CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Le printemps de 2015 a vu s’illustrer au grand jour, de part et d’autre de la frontière linguistique, un mouvement qui a réussi à faire défiler à Bruxelles plus de 20 000 personnes en dehors de tout contexte partisan ou syndical (et, se sont empressés de préciser les journalistes, par un jour de pluies diluviennes qui en aurait découragé plus d’un). Ce même mouvement, ou, plus exactement, ces deux mouvements avaient auparavant rassemblé des milliers de signatures en soutien à une déclaration de principe et organisé des journées de réflexion et de discussion auxquelles avaient participé des centaines de personnes et d’associations.

2 Certes, Hart boven Hard et Tout autre chose ne sont pas les premiers mouvements de ce genre. Ils ont été précédés à l’étranger mais aussi en Belgique, depuis le début du siècle environ, par d’autres mouvements de citoyens désireux de faire entendre leur voix en dehors des structures traditionnelles d’expression et de décision, mais aussi d’explorer de nouveaux modes d’action et de participation démocratique ; le plus connu est le mouvement des Indignés, dont le nom s’inspire du titre d’un manifeste du diplomate et ancien résistant français Stéphane Hessel  [1]. La désaffection dont font l’objet les partis politiques favorise l’émergence de ces formes particulières d’activisme, parfois difficiles à cerner.

3 Aucun mouvement n’avait cependant, dans notre pays, pu susciter un tel engouement en si peu de temps, et rallier à ses actions non seulement un grand nombre d’individus, mais aussi des organisations jusque-là plutôt méfiantes envers ce qu’on a coutume d’appeler les « mouvements citoyens ». Le présent Courrier hebdomadaire s’attache à décrire la naissance de Hart boven Hard et de Tout autre chose, leurs structures et modes de décision, leurs évolutions et actions jusqu’à ce jour. Il les replace tous deux dans le contexte de la mouvance citoyenne belge et examine leurs rapports avec les partis, les syndicats et le secteur associatif, ainsi que leurs relations mutuelles. Il s’interroge enfin sur leur place dans les processus de décision politique.

4La situation présentée est celle arrêtée à la fin du mois d’août 2015.

1. Hart boven Hard avant la Grande Parade

5Spécifiquement liée à la formation du gouvernement flamand, la création de Hart boven Hard est antérieure à celle de son pendant francophone. Les premiers mois du mouvement, dont les actions se veulent empreintes d’une bonne dose d’inventivité et d’originalité, sont décrits ci-après.

1.1. La genèse

6La naissance de Hart boven Hard remonte aux élections multiples du 25 mai 2014 et à leurs suites. Le gouvernement flamand qui se présente devant le Parlement flamand le 26 juillet 2014 (et dont la formation a d’abord fait l’objet de négociations entre les nationalistes flamands de la N-VA et les chrétiens-démocrates du CD&V, auxquels sont ensuite venus s’adjoindre les libéraux de l’Open VLD) entend, comme il est dit dans l’accord conclu entre ces trois partis, « assainir pour mieux grandir ». Même si l’accord ne précise guère les modalités de ces mesures d’assainissement, des bruits alarmistes courent très vite sur ce point dans les secteurs susceptibles d’être concernés.

7 Par ailleurs, les relations entre le secteur associatif flamand et la N-VA, devenue le premier parti au Parlement flamand, ne sont pas des meilleures ; le parti nationaliste se méfie d’un tissu d’organisations qu’il juge trop étroitement imbriquées dans le système des piliers et avec lesquelles, pour cette raison, il n’a guère de liens directs. Le président de la N-VA, Bart De Wever, avait d’ailleurs critiqué assez vertement le monde culturel flamand dans une tribune libre publiée par le quotidien De Standaard en décembre 2012, lui reprochant de vouloir préserver son autonomie tout en quémandant sans cesse l’argent public  [2].

8 Les participants au festival Theater aan Zee, qui se déroule à Ostende du 31 juillet au 9 août 2014 (quelques jours, donc, après l’investiture du nouvel exécutif flamand), s’inquiètent dès lors des projets de ce gouvernement pour l’année budgétaire 2015, lesquels, d’après leurs informations, impliquent notamment une réduction sensible de l’aide au secteur artistique. Dans ce contexte, un contact se noue entre Wouter Hillaert, qui coordonne la rédaction du bimensuel culturel Rekto:verso et écrit également des critiques théâtrales pour le Standaard, et Hugo Franssen, ancien rédacteur en chef des éditions EPO  [3]. Les deux hommes décident d’adresser un courriel à différents acteurs de la vie associative, les invitant à tenir une première réunion le 16 août 2014 à Anvers, dans les locaux du secrétariat national des Scouts en Gidsen Vlaanderen (Scouts et guides de Flandre), derrière la gare centrale. L’objectif, exprimé avec netteté dans ce courriel qui est envoyé à ses destinataires le 13 août, est de mener une action au moment où le gouvernement flamand présentera sa « déclaration de septembre » au Parlement flamand, afin de « donner un signal » d’une ampleur comparable à celui qu’a lancé, à l’époque, la Marche blanche. À cet effet, il s’agit de rassembler le « middenveld », c’est-à-dire l’ensemble parfois disparate d’associations actives dans les secteurs de la culture, de l’aide aux personnes, de la formation notamment ; bref, la « société civile »  [4]. W. Hillaert et H. Franssen, qui signent leur courriel respectivement en leur qualité de coordinateur de Rekto:verso et de secrétaire de l’association Niet in onze Naam  [5], y déclarent explicitement s’adresser à ce middenveld, « du secteur culturel aux mouvements de jeunesse, du Gezinsbond [pendant flamand de la Ligue des familles] au Netwerk tegen Armoede [équivalent du Réseau de lutte contre la pauvreté], des Verenigde Verenigingen [Associations unies] aux syndicats, de la Vlaamse Radio- en Televisieomroeporganisatie [VRT, radio-télévision publique flamande] aux étudiants et à l’enseignement supérieur » car, affirment-ils, « nous sommes tous embarqués sur le même bateau ».

9Malgré le délai assez bref et la période des vacances, une cinquantaine de personnes sont présentes à Anvers le 16 août 2014. Outre les deux initiateurs, qui président la réunion, il s’agit de membres d’associations diverses : le président de la Vlaamse Vereniging voor Bibliotheek, Archief en Documentatie (VVBAD, Association flamande des bibliothèques, archives et centres de documentation), les secrétaires des sections de la Centrale générale des services publics (CGSP, en néerlandais Algemene Centrale der Openbare Diensten - ACOD, affiliée à la Fédération générale du travail de Belgique, FGTB, en néerlandais Algemeen Belgisch Vakverbond - ABVV) et de la Confédération des syndicats chrétiens de Belgique (CSC, en néerlandais Algemeen Christelijk Vakverbond - ACV) de la VRT, le secrétaire général de l’ACOD, le président national de la Katholieke Landelijke Jeugd (KLJ, Jeunesse rurale catholique), plusieurs représentants des Scouts en Gidsen Vlaanderen, le directeur du Minderhedenforum  [6] et par ailleurs ancien secrétaire national de Spirit, Wouter Van Bellingen, la directrice générale de Femma (l’ancien Katholieke Arbeidersvrouwen, KAV, pendant flamand de Vie féminine), des représentants du Netwerk tegen Armoede, plusieurs comédiens, metteurs en scène et journalistes, des représentants d’associations d’étudiants, et Anton Schuurmans des Verenigde Verenigingen (cf. infra).

10Un tour de table permet à chacun des participants d’expliquer l’impact qu’a, sur l’organisation qu’il représente, la politique des gouvernements qui se sont succédé ces dernières années. À l’issue de la réunion, il est décidé d’agir pour s’opposer à la politique d’austérité du nouvel exécutif flamand et, à plus long terme, de dessiner un autre modèle social. Un « dagelijks comité » (« comité journalier ») est chargé de préparer la réunion suivante et de coordonner l’activité du groupe en gestation. Il se compose de W. Hillaert, de H. Franssen, d’A. Schuurmans, de Caroline Verschueren du Jeugdraad (Conseil flamand de la jeunesse) et par ailleurs militante de Groen, d’Evert Persoon du Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCA, en néerlandais Bond van Bedienden, Technici en Kaderleden - BBTK) et par ailleurs militant SP.A à Zelzate, de Luc Vandenhoeck de la section ACOD de la VRT, de Nele Van Parys, représentante des étudiants de l’Universiteit Gent (UGent) et par ailleurs l’une des responsables de Communistes actifs-Communistische Actie (COMAC, mouvement de jeunes du PTB-PVDA), et d’Aïcha Bouharras du Minderhedenforum. Ce comité sera ensuite baptisé « stuurgroep »  [7]. Il se réunit pour la première fois le 21 août, pour préparer la réunion suivante du mouvement en devenir et réfléchir à un plan stratégique.

1.2. Les premiers pas

11Une deuxième réunion se tient la semaine suivante, le 23 août, toujours au secrétariat national des Scouts en Gidsen Vlaanderen à Anvers. Quelques-uns des nouveaux participants sont des responsables nationaux des syndicats, ainsi Ferre Wijckmans, secrétaire général de la Landelijke Bediendencentrale-Nationaal Verbond voor Kaderleden (LBC-NVK, syndicat néerlandophone des employés affilié à la CSC), ou Guido Dekkers, de la CSC. La Liga voor Mensenrechten (Ligue flamande des droits de l’homme) est également présente. C’est lors de cette deuxième réunion que la décision est prise de rédiger une déclaration « alternative » de septembre, pour faire entendre la voix du secteur associatif. Des propositions sont lancées pour donner un nom au mouvement qui est en train de se créer : « Triple A » (pour « Allemaal in Actie voor een Alternatief » : « Tous en action pour une alternative », nom faisant écho à la note attribuée par les agences de notation à des États, des collectivités publiques, des entreprises et des institutions bancaires et d’assurances), « Burgers met Macht » (« Des citoyens qui ont du pouvoir »), « Hart tegen Hard » (« Le cœur contre la rigueur ») ou « Hart boven Hard » (« Le cœur plutôt que la rigueur »), « Tegenstroom » (« À contre-courant »). Le stuurgroep est chargé de trancher.

12L’appellation « Hart boven Hard » n’est pas neuve. Le nom de domaine www.hartbovenhard.be a été enregistré le 28 mars 2014 par l’asbl Samen, dont le siège se situe au 579 de la chaussée de Haecht à Schaerbeek. Certains (ainsi Andrea Cuypers sur le site Internet http://de-bron.org, proche de la N-VA) y voient la preuve de l’inféodation du mouvement aux syndicats, cette adresse étant celle de la CSC – en réalité, l’immeuble abrite également le secrétariat national des mutualités chrétiennes et d’autres organisations du pilier chrétien. L’asbl Samen est, elle, l’instrument juridique couvrant les activités de l’association de fait Verenigde Verenigingen, dont l’objet social constitue à « contribuer à approfondir et à élargir la démocratie en définissant les missions sociales, démocratiques et politiques du middenveld, en promouvant le fonctionnement d’organisations de la société civile et en luttant pour que soient prises les réglementations et dispositions légales nécessaires pour que ces organisations puissent remplir leurs tâches » (article 3 des statuts de l’asbl). Les Verenigde Verenigingen se veulent « le porte-parole du middenveld », un « réseau ouvert mis en place pour et par des organisations de la société civile souhaitant rassembler leurs forces, partager leurs expériences et pour qui les échanges et la collaboration sont choses importantes ». On trouve parmi les membres de ces « associations unies » une centaine d’organisations ; le « kerngroep » qui coordonne leurs activités se compose de délégués des régionales flamandes de la FGTB, de la CSC et de la Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique (CGSLB, en néerlandais Algemene Centrale der Liberale Vakbonden van België - ACLVB), du Centre national de coopération au développement (CNCD 11.11.11), du Nationaal Centrum voor Ontwikkelingssamenwerking (NCOS 11.11.11), du Forum van Etnisch-Culturele Minderheden, de la Federatie van Organisaties voor Volksontwikkeling (FOV, fédération des organisations flamandes d’éducation populaire), du Forum voor Amateurkunsten (forum pour les arts amateurs), du Gezinsbond, des mutualités chrétiennes, des mutualités socialistes, du Jeugdraad, du Vlaams Netwerk van Verenigingen waar Armen het Woord Nemen (réseau flamand d’associations où les pauvres prennent la parole) et de la Vlaamse Sportfederatie (VSF, fédération flamande des sports).

13 Les Verenigde Verenigingen, dont l’implication dans la création de Hart boven Hard est explicite, avaient organisé en perspective des élections multiples du 25 mai 2014 une campagne, doublée d’un colloque (le 24 avril 2014), afin d’attirer l’attention des électeurs et des hommes et femmes politiques sur l’importance du secteur associatif dans la vie sociale : les associations, soulignait le communiqué de presse diffusé à cette occasion, entendaient montrer qu’elles œuvraient à une société flamande où « le cœur prime la rigueur ». Il s’agissait de mettre en avant le rôle politique du secteur associatif, du middenveld. Dans ce cadre, avait été imaginée la formule, frappante, de « Hart boven hard » – qui ne devait donc servir qu’à une action ponctuelle. Le procès-verbal de la réunion du 6 septembre du mouvement en gestation n’en fait d’ailleurs pas mystère : « “Hart boven Hard” est une appellation claire, qui combine un message positif et l’opposition aux mesures d’austérité. Nous entendons travailler de façon inclusive, et donc ne pas donner une impression trop dure, c’est important. C’est un bon slogan pour que les gens s’impliquent. De plus, on y a déjà pas mal réfléchi puisque ce slogan a déjà été utilisé lors d’une initiative de moindre ampleur organisée par les Verenigde Verenigingen. »

14L’asbl Samen met ensuite gratuitement l’url du site à la disposition du nouveau mouvement, puisque « la campagne électorale est terminée ». Autrement dit, cette organisation estime légitime de céder le nom d’une de ses activités au profit d’une organisation en devenir qui poursuit des objectifs similaires. Dans un communiqué de presse diffusé à l’occasion du lancement du site Internet de Hart boven Hard, fin septembre 2014, le mouvement s’attache d’ailleurs à dissiper ce qu’il considère comme un malentendu et à souligner qu’il n’est ni une initiative pilotée par les syndicats ou les grosses associations, ni un mouvement de grève, et qu’il opère en dehors de tout cadre partisan.

15La troisième réunion de ce qui s’appellera désormais la « platform », en quelque sorte l’assemblée générale du mouvement, se tient le 6 septembre 2014, toujours dans le même local. Une nouvelle fois, une cinquantaine de personnes sont présentes. Le nom « Hart boven Hard » est retenu de préférence aux autres propositions formulées lors de la réunion antérieure, mais après un vote (24 participants sont en faveur de « Tegenstroom », jugeant « Hart boven Hard » insuffisamment combatif) et une ultime délibération du stuurgroep. Ce dernier est également chargé de choisir un logo à partir de projets présentés par cinq graphistes, à qui il a été demandé de faire simple et de faire en sorte que le logo puisse être reproduit sans difficulté ; la platform en a présélectionné trois.

16Lors de cette troisième réunion, il est encore décidé d’organiser le 22 septembre, date à laquelle la déclaration alternative doit être remise au ministre-président flamand Geert Bourgeois (N-VA), des débats dans trois grandes villes : Anvers, Gand et Bruxelles. D’autres actions suivront ensuite dans d’autres municipalités ; l’idée est de marquer par plusieurs actions simultanées l’apparition du mouvement sur la scène politique sans pour autant risquer de connaître l’échec si la mobilisation devait, vu la brièveté des délais, être insuffisante. Les syndicats, en particulier, estiment avoir besoin de temps.

17Enfin, la réunion du 6 septembre se penche sur le texte même de la déclaration alternative. Un texte-martyr a été rédigé par H. Franssen sur la base de toutes les observations formulées lors des deux premières réunions. Il s’agit, souligne-t-il, d’un « plus petit commun dénominateur ». Ce texte fait l’objet de discussions qui relèvent notamment, d’une part, le risque de se confiner à un discours d’opposition (il faut avancer des idées positives) et, de l’autre, celui de se limiter à la Flandre (il ne faut oublier ni Bruxelles, ni le reste du monde). H. Franssen est chargé par la platform de réécrire un texte en fonction de ces remarques et reçoit un blanc-seing pour le finaliser.

1.3. La déclaration alternative

18Le 22 septembre 2014, jour où le ministre-président flamand lit, devant le Parlement flamand, la déclaration de son gouvernement pour l’année parlementaire à venir, ils sont quelque 400 à se rendre devant le siège de l’assemblée pour lui remettre la déclaration alternative, entre-temps signée par plus de 500 personnes et par une petite centaine d’associations. La manifestation se veut résolument ludique : les participants sont munis de percussions diverses, certains sont montés sur échasses, grimés. Le soir, des débats sont organisés comme prévu à Anvers (au Monty), à Gand (à la galerie Campo) et à Bruxelles (au Beursschouwburg).

19La déclaration alternative, telle qu’elle figure sur le site Internet du mouvement (www.hartbovenhard.be), part du constat que « la Flandre est inquiète ». Inquiète parce qu’on lui annonce qu’il faudra faire des économies. Mais ces économies ne se feront pas au détriment de chacun : les grosses fortunes, les entreprises sont épargnées. Sans nier l’importance que celles-ci revêtent pour l’emploi, la déclaration regrette que la « valeur » n’ait, aux yeux du gouvernement flamand, qu’une traduction en termes économiques. Les mots « solidarité » et « égalité », qui expriment des valeurs fondamentales, sont absents de la déclaration gouvernementale flamande.

20Après avoir souligné qu’elle veut une Flandre « ouverte », c’est-à-dire colorée et polyglotte (« il serait totalement réducteur de se centrer, à Bruxelles et dans la périphérie bruxelloise, sur l’emploi du néerlandais », précise le texte – à contre-courant d’une idée largement portée par les partis politiques flamands), la déclaration alternative décline successivement les acquis qu’il faut conserver (« behouden wat goed is » : « garder ce qui est bien »), à savoir la sécurité sociale, l’aide sociale, l’enseignement et la large palette des activités que propose le secteur associatif, puis les améliorations possibles et souhaitables (« en investeren in wat beter kan » : « et investir dans ce qu’on peut améliorer ») : dans les transports publics, la pérennité des emplois, le bien-être à plus long terme. Répondant à la question du financement, le texte répète sa conviction que, au sommet de la pyramide sociale, on paie trop peu d’impôts. Une phrase perdue au milieu de la déclaration, toute en allitérations et en jeux de mots, résume assez bien sa teneur : « Waar winst het wint van waarde, wordt verlies het resultaat » (« Quand les bénéfices prennent le dessus sur les valeurs, on ne peut que perdre »). Le vocabulaire et le style de la déclaration alternative tranchent – volontairement – avec le discours politique classique, comme l’avaient souhaité les participants à la platform du 6 septembre.

1.4. Hartslag 1

21Le 29 septembre 2014, la platform se réunit une nouvelle fois dans son lieu habituel. Elle fait d’abord le bilan de l’action menée le 22 septembre, soulignant le succès des manifestations et des débats et mettant en garde contre toute récupération politique. Elle décide d’organiser une journée de réflexion le 25 octobre, journée dont l’intitulé laisse la porte ouverte à plusieurs interprétations : « convention », « assemblée populaire », « hartslag ». C’est cette dernière dénomination (qui signifie « coup de cœur ») qui est finalement retenue ; elle s’inscrit dans le contexte général où entend se situer le mouvement. Il est également prévu d’organiser, comme annoncé, des débats dans de plus petites villes flamandes le 20 octobre, à l’instar de ceux qui ont eu lieu le 22 septembre dans trois grandes villes du pays.

22Les participants passent également en revue les différentes possibilités d’action qui se présentent à eux et émettent le souhait de nouer des contacts avec des partenaires francophones, dans la mesure où – font-ils observer – certains dossiers se règlent au niveau fédéral. Les organisations signataires sont invitées, à cet effet, à prendre langue avec leurs organisations-sœurs francophones.

23Les différentes actions organisées dans plusieurs villes flamandes le 20 octobre 2014 sont le point de départ de l’ancrage local de Hart boven Hard. Elles ont lieu à Bruges (De Werf), à Courtrai (Schouwburg), à Ostende (Vrijstaat O.), à Saint-Nicolas (Casino), à Turnhout (Tuinzaal van de Warande), à Malines (Nona), à Louvain (Stuk) et à Hasselt (dans l’ancienne prison). Les salles – où se tiennent des lectures de textes et des discussions, avec des intermèdes artistiques – sont pleines à chaque fois.

24Vient ensuite Hartslag (qui deviendra par la suite « Hartslag 1 », puisque d’autres actions du même type sont projetées et auront lieu). Cette journée de réflexion se tient à l’Universiteit Antwerpen (UAntwerpen) le 25 octobre 2014. Quelque 350 participants sont invités à y échanger des informations sur les effets de la politique du gouvernement, à réfléchir aux conséquences qu’elle a sur les associations membres, à chercher des alternatives et à préparer des actions pour s’y opposer. Organisée en ateliers, elle entend notamment des témoignages de « gens de terrain » suivis d’éclairages par des experts.

25Les ateliers sont de deux types : thématiques ou consacrés aux modes d’action. Les ateliers thématiques portent respectivement sur la pauvreté et les inégalités, sur les écarts grandissants entre riches et pauvres, sur la transition – socialement équitable – vers un monde plus respectueux de l’environnement, sur le soutien au secteur associatif, sur la qualité de l’enseignement et des formations, sur les risques liés à l’autonomie locale, sur l’austérité à l’échelle européenne, sur la réalité de la diversité, sur la qualité des emplois et sur les transports publics. Les ateliers consacrés aux perspectives d’action ne se contentent pas, quant à eux, d’échanges d’idées mais permettent aux participants de mettre la main à la pâte : confection de t-shirts, d’affiches, de mannequins géants, etc. Ils sont au nombre de trois : préparation d’une manifestation nationale, d’une action contre « les cadeaux faits aux riches » et contre la fraude fiscale, et d’une action (éventuelle) sous forme d’occupation (par référence au mouvement Occupy Wall Street  [8]).

26En conclusion de la journée, trois orateurs prennent la parole : Bea Cantillon, professeure à l’UAntwerpen et ancienne sénatrice CD&V (de 1995 à 1999), Eric Corijn, professeur à la Vrije Universiteit Brussel (VUB), et Naïma Charkaoui, présidente du Minderhedenforum jusqu’en septembre 2014 et depuis peu coordinatrice de l’asbl Kinderrechtencoalitie (Coalition des droits de l’enfant). B. Cantillon s’emploie à démontrer que la société se divise de plus en plus profondément entre un groupe qui travaille toujours davantage et un groupe qui ne trouve pas d’emploi et se paupérise : le fossé se creuse, et il ne sera pas facile de rétablir une solidarité. E. Corijn constate que les gouvernements en place veulent briser le modèle belge et ses mécanismes de redistribution sociale en affaiblissant la société civile, des syndicats au secteur culturel ; y résister, affirme-t-il, est un devoir social. Il relève deux défis urgents : installer une équité fiscale et soustraire les équipements collectifs à l’économie de marché. Il plaide pour que soit dressé un « cadastre des besoins ». Enfin, N. Charkaoui traite de la difficulté qu’a la société flamande à gérer sa diversité.

1.5. La participation aux actions syndicales

27La réunion suivante de la platform, le 11 octobre 2014, se tient toujours au secrétariat national des Scouts en Gidsen Vlaanderen à Anvers ; elle est essentiellement consacrée à organiser, jusque dans ses moindres détails, la convention du 25 octobre. Mais elle envisage aussi une action nationale. La première idée est d’initier une manifestation en décembre, mais les objections à cette date sont nombreuses en raison, d’une part, des examens pour les étudiants et, d’autre part, des manifestations et autres actions (y compris des grèves) projetées par les syndicats contre la politique du gouvernement fédéral. Par ailleurs, le stuurgroep signale que l’Alliance D19-20  [9] prévoit une manifestation le 19 décembre.

28Cette question suscite un débat sur le lien entre Hart boven Hard et, notamment, les actions syndicales. Les participants à la réunion jugent important que Hart boven Hard soit présent lors des manifestations organisées par des secteurs qui la composent ; son action doit, dans de tels cas, leur être complémentaire. Il est finalement décidé d’organiser une manifestation nationale, mais au printemps 2015 – tout en encourageant la participation de Hart boven Hard aux actions (notamment syndicales) sectorielles  [10].

29Enfin, la réunion du 11 octobre s’intéresse à la Belgique francophone. Le stuurgroep ne souhaite pas encourager la création d’une sorte de « section francophone », vu les contextes politiques différents. Il est décidé que, quand une dynamique semblable à celle de Hart boven Hard se dessinera de l’autre côté de la frontière linguistique, des contacts seront pris pour voir si des collaborations sont possibles. La platform souhaite néanmoins éviter de donner l’impression qu’existent, en Belgique, « deux démocraties » ; en cela, elle entend démentir une analyse à laquelle recourt fréquemment le président de la N-VA.

30Le 6 novembre 2014, a lieu une manifestation nationale  [11] initiée en front commun par les trois confédérations syndicales pour protester contre « les mesures antisociales » annoncées par le gouvernement fédéral qui associe, du côté francophone, le MR et, du côté flamand, la N-VA, le CD&V et l’Open VLD. Conformément à ce qui a été décidé lors de la réunion du 11 octobre, Hart boven Hard ne manifeste pas dans le cortège mais distribue des tracts le long de celui-ci et déploie, à partir d’un stand, une banderole portant le slogan « Waar winst het wint van waarde, wordt verlies het resultaat ». Le mouvement a invité ses membres et sympathisants à manifester à Bruxelles dans les termes suivants : « Nous voulons montrer que les mesures d’austérité ratissent large et frappent tous les citoyens, des enfants aux étudiants, des enseignants aux pensionnés, des associations aux artistes. Par notre présence à la manifestation nationale, les liens qui nous unissent se font visibles. Les activistes ne vont pas seuls au combat, mais se savent soutenus par de larges couches de la population. »

31Lors des grèves provinciales tournantes des 24 novembre et 1er et 8 décembre 2014  [12], Hart boven Hard organise différentes activités. À Anvers, le 24 novembre, une tournée des piquets de grève à vélo part du Roma, à Berchem. Même initiative à Ostende le 1er décembre. Le 8 décembre, c’est au Beursschouwburg que se clôture l’action de Hart boven Hard, avec plusieurs prises de parole dont certaines émanant d’artistes (ainsi la créatrice de mode Rachida Aziz) et de syndicalistes (Rudy De Leeuw et Marc Leemans, qui président respectivement la FGTB et la CSC). Cette combinaison est assez inédite.

32Lors de la grève nationale du 15 décembre  [13], Hart boven Hard met sur pied de nouvelles actions dans le même registre, dans plusieurs villes flamandes. À Anvers, une nouvelle tournée à vélo des piquets de grève est prévue, suivie d’un meeting au Roma ; même action à Bruges, à Gand et à Bruxelles (où un meeting clôture la tournée des piquets à La Tentation). À Deinze et à Hasselt, c’est à pied que des sympathisants font le tour des piquets de grève ; des repas et fêtes de solidarité ont lieu à Ostende, à Saint-Nicolas, à Lokeren et à Louvain. À Courtrai, des centaines de personnes débaptisent publiquement le pont sur la Lys (Leiebrug) pour l’appeler désormais « Pont du cœur » (en français dans le texte). Parmi les présents, figurent les trois échevins socialistes de la ville, la députée flamande Tine Soens (SP.A), le député flamand Bart Caron (Groen) et une conseillère communale écologiste.

33À l’occasion de la Saint-Nicolas, une action ludique est par ailleurs menée, cette fois à Anvers. Le Grand Saint, constatant que les riches sont inondés de cadeaux fiscaux, se propose – symboliquement, bien entendu – de les récupérer et de les redistribuer ; selon lui, les mesures fiscales au bénéfice des entreprises s’élèvent à 19 milliards d’euros, soit davantage que les économies prévues par le gouvernement fédéral. La Belgique n’a pas un problème budgétaire, mais un problème fiscal : telle est la teneur des propos que tient Saint Nicolas, incarné en l’occurrence par l’acteur Benjamin Verdonck (monté sur échasses), suivi par 250 personnes environ qui font arrêt successivement devant le consulat du Grand-Duché de Luxembourg, la firme Omega Diamonds et un bureau d’avocats fiscalistes.

1.6. Les hartewensen et la préparation de la Grande Parade

34Réalisée lors de la réunion de la platform du 29 décembre 2014, l’évaluation des actions aux côtés des syndicats est positive malgré, notent les membres présents, le peu d’écho rencontré dans la presse. La platform ne s’en étonne pas outre mesure : « Nous voulons changer la société, les médias n’ont pas changé. » C’est aussi lors de cette réunion qu’est lancée l’idée de formuler des « hartewensen » (« souhaits du cœur »). Le texte initial de ces « souhaits » est rédigé par H. Franssen à partir des ateliers de la journée de réflexion du 25 octobre : dix ateliers, dix souhaits. Ils sont ensuite ratifiés, après une discussion minutieuse de chacun de leurs termes, par la platform du 3 janvier 2015 qui avalise non seulement une version « longue », mais aussi une version simplifiée des souhaits, s’attachant en particulier à utiliser dans ce dernier texte un vocabulaire aussi courant que possible.

35 Cependant, ce sont surtout deux autres points qui retiennent l’attention lors de la réunion du 29 décembre. Le premier concerne le financement des activités de Hart boven Hard. Le mouvement fonctionne grâce à des dons de particuliers. Peut-il, doit-il accepter des dons d’organisations ? La question est délicate, car il faut éviter de se voir reprocher une trop grande dépendance vis-à-vis, par exemple, des syndicats. Le stuurgroep est chargé de réfléchir à la question. L’idée d’un financement participatif (crowdfunding) est aussi évoquée. Le deuxième point est l’organisation d’une manifestation nationale (à laquelle seraient donc associés les francophones de Tout autre chose, entre-temps présents eux aussi sur la scène politique, cf. infra). La platform entend se consacrer en priorité à cet événement, avant même de planifier une seconde journée de réflexion consacrée, celle-là, aux effets des mesures d’austérité. Il est décidé que cette manifestation sera ludique, qu’elle se déroulera dans le centre de Bruxelles, qu’un podium sera dressé au terme du parcours et que deux discours de clôture suffiront. La manifestation sera divisée en blocs dédiés chacun à un des hartewensen. La Zinneke Parade  [14] sert en fait de modèle, même si plusieurs participants insistent sur le souci de garder, ici, un caractère de protestation au cortège. Quant au nom même de la manifestation, il fait débat : « Ensorade », « Ici les gens/Hier zijn de mensen » ? Il est finalement décidé de la baptiser « La Grande Parade ».

2. Tout autre chose avant la Grande Parade

36Le chapitre qui suit expose les étapes successives qui ont présidé à la création de Tout autre chose, organisation née dans le sillage du mouvement Hart boven Hard et co-organisatrice de la Grande Parade du 29 mars 2015.

2.1. La genèse

37Tout autre chose est né plus tardivement que son inspirateur flamand, en raison notamment du contexte politique différent dans lequel s’inscrivent respectivement les deux mouvements. C’est que les gouvernements qui se sont formés en Communauté française (gouvernement Demotte III : PS/CDH), en Région wallonne (gouvernement Magnette : PS/CDH) et en Région de Bruxelles-Capitale (gouvernement Vervoort II : PS/Open VLD/FDF/SP.A/CDH/CD&V) après les élections multiples du 25 mai 2014 ont une composition et une orientation différentes de celles du gouvernement flamand (gouvernement Bourgeois : N-VA/CD&V/Open VLD) et du gouvernement fédéral (gouvernement Michel : N-VA/MR/CD&V/Open VLD) : ici, ce sont les socialistes et les démocrates humanistes qui sont à la manœuvre, associés en Région bruxelloise aux FDF et, dans l’aile flamande du gouvernement bruxellois, à l’Open VLD et au CD&V, ainsi qu’au SP.A.

38Le secteur artistique s’était pourtant déjà manifesté en Belgique francophone : sous la législature fédérale 2010-2014, des projets de remaniement du statut des artistes, et en particulier de leur droit aux allocations de chômage – préparés par la vice-Première ministre et ministre fédérale des Affaires sociales et de la Santé publique, en charge de la sécurité sociale, Laurette Onkelinx (PS) –, avaient mobilisé d’abord le secteur du théâtre, puis celui du cinéma. Des groupes s’étaient constitués sur les réseaux sociaux, dont Hors champ, « plateforme d’échanges d’informations et d’idées » dont l’objectif est « de rendre compte de la réalité des métiers du cinéma et de l’audiovisuel et d’en promouvoir les intérêts de façon solidaire ». Le 1er février 2014, Hors champ avait organisé une manifestation ludique lors de la remise des Magritte du cinéma 2014  [15] : les participants brandissaient un ruban vert, une pomme à moitié croquée et une affiche sur laquelle l’homme au chapeau melon de René Magritte se tient derrière ce même trognon de pomme, affichant le slogan « Ceci n’est pas un statut». Delphine Noels, une réalisatrice de cinéma, était l’une des instigatrices de cette action ; elle s’est ensuite lancée, à l’invitation de la directrice des études de l’Institut national supérieur des arts du spectacle (INSAS), Sabine Bourgeois, dans une initiative analogue (la constitution d’un groupe sur les réseaux sociaux) pour embrasser une cause plus large, à l’instar de Hart boven Hard.

39 Ce groupe se met d’abord en place sous l’appellation « Le cœur, pas la rigueur », qui est la traduction à peu près conforme du nom du mouvement flamand et qui est, d’ailleurs, celle qu’utilise ce dernier sur son site pour se présenter aux francophones  [16]. Le groupe diffuse notamment, sur la toile, le texte de la déclaration alternative de Hart boven Hard, traduit en français. Après la manifestation syndicale du 6 novembre 2014, à laquelle la participation de Hart boven Hard a été remarquée, et juste avant les premières grèves provinciales tournantes de la fin novembre et de début décembre, plusieurs représentants d’associations et de sections francophones des centrales syndicales décident de franchir une étape supplémentaire ; une réunion est convoquée à cet effet à l’Université populaire de Bruxelles, rue de la Victoire à Saint-Gilles. Parmi la dizaine de personnes présentes, se trouvent notamment Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général de la Centrale nationale des employés (CNE, centrale francophone des employés affiliée à la CSC), Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD 11.11.11, Guéric Bosmans, de la Centrale générale de la FGTB, D. Noels et S. Bourgeois, mais aussi W. Hillaert et H. Franssen (ces deux derniers présentant ce qui est appelé « la dynamique en Flandre »). Il est expressément décidé de lancer le mouvement francophone sur la même base que Hart boven Hard. D’emblée, le choix du nom pose problème, en particulier celui du mot « rigueur » que tous ne jugent pas péjoratif ; les personnes présentes estiment que le choix du nom du futur mouvement est fondamental.

40 Une réunion se tient ensuite dans le même lieu le 18 novembre ; il y a cette fois une vingtaine de participants, dont plusieurs personnalités venues d’horizons divers, telles que Mateo Alaluf (professeur honoraire de l’ULB), Hafida Bachir (présidente de Vie féminine), Frédéric Ligot (du Mouvement ouvrier chrétien, MOC), et Hugues Le Paige et Henri Goldman (de la revue Politique). La décision est prise « de se constituer en tant que mouvement citoyen indépendant des partis politiques et composé de personnes physiques et morales (à l’exception des partis politiques) »  [17], étant entendu que les syndicats, eux, peuvent donc adhérer.

41 La réunion se penche une nouvelle fois sur le nom du mouvement, confiant ce problème au groupe communication mis en place dans ce but ; elle marque, à ce stade, une préférence pour « Du cœur, pas la peur » – formule qui sera finalement abandonnée. Elle désigne deux porte-parole, privilégiant « des figures non identifiées comme représentant une organisation institutionnalisée » : David Murgia, comédien, et Pascale Vielle, professeure à l’UCL (un homme, une femme). Elle crée trois groupes de travail : un groupe scientifique coordonné par M. Alaluf, un groupe structuration coordonné par F. Van Keirsbilck et un groupe communication coordonné par Jérôme Van Ruychevelt (de l’Esperanzah! World Music Festival). Elle décide enfin de faire coïncider l’annonce de la création du mouvement avec la grève nationale prévue le 15 décembre 2014. En outre, la réunion décide de lancer un texte et d’appeler à le signer, à l’instar de ce qu’a fait Hart boven Hard. Ce texte « devra découler du nom et se limiter à expliquer qui nous sommes, ce à quoi nous nous opposons et ce que nous voulons ». Ce sera l’« appel ».

42 C’est lors de la réunion du 30 novembre 2014 que le choix du nom du mouvement est entériné. Plusieurs votes se succèdent sur les trois propositions faites par le groupe communication (« Tout autre chose », « Le cœur, pas la peur », « Le cœur, pas la rigueur ») : en définitive, par 24 voix contre 5 (qui vont à la proposition « Le cœur, pas la rigueur »), c’est « Tout autre chose » qui est adopté. La même réunion finalise le texte de l’appel en tenant notamment compte de ce fait nouveau.

2.2. L’appel et les balises

43Plus ramassé que la déclaration alternative flamande, l’appel lancé par le mouvement francophone n’évoque pas, ou moins, les déboires du monde associatif. Il constate que « les idées de solidarité, de consensus et de concertation sont remises en question » et que « le seul horizon qui nous est désormais imposé est celui de l’austérité », une politique foncièrement « injuste, qui ne fonctionne pas et nous entraîne dans une société de la violence ». « Nous ne voulons plus », ajoute le texte, « d’une société qui a peur de l’autre, peur d’elle-même, peur de son avenir. Nous disons stop à cette marche en arrière ! ». Pour « prendre le chemin de la confiance et de la solidarité », l’appel de Tout autre chose défend l’idée d’un « vrai débat démocratique » qui permettra de faire surgir les alternatives. « Il y a urgence à agir », conclut le texte, « avant que la machine infernale du tout à l’argent ne broie ce qui nous reste de libertés ».

44 C’est donc ici l’idée du débat démocratique qui prime, débat qui serait en quelque sorte « confisqué » par les discours dominants. Ce qui explique sans doute également le changement de nom : le concept de « cœur » est susceptible de renvoyer soit à la campagne socialiste du « retour du cœur » (François Mitterrand en France et Guy Spitaels en Belgique à la fin des années 1980), soit à un concept perçu comme spécifiquement chrétien, et celui de « rigueur » est très marqué politiquement. Il n’est pas exclu non plus que le nouveau mouvement, une fois structuré et organisé, ait voulu se démarquer du groupe Facebook qui l’avait précédé. Enfin, le changement de nom entérine la volonté de porter d’autres horizons que celui de la seule résistance aux mesures d’austérité, comme le suggère d’ailleurs le texte de l’appel lui-même.

45 Ce dernier, adopté par une « assemblée de préparation du lancement de Tout autre chose » le 8 décembre 2014, connaît très vite un grand succès ; à ce jour, il est signé par près de 13 000 personnes et organisations. La même assemblée définit le mouvement « non pas comme un réseau en plus risquant de concurrencer les nombreux réseaux existants, mais comme un “mouvement de mouvements”, une sorte de “label citoyen” permettant de relier et de donner plus de force et de cohérence aux nombreuses dynamiques sociales et citoyennes existantes ». Il est lancé le 10 décembre par la mise en ligne d’un site Internet et par la publication dans le journal Le Soir d’une double interview de D. Noels et de D. Murgia.

46 La rédaction et la signature de l’appel sont suivies de la mise en forme de « balises » dont le texte est préparé par le groupe de travail scientifique, désormais baptisé groupe de réflexion. Il s’agit surtout, en l’espèce, d’éviter – selon la formule d’un des participants aux travaux de ce groupe – que le mouvement « parte dans tous les sens », en précisant au-delà de quoi il entend ne pas aller. Le texte indique d’abord que les personnes et associations qui constituent Tout autre chose « ne sont pas d’accord sur tout ». Il énumère ensuite les « valeurs qui servent de balises à nos débats, nos luttes et nos innovations ». Elles sont au nombre de dix : Tout autre chose veut une société démocratique (ce qui implique d’aller plus loin que le seul droit de vote), solidaire (juste répartition des richesses), coopérative (la coopération plutôt que la compétition), écologique, juste (justice sociale et fiscale), égalitaire (réduction des différences de rémunération et de pouvoir), émancipatrice (pas seulement la liberté d’expression), créative (encourager l’initiative, refuser la pensée dominante), apaisée (une société où ne règne pas la peur de la diversité) et réjouissante (« une société où le bonheur ne se cherche plus dans la consommation manipulée »).

47 Le vocabulaire des balises n’est pas celui qu’utilisent d’ordinaire les proclamations politiques : l’accent mis sur la créativité et la réjouissance, en particulier, est neuf. Le « créatif » donne le ton : Tout autre chose veut « une société qui soutient la créativité sous toutes ses formes et encourage ses membres à prendre des initiatives. Non pas seulement pour “trouver des solutions” mais de manière plus fondamentale pour sans cesse questionner les évidences, renouveler le regard critique sur le monde, ouvrir de nouvelles perspectives et initier de nouveaux débats face à une pensée dominante qui, toujours, veut laisser croire que nombre de débats ont déjà été tranchés et qu’il n’y a pas d’alternatives ». À nouveau, l’idée d’un discours confisqué affleure.

2.3. Avec les grévistes et les exclus du chômage

48Stimulés par le dynamisme de Hart boven Hard, les promoteurs de Tout autre chose se joignent peu après la naissance du mouvement aux actions de grève menées contre le gouvernement fédéral. Avec Hart boven Hard, ils organisent des tournées des piquets de grève à vélo dans la matinée du 15 décembre. Ils participent au meeting qui clôture cette journée à La Tentation (cf. supra).

49 Du 1er au 6 janvier 2015, Tout autre chose s’implique ensuite, aux côtés (et à l’invitation) des Acteurs des temps présents  [18], mais aussi avec le collectif Réseau stop art. 63§2  [19], dans une série d’actions, dans plusieurs villes wallonnes, contre la suppression des allocations d’insertion qui frappe, à partir du 1er janvier 2015 et suite à une décision du précédent gouvernement fédéral (gouvernement Di Rupo : PS/CD&V/MR/SP.A/Open VLD/CDH), plusieurs milliers de chômeurs. Devant tous les centres publics d’action sociale (CPAS) de Wallonie et de Bruxelles est affiché le nombre de personnes sans emploi touchées par cette mesure. Les 270 photos ainsi prises sont assemblées pour former une banderole déployée le 6 janvier devant le cabinet du ministre fédéral des Classes moyennes, des Indépendants, des PME, de l’Agriculture et de l’Intégration sociale, Willy Borsus (MR). De nouvelles manifestations contre la suppression des allocations d’insertion se tiendront le 25 février 2015 à Bruxelles et dans d’autres villes du pays, à l’initiative toujours du Réseau stop art. 63§2 et avec le soutien de Tout autre chose (et d’ailleurs de Hart boven Hard).

50 La cérémonie de remise des Magritte du cinéma 2015, le 7 février 2015, est à nouveau l’occasion d’une action des membres et sympathisants de Hors champ, auxquels se joignent cette fois Tout autre chose et Hart boven Hard. La comédienne Catherine Salée, une pomme à la main, prend la parole en début de soirée pour rappeler que « la culture est une arme de construction massive ». Devant les marches du Mont des Arts, où a lieu la cérémonie, une centaine de personnes dénoncent « le black-out culturel qui résulte des coupes budgétaires que la culture a connues au nom de l’équilibre budgétaire et de l’austérité ». La demande de participation de Tout autre chose émanait de Hors champ, et le comité de pilotage en avait accepté « le principe, à condition que Hors champ prenne en charge l’organisation et que le rôle de Tout autre chose se limite à mobiliser les citoyens pour participer à l’action »  [20]. La formulation illustre bien la manière dont Tout autre chose s’est impliqué, en dehors de la Grande Parade, dans les actions citoyennes menées notamment sous son nom : le mouvement n’est qu’exceptionnellement porteur d’actions spécifiques, se voulant plus un label mobilisateur qu’organisateur (cf. infra).

3. La Grande Parade du 29 mars 2015

51La Grande Parade du 29 mars 2015 est l’événement qui propulse Hart boven Hard et Tout autre chose, fût-ce brièvement, à l’avant-plan de la scène politique. Les pages qui suivent décrivent sa préparation et son déroulement.

52 Pour la Grande Parade, une structure ad hoc a été mise en place. Elle se compose d’une équipe de coordination placée, pour Hart boven Hard, sous la direction de Dis Huyghe, L. Vandenhoeck, W. Hillaert et Vital Schraenen et, pour Tout autre chose, sous celle de Saskia Simon, Stéphanie Dupuis, Patrick Michel et Laura Van Binsbergen, auxquels viennent s’ajouter, comme représentants de la Zinneke Parade –qui sert de modèle à cette action qui se veut résolument ludique – Myriam Stoffen et Maya Galle. L’équipe artistique se compose de V. Schraenen côté flamand et de Michel Villée côté francophone. L. Vandenhoeck est responsable de l’organisation et de la logistique, D. Huyghe (Hart boven Hard) et J. Van Ruychevelt (Tout autre chose) de l’encadrement musical, et enfin W. Hillaert de la communication. La coordination générale est assurée par Tim Coene.

53 Le comité artistique assigne une couleur, un objet et une chanson à chaque « hartewens » (en néerlandais) ou « horizon » (en français). Par ailleurs, des « hartstochten » (littérale-ment : « passions », mais aussi « promenades du cœur ») sont organisées pour amener les manifestants, par étapes et à pied, à Bruxelles en partant notamment d’Anvers (et d’Ostende, mais à vélo).

54 La Grande Parade fait l’objet d’une publicité assez importante, en particulier par le biais des réseaux sociaux. La mobilisation se fait également dans la rue. Le Koninklijke Vlaamse Schouwburg (KVS) pare ainsi sa façade, rue de Laeken à Bruxelles, des dix couleurs correspondant aux hartewensen et aux horizons. En néerlandais, les dix hartewensen se résument ainsi : la richesse doit être commune ; justice fiscale ; jeunes et vieux, forts ensemble ; stop à la pauvreté ; un travail digne ; un cadre de vie viable ; la diversité est une réalité ; éco, c’est logique ; regardons au-delà des frontières ; osons la démocratie. Une nouvelle fois, la formule est parfois aussi importante que le contenu (« Werkbaar werk », « Wees wereldwijs » : littéralement, « Un travail viable » et « Intéressez-vous au monde ») avec un goût prononcé pour l’allitération. En français, les dix horizons choisis par Tout autre chose sont identiques, même si le choix des mots est souvent différent : biens communs par et pour tous ; justice fiscale ; une place pour chaque génération ; solidarité contre la pauvreté ; un travail digne ; un cadre de vie épanouissant ; valorisons notre diversité ; éco, c’est logique ; citoyens sans frontières ; osons la démocratie.

55 Pour inciter à participer à l’événement, Hart boven Hard aligne les arguments que contenait déjà la déclaration alternative, en les élargissant cependant pour viser également les choix politiques du gouvernement fédéral : « Sous les nouvelles politiques du gouvernement flamand et du gouvernement fédéral, la vie devient de plus en plus chère, de plus en plus étriquée. Non seulement les emplois disparaissent, mais on supprime même les revenus de remplacement. Des transports publics aux bibliothèques, des allocations familiales au droit aux études, de plus en plus d’équipements collectifs sont en danger. Dans quelle société veux-tu vivre ? Seul, ou dans un petit groupe, il te sera difficile de t’opposer à ces mesures. Ce n’est qu’ensemble que nous pouvons tirer la sonnette d’alarme. Il y a une alternative ! L’avenir ne commence pas par de nouveaux avions de combat  [21], mais par le choix pour une énergie durable. L’avenir ne commence pas par la subvention aux voitures de société  [22], mais par les investissements dans les transports en commun. L’avenir ne commence pas par une baisse du pouvoir d’achat des familles, mais par le prélèvement d’un impôt juste auprès de ceux qui ont beaucoup d’argent. L’avenir ne commence pas par l’exclusion des gens sur la base de leur langue ou de leur origine, mais par des chances égales à la culture, aux soins, à l’enseignement. » Un petit film diffusé sur Internet et les réseaux sociaux annonce la couleur : « La Grande Parade sera engagée et poétique, pleine de créativité, de sens et d’humour décalé ». Côté francophone, le leitmotiv est « Il y a une alternative ». « Nous paradons », explique Tout autre chose sur son site, « parce que le futur ne commence pas par l’achat de nouveaux avions de chasse mais bien par le choix d’une énergie durable, parce que le futur ne commence pas par les voitures de société subsidiées mais bien par l’investissement dans les transports en commun, parce que le futur ne commence pas par une diminution du pouvoir d’achat des ménages mais bien par un impôt plus équitable sur les grosses fortunes, parce que le futur ne commence pas en excluant les gens sur base de leur langue ou de leur origine mais bien par l’égalité des chances, par le même accès à la culture, aux soins et à l’enseignement ». L’argumentation est donc totalement semblable.

56Sur le site de Hart boven Hard, une trentaine d’« ambassadeurs » expliquent par ailleurs pourquoi ils participeront : Ludo De Brabander, de l’asbl pacifiste Vrede, Magda De Meyer, présidente du Nederlandstalige Vrouwenraad (Conseil national des femmes flamandes) et par ailleurs ancienne députée fédérale SP.A, Eva Brems, professeur à l’UGent et ancienne parlementaire Groen, Corinne Martin, présidente de la Fédération des étudiants francophones (FEF), Koenraad Coppens, président du Kristelijke Werknemersbeweging (KWB, mouvement chrétien des travailleurs, la branche socio-culturelle du mouvement ouvrier chrétien flamand ; équivalent, toutes proportions gardées, aux Équipes populaires), Wim Opbrouck, comédien, David Van Reybrouck, écrivain et initiateur du G1000  [23], Jan Goossens, directeur du KVS, Patrick Van Ouplines, président de la VVBAD, Gie Goris, rédacteur en chef de la revue MO*, Lilith Roggemans, responsable nationale de la Socialistische Vrouwen Vereniging (SVV, association des femmes socialistes flamandes), Jonathan Chevalier, secrétaire national de Joetz (service jeunesse flamand des mutualités socialistes), Leen Van Vaerenbergh, secrétaire nationale de Chirojeugd (patro flamand), Fikry El Azzouzi, écrivain, Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC, Frédérique Mawet, secrétaire générale à Changements pour l’égalité (CGE) et ancienne directrice de Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers (CIRE), Paul Callewaert, secrétaire général des mutualités socialistes, Josse De Pauw, comédien et auteur, Patrick Develtere, président de beweging.net (l’ancien Algemeen Werknemersbond, ACW, l’équivalent flamand du MOC), Jean-Yves Laffineur, directeur de l’Esperanzah! World Music Festival, Michel Genet, directeur général de Greenpeace Belgium, Sofie De Graeve, porte-parole du Vrouwen Overleg Komitee (VOK, groupe de réflexion féministe), Frederic Vanhauwaert, coordinateur général de Netwerk tegen Armoede, Bogdan Vanden Berghe, secrétaire général du NCOS 11.11.11, Nigel Williams, comédien, Vera Dua, présidente du Bond Beter Leefmilieu (BBL, association de défense de l’environnement) et par ailleurs ancienne parlementaire et ancienne ministre flamande Groen, Bleri Lleshi, écrivain flamand d’origine albanaise, Christophe Lambrechts, commissaire des Scouts en Gidsen Vlaanderen, Corry Maes, responsable nationale de S-Plus (association des seniors flamands des mutualités socialistes), Jan Renders, président du Vlaams Welzijnsverbond (Fédération flamande de l’aide sociale), Francesca Vanthielen, présentatrice et actrice (déjà aux côtés de D. Van Reybrouck dans l’aventure du G1000), Ico Maly, professeur à l’université de Tilburg et au département Audiovisuele en Dramatische Kunsten en Technieken (RITS) de l’Erasmushogeschool Brussel (EHB), Mieke Peeters, présidente générale de Open, Kristelijk, Respectvol en Actief (OKRA Trefpunt 55+, ancien Kristelijke Beweging voor Gepensioneerden, KBG, association catholique flamande des pensionnés), Jos Geysels, président du NCOS 11.11.11 et par ailleurs ministre d’État et ancien parlementaire Groen, Ann Vermorgen, secrétaire nationale de la CSC, Saïd Boumazoughe, rappeur, R. Aziz, H. Bachir, N. Charkaoui, R. De Leeuw, D. Murgia, F. Van Keirsbilck et A. Zacharie.

57 Réunissant Flamands et francophones, comédiens, écrivains et musiciens, universitaires, syndicalistes et responsables de petites et grandes organisations du secteur social et culturel et d’organisations de jeunesse, la liste illustre le trait spécifique de la Grande Parade et, au-delà, des mouvements qui en ont pris l’initiative : les partis politiques sont absents (seuls d’anciens parlementaires et ministres s’expriment) ; la mobilisation efface les frontières entre les secteurs pilarisés du tissu associatif ; le monde culturel et le monde syndical se rejoignent pour une action en commun. La liste est par ailleurs plus flamande que francophone et asymétrique. Outre qu’elle émane, formellement au moins, de Hart boven Hard, ces deux traits tiennent sans doute au fait que, à ce moment, Tout autre chose n’en est encore qu’à ses tout débuts.

58 Le concept artistique de la Grande Parade est tout aussi inédit, en tout cas dans le cadre d’une action politique : le but est, en somme, de « s’approprier » une manifestation en se reposant sur la créativité de ses participants, comme le fait tous les deux ans la Zinneke Parade qui défile dans les rues de Bruxelles avec des costumes, des instruments, des chants, des objets fabriqués des mois durant dans des ateliers par ceux-là même qui vont marcher. La conviction que la créativité des individus est infinie mais mal valorisée, sauf dans un cadre commercial, est bien ancrée dans les idées des animateurs des deux mouvements dont les initiateurs, il faut le rappeler, viennent du monde artistique.

59 Entre-temps, Tout autre chose a été invité par Hart boven Hard à formuler à son tour l’équivalent des hartewensen qui vont structurer la Grande Parade. La « traduction » des hartewensen ne se fait toutefois pas sans mal. Le groupe de réflexion de Tout autre chose, en particulier, ne se reconnaît pas dans une traduction littérale et adapte dès lors le langage au public francophone (cf. supra). Il souhaite un « titre plus accrocheur que “les souhaits” », et demande d’« intégrer un souhait sur la justice incluant les inputs d’Alexis Deswaef  [24] sur les droits humains ». Un autre souhait lui semble faire défaut, relatif à la solidarité internationale. Aussi y a-t-il finalement douze souhaits, ou plus exactement douze « tout autres horizons », dans le texte français. Comme la Grande Parade ne compte que dix « blocs », les deux derniers horizons en sont absents. Le comité de pilotage décide à ce sujet, lors de sa réunion du 18 février 2015, que la version intégrale des « tout autres horizons » (avec les douze sous-titres) sera communiquée sur le site Internet, les réseaux sociaux et la communication générale du mouvement, la version en dix points n’étant utilisée que lors de la Grande Parade.

60 Cette dernière est précédée d’activités militantes de nature diverse, conçues comme autant de préludes à la manifestation proprement dite. Ainsi, l’écrivain anversois Jeroen Olyslaegers, auparavant membre du mouvement Occupy  [25], se rend à pied en compagnie de plusieurs autres militants (dont F. Vanthielen et le metteur en scène Nick Balthazar) de Lillo (près de Doel) à Bruxelles. La marche, d’une durée de trois jours, doit permettre de protester également contre le tracé du futur nouveau tunnel anversois sous l’Escaut et de défendre le tracé proposé par les mouvements citoyens stRaten-Generaal et Ademloos, de préférence à celui qu’ont choisi les autorités flamandes  [26]. Le 21 mars, des membres et sympathisants de Hart boven Hard plantent – en collaboration notamment avec le BBL et Greenpeace – 4 000 arbres à Affligem, chaque arbre portant un hartewens personnel ou celui d’une organisation.

61 La Grande Parade se déroule finalement sous une pluie battante le 29 mars 2015. Quelques règles pratiques ont été imposées aux participants, qui s’y prêtent de bonne grâce : pas de pétards, pas de véhicules à moteur, les drapeaux (surtout ceux des partis politiques) sont admis mais relégués en fin de cortège, après les dix blocs qui ont chacun leur couleur, leur objet, leur chanson. Malgré l’averse, quelque 20 000 personnes sont présentes, ce qui est considéré par les organisateurs, et par les médias, comme un remarquable succès. Plusieurs partis politiques ont appelé leurs membres à manifester, mais ils se sont pour le reste montrés assez discrets (ainsi le PS, qui note que « les mouvements citoyens Tout autre chose et Hart boven Hard organisent ce dimanche la Grande Parade, manifestation colorée contre l’austérité et pour une société plus solidaire, plus juste et plus égalitaire », démarche que le parti « soutient »). À l’opposé, les Scouts et Gidsen Vlaanderen décident de ne pas participer avec une délégation officielle et appellent les chefs scouts à ne pas manifester en uniforme : « Le message politiquement chargé de cette action syndicale (sic) ne correspond pas au style de notre mouvement de jeunesse, et ne peut du reste représenter le point de vue personnel de chaque membre et de chaque dirigeant. » « Ce qui n’empêche pas », précise le communiqué de la direction des scouts flamands, « que les Scouts en Gidsen Vlaanderen continuent de partager les préoccupations qu’inspire la dévaluation grandissante du bénévolat et du middenveld en tant qu’acteur social de première importance, comme l’expose la “déclaration alternative de septembre” de Hart boven Hard [dont] le ton constructif s’accorde à la vision pédagogique du scoutisme »  [27].

4. Hart boven Hard après la Grande Parade

62Après la Grande Parade du 29 mars 2015, Hart boven Hard se cherche et trouve d’autres terrains d’action, sous des formes variées ou déjà éprouvées. Ces actions font l’objet du présent chapitre.

4.1. L’opposition à Pegida

63Le 14 avril 2015, Hart boven Hard organise à Gand une contre-manifestation pour s’opposer à la tenue, dans cette même ville et au même moment, d’une manifestation de Pegida Vlaanderen, la section flamande du mouvement anti-musulman d’origine allemande. La manifestation de Pegida réunit 200 personnes environ, auxquelles s’adresse le président de Pegida Vlaanderen (et membre du Vlaams Belang) Rudy Van Nespen, en présence du député fédéral (Vlaams Belang) Filip De Winter. Les contre-manifestants sont également quelques centaines ; il n’y a pas d’affrontements. Le 26 janvier 2015 déjà, Hart boven Hard avait organisé une veillée à Anvers, deux jours après la première manifestation de Pegida en Belgique dans cette même ville.

64 Le 18 mai 2015, Hart boven Hard participe, avec Movement X – un autre mouvement citoyen, fondé en septembre 2014 pour « lutter contre toutes les formes de discrimination sur la base de l’origine, de la religion, de la position socio-économique, du genre, de la classe ou de la nationalité [et] contre tout régime qui ne serait pas le reflet de la nouvelle composition démographique de l’Europe » –, à une manifestation contre le racisme suite aux déclarations du président de la N-VA, député fédéral et bourgmestre d’Anvers B. De Wever à propos de la communauté berbère anversoise  [28]. Le président de Movement X, Dyab Abou Jahjah, prend la parole. Au même moment, à 400 mètres de là, Pegida organise une contre-manifestation en faveur de la liberté d’expression.

4.2. L’autonomie communale

65Parallèlement, le mouvement se lance dans une nouvelle initiative, qui s’inscrit parfaitement dans les préoccupations qui l’ont vu naître. Dans une tribune libre que publie le Standaard le 25 mai 2015, W. Hillaert – qui signe comme « porte-parole de Hart boven Hard » – explique que, « sous le prétexte de combattre la “mise sous tutelle” des administrations locales, la Flandre laisse entièrement aux communes la liberté de dépenser comme elles l’entendent une somme annuelle de 130 millions pour la politique sectorielle locale. À partir de 2016, fais de cet argent ce que tu veux. Si tu préfères le consacrer à des égouts qu’à des animateurs pour jeunes, pas de problème. Si tu préfères réduire ta dette qu’intégrer des nouveaux venus, vas-y »  [29]. « Il n’est pas admissible », conclut W. Hillaert, « que le gouvernement impose cette mesure, vite fait bien fait, alors que le middenveld éprouve à son égard un grand scepticisme ». D’où sa demande : que le Parlement flamand procède à une audition du middenveld.

66 Hart boven Hard lance donc une pétition pour demander cette audition. Le règlement du Parlement flamand impose la tenue d’une telle audition dès lors que 15 000 personnes en font la demande. Ou, plus exactement, il prévoit qu’une commission à qui est renvoyée une pétition a le choix entre trois solutions : soit l’examiner sur le fond, soit en prendre simplement connaissance et estimer qu’elle ne concerne pas le Parlement (et inviter éventuellement, en conséquence, ses auteurs à la soumettre à une autre instance), soit enfin en prendre connaissance mais considérer que son sujet a déjà été traité et que sa discussion n’a donc guère de sens. Dès lors, cependant que la pétition a été signée par plus de 15 000 personnes, seule la première hypothèse s’applique  [30].

67 Lancée début mai, la pétition de Hart boven Hard parvient assez vite à recueillir plus de 12 000 signatures. Il n’en faudra pas plus : le bureau élargi du Parlement flamand décide, le 26 mai 2015, d’inviter différentes organisations à participer à une audition à propos du projet de décret. Il s’agit en l’espèce de ce que le Parlement flamand appelle le « werkveld » : le Vlaamse Jeugdraad (Conseil flamand de la jeunesse), le Kinderrechtencommissariaat (Commissariat aux droits de l’enfant), le Vlaams Instituut voor Sport- en Recreatiebeleid (Institut flamand du sport et des loisirs), la Federatie Sociaal-Cultureel Werk (Fédération des activités socio-culturelles), la Vereniging voor Vlaamse Cultuur- en Gemeenschaps-centra (Association des centres culturels et communautaires flamands), la VVBAD, le Netwerk tegen Armoede et le professeur Filip De Rynck (UGent), spécialiste en sciences de l’administration. Plusieurs des intervenants remercient explicitement Hart boven Hard d’avoir lancé la pétition, et le mouvement –même s’il n’est pas entendu – est représenté dans le public qui assiste à l’audition (sans pouvoir cependant afficher ostensiblement son appartenance au mouvement, règlement parlementaire oblige).

68 Le projet de décret, adopté en commission le 16 juin 2015, sera adopté en séance plénière du Parlement flamand le 30 juin 2015 par 69 voix contre 17 et 7 abstentions – certains orateurs (notamment Kurt De Loor, SP.A) déplorant le refus d’auditionner Hart boven Hard.

4.3. Hartslag 2

69Après la réussite de la Grande Parade, Hart boven Hard réédite l’initiative du colloque de réflexion d’octobre 2014, sous l’appellation « Hartslag 2 ». Cette journée se déroule une nouvelle fois sur le campus de l’UAntwerpen, le 9 mai 2015. L’idée est de se pencher sur les premiers mois d’existence du mouvement et de dresser un bilan. La journée commence dès lors par un « portrait du mouvement », avec des considérations formulées notamment par Manu Claeys. À partir des actions entreprises par les mouvements citoyens anversois stRaten-Generaal (dont il est un des animateurs) mais aussi Ademloos et Ringland, M. Claeys dégage quatre formes de fonctionnement propres aux mouvements citoyens : un réseau pour favoriser un maximum de liens, le travail sur le terrain pour avoir une assise, la réflexion pour faire de l’expertise collective une arme et, enfin, la formulation d’alternatives « constructives ». La formule « Weerwerk, denkwerk, veldwerk » (« S’opposer, réfléchir, aller sur le terrain ») ramasse ces considérations, que l’orateur clôt en soulignant l’importance d’une participation active : les mouvements citoyens ne s’adressent pas aux électeurs, mais à des citoyens en dissidence.

70 Des ateliers sont ensuite consacrés aux « aspects stratégiques ou organisationnels » de Hart boven Hard, et à une discussion de l’« actualité thématique et des alternatives possibles ». Les thèmes de ces ateliers, qui sont parfois identiques dans leur formulation à ceux de Hartslag 1, sont respectivement : « riches ensemble » et « quartier viable » (où il est question des équipements collectifs au niveau local), l’Europe et le Partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement (TTIP, cf. infra), la diversité et les discriminations (« la diversité est une réalité »), la lutte contre la pauvreté, l’écologie (« éco, c’est logique »), le développement des noyaux locaux de Hart boven Hard, les stratégies à développer puis, enfin, les actions futures.

71Avant les réunions de l’après-midi, le sociologue flamand Luc Huyse (professeur émérite de la KUL) fait un exposé sur les « perspectives d’avenir » de Hart boven Hard. Pour L. Huyse, trois évolutions entraînent une « dévaluation » de la démocratie : l’intrusion de la logique de marché en politique et dans la société en général, l’individualisation du fonctionnement démocratique (l’autonomie de l’individu est présentée comme l’idéal à atteindre, tout ce qui vient se placer entre l’individu et la politique est jugé superflu) et l’idée que les élections sont le cœur de la démocratie (l’initiative citoyenne étant dès lors considérée comme non démocratique). L. Huyse voit quelques raisons d’être, malgré tout, optimiste : Hart boven Hard rompt avec les traditions des mouvements citoyens qui l’ont précédé en bâtissant un « pont » entre des centaines d’organisations et d’individus et en formulant des alternatives. Il faut, souligne L. Huyse, réinventer la citoyenneté démocratique : c’est un processus qui se construit à partir de la base, qui est long et difficile et commence au niveau local.

72L’exposé est suivi d’un débat entre J. Geysels, Meryem Almaci, présidente de Groen, Meryem Kanmaz, du Minderhedenforum, M. De Meyer, Linde De Corte, de beweging.net, et Miranda Ulens, secrétaire fédérale de la FGTB.

73 En conclusion de la journée, W. Hillaert formule comme suit quatre lignes de force qui se sont, selon lui, dégagées des ateliers : 1° renforcer l’organisation par l’apport de nouveaux bénévoles assumant des responsabilités ; 2° rassembler autour de la défense de droits fondamentaux (pour, souligne-t-il, commencer par le bas, selon une logique bottom up ; la pétition relative aux équipements communaux est, de ce point de vue, une priorité dans les mois à venir) ; 3° s’élargir, grâce à des « outils de formation » permettant d’atteindre un maximum de gens et en faisant preuve de créativité, de souci de la forme ; 4° approfondir les alternatives. L’expertise est une nécessité. On envisage aussi une nouvelle Grande Parade au printemps 2016.

5. Les structures de Hart boven Hard et leur évolution

74La réunion de la platform de Hart boven Hard du 29 septembre 2014 est notamment consacrée à mieux structurer le mouvement. Il est décidé de réunir la platform, sorte d’assemblée générale, un samedi par mois (« zaterdagplatform », la première réunion avait eu lieu un samedi) ; il est décidé que les convocations et les procès-verbaux seront envoyés aux organisations signataires de la déclaration alternative. Trois équipes (teams) sont mises en place, chargées respectivement de l’étude, de l’action et de la communication. Le stuurgroep est élargi et se compose désormais de W. Hillaert et de H. Franssen, auxquels s’ajoutent Nik Meeusen, du BBL, Robert Crivit, d’Uit de Marge (association d’aide aux jeunes défavorisés) et par ailleurs candidat Groen aux élections communales à Lokeren en 2012, Eva Brumagne, présidente de Femma, Bram Roelant, président de la Vlaamse Vereniging van Studenten (VVS, Association flamande des étudiants), Marijke Persoone, de la LBC-NVK et de FairFin (réseau qui « fait la promotion d’une approche de l’argent favorable à l’homme et à l’environnement et vise à une société juste »), An de Bisschop, de Demos (association d’éducation permanente issue de Kunst en Democratie/Culture et démocratie), Thomas De Groote, d’Ambrassade (asbl qui assure le fonctionnement du Conseil flamand de la jeunesse), F. Van Hauwaert, A. Schuurmans  [31] et E. Persoon. Par la suite, Dirk Van de Poel, de la FGTB flamande, rejoindra encore le stuurgroep.

75L’articulation entre les instances nationales (flamandes) du mouvement et les initiatives locales constitue un dossier délicat. Hart boven Hard laisse, comme son pendant francophone le fera par la suite, une large autonomie à ses noyaux locaux. Cela étant, il a semblé utile à son stuurgroep de formuler, en février 2015, une série de critères susceptibles de présider à la création de groupes locaux.

76Sur le plan du contenu, les initiateurs d’un groupe local (baptisés « trekkers ») doivent souscrire à la déclaration alternative, considérée comme un « texte plateforme », et accepter que chacun soit le bienvenu aux réunions : ouverture, pluralisme et « inclusivité » sont des principes de base. Sur le plan formel, il faut au moins trois trekkers pour lancer l’initiative ; à chacune des équipes locales correspond un responsable au sein du stuurgroep à qui il est demandé d’envoyer les comptes rendus des réunions locales. L’un des trekkers est invité à être présent aux réunions mensuelles de la platform. Les représentants politiques sont acceptés, mais en tant qu’individus (ou, plus exactement, que citoyens). Il leur est donc demandé de faire « profil bas ». Pour le reste, l’accent est surtout mis sur la communication : désignation d’un responsable de la communication pour chaque noyau local, confection d’une adresse mail sur le modèle turnhout@hartbovenhard.be, une seule page Facebook pour toutes les activités locales du mouvement (afin d’éviter « d’éparpiller l’attention »). Il est enfin recommandé aux groupes locaux de tenir la « responsable nationale » de la page Facebook de Hart boven Hard au courant des « lignes de communication », cela pour « éviter les malentendus ». Même si le vocabulaire utilisé est celui de la recommandation, le souci d’éviter les dissonances est manifeste.

77Les noyaux locaux (« lokale kernen ») sont actuellement au nombre de dix-huit, à savoir ceux d’Alost, d’Anvers, de Bruges, de Bruxelles, de Courtrai, de Gand, de Genk, de Hal, de Hasselt, de Herent, de Louvain, de Malines, d’Ostende, de Roulers, de Willebroek, de la Campine, du Pays de Waas et des Voorkempen (zone située entre l’agglomération de la ville d’Anvers et la Campine).

78Les structures de Hart boven Hard se présentent dès lors, jusqu’à la Grande Parade en tout cas, comme suit.

79Primo, le « parlement » du mouvement, nommé zaterdagplatform, se réunit une fois par mois à Anvers. Il prend les décisions de principe, sur la base d’un choix majoritaire parmi les membres présents. Sont invités les organisations signataires de la déclaration alternative et les participants de la première heure. Toutes les actions, tous les changements de cap, toutes les considérations stratégiques sont approuvés ou rejetés dans cet organe qui, par ailleurs, réagit aux propositions des équipes, du stuurgroep et des noyaux locaux.

80Secundo, le stuurgroep est l’organe de décision journalière du mouvement : il se réunit tous les dix jours pour trancher les points urgents et pour des questions de stratégie ou d’organisation, ainsi que pour mettre à exécution les décisions de la platform. Il fonctionne par délégation de pouvoir, c’est-à-dire que toute décision fondamentale doit être prise par la platform. Il se veut le reflet de l’éventail idéologique du mouvement et se compose de deux sortes de membres : les responsables des équipes et des personnalités « qui disposent d’un large réseau professionnel ».

81Tertio, quatre équipes ont « les mains dans le cambouis » et sont « les moteurs du mouvement » : une équipe de communication (responsable : W. Hillaert), une équipe de réflexion (« denkteam », responsable : H. Franssen), une équipe d’action (responsable : L. Vandenhoeck), une équipe financière (responsable : Pieter Goes). Il s’agit à chaque fois, pour reprendre les termes qui figurent dans les documents internes au mouvement, du « cerveau créatif » de Hart boven Hard au niveau supralocal. Les équipes sont responsables chacune du champ dans lequel elles sont actives (y compris pour les actions qu’elles confient à des tiers ou à des sous-traitants), leurs membres doivent avoir adhéré à la déclaration alternative, les nouveaux membres sont agréés par l’équipe elle-même. Chaque équipe a deux responsables dont l’un au moins siège dans le stuurgroep. Les décisions sont prises par consensus ; en cas de désaccord, ce sont les responsables qui tranchent.

82 Quarto, les équipes locales, qui sont « l’assise » de Hart boven Hard. Elles « traduisent » ce que dit Hart boven Hard (le « récit » du mouvement) sous forme de dynamique locale. Chacune délègue un représentant pour la platform, afin d’assurer une bonne communication réciproque ; de même, chaque équipe locale a un « référent » au sein du stuurgroep (pour d’éventuelles questions urgentes et pour des raisons de cohérence).

83 Dès la fin novembre 2014, ces structures sont mises en question, pour plusieurs raisons. Certains participants aux réunions de la platform s’irritent, par exemple, des absences répétées de membres du stuurgroep. Faut-il revoir la composition de cet organe, et comment ? Il y va de la légitimité démocratique du mouvement. La platform décide en définitive de remandater le stuurgroep jusqu’à la Grande Parade. Le procès-verbal de la réunion de la platform du 24 janvier 2015, qui entérine la désignation comme membres du stuurgroep de R. Aziz et de Rudy De Meyer (NCOS 11.11.11), souligne notamment : « La question demeure : qui doit faire partie du stuurgroep, comment peut-on arrêter la représentativité du stuurgroep ? Tout cela sera discuté en profondeur après la Parade. »

84 Le stuurgroep sortant fait donc une proposition à la platform. Ce stuurgroep se compose à ce moment-là d’Arno Kempynck, qui fait fonction de secrétaire, Angela van de Wiel, de l’asbl Samenlevingsopbouw, Bart Verhaeghe, des Verenigde Verenigingen, Leen Pollentier, des mutualités socialistes, Saida Isbai, de la CSC, D. Van de Poel, F. Vanhauwaert, L. Vandenhoeck, M. Persoone, R. Aziz, R. Crivit, R. De Meyer, H. Franssen et W. Hillaert. Les convocations sont également envoyées à E. Brumagne, B. Roelant et N. Meeusen, mais – souligne la note qui doit préparer le choix des modalités d’élection du nouvel organe – ils sont « rarement présents ».

85 La proposition, présentée à la réunion de la platform du 25 avril 2015, prévoit la création d’un organe désormais appelé « dagelijks bestuur », se réunissant tous les dix jours et exécutant les décisions de l’assemblée générale du mouvement. Ce n’est donc pas, précise la note du stuurgroep, un conseil d’administration mais une forme de concertation permettant d’avoir une vue globale du fonctionnement des équipes, de soutenir le cas échéant les noyaux locaux, d’assurer le suivi des projets nationaux, de mener les discussions avec des partenaires extérieurs, et de prendre des décisions urgentes, si nécessaire. Ses procès-verbaux sont transmis à l’ensemble de la platform. « Idéalement », le dagelijks bestuur devrait se composer des représentants des équipes (réflexion, communication, action, finances), de représentants des noyaux locaux, de « représentants des différents domaines sociaux que veut rassembler Hart boven Hard, de préférence par l’intermédiaire de personnes qui ont une fonction de responsabilité dans des organisations et peuvent servir de porte-parole dans leur domaine respectif ». Bref, le meilleur dageijks bestuur possible doit « refléter les différentes tendances à l’intérieur du mouvement dans son ensemble : diversité de coloration idéologique, équilibre entre citoyens et organisations, entre le local et le national, entre hommes et femmes ».

86 La procédure proposée consiste à permettre aux membres sortants souhaitant se représenter et aux nouveaux candidats de déposer leur candidature avant le 15 mai, accompagnée d’une courte description de leur parcours, de leurs fonctions actuelles et de leur motivation, et d’envoyer la liste des candidats pour le 20 mai à tous les membres de la platform. Lors de l’assemblée générale du mois de mai, toutes les personnes présentes peuvent cocher quinze cases sur un bulletin de vote contenant les noms de tous les candidats, et les quinze candidats ayant obtenu le plus de voix formeront le dagelijks bestuur – étant entendu que, à sa première réunion, cet organe nouvellement élu se penchera sur sa composition et pourra, en fonction de critères de représentativité, de qualité et d’appartenance à des réseaux, coopter encore cinq membres, dont la désignation devra ensuite être ratifiée aux deux tiers des suffrages par l’assemblée générale du mois de juin.

87 Cette proposition ayant été adoptée par la platform, l’élection proprement dite a lieu lors de l’assemblée générale du 26 mai 2015. Le dagelijks bestuur élu lors de cette assemblée se compose d’A. van de Wiel (membre de l’équipe d’action et du groupe de travail diversité, et qui copréside l’assemblée générale), H. Franssen (initiateur et membre de l’équipe de réflexion, et qui copréside l’assemblée générale), L. Vandenhoeck (membre de l’équipe d’action et membre du groupe de travail politique locale), R. Crivit (membre du groupe de travail politique locale), E. Corijn (membre de l’équipe de réflexion), R. Aziz (membre du groupe de travail diversité), S. Isbai (membre du groupe de travail diversité), M. Persoone, Ilse Hacketal, de Samenlevingsopbouw (membre du groupe de travail diversité), B. Verhaeghe, Zalmai Panijsheri, de la section locale Hart boven Hard d’Anvers, A. Kempynck, de la section locale Hart boven Hard d’Anvers (membre de l’équipe de communication et membre de l’équipe d’action), L. Pollentier, R. De Meyer (membre du groupe de travail Wees Wereldwijs) et F. Vanhauwaert. Quant à W. Hillaert, l’autre initiateur de Hart boven Hard, il n’a pas présenté sa candidature afin de « répartir davantage le travail » ; il demeure néanmoins porte-parole du mouvement et peut assister, à ce titre, aux réunions du dagelijks bestuur.

88 En vertu des règles adoptées par la platform, le nouvel organe peut encore coopter au maximum cinq membres, dont la désignation doit cependant être ratifiée à une majorité spéciale par l’assemble générale. C’est chose faite le 20 juin avec l’admission au sein du dagelijks bestuur de trois personnes : Leen Laconte, d’Overleg Kunstenorganisaties (oKo, une association d’artistes), Elien Sohier, du BBL, et D. Van de Poel.

6. Tout autre chose après la Grande Parade

89Comme Hart boven Hard mais sur des objets et sous des formes parfois différents, Tout autre chose prend part après la Grande Parade à plusieurs actions de nature diverse, dont une énumération non exhaustive est donnée ci-après, accompagnée de quelques commentaires.

6.1. Opposition au projet de TTIP

90Le mouvement s’investit surtout dans l’opposition au Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI, ou Transatlantic Trade and Investment Partnership - TTIP, également connu sous le nom de Traité de libre-échange transatlantique : accord commercial en cours de négociation entre l’Union européenne et les États-Unis). Le 18 avril 2015, en collaboration avec d’autres mouvements (en l’occurrence, l’Alliance D19-20, le CNCD 11.11.11 et les Acteurs des temps présents, sans oublier Hart boven Hard), Tout autre chose participe à une journée nationale d’action (baptisée sommet alternatif contre les traités de libre-échange) contre plusieurs traités transatlantiques européens. Le TTIP n’est en effet pas le seul concerné : l’action concerne aussi l’Accord économique et commercial global (AECG, ou Comprehensive Economic and Trade Agreement - CETA : traité entre l’Union européenne et le Canada en cours d’adoption), et l’Accord sur le commerce des services (ACS, ou Trade in Services Agreement - TISA : projet de traité actuellement négocié entre 23 parties membres de l’Organisation mondiale du commerce, dont l’Union européenne et le Canada). Différents débats et ateliers ont lieu dans les locaux de la CSC rue Pletinckx à Bruxelles, suivis d’une manifestation devant les bureaux de la Commission européenne sis rue Froissard.

91 L’opposition de Tout autre chose au TTIP se traduit également par la réalisation d’un texte, composé par le groupe de réflexion du mouvement, qui « déconstruit » un discours prononcé en 2013 par le commissaire européen au Commerce d’alors, le libéral flamand Karel De Gucht, à propos des traités de libre-échange. Ce travail « a pour objectif de montrer que les affirmations qui semblent relever de l’évidence restent des choix politiques, et qu’à ce titre, des lectures alternatives de mêmes faits existent ». L’intérêt de la procédure qu’a adoptée à cet effet le groupe de travail de Tout autre chose – lequel précise au demeurant que ses textes « visent à stimuler le débat, et non pas à asseoir une position unique de Tout autre chose » et n’engagent dès lors « que les membres du groupe qui ont validé la version publiée » – est le recours à un « outil de travail collaboratif », un « Loomio »  [32], permettant à une discussion collective d’améliorer un premier texte proposé par un membre du groupe, « tant sur le fond que sur la forme ».

92Par ailleurs, le journal Le Soir publie, le 17 avril 2015, une carte blanche consacrée au TTIP que signent plusieurs personnes impliquées dans la naissance et les actions de Tout autre chose. Ce texte se sert de la déconstruction du discours de K. De Gucht auquel a procédé le groupe de réflexion, et il y ajoute divers éléments en critiquant par exemple l’absence d’un véritable multilatéralisme, la redistribution des pouvoirs normatifs au détriment des États et la mise en place de tribunaux privés (mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États ou Investor-State Dispute Settlement, ISDS). La signature du texte donne lieu, semble-t-il, à de multiples discussions ou arguties (Qui ou quel organe avalise la signature ? À quel titre signe-t-on ? Tout autre chose a-t-il réellement des membres ?). Finalement, sept personnes signent le texte, deux porte-parole (David Mendes et Véronique Clette) et cinq « membres » de Tout autre chose : Michel Gevers, professeur émérite à l’UCL, A. Zacharie, Joëlle Baumerder, directrice de la Maison du livre, Carmelo Virone, responsable chez SMart, et Jean De Munck, professeur à l’UCL. Lors de sa réunion du 8 avril 2015, le comité de pilotage précise à ce sujet que « toute position au nom du mouvement doit faire l’objet d’une décision du groupe de pilotage (comme pour l’appel, les balises et les horizons) », mais que « chacun peut par ailleurs s’exprimer en son nom propre complété éventuellement par “membre de Tout autre chose” (comme ce sera le cas avec les cartes blanches) ». Précision sans doute utile, qui témoigne des conflits de préséance susceptibles de naître dans un mouvement peu hiérarchisé.

93Le 24 avril 2015, Tout autre chose appelle à un rassemblement devant le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, qui doit examiner et voter ce jour-là, en séance plénière, une proposition de résolution concernant le projet de TTIP « et ses conséquences sur la Région de Bruxelles-Capitale »  [33] – résolution au demeurant assez critique sur plusieurs points du projet de TTIP et s’opposant en particulier à l’instauration de tribunaux d’arbitrage privés, mais que les adversaires du traité jugent insuffisamment ambitieuse. Cette action, comme les précédentes, se fait en collaboration avec l’Alliance D19-20 et plusieurs autres mouvements ; elle rassemble devant le siège de l’assemblée régionale bruxelloise, rue du Lombard, quelques dizaines de personnes. Elle n’empêche pas le vote de la proposition de résolution, adoptée finalement le soir même par 41 voix (PS, CDH, FDF et SP.A) contre 32 (MR, PTB, Écolo, Groen et N-VA) et 7 abstentions (Open VLD et CD&V).

94En partenariat avec l’Alliance D19-20, No Transat  [34], Hart boven Hard et les Acteurs des temps présents, Tout autre chose soutient par ailleurs les initiatives tendant à faire déclarer des communes « hors TTIP » par le biais de pétitions et d’interpellations citoyennes, voire de motions déposées et débattues au conseil communal. Plusieurs de ces motions seront d’ailleurs adoptées (à Welkenraedt, à Watermael-Boitsfort et à Tournai, par exemple).

6.2. Soutien aux services publics

95Le 22 avril 2015, Tout autre chose manifeste son soutien à une grève des services publics lancée par la CGSP en diffusant notamment des affichettes qui proclament : « J’aime mon service public ».

6.3. Premier mai

96À l’occasion de la célébration du premier mai 2015, Tout autre chose invite ses sympathisants à fêter le travail – mais pas n’importe quel travail : le travail digne. Le mouvement entend « repenser collectivement le temps de travail, pour que chacun-e bénéficie d’un salaire suffisant, puisse accéder à la sécurité sociale, soit reconnu[-e] et puisse exercer ses responsabilités familiales, se consacrer à ses loisirs et participer à la vie citoyenne. Tout autre chose est possible ! ». Dans ce cadre, il organise un déplacement à vélo de Bruxelles à Jodoigne (où le MR a coutume de célébrer « sa » fête du travail et des travailleurs, qualifiée par Tout autre chose de « petite sauterie ») ; il « relaie » une action de la CSC, toujours à Jodoigne, pour rappeler que le MR fait partie d’un gouvernement « qui organise l’appauvrissement de tous les travailleurs ». Il est présent, avec un stand, aux fêtes du premier mai de la FGTB à Bruxelles et à Liège.

6.4. Une tout autre économie

97Le 2 mai 2015, Tout autre chose organise une journée de formation sur le thème « Pour une tout autre économie ». L’objectif est de « partager avec les citoyens membres de Tout autre chose les connaissances et analyses de l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC)  [35] et du Réseau justice fiscale (RJF) »  [36], de répondre aux questions que ces citoyens se posent au-delà des grands sujets qui seront abordés, de déboucher sur des propositions.

6.5. Justice fiscale

98Le 28 mai 2015, c’est avec le RJF et le Financieel Actie Netwerk (FAN)  [37] que Tout autre chose collabore dans le cadre d’une action ludique devant la Tour des Finances, siège du Service public fédéral (SPF) Finances. Parmi les douze horizons adoptés par le mouvement, la question de la justice fiscale figure en effet en bonne place : « Travailleurs avec ou sans emplois, indépendants, entreprises, familles… Toutes et tous, nous devrions contribuer au bien-être collectif à travers les impôts, les taxes et les cotisations sociales. Comment se fait-il qu’une poignée d’entreprises ne participent pas à cet effort commun alors qu’elles bénéficient abondamment des services de l’État ? On estime l’évasion fiscale des 1 000 plus grandes entreprises présentes en Belgique à 13 milliards d’euros ! Comment expliquer aux plus faibles d’entre nous qui voient leurs allocations rognées qu’on ne réclame aucun effort aux plus riches ? »

6.6. Soutien au peuple grec

99Tout autre chose, comme Hart boven Hard, fait partie de la plateforme Avec les Grecs !, qui organise, le 21 juin, une manifestation de soutien au peuple grec dans le contexte des négociations entre la Grèce et l’Union européenne. La plateforme dénonce les mesures d’austérité imposées aux Grecs. Les deux mouvements publient sur leur site respectif un projet de « lettre ouverte au gouvernement belge » rédigé par le politologue Ferdi De Ville (UGent) et par Renaat Hanssens (service d’étude de la CSC). Selon cette lettre, appelée à être signée avant le référendum grec du 5 juillet 2015, « les dirigeants européens et le Fonds monétaire international (FMI) veulent démontrer [par leurs propositions au gouvernement grec] qu’ils n’accepteront pas d’alternative à la politique d’austérité pure et dure ni aux recettes néolibérales » ; elle exige du gouvernement belge d’accepter « qu’une autre Grèce soit possible ».

6.7. Les modalités des actions ponctuelles auxquelles participe Tout autre chose

100Ces différentes actions militantes, pas nécessairement ludiques d’ailleurs et presque chaque fois menées en collaboration avec Hart boven Hard, ont pour point commun de s’inscrire dans le cadre de l’appel et/ou des balises. Le comité de pilotage de Tout autre chose a été amené (dès sa réunion du 21 janvier 2015) à réfléchir à la philosophie qui devait être la sienne dans ce contexte. Sollicité pour participer à une série croissante d’événements existants et incapable de tout suivre matériellement, il charge son groupe d’action de se pencher sur le sujet. La question de la « plus-value » paraît, à cet égard, essentielle.

101 En définitive, lors de la réunion du 18 février 2015, une distinction est établie entre les actions que Tout autre chose relaie, celles que le mouvement soutient et celle qu’il « porte directement ». Un « guide pour l’action » est adopté le 27 mai 2015, précisant notamment que « Tout autre chose soutient les débats, initiatives et actions des associations et collectifs citoyens s’inscrivant dans les douze horizons et qui contribuent à construire des alternatives aux politiques d’austérité et au modèle social, économique et culturel dominant. Les associations qui ont signé l’appel peuvent ajouter le logo de Tout autre chose à leurs activités ». La note souligne que les actions ne peuvent soutenir un parti ou une personne (mais bien un pays), et distingue des actions « organisées par le mouvement », « à soutenir » et « à relayer ». Les actions « organisées par le mouvement » doivent « viser la transversalité » (l’exemple d’Une tout autre école est expressément cité, encore que, dans ce cas, l’argument – « parce que Tout autre chose peut permettre d’aborder le sujet en touchant un public rarement touché par ces questions » – paraît fort peu transversal). Tout autre chose, ajoute encore la note, « ne doit pas prendre la place d’une association, organisation ou plateforme spécialisée sur la thématique ». Les actions à soutenir doivent « concerner un sujet qui entre dans les préoccupations de Tout autre chose » et la présence de Tout autre chose doit apporter un « plus » médiatique ou en termes de crédibilité. Les actions « à relayer », enfin, sont surtout celles où Tout autre chose « n’est pas en mesure de proposer une présence suffisante pour la préparation ». C’est le comité de pilotage (le cas échéant, sur avis du groupe action) qui est l’instance habilitée à trancher (voire le bureau, mais uniquement en cas d’urgence).

102 Pourquoi des mouvements citoyens, existant parfois depuis pas mal de temps, viennent-ils proposer à Tout autre chose de s’engager avec eux dans des actions ponctuelles ? La réponse est double : en premier lieu, Tout autre chose bénéficie d’une aura, d’un engouement et, bien souvent, d’une couverture médiatique sans précédent, dont ne jouissent pas nombre de ces mouvements qui lui sont antérieurs. En second lieu, ces derniers sont bien souvent unidimensionnels, s’attachant à un objet bien défini, alors que Tout autre chose s’est donné pour vocation de rassembler large (en ce sens, la question de sa transformation éventuelle en parti politique prend évidemment tout son sens). Il est certain, enfin, que la double, voire triple casquette de nombreux professionnels de l’associatif engagés dans Tout autre chose facilite les collaborations.

6.8. Projets à plus long terme

103En dehors de ces actions ponctuelles, le mouvement s’engage dans deux chantiers de réflexion, l’un déjà en cours et l’autre en projet : Une tout autre école et le Forum des alternatives.

6.8.1. Une tout autre école

104Dès la réunion du comité de pilotage du 18 février 2015, Bernard Delvaux (responsable d’un service pédagogique à l’UCL) avait proposé de lancer un groupe de travail sur les enjeux de l’enseignement, ce que le comité avait accepté : c’est ce groupe qui a préparé et animé l’atelier consacré à ce thème lors de l’assemblée générale du 7 mars 2015.

105 Sous le slogan « Une tout autre école ? Créons-la ! », le groupe de travail ad hoc – en collaboration avec la Plateforme de lutte contre l’échec scolaire, la FEF et le Comité des élèves francophones (CEF) – entend « esquisser collectivement » l’école du futur. À cet effet, il met en place un site participatif et organisera symboliquement, le jour de la fête de la Communauté française, le 27 septembre 2015, des débats dans plusieurs villes wallonnes et à Bruxelles. Il se réunit à plusieurs reprises en séance plénière (le 25 février, le 16 mars, le 27 avril et le 1er juin 2015) mais met aussi sur pied des sous-groupes consacrés à la « méthode », à la « communication » et au « site participatif ». Jacques Liesenborghs, sénateur Écolo de 1991 à 1995, a salué cette dynamique sur le blog de la revue Politique (http://blogs.politique.eu.org). De son côté, B. Delvaux a publié un ouvrage consacré à ce sujet  [38].

6.8.2. Forum des alternatives

106Le comité de pilotage de Tout autre chose avait prévu de lancer à l’été 2015 un « forum des alternatives ». L’objectif était de « mettre en réseau les citoyens et associations autour des questions des alternatives et de la manière de les promouvoir de manière originale et efficace ». Mandaté par le comité de pilotage pour faire une proposition concrète, le bureau du mouvement a rédigé une note qui envisage la tenue pendant plusieurs mois de commissions thématiques, débouchant sur un forum qui aurait pour but de faire un état des lieux des alternatives et de nourrir la production d’un mémorandum. L’échéance retenue n’a cependant pas pu être respectée : ce « forum des alternatives » n’a pas encore eu lieu.

7. La structuration de Tout autre chose

107Dans les premières semaines d’existence de Tout autre chose, un groupe (appelé par la suite « comité de pilotage ») se réunit, auquel participent notamment les premiers signataires actifs de l’appel (les syndicats, les organisations non gouvernementales, des intellectuels et quelques citoyens engagés). Sa composition n’est pas formellement arrêtée : y siègent en principe les porte-parole du mouvement, des représentants des groupes locaux et des groupes thématiques, mais les convocations et les ordres du jour sont disponibles sur le site Internet de Tout autre chose. Le comité prend les décisions stratégiques concernant le mouvement ; ainsi, c’est lui qui s’est penché sur la suite à donner aux demandes de rencontre formulées par les partis (d’abord Écolo et le PTB, puis le PS). Question de principe, délicate, car beaucoup de signataires de l’appel se méfient des partis politiques  [39]. Le comité de pilotage s’est trouvé, en l’occurrence, partagé et a finalement accepté le principe des rencontres, lors de sa réunion du 8 avril 2015, par 18 voix contre 9 et 9 abstentions, précisant que « le message que la délégation de Tout autre chose portera se limitera à présenter le mouvement, son appel, ses balises et ses douze tout autres horizons ». Le comité de pilotage tient ses réunions, depuis ses débuts, dans les locaux de l’Université populaire de Bruxelles à Saint-Gilles  [40].

108 Lors de sa réunion du 21 janvier 2015, le comité de pilotage a décidé de créer un bureau dit « journalier » – qui se réunit en fait chaque semaine –, chargé de traduire dans la pratique les décisions du comité de pilotage et d’assurer la coordination des différents éléments du mouvement. Il est théoriquement composé de deux membres de chacun des groupes de travail et des quatre porte-parole du mouvement (D. Noels et D. Murgia, les premiers à exercer cette fonction, auxquels sont adjoints ce même 21 janvier D. Mendes et V. Clette). La coordination du bureau, d’abord assurée par J. Van Ruychevelt, l’est depuis lors par Nabil Sheikh Hassan (venu de la CNE), qui a remplacé également A. Zacharie à la coordination du comité de pilotage, sans que ces postes soient formellement identifiés comme tels ; mais, bien entendu, il faut envoyer des convocations, rédiger des procès-verbaux, etc.

109 Toutefois, la composition réelle du bureau semble s’écarter de ce schéma théorique. Le bureau journalier de Tout autre chose est actuellement formé de deux représentants du groupe de réflexion (dit « groupe mots du pouvoir »), P. Vielle et A. Zacharie ; de deux représentants du groupe communication, N. Sheikh Hassan et Johan Verhoeven (du Réseau pour des alternatives démocratiques, écologiques et sociales, ADES  [41]) ; de deux représentants du groupe aide régionale, Fanny Dekeyzer et J. Van Ruychevelt ; de trois représentants du groupe action, F. Mawet, G. Bosmans et Anissa Benchekroun ; de Werner Simon, du groupe web ; de S. Simon ; d’une attachée de presse, Louise Donnet ; et des quatre porte-parole précités.

110Jusqu’à présent, il n’y a eu qu’une seule assemblée générale officielle du mouvement, le 7 mars 2015. Elle s’est tenue à l’Université de Namur (UNamur) et, comme le « moment de réflexion » Hartslag 1 de Hart boven Hard, elle était structurée en ateliers. Un atelier s’est penché sur la communication du mouvement, pour « proposer des pistes concrètes de stratégie de communication, d’univers à adopter pour sortir des canevas classiques associatifs sans être trop connoté culturellement pour rester rassembleur, sans être paternaliste ». Un atelier a discuté de la démocratie interne du mouvement, en insistant sur des notions comme la transparence et les rotations des responsabilités. Un troisième atelier a été consacré à l’articulation entre les sections locales et les actions et décisions centralisées. Un atelier a traité des liens entre Tout autre chose et d’autres mouvements citoyens, associations de fait ou organisations structurées : le CNCD 11.11.11, Lire et écrire  [42], ATTAC, l’Alliance D19-20, les Acteurs des temps présents, etc. C’est, bien entendu, la spécificité de Tout autre chose qui est ici en cause (cf. infra). Un atelier a discuté de la justice fiscale, en perspective notamment du « Tax Justice Day »  [43] du 28 mai 2015, afin de mettre en évidence des « pistes alternatives à la fiscalité belge en vigueur ». Sous la conduite de B. Delvaux, un autre atelier encore a débattu du système scolaire en préconisant une « tout autre école » plutôt qu’une « école d’excellence ». Cet atelier a donné naissance à un groupe de travail thématique qui a entre-temps suscité la création de sous-groupes et produit plusieurs textes (cf. supra). Un atelier a abordé la question de la diversité, y compris au sein même du mouvement. Un autre, enfin, a été consacré à la problématique du TTIP, en perspective, là aussi, de la journée d’action programmée le 18 avril 2015 (cf. supra). Chacun de ces ateliers a présenté un rapport, consultable sur le site Internet de Tout autre chose.

111Par ailleurs, Tout autre chose compte six groupes de travail fonctionnels (communication, réflexion, web, action, mouvement/fonctionnement/finance, appui aux locales) et deux groupes de travail thématique (Une autre école, Travail digne). Ils sont ouverts à toute personne désirant participer à leurs travaux.

112Il y a enfin des « locales », au dynamisme variable. Plusieurs sections locales ont vu le jour en région bruxelloise : d’abord à Saint-Gilles et à Watermael-Boitsfort, et ensuite à Laeken et à Forest. Pour « garder un lien entre les locales et les deux mouvements », s’est créé un groupe régional bruxellois qui a tenu une assemblée générale le 7 juin 2015 aux Markten, à Bruxelles. Ce groupe est expressément bilingue, réunissant des sympathisants de l’un ou de l’autre des deux mouvements voire des deux à la fois, ainsi Jan Busselen (par ailleurs candidat aux élections fédérales du 25 mai 2014 sur les listes PTB-GO!).

113 Les sections locales de Tout autre chose bénéficient d’une totale autonomie, à condition d’inscrire leurs activités dans le cadre des balises. En particulier, il leur est demandé de rester totalement a-partisanes. Rien ne semble cependant prévu pour articuler plus formellement le fonctionnement des sections locales et des organes centraux du mouvement. C’est que l’autonomie est ici une notion-clé, les animateurs de Tout autre chose étant convaincus qu’il faut faire confiance à la capacité des citoyens de trouver des réponses aux questions, de faire preuve dans ce cadre d’une grande créativité et de ne pas se laisser manipuler. Par ailleurs, l’idée que le processus de discussion et d’élaboration des plateformes constitue en tant que tel un objectif politique, une action, est bien ancrée dans leur discours. L’absence formelle de représentants des sections locales au sein du bureau  [44], ou de liens de référence entre les sections locales et des membres du bureau désignés à cet effet, illustre ce qui est sans doute à la fois une force et une faiblesse, et qui n’a pas les mêmes traits côté flamand.

114 L’ensemble de ces structures peut paraître assez informel voire confus, en particulier là où les textes ne recouvrent pas la réalité et par comparaison avec ce qu’a mis en place Hart boven Hard. Cela étant, une réflexion sur la mise en place d’un processus de démocratie interne à Tout autre chose est en cours. Les enjeux sont nombreux, entre idéal participatif, rapports de force, susceptibilités humaines, souci de transparence (voire empressement des médias à relever les conflits internes). Soucieux de se démarquer des acteurs politiques existants et de donner une dimension nouvelle aux actions du secteur associatif, Tout autre chose oscille visiblement entre une volonté de souplesse voire de déliance et un besoin, sans doute difficilement assumé, de formalisme plus pointu.

115 Le comité de pilotage a décidé d’adresser un questionnaire ouvert sur ce sujet aux sections locales, aux groupes de travail et aux organisations signataires de l’appel, afin qu’elles portent le débat en leur sein et qu’elles en transmettent le résultat, en ce compris les idées qui auraient été écartées. Intitulé « Premier (sic) consultation de démocratie interne », le questionnaire commence par constater – fort justement, comme on l’a vu – que « Tout autre chose s’est organisé de manière pragmatique au fil des semaines, pour répondre aux besoins, en s’inspirant de ce qui prévaut chez Hart boven Hard ». Il pose une série de questions sur, notamment, l’implication souhaitable des signataires de l’appel, la structuration et la participation des organisations au mouvement, le rôle des sections locales, le rôle des groupes (fonctionnels et thématiques), la structuration de ces groupes par rapport aux « lieux de coordination du mouvement »  [45], le rôle et la composition du bureau (des élus par une assemblée générale, des membres tirés au sort, des représentants des locales, des groupes ou des associations), le rôle et la composition du comité de pilotage (idem), le rôle et la composition de l’assemblée générale (tout le monde ou tous les signataires), son mode de prise de décision (majorité simple, absolue, unanimité, consensus). Le questionnaire se clôt par des interrogations plus ouvertes, notamment sur « les garanties démocratiques » qui doivent « prévaloir au sein du mouvement pour se prémunir contre les fraudes, abus, etc. ».

116Un groupe ad hoc va faire la synthèse des réponses et des propositions, qui devront être soumises à l’approbation d’une assemblée générale en septembre 2015.

8. Hart boven Hard et Tout autre chose : quelques éléments de comparaison

117Bien que les deux mouvements aient beaucoup de points communs et, surtout, s’efforcent de coordonner au moins leurs actions nationales – et, à Bruxelles, leur implication fréquente et commune dans diverses actions locales –, plusieurs différences les séparent.

118Hart boven Hard est né en réaction à l’accord qui a présidé à la formation du gouvernement flamand et, sans doute, à la double victoire électorale de la N-VA désormais présente à la fois dans l’exécutif flamand et dans l’exécutif fédéral. Issu à l’origine des milieux culturels, le mouvement a très vite bénéficié de l’appui explicite des acteurs associatifs, y compris syndicaux ; il y a là une alliance inédite, dont un des traits principaux a été la capacité à se structurer très vite et très facilement.

119 Les premières réunions de Hart boven Hard sont presque exclusivement consacrées à dresser la liste des effets que les économies envisagées par le gouvernement flamand risquent d’avoir sur le fonctionnement de chacune des organisations du middenveld, que celles-ci s’occupent de culture, d’éducation permanente, d’aide à la jeunesse, d’aide sociale ou de soutien aux populations d’origine étrangère. Rien de tout cela chez les francophones de Tout autre chose qui, comme leur nom l’indique, poursuivent pour l’essentiel deux objectifs : donner un nouveau souffle à la lutte contre l’austérité, en s’inspirant notamment des méthodes ludiques de Hart boven Hard, et esquisser les traits d’une société nouvelle et différente. Dans les faits, Tout autre chose sert surtout de label à des actions initiées par d’autres mouvements ou au niveau local, et la réflexion sur une société « autre », engagée lors de l’assemblée générale du 7 mars, y a été repoussée à 2016. Le middenveld flamand, riche de multiples associations menacées parfois dans leur existence même, a réagi à une situation politique qui ne se présentait pas avec la même acuité de l’autre côté de la frontière linguistique. Il est sans doute symptomatique que plus de 300 associations aient signé la déclaration alternative de Hart boven Hard, contre 189 seulement pour l’appel francophone.

120 S’il se veut indépendant des partis politiques, Hart boven Hard tolère la présence dans ses organes dirigeants de membres de ces partis, à titre individuel toutefois ; la présence d’organisations du pilier chrétien hostiles à la participation du CD&V au gouvernement flamand et au gouvernement fédéral témoigne, enfin, des difficultés que traverse – surtout en Flandre – le système des piliers.

121 Tout autre chose, en revanche, se présente comme davantage globalisé et alternatif. Ainsi, si Hart boven Hard a bien participé aux campagnes d’opposition aux traités transatlantiques et si plusieurs de ses fondateurs, dont surtout H. Franssen, ont également été à l’origine de l’action « Red de Cultuur/Ceci n’est pas une farce », qui avait notamment organisé au Bourlaschouwburg d’Anvers, le 1er avril 2014  [46], un « happening artistique » dirigé contre le Livre vert européen sur la culture  [47], c’est du côté francophone que viennent, dans ce domaine, les impulsions les plus vigoureuses. Hart boven Hard s’efforce en effet de se démarquer de l’image « altermondialiste » que véhiculent de nombreux mouvements citoyens. La complexité des textes des traités, par ailleurs, ne facilite pas la lecture ni, a fortiori, la mobilisation ; or, Hart boven Hard porte haut le souci d’un langage clair et accessible à tous. À plusieurs reprises, les réunions des organes de Hart boven Hard soulignent l’importance « de ne pas négliger le niveau européen », comme si la chose n’allait pas de soi. Dans le mouvement francophone, même s’il n’est pas lui-même à la manœuvre, le refus des traités atlantiques résulte d’une globalité d’approche là où Hart boven Hard, semble-t-il – et à l’instar de mouvements citoyens flamands qui l’ont précédé, comme les stRaten-generaal –, porte haut l’étendard d’un certain pragmatisme.

122 Par ailleurs, la proximité des actions de protestation contre la politique du gouvernement fédéral et le projet relativement rapproché d’organiser une manifestation nationale avec Hart boven Hard ont fait que Tout autre chose a dû consacrer l’essentiel de son énergie, dans les premiers temps de son existence, à des questions de nature plutôt organisationnelle et pratique : confection d’un site Internet, rédaction de textes, etc. La réflexion stratégique, par la force des choses, s’est développée plus lentement et l’impression peut naître d’avoir affaire à une sorte de « label » commode, plus consensuel et médiatique, accolé à des actions dont le mouvement n’est que le relais. L’implication dans les actions syndicales de décembre 2014 n’a sans doute pas davantage favorisé cette réflexion : le soutien concret et immédiat primait. Hart boven Hard n’a pas cette histoire ni ces liens directs avec le mouvement syndical.

123 La configuration présidant aux rapports de force politiques de part et d’autre de la frontière linguistique explique encore d’autres différences, essentiellement de priorités. Ainsi, Hart boven Hard est particulièrement sensible à la répression policière au niveau communal, en particulier au comportement jugé parfois raciste des forces de l’ordre (Anvers est particulièrement visée). Tout autre chose paraît lire la question de la domination différemment, de façon plus globale, moins dans le rapport de force immédiat.

124 Le même écart temporel (la naissance, dans l’urgence, de Tout autre chose) et géopolitique (les rapports de force de part et d’autre de la frontière linguistique) explique sans doute aussi pourquoi Hart boven Hard s’est doté assez vite de structures relativement stables et s’est penché sans trop d’états d’âme sur leur légitimité démocratique, alors que Tout autre chose n’en est, à ce stade, qu’aux balbutiements d’un processus compliqué.

125 Enfin, on notera que Tout autre chose fonctionne de manière beaucoup plus décentralisée que Hart boven Hard et que sa défiance envers les partis politiques est plus grande : elle se double, dans ses rangs, d’une égale défiance envers les grosses associations soupçonnées de vouloir utiliser à leur profit le dynamisme propre au mouvement.

9. Hart boven Hard et Tout autre chose dans le contexte belge

126Entre les deux mouvements cependant, les points communs abondent et ne se limitent pas à la participation commune à des actions de plus en plus variées, ni à l’échange d’expériences (on notera que, en l’absence d’organe faîtier ou de concertation, il est prévu qu’un représentant de Hart boven Hard assiste aux réunions du comité de pilotage de Tout autre chose et réciproquement).

127Tous deux sont – c’est même leur caractéristique essentielle – des mouvements qui se veulent à la fois citoyens et associatifs : un mouvement dit citoyen qui ne serait composé que d’individus, dans le contexte belge en tout cas, risquerait assez vite de se muer en « bulle spéculative » (pour reprendre les mots d’un représentant, faut-il le préciser, du secteur associatif siégeant dans Tout autre chose). La jonction entre organisations et personnes physiques, même source de tensions, fait l’originalité de Hart boven Hard comme de Tout autre chose et sans doute la force des deux mouvements.

128 Nés à un moment et dans un contexte politique (à certains égards) différents, les deux mouvements ont pour objectif premier de critiquer les politiques d’austérité de leurs gouvernements respectifs et/ou commun et des autorités européennes. Dans ce cadre, ils s’emploient, à rebours de ce qu’affirment plusieurs décideurs politiques, à répéter qu’il existe des alternatives à des choix imposant une accumulation de coupes budgétaires. Tout autre chose s’est attelé, plus que Hart boven Hard, à « déconstruire » les mots du pouvoir dans cet esprit.

129Les deux mouvements s’appuient sur leur ancrage local qu’ils veulent relativement, ou largement, autonome. Ils partagent aussi un souci très poussé de la communication : certains la jugent même prioritaire, ce qui n’est pas du goût de tous. Hart boven Hard s’attache, en particulier, à multiplier les variations sur le thème du « cœur » et les formules allitératives, faciles à retenir (« Wees wereldwijs », « Waar winst het wint van waarde, wordt verlies het resultaat », etc.). Un soin particulier est apporté à la transmission d’informations via le site Internet et, surtout, les réseaux sociaux. Il n’est pas sans intérêt de relever, dans ce cadre, la présence affirmée, dans les organes de coordination de Hart boven Hard comme de Tout autre chose, de spécialistes de la communication.

130 Le point particulier des générations n’est, semble-t-il, pas sans importance, car le succès de Hart boven Hard tient aussi à la créativité dont le mouvement fait preuve lors des actions qu’il entreprend et dans sa façon de communiquer, dont s’efforce de s’inspirer Tout autre chose  [48]. La Grande Parade était plus proche de la Zinneke que d’une manifestation encadrée par des chorales militantes. Les deux mouvements recherchent de surcroît une forme d’équilibre entre action et réflexion, entre militantisme et appel à un élargissement maximum, entre opposition frontale et formulation d’alternatives constructives. On y retrouve le même souci de réinvestir différemment le champ politique, d’inventer des modes d’action, de mobilisation voire de réflexion qui sortent des sentiers battus depuis des lustres par les partis et les syndicats. Ici aussi, l’apport de personnalités issues du monde de la création (au sens large) a sans doute joué un rôle décisif.

131 Pour le reste, les deux mouvements sont confrontés aux mêmes interrogations. Certains membres de Tout autre chose ne voulaient pas, par exemple, des actions contre le TTIP : à leurs yeux, Tout autre chose a pour vocation de s’occuper de ce que les autres ne font pas. Pour d’autres, l’objectif consiste au contraire à se réapproprier la possibilité d’une expression politique dans une démocratie parlementaire confisquée. Cette tension entre l’exercice d’une fonction politique (même purement tribunitienne) et la recherche d’une place distincte dans la constellation d’associations existant en Belgique est un des problèmes que doivent affronter les deux mouvements – Tout autre chose peut-être davantage que Hart boven Hard pour les motifs exposés ci-après. De ce point de vue, la concurrence est d’ailleurs vive avec les organisations non gouvernementales et les associations plus qu’avec les syndicats. La pilarisation qui régit le fonctionnement du système belge touche le monde associatif et on peut se demander si, en l’absence d’un phénomène dramatique comme, par exemple, la crise grecque (ou, plus loin dans le temps, l’affaire Dutroux), il y a place en Belgique pour un nouveau mouvement citoyen de grande ampleur, et durable.

132 Hart boven Hard et Tout autre chose partagent aussi un autre questionnement, celui du rapport entre le secteur associatif et les individus. La très large autonomie accordée aux sections locales par Tout autre chose s’explique sans doute, pour une part, par l’articulation imparfaite avec les organes nationaux du mouvement, où siègent surtout des représentants du secteur associatif et où l’on s’efforce de garder au mouvement l’assise la plus large possible, impliquant une certaine tempérance, alors que les sections locales sont manifestement investies par des individus bien décidés à « en découdre ».

133 Les deux mouvements sont inévitablement amenés, ou seront amenés, à se frotter aux fractures qui traversent la société belge, en particulier le clivage centre-périphérie et le clivage linguistique, mais aussi à la réalité et aux évolutions que connaît le consociationnalisme sous sa forme belge.

134 Issu de la réaction d’une société civile menacée dans sa survie, et qui a évolué dans le sens d’une dépilarisation propice aux alliances les plus larges, Hart boven Hard n’entend apparemment pas être davantage, à ce stade, qu’une sorte de groupe de pression multipistes, ne refusant d’aucune manière le soutien des partis ou des organisations syndicales. Tout autre chose, comme son nom l’indique d’ailleurs, a vocation à exister parallèlement aux partis et aux syndicats, à rendre – comme on l’a dit en d’autres circonstances – la parole au peuple. Mais l’insistance mise à souligner que Tout autre chose ne veut pas se transformer en formation politique n’est-elle pas destinée, en premier lieu, à rassurer les partis ?

135Un autre clivage, classique, traverse Tout autre chose (moins Hart boven Hard, en raison de la place spécifique qu’occupe Bruxelles dans le paysage politique flamand et, peut-être, de l’ancrage anversois de plusieurs de ses fondateurs) : celui qui sépare le centre de la périphérie. Les réunions des organes centraux de Tout autre chose se tenaient toutes, jusqu’il y a peu, à Bruxelles ; l’articulation entre sections locales, spécialement wallonnes, et ces organes centraux est, comme il est dit plus haut, imparfaitement assurée.

136Les deux mouvements occupent une place originale, en ce qu’ils renouent avec une coopération linguistique depuis longtemps enfouie dans la mémoire de la fédéralisation du pays : les partis se sont scindés, la plupart des organisations de la société civile aussi. Ici également, on se retrouve face à une génération nouvelle, qui a grandi dans un système politique devenu fédéral et qui réinvente, en quelque sorte, ce fameux « fédéralisme de coopération » que prônait jadis un Premier ministre belge né, lui, dans le régime des partis unitaires (Wilfried Martens).

137Les deux mouvements sont enfin confrontés aux mêmes contradictions, sans doute spécifiques à leur nature même. Ils se différencient des mouvements citoyens militants, qui ne craignent pas l’action même violente ni les oppositions frontales ; dans la mesure où ils cherchent, eux, à rassembler de la façon la plus consensuelle possible, leur référentiel n’est pas toujours très mobilisateur. Vu leur refus de se lancer dans l’arène politique, ils se condamnent aussi – sauf à faire appel, comme le fait Hart boven Hard, aux procédures de concertation du système et à se politiser ainsi « par la bande » – à développer une sorte d’outil parallèle dont l’utilité pourrait, à la longue, être remise en question par ceux-là même qui s’en servent, soit que l’action n’aboutisse à rien, soit que la discussion mène à se diviser sur des sujets qui fâchent (et que l’on a soigneusement évités pendant un temps). Amener le citoyen, dont les sondages (et d’ailleurs la participation au processus électoral) montrent qu’il se méfie de plus en plus du monde politique, à réinvestir l’espace politique sans se substituer aux partis constitue, en soi, un formidable défi. Il est vrai que, en cette matière, des questions essentielles se posent : devenir un parti, est-ce la seule manière de faire de la politique ? Ne pourrait-on pas penser à un autre système ? Pour peser sur les décisions, faut-il passer par un parti ? Dans un système complexe comme la construction belge, il n’est pas évident d’éviter l’élaboration délicate de compromis (le fameux « consociationnalisme » d’Arend Lijphart) qui peuvent constituer, au regard de l’électeur, une forme bancale d’exercice de la démocratie ou en tout cas de l’emploi qui est fait de son choix lors du vote.

Conclusion

138En conclusion de l’assemblée générale du 14 février 2015, un moment de réflexion sur l’avenir de Hart boven Hard a abouti à quelques conclusions intéressantes. Constatant que Hart boven Hard occupe en fait deux terrains distincts – celui qui consiste à rassembler les organisations de la société civile (middenveld) et celui qui tente d’impliquer des individus dans l’engagement politique en dehors de tout cadre partisan –, les participants à l’assemblée générale ont souligné leur refus de devenir un parti politique ou un mouvement purement intellectuel ; à l’idéologie, ils préfèrent les réactions directes à l’actualité du moment. Par contre, ils entendent bien rassembler au plus large, attirer des citoyens qui ne font pas partie du secteur associatif classique : c’est d’ailleurs dans cet esprit que la même assemblée générale a décidé de partager sur son canal le site Internet de l’association Onder boven Nemen, une association d’indépendants en rupture avec l’Unie van Zelfstandige Ondernemers (UNIZO, association chrétienne des entrepreneurs indépendants flamands). L’option est d’être « une sorte de groupe de pression » – « ce sont les partis politiques qui doivent voter pour nous » – mais aussi de servir de « véhicule » aux petites organisations, impuissantes à faire passer leur message, et de « politiser le citoyen ». Enfin, il importe de « ne pas négliger le niveau européen » et de ne pas devenir un mouvement qui se borne à organiser des réunions : « Il faut peser sur la politique, enregistrer des résultats. » À la question de savoir quand le mouvement aura atteint ses buts, la réponse est multiple : quand il aura rassemblé le plus grand nombre de signataires, quand il aura changé la société (et pas seulement le gouvernement), quand il sera devenu « une sonnette d’alarme stable » contribuant à entretenir la foi en la possibilité du changement (au sens le plus large, et pas seulement politique du terme). L’aspect positif est particulièrement mis en avant – ou, plus exactement, la nécessité de tenir un discours positif plutôt que purement oppositionnel.

139 Selon ses initiateurs, le mouvement a trois objectifs : « verbinden, verbreden, verdiepen » (« rassembler, élargir, approfondir »). Ces trois « V » sont, en soi, une réponse à la déclaration du gouvernement flamand marquée elle aussi de la lettre V  [49], empruntée selon toute vraisemblance au slogan électoral de la N-VA  [50]. Verbinden, verbreden, verdiepen : ces objectifs sont censés constituer le fil conducteur des actions de Hart boven Hard. Le but est, d’ici les prochaines élections, de faire basculer les équilibres existants en aiguisant les consciences, de s’opposer à la réceptivité du CD&V et du PS aux politiques (« post-idéologiques », selon W. Hillaert) de libéralisation. On n’est donc pas dans le militantisme pur et dur – et il ne s’agit pas davantage de n’avoir qu’un seul centre d’intérêt, à la différence de nombreux mouvements citoyens. Il faut agir en élargissant « au maximum » (« in de breedte »). Le contexte est celui de la fin de la croissance pour la culture et le secteur associatif, le middenveld. Une nouvelle génération est apparue, moins marquée par la pilarisation (celle qui a fait, au demeurant, la fortune du middenveld). Le climat, en Belgique, est autre qu’en Espagne ou en Grèce, où la déception à l’endroit des partis politiques est grande ; c’est pourquoi la perspective de se transformer en parti, à l’instar de PODEMOS  [51] ou de SYRIZA  [52], semble prématurée dans le contexte politique de notre pays.

140La place des syndicats dans l’un et l’autre des deux mouvements et les rapports ambigus qu’ils entretiennent avec les partis politiques sont, dans ce contexte, des éléments-clés – d’une portée différente, d’ailleurs, de part et d’autre de la frontière linguistique. La participation du CD&V à la totalité des gouvernements du pays (hors, bien entendu, les gouvernements wallon, francophone et germanophone) place les « oppositionnels » au sein de ce parti dans une position délicate, qui explique pour partie le soutien affiché que plusieurs organisations du pilier chrétien apportent à Hart boven Hard. Quant aux partis et aux syndicats, difficile de savoir jusqu’à quel point ils aident (surtout matériellement) et/ou ils cherchent à orienter les stratégies des deux mouvements : sans doute la défiance dont ils font l’objet dans l’opinion publique les pousse-t-elle à ne pas négliger des instruments potentiels, et neufs, de politisation.

141Toujours sous cet angle, la question de la coexistence avec des mouvements citoyens antérieurs, parfois de nature assez semblable (comme les Acteurs des temps présents) ne peut être éludée. La spécificité de Hart boven Hard et de Tout autre chose tient sans doute à leur capacité de fédérer en rassemblant par-delà les clivages.

142 Il est difficile, à ce stade, de savoir si Hart boven Hard et Tout autre chose pourront se tailler une place durable dans le paysage (nous n’osons pas écrire, vu leur spécificité, sur l’échiquier) politique. Pourtant, ils pourraient ne pas connaître une évolution semblable.

143 Contrairement à Hart boven Hard en effet, Tout autre chose évolue dans un paysage politique qui n’a pas beaucoup évolué ces cinquante dernières années, ni même dans des périodes plus récentes. Pendant plusieurs décennies, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le CVP (puis le CD&V) est resté le parti dominant en Flandre (il a été pour la première fois dépossédé de sa place de premier parti par les libéraux flamands en 1999 seulement). À partir du début des années 1990 environ, la situation a évolué dans le nord du pays, où les rapports de force entre partis se sont révélés de plus en plus volatils et changeants. Le nombre de partis ayant obtenu des élus à la Chambre des représentants et au Parlement flamand y a augmenté (avec des succès sans lendemain comme celui de la liste Rossem en 1991 ou celui de la Lijst De Decker entre 2007 et 2010) ; le CVP a progressivement vu son assiette électorale se réduire, passant de plus de 30 % des voix en 1987 encore à 17,3 % à peine en 2010. Dans le même temps, le vote nationaliste a explosé, d’abord au profit du Vlaams Blok/Vlaams Belang mais surtout, depuis 2010, au bénéfice de la N-VA, qui capte aujourd’hui un pourcentage de l’électorat flamand semblable à celui qu’attiraient les sociaux-chrétiens flamands dans les années 1980 encore. Pour sa part, l’électorat francophone, et surtout l’électorat wallon, s’est montré globalement plus stable. Socialistes et libéraux y demeurent, depuis des décennies, les partis dominants (surtout le PS en Wallonie, à l’exception du scrutin fédéral du 10 juin 2007), même si les résultats des autres partis fluctuent. La palette des partis représentant à la Chambre les circonscriptions wallonnes et bruxelloises ne s’est pas non plus sensiblement élargie (hormis l’apparition brève du FN au début du siècle, et l’irruption récente du PP et du PTB).

144 Bref, si la société articulée autour des piliers qui formaient la base du consociationnalisme à la belge s’est modifiée en profondeur en Flandre (sous l’effet de divers facteurs que la place manque pour analyser ici en profondeur), c’est moins vrai en Wallonie. Le positionnement de Tout autre chose y constitue, de ce fait, une opération bien plus délicate. À Bruxelles, c’est surtout un bouleversement démographique qui a eu lieu : il n’est pas certain non plus que Tout autre chose vienne s’y greffer sans difficultés.

Notes

  • [1]
    S. Hessel, Indignez-vous !, Montpellier, Indigènes éditions, 2010.
  • [2]
    B. De Wever, « Afbreken om op te bouwen », De Standaard, 22 décembre 2012.
  • [3]
    Des liens historiques et personnels unissent la maison d’édition Éducation prolétarienne-Proletariese Opvoeding (EPO) au Parti du travail de Belgique-Partij van de Arbeid (PTB-PVDA). Bien que son fonds soit très varié, EPO publie en particulier les ouvrages des auteurs membres et dirigeants de ce parti.
  • [4]
    La Banque mondiale donne de la société civile la définition suivante, qui nous paraît assez complète : « Le large éventail d’organisations non gouvernementales et du secteur du non-profit présentes dans la vie publique, où elles sont l’expression des intérêts et des valeurs de leurs membres ou d’autres, fondés sur des considérations éthiques, culturelles, politiques, scientifiques, religieuses ou philanthropiques. De ce fait, les organisations de la société civile (OSC) font référence à un large éventail d’organisations : groupes de communautés, organisations non gouvernementales (ONG), syndicats, groupes indigènes, organisations caritatives, organisations religieuses, associations professionnelles et fondations » (« The wide array of non-governmental and not-for-profit organizations that have a presence in public life, expressing the interests and values of their members or others, based on ethical, cultural, political, scientific, religious or philanthropic considerations. Civil Society Organizations (CSOs) therefore refer to a wide array of organizations: community groups, non-governmental organizations (NGOs), labor unions, indigenous groups, charitable organizations, faith-based organizations, professional associations, and foundations »). Cf. K. Lee, « Civil Society Organizations and the Function of Global Health Governance: What Role within Intergovernmental Organizations? », Global Health Governance, volume III, n° 2, 2010, www.ghgj.org.
  • [5]
    Niet in onze naam (NION) et son pendant francophone, Pas en notre nom, ont vu le jour lors de la crise politique qui a privé la Belgique de gouvernement durant plus de 500 jours après les élections fédérales du 13 juin 2010 (cf. S. Govaert, « Les négociations communautaires et la formation du gouvernement Di Rupo (juin 2010-décembre 2011) », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2144-2145, 2012, p. 39). Leurs membres et sympathisants s’opposaient, en particulier, aux velléités de scission de la Belgique.
  • [6]
    Le Minderhedenforum est une asbl reconnue par les pouvoirs publics flamands, qui rassemble plusieurs fédérations de « minorités ethnoculturelles » (Turcs, Marocains, Sud-Américains, etc.) et se donne pour objectif de lutter en faveur des droits de ces minorités et de faire pression, à cet effet, sur les décideurs politiques.
  • [7]
    Recruté par la suite pour travailler dans les services du CD&V, A. Schuurmans renoncera à son mandat au sein du stuurgroep. Il sera alors remplacé par Bart Verhaeghe.
  • [8]
    Mouvement de contestation pacifique né en septembre 2011 et dénonçant les abus du capitalisme financier, qui avait notamment organisé l’occupation, pendant plusieurs semaines, d’un parc situé à proximité de Wall Street, le quartier de la Bourse à New York.
  • [9]
    L’Alliance D19-20 réunit plusieurs dizaines d’organisations, surtout mais pas uniquement belges, hostiles aux traités européens de libre-échange (cf. infra et www.d19-20.be).
  • [10]
    Cf. I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2014 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2246-2247, 2015, p. 23.
  • [11]
    À ce sujet, cf. ibidem, p. 16-17.
  • [12]
    À ce sujet, cf. ibidem, p. 17.
  • [13]
    À ce sujet, cf. ibidem, p. 17-18.
  • [14]
    Historiquement, la Zinneke Parade était un projet de parade né dans le cadre de « Bruxelles 2000, capitale européenne de la culture ». Le terme bruxellois « zinneke » renvoie à la fois à la Senne, rivière qui traverse Bruxelles (de manière aujourd’hui entièrement souterraine), et à une race de chiens bâtards. La Zinneke Parade est un long cortège dont les participants, grimés, costumés, jouant d’instruments divers et/ou dansant et chantant, organisés en « zinnodes » (des groupes de créateurs), défilent tous les deux ans dans les rues de la capitale.
  • [15]
    Les Magritte sont l’équivalent, pour la Belgique francophone, des César français : ils récompensent, depuis 2011, des productions du cinéma francophone dans notre pays.
  • [16]
    Le blog de l’économiste et anthropologue Paul Jorion affirme que ce sont « Les amis du blog de Paul Jorion » qui ont créé « Le cœur, pas la rigueur » lors d’une réunion au café Le Vicomte, à Ixelles, le 25 octobre 2014. L’idée de créer un groupe sur les réseaux sociaux semble effectivement émaner de personnes qui assistent régulièrement à Bruxelles aux exposés de P. Jorion, dont S. Bourgeois.
  • [17]
    Extrait du procès-verbal de la réunion du 18 novembre 2014.
  • [18]
    Les Acteurs des temps présents sont un groupe composé de syndicalistes et d’artistes, impulsé par les métallurgistes de la FGTB, qui essaie de croiser des questionnements variés en se rendant sur le terrain, par exemple chez les agriculteurs. Cf. F. Theunissen, « Les Acteurs des temps présents et la convergence des luttes », Politique, revue de débats, n° 89, 2015, p. 18-49.
  • [19]
    Le Réseau stop art. 63§2 entend, comme son nom l’indique, faire abroger l’arrêté royal du 28 mars 2014 modifiant l’article 63§2 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage dans le cadre de l’adaptation de la nouvelle réglementation des allocations d’insertion (cf. I. Gracos, « Grèves et conflictualité sociale en 2014 », op. cit., p. 28-30). Il mène diverses actions à cet effet (manifestations, pétitionnements, etc.). L’action conjointe menée par Tout autre chose, les Acteurs des temps présents et le Réseau stop art. 63§2 porte le nom de « 31.500bel », ce chiffre étant celui (estimé) des chômeurs frappés par cette mesure au 1er janvier 2015.
  • [20]
    Extrait du procès-verbal de la réunion du comité de pilotage du 21 janvier 2015.
  • [21]
    Allusion au débat actuellement en cours relatif à l’opportunité, pour l’État belge, de remplacer la flotte aérienne de combat de l’armée belge (les avions General Dynamics F-16 Fighting Falcon achetés en 1975 et en 1984 arrivant en fin de vie).
  • [22]
    Allusion au débat, en cours depuis plusieurs années, relatif au régime fiscal des voitures de société, jugé trop avantageux par de nombreux acteurs, avec notamment des conséquences néfastes pour l’environnement, mais défendu jusqu’ici par, entre autres, la N-VA et son président.
  • [23]
    Initiative citoyenne se présentant comme une « plateforme d’innovation démocratique », visant à réfléchir aux moyens de parvenir à une meilleure organisation de la démocratie belge (cf. www.g1000.org).
  • [24]
    A. Deswaef est alors président de la section belge francophone de la Ligue des droits de l’homme.
  • [25]
    Mouvement international de protestation sociale, principalement dirigé contre les inégalités économiques et sociales.
  • [26]
    Cf. S. Govaert, « Décision politique et grands travaux : le ring d’Anvers (dossier Oosterweel) 2000-2011 », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2118-2119, 2011.
  • [27]
    Cf. J. Van Reusel, « Scouts en Gidsen Vlaanderen stapt niet op in komende betoging », www.scoutsengidsenvlaanderen.be, 4 novembre 2014.
  • [28]
    « C’est une communauté très fermée, qui éprouve une grande méfiance envers l’autorité, au sein de laquelle l’islam est très peu organisé, et qui est très sensible aux thèses salafistes, à la radicalisation. Il faut que tout le monde fasse un effort, notamment pour chercher du travail. Or, certains utilisent l’argument du racisme pour justifier des échecs personnels et espérer que tout soit pardonné. Cela ne va pas ! » (propos tenus par B. De Wever le 21 mars 2015 sur les antennes de la VRT).
  • [29]
    W. Hillaert, « Vrijheid met een strop eromheen », De Standaard, 25 mai 2015.
  • [30]
    Règlement du Parlement flamand, article 101, point 4.
  • [31]
    Comme déjà indiqué, A. Schuurmans démissionnera lorsqu’il sera recruté pour travailler dans les services du CD&V et sera alors remplacé par B. Verhaeghe (cf. supra).
  • [32]
    Loomio est une application web qui met en œuvre un réseau social permettant à des groupes ou organisations de collaborer pour aboutir à des consensus et ainsi permettre une prise de décision en prenant en compte les avis des différents acteurs.
  • [33]
    Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, Proposition de résolution concernant le projet de Partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique (TTIP) et ses conséquences sur la Région de Bruxelles-Capitale. Résolution adoptée par le Parlement, DOC A-123/3, 24 avril 2015. Le texte de cette proposition émane de la commission des Relations extérieures du Parlement, après qu’elle a entendu deux interpellations du député Bruno De Lille (Groen) sur le sujet (cf. Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, Commission des Finances et des Affaires générales, chargée du Budget, des Relations extérieures, de la Coopération au développement, de la Fonction publique et de la Recherche scientifique, Compte rendu intégral des interpellations et des questions orales, CRI COM 10, 10 novembre 2014, p. 5-6 et CRI COM 47, 9 février 2015, p. 4-6 ; Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, Proposition de résolution concernant le projet de Partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique (TTIP) et ses conséquences sur la Région de Bruxelles-Capitale. Rapport fait au nom de la commission des Finances et des Affaires générales, chargée du Budget, des Relations extérieures, de la Coopération au développement, de la Fonction publique et de la Recherche scientifique par A. De Decker et B. Cerexhe, DOC A-123/1, 23 mars 2015).
  • [34]
    Plateforme citoyenne opposée au projet de grand marché transatlantique (cf. www.no-transat.be).
  • [35]
    Organisation altermondialiste créée en France en 1998 et présente aujourd’hui dans une quarantaine de pays, dont la Belgique. Cf. S. Heine, « Le mouvement ATTAC en Belgique », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2003-2004, 2008.
  • [36]
    Extrait du procès-verbal de la réunion du comité de pilotage du 8 avril 2015.
  • [37]
    Le RJF et son pendant flamand ont été fondés dès 1998. En sont membres plusieurs des organisations qui figurent aussi parmi les signataires de l’appel de Tout autre chose, en particulier le CNCD 11.11.11, ATTAC et plusieurs centrales ou interrégionales syndicales.
  • [38]
    B. Delvaux, Une tout autre école, Louvain-la-Neuve, Groupe interdisciplinaire de recherche sur la socialisation, l’éducation et la formation (GISEF, UCL), coll. Pensées libres, 2015.
  • [39]
    Au point de susciter une certaine défiance vis-à-vis de personnes qui détiennent ou ont détenu des mandats même indirects ou qui ont été candidates aux élections (par exemple, P. Vielle, candidate aux élections communales de 2012 à Saint-Gilles sur la liste du bourgmestre Charles Picqué).
  • [40]
    Une des récentes réunions du comité de pilotage a toutefois eu lieu à Namur.
  • [41]
    Le Réseau ADES rassemble des jeunes désireux de « bouger et militer pour un avenir juste et durable. De manière conviviale, les membres du réseau expérimentent des alternatives, tentent de résister aux injustices et de comprendre le monde de manière critique, s’approprient des savoir-faire » (cf. www.reseauades.net). Il a été mis sur pied par un groupe de jeunes dont plusieurs sont issus de la FEF et de l’Assemblée générale des étudiants de Louvain [UCL] (AGL). Il dispose d’un local à Saint-Josse-ten-Noode. J. Van Ruychevelt et D. Mendes viennent également de l’AGL.
  • [42]
    Mouvement associatif belge francophone pour le droit à l’alphabétisation pour tous (cf. www.lire-et-ecrire.be).
  • [43]
    En réponse au « Tax Fredoom Day » (jour de l’année, calculé par Pricewaterhouse Coopers, PWC, à partir duquel le contribuable belge moyen s’est acquitté de toutes ses obligations fiscales – le message sous-jacent étant que ce ne sera qu’à dater du lendemain qu’il commencera à « travailler pour lui-même »), le RJF et le FAN ont créé le « Tax Justice Day » pour insister sur l’importance des impôts comme moyen pour l’État de récolter les moyens nécessaires au financement des services collectifs.
  • [44]
    Il semble que, dans les faits (cf. le questionnaire visé ci-après), des représentants des sections locales y aient effectivement place. Leurs noms n’apparaissent toutefois pas sur les listes.
  • [45]
    Le choix des mots, on le voit, est d’une importance cruciale.
  • [46]
    D’où l’allusion magritienne à une « farce ».
  • [47]
    Livre vert du 27 avril 2010 : « Libérer le potentiel des industries culturelles et créatives ». Émanant explicitement de Niet in onze Naam et de Pas en notre nom (cf. supra), une pétition dénonçait le recul systématique, et jugé inquiétant, des investissements publics dans le secteur culturel dans plusieurs pays d’Europe alors que « l’art et la culture sont aussi nécessaires que l’eau et l’énergie, que le pain ».
  • [48]
    Le compte rendu du groupe de travail communication de Tout autre chose du 20 novembre 2014 (avant même que le mouvement ne naisse officiellement) précise que la « dynamique de communication » doit être « positive, sereine, malicieuse et déterminée ».
  • [49]
    « Vertrouwen, verbinden, vooruitgaan » (« Faire/donner confiance, rassembler, progresser »).
  • [50]
    « Verandering voor vooruitgang » (« Le changement pour le progrès »).
  • [51]
    Por la Democracia Social (PODEMOS : Pour la démocratie sociale, « Nous pouvons ») est un parti politique espagnol altermondialiste, anticapitaliste et favorable à la démocratie participative. Fondé en 2014, il est né de la volonté de transformer la mobilisation sociale du mouvement des Indignés en une participation électorale afin de promouvoir des idées de gauche comme réponses à l’actuelle crise économique. Il a réalisé une importante percée électorale à l’occasion des élections régionales et municipales espagnoles du 24 mai 2015.
  • [52]
    Synaspismós Rhizospastikís Aristerás (SYRIZA : Coalition de la gauche radicale) est un parti politique grec altermondialiste et anticapitaliste. Il a été créé en 2004, par regroupement de partis de gauche et d’extrême gauche. Il a constitué la première formation au Parlement grec après les élections législatives du 25 janvier 2015.
Serge Govaert
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Le mouvement flamand Hard boven Hard et son pendant francophone Tout autre chose sont nés de la volonté de « refuser le discours de nos gouvernants affirmant qu’il n’y a pas d’alternative à l’austérité ». Apparus en réaction aux mesures d’économie envisagées par les gouvernements issus des élections de mai 2014, ils prônent un renouveau du débat démocratique et militent en faveur d’une société plus solidaire, juste, émancipatrice et épanouissante. Les deux mouvements sont portés par des représentants de la vie associative (issus notamment des arts et de la culture, de l’aide aux personnes et de la formation) et des organisations syndicales, ainsi que par de nombreux citoyens anonymes. En revanche, ils tiennent à conserver une stricte indépendance vis-à-vis des partis politiques. Leurs modes d’action sont multiples et marqués du sceau de la créativité : journées de réflexion et de discussion « hartslag », « Grande Parade » du printemps 2015, etc. Hart boven Hard et Tout autre chose ne sont pas les premiers mouvements de ce genre. Ils ont été précédés par d’autres initiatives de citoyens désireux de faire entendre leur voix en dehors des structures traditionnelles d’expression et de décision ou d’explorer de nouveaux modes d’action et de participation démocratique. La désaffection dont les partis politiques font l’objet favorise l’émergence de ces formes particulières d’activisme, parfois difficiles à cerner. En Belgique, aucun mouvement n’avait cependant pu susciter un tel engouement en si peu de temps, et rallier à ses actions non seulement un grand nombre d’individus, mais aussi des organisations jusque-là plutôt méfiantes envers ce qu’on a coutume d’appeler les « mouvements citoyens ». Ce Courrier hebdomadaire s’attache à décrire la naissance de Hart boven Hard et de Tout autre chose, leurs structures et modes de décision, leurs évolutions et actions. Il les replace tous deux dans le contexte de la mouvance citoyenne belge et examine leurs rapports avec les partis, les syndicats et le secteur associatif, ainsi que leurs relations mutuelles. Il s’interroge enfin sur leur place dans les processus de décision politique.
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/09/2015
https://doi.org/10.3917/cris.2262.0005
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