syndicales – la CSC-Services publics et le Syndicat libre de la fonction publique (SLFP, affilié à la CGSLB) – signent, le 30 juin 2017, un accord au sein du Comité A  [60] pour adapter la loi  [61]. Jusqu’alors, les agents contractuels de la fonction publique ne bénéficiaient que d’une pension de travailleurs salariés. Désormais, ils recevront une pension complémentaire, financée par l’employeur. La CGSP, qui est opposée par principe au second pilier de pensions et qui privilégie un renforcement de la pension publique de base, ne signe pas cet accord.

79 Cette divergence syndicale se manifeste également dans les actions intersectorielles menées par la seule organisation socialiste à l’encontre de la politique de réforme des pensions menée par le gouvernement fédéral. Le 30 juin, avec la FGTB fédérale, la CGSP organise une concentration de militants à Bruxelles en réaction aux négociations sur la réforme des pensions, notamment celles du secteur public. Le président fédéral de la CGSP, Michel Meyer, présente cette action comme le début d’un plan d’actions de sa centrale. Sur le plan sectoriel aussi, le dossier des pensions du secteur public suscite des actions. Les syndicats enseignants de la FGTB (CGSP-Enseignement pour l’enseignement officiel et SEL-SETCA pour l’enseignement libre) lancent le 30 août une campagne contre la politique du gouvernement fédéral, sous le slogan « Que les fanes de carottes »  [62].

2.1.2. Le conclave budgétaire de l’été 2017

80À la fin du mois de juillet 2017, le gouvernement Michel se réunit en conclave budgétaire. Le résultat des négociations porte tant sur les recettes – et particulièrement les mesures fiscales, dont la réduction du taux nominal d’imposition des sociétés et une taxation des comptes-titres supérieurs à 500 000 euros – que sur les dépenses publiques – arrêt des nominations, hors fonctions et secteurs sensibles (défense, magistrature, police), restriction du statut de l’agent et introduction de l’intérim dans la fonction publique. Il est aussi convenu d’établir une pension mixte qui prévoit que les années effectuées en tant que contractuel dans les services publics n’entrent plus en ligne de compte pour la pension publique. La décision du gouvernement fédéral de ne plus prendre en compte les années d’étude dans la carrière des fonctionnaires ajoute une couche de frustration.

81 Au cours de ces discussions budgétaires, et afin de réduire la dette publique qui s’élève alors à 106 % du produit intérieur brut (PIB), le gouvernement Michel convient également de passer en revue toutes les participations de l’État dans des entreprises, y compris dans les entreprises publiques autonomes (SNCB, Proximus, bpost, etc.). Le gouvernement décide d’installer à partir de septembre un groupe de haut niveau pour réfléchir à une « gestion dynamique » des participations de l’État. La presse se fait rapidement l’écho de tentatives de privatisations, s’appuyant sur les déclarations du ministre des Finances, Johan Van Overtveldt (N-VA), et du vice-Premier ministre CD&V, Kris Peeters, fin août. Sont évoquées une vente des actions de Belfius et une privatisation de la SNCB ou de certaines de ses filiales – hypothèse rapidement démentie par le Premier ministre, Charles Michel (MR) –, de Proximus ou de bpost. Le cabinet du Premier ministre tente de calmer le jeu en précisant que « la vente d’actions doit tenir compte des intérêts stratégiques, financiers, économiques et sociaux ». Mais ce débat sur les privatisations, par sa récurrence, met le feu aux poudres dans les services publics et pousse la CGSP, hostile à toute privatisation, à dévoiler rapidement un plan d’actions.

2.1.3. Le point culminant de la conflictualité sociale dans le secteur public

82Les syndicats ne cachent pas leur hostilité aux mesures annoncées par le gouvernement Michel, particulièrement la contractualisation de la fonction publique fédérale, et dénoncent de nouvelles coupes dans les services publics. Les trois centrales syndicales des services publics – CGSP, CSC-Services publics et SLFP – sollicitent une réunion avec le ministre de la Fonction publique, Steven Vandeput (N-VA). Tenue le 11 septembre 2017, la réunion ne donne pas lieu à une modification des décisions ou des rapports de force. La contestation syndicale se nourrit aussi d’un dossier sectoriel aux enjeux interprofessionnels : le projet législatif du gouvernement fédéral concernant le service minimum dans le secteur du rail belge  [63]. Les cheminots de la CGSP sont déjà prêts à passer à l’action avant les vacances d’été. Les instances fédérales de la CGSP parviennent à les persuader de patienter, le temps de mettre sur pied un mouvement intersectoriel. Elles ne réussissent toutefois pas à rallier le secteur privé à leur cause.

83Face à ces mesures qui affectent directement le fonctionnement et le financement de la fonction publique, les instances de la CGSP – les deux ailes linguistiques et tous les secteurs confondus – décident, dès le 28 août, d’appeler à une « journée de réaction dans le secteur public » le mardi 10 octobre contre la politique menée par le gouvernement fédéral. Pour la centrale socialiste, la majorité fédérale mène une opération de « démantèlement des services publics », doublée d’une « politique fiscale catastrophique »  [64]. La CGSP pointe particulièrement quatre dossiers conflictuels : les pensions du secteur public, le statut des fonctionnaires, les coupes budgétaires dans les dépenses publiques et l’instauration du service minimum dans le secteur du rail. Nombreux sont les secteurs – rail, poste, enseignement francophone et néerlandophone, transports en commun bruxellois (STIB), wallons (TEC) et flamands (De Lijn), administrations locales et régionales bruxelloises, flamandes et wallonnes, etc. – qui choisissent la grève comme moyen d’action le 10 octobre.

84Si les syndicats chrétien et libéral du secteur public partagent les récriminations socialistes, ils choisissent de ne pas entrer en grève et de privilégier le dialogue et la concertation avec le gouvernement fédéral, le SLFP appelant à « éviter une confrontation stérile ». La CGSP part donc au front sans les deux autres syndicats, ni les centrales du secteur privé de la FGTB. Elle est toutefois rejointe dans son action par la section régionale interprofessionnelle de Liège-Huy-Waremme de la FGTB ainsi que par la section Bruxelles et Brabant wallon des Métallurgistes Wallonie Bruxelles (MWB, centrale de la FGTB), qui appellent à la grève. Elle reçoit également le soutien appuyé du secrétaire général de la FGTB wallonne, Thierry Bodson.

2.2. Les tensions au niveau régional wallon

85À l’échelle régionale, les transports en commun tant flamands que wallons ont été des secteurs fort conflictuels durant l’année 2017. Le changement de gouvernement wallon, évinçant le PS et intégrant le MR au pouvoir régional, a quant à lui ranimé la contestation syndicale dans la fonction publique régionale.

2.2.1. Les transports en commun flamands (De Lijn)

86Au sein des transports publics flamands, les négociations avec l’administration régionale au sujet de la nouvelle convention collective sont longues et difficiles. Elles achoppent principalement sur la question salariale : les syndicats réclament l’application de la hausse maximale de 1,1 % que les interlocuteurs sociaux intersectoriels ont négociée à l’échelon national. Souhaitant éviter la période des examens, les trois délégations syndicales (chrétienne, socialiste et libérale) attendent le 30 juin 2017 pour organiser une grève de quatre jours. Le front syndical a appelé l’ensemble des chauffeurs de bus et de tram à cesser le travail durant au moins l’un de ces jours. Tout le réseau flamand, tant urbain que rural, est touché, avec des perturbations qui, le dernier jour, sont d’ampleur similaire à celles du premier jour d’action.

87 Suite à cette grève, la direction et les trois syndicats de la société de transports en commun flamande De Lijn concluent un accord sur une hausse des salaires de 1 %, étalée sur l’année 2018 (0,5 % en janvier et 0,5 % en novembre).

2.2.2. La fonction publique wallonne

88Suite à l’installation du nouveau gouvernement wallon, le 28 juillet 2017  [65], une nouvelle déclaration de politique régionale (DPR) est présentée, intitulée « La Wallonie plus forte ». Une diminution drastique des dépenses publiques y est annoncée, avec notamment une limitation des mandats ainsi que des rémunérations qui y sont associées et, surtout, une rationalisation des structures (dont les TEC).

89Les organisations syndicales interprofessionnelles chrétienne et socialiste dénoncent toutes deux un virage à droite. Le comité de l’interrégionale wallonne de la FGTB, réuni le 14 septembre à Namur, procède à l’analyse de la situation politique et marque son opposition aux politiques de droite désormais convergentes entre le niveau fédéral et la Région wallonne. Plus mesurés que le secrétaire général de la FGTB wallonne, les deux responsables wallons de la CSC – Marc Becker, secrétaire national en charge des affaires wallonnes, et Bruno Antoine, président de la CSC wallonne – tracent le 15 septembre les « lignes rouges » à ne pas franchir par le gouvernement Borsus. La défense des services publics wallons est l’une d’elles : la CSC rappelle que « s’attaquer à l’emploi ou tenter d’organiser un service minimum dans les TEC, c’est non »  [66]. De son côté, la CGSP s’organise rapidement pour mettre sur pied un plan d’actions, en parallèle aux actions décidées à la fin du mois d’août à l’échelon fédéral. Dès le 20 septembre, elle met la pression, en défilant sous le slogan « Grogne au Grognon » dans les rues de Namur, la veille du premier conclave budgétaire de la nouvelle majorité MR/CDH et à l’occasion de la rentrée officielle du Parlement wallon. Elle s’oppose à « la précarisation de l’emploi statutaire et contractuel » et au service minimum.

90 Les dossiers pendants mais urgents dans les services publics wallons – nomination des contractuels en attente, revalorisation du niveau B, etc. – amènent rapidement les deux organisations à déposer un préavis de grève commun pour le jeudi 30 novembre 2017, auquel le SLFP ne s’associe pas. Une manifestation est organisée dans la foulée devant le siège du gouvernement wallon à Namur. Par ce biais, le front commun wallon dénonce le non-respect des accords signés par le gouvernement wallon. En effet, deux dossiers ayant fait l’objet d’un consensus sous le gouvernement Magnette sont notamment mis au frigo par la nouvelle majorité wallonne. Il s’agit des aménagements de fin de carrière pour les travailleurs de plus de 60 ans et pour ceux dont le travail est reconnu pénible, et de la statutarisation des contractuels. Pour les deux syndicats, le personnel de certains secteurs (aéronautique, écluse, etc.) doit être remplacé poste pour poste. Cette grève des services publics wallons en front commun ne concerne que les administrations régionales : Service public de Wallonie (SPW), Office wallon de la formation professionnelle et de l’emploi (FOREM), Agence wallonne pour une vie de qualité (AVIQ), etc. Toutefois, la CGSP couvre également les actions dans d’autres services publics. Elle poursuit la grève seule dans les TEC le 1er décembre pour s’opposer, notamment, au service minimum voulu par le gouvernement wallon.

2.2.3. Les transports en commun wallons (TEC)

91À partir de la prise de fonction du gouvernement Borsus à l’été 2017, une crise intense agite le secteur des transports en commun wallons (TEC). Les deux partis de la nouvelle majorité régionale définissent en effet le dossier des TEC comme une de leurs priorités  [67], dans le cadre des négociations sur le renouvellement du contrat de service public avec la Société régionale wallonne du transport (SRWT, qui utilise la dénomination commerciale TEC).

92 C’est d’abord la rationalisation de la structure des TEC qui oriente les discussions. L’ancienne majorité PS/CDH a approuvé la fusion de la SRWT avec ses cinq sociétés d’exploitation (TEC Brabant wallon, TEC Charleroi, TEC Hainaut, TEC Liège-Verviers et TEC Namur-Luxembourg) au sein d’une nouvelle structure unique, l’Opérateur de transport de Wallonie (OTW) ; cette opération doit notamment permettre l’établissement d’un seul conseil d’administration réduit à 15 administrateurs (au lieu de 85). Pour sa part, la nouvelle majorité MR/CDH entend aller plus loin et travailler de manière intégrée sur l’ensemble du réseau, en termes de finances, d’agents ou d’exploitation. Tant les organisations syndicales que le conseil d’administration de la SRWT s’opposent à cette transformation en une seule entreprise publique à l’échelle wallonne.

93 Les syndicats dénoncent les risques de pertes d’emplois, de modification des contrats de travail et de réductions budgétaires. Les modes de réaction des trois syndicats diffèrent toutefois. La CGSP mène des actions de grève à l’automne 2017 (cf. infra), auxquelles ne s’associent pas la CSC-Services publics ni le SLFP, ceux-ci estimant qu’il reste de la place pour la concertation sociale. De leur côté, les administrateurs de la SRWT – parmi lesquels figurent des représentants syndicaux – craignent particulièrement un éloignement excessif entre la prise de décision et les réalités de terrain, même si le gouvernement Borsus s’engage à « une répartition géographique des 15 administrateurs issus des différentes sociétés d’exploitation actuelles ainsi qu[’à] l’institution d’organes de consultation par bassin de mobilité »  [68].

94À la veille de la grève socialiste intersectorielle du 10 octobre, la commission de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et des Travaux publics du Parlement wallon est amenée à examiner deux textes, datant déjà de deux ou trois ans et qui sont remis à l’agenda politique pour l’occasion. D’une part, une proposition de décret qu’avait déposée le MR en novembre 2014, visant à garantir la continuité du service public pour les TEC et à inscrire cette nouvelle obligation dans le contrat de service public qui lie la Région et l’entreprise  [69]. Par bassin de mobilité, les forces disponibles – c’est-à-dire les chauffeurs qui, 24 heures avant l’action, se déclareraient prêts à travailler – seraient évaluées et affectées à des lignes considérées comme prioritaires. D’autre part, une proposition de résolution que le CDH avait soumise en mars 2015, relative aux grèves sauvages aux TEC et demandant au gouvernement wallon de travailler avec l’entreprise et les syndicats à la mise en place de sanctions disciplinaires et/ou financières pour les agents qui arrêtent le travail sans préavis  [70]. Ces deux textes sont adoptés par la commission le jour même  [71]. Le 25 octobre, ces deux propositions sont adoptées en séance plénière, majorité (soutenue par le député indépendant André-Pierre Puget, ex-PP) contre opposition  [72], et, le lendemain, le Conseil des ministres wallon promulgue le décret sur le service continu dans les TEC  [73]. L’approbation de ces textes par la coalition MR/CDH enflamme le secteur des transports en commun wallons.

95La CGSP dépose un préavis de grève dans les TEC pour les 30 novembre, journée de grève en front commun de la fonction publique wallonne, et 1er décembre, jour de grève exclusivement dans les TEC. Ses homologues chrétien et libéral considèrent qu’il reste de la place pour la concertation sociale mais annoncent ne pas vouloir briser la grève et donc ne pas forcer les piquets éventuels. La CGSP estime quant à elle regrettable que les autres syndicats ne participent pas au combat : les trois dossiers – la fusion, le service minimum et les sanctions pour les grèves sauvages – constituent à ses yeux des « points de rupture ». Si l’administrateur général de la SRWT, Vincent Peremans  [74], reconnaît partager certaines craintes sur ces dossiers, il déplore le choix du moyen d’action par la CGSP. Toutefois, son message est principalement dirigé vers le gouvernement Borsus, rappelant que le climat social était jusqu’alors bon au sein de l’entreprise. Le 29 novembre 2017, veille de la grève des services publics en front commun wallon, le conseil d’administration de la SRWT tient une réunion de crise. Les administrateurs alertent le ministre wallon en charge de la Mobilité et des Transports, Carlo Di Antonio (CDH), sur les risques du scénario de fusion et sur sa faisabilité à court terme. Alors que le conseil d’administration compte cinq socialistes parmi ses neuf membres, c’est pourtant à l’unanimité que cet avis est rendu, toutes tendances politiques confondues donc.

96 Le jeudi 30 novembre, jour de la grève, alors que l’ordre du jour ne comporte pas de point sur ces questions, le gouvernement Borsus choisit de faire avancer l’un des dossiers à l’origine du mouvement social. Dans sa communication, le ministre C. Di Antonio déplore les six jours de grève qui ont affecté le service des TEC de début septembre à fin novembre 2017. En réponse, les syndicats et la direction de la SRWT regrettent d’une seule voix la mise sous pression, par le gouvernement wallon, d’une concertation sociale interne pourtant constructive. En effet, les jours évoqués par le ministre concernent des actions interprofessionnelles ou intersectorielles auxquelles se joignent les délégations des TEC par solidarité. Le gouvernement approuve l’avant-projet de décret validant la fusion des cinq sociétés d’exploitation et de la structure faîtière (SRWT) en une entité unique. Bien que fortement suivie, puisque la CGSP est majoritaire au sein du groupe TEC, l’action syndicale ne fait donc pas fléchir le gouvernement wallon.

97 En réaction, le 4 décembre, la CGSP dépose un préavis de grève de 72 heures sur le réseau TEC, couvrant les mercredi 20, jeudi 21 et vendredi 22 décembre, sur la base des mêmes revendications : la direction de la SRWT n’a apporté aucune garantie quant aux volontés gouvernementales de fusionner les TEC, d’instaurer un service minimum et de sanctionner les travailleurs participant à des grèves sauvages. Le 14 décembre, au terme d’une conciliation sociale avec la direction de la SRWT, la CGSP annonce la suspension du mouvement, sans abandonner ses revendications pour autant. La direction et les syndicats constatent d’un commun accord que, contrairement aux idées reçues et au message du ministre C. Di Antonio, le climat social est plutôt de qualité dans l’entreprise publique. Ils envisagent par ailleurs de compléter la convention collective de travail (CCT) par des règles claires entourant les situations dans lesquelles une ou plusieurs organisations souhaitent la participation d’une délégation à une manifestation. Concernant les arrêts de travail sans préavis, les deux parties refusent l’idée des sanctions financières pour les grévistes et recommandent au ministre de ne pas mettre en œuvre la résolution adoptée le 25 octobre 2017 par le Parlement wallon et visant à responsabiliser les auteurs de mouvements sauvages.

98 La mouture finale de l’avant-projet de décret de fusion des structures est arrêtée par le gouvernement wallon le 1er mars 2018, puis le projet de décret est adopté le 28 mars 2018 en séance plénière au Parlement wallon  [75]. Daté du lendemain, le décret est appelé à produire ses effets le 1er janvier 2019  [76]. Il n’a donc pas été question pour la coalition MR/CDH de revenir sur la fusion des cinq TEC et de la SRWT, qui s’inscrit dans un effort plus large de simplification du paysage institutionnel.

2.3. Conclusion 

99Une forte contestation syndicale, bien que spécifique à plusieurs égards, a affecté les services publics en Belgique en 2017. La temporalité des actions conflictuelles constitue une première caractéristique. Le calme général du premier semestre a laissé place à des actions collectives nombreuses et intenses sur le plan fédéral et sur le plan régional wallon à partir de l’été 2017. Le calendrier des négociations sociales fédérales, puis le changement de majorité politique en Région wallonne expliquent en partie ce décalage. Un autre facteur tient dans le choix, directement posé par la CGSP, d’actions décidées aux niveaux intersectoriel et fédéral face à la dimension collective des attaques portées aux niveaux d’abord fédéral et ensuite régional wallon. La CGSP a ainsi privilégié l’élaboration d’un plan commun d’actions syndicales. Rares sont les secteurs qui sont partis seuls au front, excepté dans les transports en commun, le plus souvent en réaction au projet d’instauration d’un service minimum. Enfin, cette contestation est caractérisée par la disparité de participation des organisations syndicales. Cette disparité est le reflet de stratégies syndicales opposées. Dorénavant, la CSC, en ce compris sa centrale des services publics, semble préférer user de l’influence, même infime, qu’elle peut encore espérer avoir sur le CD&V, parti au pouvoir dont elle est le plus proche, pour reporter les réformes liées à la sécurité sociale. Au niveau régional, la participation du CDH à la coalition gouvernementale wallonne – d’abord avec le PS de 2014 à 2017 et ensuite avec le MR depuis l’été 2017 – peut expliquer les choix d’action posés par le syndicat chrétien. À l’opposé, les actions de la CGSP ont visé à dénoncer les politiques gouvernementales fédérale et régionale comme les politiques de gouvernements de droite contre lesquelles il convient de se mobiliser, mais elles n’ont pas suscité de consensus syndical, malgré une action régionale en front commun entre les centrales chrétienne et socialiste des services publics le 30 novembre 2017 contre les atteintes portées à l’encontre de la fonction publique wallonne.

3. De la grève et du droit de grève dans le secteur du rail en 2017

100L’année 2017 n’a pas connu d’action syndicale d’envergure dans le secteur du rail belge (SNCB, Infrabel, HR-Rail). Seuls deux arrêts de travail sont à comptabiliser, tous deux s’étant produits dans un cadre bien plus large que celui des seuls chemins de fer. Le premier a eu lieu le 10 octobre, à l’occasion de la journée d’action lancée par la Centrale générale des services publics (CGSP, centrale professionnelle de la FGTB regroupant toutes les catégories de personnel dans le secteur public et assimilé) contre la politique du gouvernement fédéral Michel (N-VA/MR/CD&V/Open VLD) en matière de services publics, et notamment contre le projet d’instaurer le service minimum dans le secteur du rail. Le second a pris place le 19 décembre, jour de la manifestation nationale en front commun contre la réforme des pensions du gouvernement fédéral. Dans chaque cas, un préavis couvrant ces grèves avait été déposé par la CGSP.

101 L’absence de grève spécifique dans ce secteur est d’autant plus remarquable qu’elle est intervenue après deux années d’extrême tension sociale dans les chemins de fer belges, marquées par de nombreux – et parfois longs – arrêts de travail, préavisés ou non  [77]. Mais ce calme n’a été qu’apparent ; il ne rend compte ni des évolutions de la conflictualité interne, ni du déplacement des tensions sociales vers le niveau intersectoriel et vers la sphère politique.

102 La concertation sociale en interne a été marquée par trois faits. Tout d’abord, les changements de direction opérés à la tête de la SNCB, l’opérateur ferroviaire, et de HR-Rail, le gestionnaire du personnel, ont potentiellement influencé les positions et les stratégies des différents interlocuteurs sociaux. Ensuite, deux procédures judiciaires liées aux actions de grève au sein de la SNCB – l’une pour compenser leur impact sur les navetteurs et l’autre pour donner la possibilité à certains syndicats d’y participer – ont connu un dénouement en 2017. Enfin, les négociations internes portant sur l’établissement d’un service minimum (« service garanti ») dans le secteur du rail, tel qu’annoncé dans l’accord de gouvernement fédéral du 9 octobre 2014, ont échoué.

103 Dans ce contexte, l’absence de grève sectorielle ne signifie pas que les syndicats du rail ne se sont pas mobilisés au cours de l’année 2017. D’une part, parce qu’ils ont relayé leur combat contre le service garanti au niveau intersectoriel, pour tenter de mobiliser plus largement les travailleurs autour de la préservation du droit de grève en Belgique. D’autre part, parce qu’ils ont participé aux mobilisations intersectorielles portant sur des dossiers fédéraux qui concernent leur secteur parmi d’autres, tels que la réforme des pensions publiques ou la fin du régime des statutaires dans la fonction publique.

104 L’échec des négociations internes portant sur l’instauration du service garanti a entraîné la reprise en mains du dossier par le gouvernement fédéral au début de l’année 2017. De cette manière, la négociation entre interlocuteurs sociaux a cédé la place à une négociation entre partis politiques, au sein de laquelle les organisations syndicales du rail n’ont bénéficié que d’un faible relais compte tenu de la majorité fédérale en place. L’adoption de la loi du 29 novembre 2017 organisant, selon son intitulé, la « continuité du service de transport ferroviaire de personnes en cas de grève »  [78] constitue à cet égard un cap décisif dans la conflictualité sociale du rail belge.

3.1. Trois éléments de l’actualité sociale dans le rail

105En lien avec la conflictualité sociale et la question de la grève dans le secteur du rail belge, trois éléments de contexte se doivent d’être épinglés ici.

3.1.1. Deux changements de direction à la tête du rail

106En 2017, d’importantes modifications interviennent à la tête de la SNCB, l’opérateur ferroviaire, et de HR-Rail, le gestionnaire du personnel. Elles sont accompagnées d’une période de transition visant à permettre aux nouveaux dirigeants de se familiariser avec l’entreprise, son fonctionnement et ses acteurs, et de définir les lignes de conduite pour le futur.

107L’entrée en fonction, le 7 mars 2017, de Sophie Dutordoir comme chief executive officer (CEO) de la SNCB marque un changement important dans l’entreprise ; le style frontal et l’approche très financière de Jo Cornu, son prédécesseur, avaient eu tendance à aviver les tensions plutôt qu’à les calmer. Le 18 octobre 2017, présentant sa vision stratégique pour l’opérateur ferroviaire devant la Commission de l’Infrastructure, des Communications et des Entreprises publiques de la Chambre des représentants, la nouvelle CEO se montre critique par rapport au fonctionnement de la SNCB, en pointant notamment une culture d’entreprise trop hiérarchique et des méthodes de travail déficientes, caractérisées par l’absence d’objectifs mesurables et quantifiables et par le manque de dialogue entre les services. Elle indique que les cinq priorités du nouveau comité de direction de la SNCB seront la sécurité, la satisfaction des clients, la modernisation de la politique des ressources humaines, la mise en place de processus plus performants et l’attention à des finances saines. En revanche, le projet d’une offre de trains sans accompagnateur, qui était défendu par son prédécesseur, ne figure pas dans les propos de la nouvelle directrice générale, ce qui rencontre l’approbation des syndicats.

108 À la tête de HR-Rail, il est procédé au remplacement de Michel Bovy, en charge notamment des relations professionnelles. Son départ à la retraite avait été postposé pendant près de deux ans en raison de l’absence de consensus quant à son successeur. Le 1er juillet 2017, lui succède Paul Hautekiet, qui a réalisé une partie importante de sa carrière chez Electrabel.

3.1.2. L’aboutissement de deux procédures judiciaires

109L’actualité sociale du rail belge en 2017 est aussi marquée par le dénouement de deux procédures judiciaires à l’encontre de la SNCB.

110Déposée par Test-Achats le 23 novembre 2015 devant le tribunal de commerce de Bruxelles, la requête en réparation collective (class action) contre la SNCB vise à obtenir une indemnité financière en faveur de 44 000 navetteurs qui ont été privés de train lors de huit actions de grève entre décembre 2014 et octobre 2015, ainsi qu’une simplification de la procédure des demandes de compensation pour retards (notamment ceux dus aux grèves)  [79]. Le 18 avril 2017, la SNCB et Test-Achats annoncent conjointement avoir conclu un accord aux termes duquel la première accepte d’indemniser la plupart des navetteurs représentés par l’association de consommateurs. En contrepartie, cette dernière met fin à son action. Plus largement, les deux organisations annoncent le début d’une collaboration visant à améliorer le système de compensation pour les navetteurs en cas de retard des trains. Si la décision est bien accueillie par l’association de voyageurs Navetteurs.be, son président déclare néanmoins regretter, d’une part, qu’il ait fallu une action en justice pour que le dossier des compensations se débloque et, d’autre part, que le traitement du dossier ait pris tant de temps  [80].

111 L’année 2017 est aussi celle de la conclusion, en deux temps, du recours en annulation introduit en décembre 2016 auprès de la Cour constitutionnelle par le Syndicat indépendant des cheminots (SIC) et l’Union nationale des services publics (UNSP) à l’encontre de l’article 12 de la loi du 3 août 2016 portant des dispositions diverses en matière ferroviaire  [81], au motif que cet article réserve aux seules organisations syndicales représentatives ou reconnues – soit la CGSP-Cheminots (FGTB), la CSC-Transcom-Secteur rail (CSC) et le SLFP-Cheminots (CGSLB) – le droit de participer aux élections sociales qui seront organisées au sein de la SNCB à partir de 2018  [82], privant ainsi les organisations syndicales agréées par la SNCB, telles que le SIC et le Syndicat autonome des conducteurs de train (SACT), de participer à la concertation sociale  [83] et de déclarer une action de grève. Le 18 mai 2017, la Cour constitutionnelle rend un arrêt suspendant l’article 12 de la loi  [84]. Puis, amenée à se prononcer à nouveau sur le dossier en raison de l’introduction d’une réplique par le Conseil des ministres, elle rend un nouvel arrêt, cette fois annulant ledit article, le 26 juillet 2017  [85].

112 La Cour constitutionnelle souligne que « le fait que la procédure de préavis et de concertation dans le cadre de conflits sociaux au sein des chemins de fer belges soit réservée exclusivement aux syndicats représentatifs et reconnus constitue une restriction qui n’est pas compatible avec la liberté d’association et le droit de négociation collective, y compris le droit de mener une action collective ». Pour ce qui concerne le droit de participer aux élections sociales, elle estime que « la disposition attaquée porte dès lors atteinte au droit de participer à un processus démocratique permettant aux travailleurs concernés d’élire leurs représentants dans le respect du pluralisme syndical, en ce qu’elle exclut purement et simplement les organisations syndicales agréées de la participation aux élections sociales au sein des chemins de fer belges ».

113 L’arrêt du 26 juillet 2017, qui annule la disposition légale concernée, constitue une importante victoire pour le SIC, initiateur du recours en annulation. Le ministre fédéral de la Mobilité, François Bellot (MR), devra en tenir compte lors de la préparation  [86] de la loi du 18 mars 2018 portant modification de la loi du 23 juillet 1926 relative à la SNCB et au personnel des chemins de fer belges et du Code judiciaire en matière d’élections sociales pour certains organes de dialogue social des chemins de fer belges  [87].

3.1.3. L’échec des négociations en interne sur l’instauration du service garanti

114La question de la continuité du service public en cas de grève s’inscrit dans les débats fédéraux portant sur la « modernisation du droit de grève » qui n’ont donné lieu à aucun accord du Groupe des dix  [88]. Au niveau régional, la question a connu des évolutions avec la décision d’instaurer un service minimum chez De Lijn depuis le 23 décembre 2016 et l’adoption, le 26 octobre 2017, d’un décret wallon imposant un service minimum aux TEC  [89].

115Inscrite dans l’accord du gouvernement Michel du 9 octobre 2014, l’instauration d’un service garanti dans le secteur des chemins de fer  [90] prend un nouveau tournant en 2017. Le gouvernement fédéral avait choisi de ne pas légiférer immédiatement, afin de laisser la possibilité aux interlocuteurs sociaux de négocier, « dans un délai raisonnable », un accord en interne visant à la mise en place d’un service minimum en cas de grève. Les négociations se sont tenues au sein du rail entre avril 2015 et décembre 2016, sans aboutir. Directions et syndicats du rail belge n’ont pas pu se mettre d’accord sur les scénarios et modalités d’application de ce service garanti, renvoyant de facto le dossier au ministre fédéral de la Mobilité. Cet échec des négociations internes sur le service garanti dans le secteur ferroviaire explique en partie le déplacement, dans un double mouvement, de la conflictualité sociale vers la mobilisation intersectorielle, d’une part, et vers l’arène politique, d’autre part.

3.2. Mobilisation intersectorielle et points de tension multiples

116À partir du moment où le dossier du service garanti passe dans le champ politique, les organisations syndicales représentatives du rail déploient leur action de contestation à deux niveaux.

117Le premier d’entre eux consiste, pour ce qui concerne la CGSP-Cheminots, à porter ce dossier emblématique au niveau syndical intersectoriel. Trois raisons principales incitent ce syndicat à adopter cette stratégie. Primo, la lutte contre le service garanti au sein de l’entreprise a échoué, le rapport de force n’a pas pu être inversé et le dossier a été renvoyé au gouvernement fédéral – constitué majoritairement de partis plutôt opposés aux organisations syndicales et aux mouvements de grève –, et ce malgré des actions de sensibilisation portant sur les négociations en cours. Secundo, ces actions ont montré à quel point les syndicats du rail rencontrent des difficultés à mobiliser et à recevoir le soutien du public sur cette question. Mettre sur pied des actions de grève pour contester la mise en place d’un service garanti risque de rendre les organisations syndicales encore plus impopulaires qu’elles ne le sont déjà dans le secteur. Tertio, la mise en place, pour la première fois, d’un service minimum dans le secteur ferroviaire a un impact fort sur le droit à l’action collective, et ce dans tous les secteurs, tant publics que privés, ce qui est susceptible d’amener à un élargissement de la mobilisation.

118 Le second niveau de contestation est politique. L’objectif des syndicats est de relier politiquement différents dossiers qui se trouvent entre les mains du gouvernement fédéral. En effet, les tensions avec le gouvernement Michel ne manquent pas. Outre la mise en place d’un service garanti, figurent entre autres la réforme des pensions publiques, la fin du régime des statutaires dans la fonction publique – et donc dans le rail – promue par le gouvernement lors d’un conclave en juillet 2017, la diminution des moyens accordés au rail ou encore l’éventuelle privatisation partielle ou à terme totale de l’entreprise publique autonome. Ces nombreux dossiers fédéraux, dont certains touchent aux services publics dans leur ensemble, suscitent une mobilisation – certes parfois disparate – des organisations syndicales des services publics, dont sont membres les syndicats du rail  [91]. À cet égard, la journée d’action du 10 octobre 2017 menée par la CGSP fédérale – à l’exclusion des autres syndicats des services publics – dénonce ce « service minimum qui permettrait, selon certains, de garantir les services publics alors qu’il ne ferait que semer l’incertitude et le chaos parmi les citoyens et bafouer le droit de grève du personnel »  [92].

3.3. Négociation politique sur l’instauration du service garanti

119Décidé à mettre en place un service garanti dans le secteur ferroviaire conformément à son accord de coalition, le gouvernement fédéral, en la personne du ministre de la Mobilité F. Bellot, prépare un avant-projet de loi allant dans ce sens. Si ce texte ne constitue pas la seule initiative législative sur le sujet durant la législature  [93], il est celui qui aboutira in fine, le 16 novembre 2017.

3.3.1. L’avant-projet de loi

120La loi projetée par le gouvernement Michel est présentée par celui-ci comme une loi d’organisation de la continuité d’un service public en cas de grève pour garantir le droit, considéré essentiel, des citoyens à la mobilité  [94]. Par les termes utilisés et l’argument de fond déployé, le gouvernement entend écarter d’un même coup les critiques liées, d’une part, à l’imposition d’un « service minimum ou garanti » et, d’autre part, au risque d’atteinte au droit de grève (la participation à la continuité du service étant appelée à être strictement volontaire).

121 En cas d’annonce d’une future grève, les cheminots appartenant aux catégories de personnel définies comme essentielles devraient remplir une déclaration relative à leur intention de participer on non à cette grève, au maximum quatre jours ouvrables avant le début de celle-ci. Sur la base de ces déclarations, l’administrateur délégué de la SNCB déciderait d’appliquer un des plans de transport prévus, qui serait communiqué aux voyageurs au minimum 24 heures avant le déclenchement de la grève. Les cheminots qui ne communiquent pas leur intention de participer ou non à la grève dans les délais impartis ou qui ne respectent pas l’intention qu’ils ont déclarée s’exposeraient à une sanction disciplinaire. Par ailleurs, un cheminot qui aurait déclaré avoir l’intention de faire grève mais qui se raviserait finalement et se rendrait au travail serait malgré tout considéré comme gréviste et n’aurait donc droit à aucune rémunération. Enfin, il serait interdit aux cheminots participant à la grève de restreindre l’utilisation des outils de travail et des infrastructures de manière à empêcher le travail des cheminots non grévistes (notamment, en bloquant l’accès aux lieux de travail) et, d’une manière générale, de perturber l’application du plan de transport.

122 Le 22 mai 2017, l’avant-projet de loi est soumis au Conseil d’État pour avis  [95]. D’une manière générale, dans son avis rendu le 14 juin  [96], le Conseil d’État estime que ce texte constitue une atteinte disproportionnée au droit de grève et qu’il conduit au non-respect des dispositions de l’Organisation internationale du travail (OIT) en la matière. Le gouvernement Michel tiendra partiellement compte de ces critiques, notamment en raccourcissant, dans le projet de loi, le délai de déclaration d’intention de quatre jours ouvrables à 72 heures.

3.3.2. La Commission paritaire nationale

123L’avant-projet de loi fait l’objet d’une présentation lors de la Commission paritaire nationale (CPN) du 28 juin 2017. Si les directions du rail émettent un avis positif, celui des représentants syndicaux est unanimement négatif. La position des syndicats à l’égard de la mise en place d’un service garanti dans le secteur du rail belge est connue de longue date. Ils y sont hostiles pour des raisons principalement d’organisation, de sécurité et de respect du droit de grève.

124Néanmoins, quelques divergences de points de vue voient le jour entre organisations syndicales. La CGSP-Cheminots dénonce « une attaque frontale du droit de grève »  [97], et ce d’autant plus que l’avant-projet de loi interdit à ses yeux l’organisation de piquets de grève, dont l’objectif est de convaincre des collaborateurs ou des affiliés de rejoindre la grève. Elle indique qu’elle « combattra cette loi par tous les recours légaux possibles »  [98] et annonce que la CGSP fédérale intentera un recours auprès de la Cour constitutionnelle. Quant à elle, la CSC-Transcom-Secteur rail met l’accent sur certains aspects précis du texte, tels que la procédure de déclaration par les agents de leur intention de participer ou non au mouvement de grève, et leurs conséquences sur le déroulement de la négociation sociale. Elle dénonce également le manque d’intérêt porté par le texte pour la « continuité d’une concertation paritaire correcte »  [99]. Pour sa part, le SLFP-Cheminots insiste plus particulièrement sur le « miroir aux alouettes » que constitue le principe de continuité du service. Pour ce syndicat, les partisans de ce principe font fi de la réalité de terrain du rail et des modalités concrètes d’organisation du travail, la mise en place d’un service minimum requérant, de son point de vue, la présence massive de personnel appartenant à six ou sept catégories différentes.

125 À plusieurs reprises, il sera question d’actions syndicales contre le service garanti, dont des blocages et des actions nationales, mais, finalement, aucune action d’envergure ne sera menée par le secteur du rail sur cette thématique. Seule la CGSP-Cheminots organisera, le 23 août 2017 – soit deux jours avant le dépôt du projet de loi à la Chambre –, une action symbolique de sensibilisation à la gare de Bruxelles-Midi  [100] en collaboration avec le mouvement Tout autre chose (TAC)  [101]. Les instances syndicales ne cherchent donc pas à entrer dans un conflit ouvert ponctué d’arrêts de travail sur la seule question du service garanti. La thématique s’y prête peu à leurs yeux : elle n’est pas porteuse médiatiquement et elle mobilise difficilement, contrairement à d’autres dossiers en cours comme celui de la réforme des pensions publiques.

3.3.3. Le processus parlementaire

126Le gouvernement Michel dépose son projet de loi à la Chambre des représentants le 25 août 2017  [102].

127En Commission de l’Infrastructure, des Communications et des Entreprises publiques  [103], les amendements déposés par l’opposition (essentiellement le CDH, Écolo et Groen) au cours de la première lecture du texte sont rejetés. En outre, par un vote majorité contre opposition, la Commission refuse d’emblée d’accéder à la demande de plusieurs députés – issus de l’ensemble des partis d’opposition représentés au sein de la commission – d’organiser des auditions d’organisations de voyageurs, d’employeurs et de travailleurs ainsi que d’experts juridiques  [104]. Le 26 octobre 2017, en deuxième lecture, la Commission adopte le texte moyennant un amendement de forme visant à clarifier les catégories du personnel qualifiées d’« essentielles »  [105].

128En séance plénière de la Chambre, le 16 novembre 2017, le projet de loi suscite des débats animés  [106]. La continuité du service de transport ferroviaire de personnes constitue de longue date une question clivante entre les partis politiques.

129Si les quatre partis de la majorité soutiennent le projet gouvernemental, il n’en existe pas moins deux tendances en leur sein, ce qui constitue un reflet de tensions traversant le gouvernement Michel : le MR et le CD&V sont satisfaits du projet, tandis que la N-VA et l’Open VLD auraient souhaité que soient prises des mesures plus fortes contre les actions spontanées. En effet, le texte projeté ne correspond pas aux positions les plus radicales qui ont pu être formulées jusqu’alors au sein de cette coalition de droite (ce qui est peut-être dû à l’action du CD&V, seul membre du gouvernement Michel à être proche d’une organisation syndicale).

130Les critiques de l’opposition sont menées par les députés d’Écolo (parti qui, à la Chambre, forme un groupe commun avec Groen), du PS, du PTB et du SP.A. Elles portent principalement sur la politique globale que mène le gouvernement fédéral en matière ferroviaire et sur son financement, sur les possibles atteintes au droit de grève et sur les difficultés opérationnelles et les problèmes de sécurité que le projet de loi en débat pourrait engendrer. Le CDH ne joint pas sa voix à celle des autres partis de l’opposition. Cependant, l’une de ses députées, Catherine Fonck, indique qu’il serait à son estime possible d’instaurer un service minimum qui soit basé sur un accord social (faisant là écho à la proposition de loi qu’elle a elle-même déposée à ce sujet en juin 2016, cf. supra). Pour sa part, le VB marque son accord avec l’idée d’un service garanti, mais considère que le projet de loi n’atteindra pas cet objectif car il aurait été nécessaire de prévoir des réquisitions du personnel.

131 Le vote a lieu le même jour  [107]. Le texte est adopté par 78 « oui », 41 « non » et 13 abstentions. Sur l’ensemble des 132 députés fédéraux présents, les membres de la majorité se sont prononcés en faveur de la loi, les députés des groupes PS, Écolo-Groen, PTB et SP.A ont voté contre, et ceux des groupes CDH, Défi, PP et VB ainsi que les députés indépendants (ex-N-VA) H. Vuye et V. Wouters se sont abstenus. Le texte devient la loi du 29 novembre 2017 relative à continuité du service de transport ferroviaire de personnes en cas de grève ; elle est publiée au Moniteur belge le 17 janvier 2018  [108].

132 La mise à l’agenda politique du « service garanti » sous la forme d’une loi portant sur la continuité du service ferroviaire met en évidence l’isolement des acteurs syndicaux lorsque le rapport de force politique ne penche pas en leur faveur, leurs partis-relais traditionnels étant soit cantonnés sur les bancs de l’opposition (PS, SP.A, CDH) soit minorisés dans la coalition gouvernementale (CD&V).

3.4. Conclusion

133La loi du 29 novembre 2017, qui instaure un service garanti dans le secteur du transport ferroviaire de personnes, a été adoptée par la majorité N-VA/MR/CD&V/Open VLD après près de dix ans de débats sur le service minimum et après le dépôt de plusieurs propositions de loi allant dans ce sens au cours des deux dernières législatures. Au niveau syndical, le texte a rencontré l’opposition farouche des trois organisations syndicales représentatives ou reconnues dans le secteur du rail (CGSP-Cheminots, CSC-Transcom, SLFP-Cheminots). Toutefois, cela n’a pas donné lieu à des mobilisations, seule une action symbolique ayant finalement été menée. Cette situation est peut-être due au fait qu’il est plus difficile de mobiliser les cheminots sur des questions n’ayant pas directement un lien avec leurs conditions d’emploi et de travail. Ainsi, la conflictualité sociale s’est vue transférée du secteur du rail vers le monde politique. Le projet de loi porté par le gouvernement Michel a suscité d’importants débats, témoignant de visions politiques opposées sur les questions du transport par rail et de la négociation sociale, mais il n’a pas permis aux organisations syndicales de bloquer le texte ni même de le faire modifier sur le fond, ce qui reflète la faiblesse de leurs courroies de transmission dans l’actuelle équipe gouvernementale.

134À la fin de l’année 2017, le dossier de la mise en application du service garanti est loin d’être totalement clôturé. Il apparaît donc à cette époque que les prochaines actions syndicales présenteront un grand intérêt, puisqu’elles mettront le service garanti à l’épreuve des faits. À cet égard, un fonctionnement chaotique constituerait un véritable désaveu pour ses partisans et les partis formant le gouvernement Michel ou, de manière plus pernicieuse, un tel chaos pourrait aussi s’inscrire dans une stratégie de privatisation accélérée de l’entreprise publique autonome.

4. Les mobilisations du Collectif des coursier.e.s contre Deliveroo

135En 2017, le Collectif des coursier.e.s a mené plusieurs actions contre les décisions prises par Deliveroo tant au niveau de son service clientèle qu’à l’encontre de ses coursiers. Né de façon informelle en 2015, ce collectif vise à organiser les livreurs des différentes start-up actives dans la livraison de repas à domicile (UberEats, Deliveroo, TakeAway, etc.). Ses premières véritables actions remontent à juillet 2016 ; elles ont alors eu pour cible certaines pratiques de Take Eat Easy (TEE). Quant aux actions menées contre Deliveroo, initiées pour une large part en 2017, elles ont trouvé un premier épilogue le 1er février 2018. Prenant l’histoire du Collectif des coursier.e.s comme fil conducteur, ce chapitre ne se limite donc pas à la conflictualité sociale de l’année 2017, pour couvrir près de trois ans d’existence et de lutte.

136 Nous présentons tout d’abord brièvement le « capitalisme de plateforme » et les débats qu’il provoque. Ensuite, nous revenons sur la création du Collectif des coursier.e.s et sur les conflits qui ont opposé cet acteur à TEE puis à Deliveroo entre 2016 et 2018. Enfin, nous proposons une analyse des stratégies et positionnements syndicaux face à cette conflictualité d’un genre nouveau. En conclusion, nous tirons quelques enseignements des conflits examinés dans ce chapitre.

4.1. Le « capitalisme de plateforme » et ses enjeux

137 Le capitalisme de plateforme  [109] est une notion qui s’est imposée à partir de la fin des années 2000 pour désigner des entreprises qui « se réduisent à une structure centrale légère et flexible (...) qui pousse la logique d’externalisation à son paroxysme pour toutes les activités productives »  [110]. Le rôle des plateformes se résume à contractualiser, à mettre en œuvre des algorithmes de mise en relation et de contrôle, et à investir massivement en marketing. Mais elles n’ont que très peu d’actifs et ne produisent rien, et elles revendiquent une position de simple intermédiaire. Leur essor est souvent présenté comme participant de celui, plus général, d’une « économie collaborative » ou encore d’une « économie du partage » dont les contours sont beaucoup plus flous, notamment parce qu’elle inclut aussi bien des plateformes comme Airbnb que des initiatives sans but lucratif comme des « systèmes d’échanges locaux » (SEL)  [111].

138 Si l’on s’en tient aux seules plateformes à but lucratif, ces entreprises sont particulièrement actives dans les secteurs de la finance, de l’hébergement, des transports, des services à la personne et des services aux entreprises. En 2016, en Europe, elles ont généré des transactions pour un montant total de 28 milliards d’euros, un chiffre qui serait appelé à être multiplié par 20 en dix ans si l’on en croit une étude réalisée par le cabinet de consultance PriceWaterhouseCoopers (PWC) pour le compte de la Commission européenne  [112]. Il importe toutefois de signaler que, pour le moment, la plupart de ces plateformes ne génèrent que peu ou pas de bénéfices.

139 L’essor de ces entreprises pose d’ores et déjà des questions cruciales en matière de fiscalité, de concurrence, de protection des données et, bien sûr, de droit du travail  [113]. En effet, « là où l’entreprise managériale organisait et transformait le travail, la plateforme contractualise, externalise et contrôle à distance. Le travail n’est pas conçu par la plateforme, qui n’en est plus responsable. Le travail est sorti de l’entreprise »  [114]. Concrètement, cela signifie que ces entreprises traitent l’essentiel  [115] de leurs travailleurs comme des fournisseurs de service indépendants. À charge donc pour ceux-ci de se fournir et d’entretenir leur outil de travail, d’assumer les risques liés à leur activité ou encore de gérer leur temps de travail.

140 Pour ses défenseurs, ce modèle serait gage d’autonomie et de flexibilité pour les travailleurs, tout en offrant aux consommateurs des services plus flexibles et à moindre coût  [116]. Il préfigurerait ainsi le développement d’un capitalisme de masse dans lequel chaque individu-entrepreneur pourrait librement proposer ses services sur une ou plusieurs plateformes aux moments et aux conditions qui lui conviennent. Un autre argument régulièrement invoqué en faveur des plateformes est qu’elles permettraient à des populations plus ou moins éloignées de l’emploi de travailler pratiquement « du jour au lendemain »  [117].

141 Pour ses détracteurs, au contraire, le capitalisme de plateforme est synonyme de précarité et de régression sociale, l’autonomie généralement affichée par ces plateformes masquant mal la dépendance et la subordination des travailleurs à leur égard  [118]. En effet, la plupart du temps, ces entreprises exercent un contrôle plus ou moins strict à la fois sur le prix, le contenu et les horaires des prestations effectuées ou encore sur la durée de l’emploi du prestataire – qui peut en outre parfois voir son compte sur la plateforme être désactivé du jour au lendemain. Loin d’être un progrès, leur développement consisterait dès lors plutôt en un retour aux relations de travail caractéristiques du début de l’ère industrielle, lorsque la fiction d’un échange marchand entre travailleurs et capitalistes servait à masquer la réalité de l’exploitation du travail des premiers par les seconds. Ce faisant, ce serait donc tout l’édifice du droit social qui s’en trouverait menacé, ainsi que la possibilité pour les travailleurs de le défendre collectivement.

142 En Europe, les conflits juridiques se multiplient depuis quelques années entre ces entreprises et les pouvoirs publics, avec toutefois des attitudes très différentes selon les pays  [119]. Dans ce contexte, la Commission européenne a publié au printemps 2016 un « Agenda européen pour l’économie collaborative »  [120], dans lequel elle prône une plus grande uniformisation des législations nationales de façon à maximiser les opportunités offertes par le développement de ce secteur. La Commission partage en effet les visions enthousiastes d’une « économie collaborative » constituant un nouveau gisement de croissance, et se contente dès lors d’appeler à en éviter les éventuels abus par une régulation appropriée. Plus récemment toutefois, le 20 décembre 2017, dans un dossier espagnol impliquant Uber, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a considéré qu’Uber était une société de service de transport (et donc soumise aux réglementations européennes en la matière), et non une simple plateforme numérique (dès lors soumise aux directives, moins contraignantes, sur les services  [121]) comme le soutenait notamment la Commission européenne  [122]. Aux côtés des positions du Parlement européen sur le développement de ce secteur, plus réticentes que celles de la Commission européenne, ce cas pourrait donc bien avoir des conséquences importantes sur l’avenir du capitalisme de plateforme en Europe.

143 En attendant, en Belgique, c’est plutôt la position de la Commission européenne qui a été suivie jusqu’à présent par le gouvernement Michel (N-VA/MR/CD&V/Open VLD) en la matière. Ainsi, depuis mars 2017, les revenus perçus par les prestataires des plateformes ne sont plus taxés qu’à hauteur de 10 % (à concurrence de 5 100 euros par an en 2018)  [123], contre les 33 % prévus jusqu’alors mais dont, il est vrai, peu de prestataires s’acquittaient. Pour le vice-Premier ministre et ministre de la Coopération au développement, de l’Agenda numérique, des Télécommunications et de la Poste, Alexander De Croo (Open VLD), initiateur de cette mesure, il s’est agi notamment de lutter contre le travail au noir sans pour autant brider un secteur prometteur.

4.2. Le Collectif des coursier.e.s

144Parmi les conflits et polémiques entourant le développement des plateformes collaboratives, le cas des entreprises de livraison de repas à vélo a été médiatisé ces deux dernières années, d’abord avec la faillite spectaculaire de la pionnière en la matière, la start-up belge Take Eat Easy (TEE), puis avec la multiplication des conflits du travail opposant le leader de ce marché très concurrentiel, la société britannique Deliveroo, à ses coursiers dans plusieurs pays européens depuis 2016.

145 En Belgique, trois étapes ont marqué l’évolution du Collectif des coursier.e.s. Il s’agit des luttes menées contre la dégradation des conditions de rémunération chez TEE, la délocalisation du service client de Deliveroo Belgium, et l’imposition aux livreurs du statut d’indépendant et d’une rémunération à la course par le même Deliveroo Belgium.

4.2.1. L’époque de Take Eat Easy

146TEE a été la première plateforme de livraison de repas active en Belgique. Elle est apparue sur le marché en septembre 2013. D’abord présente à Bruxelles, à Anvers et à Gand, elle s’est très vite développée à l’étranger dans des villes comme Paris, Madrid, Barcelone et Londres. Son ambition était de s’imposer comme le leader du secteur de la livraison de repas chaud en Europe.

147 En Belgique, un groupe Facebook des livreurs de TEE se met en place début 2015. Cette première communauté de coursiers belges partage alors surtout des vidéos ayant pour thème le vélo, sans porter de revendications socio-économiques. TEE propose pourtant une rémunération à la course ou des systèmes de bonus basés sur la performance des coursiers, favorisant ainsi la prise de risque et instaurant une compétition agressive entre les travailleurs. En mars 2016, les coursiers belges de TEE décident de s’organiser en créant le Collectif des coursier.e.s  [124].

148 Deux mois plus tôt, en janvier 2016, la Société mutuelle pour artistes (SMart) a entamé des négociations « commerciales » avec les plateformes. Créée en 1998 sous la forme d’une asbl  [125], SMart avait initialement pour vocation de proposer aux artistes, dont le travail est par définition intermittent et précaire, de mutualiser une partie de leur cachet au sein d’une structure qui, en retour, ferait office d’employeur à leur égard, en leur permettant ainsi d’accéder à un minimum de protection et de stabilité salariales. Or, devant la multiplication des formes de travail et d’emploi « atypiques », de plus en plus de travailleurs extérieurs au secteur artistique ont commencé à avoir recours à ses services. Parmi ceux-ci, les travailleurs des plateformes et en particulier les coursiers ont été sans cesse plus nombreux à partir de 2016, obligeant SMart à s’interroger sur son rôle dans la légitimation de conditions d’emploi et de travail qui lui paraissent problématiques. SMart dénonce en effet « la rémunération exécrable (en dessous des minimums légaux) », les « risques élevés d’accidents et mal couverts puisque mal déclarés », la « pratique du “priority booking chez Take Eat Easy”, consistant en l’attribution des courses aux coursiers les plus performants résultant ainsi en un système où la rémunération du coursier est ainsi basée sur le nombre de shifts [système d’horaire de travail en rotation prédéterminé] alloués par l’algorithme » et des « systèmes de bonus basé sur la performance des coursiers »  [126].

149 En mai 2016, SMart signe une convention commerciale avec TEE et Deliveroo, aux termes de laquelle les coursiers bénéficient d’un paiement à l’heure avec respect des minima légaux  [127], d’une garantie de rémunération de 3 heures minimum par jour presté, du défraiement pour l’utilisation du téléphone personnel, d’une prise en charge de 50 % des frais sur les interventions techniques et le contrôle technique effectués sur le vélo du coursier, ainsi que d’une formation à la sécurité routière pour chaque nouveau coursier. Avec cette convention spécifique, SMart se place en Belgique comme le garant des conditions de travail minimales des livreurs en les fédérant au sein d’une même structure, alors même que le modèle développé par les plateformes cherchait au contraire à les isoler et à les atomiser comme indépendants. Les avantages du statut SMart découlent du fait que le contrat proposé au livreur dans ce cadre est un contrat de travail à durée déterminée (CDD) de 3 heures  [128]. Les mini-contrats de travail (salarié ou étudiant) successifs ouvrent ainsi le droit à des prestations sociales, à la protection de la sécurité du travailleur et à la souscription d’une assurance légale en cas d’accident.

150 Le 26 juillet 2016, de manière inattendue, TEE annonce sa mise en redressement judiciaire. Lors de sa recherche de fonds pour assurer son développement, la jeune start-up n’a pas réussi à impliquer plus largement ses actionnaires ni à convaincre de nouveaux investisseurs. Les raisons invoquées sont l’absence de rentabilité de son business model et la forte concurrence dans le secteur. Suite à l’arrivée de Deliveroo à Bruxelles, TEE a d’ailleurs dû diminuer le prix de ses livraisons (de 3,50 à 2,50 euros).

151 Un grand nombre de coursiers belges se retrouvent alors du jour au lendemain sans travail, tandis que Deliveroo étend ses activités pour récupérer les parts des marchés abandonnées par TEE  [129]. De son côté, SMart fait jouer son dispositif de garantie commerciale  [130]. Alors que, partout ailleurs en Europe (et en particulier en France), des milliers de coursiers indépendants ne peuvent réclamer le paiement de leurs prestations du mois de juillet, en Belgique, SMart paie les salaires et les cotisations ONSS de 400 coursiers. Cette intervention permet à SMart – jusqu’alors parfois perçue comme une « obscure agence d’intérim » ou comme un maillon qui rend acceptable l’économie de plateforme – d’acquérir une meilleure image auprès des coursiers et des membres du Collectif des coursier.e.s. Le rôle de SMart comme nouvel acteur dans ce processus reste toutefois ambigu à plus d’un titre (cf. infra).

4.2.2. La délocalisation du service clientèle de Deliveroo

152De son côté, Deliveroo est une société de livraison de repas basée à Londres, créée la même année que TEE et dont elle était la principale concurrente. Présente dans plus de 150 villes et 12 pays, sa valeur a été récemment estimée à environ 2 milliards d’euros  [131]. Modèle en son genre, à côté d’un nombre réduit d’employés « classiques », Deliveroo a surtout recours à une main-d’œuvre indépendante pour assurer le travail de livraison.

153 Au milieu de l’été 2017, Deliveroo annonce la délocalisation de son service clientèle  [132] à Madagascar pour la partie francophone de la Belgique, tout comme cela a déjà été fait en France. L’objectif est de regrouper les services à la clientèle par langue : le français à Madagascar, l’anglais aux Philippines et le néerlandais aux Pays-Bas. En Belgique, la délocalisation menace de faire disparaître huit des quatorze postes du service clientèle  [133], dont le personnel constitue souvent le seul vrai contact humain que les coursiers ont avec la plateforme. Les livreurs éparpillés dans Bruxelles seront donc épaulés par des personnes situées à Madagascar, ce qui ne sera pas forcément évident lorsque les coursiers auront besoin d’aide.

154 Un rassemblement de coursiers est organisé le 27 juillet 2017 pour dénoncer cette délocalisation et ses conséquences. Il s’agit de la première assemblée extérieure lancée par le Collectif des coursier.e.s, avec le soutien de la CNE et de la CSC-Transcom qui représentent certains salariés du service clientèle et ont été contactés par les coursiers. Cette assemblée réunit une trentaine de coursiers, montrant ainsi toute la difficulté de mobiliser cette frange de travailleurs et de mener des actions de solidarité. Si cette action n’est certes pas massive en nombre, elle permet toutefois que des négociations soient ouvertes entre la CNE et Deliveroo concernant les conditions de licenciement des huit travailleurs concernés. La centrale syndicale en profite également pour chercher à établir un dialogue à propos des coursiers.

155 Parallèlement, le collectif se met d’accord sur cinq revendications : un salaire minimum, une garantie de travail grâce à un gel des embauches pour que les shifts soient plus facilement accessibles, une intervention dans les frais d’équipement pour l’entretien du vélo ou l’utilisation du téléphone portable, une couverture d’assurance et une garantie de revenu en cas de dégâts corporels pour ceux qui travaillent comme indépendants. Mais Deliveroo ne veut pas s’engager dans cette voie, continuant à refuser d’assumer une responsabilité d’employeur et, par voie de conséquence, d’ouvrir des négociations avec le Collectif et/ou le syndicat. L’entreprise estime d’ailleurs être suffisamment en « communication constante » avec ses livreurs : « La porte est toujours ouverte pour venir nous rencontrer et partager leurs suggestions pour améliorer notre service ». Elle souligne également que la majorité de ses coursiers sont des étudiants sous statut SMart, bien couverts par un contrat d’assurance.

Tableau 1. Les coursiers Deliveroo en Belgique (2017) : quelques chiffres

Tableau 1. Les coursiers Deliveroo en Belgique (2017) : quelques chiffres

Tableau 1. Les coursiers Deliveroo en Belgique (2017) : quelques chiffres

* Le contrat d’occupation d’étudiant est un contrat de travail spécifique aux étudiants qui est, à ce titre, assorti de conditions et de dispositions spécifiques. Parmi celles-ci, figure le fait de bénéficier d’un contingent annuel de 475 heures de travail exemptées de cotisations sociales.
Source : SMart, « Annexe Deliveroo », Document à usage interne, 25 octobre 2017, http://smartbe.be.

4.2.3. Les actions contre la fin de la convention SMart et le retour du travail à la tâche

156Au début de l’année 2017, la plateforme commence à faire pression sur les travailleurs à temps plein non étudiants pour qu’ils adoptent le statut d’indépendant et prestent sous le couvert d’une « convention de services » avec Deliveroo, plutôt que via des contrats de travail successifs avec SMart ; par là, elle cherche à limiter le « statut SMart » aux seuls étudiants.

157Quelques mois plus tard, le 26 octobre 2017, Deliveroo annonce unilatéralement la rupture de sa convention avec SMart ; la plateforme ouvre alors une période de transition courant jusqu’au 31 janvier 2018, notamment pour expliquer aux coursiers les modalités du nouveau système qu’elle met en place. Avec cette décision, Deliveroo revient à son business model initial basé sur la rémunération à la livraison et au statut d’indépendant pour les coursiers. SMart réagit très rapidement à la décision de la plateforme, en dénonçant le manque de protection sociale des « mini-jobs » et le fait que le travail indépendant « n’est couvert par aucune obligation d’assurance en matière d’accidents du travail (qui protège le travailleur), ou de responsabilité civile (qui protège le client-consommateur) »  [134]. Pour SMart, le développement de cette « zone grise est une bombe sociale, professionnelle et économique ».

158Avec cette annonce, Deliveroo met aussi fin au projet d’une concertation sociale telle qu’envisagée par SMart et les syndicats, et qui aurait pu aboutir sur la conclusion d’une convention collective de travail (CCT) encadrant l’activité de livreur.

159Sollicité par la CSC (CNE et CSC-Transcom), le Collectif des coursier.e.s se remobilise. Lors d’une réunion dans les locaux de SMart, il s’élargit et se structure avec l’élection de porte-paroles et de représentants des coursiers. Ces représentants, qui sont des coursiers à temps plein, sont désignés pour négocier avec la direction Deliveroo dans l’hypothèse où celle-ci accepterait de reconnaître le Collectif et d’ouvrir une négociation. Les revendications identifiées précédemment sont actualisées.

160Ainsi structuré, le Collectif lance un appel à une assemblée générale pour les livreurs. Dans un tract, il estime qu’« il n’est pas admissible que Deliveroo puisse aussi facilement précariser notre situation. Pour ne pas leur permettre de faire cela, nous devons nous organiser collectivement et imposer qu’ils nous écoutent »  [135]. Suite à cet appel, une centaine de livreurs et de militants bruxellois se réunissent à Ixelles le 24 novembre 2017. Les participants sont invités à s’exprimer sur la flexibilité et ses conséquences. Pour sensibiliser les passants et montrer en actes leur capacité à être « flexibles », des coursiers font des exercices d’étirements. Après le temps des prises de parole, la décision est prise de manifester, avec les cyclistes de l’initiative Masse critique  [136], jusqu’au siège de Deliveroo Belgium. Cette action exprime la convergence possible de revendications salariales et socio-environnementales. Ainsi, un moment symbolique fort pour les cyclistes est celui où le cortège emprunte les tunnels de l’avenue Louise, lieu par excellence de l’emprise de l’automobile sur l’espace urbain. Arrivé au siège de la plateforme, le collectif scande « Mathieu [de Lophem, general manager de Deliveroo Belgium], t’es foutu, les vélos sont dans la rue » et annonce son intention de poursuivre la lutte.

161Les revendications du collectif sont alors les suivantes : « des minimas garantis [aux livreurs] équivalents au salaire horaire minimum au cas où ils n’ont pas assez de commandes [y compris pour les indépendants] ; une prise en charge des cotisations sociales, une assurance accident de travail, un défraiement pour l’entretien des vélos et l’usage du téléphone »  [137]. À ces revendications très matérielles, s’ajoutent une égalité de traitement des coursiers par rapport aux commandes, la mise en place d’un comité de concertation entre Deliveroo et le Collectif des coursier.e.s, et le libre choix laissé entre le statut SMart et le statut indépendant  [138].

162De son côté, Deliveroo défend bec et ongles son modèle, que la plateforme dit avoir testé avec succès en juin. Concrètement, pour chaque livraison effectuée, les coursiers recevront une rémunération soit de 7,25 euros (travailleurs indépendants à titre principal) soit de 5 euros (étudiants indépendants). La plateforme indique aussi avoir mis en service un nouvel outil, le Self Service Booking, censé renforcer l’adéquation entre l’offre et la demande en coursiers. En effet, cet outil permet de prévoir le nombre de commandes dans une zone donnée et de s’assurer qu’il y a un nombre suffisant de coursiers pour y répondre  [139]. La seule concession faite est le bénéfice d’une assurance complémentaire gratuite en cas d’accident. Pour la plateforme, il s’agit d’une « première dans le secteur de l’économie digitale, rendue possible grâce à la start-up de l’assurance Qover » qui se veut être « l’assureur de la nouvelle économie ». Cette assurance, avec un plafond de 1 500 euros par an, est cependant jugée « insuffisante » par le Collectif des coursier.e.s ; ainsi, elle est très en deçà de l’assurance qu’octroie le statut SMart  [140].

163Le 8 janvier 2018, dans le centre de Bruxelles, une trentaine de coursiers manifestent une nouvelle fois leur opposition au projet de la direction de Deliveroo. Le mouvement prend de l’ampleur le 13 janvier 2018, avec un mouvement de grève soutenu explicitement par le député fédéral Gilles Vanden Burre (Écolo) à Bruxelles et par la régionale FGTB Interprofessionnelle à Liège. Le Collectif des coursier.e.s demande aux restaurants de ne plus employer l’application pour smartphone Deliveroo. Les grévistes obtiennent le soutien d’une quinzaine d’établissements, qui ferment l’application. À Liège, une trentaine de coursiers grévistes vont chercher les commandes dans les restaurants non solidaires afin de les distribuer à des personnes sans domicile fixe. Des mobilisations ont également lieu à Malines, Anvers et Gand.

164 Le 24 janvier 2018, entre 15 et 20 coursiers occupent le siège bruxellois de Deliveroo. Cette occupation intervient alors que l’entreprise vient d’être reconnue comme plateforme numérique dans le cadre de l’adoption par la Belgique d’une législation sur l’économie collaborative  [141]. Dans un communiqué de presse, la direction parle d’un « petit nombre d’individus » qui ne « représente pas les coursiers partenaires de Deliveroo, qui veulent travailler dur et gagner de l’argent »  [142]. La police et un huissier se rendent sur place, sans toutefois intervenir.

165 Le lendemain, dans le cadre du Forum économique mondial de Davos, le vice-Premier ministre et ministre de l’Emploi, de l’Économie et des Consommateurs, Kris Peeters (CD&V), rencontre la vice-présidente de Deliveroo, Thea Rogers. Cette rencontre est jugée « constructive » par le porte-parole de la multinationale, qui se félicite aussi que « le ministre ait condamné les actes qui ont eu lieu hier, visant à intimider le personnel de Deliveroo »  [143]. Largement diffusés dans la presse, ces propos ne font, semble-t-il, l’objet d’aucune rectification de la part du ministre. Interrogé sur le sujet, le secrétaire permanent de la CNE épingle le changement d’attitude du vice-Premier ministre, qui avait d’abord reçu les coursiers, leur avait fait part de son soutien et avait lancé une enquête « coordonnée » sur les pratiques de la plateforme, et qui désormais condamne les actions menées  [144].

166La fin de l’occupation effective des locaux, le 26 janvier 2018, fait suite à l’acceptation par Deliveroo du principe d’une conciliation sociale menée sous l’égide du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale, et ce même si la plateforme continuer à ne pas se reconnaître comme l’employeur des coursiers.

167Le secrétaire permanent de la CNE indique que seulement 60 % des coursiers de Deliveroo Belgium ont opté pour le statut d’indépendant (à savoir principalement des coursiers exerçant cette activité de manière ponctuelle) ; ils y auraient été incités par l’octroi d’une prime de 200 euros offerte aux coursiers acceptant de prendre ce statut. Quant aux 40 % restants, qui assureraient le principal des livraisons, ils restent selon lui opposés au changement de statut. De son côté, la multinationale souligne qu’elle reçoit près de 250 nouvelles candidatures par jour pour devenir coursier indépendant, ce qui prouve à ses yeux l’attractivité de sa proposition. Elle ajoute qu’un nombre important de coursiers indépendants qu’elle vient d’engager étaient auparavant salariés par SMart. Plus globalement, elle dit poursuivre son engagement à « proposer le travail flexible et bien rémunéré que les coursiers souhaitent »  [145].

168Parallèlement, le Collectif des coursier.e.s demande aux restaurateurs de ne plus employer l’application Deliveroo avant la fin du conflit social en cours. Une action est prévue le 26 janvier en fin de journée avec le collectif de cyclistes Masse critique, et une autre action est programmée le lendemain avec des coursiers en provenance des Pays-Bas, de France, d’Allemagne et d’Italie.

169Les premières réunions avec le conciliateur social se tiennent le vendredi 26 janvier en soirée et le lundi 29 janvier. Elles se soldent par un constat d’échec. Du côté syndical, le secrétaire permanent de la CNE souligne : « Toutes nos propositions ont été rejetées [alors que] nous nous étions pourtant montrés très souples en évoquant notamment la possibilité d’établir des contrats journaliers ». Selon lui, l’attitude de Deliveroo correspond « à un refus de tout ce qui est salarié. Dans les faits, nous sommes donc face à un licenciement collectif pour tous ceux qui ne veulent pas passer sous le statut d’indépendant »  [146]. La perspective d’actions plus dures est évoquée. Pour la direction de Deliveroo, « les propositions du Collectif supprimeraient la liberté des livreurs de pouvoir choisir quand et où ils souhaitent travailler, ce qui n’est pas dans l’intérêt des coursiers ». Elle ajoute qu’elle a fait une proposition donnant « aux coursiers une plus grande sécurité sur leurs revenus », mais que celle-ci a été rejetée par le Collectif  [147]. Par la suite, le conflit donne encore lieu à une distribution de tracts par une quarantaine de coursiers, accompagnés de représentants syndicaux de la CNE et de la CSC-Transcom, dans le centre de Bruxelles.

170Le 1er février 2018, les conditions d’emploi et de travail imposées par la plateforme britannique sont mises en application, ce qui signe la défaite du Collectif des coursier.e.s.

171Depuis lors, un rebondissement est intervenu en mars 2018, sous la forme d’un avis remis par la Commission administrative de règlement de la relation de travail (CRT)  [148]. Sollicitée par un coursier, soutenu par le Collectif et les syndicats, la CRT a en effet considéré, sur la base des éléments en sa possession, qu’il existe une relation de subordination entre Deliveroo et ses coursiers. En d’autres termes, au regard du droit, ceux-ci sont des salariés, et non des indépendants comme le prétend la plateforme. Deliveroo conteste cet avis de la CRT, en introduisant une action auprès du tribunal du travail. Pour la CSC, Deliveroo cherche ainsi surtout à préserver son image et à gagner du temps en spéculant sur la lenteur de la justice.

172 Par ailleurs, suite à l’échec des négociations, le ministre bruxellois de l’Économie et de l’Emploi, chargé de la Formation professionnelle, Didier Gosuin (Défi), qui avait rencontré les coursiers, a fait part dans le courant du mois de février 2018 de son intention de demander un avis au Conseil économique et social de la Région de Bruxelles-Capitale (CESRBC) à propos de la situation chez Deliveroo Belgium. Parallèlement, il a fustigé la politique du gouvernement fédéral qui, dit-il, organise la « mise en concurrence » entre les personnes avec statut et celles sans statut, et a dénoncé une « dérive totale de la notion d’économie collaborative »  [149]. Sur le plan des mesures concrètes, le ministre a annoncé plusieurs financements destinés à soutenir une économie collaborative socialement plus acceptable, dont une plateforme « visant à faire émerger de vrais projets collaboratifs »  [150]. Il a ajouté : « À Denver, des taximen ont créé leur propre plateforme où il n’y a aucun lien de subordination ».

173 Signalons encore qu’un projet de loi a été déposé en décembre 2017, visant à élargir le périmètre du régime des petites indemnités (RPI) aux bénévoles ayant déjà un statut de salarié, d’indépendant ou de pensionné et prestant certaines activités dans le domaine du « travail associatif » et des « services de citoyen à citoyen » – et donc notamment dans celui de l’économie dite collaborative – à hauteur de 500 euros par mois (soit une exemption de cotisations fiscales ou sociales allant jusqu’à 6 000 euros par an)  [151]. Le dossier a été gelé durant trois mois suite à la motion en conflit d’intérêts adoptée en janvier 2018 par l’Assemblée de la Commission communautaire française (COCOF)  [152]. Toutefois, ni cette initiative de l’Assemblée de la COCOF ni les protestations de l’opposition et des organisations syndicales et patronales (qui dénonçaient des risques de concurrence déloyale et de légalisation du travail non déclaré  [153]) n’ont pu empêcher l’adoption de cette loi par la Chambre des représentants, le 5 juillet 2018  [154].

4.3. Un échange mutuel d’expérience entre syndicats traditionnels et nouveaux acteurs

174Selon Kurt Van Daele (Institut syndical européen - ETUI), « le mouvement des livreurs de repas peut offrir aux syndicats des opportunités de constituer des expériences d’organizing à petite échelle »  [155]. Il s’agit alors de syndiquer et d’organiser des travailleurs qui sont atomisés tant au niveau géographique – la rue est leur lieu de travail – qu’aux niveaux du statut – le statut d’indépendant favorise l’isolement – et des conditions de travail – la livraison se pratique seul –, et au sein desquels il existe un important turn over (ce qui constitue une difficulté supplémentaire pour constituer des collectifs). Des syndicats belges ont ainsi adopté un rôle de soutien des activités de mobilisation menées par le Collectif des coursier.e.s, qui ouvre la voie à un échange mutuel d’expériences entre syndicats et nouveaux acteurs.

175Du côté de la CSC, deux centrales ont soutenu le collectif des coursiers : la CSC-Transcom et la CNE, toutes deux concernées par les activités de logistique et de livraison. La CNE a en outre des délégués syndicaux chez SMart, ce qui a facilité son implication. Cette centrale a d’ailleurs joué un rôle tout à fait particulier dans le déroulement du conflit entre les coursiers et leur Collectif, d’un côté, et la direction de Deliveroo, de l’autre. Sa ligne de conduite a consisté à considérer que, bien qu’il s’agisse là aussi d’une perspective à dépasser, un statut SMart payé à l’heure est de loin préférable à un statut indépendant payé à la course. Dans la logique syndicale, il est clair que « l’employeur direct devrait être Deliveroo» car « le lien de subordination dans la relation de travail est flagrant : le livreur suit des consignes précises de Deliveroo, il est contraint sur un temps donné et porte des vêtements de travail à son logo».

176La FGTB s’est impliquée plus tardivement que la CNE dans le dossier des coursiers de Deliveroo. Trois centrales professionnelles sont concernées par la livraison de repas : la Centrale de l’Alimentation-Horeca-Service (HORVAL), l’Union belge du transport (UBT) et le Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCA). S’y ajoutent en outre les Jeunes-FGTB.

177La centrale HORVAL n’a pas participé au conflit chez Deliveroo, mais a néanmoins mené, en septembre 2017, une action symbolique devant le McDonald’s de la Bourse à Bruxelles pour dénoncer la livraison des hamburgers par UberEats. Cette action s’est inscrite dans le cadre d’une mobilisation internationale appelant à un salaire minimum de 15 dollars de l’heure, notamment au sein des fast-foods. Lors de cette action, HORVAL a défendu l’engagement, par les grandes entreprises de la restauration, de leurs propres livreurs « avec un vrai salaire, de vrais droits à la sécurité sociale et des conditions de travail décentes »  [156]. Il s’est agi là d’une manière explicite de s’opposer au recours aux plateformes. Si UberEats livre pour McDonald’s, Deliveroo livre pour Quick (pour lequel elle a réduit de 2,2 à 1,5 kilomètres au maximum son rayon de livraison)  [157]. Quant à l’UBT, très active dans le dossier Uber  [158], elle estime que les coursiers sont des ouvriers du transport comme les autres. Pour elle, la seule différence entre un coursier à vélo et un chauffeur routier est le véhicule et, en conséquence, les coursiers à vélo doivent dépendre de la commission paritaire (CP) 140 Transport et Logistiqu e. Concernant son action sur le terrain, l’UBT souligne qu’elle a pris contact avec les coursiers de Deliveroo via des discussions organisées à Anvers, Bruxelles et Gand afin de recueillir « leurs expériences » et de dresser « l’inventaire de leurs problèmes ». Quant au SETCA, il estime que « les coursiers à vélo, qu’il s’agisse de Deliveroo ou d’autres entreprises, ont droit à un contrat de travail et doivent être couverts par des conventions collectives de travail. Ce sont les garanties pour une protection sociale et des conditions de travail et de rémunération de qualité »  [159].

178 L’UBT et le SETCA ont organisé une assemblée le 11 décembre 2017 à Bruxelles à destination des coursiers Deliveroo. Aucun coursier ne s’y est présenté, ce qui est sans doute révélateur de la distance existante entre les coursiers et les permanents syndicaux de la FGTB.

4.4. Conclusion

179Se situant au cœur de la « nouvelle » économie et mettant en scène de nouveaux acteurs, le conflit qui vient d’être étudié ici est évidemment riche en développements et en enseignements possibles. Quatre nous paraissent particulièrement intéressants à relever ici.

180Primo, il convient de souligner que cette conflictualité est, sous de nombreux aspects, très atypique par rapport au canevas habituel. On peut même parler d’une conflictualité d’un genre nouveau. Cette nouveauté est liée au développement de la « nouvelle économie » et aux libertés que prennent les employeurs vis-à-vis du droit social et des législations, accompagnés en cela par le gouvernement Michel (N-VA/MR/CD&V/ Open VLD), comme en témoignent les mesures récemment prises en faveur du développement de l’économie collaborative. Du côté des travailleurs, la nouveauté tient dans la création d’un collectif mais aussi dans le rôle joué par le nouveau venu dans le champ des relations professionnelles qu’est la SMart. Ce nouvel acteur a, pendant un temps, offert aux coursiers la possibilité de se salarier tout en les représentant auprès des plateformes et des syndicats dans le cadre d’une relation triangulaire complexe. Or, cette logique de marché et de « portage salarial » peut également apparaître comme risquée pour revendiquer de nouveaux droits. Il est en effet permis de se demander si la SMart ne participe pas finalement à la codification et à l’abus de nouvelles formes d’emploi avec la généralisation possible de mini-contrats tout au long de parcours professionnels. L’administrateur général de la SMart, Sandrino Graceffa, répond à cela que ce « risque reste maîtrisé sachant qu’en 2017 seuls 8 % des contrats fournis par la coopérative étaient des contrats intérimaires, et que la SMart ne souhaite pas être utilisée par des entreprises afin de contourner les conventions collectives de travail existantes »  [160]. Il n’en reste pas moins que, contrairement à un syndicat qui négocie une CCT en tant qu’acteur indépendant et représentatif, la SMart, elle, est bel et bien dans une relation proprement commerciale avec l’employeur, ce qui ne peut produire les mêmes effets.

181Secundo, ce conflit remet la notion de collectif sur le devant de la scène. Fort en vogue vers la fin des années 1960 et dans les années 1970, la formule du collectif a, par la suite, perdu de sa visibilité, du moins dans le sens d’un groupe de travailleurs se fédérant pour mener une lutte sociale. À l’époque, les collectifs se créaient souvent en opposition aux syndicats et à leur manque de combativité ou d’unité dans la lutte. Le Collectif des coursier.e.s n’est pas dans cette configuration : il ne se constitue pas par rapport aux syndicats. Par ailleurs, il est intéressant de noter que certaines centrales professionnelles ont surtout cherché à le soutenir, à l’encadrer et non à l’étouffer. On peut même parler d’alliance entre le Collectif et ces centrales professionnelles.

182Tertio, le Collectif des coursier.e.s est apparu dans un secteur particulièrement difficile, tant par rapport aux conditions effectives de travail que vis-à-vis du profil des travailleurs. Les conditions effectives de travail renvoient notamment à l’absence d’un lieu unique de travail où la tâche est réalisée. En l’occurrence, le lieu de travail des coursiers est la rue, avec parfois des lieux improvisés de rassemblement. Par rapport au profil des travailleurs, il est à souligner que le travail de coursier est très largement perçu comme un travail d’appoint et de transition, et que le taux de turn over est très élevé. Dès lors, l’insatisfaction prend plus facilement la forme du départ ou de la fuite que de l’engagement et de la revendication.

183Quarto, ce conflit fait apparaître des discours très tranchés par rapport au travail et à l’emploi. Par exemple, Deliveroo défend la liberté et la flexibilité du travail indépendant, là où les syndicats insistent sur la nécessaire reconnaissance des liens de subordination qui caractérisent le travail des coursiers pour fonder leur droit aux protections salariales liées à l’emploi. De son côté, SMart prend acte de l’émergence de nouvelles catégories de travailleurs, qui sont privés de gré ou de force du statut d’employé mais qui rejettent en même temps la précarité et la concurrence qui règnent entre les travailleurs indépendants. À court terme, son objectif est ainsi d’adapter la protection sociale actuelle à leur situation, tout en défendant, à long terme, l’horizon porté par le mouvement du « coopérativisme de plateforme ». Or, à cet égard, il est intéressant de remarquer que les lignes évoluent quelque peu. Ainsi, certains syndicalistes se disent intéressés et même désireux de pouvoir affilier ouvertement des indépendants, du moins certains d’entre eux, et cela même si le contrat de travail, pour les droits et les prestations sociales qu’il procure, reste pour eux un idéal. Un des arguments avancés est de retisser des liens, des solidarités là où le patronat mise sur la division.

5. FN Herstal : un conflit d’un autre âge ?

184Les deux mouvements de grève qui ont eu lieu durant le second semestre 2017 à la Fabrique nationale (FN) de Herstal sont remarquables pour deux raisons. D’une part, il s’agit d’un conflit industriel ayant pour enjeu la question du salaire ; or, dans un contexte marqué par le durcissement de la norme salariale, la concurrence internationale et un processus de désindustrialisation, cela est de plus en plus rare en Belgique. D’autre part, ces deux grèves ont pris cours dans une entreprise tout à fait atypique en Belgique : une entreprise multinationale dont le siège social est situé sur le territoire belge (à Herstal, en province de Liège), avec pour seul actionnaire la Région wallonne.

5.1. Un conflit industriel

185Les 28 jours de la grève menée par les affiliés des Métallurgistes Wallonie Bruxelles (MWB, syndicat affilié à la Fédération générale du travail de Belgique - FGTB) à la FN Herstal recouvrent toutes les caractéristiques d’une « grève ouvrière »  [161], soit un conflit propre à la société industrielle, de plus en plus rare en Région wallonne. Suite aux restructurations successives de la sidérurgie et à la fermeture définitive de Caterpillar, la FN Herstal est une des plus grandes entreprises du secteur secondaire en Wallonie, avec 1 389 travailleurs au 31 décembre 2016  [162]. C’est aussi un des derniers bastions du syndicalisme ouvrier en Région wallonne : entre 650 et 700 ouvriers y sont affiliés à la MWB-FGTB, pour 120 à la CSC-METEA. Parmi les employés, le syndicat socialiste est également majoritaire, avec environ 60 % des affiliés. Plus largement, la MWB-FGTB est presque majoritaire au sein des deux implantations du groupe Herstal en Belgique : la FN Herstal et Browning International. Depuis plus d’un siècle, la FN Herstal connaît par ailleurs une longue tradition de lutte sociale, dont l’événement le plus marquant est certainement le mouvement de grève des 3 000 travailleuses de l’entreprise qui a duré 12 semaines en 1966.

186 À la différence des conflits qui ont pu apparaître dans l’entreprise liégeoise au cours des trois dernières années et qui portaient tous sur les conditions de travail et d’emploi, la délégation MWB-FGTB fait porter les deux mouvements de grève de 2017 sur la question du salaire : elle avance une revendication salariale offensive visant à dépasser la marge salariale interprofessionnelle. En outre, si le conflit industriel est souvent caractérisé par l’omniprésence du mouvement ouvrier et de ses organisations – qui jouent le rôle d’« appareils intégrateurs » du mécontentement social, répercutant celui-ci au travers de modes de protestation relativement codifiés dont la grève et la manifestation sont les archétypes  [163] –, le conflit à la FN Herstal prend, lui, une allure particulière. Il est en effet porté par la seule centrale des métallos de la FGTB – sans le soutien de la CSC-METEA, de la Centrale nationale des employés (CNE, affiliée à la CSC) ou du Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCA, affilié à la FGTB) –, avec une délégation syndicale qui prend appui sur des assemblées pour construire collectivement les revendications et pour décider des actions à mener.

5.2. Une multinationale wallonne

187 Outre la dimension ouvrière de ce conflit, la revendication salariale offensive développée par la MWB-FGTB et la grève en deux temps de 2017 ne peuvent être comprises sans relever la spécificité du groupe Herstal et de sa filiale FN Herstal dans le monde des entreprises en Belgique : une entreprise multinationale active sur un marché concurrentiel dont le propriétaire est un pouvoir public.

188 Créée en 1889, la Fabrique nationale (FN) appartient à l’époque à la firme allemande Mauser Waffenfabrik. Après la Première Guerre mondiale, la FN passe sous pavillon belge en intégrant le portefeuille de la Société générale. L’entreprise diversifie progressivement ses activités (secteur automobile, aéronautique). Dans les années 1970, la FN s’internationalise avec différentes acquisitions et est rebaptisée en 1978 « groupe FN ». À la fin des années 1980, le groupe connaît des difficultés financières et cède son activité aéronautique, qui deviendra Techspace Aero, à la française Société nationale d’étude et de construction de moteurs d’aviation (SNECMA). En 1990, la Société générale vend le groupe FN à Giat Industries  [164], une entreprise à capitaux publics français. Le groupe FN est rebaptisé Herstal SA ou « groupe Herstal » et comprend la FN Herstal (pôle défense et sécurité) et Browning International (pôle civil, chasse et tir sportif), installée sur le zoning des Hauts-Sarts à Herstal. La Région wallonne a alors une part minoritaire du groupe (8 %), mais dispose néanmoins d’un droit de veto sur les décisions stratégiques.

189Ce droit de veto est utilisé par le gouvernement wallon lorsque Giat Industries cherche à céder le groupe Herstal à sa concurrente, l’états-unienne Colt’s Manufactury Company (CMC). Le 15 décembre 1997, la CMC propose un plan de rachat qui s’accompagne d’une restructuration d’ampleur, prévoyant la suppression de 620 emplois sur les 1 400 que compte alors l’entreprise liégeoise et le renoncement du gouvernement wallon à son droit de veto. Pour éviter ce licenciement collectif, la Région wallonne acquiert 100 % de l’entreprise par l’intermédiaire de son bras financier, la Société régionale d’investissement de Wallonie (SRIW). L’opération est alors présentée par le gouvernement wallon Collignon II (PS/PSC) comme un portage public : une opération qui consiste pour un actionnaire public à se substituer de manière transitoire à un actionnaire privé, le temps de trouver un repreneur. Toutefois, ce qui devait n’être que temporaire s’est progressivement inscrit dans la durée puisqu’en 2018, et malgré certaines rumeurs de privatisation  [165], la Région wallonne reste le seul actionnaire du groupe Herstal  [166]. Aujourd’hui, celui-ci emploie près de 3 000 personnes, dont la moitié en Belgique. Il possède des filiales aux États-Unis, en Finlande, au Royaume-Uni et à Singapour  [167].

190Depuis 1997, l’actionnaire de Herstal SA, maison mère de la FN Herstal, est donc la Région wallonne. Or, jusqu’en juillet 2017, le PS est toujours le parti le plus important des coalitions gouvernementales de la Région. En outre, de juin 2004 à juillet 2017, c’est Jean-Claude Marcourt, issu des rangs du PS liégeois, qui exerce la tutelle sur le groupe, dans le cadre de ses compétences de ministre régional en charge de l’Économie et de l’Emploi. Cette proximité tant politique  [168] que géographique entre l’actionnaire du groupe et le syndicat majoritaire, la MWB-FGTB, a un impact important sur la gestion de la conflictualité sociale au sein de la FN Herstal à cette époque. Dans la préface d’un ouvrage consacré à l’entreprise d’armement et paru en 2007  [169], J.-C. Marcourt décrit la FN Herstal comme un « laboratoire social ». Pendant deux décennies, le gouvernement wallon agit comme « facilitateur » entre le syndicat socialiste et la direction. Dans ce contexte, la plupart du temps, la grève est utilisée par le syndicat pour impliquer l’actionnaire dans le jeu de la concertation sociale. Les grèves, si elles peuvent sembler nombreuses, sont le plus souvent de courte durée.

191 La décision prise, le 19 juin 2017, par le président du CDH, Benoît Lutgen, de dénoncer l’accord de majorité avec le PS en Wallonie et celle, quelques semaines plus tard, de former un nouveau gouvernement wallon avec le MR, constituent évidemment une rupture dans ce mode de régulation des relations professionnelles à la FN Herstal. Avec la nomination du libéral Pierre-Yves Jeholet au poste de ministre de l’Économie, de l’Industrie, de la Recherche, de l’Innovation, du Numérique, de l’Emploi et de la Formation au sein du gouvernement Borsus (MR/CDH, installé le 28 juillet 2017), la stratégie de l’actionnaire public évolue – et ce même si certains membres du conseil d’administration du groupe Herstal sont toujours issus du pilier socialiste ou proches des syndicats  [170]. De facilitateur de la concertation sociale, le gouvernement wallon adopte une approche plus unilatérale en soutenant les choix stratégiques de la direction de l’entreprise.

192Intervient aussi, il convient de le souligner, la relation conflictuelle qu’entretiennent le MR et les syndicats de la FN Herstal, en particulier la MWB-FGTB, sur la question de la potentielle future privatisation du groupe Herstal et sur le dossier des ventes d’armes à l’Arabie saoudite (pays qui est le principal client en valeur de l’entreprise). Le député wallon Nicolas Tzanetatos (MR), président de la sous-commission Armes du Parlement wallon, s’est exprimé à plusieurs reprises dans la presse en faveur d’une privatisation du groupe et contre les exportations d’armes vers l’Arabie saoudite  [171]. Si dès sa prise de fonction, le ministre P.-Y. Jeholet se montre rassurant sur ces deux dossiers  [172], la négociation salariale qui vise à traduire l’accord interprofessionnel (AIP) du 11 janvier 2017  [173] au niveau de l’entreprise va s’avérer hautement conflictuelle.

5.3. Une grève en deux temps

193Entre janvier et septembre 2017, plusieurs réunions informelles se tiennent entre les syndicats et la direction. La CSC-METEA souhaite que la marge salariale soit consacrée à une augmentation des chèques-repas pour les ouvriers. En effet, le montant du chèque-repas est de 2,10 euros pour les ouvriers, alors que les employés reçoivent des chèques de 8 euros. Pour leur part, la CNE et le SETCA veulent augmenter le salaire brut des travailleurs de 1,1 % (soit le maximum autorisé par l’AIP). De leur côté, les affiliés de la MWB-FGTB mandatent leur délégation pour que celle-ci négocie, en plus d’une revalorisation des chèques-repas, une augmentation salariale brute supérieure à la marge salariale de 1,1 %. Selon la délégation MWB-FGTB, les accords d’entreprise à la FN Herstal dépassent la plupart du temps la marge salariale. Il s’agit d’une « coutume » rendue possible par un rapport de forces favorable au syndicat socialiste et par les liens qui unissent ce même syndicat et le PS. Pour ce faire, entre les mois de janvier et de septembre 2017, la MWB-FGTB tente de conditionner les demandes de flexibilité de la direction à l’acceptation de ses revendications salariales.

194En effet, en parallèle de l’accord social d’entreprise, les interlocuteurs sociaux négocient une nouvelle organisation du travail appelée « plan de transformation ». La direction propose quatre changements qui, selon elle, doivent permettre à l’entreprise d’améliorer sa compétitivité. Primo, elle veut permettre, par une convention collective de travail (CCT), le travail durant le week-end à la FN Herstal. Les syndicats ne s’y opposent pas frontalement. Néanmoins, la MWB-FGTB pose certaines conditions : un sursalaire lors des prestations de week-end et certains aspects touchant au bien-être des travailleurs comme l’ouverture du restaurant d’entreprise le samedi et le dimanche. Secundo, la direction veut constituer un « pool » de réserve : il s’agit d’un groupe de 6 à 7 travailleurs polyvalents par atelier, qui pourraient remplacer les travailleurs absents, peu importe la tâche à réaliser. Dès le départ, la MWB-FGTB s’oppose à l’introduction de ce type de polyvalence entre les métiers. Tertio, la direction veut que soit édictée une réglementation plus stricte des horaires et des pauses dans l’entreprise. La MWB-FGTB accepte le principe, mais pose comme condition préalable que ces mesures concernant les horaires de travail soient d’abord appliquées aux cadres et aux employés. Quarto et enfin, la direction demande une meilleure répartition des congés annuels afin que l’usine ne soit pas paralysée pendant les mois de juillet et d’août.

195Les stratégies diffèrent entre la MWB-FGTB et les trois autres centrales. Le 27 septembre 2017, direction et syndicats se retrouvent pour une nouvelle réunion de négociation dans les locaux de la fédération des entreprises de l’industrie technologique, Agoria. Alors que, selon la MWB-FGTB, la direction se montrait plutôt conciliante jusqu’alors, celle-ci signale aux syndicats qu’elle ne dérogera pas à l’AIP et n’augmentera pas la masse salariale au-delà de 1,1 %. En outre, si elle était au départ ouverte à l’idée d’une revalorisation des chèques-repas des ouvriers dans le cadre du rapprochement des statuts, elle ferme désormais également cette possibilité, arguant que le délai pour la négociation d’un accord d’entreprise en parallèle de l’AIP est dépassé  [174]. En effet, la CCT du 15 mai 2017 pour la commission paritaire 111.1&2 (Construction métallique, mécanique et électrique) stipule que la concertation sociale en entreprise portant sur l’affectation de la marge salariale interprofessionnelle doit déboucher au plus tard au 30 juin 2017 sur une CCT d’entreprise. Ces délais peuvent être prolongés par les interlocuteurs sociaux jusqu’au 30 septembre 2017 mais, si aucun accord n’est trouvé entre les parties à cette date, la marge salariale (1,1 %) est automatiquement versée en salaire brut  [175]. Or, si le récent renforcement de la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité  [176] permet difficilement de déroger à la norme salariale, la MWB-FGTB avait proposé à la direction de revaloriser les chèques-repas des ouvriers en plus de la marge salariale afin de permettre une augmentation salariale supérieure à l’AIP, en accélérant la négociation sur le rapprochement des statuts.

196 Sans attendre la fin de la réunion, la délégation de la MWB-FGTB annonce dès lors son intention de partir en grève. Elle cesse également toute négociation sur le plan de transformation. Le 28 septembre, les affiliés de la centrale des métallos de la FGTB, réunis en assemblée, décident de débrayer à partir du lendemain. Leur délégation demande une réouverture des négociations salariales à la direction pour mettre fin au conflit. Comme par le passé, la délégation de la MWB-FGTB utilise la grève pour faire entrer l’actionnaire, la Région wallonne, dans le jeu de la concertation sociale. C’est sans compter, d’une part, sur le durcissement de la loi du 26 juillet 1996 (qui prévoit des pénalités financières pour les entreprises qui ne respectent pas la marge salariale interprofessionnelle) et, d’autre part, sur le changement de coalition au gouvernement wallon.

197 Du 29 septembre au 11 octobre 2017, la grève est bien suivie par les quelque 650 affiliés de la MWB-FGTB. Des piquets interdisent l’entrée des travailleurs du groupe Herstal sur les sites de la FN Herstal et de Browning International  [177]. Le 4 octobre, la direction fait constater par huissier le blocage de l’entreprise et de certains conteneurs prêts à l’expédition  [178]. Le 5 octobre, le ministre P.-Y. Jeholet fustige la FGTB dans la presse et place le débat sur le terrain du « droit au travail » pour les non-grévistes : « Je n’accepte pas qu’on impose un blocage à ceux qui veulent travailler. Je prends acte que c’est un seul syndicat, en l’occurrence la FGTB, qui a déclenché le mouvement »  [179].

198 Les autres syndicats ne suivent pas le mouvement. Pour la secrétaire régionale de la CSC-METEA Liège-Huy-Waremme, la grève a été décidée de manière unilatérale par la MWB-FGTB. Elle souhaite la reprise rapide des négociations pour aboutir à un accord social  [180]. Pour sa part, la direction sort renforcée par les décisions prises par un conseil d’administration du groupe Herstal tenu le 4 octobre : « Le conseil d’administration approuve totalement la position de la direction visant à accorder l’intégralité de la marge salariale de 1,1 % prévue dans l’accord interprofessionnel [aux salariés]. Le conseil d’administration refuse de dépasser le plafond de 1,1 %, exigence de la FGTB, qui exposerait par ailleurs l’entreprise à des sanctions financières »  [181].

199 Devant une situation conflictuelle qui s’enlise, la direction de la FN Herstal décide de contourner les organisations syndicales et la désinformation qui selon elle caractérise les assemblées syndicales, en écrivant un courrier aux quelque 1 400 salariés de la FN Herstal. Dans ce courrier, la direction rappelle qu’elle est décidée à accorder une augmentation salariale de 1,1 % à l’ensemble du personnel ouvrier, comme cela a déjà été le cas pour les employés, mais qu’elle ne pourra aller au-delà sous peine de sanctions financières. Elle en appelle également à la responsabilité des salariés, en soulignant que la grève est dommageable pour l’image de marque et pour la santé financière de l’entreprise. Enfin, la direction informe les travailleurs de sa volonté de changer l’organisation du travail en permettant, par exemple, le travail du week-end  [182].

200 Après 12 jours de grève, et sans avoir obtenu la réouverture des négociations salariales, la MWB-FGTB se voit contrainte de reprendre le travail. Pour le syndicat, il s’agit d’éviter l’essoufflement des militants devant un conflit qui semble appelé à durer plus longtemps que prévu à l’origine. En outre, il est confronté à une situation inédite pour lui : celle d’une rupture du contact entre direction et syndicats (ce qui ne s’était pas produit même lors du long conflit de 2009  [183]). Cette fois en effet, contrairement à qu’il faisait depuis une quinzaine d’années, l’actionnaire n’est pas intervenu pour mettre de l’huile dans les rouages de la concertation sociale. Le changement advenu à la tête de la Région wallonne durant l’été se fait donc ressentir.

201 Le syndicat annonce néanmoins que le travail se fera au ralenti. La direction condamne directement cette pratique dans la presse : « Cette position est extrêmement préjudiciable au regard des enjeux et de l’avenir du groupe »  [184]. Elle décide également d’appliquer le règlement de travail au pied de la lettre. Ainsi, elle licencie quatre ouvriers qui étaient sortis de l’usine pendant leur temps de travail. Cette sanction est vécue comme un affront par la délégation MWB-FGTB. Deux jours auparavant, un membre de la direction avait en effet accepté, en accord avec la délégation syndicale, de commuer le licenciement en une mise à pied disciplinaire.

202 Devant l’intransigeance de la direction, les affiliés de la MWB-FGTB décident de repartir en grève à partir du 19 octobre. Cette seconde grève vise toujours à forcer la direction à rouvrir la négociation salariale, tout en protégeant les autres travailleurs d’un éventuel licenciement.

203 Ce second mouvement suscite l’incompréhension des médias. Pour l’éditorialiste du journal L’Écho, il s’agit d’une « grève d’arrière-garde ». Aux yeux du journaliste, les raisons invoquées dans le préavis de grève déposé le 18 octobre sont très vagues. La délégation ouvrière y invoque l’absence de dialogue social, la mauvaise gestion industrielle du groupe et « la volonté de la direction de ne pas trouver de solution »  [185]. En outre, la MWB-FGTB exige la réintégration des quatre travailleurs licenciés. Pour leur part, la CNE et la CSC-METEA se désolidarisent complètement de ce second mouvement et condamnent des revendications trop floues  [186]. La reprise de la grève par la délégation métallos ne semble même pas soutenue dans leur organisation syndicale.

204 Le 23 octobre, le président de la MWB-FGTB Liège-Huy-Waremme s’inquiète d’un « blocage de l’entreprise qui nous amène vers des complications. Une entreprise qui ne tourne pas va au-devant de difficultés »  [187]. Il reviendra cependant sur ses déclarations le 27 octobre, en dénonçant l’attitude de la direction qui s’est, selon lui, soumise à une décision politique  [188]. Ces différentes sorties montrent la difficulté pour la délégation MWB-FGTB de la FN Herstal de populariser la grève. Même au sein de la FGTB, cette action est parfois mal comprise.

205 Parmi les ouvriers de la FN Herstal affiliés à la MWB-FGTB, par contre, le soutien à la grève ne fléchit pas. Réunis en assemblée le 26 octobre, ils décident à près de 90 % des voix de poursuivre le mouvement entamé le 19 octobre  [189]. Le même jour, les cadres et certains employés de Browning International manifestent pour leur « droit au travail » devant l’usine des Hauts-Sarts  [190]. La délégation MWB-FGTB dénonce une action « téléguidée » par la direction. Selon le président de la délégation CSC-METEA, certains affiliés de la CSC voudraient même forcer les piquets  [191]. La tension entre les différents acteurs monte encore lorsque le journal La Libre Belgique dénonce des pressions morales ou même parfois physiques exercées par la FGTB à l’encontre des travailleurs non grévistes au sein de l’entreprise. La délégation MWB-FGTB et le secrétaire MWB-FGTB de la régionale d’Herstal sont directement visés  [192]. L’enquête du quotidien prend appui sur un rapport commandé en 2016 par J.-C. Marcourt, alors ministre wallon de l’Économie, à l’Office wallon de la formation professionnelle et de l’emploi (FOREM). Cette étude indique que les organisations syndicales surréagissent lorsqu’une décision de la direction ne leur est pas favorable. Elle se montre également critique avec les méthodes de management ou de communication de la direction, qui engendre un état de tension permanent au sein de l’entreprise  [193].

206 Devant le blocage complet de la concertation sociale au sein de l’entreprise et des tensions de plus en plus vives entre les organisations syndicales et au sein du collectif de travail, la MWB-FGTB décide d’organiser à Namur, devant le siège du gouvernement wallon.

5.4. Négociation à l’Élysette

207Le 30 octobre, 300 ouvriers de la FN Herstal affiliés à la MWB-FGTB manifestent devant l’Élysette. En parallèle à cette manifestation, une délégation de la MWB-FGTB est reçue par le ministre-président wallon, Willy Borsus (MR), et par le ministre P.-Y. Jeholet. À la fin de la réunion, le gouvernement wallon invite par communiqué de presse « la direction et la délégation syndicale [MWB-FGTB] à reprendre la concertation, tant sur le rapprochement des statuts que sur le plan de transformation industrielle (notamment la flexibilité de l’organisation du travail), en vue d’une conclusion pour la fin de cette année  [194] ». Il semble à ce moment que le gouvernement wallon ait repris son rôle de facilitateur en permettant, d’un côté, à la délégation syndicale d’engranger un succès au travers de la revalorisation des chèques-repas par le rapprochement des statuts dès 2018 et, de l’autre côté, à la direction d’avancer sur les mesures de flexibilité. La MWB-FGTB s’engage pour sa part à reprendre le travail dès que le « contact sera renoué avec la direction », ce qui a lieu le lendemain. Le syndicat décide dès lors la reprise du travail à partir du 2 novembre  [195].

208 Pourtant, lors des premières réunions entre la direction et la MWB-FGTB, la tension refait surface. Le syndicat socialiste veut dégager un accord sur le rapprochement des statuts ouvrier et employé dès 2017, et donc faire bénéficier les ouvriers d’une augmentation des chèques-repas dès janvier 2018. Pour la direction, rien ne presse : si elle se dit ouverte à une discussion sur le rapprochement des statuts, elle ne voit pas d’application avant 2019 ou 2020  [196]. La délégation syndicale décide à nouveau de saisir le ministre Jeholet. Le 1er février 2018, dans une lettre adressée à la délégation MWB-FGTB, P.-Y. Jeholet lui signifie que le cadre de l’AIP doit être strictement respecté. En ce qui concerne le rapprochement des statuts, le ministre soutient la direction de l’entreprise en arguant que « le rapprochement des statuts consiste à faire converger les conditions de travail et les rémunérations des deux statuts. Il ne s’agit pas de prendre le meilleur de chaque statut pour l’appliquer à l’autre ». En outre, dans le même courrier, le ministre précise que les discussions sur un rapprochement des statuts doivent être axées sur « des mesures qui puissent être mises en œuvre dans le cadre fixé par l’AIP et l’accord sectoriel 2019-2020 ». Par cette lettre, le gouvernement wallon se range clairement du côté de la direction et signifie à la MWB-FGTB que ses revendications salariales ne pourront aboutir dans le cadre de l’AIP 2017-2018.

209 En juin 2018, la grève n’a certes pas repris dans l’intervalle, mais le conflit n’en reste cependant pas moins ouvert, et ce en dépit d’une dizaine de réunions entre la direction et la délégation de la MWB-FGTB. La nouvelle organisation du travail voulue par la direction n’est pas mise en œuvre. Le rapprochement des statuts, et plus particulièrement la revalorisation des chèques-repas des ouvriers, attendu par la MWB-FGTB n’est quant à lui toujours pas au cœur des négociations d’entreprise.

5.5. Conclusion

210Le remplacement du gouvernement Magnette (PS/CDH) par le gouvernement Borsus (MR/CDH) à la tête de la Région wallonne en juillet 2018 a eu des répercussions au-delà du jeu politique  [197]. À la FN Herstal, depuis une quinzaine d’années, l’actionnaire public jouait un rôle de facilitateur entre la direction et les syndicats. Dans les négociations salariales, le dépassement de la marge interprofessionnelle était même devenu une « coutume ». La nomination de Pierre-Yves Jeholet (MR) au poste de ministre wallon de l’Économie a, sans conteste, modifié la position de l’actionnaire public dans le jeu de la concertation sociale. Même si ce ministre s’est montré plus consensuel que son parti sur les questions relatives à la privatisation future de la FN Herstal ou aux licences d’exportation d’armes vers les pays du Golfe, il a clairement adopté une position de soutien à la direction et au conseil d’administration lors des négociations salariales.

211Il ne faudrait néanmoins pas en conclure que seul le changement de coalition gouvernementale en Région wallonne est responsable de la non-résolution de ce conflit social. Les organisations syndicales conservent en effet des soutiens dans le conseil d’administration de l’entreprise. Cependant, ceux-ci se sont montrés inopérants dans un contexte social qui a vu, avec l’assentiment des organisations syndicales, le durcissement de la loi du 26 juillet 1996 relative à la norme salariale interprofessionnelle. En Belgique, comme ailleurs en Europe, le salaire est de moins en moins un « droit négocié »  [198] et de plus en plus une norme obligatoire.

212À ce titre, le conflit à la FN Herstal dénote des tensions internes à la FGTB. La centrale wallonne des Métallos (MWB-FGTB) avait voté contre l’AIP 2017-2018. Elle n’a ensuite pas accepté cet accord et a voulu, en faisant fi du contexte de durcissement de la loi du 26 juillet 1996, mettre à profit les derniers bastions ouvriers pour construire un rapport de force favorable au niveau de l’entreprise. L’échec relatif de cette stratégie à la FN Herstal et l’isolement de la délégation MWB-FGTB dans ce conflit semblent montrer que la grève ouvrière, caractérisée par des revendications offensives sur le partage capital-travail et fondée sur un collectif de travail homogène structuré autour d’une délégation syndicale, est de plus en plus disqualifiée en Belgique. Pas seulement par le pouvoir politique ou par le patronat, mais également par la plupart des organisations syndicales, qui ont progressivement intégré le dogme de la compétitivité. Un dogme qui empêche de facto de positionner et de soutenir des revendications offensives sur le salaire. Sur le plan syndical, ce conflit doit également être analysé à la lumière des clivages qui traversent la MWB-FGTB. À ce titre, l’isolement de la régionale de Herstal de la MWB-FGTB a sans doute privé les métallos de la FN Herstal du renfort de la solidarité interprofessionnelle.

213 Enfin, la délégation syndicale de la FN Herstal s’est trouvée prise en otage de plusieurs jeux politiques et syndicaux qui dépassent pour certains le périmètre de l’usine liégeoise. Sur le plan politique, l’enlisement du conflit a semblé convenir aux deux principaux partis wallons pour des raisons différentes. Le MR a pu donner une image intransigeante qui tranche, selon lui, avec la précédente majorité. Le PS a pu montrer à la FGTB liégeoise que, sans son relais politique traditionnel, l’action du syndicat avait moins d’impact. Pour leur part, les autres partis de gauche, PTB et Écolo, se sont plutôt abstenus d’entrer dans un débat qui concerne le secteur de l’armement.

6. Grève avec occupation d’usine chez Truck Technic

214 Entre le 5 décembre 2016 et le 1er février 2017, soit pendant un total de 58 jours, une quarantaine de salariés de l’entreprise Truck Technic, la filiale belge du groupe états-unien Meritor, débraient et occupent leur usine. Ils contestent ainsi la décision de la multinationale de délocaliser leur entreprise vers la République tchèque, ainsi que le plan social proposé par la direction de la branche européenne du groupe dans le cadre de la procédure Renault.

215 Cette action est remarquable non seulement par sa durée, mais également par les pratiques de lutte mises en œuvre dans la petite filiale d’une entreprise multinationale.

6.1. L’intégration de Truck Technic dans le groupe états-unien Meritor

216Truck Technic, localisée dans le parc d’activités économiques des Hauts-Sarts à Herstal, sur les hauteurs de Liège, est une entreprise spécialisée dans le reconditionnement des systèmes de freinage pneumatique pour les camions.

217Créée en 1982 par Steve Johnson, un entrepreneur gallois, l’entreprise Truck Technic débute par une activité de remise à neuf d’une gamme limitée de soupapes distribuées sur le marché belge. Elle diversifie progressivement ses activités pour devenir un des leaders européens dans le reconditionnement des étriers et dans la distribution de pièces de rechange pour les systèmes de freinage. En 2008, l’usine est vendue au groupe états-unien Meritor. Dorénavant, c’est Meritor Aftermarket Europe (branche européenne du groupe) qui fournit des pièces sous les marques Meritor et Truck Technic. Son siège social se trouve en Suisse, ses bureaux de service après-vente au Royaume-Uni et ses ateliers d’usinage en République tchèque et en Belgique (Truck Technic à Herstal). Benjamin Johnson, le fils du fondateur de Truck Technic, est néanmoins maintenu à la direction de la filiale liégeoise jusqu’en 2011, année où il choisit de quitter l’usine pour fonder l’entreprise Belgium Truck Technology (BTT)  [199], spécialisée dans le reconditionnement des étriers de frein. Il embauche alors deux ouvriers qualifiés de Truck Technic pour lancer son nouveau projet  [200].

218Fondé en 1909 à Detroit, le groupe Meritor, anciennement connu sous le nom d’ArvinMeritor, est quant à lui spécialisé dans la production et la réparation d’essieux, de trains d’atterrissage, de chaînes cinématiques et de systèmes de freinage pour les camions, les bus ou certains véhicules militaires. À la fin de l’année 2015, le groupe compte 8 400 employés. Très présent hors des frontières des États-Unis, pays où il réalise plus de la moitié de son chiffre d’affaires  [201], il est principalement détenu par des fonds financiers anglo-saxons  [202].

219L’acquisition de Truck Technic permet à Meritor d’étendre ses activités sur les marchés européens et de diversifier sa gamme de produits  [203]. Cependant, l’incorporation dans le groupe états-unien change la fonction de l’usine liégeoise sur le marché européen du reconditionnement. Jusqu’en 2008, l’entreprise herstalienne entretenait un contact direct avec une clientèle très diversifiée. À partir du moment où elle devient une filiale de la branche européenne de Meritor, elle répond essentiellement à des commandes internes au groupe. Elle perd dès lors le contrôle de son carnet de commandes et devient une usine à façon pour la multinationale qui la contrôle.

220Le changement de propriétaire a aussi des répercussions sur les relations socio-professionnelles au sein de l’usine. Avant 2008, Truck Technic employait moins d’une cinquantaine de salariés. Après le rachat par Meritor, le nombre de salariés double, atteignant une centaine de travailleurs lors de certains pics de production. Mais il s’agit essentiellement d’une main-d’œuvre précaire, engagée sous un contrat à durée déterminée (CDD) ou dans un statut intérimaire. En 2011, le montage des pièces est délocalisé vers la République tchèque. À cette occasion, la restructuration prend essentiellement la forme d’un non-renouvellement des contrats intérimaires. Cette première restructuration, qui préfigure celle de 2016-2017, ne fait pas l’objet d’une mobilisation des travailleurs. Par contre, associée à l’usage important des contrats intérimaires par la direction, cette opération de délocalisation partielle incite les salariés de Truck Technic à s’organiser.

221Progressivement, une délégation syndicale des Métallurgistes Wallonie-Bruxelles (MWB, syndicat affilié à la Fédération générale du travail de Belgique - FGTB) s’implante dans l’entreprise. En mai 2012, Truck Technic connaît ses premières élections sociales  [204] et un comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) est mis en place dans l’entreprise. La délégation syndicale parvient à réduire l’usage des contrats intérimaires. Elle exige également que l’engagement à durée indéterminée après deux CDD successifs devienne la norme. L’installation de la délégation syndicale ne se fait pas sans heurts. Ainsi, au début du mois d’octobre 2012, un délégué de l’entreprise est licencié sans préavis pour sabotage. La direction reproche à ce syndicaliste d’avoir encouragé certains collègues, stressés par l’augmentation des cadences, à ralentir le rythme de production  [205]. Devant ce licenciement qu’ils jugent abusif, les travailleurs partent en grève. Ils obtiennent la réintégration de leur collègue syndicaliste devant le tribunal du travail.

222 Entre-temps, l’entreprise procède à des innovations dans l’organisation de la production, qui transforment progressivement les méthodes de travail. La direction introduit notamment le « one-piece-flow ». Issue des prescrits toyotistes, cette méthode vise à accroître la productivité en éliminant les intermédiaires, et donc les temps morts, dans la transmission de certaines pièces d’un poste de travail à l’autre. À cette fin, la ligne de production, jusqu’alors distribuée sur les deux étages du bâtiment, est regroupée au rez-de-chaussée. Outre une remise en question de la manière de travailler dans l’usine, le one-piece-flow implique la suppression de certains emplois devenus surnuméraires et l’intensification du travail sur les postes préservés. Pour adapter le nombre de travailleurs à cette nouvelle organisation du travail, la direction de l’entreprise procède à peu de licenciements. En revanche, elle a recours au chômage économique pour ajuster ses besoins de main-d’œuvre, au point que, selon la délégation syndicale, elle en fait un « chômage structurel ». D’autres méthodes propres aux principes du « juste à temps » sont également introduites. Elles doivent permettre de limiter les stocks et les commandes de pièces.

223 En 2014, la délégation syndicale demande des assurances quant aux commandes futures. N’obtenant pas ces garanties, elle dépose un préavis de grève afin d’obliger l’entreprise à trouver une solution au chômage économique. La direction européenne accepte de négocier un surcoût au chômage économique. Désormais, plus les travailleurs chômeront, plus la part payée par l’entreprise augmentera. Cette convention a pour conséquence de limiter de manière significative la pratique incriminée. La soixantaine d’emplois que compte l’usine semble stabilisée.

224 Toutefois, la nomination d’un nouveau directeur en 2015 réinstalle un climat d’incertitude chez Truck Technic. La direction européenne du groupe désigne en effet à la tête de l’entreprise un magasinier du site, dépourvu de toute expérience en gestion des ressources humaines. Cette décision suscite de nombreuses interrogations chez les travailleurs quant aux compétences du nouveau directeur et quant aux intentions du groupe Meritor.

6.2. La procédure Renault : attente et incertitude

225Le 30 juin 2016, la direction locale de la multinationale annonce « l’intention » de la firme de fermer le site liégeois. Au départ, la délégation syndicale de Truck Technic peine à saisir la signification exacte de cette communication. Après une réunion avec le secrétaire régional de la MWB et des contacts informels avec l’Office wallon de la formation professionnelle et de l’emploi (FOREM), elle est en mesure d’expliquer aux travailleurs ce que signifie cette « intention », à savoir la fermeture pure et simple de leur entreprise et le début de la procédure Renault. Dans sa notification au FOREM  [206], la direction européenne invoque pour raison la délocalisation des activités de la filiale belge vers une usine en République tchèque dans un objectif de baisse des coûts de production. La fermeture de l’usine est prévue pour le début de l’année 2017.

226La date de l’annonce, juste avant les vacances d’été, fait peut-être partie de la stratégie de la direction locale, qui veut en finir rapidement avec ce dossier. La délégation syndicale refuse de débuter la première phase de la procédure Renault alors qu’une partie du personnel est en vacances. Après discussions, la première réunion est fixée au 2 août 2016.

227 Le jour de l’annonce, les ouvriers arrêtent la production. Comme très souvent dans pareils cas, la délégation syndicale parvient à les persuader de reprendre le travail et de « jouer le jeu » de la première phase de la procédure Renault. En effet, cette étape d’information n’est pas limitée dans le temps  [207]. Les organisations syndicales encouragent donc les travailleurs à continuer à percevoir leur salaire durant cette période. La reprise du travail s’accompagne cependant d’un ralentissement de la production. Cette stratégie syndicale de maintien des travailleurs à l’emploi doublé d’un ralentissement volontaire des cadences est régulièrement observée ces dernières années dans le cadre de fermetures d’entreprise. La direction locale, quant à elle, est chargée par le groupe de maintenir un niveau de production permettant de constituer un stock afin d’assurer la continuité des livraisons entre le moment de la fermeture en Belgique et celui où l’usine tchèque fonctionnera à plein rendement.

228 La première rencontre entre la délégation syndicale MWB et la direction locale se tient finalement le 3 août 2016. Le directeur liégeois signale aux représentants syndicaux qu’il attend des informations supplémentaires en provenance de Suisse. Il est dès lors incapable de répondre à une série de questions formulées par les délégués, portant notamment sur la situation financière du groupe Meritor et de sa branche européenne. La réunion prend fin sans que les représentants syndicaux aient obtenu des réponses claires et un calendrier précis de la concertation sociale. Réunis en assemblée, les travailleurs décident de faire appel à la presse pour dénoncer l’état « chaotique » de la procédure Renault dans l’usine  [208].

229Entre le 30 juin 2016, jour de l’annonce, et le début de la grève, le 5 décembre suivant, plus de cinq mois s’écoulent. Comme souvent durant la première phase de la procédure Renault, les représentants syndicaux essaient de gagner du temps en posant des questions sur les causes de la fermeture. La délégation syndicale tempère les velléités d’action des travailleurs. Au sein des ouvriers, l’option d’une grève ne fait d’ailleurs pas l’unanimité. En novembre encore, seule une minorité d’entre eux est en faveur de la grève.

230Le climat est néanmoins de plus en plus tendu au sein de l’usine. Comme à l’accoutumée, les interlocuteurs sociaux n’attendent pas la clôture de la première phase de la procédure Renault pour débuter les négociations concernant le plan social. Dans le courant du mois de septembre 2016, une première proposition de plan social est transmise par la direction locale au syndicat. La multinationale propose une prime extra-légale équivalant à 15 % de la prime légale. Elle exige que la reconversion des travailleurs soit assurée par des entreprises privées. Parmi les salariés, dont la plupart ont une carrière courte chez Truck Technic, cette première proposition financière, qui représente quelques centaines d’euros par personne, est reçue comme une provocation. Réunis en assemblée par les délégués MWB, les ouvriers décident de la refuser et de formuler une contre-proposition. À l’inverse, les employés de l’usine – qui sont au nombre de neuf –, s’ils participent à la première assemblée, préféreront par la suite, pour la plupart d’entre eux, négocier individuellement leur départ (cf. infra).

231 La contre-proposition transmise par la délégation syndicale à la direction européenne est évidemment d’une tout autre ampleur. À la revendication de primes extra-légales pouvant atteindre selon l’ancienneté près de 80 000 euros par salarié, les ouvriers ajoutent celle de la mise en place de cellules de reconversion publiques. Ils exigent également de pouvoir négocier directement avec la direction européenne du groupe. En effet, ils sont convaincus que le directeur liégeois n’a aucun pouvoir de décision.

6.3. Le déclenchement des actions

232Au début du mois d’octobre 2016, une réunion de conciliation est organisée à Herstal. Un membre de la direction européenne de Meritor est présent. Il rejette la contre-proposition syndicale et, surtout, il réitère sa confiance en la direction locale. Selon lui, le directeur liégeois est le seul habilité à négocier. Bientôt, trois principaux facteurs entraînent un blocage complet de la situation. Primo, l’écart très important entre les propositions financières de la direction locale et les revendications des travailleurs. Secundo, la volonté de la direction locale de passer en force en décidant unilatéralement, début novembre 2016, de la fin de la première phase de la procédure Renault. Tertio, le manque de confiance des représentants syndicaux dans la capacité décisionnelle du directeur local.

233 Devant les demandes de plus en plus insistantes des travailleurs, le directeur liégeois quitte précipitamment l’entreprise le 8 novembre, pour y revenir le lendemain, accompagné de deux gardes Securitas devant assurer sa protection. Avant de s’enfermer dans son bureau, il explique à la délégation syndicale qu’il refuse de parler aux travailleurs, car il n’a aucun élément supplémentaire ni pour entamer une véritable négociation sur le volet social ni pour confirmer la date de fermeture.

234 Le 10 novembre, un simulacre de cimetière états-unien est érigé par les travailleurs sur la pelouse devant l’usine. Sur sa page Facebook, un ouvrier commente l’action : « Ici gisent les 54 travailleurs de la petite entreprise Truck Technic du groupe ArvinMeritor… Celle-ci fut rachetée par les Américains en 2008 et après nous avoir dérobé notre méthode de travail, ils exportent notre petite boîte qui était rentable en Tchéquie pour y gagner encore plus d’argent… »  [209] Bien que cette idée d’ériger un tel cimetière soit discutée en assemblée depuis quelque temps, c’est de manière spontanée que les travailleurs procèdent à cette action. Au lieu de réaliser leurs tâches habituelles, certains ouvriers arrêtent la production de leur propre initiative pour construire des croix. Ils sont rapidement suivis par leurs collègues.

235Sans se déclarer en grève, les travailleurs arrêtent donc concrètement la production pour mener cette action qui vise à attirer l’attention des médias  [210]. Le même jour, la MWB liégeoise demande à la fédération patronale des industries du métal, Agoria, d’intervenir afin de faciliter une conciliation entre la délégation syndicale et la direction européenne. Les métallos liégeois de la FGTB réclament davantage d’informations, ainsi que la possibilité de traiter avec un interlocuteur patronal qui soit en capacité de prendre des décisions. Enfin, ils contestent la fin de la première phase de la procédure Renault auprès de l’Office national de l’emploi (ONEM), avec l’espoir d’obtenir un délai supplémentaire pour poursuivre cette phase d’information. Ils sollicitent la direction locale afin de savoir si une dérogation serait éventuellement accordée par le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale en faveur de l’octroi du chômage avec complément d’entreprise à 55 ans  [211].

236L’impact médiatique de l’action des travailleurs et l’intervention d’Agoria semblent avoir pour effet de débloquer la situation. Une entrevue est finalement convenue avec la direction européenne du groupe dans les premiers jours de décembre pour négocier les modalités du plan social.

237Entre-temps, la délégation syndicale rencontre des experts du cabinet du ministre wallon de l’Économie et de l’Industrie du gouvernement wallon Magnette (PS/CDH), Jean-Claude Marcourt (PS), pour discuter de la possibilité d’une reprise partielle des activités de l’entreprise, à savoir celles relatives au reconditionnement de différentiels pour poids lourds  [212], ce qui concerne une dizaine d’emplois. La délégation syndicale ne cherche pas à rallier la cinquantaine de travailleurs autour d’un projet qui ne profiterait qu’à une dizaine d’entre eux. Elle se centre sur la négociation du plan social, tout en continuant les négociations sur la possibilité d’une continuité partielle de l’activité ou, plus précisément, sur la formation d’une coopérative spécialisée dans le reconditionnement de différentiels.

6.4. 58 jours de grève et d’occupation (5 décembre 2016 - 1er février 2017)

238Les négociations débutent le vendredi 2 décembre 2016. À la fin de la journée, aucun accord n’est trouvé entre les parties. Réunis en assemblée, certains ouvriers sont prêts à occuper l’usine pendant le week-end. La délégation MWB intervient pour calmer les esprits en attendant la reprise de négociations, prévue pour le lundi 5  [213]. Le syndicat espère obtenir une réponse de la direction européenne du groupe concernant une prime extra-légale réévaluée de manière significative. Or, le lundi 5 décembre, la direction européenne propose simplement d’augmenter quelque peu la prime extra-légale (de 15 % de la prime légale à 22 %). En outre, elle refuse de discuter d’un volet « prépension » (alors que quatre salariés entrent dans les conditions de la prépension) et maintient la proposition d’organiser la reconversion par le secteur de l’outplacement. Enfin, elle exige désormais la levée des mandats syndicaux et la renonciation des travailleurs à de futurs recours juridiques à l’encontre de Meritor et de Truck Technic.

239 Devant ce qu’ils considèrent être une nouvelle provocation, les travailleurs décident d’occuper l’usine à dater du jour même. Ils s’organisent rapidement en groupes de 8 à 10 ouvriers, pour assurer une présence continue dans les locaux. La direction locale est expulsée et les badges d’accès sont désactivés. En réaction, la direction liégeoise mandate l’entreprise de gardiennage qui la protège déjà pour désormais également surveiller les machines. Deux gardiens accompagneront donc les ouvriers de Truck Technic pendant l’occupation (du moins dans un premier temps, cf. infra). Enfin, les travailleurs lancent une page Facebook animée par l’un des salariés. Ce moyen de communication leur permettra de faire connaître leurs actions au jour le jour. Il deviendra en outre un outil d’information primordial pour les grévistes, afin de maintenir et de développer les solidarités interprofessionnelles qui se tissent progressivement au sein de la FGTB liégeoise.

240 Sur les 46 ouvriers que comptait l’entreprise lors de l’annonce de la fermeture, 37 s’engagent dans le mouvement. Comme déjà indiqué, la plupart des employés ont, pour leur part, entamé des négociations individuelles avec la direction  [214] ; seuls deux employés sur neuf soutiennent l’occupation. De son côté, la direction liégeoise semble vouloir éviter de transformer les ouvriers de l’usine en « victimes » d’une délocalisation transnationale. Elle ne fait donc pas appel à la justice pour arrêter l’action des travailleurs. Elle couvre également les employés en leur demandant de présenter des certificats médicaux, renforçant ainsi la division entre les employés et les ouvriers.

241 L’occupation n’est pas seulement l’expression d’un ras-le-bol généralisé des ouvriers face à l’absence de concertation sociale. C’est, avant tout, une stratégie de lutte par laquelle ils cherchent à protéger leurs outils de travail pour continuer les négociations en évitant le risque de se retrouver du jour au lendemain avec une entreprise vide ou fermée  [215]. À ce titre, les exemples récents de Meister Benelux à Sprimont  [216] et d’Engineering Steel Belgium (ESB) à Seraing  [217], également en région liégeoise, sont mis en avant par les représentants syndicaux pour justifier l’occupation de l’entreprise.

242 Grâce à cette action, l’administrateur-délégué européen du groupe Meritor accepte finalement de se déplacer à Liège pour rencontrer la délégation syndicale. Pour cette dernière, cette annonce sonne comme une victoire. C’est en effet la première fois qu’un interlocuteur habilité à prendre des décisions dans le groupe accepte de se déplacer personnellement pour négocier le plan social. Après avoir été ajournée une première fois, la rencontre se tient finalement les 19 et 20 décembre 2016, dans les locaux d’Agoria à Herstal. Les travailleurs ne procèdent à aucune forme d’action spécifique ce jour-là. Ils perçoivent la venue de l’administrateur-délégué de manière très optimiste. Le 19 décembre, ils publient ainsi sur leur page Facebook un message intitulé « La fin ? », dans lequel ils écrivent : « Un lundi en force pour ce qui pourrait être notre dernière assemblée générale en tant que résistants »  [218].

243 La rencontre ne débouche pourtant sur aucune avancée significative. Les jours suivants, la direction européenne envoie une proposition écrite aux travailleurs. Dans celle-ci, elle augmente sensiblement le montant de la prime extra-légale (jusqu’à 50 % du préavis légal), mais elle continue de conditionner cette proposition à la levée de la protection des délégués MWB et à l’interdiction pour les travailleurs de recourir à la justice contre Meritor et Truck Technic après leur licenciement. Sur les 37 travailleurs réunis en assemblée à l’usine, 36 rejettent la proposition et s’apprêtent à passer les fêtes de fin d’année à l’usine.

244 Sur leur page Facebook, les ouvriers expliquent leur rejet des propositions de la direction  [219]. Ils y exposent les six principales raisons pour lesquelles ils sont déterminés à continuer leur lutte (raisons qui correspondent en partie aux conditions qui accompagnent le plan social) : la faiblesse de la prime, la demande de levée des mandats syndicaux, le renoncement par écrit à tout recours juridique futur contre Meritor ou Truck Technic, ainsi que le refus de la direction européenne de remettre aux travailleurs leur carnet médical  [220], de mettre en place des cellules de reconversion publiques et d’accorder un chômage avec complément d’entreprise pour les quatre travailleurs qui y ont droit.

245 Si la direction européenne a jusqu’alors évité la confrontation directe avec les ouvriers, elle se fait de plus en plus menaçante. Avant de se rendre à Liège les 19 et 20 décembre, l’administrateur délégué européen a envoyé un courriel au syndicat  [221], dans lequel il rappelle que Meritor a gardé les ouvriers sous contrat malgré la baisse de productivité du mois de novembre et que le groupe n’a entrepris aucun recours contre l’occupation illégale du site. Selon l’administrateur-délégué européen, le syndicat devrait dès lors se montrer plus « compréhensif » lors de la négociation.

246 Après une nouvelle assemblée, la délégation syndicale adresse une autre contre-proposition financière à la direction européenne. Cette fois, les travailleurs exigent une prime extra-légale calculée sur la base d’un forfait fixe par année d’ancienneté avec trois paliers (montant décroissant par rapport au nombre d’années), ce qui favorise tous les salariés qui ont moins de 6 ans d’ancienneté (soit une majorité d’entre eux)  [222]. Ils rejettent point par point les autres éléments de la proposition patronale.

247 Vacances de fin d’année obligent, la situation s’enlise à nouveau et l’incertitude s’installe parmi les travailleurs qui se préparent à passer les fêtes à l’usine. Dans ce contexte, les solidarités interprofessionnelles au sein de la FGTB jouent un rôle important. Durant les mois de décembre 2016 et de janvier 2017, les grévistes reçoivent de multiples visites de soutien : de La Voix des sans papiers (VSP), du Parti des travailleurs de Belgique (PTB), du bourgmestre de Herstal (Frédéric Daerden, PS), de diverses délégations syndicales – telles que celles de Safran Aero Boosters (anciennement Techspace Aero, à Herstal), de la Fabrique nationale de Herstal (FN Herstal) et de la filiale herstalienne de Pratt & Whitney –, des Jeunes FGTB Liège-Huy-Waremme et des prépensionnés et pensionnés de la FGTB-Métal Liège-Luxembourg. Par ailleurs, l’asbl Promotion et culture de la FGTB vient assurer des animations sur le thème des luttes sociales. Les grévistes accueillent également des membres de Form’Action André Renard, qui réalisent un court métrage sur leur action  [223].

248 La direction européenne ne répond que le 2 janvier 2017, en envoyant une lettre recommandée à chaque travailleur ; elle y confirme les conditions de départ proposées lors de la dernière rencontre et passe sous silence la contre-proposition présentée par le syndicat. Les travailleurs décident alors de durcir leur stratégie. Les gardes de la compagnie privée dépêchés sur place par la direction liégeoise pour veiller sur le matériel sont expulsés de l’entreprise. De nouvelles actions sont prévues. Les ouvriers projettent de se rendre à l’ambassade des États-Unis à Bruxelles pour attirer l’attention de l’ambassadeur sur le comportement de la firme états-unienne en Belgique. Ils pensent également envoyer une délégation en Suisse, au siège européen de Meritor.

249 Le 12 janvier 2017, les travailleurs convoquent un rassemblement interprofessionnel devant Truck Technic, auquel assistent une centaine de travailleurs et délégués de la FGTB et d’autres militants de la région liégeoise. Les médias sont également présents  [224]. Le jour même, la délégation syndicale MWB informe les ouvriers que les employés, représentés par la Centrale nationale des employés (CNE, syndicat affilié à la Confédération des syndicats chrétiens de Belgique - CSC), ont signé fin décembre le préaccord proposé par la direction locale et que, selon celle-ci, ce préaccord s’appliquerait également aux ouvriers. Les travailleurs comprennent alors les motifs du silence de la direction européenne, à savoir que la direction locale négociait un accord social avec un autre syndicat. La MWB dénonce la négociation signée par la CNE devant les médias  [225].

250 Par communiqué, la secrétaire régionale de la CNE explique que les employés lui ont donné « mandat pour négocier un plan social permettant aux prépensionnés d’accéder à un régime de chômage avec complément d’ancienneté (RCC)] » et que, étant donné les modifications législatives récemment introduites quant aux conditions à remplir pour obtenir la prépension à 55 ans, il fallait signer la convention avant le 31 décembre 2016. Contrairement aux informations précédemment données par la délégation MWB, la CNE affirme que l’accord qu’elle a négocié n’est valable que pour les employés et ne concerne donc pas les ouvriers  [226].

251 Forts de la médiatisation croissante de leur combat, les ouvriers maintiennent leurs revendications. Le 17 janvier, soit après 43 jours d’occupation, la direction européenne reprend les négociations ; deux jours plus tard, la délégation syndicale MWB parvient in fine à lui imposer sa contre-proposition. L’accord sur le volet social implique le paiement par Meritor d’une prime extra-légale équivalente à 75 % du préavis légal. Les travailleurs concernés par le régime de chômage avec complément d’entreprise percevront une indemnité compensatoire de 60 %. Les conditions patronales visant la levée des protections syndicales et le renoncement des travailleurs à tout recours futur contre Meritor et Truck Technic sont abandonnées. Les travailleurs bénéficieront du système public de reconversion et le démantèlement de l’usine sera opéré sous le contrôle de la délégation syndicale. Enfin, les carnets médicaux seront remis aux travailleurs.

252 Les derniers occupants quittent l’entreprise le 1er février 2017, suite à la signature des conventions collectives de travail (CCT) et après que la direction a contrôlé l’état des machines. C’est une occupation de 58 jours qui prend fin en même temps que la fermeture définitive de Truck Technic. Les cellules de reconversion sont mises en place à partir du 7 mars suivant.

253 Quelques membres de la délégation syndicale continuent à soutenir l’idée d’une reprise d’une partie de l’activité (le reconditionnement de différentiels) à travers un nouveau projet industriel. Ils sont soutenus tant par l’asbl Progrès Participation Gestion en économie sociale (Propage-s)  [227] que par le socialiste J.-C. Marcourt  [228], initiateur de la Société wallonne d’économie sociale marchande (SOWECSOM)  [229]. En décembre 2017, trois ouvriers et une ancienne responsable des ressources humaines de Truck Technic s’associent pour créer la coopérative Difrenotech, spécialisée en reconditionnement de différentiels. Hébergée par l’entreprise Aczon, spécialisée dans les valves et soupapes, cette coopérative est lancée grâce au soutien financier de la SOWECSOM et à l’apport réalisé par chaque associé. Par ailleurs, Difrenotch fait appel à la participation des investisseurs privés et espère embaucher, dans les deux prochaines années, une douzaine de travailleurs  [230].

6.5. Conclusion

254Après 58 jours de grève et d’occupation, les ouvriers de Truck Technic sont donc parvenus à faire plier la multinationale états-unienne Meritor. Certes, ils n’ont pas pu éviter la fermeture de leur usine et, en comparaison avec ce qu’obtiennent certaines filiales de multinationales plus grandes, les primes extra-légales restent faibles en valeur absolue (quelques milliers d’euros en fonction de l’ancienneté du travailleur). Néanmoins, il est rare dans l’histoire sociale récente de la Belgique que, dans une petite filiale de multinationale, la direction (à savoir, dans le cas présent, la direction de la branche européenne du groupe) accepte de revenir aussi largement sur le plan social qu’elle avait proposé initialement dans le cadre d’une procédure Renault. Il est vrai que la stratégie mise en place par cette direction – jouer l’évitement de la concertation sociale, puis parier sur la concurrence entre les syndicats – s’est avérée contre-productive de son point de vue, puisqu’elle a sans doute contribué à renforcer le collectif ouvrier et les solidarités interprofessionnelles au sein de la FGTB liégeoise.

255 Si on le replace dans l’histoire récente de la grève et des luttes sociales, ce conflit pose également un jalon important. En effet, il redonne une légitimité à la pratique d’occupation d’entreprise et ouvre la voie aux revendications visant le transfert de l’outil de production vers les salariés en cas de restructuration. Depuis les actions menées chez Truck Technic et chez Mistral  [231], des mouvements de grève très longs avec occupation ont également pris place chez Truflo Rona à Herstal  [232] et chez Parker Hannifin à Sprimont  [233]. Les travailleurs de cette entreprise se revendiquent ouvertement de « l’expérience Truck Technic » pour ce qui concerne, notamment, l’usage de la grève sur un temps long avec occupation d’usine. L’exemple de Truck Technic semble même avoir influencé les travailleurs, non pas seulement en ce qui concerne le type d’action (grève avec occupation d’usine), mais aussi quant à la revendication portant sur la continuité de l’activité économique par les travailleurs eux-mêmes lors d’une délocalisation.

256 Si, dans le cas de Truck Technic, les travailleurs n’ont pas repris l’outil de travail, la mise sur pied de la coopérative Difrenotech a ouvert le débat sur la continuité de l’activité économique suite à la fermeture d’un site. Quant à eux, les travailleurs de Truflo Rona ont été plus loin dans leurs revendications, en faisant porter celles-ci non seulement sur la continuité de l’activité économique, mais aussi sur la sauvegarde de l’outil de travail (via un transfert de propriété négocié en parallèle du plan social).

257 Ces deux filiales d’entreprises multinationales sont localisées en province de Liège et, surtout, sont des entreprises dans lesquelles les métallos liégeois de la FGTB sont majoritaires dans les rangs syndicaux (parfois même, la MWB est le seul syndicat, comme chez Truck Technic). Les délégués se connaissent ; notamment, ils participent aux mêmes cursus de formation. Les relations interpersonnelles jouent donc un rôle significatif dans cette suite de grèves longues avec occupations d’usine dans la région liégeoise. Face au phénomène constaté dans le présent article, il semble permis de se poser la question suivante : alors que, depuis une vingtaine d’années, la grève lors de la fermeture d’une entreprise est essentiellement envisagée de manière défensive (afin d’obtenir le plan social le plus avantageux possible), fait-on face aujourd’hui, en province de Liège, à l’embryon d’un mouvement faisant de la grève et de l’occupation un levier de négociation du plan social mais aussi de la continuité de l’activité économique ?

7. Les solidarités multiples au cœur du conflit social de l’institution Mistral

258Il a fallu 50 jours de grève pour que les travailleurs d’une institution liégeoise relevant du secteur privé non marchand obtiennent gain de cause face à leur conseil d’administration. Il s’agit de l’asbl Aide aux autistes adultes (AAA) - Mistral, qui héberge des adultes autistes à Saint-Georges-sur-Meuse  [234]. Le conflit est remarquable par sa durée au sein d’un secteur où la mobilisation des travailleurs, qu’il s’agisse de ralentissements de l’activité ou d’arrêts de travail prolongés, est régulièrement évitée en raison de son impact sur l’accompagnement du public.

7.1. L’origine du conflit

259La grève des travailleurs de Mistral débute le 21 septembre 2017, suite à la décision prise au début de la semaine par la direction de l’institution de licencier pour motif grave un délégué du Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCA, affilié à la Fédération générale du travail de Belgique - FGTB), à savoir en raison de faits de maltraitance envers un résident.

260Éducateur depuis près de vingt ans au sein de l’institution, ce travailleur nie les faits qui lui sont reprochés. De son côté, la directrice affirme avoir des témoins et avoir fait constater les blessures du résident par un médecin  [235]. Elle est soutenue par le conseil d’administration (CA), qui est composé de membres appartenant au réseau direct ou indirect des familles des résidents. Le président du CA connaît parfaitement l’institution, dont il a même vécu la création. En revanche, deux administrateurs ont rejoint le CA plus récemment : l’un en 2015 (l’administrateur délégué, qui est par ailleurs directeur des ressources humaines dans une entreprise privée du secteur marchand) et l’autre à la fin du mois de mai 2017 (un membre de la famille d’un résident). Pour leur part, les permanents syndicaux du SETCA et de la Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique (CGSLB) qualifient le licenciement de manœuvre de la direction visant à se débarrasser d’un délégué syndical gênant et à asseoir une autorité contestée depuis plusieurs mois par une majorité des travailleurs, qui sont alors une trentaine.

261 Un an et demi plus tôt, à la suite d’une période de restructuration ayant conduit à la non-reconduction de certains contrats et à la réduction du temps de travail, une nouvelle directrice avait rejoint Mistral. Même si aucun licenciement sec n’avait été à déplorer à l’époque, la décision de réduire à deux (au lieu de quatre précédemment) le nombre de foyers destinés à accueillir les 30 résidents avait conduit à de profonds changements organisationnels. Plusieurs critiques avaient été formulées à l’encontre de la directrice par les salariés de Mistral et avaient été relayées par leurs représentants syndicaux. Trois doléances principales ont alors été avancées. Primo, l’absence de dialogue avec les membres du personnel de l’institution et leurs représentants au sujet des changements pédagogiques et organisationnels envisagés (révision du projet pédagogique, modification des profils de fonction, etc.), alors même que les nouvelles mesures étaient jugées inadaptées par les travailleurs au regard des contraintes propres à l’exécution des tâches et missions. En effet, la nouvelle direction a introduit ses nouvelles réformes sans prendre en compte l’histoire de l’institution (notamment, la proximité entre l’équipe et les familles) ni l’expertise accumulée des salariés qui travaillent au sein de cette institution depuis de nombreuses années. Les travailleurs y ont vu un dénigrement du travail effectué jusqu’alors et une atteinte à l’objectif social de leur travail au profit de la rationalisation de celui-ci. Secundo, le recours à des remarques jugées dénigrantes et parfois assorties de menaces sur l’emploi à l’égard de certains membres du personnel. Ces pratiques, relevant du harcèlement selon les représentants syndicaux, ont contribué à la dégradation de l’ambiance de travail. Tertio, la mise en cause d’une gestion financière défectueuse se traduisant notamment par des retards dans le paiement des salaires.

262 Le licenciement du délégué syndical SETCA constitue donc le déclencheur de l’action de grève qui porte, de manière plus large, sur la dénonciation de pratiques managériales qualifiées de problématiques.

263 La décision de partir en grève est prise le mardi 19 septembre en soirée, à l’occasion d’une assemblée ouverte à l’ensemble du personnel de Mistral, organisée à l’initiative du SETCA et à laquelle participe également le permanent syndical CGSLB. Cette assemblée avait été planifiée antérieurement, mais l’ordre du jour en a été bouleversé suite au licenciement intervenu la veille. La grève ne démarre pas le lendemain, mais le jeudi matin afin de permettre, d’une part, aux travailleurs d’organiser l’action sur le plan logistique et, d’autre part, aux responsables syndicaux de déposer un préavis de grève en front commun, même si le délai des 14 jours prévus par la convention collective sectorielle n’est pas respecté  [236].

7.2. L’organisation du mouvement de grève

264À la suite de la décision de l’assemblée initiée par le syndicat socialiste, le front commun syndical SETCA–CGSLB se met rapidement en place. La Confédération des syndicats chrétiens de Belgique (CSC) ne prend pas part à ce conflit, car elle n’a aucun représentant et ne compte qu’un seul affilié au sein de Mistral – le SETCA dominant largement dans cette institution. Dès le démarrage du conflit, les travailleurs se mobilisent fortement. Une grande majorité d’entre eux se déclarent en grève (près de 90 % selon les organisations syndicales).

265 Pour rendre visible l’action en front commun, tant vis-à-vis de la direction que des personnes extérieures à l’institution, la première option choisie est de dresser un piquet de grève devant l’entrée de l’établissement. Une action d’information et de sensibilisation est entamée sur l’importance, d’une part, de préserver les conditions de travail, et ce même dans un contexte de rationalisation et de pression budgétaire, et, d’autre part, d’envisager collectivement les changements organisationnels en valorisant l’expertise de terrain. Ce type de revendication est transversal et touche de nombreuses personnes. Notamment, les familles des résidents se sentent concernées car il en va de la qualité des services prodigués à ceux-ci. De même, les travailleurs d’autres institutions du non-marchand connaissent des situations similaires, en particulier en ce qui concerne la pression exercée sur les travailleurs en raison d’un manque de moyens assorti de nouvelles méthodes de subventionnement, d’une population atteinte de pathologies plus lourdes permettant d’avoir des subsides supplémentaires, de la diversification des recettes en dehors des subsides, etc.

266 Dès les premières heures, donc, des actions d’information et de sensibilisation vis-à-vis du voisinage et des familles des résidents sont organisées. Le 25 septembre, une lettre est envoyée aux familles. Rapidement, celles-ci s’associent aux revendications des membres du personnel ; dans ce cadre, elles réalisent des visites régulières sur le piquet, témoignent leur soutien dans la presse et interpellent le CA (notamment par le moyen d’un courrier rédigé par un avocat). Plusieurs membres des familles de résidents sont reçus par le CA le 6 octobre. À cette occasion, les familles font part de leurs inquiétudes par rapport aux conditions de prise en charge des résidents qui, selon elles, se détériorent depuis les changements organisationnels mis en place par la nouvelle direction. Beaucoup disent la confiance qu’elles ont dans les membres du personnel et soulignent la qualité de l’accompagnement qu’ils proposent. Les familles renforcent donc le discours tenu par les représentants syndicaux. Par ailleurs, les grévistes prennent contact avec d’anciens travailleurs de Mistral, parmi lesquels le précédent directeur (qui confirme la confiance qu’il avait dans le délégué SETCA mis en cause et dans l’ensemble de l’équipe).

267 Les grévistes sont également soutenus par la visite, sur le piquet, de membres d’autres régionales, d’autres centrales professionnelles, mais aussi de travailleurs d’autres institutions accueillant des personnes handicapées et de travailleur d’entreprises relevant du secteur marchand de la région comme ArcelorMittal (industrie sidérurgique) ou Network Research Belgium (NRB, services informatiques). Au-delà du combat pour la préservation des conditions de travail, ce soutien syndical élargi peut se comprendre au regard du point de départ de l’action, c’est-à-dire la lutte contre le licenciement d’un délégué syndical. Il s’agit donc de s’offusquer contre la mise à mal du système de concertation sociale. Ces multiples marques de solidarité s’avéreront essentielles dans la poursuite du mouvement.

268 La grève a des répercussions à l’intérieur de Mistral. En cas de grève dans le secteur de l’accompagnement des personnes handicapées, il est prévu que soit assuré un service minimum, qui est indispensable pour garantir le suivi de l’accueil et des soins. Selon la réglementation sectorielle, trois éducateurs doivent assurer le service minimum durant la journée (en vertu de la règle d’un agent pour dix résidents) et un éducateur doit faire de même pendant la nuit  [237]. Cependant, les travailleurs de Mistral se prononcent en faveur d’une extension des prestations minimales légales, afin de réaliser le nursing (toilettes, changes, etc.), de garantir la satisfaction des besoins primaires des résidents et d’assurer la sécurité de tous (membres du personnel et résidents). Ils décident dès lors que des équipes de quatre éducateurs répartis dans les deux foyers de vie assureront les prestations, au lieu des trois requis par la réglementation. Ainsi, neuf éducateurs sont mobilisés par jour : une équipe de quatre éducateurs se charge des prestations du matin, une autre équipe de quatre assure l’accompagnement des résidents au cours de l’après-midi, et les prestations de nuit sont assurées par un seul salarié. En contrepartie, les pauses des éducateurs sont diminuées durant leurs prestations – ce qui présente toutefois l’inconvénient de réduire leurs possibilités de partager leurs observations sur l’état des résidents, puisqu’ils doivent se limiter à se transmettre les données par le biais des cahiers de communication.

269 La réglementation sectorielle sur le service minimum impose également la présence d’un agent technique pour assurer l’entretien de l’institution et d’un agent administratif pour la gestion quotidienne et du suivi des dossiers. Pour ces deux catégories de travailleurs, les tournantes ne sont pas nécessaires durant le mouvement de grève chez Mistral, puisque les non-grévistes sont en nombre suffisant pour assurer ces prestations. Il en va différemment pour l’équipe éducative, au sein de laquelle des tournantes doivent s’organiser entre grévistes et non-grévistes. Or la gestion de ces tournantes, qui incombe à la direction de l’établissement, est insuffisante. Par conséquent, ce sont les permanents syndicaux SETCA et CGSLB qui prennent en charge cette tâche sur le piquet de grève. Le 2 octobre, la permanente SETCA dénonce dans la presse les pratiques managériales défaillantes mises en place par la direction  [238]. Cette mauvaise gestion a pour effet d’augmenter le taux d’absentéisme parmi les éducateurs, qui va de pair avec le non-remplacement des absents. Cette situation contribue dès lors à affaiblir la capacité des grévistes à concilier présence sur le piquet de grève et présence auprès des résidents, ce qui a des répercussions sur le mouvement.

270 Les permanents syndicaux proposent une tournante régulière entre les éducateurs grévistes, afin que chacun perçoive un salaire pour les quelques jours prestés par mois, ce qui vient soulager financièrement les travailleurs. Néanmoins, la situation financière est plus délicate pour les agents techniques, qui ont le statut ouvrier. Les grévistes de ce statut restent en permanence sur le piquet, dans la mesure où le service minimum est assuré par le personnel non gréviste. La situation financière provoquée par la participation aux actions collectives pèse lourdement sur les grévistes, car les indemnités de grève sont insuffisantes pour subvenir aux charges d’un ménage. Pour faire face à cette situation, un fonds de soutien est mis en place par les deux organisations syndicales après 21 jours de grève. Un statut juridique encadre l’existence de ce fonds, qui est alimenté par des dons provenant des structures syndicales, des membres du syndicat à titre individuel, des familles, de voisins et d’anonymes. L’appel aux dons est largement diffusé par le moyen des réseaux sociaux, la création d’une vidéo et l’envoi de courriels. La mobilisation financière est rapide et donne des résultats élevés, permettant aux travailleurs de résister à plus long terme. Tout au long de l’action, le taux de participation et le nombre de grévistes ne faibliront pas.

7.3. Des points de vue opposés

271Le CA soutient la direction de l’institution et maintient sa décision de licencier le délégué. Les rencontres entre le CA et les permanents syndicaux se succèdent, mais les négociations sont infructueuses. Après les rencontres des 29 septembre, 19 octobre et 24 octobre, la déception est grande sur le piquet de grève. Les représentants des travailleurs sortent des réunions avec l’espoir que les pressions exercées dans le cadre de la négociation, la mobilisation collective forte et le soutien des familles inciteront les membres du CA à modifier leur point de vue, mais rien n’y fait. À plusieurs reprises, des propositions d’accord sont avancées par la direction, mais elles sont refusées par les travailleurs qui les jugent insatisfaisantes par rapport à leurs deux revendications principales : le changement des pratiques managériales et la réintégration du délégué licencié. En l’absence d’accord avec le CA, les revendications des travailleurs se cristallisent. Ceux-ci réclament désormais la démission de la directrice, ce qui deviendra un point non négociable dans la suite du conflit.

272Les familles de résidents qui rencontrent les membres du CA le 6 octobre (cf. supra) sortent aussi de l’entrevue avec le sentiment d’avoir été entendues et avec l’espoir d’une issue positive. Toutefois, la surprise est grande pour les travailleurs et leurs représentants lorsque le CA annonce, quelques jours plus tard, qu’il renouvelle sa confiance dans la direction. Le doute s’installe sur le piquet de grève. Les travailleurs et leurs représentants cherchent la manière d’amener le CA à changer d’avis. Dès lors, les moyens de pression lancés par les organisations syndicales se multiplient et se diversifient afin d’infléchir la position du CA. Parmi ceux-ci, figure la médiatisation du mouvement à travers les interpellations politiques, notamment de la ministre wallonne de l’Action sociale, de la Santé, de l’Égalité des chances, de la Fonction publique et de la Simplification administrative, Alda Greoli (CDH), également vice-présidente du gouvernement Borsus (MR/CDH). Le 17 octobre, les travailleurs de Mistral profitent de la venue de la ministre au siège liégeois de la Banque nationale de Belgique (BNB) pour l’interpeller. Les responsables syndicaux ont insisté pour que ce soient les salariés de l’institution, et non eux, qui entrent en contact avec la ministre afin de lui faire part de leurs conditions de travail et de leurs revendications. Neuf jours plus tard, soit le 26 octobre, les travailleurs se mobilisent à Namur dans le cadre de l’action sectorielle de la sous-commission paritaire 319.02 (Établissements et services d’éducation et d’hébergement de la Communauté française, de la Région wallonne et de la Communauté germanophone). Ils espèrent pouvoir obtenir un nouvel entretien avec la ministre de tutelle, afin de recevoir son soutien et des propositions d’action. Toutefois, cet espoir se solde par un échec puisqu’A. Greoli ne participe finalement pas à cet événement.

273 En plus de la diffusion des revendications vis-à-vis de l’extérieur, des moyens juridiques et administratifs sont activés par les organisations syndicales afin de renforcer la pression mise sur le CA. Les inquiétudes des travailleurs relayées par le SETCA et la CGSLB sont communiquées à l’inspection de l’Agence wallonne pour une vie de qualité (AVIQ), ainsi qu’au service Contrôle bien-être du Service public fédéral (SPF) Emploi, Travail et Concertation sociale, à l’inspection du travail (lois sociales) et au fisc.

274 Une conciliation est mise en place avec la présidente de la sous-commission paritaire. Le 24 octobre, une réunion a lieu entre les différentes parties et un accord est proposé. Ce dernier est toutefois rejeté par la suite, lors de l’assemblée du personnel, car il ne prévoit pas le départ de la directrice.

275 Les résultats des multiples interpellations institutionnelles et juridiques, confortés par une solidarité qui ne s’affaiblit pas tant de la part des travailleurs de Mistral que de leurs soutiens externes, poussent le CA à revoir sa position vis-à-vis de la direction. Toutefois, le délai est vécu comme long et éprouvant émotionnellement par les grévistes, puisque l’inflexion du CA crée des moments de doute du côté des travailleurs et de leurs représentants. À chaque initiative ou réunion n’aboutissant pas à la rencontre de leurs revendications, les travailleurs s’interrogent sur les nouveaux moyens à employer pour que le CA se rende compte des effets négatifs du management mis en place par la direction qu’il a récemment engagée.

7.4. L’issue du conflit : le « Mistral gagnant »

276Un accord est trouvé à l’issue du 48e jour de grève. Celle-ci prend officiellement fin après 50 jours, le temps que le protocole d’accord soit formalisé.

277Les deux revendications phares des travailleurs sont rencontrées : d’une part, le CA retire sa confiance à la directrice et celle-ci est licenciée et, d’autre part, la procédure de licenciement à l’encontre du délégué SETCA est stoppée, impliquant la réintégration de ce dernier. Les membres du conseil d’administration souhaitent que la piste d’une réintégration soit toutefois conditionnée à la mise en œuvre d’une sanction exemplaire, à savoir une mise à pied de trois mois. Lors de cette dernière phase de négociation, cette sanction disciplinaire est perçue comme aberrante par le SETCA, étant donné que les partenaires syndicaux ne reconnaissent aucune faute professionnelle dans le chef du travailleur-délégué syndical SETCA incriminé. Lors d’une interruption de séance, le travailleur est contacté et accepte la sanction si la durée de celle-ci est revue à la baisse, car elle va de pair avec une perte salariale. Selon lui, cette solution est une manière raisonnable de sortir de ce conflit qui pèse sur l’ensemble des travailleurs et des résidents, et le plus important est que la directrice soit licenciée. Au final, la mise à pied sera d’un mois et la perte salariale sera comblée par l’intervention du fonds de soutien créé à l’occasion de la grève.

278 La négociation de sortie du conflit porte également sur la mise en place d’une supervision financée partiellement par le Fonds « Institutions et services d’aide aux jeunes et aux handicapés » (Fonds ISAJH)  [239], permettant une réflexion collective sur les aspects organisationnels et le projet pédagogique de l’institution. Afin que la confiance entre les parties se réinstalle, il est prévu que le choix du superviseur soit soumis à l’approbation des organisations syndicales et qu’un rapport mensuel soit adressé aux permanents syndicaux par la nouvelle direction et/ou le CA. Il est également prévu que le poste de directeur, devenu vacant, soit occupé par un externe bénéficiant d’une expérience dans le secteur non marchand. Même si quelques travailleurs ont marqué un intérêt à occuper ce poste, le recours à un externe semble être la solution la plus adéquate étant donné l’opposition forte qui s’est exprimée durant près de deux mois entre le CA et les membres du personnel de l’institution.

279 La joie et le soulagement sont alors de mise chez les travailleurs et leurs représentants, d’aucuns évoquant un « Mistral gagnant ». Le fonds de solidarité est dissous. De commun accord entre les deux organisations syndicales, le solde permet de payer les indemnités du délégué syndical SETCA mis à pied, puis est partagé entre les différents grévistes selon le nombre de jours de grève auxquels ils ont participé.

7.5. Conclusion

280La solidarité à l’œuvre durant le conflit a constitué la principale caractéristique du mouvement, et aura changé, selon les dires des travailleurs, la vie de l’ensemble des parties prenantes à l’action. Ce conflit permet de mettre en exergue la force du collectif de travail et l’importance de la mobilisation des travailleurs dans le cadre des conflits sociaux.

281 Au regard des éléments décrits ci-dessus, plusieurs facteurs semblent également avoir contribué à la réussite de la mobilisation des travailleurs de Mistral et à l’inscription du mouvement dans la durée, à savoir : sa médiatisation et les outils de communication qui ont servi d’appui, le soutien des familles des résidents, l’usage de démarches administratives et juridiques parallèlement à l’action collective, l’existence d’un front commun et d’une relation de confiance entre les deux organisations syndicales représentatives tout comme entre la base et les responsables syndicaux, et enfin la mise en place d’un fonds de soutien aux grévistes.

282 Cette mobilisation rappelle un autre conflit social au sein du secteur non marchand, concomitant à celui de Mistral. Il s’agit de celui qui a eu cours dans la résidence L’Élysée à Tournai, institution au sein de laquelle les travailleurs se sont mobilisés à partir du 27 septembre pendant 22 jours suite à une décision du directeur de licencier neuf membres du personnel. Finalement, les travailleurs ont obtenu gain de cause puisqu’une convention collective de travail (CCT) a été signée, prévoyant l’abandon du projet de restructuration  [240]. Même si les résultats d’un conflit n’ont pas influencé ceux de l’autre, que ce soit de Mistral vers L’Élysée ou inversement, les deux mouvements ont pour ressort la dénonciation des pratiques managériales des directions en place et la priorité donnée par celles-ci aux aspects financiers sur les objectifs sociaux. De manière générale, il s’agit de mettre en exergue le fait que les travailleurs du secteur non marchand subissent une mise à mal du sens de leur travail.

Conclusion

283 Si l’année 2017 s’est avérée remarquable sur le plan de la grève et de la conflictualité sociale en Belgique, c’est avant tout car, d’un point de vue quantitatif, le nombre de jours de grève s’est avéré le plus faible depuis 2014, année de l’entrée en fonction du gouvernement fédéral dirigé par Charles Michel (N-VA/MR/CD&V/Open VLD). Seul le dernier trimestre présente un nombre de jours de grève par 1 000 travailleurs supérieur à la médiane des 26 dernières années  [241].

284 Si les statistiques de grève peuvent parfois masquer une réalité sociale plus conflictuelle, soit parce que les chiffres ne rendent pas compte de l’intensité des conflits, soit parce que les organisations syndicales ont usé d’autres pratiques que la grève pour faire entendre leurs revendications, tel ne semble pas être le cas en 2017. L’étude qualitative des grèves et de la conflictualité sociale montre également une certaine atonie du mouvement social belge qui, historiquement, dépend largement de sa composante syndicale lorsque vient le temps de la mobilisation. Pourtant, durant cette troisième année complète de la législature, la dernière sans campagne électorale, le gouvernement Michel n’a pas freiné le rythme des réformes : durcissement de la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité, mise en place du service garanti dans le rail au niveau fédéral (et dans les TEC par le nouveau gouvernement wallon MR/CDH), etc. Le gouvernement fédéral s’est aussi montré très actif sur d’autres sujets, parmi lesquels on peut relever le dossier de la pénibilité des métiers en lien avec les pensions, le financement des services publics, les possibles privatisations partielles ou totales de certaines entreprises publiques autonomes et le droit de grève, autant d’enjeux qui faisaient figure de véritables lignes rouges pour les organisations syndicales au début de la législature.

285 Plusieurs facteurs peuvent être mis en évidence pour expliquer cet affaiblissement de la mobilisation sociale alors que, dans le même temps, le gouvernement fédéral a continué à mener des politiques d’austérité budgétaire et à réformer l’État social belge. La signature, le 2 février 2017, d’un accord interprofessionnel (AIP) portant sur les années 2017 et 2018, une première depuis 2008, pourrait être un élément d’explication. Traditionnellement, l’AIP est en effet un gage de pacification des relations socio-professionnelles en Belgique  [242]. Mais la rapidité de la négociation de cet accord, ainsi que l’assentiment assez large que lui ont apporté les trois organisations syndicales au regard de son contenu sont aussi le signe d’une forme de résignation de leur part devant les réformes impulsées par la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) et portées par le gouvernement Michel. Comme le montre la chronique du conflit à la FN Herstal, la marge salariale maximale de 1,1 % laisse en effet peu de latitude aux négociateurs syndicaux dans les secteurs et dans les entreprises. En outre, cet accord entérine le durcissement de la loi du 26 juillet 1996 et du caractère impératif de la norme salariale  [243]. Faute d’une capacité assez large de mobilisation, les trois syndicats semblent avoir privilégié un « mauvais accord » à un nouvel échec de la négociation interprofessionnelle qui pourrait, à terme, affaiblir encore plus la concertation sociale paritaire et la légitimité des syndicats dans le jeu institutionnel belge.

L’impossible équation du front commun

286 Depuis son démarrage, la législature fédérale a été marquée sur le plan social par des réformes jugées particulièrement dures par les syndicats : saut d’index, réforme du marché du travail, réforme des pensions, etc. En réaction, le mouvement syndical a organisé de nombreuses actions. L’impact de celles-ci s’est cependant avéré quasi nul jusqu’ici et, depuis les grèves de l’automne 2014, la mobilisation syndicale, comme l’opposition politique par ailleurs, s’est peu à peu affaiblie et fragmentée. En étalant les réformes sur l’ensemble de la législature, le gouvernement Michel a certes contribué à cet essoufflement progressif de la contestation sociale. Mais, la stratégie de l’exécutif ne peut tout expliquer.

287 La fragmentation du mouvement syndical, que masque mal la signature par les trois syndicats de l’AIP, s’est clairement manifestée en 2017. À la difficile recherche du front commun, s’ajoutent des tensions de plus en plus visibles depuis 2015 au sein des deux grandes organisations, la CSC et la FGTB. Sur la plupart des réformes, les organisations syndicales ont pourtant partagé un diagnostic relativement similaire, très critique à l’encontre du gouvernement Michel et de ses politiques. Par contre, elles se sont le plus souvent divisées sur la stratégie à adopter. La FGTB semblait vouloir mener la vie dure à un gouvernement fédéral dans lequel elle n’a aucun relais, mais en privilégiant néanmoins des actions en front commun, auquel son aile flamande paraît particulièrement attachée. La CSC favorise de son côté la concertation sociale aux actions plus dures, en cherchant à utiliser le CD&V comme levier politique. La CGSLB, pour sa part, ne se met en action que dans le cadre d’un front commun syndical. En conditionnant la grève à l’existence d’un front commun, les organisations syndicales se sont privées, volontairement ou non, de ce moyen d’action. Le conflit le plus important de l’année 2017 a porté sur la réforme des pensions. Il est à ce titre assez illustratif des difficultés rencontrées par les syndicats pour construire et maintenir le front commun. Au terme d’une « période d’action interprofessionnelle » en front commun allant du 21 novembre au 20 décembre, et après de nombreux débats et incertitudes, une manifestation nationale a été organisée à Bruxelles le 19 décembre. Outre une participation moindre que lors des défilés syndicaux nationaux organisés dans la capitale au cours des années précédentes, les organisations syndicales n’ont pas prolongé le mouvement. Alors que la FGTB annonçait une possible grève générale en janvier 2018, la CSC et la CGSLB lui ont préféré d’autres formes d’actions, faisant finalement renoncer le syndicat socialiste.

288 Dans les services publics, la FGTB, et particulièrement sa centrale des services publics, la CGSP, a le plus souvent fait cavalier seul face aux réformes du gouvernement Michel ou, après juillet 2017, face au nouveau gouvernement wallon dirigé par Willy Borsus. Alors que le financement des services publics semblait être une ligne rouge à ne pas dépasser pour le syndicat socialiste, la CGSP s’est retrouvée relativement esseulée au sein même de la FGTB. Lors de la grève du 10 octobre, elle n’a été rejointe que par la section bruxelloise de la MWB-FGTB et par la FGTB Liège-Huy-Waremme. Le soutien marqué du secrétaire général de la FGTB wallonne, Thierry Bodson, à la centrale des services publics a difficilement masqué la difficulté de construire des solidarités interprofessionnelles au sein même de la FGTB.

289 Ces difficultés à construire un front commun syndical – ou, à l’intérieur d’une même organisation, à nouer des solidarités intersectorielles et/ou interprofessionnelles – peut aussi s’expliquer par une forme de résignation de certains syndicats face au gouvernement Michel. La CSC et la FGTB semblent désormais porter leurs efforts sur les élections fédérales, régionales et communautaires du 26 mai 2019, en espérant des coalitions plus en phase avec leurs revendications. Dans ce contexte, du côté néerlandophone, des actions trop dures à l’aube d’une période électorale font craindre, tant à la CSC qu’à la FGTB, de renforcer la N-VA. Du côté francophone, dès septembre 2017, T. Bodson a appelé de ses vœux la mise en place d’une coalition PS/Écolo/PTB en Région wallonne après le scrutin de mai 2019  [244].

L’absence de restructurations médiatiques

290 Sur le plan social, l’année 2017 s’est distinguée d’un autre point de vue des précédentes. Ford Genk en 2012, ArcelorMittal en 2013, Delhaize et Saint-Gobain en 2014, Caterpillar et le secteur bancaire en 2016 : les restructurations partielles et les fermetures définitives de sites de grandes entreprises n’ont pas manqué ces dernières années en Belgique. En 2017, le licenciement de 105 salariés chez RTL Belgium, annoncé le 14 septembre 2017, est l’événement le plus marquant à ce niveau. Or, il n’est comparable ni en termes de pertes d’emplois, ni en termes de conflictualité sociale aux événements précités.

291 En 2017, 191 entreprises comptaient encore plus de 1 000 travailleurs  [245] en Belgique, répartis le plus souvent sur différents sites de production ou de distribution. La tertiarisation de l’économie et, surtout, la fragmentation de plus en plus poussée des entreprises ont inévitablement un impact sur l’évolution de la conflictualité sociale à l’échelon de l’entreprise. Cette évolution semble néanmoins plus médiatique que statistique  [246]. En 2017, des conflits et des grèves longues ont éclaté dans des entreprises de la sous-traitance ou des services. Ils portent soit sur des restructurations, soit sur les conditions de travail. S’ils n’ont pas bénéficié de la même couverture médiatique que les conflits chez Ford, ArcelorMittal ou Caterpillar, les grèves et les conflits longs dans la sous-traitance industrielle chez TruckTechnic ou Parker Hannifin ou encore les 50 jours de grèves menés par les employés de Mistral, maison de repos pour adultes atteints d’autisme, montrent que la fragmentation des entreprises et la tertiarisation de l’économie belge ne signifient pas la disparition du conflit social. Par contre, elles déplacent les conflits des grands centres industriels vers des espaces moins médiatisés, comme les réseaux de sous-traitance ou le secteur des services. Ces conflits se sont avérés plus longs que ceux qui ont récemment émaillé les restructurations des grands bassins ouvriers. Par contre, les fermetures des sites de Ford à Genk, d’ArcelorMittal à Liège ou de Caterpillar à Gosselies ont mobilisé les organisations syndicales et d’autres organisations du mouvement social bien au-delà des murs de l’usine qui ferme. Les conflits sociaux dans les anciens « bastions industriels » ont, le plus souvent, eu un impact sur la conflictualité sectorielle, voire interprofessionnelle du fait de l’ampleur des pertes d’emploi et de leur médiatisation. Même si une solidarité syndicale intersectorielle et régionale s’est progressivement construite autour des conflits chez TruckTechnic et chez Mistral, la résonnance de ces conflits est restée très locale.

Un autre rôle pour les syndicats ?

292L’année 2017 a aussi été marquée par deux conflits atypiques et non résolus : le conflit qui oppose les livreurs à vélo à l’entreprise Deliveroo et celui qui oppose, depuis plusieurs années, le personnel de Ryanair à la direction de la compagnie aérienne low cost. Ces conflits, s’ils restent marginaux sur le plan quantitatif, posent plusieurs questions sur l’évolution future de la conflictualité sociale en Belgique et sur le plan international.

293 Dans l’histoire belge, la grève et la manifestation ont très rapidement été des pratiques largement encadrées et contrôlées par les syndicats qui, au niveau de l’entreprise, participent aux côtés des managers à une « régulation commune »  [247] de la conflictualité sociale. Si les organisations ouvrières sont nées, au XIXe et au début du XXe siècle, comme une réponse collective aux privations économiques subies par de larges couches du salariat, les syndicats sont devenus, à l’exception de certaines périodes, des acteurs essentiels du contrôle social des populations ouvrières et de la reproduction du système économique. Or, dans le cas de Deliveroo, le monopole des syndicats sur la conflictualité sociale est contesté par les travailleurs. L’acteur majeur du conflit est un collectif de travailleurs dont les membres nourrissent pour certains une méfiance vis-à-vis des organisations syndicales. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que le syndicat ayant le plus d’influence sur le conflit soit la CNE. En effet, depuis plusieurs années, le syndicat des employés de la CSC est probablement le plus proche du mouvement social dans sa diversité. L’exemple du conflit chez Deliveroo peut pourtant, selon Kurt Vandaele, « offrir aux syndicats des opportunités de constituer des expériences d’organizing à petite échelle »  [248].

294 Dans le cas de Ryanair à l’aéroport de Charleroi, la CNE est intervenue dès le départ pour soutenir les actions en justice du personnel de cabine. À l’origine, la CNE ne compte pas ou peu d’affiliés au sein de la compagnie aérienne à bas prix irlandaise. En 2011, elle était intervenue dans le conflit pour soutenir des hôtesses et des stewards qui revendiquaient l’application dans leur cas du droit belge, et non du droit irlandais. En 2017, le rôle du syndicat dans ce conflit a évolué avec, en décembre, la menace d’une grève qui n’a finalement pas été exécutée. La rareté des pilotes d’avion sur le marché de l’emploi, relativement au personnel de cabine ou aux livreurs à vélo, leur permet de construire plus facilement un rapport de force avec leur direction.

295 Ces deux conflits montrent à nouveau que les organisations syndicales peuvent rencontrer des difficultés lorsqu’il leur faut appréhender un salariat caractérisé par une plus grande précarité et par une forte mobilité. De son côté, le monde politique est relativement silencieux sur ces deux dossiers. Cela tend à démontrer une relative démission des mandataires politiques à l’égard des conditions d’emploi et de travail dans ces entreprises mais aussi quant à la régulation de ces conflits sociaux. Pourtant, loin de représenter un phénomène conjoncturel, ces entreprises constituent un « laboratoire social » quant à de nouvelles formes de mise au travail, de relations professionnelles et de conflictualité sociale. De façon croissante depuis plusieurs années, les travailleurs des départements logistiques des grandes entreprises se voient par exemple proposer de passer sous statut d’indépendant. En Belgique comme ailleurs en Europe, l’introduction de statuts « hybrides » entre le salarié et l’indépendant et l’adaptation de la fiscalité à ces « nouvelles » réalités économiques contraignent les syndicats à prendre en compte un salariat de moins en moins homogène.

296 Si elle interroge le syndicalisme tel qu’il se pratique depuis plusieurs décennies, cette évolution du salariat ne semble par contre pas pacifier les relations socio-professionnelles. Bien au contraire, les travailleurs de chez Deliveroo ou de chez Ryanair ont même fait montre d’une capacité à internationaliser le conflit. Les grèves dans ces deux entreprises ont également reçu un soutien populaire ou médiatique assez large en comparaison, par exemple, avec les grèves dans le secteur du rail ces dernières années. Par l’entremise des réseaux sociaux, les livreurs ont réussi à sensibiliser certains consommateurs à l’importance de soutenir leur lutte en ne commandant pas de repas lors des actions. Dans les aéroports paralysés par la grève chez Ryanair, le ressenti des passagers relayé par les médias est souvent bien moins critique que celui des usagers du rail bloqués dans les gares lors d’une grève des cheminots.

Le syndicalisme belge à un tournant ?

297À l’inverse de la plupart des pays européens, la Belgique est restée très longtemps à l’abri d’un processus quasi généralisé de baisse du taux de syndicalisation. Entre 1989 et 2014, celui-ci n’a pas cessé d’augmenter. Depuis 2014, on assiste par contre à une érosion inhabituelle du nombre d’affiliés dans les organisations syndicales belges. Ainsi, entre 2014 et 2016, les trois organisations syndicales ont perdu 86 674 affiliés, soit un recul de 2,5 % sur trois ans. Il faut remonter à la période 1982-1988 ou, avant cela, aux années 1920 ou 1930 pour constater de pareils reculs  [249]. Ce sont les deux grandes organisations syndicales, et particulièrement la CSC, qui perdent des membres alors que la CGSLB continue à en gagner.

298 Cette érosion du taux de syndicalisation, qui signe la fin de l’exception belge en Europe, relève nécessairement de plusieurs facteurs : les exclusions du chômage depuis 2015, la fragmentation des entreprises ou encore la précarisation de l’emploi des jeunes. Quoi qu’il en soit, cette baisse du taux de syndicalisation, qui intervient à une période où les actions syndicales et la grève ont moins d’impact sur le pouvoir politique ou dans les entreprises, rappelle que la grève n’a pas pour seule fonction de bloquer l’économie d’un pays ou l’activité d’une entreprise. Dans d’autres pays, la grève et les actions collectives permettent aussi aux syndicats d’attirer de nouveaux membres  [250] et de consolider leur noyau militant. En Belgique, les syndicats sont des organisations politiques mais elles proposent également des services, dans le cadre de la gestion des allocations de chômage, par exemple. Il est par conséquent trop tôt pour établir un lien entre l’impact de leur mobilisation et le taux d’affiliation. Néanmoins, si l’érosion actuelle de leur effectif devait perdurer, la question de l’action collective comme source de légitimité des corps intermédiaires que sont les syndicats devra être reposée.

Annexe : Les jours de grève durant la période 2013-2017

299La présente annexe donne un bref aperçu des données relatives aux jours de grève durant la période 2013-2017. En effet, un élargissement du « champ d’observation » des statistiques de l’Office national de sécurité sociale (ONSS) nous amène à réviser les données que nous avions préalablement exploitées, relativement à la période 2013-2016, dans les quatre précédentes publications du GRACOS parues dans le Courrier hebdomadaire.

300 Tout d’abord, nous présenterons succinctement cet élargissement du champ d’observation des statistiques de l’ONSS. Ensuite, nous analyserons les différences entre les anciennes données (qui étaient sous-estimées) et les données révisées relativement à la période 2013-2016. Enfin, nous présenterons les données révisées pour cette période 2013-2016 tout en examinant le nombre de jours de grève en 2017.

L’élargissement du champ d’observation des statistiques de l’ONSS en 2017

301À l’heure actuelle, il n’existe en Belgique aucune instance publique spécifiquement chargée de la collecte des informations relatives aux jours de grève et de la vérification de leur qualité  [251]. Les données quantitatives récentes relatives aux mouvements de grève ne constituent que la déduction « automatique et dérivée » d’une procédure purement administrative, placée sous la responsabilité de l’ONSS depuis 2002  [252].

302Les données de l’ONSS relatives aux jours de grève sont publiées dans la « Brochure bleue » de cet organisme (et ce selon une série remontant jusqu’à 1991). Cette publication annuelle renseigne sur les périodes assimilées des travailleurs assujettis à la sécurité sociale. Les périodes assimilées sont des périodes d’absence du travail qui ne sont pas rémunérées, mais qui sont assimilées à des périodes de travail en vue de déterminer certains avantages sociaux à accorder aux travailleurs. Notamment les grèves et lock-outs relèvent de la définition des périodes assimilées. Chaque trimestre, les employeurs ou leurs mandataires (secrétariats sociaux) déclarent ces périodes à l’ONSS.

303 En 2003, le champ d’observation des statistiques de l’ONSS a été étendu à quelques institutions du secteur public (celles-ci déclarant depuis lors leurs périodes assimilées à l’ONSS). Toutefois, deux catégories de travailleurs sont alors demeurées en dehors de ce champ d’observation : d’une part, les travailleurs occupés auprès des services publics locaux (provinces, communes et institutions y assimilées dont les intercommunales et les CPAS), ressortissant à l’Office national de sécurité sociale des administrations provinciales et locales (ONSSAPL), et, d’autre part, les marins de la marine marchande, affiliés à la Caisse de secours et de prévoyance en faveur des marins (CSPM). Or, depuis 2017, l’ONSS est également compétent pour la perception des cotisations sociales des pouvoirs locaux  [253] (ainsi que, depuis 2018, pour celle des cotisations sociales des marins  [254]). Le champ d’observation des statistiques de l’ONSS a donc été de nouveau étendu ; désormais, il englobe plus de 99 % de l’emploi salarié en Belgique.

304Par ailleurs, la série de données publiée par l’ONSS incluant les pouvoirs publics locaux remonte jusqu’à 2013. Dès lors, il est possible de comparer les anciennes données relatives aux années 2013-2016 avec les données révisées, et d’analyser l’impact de l’intégration des jours de grève liés à l’ONSSAPL sur le mouvement général de la grève au cours de cette période  [255]. Autrement dit, nous pouvons reconsidérer les statistiques relatives aux jours de grève pour ces quatre années  [256]. En revanche, pour la période 1991-2012, les statistiques de grève demeurent inchangées et restent donc sous-estimées  [257].

Une comparaison entre les anciennes données et les données révisées

305La comparaison entre les anciennes données (sous-estimées) et les données révisées nous permet d’établir trois constats.

306Primo, l’ampleur de la sous-estimation oscille généralement entre 1 % et 20 % au cours d’un trimestre (cf. Graphique 1). Seul le deuxième trimestre de 2015 fait figure d’exception, avec une sous-estimation de plus de 40 %  [258]. Sur une base annuelle, la sous-estimation s’élève à 12,2 % en 2013 et en 2014, à 24,5 % en 2015 et à 17,6 % en 2016, ce qui est loin d’être négligeable. Désormais, il existe une importante rupture statistique entre la période se finissant en 2012 et celle débutant en 2013, à savoir que le mouvement de grève reste sous-estimé pour la période 1991-2012  [259]. Toutefois, on ignore l’ampleur de cette sous-estimation. Celle-ci ne pourrait être évaluée que si l’ONSS rendait également publiques les données relatives aux jours de grève liés à l’ONSSAPL avant 2013  [260].

Graphique 1. Nombre de jours de grève et ancienne sous-estimation, par trimestre (2013-2016)

Graphique 1. Nombre de jours de grève et ancienne sous-estimation, par trimestre (2013-2016)

Graphique 1. Nombre de jours de grève et ancienne sous-estimation, par trimestre (2013-2016)

Sources : ONSS ; calculs propres.Exemple d’interprétation : Pour le 1er trimestre 2013, 63 % correspond à la proportion « nombre de jours de grève dans les secteurs économiques non sous-estimés rapporté au nombre total de jours de grève », et 14 % correspond au pourcentage d’augmentation du nombre de jours de grève entre anciennes et nouvelles données.

307Secundo, l’impact des jours de grève liés à l’ONSSAPL se limite bien entendu à la sphère publique. Si l’on examine par trimestre les secteurs économiques selon le code NACE 2008, la sous-estimation la plus importante survient dans le secteur « Production et distribution d’eau ; assainissement, gestion des déchets et dépollution » (en moyenne, plus de 7 fois supérieure), suivi du secteur « Administration publique » (en moyenne, presque 3 fois supérieure) et du secteur « Production et distribution d’électricité, de gaz, de vapeur et d’air conditionné » (en moyenne, le double) (cf. Tableau 1). Par ailleurs, le nombre de jours de grève est en moyenne supérieur d’un tiers dans les secteurs « Arts, spectacles et activités récréatives » et « Santé humaine et action sociale », et de respectivement 10 et presque 5 points de pour cent dans les secteurs « Activités immobilières » et « Information et communication ».

308 L’ampleur de la sous-estimation trimestrielle ou annuelle n’est pas uniquement établie en fonction du pourcentage de la sous-estimation dans les secteurs concernés. La part de ceux-ci dans le nombre total de jours de grève est également importante. Il ressort du tableau 1 que la part des secteurs les plus sous-estimés est relativement faible au cours de la période considérée. En outre, lorsque leur part est malgré tout d’une certaine importance, la sous-estimation demeure raisonnable. Le secteur « Administration publique » constitue la seule exception à ce constat : le nombre de jours de grève a été largement sous-estimé et la part de ce secteur est relativement importante. Toutefois, 60 % du nombre de jours de grève en moyenne n’ont pas été sous-estimés, avec un minimum de 47 % et un maximum de 80 %, selon les secteurs économiques (cf. Graphique 1).

Tableau 1. Sous-estimation et part selon le secteur (classification NACE 2008), sur la base des données trimestrielles (2013-2016)

Tableau 1. Sous-estimation et part selon le secteur (classification NACE 2008), sur la base des données trimestrielles (2013-2016)

Tableau 1. Sous-estimation et part selon le secteur (classification NACE 2008), sur la base des données trimestrielles (2013-2016)

Sources : ONSS ; calculs propres.

Graphique 2. Part de secteurs sous-estimés et pourcentage de sous-estimation, par trimestre (2013-2016)

Graphique 2. Part de secteurs sous-estimés et pourcentage de sous-estimation, par trimestre (2013-2016)

Graphique 2. Part de secteurs sous-estimés et pourcentage de sous-estimation, par trimestre (2013-2016)

Sources : ONSS ; calculs propres. Interprétation : Chaque point est au croisement de deux variables : en ordonnée, la part en pourcentage du nombre de jours de grève sous-estimés pour un secteur spécifique et par trimestre (par rapport au nombre total de jours de grève) et, en abscisse, le pourcentage général de sous-estimation par trimestre.

309Tertio, il existe un rapport positif entre le pourcentage des secteurs économiques sous-estimés dans le nombre total de jours de grève et le pourcentage de la sous-estimation pour les trimestres de la période 2013-2016 (cf. Graphique 2). Plus la part des secteurs économiques sous-estimés est grande, plus la sous-estimation l’est également. Mais ce rapport est faible. Si nous n’examinons que le secteur « Administration publique », qui contribue en moyenne largement à la sous-estimation, le rapport est alors négatif : la part de ce secteur économique est plus grande, la sous-estimation est moindre. Et, de nouveau, le rapport est faible. Pour prédire le pourcentage de sous-estimation, la part du secteur « Production et distribution d’eau ; assainissement, gestion des déchets et dépollution » semble la mieux adaptée, le rapport étant moyennement fort  [261]. La question de savoir si cette base (seulement 16 trimestres) permettrait d’évaluer le pourcentage de la sous-estimation pour les données de la période 1991-2012 reste ouverte  [262]. Mais il y a deux certitudes : comme dit précédemment, le nombre de jours de grève a été sous-estimé et une évaluation plus ou moins fondée de cette sous-estimation demeure, quoi qu’il en soit, une évaluation  [263].

Le mouvement de grève durant la période 2013-2016 et 2017

Tableau 2. Nombre de jours de grève par trimestre et par année (2013-2017)

Tableau 2. Nombre de jours de grève par trimestre et par année (2013-2017)

Tableau 2. Nombre de jours de grève par trimestre et par année (2013-2017)

Remarques : Suite à quelques différences minimes, le total diffère parfois de la somme des trimestres.Les ruptures temporelles en 2003 et 2013 influencent la médiane et la moyenne.
Sources : ONSS.

310En 2017, l’on a dénombré 247 718 jours de grève, ce qui revient à 63 jours de grève par 1 000 travailleurs ; le nombre de jours de grève a presque diminué de moitié, comparé à l’année précédente (cf. Tableau 2, qui donne également un aperçu des données révisées pour la période 2013-2016). Sur le plan quantitatif, 2017 n’est pas une année de grève « remarquable ». Les trois premiers trimestres sont inférieurs à la médiane et à la moyenne, à l’exception du troisième trimestre qui se situe juste au-dessus de la médiane. L’essentiel du mouvement de grève en 2017 se concentre au quatrième trimestre. Les grèves ou manifestations de portée nationale, couvertes par une indemnité de grève, peuvent expliquer le score supérieur à la moyenne de ce quatrième trimestre. La « journée de réaction nationale » de la Centrale générale des services publics (CGSP) a eu lieu dans le secteur public le 10 octobre et une manifestation nationale de toutes les confédérations syndicales, réunissant quelque 25 000 participants contre la réforme des pensions du gouvernement fédéral, s’est déroulée le 19 décembre  [264].

311Le tableau 3 montre les différences dans le nombre de jours de grève selon le lieu d’occupation  [265]. Par rapport à l’année précédente, les jours de grève ont diminué dans les trois régions en 2017, tant en chiffres absolus que par 1 000 travailleurs. La Région wallonne enregistre la baisse la plus faible et présente le plus grand nombre de jours de grève. Les provinces de Hainaut et de Liège représentent près de 83 % du nombre de jours de grève en Wallonie. Les jours de grève en Région flamande sont moins concentrés géographiquement : les deux provinces affichant le nombre de jours de grève le plus élevé, celles d’Anvers et de Flandre orientale, englobent deux tiers des jours de grève dans cette région.

Tableau 3. Nombre de jours de grève selon le lieu d’occupation (2016-2017)

Tableau 3. Nombre de jours de grève selon le lieu d’occupation (2016-2017)

Tableau 3. Nombre de jours de grève selon le lieu d’occupation (2016-2017)

Remarques :Certains jours de grève ne peuvent être rattachés à une région (*).Les jours de grève de 2016 révisés, c’est-à-dire incluant les jours de grève pour l’ONSSAPL, n’ont pas été rendus publics. Il survient donc une rupture temporelle en 2017.
Sources :données relatives aux jours de grève : ONSS.données relatives aux travailleurs : SPF Économie, PME, Classes moyennes et Énergie, Direction générale Statistique, Enquête sur les forces de travail (EFT).

312Le tableau 4 dresse un aperçu de la part des grands secteurs économiques dans le nombre de jours de grève recensés au cours de la période 2013-2017. L’évolution de l’emploi au sein de ces secteurs n’est pas prise en compte. L’impact des données révisées est clair : le nombre de jours de grève dans le secteur public est sensiblement plus élevé, comparé aux anciennes données. Dans le même temps, les mesures d’austérité prises dans le secteur public à partir de 2010 peuvent expliquer dans une large mesure pourquoi la part de jours de grève dans ce secteur demeure élevée, alors que c’était occasionnellement le cas durant la période précédente. Les données du tableau 5 le confirment également. Ce tableau indique le nombre de jours de grève dans les secteurs économiques, regroupés sur la base des commissions paritaires. Seuls les groupes sectoriels dont la part est en moyenne supérieure à 5 % durant la période 2007-2017 ont été pris en considération. Six groupes sectoriels représentent ensemble environ quatre cinquièmes du nombre de jours de grève enregistrés sur un an. Tous les autres groupes sont repris dans la catégorie « Autres commissions paritaires ». Depuis 2014, la part des secteurs publics, pour lesquels il n’existe pas de commission paritaire, est plus élevée que celle du métal.

Tableau 4. Nombre de jours de grève selon les secteurs économiques et répartition entre secteurs (2013-2017)

Tableau 4. Nombre de jours de grève selon les secteurs économiques et répartition entre secteurs (2013-2017)

Tableau 4. Nombre de jours de grève selon les secteurs économiques et répartition entre secteurs (2013-2017)

Remarque : Les ruptures temporelles en 2003 et 2013 influencent la médiane et la moyenne.
Sources : ONSS ; calculs propres.

Tableau 5. Nombre de jours de grève selon les commissions paritaires (2013-2017)

Tableau 5. Nombre de jours de grève selon les commissions paritaires (2013-2017)

Tableau 5. Nombre de jours de grève selon les commissions paritaires (2013-2017)

Remarque : La rupture temporelle en 2013 influence la médiane et la moyenne.
Sources : ONSS ; calculs propres.

313Enfin, le tableau 6 renseigne le nombre de jours de grève par 1 000 travailleurs, ventilés selon le statut et le sexe des travailleurs. Les données révisées revoient à la hausse le nombre de jours de grève pour l’ensemble des statuts mais les tendances restent les mêmes : le nombre de jours de grève est toujours plus élevé chez les ouvriers que chez les employés. Par ailleurs, la différence entre le nombre de jours de grève chez les femmes et chez les hommes est minime au sein du groupe des employés et fonctionnaires. Sur l’ensemble de la période 2003-2017, l’on remarque que, à partir de 2010, la différence entre hommes et femmes en termes de recours à l’arme de la grève s’amenuise peu à peu mais que, de manière générale, les hommes représentent toujours quelque 70 % des jours de grève. En 2017, le nombre de jours de grève a diminué par rapport à l’année précédente et se situe en dessous de la moyenne de la période pour toutes les catégories.

Tableau 6. Répartition du nombre de jours de grève selon le statut et le sexe des travailleurs, par 1 000 travailleurs (2013-2017)

Tableau 6. Répartition du nombre de jours de grève selon le statut et le sexe des travailleurs, par 1 000 travailleurs (2013-2017)

Tableau 6. Répartition du nombre de jours de grève selon le statut et le sexe des travailleurs, par 1 000 travailleurs (2013-2017)

Remarque : Les ruptures temporelles en 2003 et 2013 influencent la médiane et la moyenne.
Sources :données relatives aux jours de grève : ONSS ; calculs propres.données relatives aux travailleurs : EFT.

Conclusion

314 L’élargissement du champ d’observation, par l’intégration des jours de grève liés à l’ONSSAPL, permet de disposer pour la première fois d’un aperçu quasi complet des grèves en Belgique en 2017  [266]. Les statistiques de grève révisées sont (publiquement) disponibles à partir de 2013. Pour la période s’étalant de 2013 à 2016, l’écart entre les anciennes données et les données révisées peut être analysé. La sous-estimation s’élève, sur une base annuelle, à 12,2 % en 2013 et 2014, 24,5 % en 2015 et 17,6 % en 2016 ; par trimestre, le pourcentage de sous-estimation affiche une forte volatilité. Compte tenu du pourcentage de sous-estimation et de la part des secteurs économiques dans le nombre total de jours de grève, il n’est guère étonnant que le secteur « Administration publique » contribue le plus à la sous-estimation. Cela se reflète au niveau désagrégé : le nombre de jours de grève dans le secteur public est légèrement supérieur si l’on analyse le nombre de jours de grève par secteur économique ou par commission paritaire ; 2013-2016 est en tout cas une période au cours de laquelle le secteur public représente une large part du nombre total de jours de grève. Le nombre de jours de grève au cours de certaines années d’avant 2013 a pu faire l’objet d’une importante sous-estimation. On note donc une rupture temporelle entre les anciennes statistiques de grève et les statistiques révisées. L’ampleur de la sous-estimation par trimestre et par année est difficile à évaluer. Enfin, du point de vue des chiffres, 2017 est une année de grève relativement ordinaire.

Notes

  • [1]
    I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2011 », « Grèves et conflictualité sociale en 2012. I. Grève générale et secteur privé », « Grèves et conflictualité sociale en 2012. II. Secteur public et questions européennes », « Grèves et conflictualité sociale en 2013 », « Grèves et conflictualité sociale en 2014 », « Grèves et conflictualité sociale en 2015 », « Grèves et conflictualité sociale en 2016 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2135-2136 (2012), n° 2172-2173 et 2174-2175 (2013), n° 2208-2209 (2014), n° 2246-2247 (2015), n° 2291-2292 (2016) et n° 2341-2342 (2017).
  • [2]
    Le gouvernement Di Rupo (2011-2014, PS/CD&V/MR/SP.A/Open VLD/CDH) et le gouvernement Leterme II (2009-2011, CD&V/MR/PS/Open VLD/CDH).
  • [3]
    Belga, 10 novembre 2017.
  • [4]
    Communiqué de la CNE du 8 janvier 2018, soit un jour plus tôt qu’en 2017. Selon la CNE, les CEO du BEL 20 ont gagné en 2016 l’équivalent de 46 fois le salaire médian belge, contre 38 fois en 2015.
  • [5]
    Les pertes d’emploi annoncées dans le cadre de la procédure Renault sont enregistrées par le Service public fédéral (SPF) Emploi, Travail et Concertation sociale au moment de l’annonce de l’intention de procéder au licenciement collectif.
  • [6]
    Cf. « FFE. Statistiques », www.onem.be.
  • [7]
    La Libre Belgique, 15 septembre 2017.
  • [8]
    * Chapitre rédigé par Bernard Conter et Jean Faniel.
    M. Capron, « L’accord interprofessionnel du 22 décembre 2008 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2019, 2009.
  • [9]
    Moniteur belge, 1er août 1996.
  • [10]
    Chambre des représentants, Compte rendu intégral, n° 54, 14 octobre 2014, p. 13.
  • [11]
    M. Capron, B. Conter, J. Faniel, « Belgique. La concertation sociale interprofessionnelle grippée », Chronique internationale de l’IRES, n° 141, 2013, p. 3-11 ; B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2015 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2015 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2291-2292, 2016, p. 15-19.
  • [12]
    Conseil central de l’économie, Rapport 2016 sur la promotion de l’emploi et la sauvegarde préventive de la compétitivité. Partie 1, CCE 2017-0080, 10 janvier 2017, p. 12 et 21.
  • [13]
    FGTB, Communiqué, 21 décembre 2015.
  • [14]
    Moniteur belge, 29 mars 2017.
  • [15]
    Sur cette réforme, cf. L. Simar, « Le “tax shift” ou glissement fiscal », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2319-2320, 2016.
  • [16]
    Son rapport « présente les résultats relatifs au calcul de la marge maximale disponible pour 2017-2018 qui ont été réalisés dans le cadre du projet de loi modifiant la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité » (Conseil central de l’économie, Rapport 2016 sur la promotion de l’emploi et la sauvegarde préventive de la compétitivité. Partie 1, op. cit., p. 8).
  • [17]
    La Libre Belgique, 19 octobre 2016.
  • [18]
    Depuis le « Pacte de solidarité entre les générations », le gouvernement fédéral alloue tous les deux ans un budget (appelé « enveloppe bien-être ») au relèvement de certaines allocations sociales. Le montant de cette enveloppe est calculé selon un mécanisme déterminé par la loi du 23 décembre 2005 relative au Pacte de solidarité entre les générations. L’affectation de ces moyens est décidée après consultation des interlocuteurs sociaux. En 2012, le gouvernement Di Rupo (PS/CD&V/MR/SP.A/Open VLD/CDH) avait déjà procédé à une réduction de cette enveloppe (alors ramenée à 60 % du montant prévu par la loi).
  • [19]
    Conseil central de l’économie, Rapport 2016 sur la promotion de l’Emploi et la sauvegarde préventive de la Compétitivité. Partie 1, op. cit., p. 21.
  • [20]
    Le Soir, 13 janvier 2017.
  • [21]
    B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2015 », op. cit., p. 17-18.
  • [22]
    La Libre Belgique, 13 janvier 2017.
  • [23]
    Trends-Tendances, 19 janvier 2017.
  • [24]
    L’Écho, 3 février 2017.
  • [25]
    Ibidem.
  • [26]
    L’Écho, 8 février 2017.
  • [27]
    CGSLB, Communiqué, 31 janvier 2017.
  • [28]
    FGTB, Communiqué, 31 janvier 2017.
  • [29]
    Le Soir, 13 janvier 2017.
  • [30]
    CSC, Communiqué, 31 janvier 2017.
  • [31]
    À plusieurs reprises, en 2015, le gouvernement fédéral a souhaité revoir des accords conclus au sein du Groupe des dix, la N-VA (parfois accompagnée de l’Open VLD) remettant en cause certains aspects obtenus par le banc syndical. Cf. B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2015 », op. cit., p. 17-20, 26-27 et 30.
  • [32]
    L’Écho, 1er février 2017.
  • [33]
    CGSLB, CSC, FGTB, « Plus que deux ans pour rétablir une justice sociale et fiscale », Dossier de presse, 19 avril 2017.
  • [34]
    Cf. le site Internet www.legrandbulletin.be.
  • [35]
    Cf. en particulier l’interview de P. Timmermans (FEB) dans L’Écho, 30 août 2017.
  • [36]
    Allusion à la loi du 5 mars 2017 concernant le travail faisable et maniable (Moniteur belge, 15 mars 2017), dite loi Peeters.
  • [37]
    C. Serroyen, D. Vanbellinghen, « Budget 2018. L’avenir des Belges hypothéqué », Syndicaliste, n° 868, 10 septembre 2017, p. 3.
  • [38]
    Écho FGTB, n° 7, septembre 2017, p. 1.
  • [39]
    L’Écho, 27 septembre 2017.
  • [40]
    Ces mouvements sont examinés dans V. Demertzis, « La conflictualité fédérale et régionale dans les services publics » (chapitre 2 de la présente publication).
  • [41]
    Moniteur belge, 21 août 2015 (et erratum : Moniteur belge, 31 août 2015).
  • [42]
    Parmi les questions : Quelle place accorder au premier pilier (la pension légale) ? Quel financement ? Faut-il des pensions forfaitaires ou liées aux montants cotisés ? Quel lien établir entre l’évolution des salaires et celle des pensions ?
  • [43]
    Ce que le Conseil académique des pensions a critiqué publiquement dans une carte blanche (cf. infra).
  • [44]
    Le président de l’Union wallonne des entreprises (UWE), Yves Prete, va plus loin en critiquant la notion même de pénibilité : « Moi, je ne crois pas que le travail soit quelque chose de pénible. Travailler, c’est créer de la richesse (…). 36 heures par semaine, ce n’est pas pénible. Nous sommes un des pays où l’on travaille le moins » (RTBF, cité par La Libre Belgique, 8 mai 2017).
  • [45]
    Le gouvernement amplifie ainsi une mesure prise par le gouvernement Di Rupo. Ce dernier a décidé de ne plus assimiler la troisième période de chômage (après 48 mois de chômage), tandis que le gouvernement Michel étend la disposition à la deuxième période (après un an).
  • [46]
    La longueur moyenne des périodes assimilées est aujourd’hui de 5,6 années. Ce qui implique pour les personnes se trouvant dans cette situation une perte de 152 euros par mois pour les hommes et 133 euros pour les femmes.
  • [47]
    Message publié sous la forme d’une carte blanche dans Le Soir et De Standaard le 18 septembre 2017.
  • [48]
    « Ce qui n’était clairement pas dans notre rapport, c’est que le gouvernement sortirait chaque année une valeur du point de son chapeau. Bien au contraire ! Non seulement une loi devrait fixer de façon très précise les objectifs et les mécanismes d’adaptation, tandis que l’application en serait confiée à un Comité national des pensions où siègent les partenaires sociaux et le gouvernement. Ce Comité fixerait entre autres la valeur du point conformément au cadre légal. »
  • [49]
    L’Écho, 30 novembre 2017.
  • [50]
    CGSLB, CSC, FGTB, « Manifestation pour une pension juste et digne », Tract, 19 décembre 2017.
  • [51]
    Montant qui correspond, selon la FGTB, au coût d’hébergement dans une maison de repos de CPAS.
  • [52]
    FGTB, Communiqué, 19 décembre 2017.
  • [53]
    CSC, Tract, 19 décembre 2017.
  • [54]
    CGSLB, Tract, 19 décembre 2017.
  • [55]
    FEB, Communiqué, 13 décembre 2017.
  • [56]
    Cf. V. Demertzis, « La conflictualité fédérale et régionale dans les services publics », op. cit.
  • [57]
    * Chapitre rédigé par Vaïa Demertzis.
    Cf. B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2017 : l’espace exigu de la négociation » (chapitre 1 de la présente publication).
  • [58]
    Cf. V. Demertzis, R. Poriaux, J. Vandewattyne, « De la grève et du droit de grève dans le secteur du rail en 2017 » (chapitre 3 de la présente publication).
  • [59]
    Les tantièmes préférentiels sont des coefficients de carrière préférentiels entrant dans le calcul de la pension de ces agents.
  • [60]
    Dans le cadre de la concertation et de la négociation sociales dans le secteur public, le Comité A est le comité de négociation commun à l’ensemble des services publics (tous niveaux confondus).
  • [61]
    La loi du 28 avril 2003 relative aux pensions complémentaires et au régime fiscal de celles-ci et de certains avantages complémentaires en matière de sécurité sociale (Moniteur belge, 15 mai 2003) règle les droits et obligations de toutes les parties qui sont concernées par la constitution d’une pension complémentaire pour travailleurs salariés. Cette loi est entrée en vigueur le 1er janvier 2004.
  • [62]
    Cf. le site Internet www.quelesfanesdecarottes.be.
  • [63]
    Cf. V. Demertzis, R. Poriaux, J. Vandewattyne, « De la grève et du droit de grève dans le secteur du rail en 2017 », op. cit.
  • [64]
    CGSP fédérale, Communiqué de presse, 29 août 2017.
  • [65]
    À ce sujet, cf. J. Faniel, C. Istasse, « Le “coup” du 19 juin 2017 : premier bilan », Les @nalyses du CRISP en ligne, 19 juin 2018, www.crisp.be.
  • [66]
    Le Soir, 15 septembre 2017.
  • [67]
    Parlement wallon, Déclaration de politique régionale. La Wallonie plus forte, n° 880/1, 28 juillet 2018 ; Parlement wallon, Compte rendu intégral, n° 26, 28 juillet 2017, p. 23-56.
  • [68]
    C. di Antonio, « Fusion du groupe TEC et organisation du service pour les usagers en cas de grève », Communiqué de presse, 30 novembre 2017, http://diantonio.wallonie.be.
  • [69]
    Parlement wallon, Proposition de décret modifiant le décret du 21 décembre 1989 relatif au service de transport public de personnes en Région wallonne, en vue de garantir la continuité du service public au sein du groupe TEC, déposée par V. De Bue, F. Bellot, P.-Y. Jeholet, P. Dodrimont, O. Maroy et N. Tzanetatos, n° 67/1, 17 novembre 2014.
  • [70]
    Parlement wallon, Proposition de résolution visant à responsabiliser les auteurs de mouvements de grèves sauvages, déposée par D. Fourny, S. Moucheron, V. Waroux et V. Salvi, n° 161/1, 24 mars 2015.
  • [71]
    Cf. Parlement wallon, Commission de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et des Travaux publics, Proposition de décret modifiant le décret du 21 décembre 1989 relatif au service de transport public de personnes en Région wallonne, en vue de garantir la continuité du service public au sein du groupe TEC. Rapport, n° 67/2, 9 octobre 2017 et Proposition de résolution visant à responsabiliser les auteurs de mouvements de grèves sauvages. Rapport, n° 161/2, 9 octobre 2017.
  • [72]
    Parlement wallon, Compte rendu intégral, n° 4, 25 octobre 2017, p. 37-54.
  • [73]
    Décret wallon du 26 octobre 2017 modifiant le décret du 21 décembre 1989 relatif au service de transport public de personnes en Région wallonne, en vue de garantir la continuité du service public au sein du groupe TEC, Moniteur belge, 10 novembre 2017.
  • [74]
    Jusqu’en janvier 2016, V. Peremans a été le chef de cabinet du ministre wallon Carlo Di Antonio (CDH).
  • [75]
    Parlement wallon, Compte rendu intégral, n° 13ter, 28 mars 2018, p. 125.
  • [76]
    Décret wallon du 29 mars 2018 réformant la gouvernance au sein de la Société régionale wallonne du transport et modifiant le décret du 21 décembre 1989 relatif au service de transport public de personnes en Région wallonne, Moniteur belge, 16 avril 2018. La réforme sera avalisée par les actionnaires de la société le 13 juin 2018.
  • [77]
    * Chapitre rédigé par Vaïa Demertzis, Romain Poriaux et Jean Vandewattyne.
    J. Vandewattyne, « SNCB et Infrabel : une année d’extrême tension sociale dans le rail », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2015 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2291-2292, 2016, p. 68-83 ; J. Vandewattyne, « Après 2015, une nouvelle année d’extrême tension sociale dans le rail », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2016 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2341-2342, 2017, p. 45-60.
  • [78]
    Moniteur belge, 17 janvier 2018. Cette loi, qui résulte d’une initiative d’origine gouvernementale, a été adoptée par la Chambre des représentants le 16 novembre 2017.
  • [79]
    J. Vandewattyne, « SNCB et Infrabel : une année d’extrême tension sociale dans le rail », op. cit., p. 69-71.
  • [80]
    La Libre Belgique, 19 avril 2017.
  • [81]
    Moniteur belge, 7 septembre 2016.
  • [82]
    À ce sujet, cf. J. Vandewattyne, « Après 2015, une nouvelle année d’extrême tension sociale dans le rail », op. cit., p. 55-57.
  • [83]
    Jusqu’alors, la représentation des syndicats au sein de l’entreprise publique autonome ferroviaire était déterminée en fonction du nombre de leurs affiliés cotisants, et non sur la base du résultat d’une élection sociale interne.
  • [84]
    Cour constitutionnelle, Arrêt n° 64/2017 du 18 mai 2017.
  • [85]
    Cour constitutionnelle, Arrêt n° 101/2017 du 26 juillet 2017.
  • [86]
    Cf. Chambre des représentants, Projet de loi portant modification de la loi du 23 juillet 1926 relative à la SNCB et au personnel des chemins de fer belges et du Code judiciaire en matière d’élections sociales pour certains organes de dialogue social des chemins de fer belges, n° 2939/1, 13 février 2018.
  • [87]
    Moniteur belge, 22 mars 2018.
  • [88]
    Cf. B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2016 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2016 », op. cit., p. 13-15.
  • [89]
    Décret wallon du 26 octobre 2017 modifiant le décret du 21 décembre 1989 relatif au service de transport public de personnes en Région wallonne, en vue de garantir la continuité du service public au sein du groupe TEC (Moniteur belge, 10 novembre 2017).
  • [90]
    Cf. V. Demertzis, « SNCB, prisons et Belgocontrol : le débat sur le “service minimum” », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2014 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2246-2247, 2015, p. 86-95 ; J. Vandewattyne, « SNCB et Infrabel : une année d’extrême tension sociale dans le rail », op. cit., p. 74-82 ; J. Vandewattyne, « Après 2015, une nouvelle année d’extrême tension sociale dans le rail », op. cit., p. 57-58.
  • [91]
    Cf. B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2017 : l’espace exigu de la négociation » (chapitre 1 de la présente publication) ; V. Demertzis, « La conflictualité fédérale et régionale dans les services publics » (chapitre 2 de la présente publication).
  • [92]
    CGSP fédérale, Communiqué de presse, 29 août 2017.
  • [93]
    Cf., par exemple, Chambre des représentants, Proposition de loi visant à garantir le service public dans le cadre du transport ferroviaire intérieur de voyageurs, déposée par Inez De Coninck (N-VA), n° 1360/1, 8 octobre 2015 ; Chambre des représentants, Proposition de loi modifiant la loi du 19 août 1948 relative aux prestations d’intérêt public en temps de paix, visant à garantir l’accomplissement de certaines prestations d’intérêt public fédéral en cas de grève dans le service public, déposée par Catherine Fonck (CDH), n° 1907/1, 17 juin 2016.
  • [94]
    SPF Chancellerie du Premier ministre, « Garantir la continuité du service de transport ferroviaire de personnes en cas de grève », Communiqué de presse, 19 mai 2017, http://premier.fgov.be.
  • [95]
    95 Cf. Chambre des représentants, Projet de loi relatif à la continuité du service public de transport ferroviaire de personnes en cas de grève, n° 2650/1, 25 août 2017, p. 21-29.
  • [96]
    96 Conseil d’État, Section de législation, Avis 61.570/4, 14 juin 2017 (cf. ibidem, p. 36-20).
  • [97]
    CGSP-Cheminots, « Commission paritaire nationale. Compte rendu succinct de la réunion du 28 juin 2017 », s.d. [document mis en ligne le 4 juillet 2017], www.cheminots.be.
  • [98]
    HR-Rail, « Commission paritaire nationale du 28 juin 2017. Avis concernant le document 275/15 “Avant-projet de loi visant à garantir la continuité du service public de transport ferroviaire de personnes en cas de grève”, à la demande de Monsieur Bellot, ministre de la Mobilité, chargé de Belgocontrol et de la SNCB, dans une lettre du 31 mai 2017, soumis à la Commission paritaire nationale du 28 juin 2017 », 3 juillet 2017 (document reproduit dans Chambre des représentants, Commission de l’Infrastructure, des Communications et des Entreprises publiques, Projet de loi relatif à la continuité du service public de transport ferroviaire de personnes en cas de grève. Proposition de loi visant à garantir le service public dans le cadre du transport ferroviaire intérieur de voyageurs. Proposition de loi modifiant la loi du 19 août 1948 relative aux prestations d’intérêt public en temps de paix, visant à garantir l’accomplissement de certaines prestations d’intérêt public fédéral en cas de grève dans le service public. Rapport de la première lecture, n° 2650/3, 12 octobre 2017, p. 36-39).
  • [99]
    Ibidem.
  • [100]
    RTBF Info, 23 août 2017.
  • [101]
    Au sujet de cet acteur, cf. S. Govaert, « Hart boven Hard et Tout autre chose », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2262, 2015 ; R. Van Leeckwyck, « La communication des mouvements sociaux : Alliance D19-20 et Tout autre chose », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2323, 2016.
  • [102]
    Chambre des représentants, Projet de loi relatif à la continuité du service public de transport ferroviaire de personnes en cas de grève, n° 2650/1, 25 août 2017, p. 4-20 et 51-54.
  • [103]
    Cette commission est composée de 17 députés à savoir 11 de la majorité et 6 de l’opposition : 4 N-VA, 3 MR, 3 PS, 2 CD&V, 2 Open VLD, 1 CDH, 1 Écolo, 1 SP.A et 1 VB (ce dernier n’ayant pas de voix délibérative).
  • [104]
    104 Cf. Chambre des représentants, Commission de l’Infrastructure, des Communications et des Entreprises publiques, Projet de loi relatif à la continuité du service public de transport ferroviaire de personnes en cas de grève (…). Rapport de la première lecture, n° 2650/3, 12 octobre 2017.
  • [105]
    105 Cf. Chambre des représentants, Commission de l’Infrastructure, des Communications et des Entreprises publiques, Projet de loi relatif à la continuité du service public de transport ferroviaire de personnes en cas de grève (…). Rapport de la deuxième lecture, n° 2650/6, 26 octobre 2017. Cf. Chambre des représentants, Commission de l’Infrastructure, des Communications et des Entreprises publiques, Projet de loi relatif à la continuité du service public de transport ferroviaire de personnes en cas de grève. Texte adopté en deuxième lecture, n° 2650/7, 26 octobre 2017.
  • [106]
    Chambre des représentants, Compte rendu intégral, n° 197, 16 novembre 2017, p. 54-98.
  • [107]
    Ibidem, p. 117-120 et 128-129. Cf. Chambre des représentants, Projet de loi relatif à la continuité du service public de transport ferroviaire de personnes en cas de grève. Texte adopté en séance plénière et soumis à la sanction royale, n° 2650/9, 16 novembre 2017.
  • [108]
    Cette loi est entrée en vigueur le 7 mars 2018.
  • [109]
    * Chapitre rédigé par Anne Dufresne, Cédric Leterme et Jean Vandewattyne.
    L’expression a été inventée en 2014 par le journaliste allemand Sascha Lobo (Der Spiegel), qui a employé l’expression « Plateform Kapitalism » en lieu et place de celle de « Sharing Economy » (S. Lobo, « Auf dem Weg in die Dumpinghölle », Der Spiegel, 3 septembre 2014, www.spiegel.de).
  • [110]
    [A. Acquier], « Retour vers le futur : quand le capitalisme de plate-forme nous renvoie au “domestic system” préindustriel », The Conversation, 3 septembre 2017, https://theconversation.com.
  • [111]
    Sur ce point, cf. notamment M. Lambrecht, « L’économie des plateformes collaboratives », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2311-2312, 2016, p. 7-17 ; R. Botsman, « The Sharing Economy Lacks A Shared Definition », Fast Company, 21 novembre 2013, www.fastcompany.com.
  • [112]
    R. Vaughan, R. Daverio, « Assessing the Size and Presence of the Collaborative Economy in Europe », PriceWaterhouseCoopers (PWC), avril 2016, www.pwc.co.uk (cf. aussi PWC, « Économie collaborative : prévision de 83 milliards d’euros de chiffre d’affaires en Europe d’ici 2025 », Communiqué de presse, 5 septembre 2016, www.pwc.fr).
  • [113]
    Cf. notamment M. Lambrecht, « L’économie des plateformes collaboratives », op. cit., p. 18-40.
  • [114]
    [A. Acquier], « Retour vers le futur », op. cit.
  • [115]
    Il existe en effet un cœur d’employés « traditionnels » dans ces entreprises, qui s’occupent par exemple des fonctions de marketing, de développement informatique ou encore de direction.
  • [116]
    Cf. par exemple A. Sundararajan, « L’avenir du travail », Fonds monétaire international (FMI), Finances et développement, juin 2017, www.imf.org, p. 7-11 ; D. Evans, R. Schmalensee, De précieux intermédiaires : comment Blablacar, Facebook, PayPal ou Uber créent de la valeur, Paris, Odile Jacob, 2017.
  • [117]
    C’est ainsi que, lors de la campagne pour les élections présidentielles françaises, le candidat Emmanuel Macron déclarait en novembre 2016 à Médiapart que des entreprises comme Uber constituent une chance pour les jeunes de banlieues de pouvoir exercer un travail légal.
  • [118]
    T. Scholz, « Plateform Cooperativism: Challenging the Corporate Sharing Economy », Resilience, 13 mai 2016, www.resilience.org.
  • [119]
    Cf. notamment M. Lambrecht, « L’économie des plateformes collaboratives », op. cit., p. 41-76.
  • [120]
    Commission européenne, Un agenda européen pour l’économie collaborative, Communication au Parlement européen, au Conseil de l’Union européenne, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, COM(2016) 356 final, 2 juin 2016.
  • [121]
    À savoir la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (Journal officiel des Communautés européennes, L 178, 17 juillet 2000), dite directive sur le commerce électronique, et la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (Journal officiel de l’Union européenne, L 376, 27 décembre 2006).
  • [122]
    CJUE (Grande chambre), Affaire C-434/15, Asociación Profesional Elite Taxi contre Uber Systems SpainSL, 20 décembre 2017, http://curia.europa.eu. Concernant le cas Uber, cf. B. Bauraind, C. Vanroelen, « L’effet de la numérisation de l’économie sur la conflictualité sociale : le secteur des taxis bruxellois contre Uber », in I. Gracos, « Grève et conflictualité sociale en 2015 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2291-2292, 2016, p. 57-67 ; M. Lambrecht, « L’économie des plateformes collaboratives », op. cit., p. 41-56.
  • [123]
    Loi-programme du 1er juillet 2016 (Moniteur belge, 4 juillet 2016) ; Arrêté royal du 12 janvier 2017 portant exécution de l’article 90, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus, en ce qui concerne les conditions d’agrément des plateformes électroniques de l’économie collaborative, et soumettant les revenus visés à l’article 90, alinéa 1er, 1°bis, du Code des impôts sur les revenus, au précompte professionnel (Moniteur belge, 24 janvier 2017). À ce sujet, cf. M. Lambrecht, « L’économie des plateformes collaboratives », op. cit., p. 67-70.
  • [124]
    Il existe des structures semblables dans divers autres pays.
  • [125]
    Fin 2016, elle est devenue « SMartCoop », société coopérative à responsabilité limitée à finalité sociale (SCRLFS). Elle compte aujourd’hui 12 bureaux en Belgique, 85 000 membres et est présente dans huit autres pays d’Europe.
  • [126]
    SMart, « Annexe Deliveroo », Document à usage interne, 25 octobre 2017, http://smartbe.be.
  • [127]
    En Belgique, les salaires minimum sont fixés par des conventions collectives de travail (CCT) conclues au sein du Conseil national du travail (CNT) ou des commissions paritaires. Le montant dépend de la fonction, de l’âge et de l’ancienneté du travailleur. Le montant mensuel brut du salaire minimum général interprofessionnel est de 1 559,38 euros pour les travailleurs âgés d’au moins 22 ans et qui comptent une ancienneté de 12 mois. Il varie entre 1 051 et 1 411 euros (toujours en mensuel brut) entre 16 et 20 ans.
  • [128]
    La législation belge interdit des CDD de moins d’une journée de travail, journée qui doit comporter au minimum 3 heures.
  • [129]
    Pour la situation en 2016, cf. R. Custers, « Les übers en vélo », Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative (GRESEA), Newsflash n° 153, 17 juin 2016, www.gresea.be.
  • [130]
    Le fonds de garantie commerciale de SMart est alimenté par l’ensemble des membres de l’entreprise SMart. Il est partagé sur la base d’un système mutualiste et redistributif. Le coût de l’opération pour la faillite de TEE est de 400 000 euros.
  • [131]
    Le Figaro, 25 septembre 2017.
  • [132]
    Le service clientèle intervient par téléphone dès qu’un problème se pose dans la chaîne de commande : crevaison de pneu du vélo d’un coursier, adresse introuvable, client absent, refus de la commande, etc.
  • [133]
    Les 14 travailleurs de ce service font eux-mêmes partie des 30 travailleurs « permanents » de Deliveroo à Bruxelles : opérateurs téléphoniques, responsables marketing, responsables de l’élaboration des contrats avec les restaurateurs.
  • [134]
    SMart, « Le gouvernement dérégule, Deliveroo renonce aux coursiers salariés ! », Communiqué de presse, 25 octobre 2017.
  • [135]
    Collectif des coursier.e.s, Tract, 24 novembre 2017.
  • [136]
    L’initiative Masse critique est une balade en vélo collective, qui notamment se tient chaque dernier vendredi du mois à Bruxelles et a pour mot d’ordre « Le vélo dans la ville ». Elle suit un trajet le plus souvent aléatoire, sauf en cas d’événements ou de rencontres comme dans le cas présent.
  • [137]
    Collectif des coursier.e.s, Tract, 24 novembre 2017.
  • [138]
    Cf. A. Dufresne, R. Custers, « “Deliveroo, t’es foutu, les vélos sont dans la rue !” », GRESEA, 1er décembre 2017, www.gresea.be.
  • [139]
    L’Écho, 25 octobre 2017.
  • [140]
    L’Écho, 22 novembre 2017.
  • [141]
    La législation belge sur l’économie collaborative prévoit, entre autres, la levée de nombreuses barrières administratives ou encore l’exemption de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de cotisations sociales à hauteur de 5 100 euros par an (cf. supra).
  • [142]
    RTBF Info, 24 janvier 2018, www.rtbf.be.
  • [143]
    Le Soir, 25 janvier 2018.
  • [144]
    Le Vif/L’Express, 30 janvier 2018.
  • [145]
    RTBF Info, 26 janvier 2018, www.rtbf.be.
  • [146]
    RTBF Info, 29 janvier 2018, www.rtbf.be.
  • [147]
    RTBF Info, 29 janvier 2018, www.rtbf.be.
  • [148]
    Établie auprès du SPF Sécurité sociale, la CRT a pour mission de décider de la nature des relations de travail pour lesquelles un doute existe à ce propos. Concrètement, elle examine les dossiers qui lui sont soumis par les personnes intéressées pour déterminer si celles-ci doivent être considérées comme des travailleurs indépendants ou comme des travailleurs salariés. Ses membres se répartissent entre une chambre française et une chambre néerlandaise ; ils sont issus du SPF Sécurité sociale, du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale, de l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (INASTI) et de l’Office national de la sécurité sociale (ONSS).
  • [149]
    D. Gosuin, « Redéfinir ce qu’est réellement l’économie collaborative », février 2018, www.didiergosuin.brussels.
  • [150]
    La Libre Belgique, 7 février 2018.
  • [151]
    Cf. Chambre des représentants, Projet de loi relati[f] à la relance économique et au renforcement de la cohésion sociale, n° 2839/1, 11 décembre 2017.
  • [152]
    Assemblée de la COCOF, Proposition de motion relative à un conflit d’intérêts concernant le projet de loi relative à la relance économique et au renforcement de la cohésion sociale, déposée par C. Moureaux (PS), C. Persoons (Défi) et H. Fassi- Fihri (CDH), n° 95/1, 17 janvier 2018. Cf. aussi Assemblée de la COCOF, Compte rendu, n° 58, 19 janvier 2018, p. 6-22 et 31 ; Chambre des représentants, Projet de loi relati[f] à la relance économique et au renforcement de la cohésion sociale. Conflit d’intérêts. Rapport sur la concertation entre la délégation de la Chambre des représentants et la délégation de l’Assemblée de la Commission communautaire française, n° 2839/19, 19 avril 2018.
  • [153]
    A. Jehin, « Coursiers à vélo et Deliveroo : les enseignements d’un combat social », SMart, 6 juillet 2018, http://smartbe.be.
  • [154]
    Loi du 18 juillet 2018 relative à la relance économique et au renforcement de la cohésion sociale, Moniteur belge, 26 juillet 2018.
  • [155]
    K. Vandaele, « Les syndicats sur le qui-vive pour soutenir les travailleurs des plateformes : l’exemple des livreurs de repas », Chronique internationale de l’IRES, n° 160, 2017, p. 86.
  • [156]
    L’Écho, 4 septembre 2017.
  • [157]
    La Dernière Heure, 3 octobre 2017.
  • [158]
    Cf. B. Bauraind, C. Vanroelen, « L’effet de la numérisation de l’économie sur la conflictualité sociale : le secteur des taxis bruxellois contre Uber », op. cit.
  • [159]
    SETCA, Communiqué de presse, 30 octobre 2017, www.setca.org.
  • [160]
    Intervention au centre socio-culturel Garcia Lorca (Bruxelles), le 25 avril 2018.
  • [161]
    * Chapitre rédigé par Bruno Bauraind.
    G. Caire, La grève ouvrière, Paris, Éditions ouvrières, 1978.
  • [162]
    « FN Herstal », in CRISP, L’actionnariat des entreprises wallonnes, www.actionnariatwallon.be.
  • [163]
    J.-M. Denis (dir.), Le conflit en grève ? Tendances et perspectives de la conflictualité contemporaine, Paris, La Dispute, 2005.
  • [164]
    Giat Industries porte aujourd’hui le nom de Nexter. Il s’agit d’un groupe appartenant à l’État français.
  • [165]
    L. Manpaey, « Herstal, le piège de la privatisation », Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), 15 janvier 2016, www.grip.org.
  • [166]
    Pour une analyse historique du groupe Herstal, cf. L. Manpaey, « Groupe Herstal S.A. L’heure des décisions », GRIP, Rapport n° 6, 2000, www.grip.org (et mise à jour : L. Manpaey, « Herstal, le piège de la privatisation », op. cit.).
  • [167]
    GRIP, Base de données de l’industrie de l’armement en Belgique, https://production.grip.org.
  • [168]
    Outre le fait d’appartenir au pilier socialiste, J.-C. Marcourt partage avec la MWB-FGTB les thèses du régionalisme wallon.
  • [169]
    A. Francotte, C. Gaier, R. Karlshausen, Ars Mechanica : le grand livre de la FN. Une aventure industrielle extraordinaire, Bruxelles/Herstal, La Renaissance du Livre/FN Herstal, 2007.
  • [170]
    Par exemple, Jean-Sébastien Belle, ancien chef de cabinet du ministre Marcourt, est président du conseil d’administration, et Louis Smal, ancien syndicaliste de la CSC-METEA, est administrateur (cf. les comptes annuels 2017 de la FN Herstal, déposés à la Banque nationale de Belgique (BNB) le 25 juin 2018 : https://cri.nbb.be).
  • [171]
    RTL Info, 13 janvier 2016 ; L’Écho, 11 octobre 2017.
  • [172]
    RTBF Info, 6 septembre 2017 ; L’Écho, 30 août 2017.
  • [173]
    Concernant cet AIP, cf. B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2017 : l’espace exigu de la négociation » (chapitre 1 de la présente publication).
  • [174]
    Le Soir, 28-29 octobre 2017.
  • [175]
    Commission paritaire 111.1&2 (Construction métallique, mécanique et électrique), CCT du 15 mai 2017 portant sur l’AIP 2017-2018.
  • [176]
    Cf. B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2017 : l’espace exigu de la négociation », op. cit.
  • [177]
    L’Écho, 28 septembre 2017.
  • [178]
    L’Avenir, 5 octobre 2017.
  • [179]
    L’Écho, 5 octobre 2017.
  • [180]
    Ibidem.
  • [181]
    Ibidem.
  • [182]
    L’Écho, 10 octobre 2017.
  • [183]
    En 2009, les métallos de la FGTB avaient fait grève pendant trois semaines, car ils refusaient les écochèques proposés par la direction et voulaient au contraire du salaire brut.
  • [184]
    Ibidem.
  • [185]
    L’Écho, 24 octobre 2017.
  • [186]
    Le Soir, 24 octobre 2017.
  • [187]
    Ibidem.
  • [188]
    L’Écho, 27 octobre 2017.
  • [189]
    Ibidem.
  • [190]
    La Libre Belgique, 29 octobre 2017.
  • [191]
    La Libre Belgique, 25 octobre 2017.
  • [192]
    La Libre Belgique, 27 octobre 2017.
  • [193]
    La Libre Belgique, 25 octobre 2017.
  • [194]
    Ministre-président wallon, Communiqué de presse, 30 octobre 2017.
  • [195]
    La Libre Belgique, 2 novembre 2017.
  • [196]
    Le Soir, 28-29 octobre 2017 ; L’Écho, 2 novembre 2017.
  • [197]
    J. Faniel, C. Istasse, « Le “coup” du 19 juin 2017 : premier bilan », Les @nalyses du CRISP en ligne, 19 juin 2018, www.crisp.be.
  • [198]
    A. Dufresne, Le salaire, un enjeu pour l’eurosyndicalisme. Histoire de la coordination des négociations collectives nationales, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2010.
  • [199]
    * Chapitre rédigé par Natalia Hirtz et Bruno Bauraind.
    Cf. le site Internet de BTT : www.belgiumtt.com.
  • [200]
    ReMaTec, « Looking to the Future », www.rematec.com.
  • [201]
    Meritor, Rapport annuel, 2015.
  • [202]
    Les trois principaux actionnaires (Vanguard Group Inc., BlackRock et Glenview Capital Management) détiennent ensemble plus de 25 % du groupe en 2017.
  • [203]
    Cf. le site Internet de Meritor : www.meritor.com.
  • [204]
    RTBF Info, 3 octobre 2012.
  • [205]
    RTBF Info, 3 octobre 2012.
  • [206]
    L’employeur est légalement tenu de notifier le projet de licenciement collectif, par pli postal recommandé, au directeur du service régional de l’emploi du lieu où est situé l’entreprise (donc, en Wallonie, le FOREM) et au président du comité de direction du Service public fédéral (SPF) Emploi, Travail et Concertation sociale. Cette notification doit contenir les données administratives de l’entreprise, le nombre de travailleurs occupés habituellement, les raisons des licenciements projetés, le nombre de travailleurs concernés et l’époque du licenciement à venir.
  • [207]
    À ce propos, cf. A. Bingen, « La maîtrise du temps lors des annonces de licenciements collectifs. L’effet de la loi Renault en Belgique », La nouvelle revue du travail, n° 8, 2016, https://journals.openedition.org/nrt.
  • [208]
    RTBF Info, 3 août 2016.
  • [209]
    La Meuse, 10 novembre 2016.
  • [210]
    Ceci rappelle que la définition institutionnelle de la grève et les statistiques qui sont construites à partir de celle-ci doivent toujours être nuancées. En effet, pendant une journée, la cinquantaine de travailleurs de Truck Technic a organisé collectivement un arrêt de travail qui ne sera pourtant pas comptabilisé dans les statistiques publiées dans le livre bleu de l’ONEM, car la direction ne l’a simplement pas déclaré.
  • [211]
    L’Avenir, 24 novembre 2016. Le régime de chômage avec complément d’entreprise (autrefois « prépension ») est un système où les travailleurs d’un certain âge qui sont licenciés ont droit aux allocations de chômage et à une indemnité complémentaire appelée complément d’entreprise à charge de leur ex-employeur. Si l’entreprise est reconnue en restructuration, le seuil d’âge peut être abaissé jusqu’à 56 ans en 2016.
  • [212]
    Le différentiel est la pièce mécanique qui a pour fonction de distribuer une vitesse de rotation par répartition de l’effort cinétique. C’est cette pièce qui permet aux roues de tourner à des vitesses différentes lors d’une courbe (les roues situés à l’intérieur du virage tournant moins vite que celles situées à l’extérieur).
  • [213]
    Métallurgistes Wallonie-Bruxelles, 6com, 5 décembre 2017, www.metallos.be.
  • [214]
    Certains d’entre eux solliciteront plus tard l’intervention de la CNE pour débloquer la situation (cf. infra).
  • [215]
    Cf. le court-métrage réalisé par le Form’Action André Renard : « Truck Technic. Occupation de l’entreprise par les travailleurs », La Peinture Rouge Prod, 2015.
  • [216]
    En février 2012, la direction allemande de Meister avait envoyé une milice privée pour « vider » les locaux de la filiale liégeoise occupés par les travailleurs. À ce propos, cf. M. Capron, « Meister Benelux à Sprimont : la violence d’un commando patronal », dans I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2012. I. Grève générale et secteur privé », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2172-2173, 2013, p. 67-72.
  • [217]
    En avril 2016, des sidérurgistes liégeois de la firme ESB avaient détruit une partie des locaux de l’entreprise et séquestré brièvement leur patron après avoir appris que les salaires des trois derniers mois ne leur seraient pas versés et que le repreneur annoncé n’avait pas les moyens d’assurer le plan industriel.
  • [218]
    Page Facebook « Arvin truck résistance », 19 décembre 2016.
  • [219]
    Page Facebook « Arvin truck résistance », 22 décembre 2016.
  • [220]
    Selon les salariés, ce refus pourrait les empêcher à l’avenir de faire valoir en justice le lien éventuel entre l’utilisation de produits dangereux et des maladies futures qu’ils pourraient développer.
  • [221]
    Page Facebook « Arvin truck résistance », 13 décembre 2016.
  • [222]
    Sur la page Facebook, un travailleur indique que 70 % des contrats concernent des ouvriers ayant moins de 6 ans d’ancienneté.
  • [223]
    Form’Action André Renard, « Truck Technic. Occupation de l’entreprise par les travailleurs », op. cit.
  • [224]
    À savoir notamment la RTBF, RTC Télé Liège, La Dernière Heure.
  • [225]
    Le Soir, 13 janvier 2017 ; La Dernière Heure, 13 et 16 janvier 2017 ; RTC Télé Liège, 16 janvier 2017.
  • [226]
    La Dernière Heure, 13 janvier 2017 ; Le Soir, 13 janvier 2017 ; RTC Télé Liège, 16 janvier 2017.
  • [227]
    Propage-s est une agence-conseil en économie sociale liée à la FGTB et agréée depuis 2009 par la Région wallonne. Elle vise à stimuler et à accompagner les projets d’économie sociale.
  • [228]
    Celui-ci cesse d’être ministre wallon de l’Économie et de l’Industrie le 28 juillet 2017, suite à l’installation du gouvernement Borsus (MR/CDH) en remplacement du gouvernement Magnette (PS/CDH).
  • [229]
    La SOWECSOM a été créée en 1995 par la Société régionale d’investissement de Wallonie (SRIW) en collaboration avec le gouvernement wallon et les organisations syndicales ; elle a pour mission de financer des projets d’économie sociale en Wallonie.
  • [230]
    Le Soir, 23 décembre 2017.
  • [231]
    Cf. L. Mélon, M.-C. Trionfetti, « Les solidarités multiples au cœur du conflit social de l’institution Mistral » (chapitre 7 de la présente publication).
  • [232]
    Truflo Rona est une filiale du groupe pétrochimique britannique IMI Plc. Le 2 octobre 2017, la direction du site herstalien, qui compte 104 travailleurs, annonce la fermeture de l’usine et la délocalisation de l’activité. Début décembre, alors que la procédure Renault débute, la direction emporte une commande pendant la nuit sans en avoir averti les salariés. En réaction, ceux-ci décident la grève et l’occupation de l’usine. Après une cinquantaine de jours de grève, les travailleurs avalisent, le 19 janvier 2018, un plan social et un plan industriel concédés par l’entreprise britannique : outre les traditionnelles indemnités de départ, Truflo Rona cède les machines-outils aux travailleurs, ce qui laisse entrevoir une relance de l’activité en coopérative.
  • [233]
    À la mi-décembre 2017, la nouvelle maison mère états-unienne de l’entreprise sprimontoise Parker Hannifin (anciennement Bekaert) annonce son intention de fermer le site, qui emploie 44 travailleurs. En réaction, les salariés décident d’occuper l’usine. À la différence de ceux de Truflo Rona ou de Truck Technic, ils ont peu recours à la grève : ils continuent à produire pour la firme tout en occupant les locaux. En effet, lors des réunions de la première phase de la procédure Renault, la direction a laissé entrevoir la possibilité d’un rachat de la filiale sprimontoise par une autre entreprise. À la mi-avril 2018, aucun acheteur n’est cependant encore officiellement identifié.
  • [234]
    * Chapitre rédigé par Laetitia Mélon et Maria-Cécilia Trionfetti.
    Historiquement, Mistral est née d’une initiative de parents touchés par l’autisme de leurs enfants adultes. L’asbl AAA-Mistral a été créée en 1987, et l’institution Mistral – qui est un service résidentiel pour adultes (SRA) – a ouvert ses portes en juillet 1994.
  • [235]
    L’Avenir.net, 21 septembre 2017.
  • [236]
    Au sein de la sous-commission paritaire 319.02, il est prévu qu’un préavis de grève de 14 jours calendrier soit déposé par les organisations syndicales au président de la sous-commission paritaire et à l’employeur (article 2 de l’arrêté royal du 21 juin 1999 rendant obligatoire la décision du 12 janvier 1999 prise au sein de la sous-commission paritaire des maisons d’éducation et d’hébergement de la Communauté française, en exécution de la loi du 19 août 1948 concernant les prestations d’intérêt public en temps de paix, Moniteur belge, 9 décembre 1999).
  • [237]
    Arrêté royal du 21 juin 1999 précité.
  • [238]
    RTBF Info, 2 octobre 2017.
  • [239]
    Fonds social sectoriel (sous-commission paritaire 319.02) qui promeut la formation continuée notamment au sein du secteur de l’aide aux personnes handicapées.
  • [240]
    L’Avenir.net, 19 octobre 2017.
  • [241]
    Cf. l’annexe statistique de la présente livraison du Courrier hebdomadaire.
  • [242]
    Les années sans AIP (2013 et 2014, par exemple) sont plus conflictuelles : cf. K. Vandaele, « Annexe : les jours de grèves en 2015-2016 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2016 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2341-2342, 2017, p. 118.
  • [243]
    La norme salariale est désormais assortie de sanctions pour les entreprises qui ne la respecteraient pas.
  • [244]
    RTBF Info, 15 septembre 2017.
  • [245]
    CRISP, L’actionnariat des entreprises wallonnes, www.actionnariatwallon.be.
  • [246]
    Même si les conflits dans des entreprises plus petites pèsent moins dans les statistiques de jours de grève.
  • [247]
    R. Hyman, Strikes, Londres, Fontana, 1972.
  • [248]
    K. Vandaele, « Les syndicats sur le qui-vive pour soutenir les travailleurs des plateformes : l’exemple des livreurs de repas », Chronique internationale de l’IRES, n° 160, 2017, p. 85-100.
  • [249]
    J. Faniel, « Nombre d’affilié.e.s : une chute inhabituelle », Politique, revue belge d’analyse et de débat, n° 104, 2018, p. 37.
  • [250]
    D. M. Buttigieg, S. J. Deery, R. D. Iverson, « Union Mobilization: A Consideration of the Factors Affecting the Willingness of Union Members to Take Industrial Action », British Journal of Industrial Relations, volume 46, n° 2, 2008, p. 248-267.
  • [251]
    * Annexe rédigée par Kurt Vandaele.
    Cf. K. Vandaele, « Les statistiques de grèves et leur exploitation », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2079, 2010, p. 19-20.
  • [252]
    Auparavant, c’était l’Institut national de statistique (INS) – actuelle Direction générale Statistique (Statbel) du SPF Économie, PME, Classe moyenne et Énergie – qui assurait la collecte des statistiques sur les grèves et en garantissait la qualité.
  • [253]
    Le 1er janvier 2017, l’ONSSAPL – qui, entre-temps, avait fusionné avec l’Office de sécurité sociale d’outre-mer (OSSOM) pour former l’Office des régimes particuliers de sécurité sociale (ORPSS) – a été englobé dans l’ONSS.
  • [254]
    Le 1er janvier 2018, la CSPM a été intégrée à l’ONSS et à la Caisse auxiliaire d’assurance maladie-invalidité (CAAMI).
  • [255]
    Sur la base des statistiques en ligne, il est possible de comparer les jours de grève au sein des secteurs économiques et des commissions paritaires, et selon le sexe et le statut des travailleurs.
  • [256]
    Cf. K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève en 2012-2013 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2013 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2208-2209, 2014, p. 105-109 ; K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève en 2013-2014 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2014 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2246-2247, 2015, p. 103-108 ; K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève en 2014-2015 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2015 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2291-2292, 2016, p. 109-118 ; K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève en 2015-2016 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2016 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2341-2342, 2017, p. 118-130.
  • [257]
    K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève durant la période 1991-2011 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2011 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2135-2136, 2012, p. 111-121 ; K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève en 2011-2012 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2012. II. Secteur public et questions européennes », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2174-2175, 2013, p. 82-86 ; K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grève en 2012-2013 », op. cit.
  • [258]
    Le deuxième trimestre de 2015 a été marqué par une grève dans les services publics le 22 avril, à l’appel de la CGSP (cf. B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2015 », in I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2015 », op. cit, p. 21-23).
  • [259]
    De même qu’il existait déjà une rupture statistique en 2002, la sous-estimation étant plus importante encore pour la période antérieure à cette année (cf. supra).
  • [260]
    Cela vaut bien entendu aussi pour les institutions qui n’étaient pas reprises avant 2003.
  • [261]
    Tous les autres secteurs économiques possèdent un coefficient de détermination plus faible ; ils ne sont pas repris dans le graphique 2.
  • [262]
    Si nous combinons les anciennes statistiques de grève sous-estimées avec le pourcentage de sous-estimation basé sur le secteur « Production et distribution d’eau ; assainissement, gestion des déchets et dépollution », nous obtenons le nombre de jours de grève suivant : 236 971 en 2013, 864 314 en 2014, 263 431 en 2015 et 466 290 en 2016. La différence avec les statistiques de grève révisées et réelles se présente comme suit : une surestimation de 5 771 (+ 2,4 %), 10 959 (+ 1,3 %) et 5 028 (+ 1,9 %) jours de grève respectivement en 2013, 2014 et 2015, et une sous-estimation de 15 464 (– 3,3 %) jours de grève en 2016.
  • [263]
    Le nouveau code NACE de 2008 atténue peut-être la fiabilité ou la précision de la détermination du pourcentage de sous-estimation avant 2008 au moyen du secteur « Production et distribution d’eau ; assainissement, gestion des déchets et dépollution ». Sur la base des données disponibles au moment de la rédaction de la présente annexe, il est également possible de calculer les pourcentages de sous-estimation en fonction des commissions paritaires ou du sexe et du statut des travailleurs. Ces pourcentages ne peuvent être appliqués qu’à partir de 2003 (le nombre de jours de grève selon les commissions paritaires ou le sexe et le statut des travailleurs n’est pas disponible pour la période 1991-2002).
  • [264]
    Cf. B. Conter, J. Faniel, « La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2017 : l’espace exigu de la négociation » (chapitre 1 de la présente publication) ; V. Demertzis, « La conflictualité fédérale et régionale dans les services publics » (chapitre 2 de la présente publication).
  • [265]
    À ce propos, cf. K. Vandaele, « Annexe : Les jours de grèves en 2015-2016 », op. cit., p. 121-125.
  • [266]
    Le nombre de jours de grève réels demeure sous-estimé : d’une part, tous les employeurs ne complètent pas scrupuleusement les déclarations trimestrielles et, d’autre part, des jours de grève peuvent encore être considérés comme des jours prestés suite au compromis atteint après une grève.
  1. Avant-propos
  2. Introduction
  3. 1. La conflictualité sociale interprofessionnelle en 2017 : l’espace exigu de la négociation
    1. 1.1. Un AIP attendu dans un cadre revu
      1. 1.1.1. Révision de la loi de 1996 et pression sur les interlocuteurs sociaux
      2. 1.1.2. Un AIP conclu rapidement
    2. 1.2. Une opposition syndicale persistante envers le gouvernement fédéral
    3. 1.3. Les pensions au centre de la conflictualité sociale interprofessionnelle
      1. 1.3.1. Le temps de la négociation
      2. 1.3.2. Le temps de la mobilisation
    4. 1.4. Conclusion
  4. 2. La conflictualité fédérale et régionale dans les services publics
    1. 2.1. Les tensions au niveau fédéral
      1. 2.1.1. Le dossier des pensions du secteur public
      2. 2.1.2. Le conclave budgétaire de l’été 2017
      3. 2.1.3. Le point culminant de la conflictualité sociale dans le secteur public
    2. 2.2. Les tensions au niveau régional wallon
      1. 2.2.1. Les transports en commun flamands (De Lijn)
      2. 2.2.2. La fonction publique wallonne
      3. 2.2.3. Les transports en commun wallons (TEC)
    3. 2.3. Conclusion 
  5. 3. De la grève et du droit de grève dans le secteur du rail en 2017
    1. 3.1. Trois éléments de l’actualité sociale dans le rail
      1. 3.1.1. Deux changements de direction à la tête du rail
      2. 3.1.2. L’aboutissement de deux procédures judiciaires
      3. 3.1.3. L’échec des négociations en interne sur l’instauration du service garanti
    2. 3.2. Mobilisation intersectorielle et points de tension multiples
    3. 3.3. Négociation politique sur l’instauration du service garanti
      1. 3.3.1. L’avant-projet de loi
      2. 3.3.2. La Commission paritaire nationale
      3. 3.3.3. Le processus parlementaire
    4. 3.4. Conclusion
  6. 4. Les mobilisations du Collectif des coursier.e.s contre Deliveroo
    1. 4.1. Le « capitalisme de plateforme » et ses enjeux
    2. 4.2. Le Collectif des coursier.e.s
      1. 4.2.1. L’époque de Take Eat Easy
      2. 4.2.2. La délocalisation du service clientèle de Deliveroo
      3. 4.2.3. Les actions contre la fin de la convention SMart et le retour du travail à la tâche
    3. 4.3. Un échange mutuel d’expérience entre syndicats traditionnels et nouveaux acteurs
    4. 4.4. Conclusion
  7. 5. FN Herstal : un conflit d’un autre âge ?
    1. 5.1. Un conflit industriel
    2. 5.2. Une multinationale wallonne
    3. 5.3. Une grève en deux temps
    4. 5.4. Négociation à l’Élysette
    5. 5.5. Conclusion
  8. 6. Grève avec occupation d’usine chez Truck Technic
    1. 6.1. L’intégration de Truck Technic dans le groupe états-unien Meritor
    2. 6.2. La procédure Renault : attente et incertitude
    3. 6.3. Le déclenchement des actions
    4. 6.4. 58 jours de grève et d’occupation (5 décembre 2016 - 1er février 2017)
    5. 6.5. Conclusion
  9. 7. Les solidarités multiples au cœur du conflit social de l’institution Mistral
    1. 7.1. L’origine du conflit
    2. 7.2. L’organisation du mouvement de grève
    3. 7.3. Des points de vue opposés
    4. 7.4. L’issue du conflit : le « Mistral gagnant »
    5. 7.5. Conclusion
  10. Conclusion
    1. L’impossible équation du front commun
    2. L’absence de restructurations médiatiques
    3. Un autre rôle pour les syndicats ?
    4. Le syndicalisme belge à un tournant ?
Iannis Gracos
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Le Groupe d’analyse des conflits sociaux (GRACOS) est un collectif interdisciplinaire ayant pour objectif l’étude des principaux mouvements de grève et autres éléments de la conflictualité sociale qui jalonnent l’actualité de chaque année civile.

Ce Courrier hebdomadaire est consacré aux conflits qui ont marqué l’actualité belge en 2017. Particulièrement significatifs par rapport à l’histoire sociale et aux enjeux futurs, ceux-ci sont regroupés en sept chapitres : la conflictualité sociale interprofessionnelle – marquée, cette année, par la conclusion d’un accord interprofessionnel (AIP), la contestation de l’« accord de l’été » du gouvernement Michel et une manifestation nationale contre la réforme des pensions –, la conflictualité fédérale et régionale dans les services publics, les tensions suite à l’instauration du « service garanti » dans le secteur du rail, les mobilisations du Collectif des coursier.e.s contre Deliveroo, les deux grèves survenues au sein de la FN Herstal, la grève avec occupation d’usine chez Truck Technic, ainsi que le conflit social dans l’institution pour autistes adultes Mistral. À travers ces différents cas, c’est plus globalement l’évolution des relations collectives de travail et de la concertation sociale qui est questionnée.

L’étude se clôt par une annexe statistique fournissant un aperçu quantitatif de l’évolution du phénomène des grèves en Belgique entre 2013 et 2017.

Le GRACOS se compose actuellement de seize membres : B. Bauraind, A. Bingen, M. Brodersen, J. Buelens, B. Conter, V. Demertzis, A. Dufresne, J. Faniel, C. Gobin, N. Hirtz, C. Leterme, E. Martinez, L. Mélon, K. Vandaele, J. Vandewattyne et C. Vanroelen. La présente étude a été rédigée avec la collaboration de R. Poriaux et M.-C. Trionfetti.

Mis en ligne sur Cairn.info le 31/10/2018
https://doi.org/10.3917/cris.2383.0005
ISBN 9782870751954
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