CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1En matière d’environnement, la question de l’élimination des déchets est d’une importance cruciale. Lorsque le secteur industriel est en cause, des impératifs de production (et d’autres considérations de nature économique : emploi, etc.) doivent coexister avec un souci de protection de l’environnement - de la faune et de la flore, mais aussi des ressources naturelles, et en premier lieu de l’air et de l’eau. Les conflits auxquels peut donner lieu cette contradiction potentielle ont notamment trouvé à s’exprimer lors du débat sur les écotaxes.

2Une contradiction de même ordre existe dans le domaine agricole. Les déchets à éliminer sont ici d’origine animale : il s’agit des déjections des bovins, des porcins et de la volaille. Ce « lisier » est déversé comme engrais sur les terres cultivées ; mais il contient des quantités importantes de phosphates et de nitrates qui sont nuisibles à l’environnement.

3Ces substances sont source de pollution des sols, des eaux de surface et des nappes phréatiques, de l’air, de pollution olfactive. L’émission d’ammoniaque, en particulier, entraîne une acidification qui a des effets dommageables sur l’environnement, mais aussi sur la santé (la présence de nitrates dans l’eau potable peut notamment provoquer des méthémoglobinémies, touchant en particulier les nourrissons, voire favoriser l’apparition dans l’estomac de composés cancérigènes).

4En 1992 [1], le lisier animal produisait en Flandre 75.000 tonnes d’anhydride phosphorique (P2O5) et 169 milles tonnes d’azote (N), selon la répartition suivante :

Tableau 1

Cheptel et production de lisier en Flandre (1992)

Tableau 1
Nombre de têtes Production de P2O5 (1.000 tonnes) Production de N (1.000 tonnes) Bovins 1.700.000 37 101 Porcins 6.300.000 30 55 Volaille 25.000.000 7 8

Cheptel et production de lisier en Flandre (1992)

5Les superficies cultivées y ont tendance à se réduire (en moyenne de 5.000 ha / an) : en 1974, 680.000 hectares environ étaient des terres cultivées contre quelque 600.000 ha en 1992. Si l’on prend en compte l’utilisation d’engrais artificiels, et en appliquant les normes de fertilisation (bemestingsnormen) des textes légaux dont il sera question par la suite, l’existence d’excédents est indéniable. La norme fixée à l’article 14 du décret de 1991 sur la protection de l’environnement contre la pollution due aux engrais, est la suivante :

azote (N)< 400 kg/ha/an
P2O5< 200 kg/ha/an pour le maïs et l’herbe
< 150 kg/ha/an pour les autres cultures

6Sur l’ensemble du territoire de la Flandre, le dépassement de la norme est léger comme le montre le tableau qui suit [2] :

Tableau 2

Dépassement des normes de production d’azote et d’anhydride phosphorique en Flandre (1992)1,2

Tableau 2
kg/ha/an Lisier annuel Engrais artificiel Total Norme P2O5 124 1 50 174 200 N 280 2 210 490 400

Dépassement des normes de production d’azote et d’anhydride phosphorique en Flandre (1992)1,2

1. 74.000 tonnes/600.000 ha
2. 169.000 tonnes/600.000 ha

7La difficulté vient de la répartition géographique des surplus : les provinces de Flandre occidentale et d’Anvers sont les plus touchées. Sur la base des données de l’INS de 1988, on obtient le tableau ci-après [3] pour les excédents de phosphate :

Tableau 3

Répartition par province des excédents d’anhydride phosphorique (1992 - données INS pour le calcul des superficies)1

Tableau 3
Calculé par arrondissement Calculé par commune Flandre occidentale 862 1.242 Flandre orientale 0 126 Anvers 157 412 Limbourg 0 20 Brabant flamand 0 0

Répartition par province des excédents d’anhydride phosphorique (1992 - données INS pour le calcul des superficies)1

1. Les chiffres représentent l’excédent, en milliers de tonnes, par rapport à la norme de 200 kg/ha/an que fixe le décret de 1991.

8La menace que fait peser le lisier sur les nappes phréatiques n’est pas propre à la Flandre - sa concentration dans des zones de production déterminées non plus. Ainsi, en France, c’est en Bretagne que les dégâts sont les plus manifestes : quatre départements y représentent plus de la moitié de la production française de porcs, 30 % de la viande de veaux, 40 % de la volaille et des œufs. C’est pour arrêter l’exode rural que l’agriculture bretonne a misé, dès la fin des années 1950, sur un élevage hors sol avec bêtes engraissées en batterie. Actuellement, plus de septante cantons y sont saturés de lisier et l’extension de l’élevage y est interdit [4].

9Le sujet, pour technique qu’il paraisse, présente un intérêt certain : dans le contexte flamand, on voit s’y opposer des groupes de pression dont certains parviennent, dans une mesure non négligeable, à infléchir les choix politiques - et s’y dégager des enjeux qui ont notamment été à l’origine, peu avant les élections législatives de 1995, de la chute d’un gouvernement.

10Nous examinerons successivement son évolution chronologique (le décret de 1991, ses difficultés d’application, la délicate mise au point d’un premier « Plan lisier » ou Mestaktieplan - MAP en 1992, les tensions qu’elle suscite dans les secteurs concernés et au sein du gouvernement flamand, la crise de mars 1995, le nouveau décret de décembre 1995, son élaboration et sa discussion au Parlement flamand, les développements ultérieurs) puis les acteurs impliqués : non politiques d’abord (les agriculteurs, les associations de défense de l’environnement, le secteur agro-industriel), politiques ensuite (le gouvernement, le Parlement, les partis). Un bref chapitre sera consacré aux formes d’action auxquelles ont recouru certains de ces acteurs ; il précède nos conclusions.

Le décret du 23 janvier 1991

Les dispositions du décret - son application

11L’exécutif (gouvernement) flamand mis en place suite aux élections législatives de 1987 est composé de trois partis : le CVP, le SP et la Volksunie. Le portefeuille de l’environnement y est détenu par Theo Kelchtermans, député (CVP) du Limbourg, qui a aussi dans ses attributions la conservation de la nature et le remembrement rural.

12Alors qu’un décret relatif aux déchets a été adopté par le Vlaamse Raad dès 1981, c’est-à-dire au lendemain des lois spéciales de réformes institutionnelles qui confient aux régions la responsabilité politique en matière d’environnement [5], c’est seulement sous ce gouvernement tripartite et à son initiative que sera voté un décret sur la protection de l’environnement contre la pollution par les engrais (le mestdecreet).

13Le « décret sur la protection de l’environnement contre la pollution due aux engrais » (décret du 23 janvier 1991) a été publié au Moniteur belge du 28 février 1991. Il se donne pour objectif de « protéger l’environnement contre la pollution due à la production et l’utilisation d’engrais ». L’engrais animal - le lisier - n’est donc pas seul visé.

14Le décret prévoit d’abord un « inventoriage » : chaque éleveur de bétail (par bétail, il faut entendre en l’espèce les bovins, les porcs, la volaille mais aussi les chevaux, les moutons, les chèvres, les visons et les lapins) doit fournir annuellement à la mestbank - la « banque du lisier », c’est-à-dire en l’occurrence la Société terrienne flamande (Vlaamse Landmaatschappij - VLM) [6] - des informations sur son cheptel et sur la superficie de ses terres arables, ainsi que sur l’épandage, l’entreposage et l’écoulement de l’engrais animal.

15Le décret contient ensuite un mode de calcul de la production de lisier par « entreprise », sur la base du nombre d’animaux (l’« entreprise » est, au sens du décret, tout établissement « destiné à la production agricole ou horticole »). Ce calcul permet de déterminer l’excédent d’engrais d’une entreprise - sauf si l’éleveur se fonde sur un « bilan nutritif » qui met en parallèle les quantités de minéraux introduites dans l’entreprise et celles qu’elle élimine (par épandage ou par transport).

16Le transport d’engrais animal ne peut être effectué que par des transporteurs agréés par la mestbank, sauf si le transport se fait à destination de terres arables appartenant à l’éleveur, ou de terres situées dans la même commune ou dans une commune limitrophe. Dans ce dernier cas, néanmoins, une convention entre producteur (l’éleveur) et utilisateur (l’agriculteur) doit être conclue et approuvée par la mestbank.

17L’engrais animal doit être évacué par l’éleveur ; s’il ne peut le transporter sur ses propres terres arables ou dans sa commune, l’excédent doit être « mis en circulation », c’est-à-dire transporté à destination d’autres utilisateurs (pour fertilisation). La mestbank est tenue de réceptionner, le cas échéant, les excédents.

18Le décret fixe, en son article 14, des quantités maximales pour l’épandage d’engrais (notamment animal) sur des terres arables, en fonction de leur teneur en azote et en anhydride phosphorique (P2O5). Il interdit l’épandage d’engrais sur d’autres terres, ainsi qu’au cours de certaines périodes (dimanches et hivers, notamment).

19Pour financer les missions de la mestbank (et réduire la constitution d’excédents), le décret instaure des redevances : une redevance de base dès qu’il y a excédent, une redevance d’écoulement lorsque l’engrais animal est mis en circulation par l’entremise de la mestbank, une redevance enfin à charge des importateurs d’excédents d’engrais. Les redevances sont calculées au prorata de la quantité d’engrais produite, écoulée ou importée.

20Le décret crée enfin un « comité directeur de la problématique flamande en matière d’engrais » (stuurgroep Vlaamse mestproblematiek) qui doit soumettre chaque année au gouvernement flamand un « plan d’action en matière d’engrais », un MAP (Mestaktieplan). Tous les trois ans de surcroît, le stuurgroep doit présenter au gouvernement flamand une « proposition relative aux objectifs de fertilisation » et, notamment, à l’objectif à atteindre au 1er janvier 2001.

21Le stuurgroep se compose de deux fonctionnaires de la mestbank (qui en sont respectivement président et secrétaire), et de seize experts : quatre sont nommés sur proposition des organisations agricoles, quatre sur proposition des milieux sociaux et économiques (représentés au Conseil socio-économique de la Flandre, le SERV), quatre sur proposition des mouvements écologiques ; quatre experts sont issus du monde scientifique.

22Le mestdecreet a été adopté en séance publique du Vlaamse Raad le 9 janvier 1991, par 98 voix contre 31 et 2 abstentions. Ont voté en faveur du texte : les groupes CVP, SP et VU ; ont émis un vote négatif, les groupes VLD, Agalev et Vlaams Blok. Deux parlementaires libéraux (Patrick Dewael et Louis Waltniel) se sont abstenus. Le député CVP Jef Van Looy, réputé proche du Boerenbond, a fait précéder son vote positif d’une longue intervention extrêmement critique, se concluant par ces mots : « Si le ministre a réellement l’intention d’orienter dans la bonne direction le décret que nous examinons sur la base de l’expérience qu’il engrangera au cours de l’année à venir, afin de parvenir à un ensemble honnête et efficace, et dans ces conditions seulement, je pourrai soutenir le décret. » [7]

23Le décret de 1991 est relativement contraignant dans plusieurs de ses dispositions ; l’une d’entre elles prévoit même que le gouvernement peut « imposer (…) des restrictions relatives à la quantité d’engrais animal qui peut être produite au maximum, par entreprise et par année civile » ce qui revient à limiter le cheptel.

24Par ailleurs, il est frappant que l’administration chargée d’enregistrer l’inventaire du cheptel, de servir d’intermédiaire dans les opérations de transport et de traitement et de perception des redevances n’est pas l’administration de l’environnement, de la nature et de l’aménagement du territoire (AMINAL) ; comme il n’existe pas encore, cette matière n’ayant pas été régionalisée à l’époque, d’administration de l’agriculture, c’est à un établissement d’utilité publique que ces missions sont confiées, à savoir la Vlaamse Landmaatschappij.

Les difficultés d’application du décret

25Chaque année, l’examen du budget a été l’occasion pour le ministre de l’Environnement d’exposer au Vlaamse Raad les difficultés auxquelles donnait lieu l’application du décret de 1991.

26La première difficulté est de nature financière : le décret prévoit des taxes, mais elles s’appliquent à la production de lisier et se fondent donc sur des calculs a posteriori. Le fonctionnement de la VLM doit donc être préfinancé. Par ailleurs, le produit de la taxe s’est très vite avéré inférieur aux prévisions : d’au moins un tiers en 1992 [8].

27La deuxième difficulté est de type administratif : le personnel de la VLM est insuffisant pour remplir ses missions, en particulier de contrôle.

28La troisième difficulté est celle du traitement du lisier. Il apparaît en effet clairement qu’il n’est pas possible de résoudre les surplus par une simple politique de redistribution.

29La quatrième difficulté est celle de la fiabilité des données dont dispose l’administration. Lors de la discussion du budget de 1993, le ministre constatait ainsi que les chiffres dont dispose la VLM sont inférieurs de 10 % environ aux calculs de l’Institut national de statistique - INS [9].

30Nous verrons que ces difficultés restent parmi les principales pierres d’achoppement du dossier.

Les élections du 24 novembre 1991 et le nouveau gouvernement flamand

31Les élections législatives du 24 novembre 1991 se caractérisent par une lourde défaite, en Flandre, des partis qui formaient la coalition sortante : le SP perd près de 5 % du total des votes valables, le CVP 4,7 % et la VU 3,6 %.

32Ces reculs sévères ne changent cependant rien à l’ordre d’importance des partis : le PVV ne parvient, en effet, qu’à progresser fort légèrement (+ 0,5 %). Le seul glissement important intervient au sein de l’électorat nationaliste, où le Vlaams Blok (10,3 %) dépasse la VU (9,3 %) ; ensemble, ces deux partis ont ainsi attiré près d’un cinquième des électeurs flamands.

33En vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles d’août 1980 modifiée par la loi du 8 août 1988, le gouvernement flamand doit être composé - jusqu’en octobre 1992 - proportionnellement à l’importance numérique des groupes politiques représentés au Vlaamse Raad, le Parlement flamand. Théoriquement, il doit donc comprendre quatre ministres CVP, trois ministres SP, deux ministres PVV, un ministre Vlaams Blok et un ministre VU.

34Très vite, le Vlaams Blok fait connaître son intention de ne pas y siéger, « faute pour celui-ci (le gouvernement flamand) d’adopter des principes dont ce parti se réclame » [10]. Le 21 janvier 1992, le Vlaamse Raad élit sept membres du gouvernement (qui devait donc en compter onze) : quatre CVP et trois SP. Les deux partis laissent la porte ouverte à la participation des libéraux et de la Volksunie, mais seule cette dernière accepte : Johan Sauwens est nommé ministre le 30 janvier. Le PVV demeure à l’écart, et les ministres flamands resteront au nombre de huit jusqu’au terme de la législature.

35Dans ce gouvernement, le portefeuille de l’Environnement va pour la première fois à un socialiste [11] : Norbert De Batselier, par ailleurs vice-président du gouvernement et ministre du Logement.

36Les trois partis disposent d’une large majorité au Vlaamse Raad : ils détiennent 116 des 188 sièges. Cette majorité s’effilochera au fil de la législature, en particulier suite à la création du VLD à l’initiative de Guy Verhofstadt et au départ, en direction de cette nouvelle formation libérale, de plusieurs élus de la VU. Elle restera néanmoins solide jusqu’au bout [12].

37Le gouvernement flamand tripartite ne compte pas de ministre de l’Agriculture : cette matière est en effet toujours, à ce moment, de compétence exclusivement nationale. Néanmoins, l’exemple du lisier en est une illustration, la protection de l’environnement peut avoir des incidences sur l’agriculture. Très logiquement donc, l’arrêté de délégation du 6 février 1992 qui fixe les attributions des ministres flamands charge l’un d’entre eux de gérer la matière. Celle-ci fait partie du portefeuille de l’économie confié au ministre-président du gouvernement, Luc Van den Brande (CVP). Mais il n’existe pas, au sens strict, de ministre flamand de l’Agriculture : c’est seulement après l’accord de la Saint-Michel que le gouvernement flamand créera une administration de l’agriculture et de l’horticulture, l’Administratie Land- en Tuinbouw - ALT.

Le Mestaktieplan

Le MAP de 1992

38L’accord du nouveau gouvernement flamand contient un passage exclusivement consacré au problème du lisier. Il s’agit pour l’essentiel de rendre certaines dispositions du décret opérationnelles. En particulier, l’accord précise les modalités d’instauration d’une taxe, qui doit servir à financer le transport et le stockage du lisier : cette taxe sera « graduelle » (getrapt).

39Pour 1992, le gouvernement décide d’introduire une taxe à deux taux : lorsque l’excédent de lisier est inférieur à 10.000 kg de P2O5 et à 20.000 kg d’azote, la taxe de base est fixée à 2F le kilo ; au-delà, elle se monte à 5F le kilo.

40Le gouvernement prévoit encore une taxe de dépôt (afzetheffing), due sur les quantités de lisier emportées, transportées et stockées par la VLM - ainsi qu’une taxe à l’importation (invoerheffing) lorsque le lisier provient de l’extérieur de la région flamande.

41En juin-juillet 1992, le stuurgroep Vlaamse mestproblematiek dresse le premier projet de Plan lisier, connu en Flandre et dans une partie de la Wallonie, sous le terme de Mestaktieplan - MAP. Ce projet prévoit trois phases pour atteindre, le 1er janvier 2001, les normes définitives d’épandage : en 1992, en 1996 et en 2001. Il distingue quatre groupes de culture auxquelles sont imposés des taux maximum d’azote, et deux groupes pour les taux maximum de P2O5. Il ne fait pas de distinction, pour les calculs de norme, entre les azotes minéraux et les azotes contenus dans le lisier. Le plan est remis au ministre De Batselier, qui le juge incomplet et charge la Vlaamse Landmaatschappij de le remanier.

42Le MAP 92, résultat de ce travail auquel est associé le stuurgroep, distingue les azotes minéraux des azotes animaux et reporte les trois phases aux années 1995, 1998 et 2001 ; il définit trois types de végétation avec des taux d’épandage différents selon la nature du sol.

43Le 1er juin 1993, Norbert De Batselier soumet le projet de plan remodelé à l’avis du Milieu- en Natuurraad voor Vlaanderen - MiNa-Raad, le conseil consultatif pour l’environnement et la politique de la nature, créé en 1991 pour remplacer l’ancien Vlaamse Raad voor het Leefmilieu [13]. Le MiNa-Raad compte vingt-quatre membres. Son président et son vice-président sont directement nommés par le gouvernement flamand. Douze des vingt-deux membres restants sont désignés sur proposition des associations de protection de la nature et de l’environnement. Ils sont, en l’occurrence, nommés selon la répartition suivante : six membres présentés par le Bond Beter Leefmilieu - qui est l’équivalent, en Flandre, d’Interenvironnement - quatre par l’asbl Natuurreservaten, un par le Centrum voor Natuurbeschermingseducatie et un par l’asbl De Wielewaal. Les dix autres membres du MiNa-Raad sont désignés comme suit : six membres sont présentés par des organisations qui font partie du Sociaal-economische Raad van Vlaanderen, le Conseil économique et social flamand (ils représentent respectivement le syndicat socialiste, le syndicat chrétien, le Boerenbond, l’association d’indépendants chrétiens Nationaal christelijk Middenstandsverbond - NCMV et le Vlaams economisch Verbond - VEV) ; quatre membres représentent les conseils consultatifs « sectoriels », à savoir le Conseil supérieur flamand de la conservation de la nature, le Conseil supérieur flamand des forêts, le Conseil supérieur flamand de la chasse et le Conseil supérieur flamand de la pêche en rivière. Le MiNa-Raad compte encore des membres qui ont voix consultative, présentés par le Conseil flamand de la politique scientifique, l’Union des villes et communes et l’Union des provinces.

44L’avis du Mina-Raad, rendu le 1er juillet 1993, est partagé : les associations environnementales en particulier, ne peuvent trouver de position commune avec les représentants du Boerenbond.

45Le plan est alors présenté, par Norbert De Batselier, au gouvernement flamand. Il s’appuie sur trois principes [14] : une réduction de la production à la source, une classification en zones vulnérables et le principe du « pollueur-payeur ».

46En application du premier principe, le MAP 92 va jusqu’à envisager des restrictions à l’implantation d’élevages. Le plan distingue à cet effet les types de cultures selon qu’elles ont plus ou moins besoin d’engrais.

47Des normes d’épandage plus strictes sont prévues pour les zones fragiles : là où il y a utilisation des eaux souterraines pour la consommation humaine, ou encore pour des raisons de prévention écologique (faune, flore, terres saturées…). La Flandre est divisée en zones blanches, grises et noires. Le régime d’autorisation d’épandage diffère selon le cas.

48Par ailleurs, le MAP envisage d’imposer à certaines exploitations de recycler elles-mêmes leur lisier.

49Enfin, pour ce qui est des implications financières de certaines mesures, le plan avance les pistes suivantes : chaque producteur de lisier serait tenu de payer une taxe de base, calculée en fonction de la production. Il s’y ajouterait une taxe (incitative) en cas d’excédents.

50Aux petites heures du 30 septembre 1993, le gouvernement flamand adopte le MAP 92 en dépit des protestations des agriculteurs, qui se multiplient dans les jours précédant cette décision. Leurs actions sont parfois spectaculaires : les tracteurs bloquent les routes, les fermiers déversent leurs déchets sur la voie publique, etc. Des agriculteurs vont jusqu’à recouvrir de lisier, au domicile privé du ministre De Batselier, la voiture de son épouse ; des « inconnus » menacent et agressent physiquement des responsables d’associations de défense de l’environnement. La nuit, on abat les clôtures qui protègent les zones naturelles. Dès la mi-1993, des pressions de plus en plus fortes ont été exercées sur le CVP par des associations proches (ou constitutives) du parti, notamment - mais pas exclusivement - le Boerenbond. L’adoption du plan constitue donc une défaite pour ce mouvement, qui ira jusqu’à désavouer sa « représentante » au sein du gouvernement flamand Wivina De Meester-De Meyer. C’est en effet à ce stand qu’est réputée appartenir, depuis sa première élection à la Chambre le 10 mars 1974, cette députée de l’arrondissement d’Anvers.

51Les pressions du lobby agricole vont néanmoins entraîner un ajournement de la décision gouvernementale : le 30 novembre 1993, le gouvernement flamand décide de reporter l’entrée en vigueur du MAP au mois d’avril 1994. En décembre 1993, des discussions reprennent, cette fois au sein d’un groupe de travail ad hoc où se retrouvent quatre associations : le Boerenbond et l’Algemeen Boerensyndicaat - ABS pour le secteur agricole, le Bond Beter Leefmilieu et l’asbl Natuurreservaten pour les associations de défense de l’environnement. La situation est quelque peu confuse : le gouvernement a adopté le MAP, mais il charge en quelque sorte les groupes de pression de s’entendre sur certaines de ses modalités. C’est notamment le cas de la question des taxes, des permis d’exploiter et de la définition de l’entreprise « familiale », susceptible de bénéficier d’un régime plus favorable.

Les positions des partis flamands sur le MAP de 1992

52Le débat qui a lieu au Vlaamse Raad le 19 octobre 1993, suite à des interpellations de Vera Dua (Agalev), de Jef Van Looy (CVP) et d’André Denys (VLD) permet de cerner une première fois les positions des différents partis flamands sur ce dossier.

53Pour les écologistes d’Agalev, la question du lisier ne peut être isolée de celle de la politique agricole en général. Agalev est sceptique quant aux possibilités de traitement du lisier : le système est coûteux, son développement technologique est insuffisant, il provoque des nuisances et il dépend d’un apport de matière qui risque d’hypothéquer la seule mesure efficace qu’envisagent les écologistes flamands, à savoir une réduction du cheptel. Enfin, il favorise un secteur agro-industriel qui va accroître son emprise sur la paysannerie. Agalev s’élève contre le poids excessif, dans le secteur agricole flamand, des intégrateurs [15] - c’est-à-dire des entreprises qui, fournissant l’alimentation et achetant le bétail engraissé, maintiennent le paysan en état de complète dépendance. Agalev critique enfin la politique agricole menée au niveau national et au niveau européen, qui a abouti à encourager l’élevage intensif (hors sol).

54Les libéraux (VLD) examinent la question sous l’angle du rapport entre environnement et économie. Ils plaident pour une approche nuancée du dossier où les normes d’épandage soient fonction du type de culture ; ils refusent toute taxe et toute subvention. « Le secteur doit lui-même fixer le prix à payer, sur le marché, pour les coûts qu’entraîne la suppression des excédents » (A. Denys). Dans ce cadre, le VLD est favorable au traitement industriel, qui peut devenir - si l’on renonce à la taxation - une opération rentable pour des entrepreneurs privés.

55Le Vlaams Blok refuse toute mesure susceptible de menacer l’avenir économique du secteur. « Un peuple qui s’en prend à son agriculture et à ses paysans est lui-même condamné à mort » (Frans Wymeersch). Comme le VLD, le parti nationaliste refuse donc le MAP.

56Dans les rangs de la majorité, la Volksunie s’attache à défendre l’entreprise familiale. Elle critique l’évolution qui a conduit à un élevage intensif et hors sol, de type industriel.

57Les socialistes (SP) sont favorables à une « reconversion écologique » progressive du secteur agricole. Ils craignent les pressions du Boerenbond et, comme les Verts, jugent le traitement du lisier une « solution peu réaliste ».

58L’attitude des sociaux-chrétiens (CVP) reste incertaine à ce stade. Lors du débat du 19 octobre 1993, le député Jef Van Looy prend la parole pour défendre le secteur agricole, déplorer l’absence - malgré les transferts de compétence récents dus aux accords de la Saint-Michel - d’un département ministériel de politique agricole et dénoncer le MAP, qui risque selon lui de coûter de 2 à 3.000 emplois. Il ajoute que le nitrate présent dans les eaux souterraines ne provient du lisier que pour une part extrêmement réduite.

59Le 25 novembre 1993, le Vlaamse Raad est appelé à se prononcer sur la motion motivée déposée, en conclusion de ces interpellations, par Vera Dua. La motion [16], qui demande une définition rapide de la notion d’entreprise « familiale » et une révision du MAP pour augmenter la quote-part financière des intégrateurs, est repoussée ; les parlementaires Agalev votent en sa faveur, de même que le libéral Stefaan Platteau (11 voix pour) ; le groupe VLD (sauf S. Platteau) vote contre, de même que les parlementaires CVP Marc Didden et Herman Suykerbuyk (22 voix contre) ; les groupes SP, VU, Vlaams Blok et CVP (sauf les deux députés précités) s’abstiennent (107 abstentions). Le VLD justifie son vote négatif par l’approche aveuglément écologique « de Mme Dua, qui ne tient pas compte de l’importance socio-économique du secteur agricole » ; le Vlaams Blok justifie son abstention par son souci de défendre « l’entreprise agricole familiale » ; le SP fait de même en affirmant qu’il ne veut pas « hypothéquer » les discussions engagées par le gouvernement flamand. On notera que les deux votes négatifs du CVP viennent de parlementaires qui ne sont pas comptés parmi les sympathisants du Boerenbond : Herman Suykerbuyk est proche de l’association chrétienne des classes moyennes (NCMV), Marc Didden de l’ACW (l’équivalent flamand du MOC).

Le compromis de juin 1994

60Le dossier - et singulièrement la concertation sur la définition de l’« entreprise familiale » - connaît alors plusieurs ajournements en raison des difficultés qu’ont les représentants des associations de défense de l’environnement et du secteur agricole d’aboutir à un consensus. Les élections européennes de juin 1994, par ailleurs, sont proches : manifestement, ni le SP ni le CVP n’entendent perdre la face.

61Le 2 juin 1994, l’opposition donne une nouvelle fois de la voix au Vlaamse Raad. Le VLD, par la bouche d’André Denys, demande le retrait du MAP dont l’échec est, affirme-t-il, évident. Il s’en prend cependant surtout au CVP, accusé d’« ambiguïté » face à sa base paysanne. Il critique la mise à l’écart du pouvoir législatif. Vera Dua, pour Agalev, ne se montre pas plus tendre en soulignant que « le dossier est entièrement dominé par la surenchère électorale ». Le parti vert regrette les pressions que subit le CVP de la part des intégrateurs et, en particulier, d’une nouvelle organisation créée pour défendre les intérêts du secteur agro-industriel, l’Ocato (dont le président, Herman Delcroix, est le frère du ministre de la Défense nationale et ancien secrétaire national du CVP Leo Delcroix). Agalev défend l’autonomie de l’entreprise familiale, qui ne peut être préservée qu’en prenant des mesures de discrimination positive, empêchant notamment les intégrateurs de la soumettre à leur loi. Comme il a déjà été expliqué, les intégrateurs sont propriétaires du cheptel, bovin ou autre ; ils fournissent l’alimentation du bétail aux paysans pour un élevage hors sol. Les agriculteurs engraissent les bêtes ; une fois engraissées, celles-ci sont reprises par les intégrateurs pour la commercialisation de la viande. Dans ce type de structure, le statut des paysans est proche du salariat ; ils sont dépendants de la chaîne en amont (propriété, nourriture) comme en aval (reprise du bétail). On estime qu’en Flandre, 70.000 personnes vivent de cette forme d’élevage intensif. Selon des chiffres fournis par la députée Agalev Vera Dua [17], les paysans non autonomes (c’est-à-dire les agriculteurs liés par un contrat d’intégration) seraient de 80 à 85 % dans l’élevage porcin, 95 % dans l’élevage de la volaille et 100 % dans l’élevage des veaux.

62Les autres partis répètent leurs positions, le SP insistant pour que le MAP entre en vigueur avant la fin de l’année. Aucun orateur n’intervient au nom du groupe CVP ; le ministre-président Luc Van den Brande (qui avait répondu en octobre 1993, aux côtés du ministre de l’Environnement, aux questions concernant les transferts de compétence, en matière agricole et leurs effets) ne répond pas cette fois-ci, laissant ce soin à Norbert de Batselier. La motion motivée que dépose Mme Dua à l’issue de ces interpellations, qui demande pour l’essentiel qu’une décision rapide soit prise par le gouvernement [18], est repoussée le 28 juin 1994 par 95 voix contre 38 et 10 abstentions. Cette fois, le VLD s’est joint à Agalev pour voter en faveur de la motion et la majorité a émis, avec le Vlaams Blok, un vote négatif ; les abstentions sont celles des membres du gouvernement ainsi que de Gerolf Annemans (Vlaams Blok), Stefaan Platteau (VLD) et Louis Standaert (élu sur une liste Rossem).

63C’est finalement un groupe de travail intercabinets - méthode de préparation des décisions fréquente dans la culture politique belge, au niveau régional comme au niveau fédéral - qui va réussir à dresser un nouveau Plan lisier ou, plus exactement, à élaborer un projet de modification du décret de 1991.

64Les lignes de force de ce compromis sont :

  • instauration de la notion d’élevage « familial » (avec mesures de discrimination positive en matière de permis et d’épandage) ;
  • mesures techniques relatives à l’alimentation du bétail ;
  • application des normes européennes en matière d’importation, d’exportation et de transport du lisier ;
  • nouvelles règles de contrôle et de sanctions ;
  • politique d’autorisation tendant à limiter la production de phosphates, en Flandre, à 75 millions de kilos.

65Par ailleurs, le groupe de travail laisse en suspens plusieurs questions délicates : les normes de fertilisation, la délimitation des zones vulnérables, les règles en matière d’épandage (uitrijregeling). Il prépare néanmoins plusieurs arrêtés d’exécution du décret (concernant, notamment, la protection des nappes phréatiques) [19].

66Le stuurgroep Vlaamse mestproblematiek se prononce sur ces textes le 8 juillet 1994 ; quant au gouvernement, il décide de charger la nouvelle administration de l’agriculture (ALT, voir supra) d’évaluer les propositions et de demander l’avis, non seulement du MiNa-Raad, mais aussi du Conseil économique et social, le SERV.

67Ces avis sont partagés.

68L’opinion du SERV, où le Boerenbond est minoritaire, est globalement, favorable (mais il est vrai qu’on n’y vote pas, et que s’y applique la règle du consensus).

69Le SERV considère notamment, quant aux points de conflit, que :

  • des normes de fertilisation sont acceptables et possibles, si elles sont fondées scientifiquement ;
  • une différentiation géographique de l’application de ces normes se justifie ;
  • la taxation ne constitue plus, dans la version amendée du MAP, un instrument incitatif mais une pure opération de financement - ce qui est critiquable ;
  • les discriminations positives (au profit d’entreprises « familiales ») doivent rester exceptionnelles et justifiées.

70L’avis du MiNa-Raad est constitué d’une juxtaposition de points de vue divergents [20].

71L’étude de l’Administratie voor Land- en Tuinbouw - ALT indique qu’un quart des entreprises agricoles ne répondent pas à la définition de l’entreprise « familiale » que propose le texte. Le coût total du plan, s’il devait être appliqué, se situerait dans une fourchette allant de 21 à 26 % du revenu des entreprises agricoles. L’ALT juge impraticable la solution du traitement, et prévoit la fermeture de 2.200 élevages porcins et de 1.800 élevages de bovins, avec des pertes d’emplois indirects allant jusqu’à 10.500 unités et une perte de capital chiffrée à plus de 7 milliards de francs.

Le MAP et la crise politique de 1994-1995

Le MAP « allégé » de 1994

72Le plan élaboré par le groupe de travail, qui implique d’ailleurs un relèvement des normes d’épandage par rapport aux projets précédents, fera encore l’objet pendant l’été et l’automne de 1994 de discussions animées.

73Le 19 juillet 1994, un accord intervient au sein du gouvernement sur trois parties de ce MAP 94 : les discriminations positives en faveur des entreprises familiales, la question des redevances et le régime d’autorisations.

74En décembre 1994, la Vlaamse Milieumaatschappij [21] publie un communiqué de presse concernant le programme d’épuration des eaux du bassin de l’Yser. Elle y souligne que les milliards investis dans ces installations resteront inutiles si le secteur agricole ne prend pas ses responsabilités en aval. La VMM veut-elle faire pression pour favoriser l’adoption du MAP 94 ? C’est ce que pensent certains journalistes, qui rappellent que le directeur de la VMM, M. Frank Van Sevencoten, est une personnalité en vue du SP.

75Le 12 décembre 1994, des agriculteurs manifestent - notamment à Zaventem, où ils bloquent les arrivées et départs de voyageurs, et à Erembodegem, siège de la Vlaamse Milieumaatschappij. Les manifestants sont soutenus par l’ABS. Des embouteillages monstres sont le résultat des actions : les paysans allument des feux sur la chaussée, jettent des blocs de béton en travers de la voirie, arrachent des panneaux de signalisation. Avec leurs tracteurs, ils bloquent toute circulation. Des chauffeurs qui regimbent se voient agressés physiquement : vitres brisées, pneus lacérés. A Zaventem, les manifestants s’en prennent aux voyageurs qui tentent, sous la protection de la police et de la gendarmerie, de rejoindre l’aéroport à pied. À Erembodegem, ils s’attaquent aux locaux de la Vlaamse Milieumaatschappij : ils y pénètrent, saccagent les bureaux, vident les armoires, brûlent des documents. Les dégâts se chiffrent en dizaines de millions. Le Boerenbond, de son côté, se rend en délégation auprès du ministre de l’Environnement et du ministre-président Van den Brande et croit pouvoir se réjouir d’une « divergence de vues » entre les deux hommes : alors que Norbert De Batselier s’en tient aux normes édictées, le chef de cabinet du ministre-président se dit prêt à tenir compte de l’étude de l’administration de l’agriculture (ALT, voir supra) qui recommande des normes plus souples pour l’application du MAP [22].

76Le 14 décembre 1994, les cadres de l’ABS se réunissent à Oudenaarde avec des membres de la section malinoise du Boerenfront, une autre organisation paysanne radicale. Camiel Adriaens, le président de l’ABS, se refuse à condamner les incidents d’Erembodegem. « C’est une autodéfense bien compréhensible » [23]. Critiqué parce que le secrétaire de la section du Waasland de l’ABS coordonnait les actions à Erembodegem, il rétorque que « les médias ont gonflé l’affaire. Il n’y a pas eu de blessés ». Information inexacte d’ailleurs : six policiers et un gendarme ont effectivement été blessés. Sûr de lui, Adriaens pense que le MAP sera adapté : sinon, prophétise-t-il, le gouvernement tombera.

77Le 20 décembre 1994, au cours d’un marathon nocturne, Luc Van den Brande et Norbert De Batselier - flanqués pour l’occasion de leurs présidents de parti respectifs, Johan Van Hecke et Louis Tobback - parviennent à un compromis sur les parties encore litigieuses du MAP : les normes, la délimitation de zones vulnérables et le régime de transport du lisier. Ce compromis, qui va plutôt dans le sens d’un assouplissement des contraintes, est malgré tout, rejeté par le Boerenbond ; le 22 décembre, le groupe CVP du Vlaamse Raad est mis sous pression par une délégation du Boerenbond. Cette dernière lui demande instamment de ne pas approuver la version « légère » du MAP en mars 1995, lorsqu’elle aboutira en séance plénière.

78Le 23 décembre 1994, des militants de l’ABS enterrent symboliquement, à Dendermonde (ville dont De Batselier, sera bourgmestre après les élections d’octobre - il n’entrera en fonction que le 1er janvier 1995), leur « collègue Norbert Boerkens ».

79Le 6 janvier 1995, 2.000 agriculteurs participent au palais 2 du Heysel à une manifestation de protestation contre le MAP, organisée par le Boerenbond. Les manifestants demandent au Parlement flamand de rejeter le plan sous sa forme actuelle. Des membres du Boerenbond qui se rendent au meeting bloquent la circulation sur le Ring de Bruxelles. D’autres actions ont lieu le même jour, notamment l’inauguration d’un « monument » fait de caissons de fruits sur la N41 à la hauteur de Saint-Nicolas.

80Sur l’avant-projet de MAP « allégé » adopté le 21 décembre 1994, les positions des partis sont les suivantes.

81Le CVP se dit favorable au MAP, à la discrimination positive en faveur de l’entreprise familiale, aux redevances. Il critique le rythme d’application, la manière de définir les zones vulnérables, l’instauration d’un « gel » du cheptel et l’inscription de normes définitives (à atteindre en 2002) dans le décret.

82Le VLD reste partisan d’encourager le traitement du lisier. Concrètement, il plaide pour une redevance frappant les surplus alimentaires, avec exonération en cas de traitement du lisier. Il critique la notion d’entreprise « familiale » basée sur le seul critère de propriété, soupçonnant le ministre de vouloir mener une politique de réformes agricoles par des voies détournées. Les pouvoirs publics, ajoute le VLD, doivent se borner à exercer leur mission de contrôle, sans ingérence dans l’organisation et l’exécution des mesures de restriction du lisier.

83Agalev est globalement favorable au MAP mais regrette la souplesse des normes définitives, susceptibles d’être revues en 1998. Il rejette la piste du traitement, jugée « sans issue » ; il craint que la notion d’« entreprise familiale » ne soit vidée de sa substance par les liens de dépendance qu’entretiennent certains intégrateurs comme l’Aveve (voir infra). Agalev plaide enfin pour que le gouvernement soutienne les petites entreprises agricoles et les réductions de cheptel.

84Le SP se plie au compromis de décembre 1994. Il juge que les normes d’épandage doivent se fonder sur des considérations techniques plutôt que sur des négociations politiques ; il y va de la santé publique et de la qualité de l’environnement.

85Le Vlaams Blok plaide en faveur de l’entreprise familiale, mais critique sa définition ainsi que celle des zones vulnérables ; ce parti s’oppose par ailleurs à toute forme de redevance.

86La Volksunie est favorable au traitement du lisier ; elle soutient pourtant De Batselier dans sa défense de l’entreprise familiale et dans son combat contre les intégrateurs.

La crise du 14-15 mars 1995

87Le 14 mars 1995, alors que les élections se profilent - elles auront lieu en mai de la même année - Norbert De Batselier fait inscrire une nouvelle fois le MAP à l’ordre du jour d’une réunion du gouvernement flamand.

88Entre-temps en effet, celui-ci a été saisi des remarques du Conseil d’État sur l’avant-projet de décret adopté par le gouvernement dans la nuit du 20 décembre 1994. Si, pour le SP, il est possible de rencontrer sans difficultés majeures les observations du Conseil d’État, le CVP juge inutile de se prononcer sur un texte qui, en toute hypothèse, ne pourra plus être voté par le Parlement flamand avant la fin de la législature. Aux yeux de Norbert De Batselier, rien n’empêche d’inclure les arrêtés d’exécution dans le décret comme le demande le Conseil d’État ; les compensations supplémentaires pour les zones vulnérables doivent, quant à elles, faire l’objet d’un accord au sein du gouvernement. Mais Luc Van den Brande ne tient pas le même discours que son vice-président : il parle de « remarques fondamentales du Conseil d’État, nécessitant une révision sérieuse du projet qu’il est impossible de mener sérieusement à bien avant le 21 mai 1995 ».

89Au cours de la réunion du gouvernement flamand du 15 mars 1995, les ministres CVP refusent de traiter ce point ; les ministres socialistes quittent alors la séance. Johan Sauwens (VU) fait de même, après le refus des ministres CVP de poursuivre la discussion du MAP au sein d’un groupe de travail. Norbert De Batselier ne démissionne pourtant pas : l’approche des élections rendrait, affirme-t-il, ce geste « inutile ». Le gouvernement flamand se trouve ainsi, de facto, condamné à ne plus gérer que les affaires courantes. Comme le note au demeurant Le Soir (16 mars 1995), la coalition était de toute façon « à bout de souffle », divisée sur nombre d’autres dossiers : l’enseignement, les médias et l’emploi notamment.

Le décret de 1995

Les élections du 21 mai 1995 et la formation du gouvernement flamand

90Les élections du 21 mai 1995 sont les premières élections législatives de la Belgique fédérale : pour la première fois, le Vlaamse Raad va être composé d’élus directs. Par ailleurs, la loi spéciale du 16 juillet 1993 visant à achever la structure fédérale de l’État a transféré aux régions l’essentiel des compétences en matière agricole : seules la politique des marchés et des prix, la politique des produits et la politique sanitaire relèvent encore des attributions du ministre fédéral.

91Dans ce contexte, alors que le CVP et le SP progressent tous deux légèrement à la Chambre, la VU y est en recul ; les résultats du VLD y sont en forte hausse, sans qu’il puisse néanmoins inquiéter les partenaires de la coalition (fédérale) sortante. Le SP et le CVP occupent ensemble 49 sièges à la Chambre sur les 91 du groupe linguistique néerlandais.

92Au Vlaamse Raad par contre, la situation est plus complexe. La Volksunie se maintient - elle avait envoyé aux élections régionales ses « premiers couteaux » -, le CVP obtient un résultat à peu près équivalent à celui de 1991 tout comme le SP [24]. Ensemble, le SP et le CVP détiennent 63 des 124 sièges au Parlement flamand, c’est-à-dire une majorité d’une seule voix.

93Néanmoins, des négociations entre socialistes et sociaux-chrétiens sont menées parallèlement au niveau fédéral, dans les Communautés et à la Région wallonne. À la Communauté flamande, elles seront quelque peu plus longues et n’aboutiront que le 14 juin 1995 ; le SP et le CVP décident de former une coalition sans la VU (à la demande, semble-t-il, des socialistes).

94Le nouveau gouvernement flamand reste dirigé par Luc Van den Brande (CVP). Norbert De Batselier n’y est plus présent : il sera élu président du Vlaamse Raad. Le vice-ministre-président socialiste est désormais Luc Vanden Bossche, par ailleurs titulaire des portefeuilles de l’enseignement et de la fonction publique. L’environnement échoit à un social-chrétien : le Limbourgeois Théo Kelchtermans, qui avait déjà exercé cette fonction entre 1987 et 1991 et qui la cumule cette fois avec le travail et l’emploi. Le gouvernement compte désormais un ministre de l’Agriculture : Eric Van Rompuy (CVP), lequel est également ministre de l’économie et des médias.

Le MAP de décembre 1995

95Le 7 novembre 1995, le gouvernement flamand dépose un nouveau projet de décret « modifiant le décret du 23 janvier 1991 sur la protection de l’environnement contre la pollution par le lisier » [25]. Ce projet prévoit :

  • l’instauration d’une procédure de notification pour les entreprises familiales, couplée à des mesures de discrimination positive. Les conditions de définition sont notamment fonction du nombre de bêtes, de l’emploi de personnel externe et de l’autonomie économique de l’entreprise (structure de propriété) ;
  • une extension des procédures de transport, de stockage et de traitement du lisier ;
  • l’instauration de normes d’épandage ;
  • la délimitation de zones vulnérables (avec, selon le cas, interdiction d’épandage ou imposition de normes spécifiques) ;
  • une politique d’autorisations destinée à geler le niveau de production du lisier à celui du 15 mai 1992 ;
  • un système de redevances graduelles (sur la base de la production animale).

96Le projet est extrêmement détaillé. L’avis du stuurgroep Vlaamse mestproblematiek, qui lui est joint en application du décret de 1991, juxtapose les points de vue des associations environnementales d’une part, du Boerenbond de l’autre. L’ABS et le VEV rejoignent le plus souvent les positions du Boerenbond ; ces deux organisations se montrent, d’autre part, extrêmement critiques quant aux critères de définition de l’entreprise familiale. L’ABS considère pour sa part en conclusion que « la politique de l’environnement, qui relève des compétences du législateur flamand, ne doit pas servir à appliquer directement des mesures qui touchent aux aspects économiques du secteur agricole » [26].

97L’avis du MiNa-Raad (12 octobre 1995) contient, quant à lui, une « note de minorité » du Boerenbond, ; le SERV reconnaît n’avoir pu parvenir à un consensus et rassemble des avis des organisations syndicales, du NCM et du VEV d’une part, du Boerenbond de l’autre.

98Le projet de décret va faire l’objet d’une large discussion parlementaire, avec consultation d’un éventail étendu d’organismes extraparlementaires. Il y aura notamment toute une série d’auditions en commission de l’environnement et de la conservation de la nature du Vlaamse Raad. Le 28 novembre 1995, cette commission entend des représentants de l’asbl Natuurreservaten et du Bond Beter Leefmilieu, ainsi que de Werkgroep voor een rechtvaardige en verantwoorde landbouw - Wervel et du Vlaams agrarisch Centrum. Les deux premières organisations préciseront à cette occasion qu’elles n’ont pas été consultées dans l’élaboration du projet au niveau du gouvernement, hormis une rencontre informelle en juillet 1995. Le 29 novembre 1995, la commission entend les organisations paysannes : Camiel Adriaens pour l’ABS, qui répète sa conviction que le MAP ne poursuit pas seulement des objectifs de protection de l’environnement et son opposition à toute mesure tendant à réduire le cheptel des entreprises agricoles, qu’elles soient familiales ou non ; Noël Devisch pour le Boerenbond, qui souligne combien le MAP de 1994 était « totalement déséquilibré, inéquitable et inapplicable » [27] : normes excessivement strictes, délimitation trop large des zones vulnérables, coût économique trop élevé pour le secteur. Le Boerenbond, ajoute M. Devisch, a été associé à l’élaboration du nouveau MAP car le ministre responsable a compris « qu’un tel plan ne pouvait être appliqué s’il s’opposait au secteur (agricole) ».

99Les points de vue de l’ABS et du Boerenbond sont, sur un certain nombre de points, différents.

100L’ABS demande une indemnisation plus importante des entreprises agricoles situées dans des zones vulnérables, le maintien du cheptel si l’entreprise agricole exporte ou traite son lisier et, de façon plus générale, regrette la perte de terres agricoles qui résultera des restrictions à la production de lisier (perte que l’organisation paysanne chiffre à 92.380 hectares).

101Le Boerenbond, quant à lui, critique les critères appliqués pour définir ce qu’est une « entreprise familiale », en particulier celui de l’autonomie économique ; il s’oppose aux règles imposées en matière d’épandage (uitrijregding), jugées trop strictes et peu réalistes.

102En résumé, les deux associations se rejoignent dans leur refus de diminution linéaire du cheptel ; mais alors que l’ABS a des réactions de type syndical (au sens professionnel, voire corporatiste du terme : pas d’expropriation ni de restrictions sans indemnisation), le Boerenbond s’attache surtout à préserver les liens qui unissent certains agriculteurs (la majorité d’entre eux dans certains secteurs de l’élevage, comme les veaux et la volaille) aux intégrateurs, en couplant la définition de l’entreprise familiale à la taille plutôt qu’au critère de l’autonomie. Ce ne serait donc pas le lien de dépendance vis-à-vis du secteur agro-alimentaire qui déterminerait le caractère « familial » d’une exploitation, mais bien la superficie exploitée. Le représentant de l’ABS, interrogé sur ce point, reconnaît d’ailleurs que les « contrats avec garantie de prix » que propose le Boerenbond aux agriculteurs sont, en réalité, une façon d’éluder le problème de l’intégration. « Même avec des factures fictives ? », lui demande la députée Agalev Vera Dua. « Dat zou kunnen » (cela se pourrait), répond Camiel Adriaens [28]. Autrement dit : certains intégrateurs dissimuleraient la nature salariale du lien de dépendance auquel les uniraient des éleveurs (par la garantie de prix) en incitant ces derniers à établir des factures fictives.

103Ce même 29 novembre, la commission entend encore des représentants de l’association des éleveurs de porcins Vereniging Varkenshouders - Veva, de l’association des éleveurs de volaille et de lapins Verbond voor Pluimvee, Eieren en Konijnen - Vepek, de l’association des éleveurs de veaux Vakvereniging Belgische Kalverhouders - VBK. Ces associations partagent les mêmes critiques vis-à-vis du projet gouvernemental. Elles estiment discriminatoire de distinguer les entreprises familiales des autres entreprises agricoles, inacceptable le gel du cheptel sur la base des chiffres de 1992 et regrettent que rien ne soit fait pour encourager l’exportation de lisier (vers la Wallonie, notamment, où des cultivateurs seraient demandeurs) et son traitement. Ce qui n’empêche pas chacun de ces différents secteurs de souligner les difficultés spécifiques qu’il rencontre, et de se sentir plus touché que les autres par le projet de décret.

104Le 29 novembre toujours, la commission entend des représentants des intégrateurs : des salariés de la société Danis, des délégués de l’Overlegcentrum voor Agrarische Toeleverings-, Producerende en Verwerkende Ondernemingen - Ocato et de la Beroepsvereniging Mengvoederfabrikanten - Bemefa (l’APFACA, selon son sigle français).

105La SA Danis travaille avec quelque 400 « loonkwekers », c’est-à-dire des éleveurs liés par des contrats de type salarial. De façon générale, elle estime qu’un tiers seulement des entreprises du secteur sont des entreprises familiales. Elle est favorable au développement de programmes de traitement du lisier et affirme prendre elle-même des initiatives en ce sens, en centralisant des travaux de recherche. Elle soutient qu’en 1997, tous les excédents de P2O5 pourraient ainsi être traités.

106L’Ocato se réjouit de l’évolution positive du dossier, mais craint que les règles de saine concurrence (avec l’étranger) ne soient faussées par certaines dispositions du projet. L’Ocato s’oppose par ailleurs au Boerenbond, jugeant artificielle la distinction entre contrat avec garantie de prix et contrat salarial. L’organisation est, comme les autres représentants des intégrateurs, favorable aux solutions qui passent par le traitement du lisier. La Bemefa-APFACA enfin estime que la notion d’entreprise « familiale » constitue une atteinte à la réalité économique et, comme l’Ocato, que le contrat avec garantie de prix que propose l’Aveve est un contrat d’intégration qui ne dit pas son nom.

107Bref, si les intégrateurs sont unanimes à refuser les critères de définition de l’entreprise « familiale » que propose le texte du gouvernement, ils divergent quant à la stratégie à adopter : pour les uns, « faire avec » peut impliquer que l’on débaptise les contrats d’intégration comme le moine Gorenflot baptisait carpe, dans Les Quarante-Cinq de Dumas père, le lapin qu’il entendait manger un vendredi saint ; pour les autres, le refus de la discrimination positive est absolu. Ces différences d’approche se traduiront, sur le papier à tout le moins, lorsqu’un recours contre le décret sera déposé auprès de la Cour d’arbitrage.

108La commission entend encore le délégué d’une société des Pays-Bas spécialisée dans le traitement du lisier, la SA Promest ; ce délégué vante les mérites d’une politique en trois volets (transport du lisier des régions à excédents vers les régions pauvres en engrais, diminution du taux de minéraux dans le lisier grâce à une amélioration de l’alimentation du bétail, traitement).

109Le 30 novembre, la commission entend enfin le professeur Hofman de l’Université de Gand et une représentante du Service géologique de Belgique. Tous deux se penchent sur les aspects techniques du dossier en ce qui concerne la teneur en azote et en anhydride phosphorique des sols.

110Au total, quatre-vingt-huit amendements sont déposés en commission. La coalition en place, rappelons-le, ne dispose que d’une très courte majorité - y compris en commission, où elle occupe 8 sièges sur 15. Sur les quatre-vingt-huit amendements, quatorze sont adoptés en commission dont treize déposés conjointement par Léonard Quintelier (CVP) et Jacques Timmermans (SP). Ils concernent : le cas où plusieurs personnes sont propriétaires du cheptel d’une seule entreprise (elles sont alors considérées comme un seul producteur, sauf si elles appartiennent à la même famille), l’obligation de traitement ou d’exportation de lisier excédentaire (que les auteurs préfèrent voir inscrite dans le décret que dans ses arrêtés d’application), la limitation au niveau de 1995 de la quantité de lisier dans les zones de captage d’eaux de surface, l’ajout dans les zones vulnérables des « zones de développement naturel », le renforcement des restrictions à l’épandage dans les zones de production agricole enclavées dans des zones de protection, la diminution des quantités de lisier autorisées dans des entreprises familiales situées dans des zones saturées, un régime d’épandage du lisier (uitrijregeling) « plus réaliste », un certain nombre de dispositions transitoires et la possibilité pour le gouvernement flamand de déroger à certains articles du projet pour ce qui concerne l’élevage des veaux. Le seul amendement de l’opposition qui soit adopté est celui de Vera Dua (Agalev) étendant la mission de contrôle de l’application du décret aux fonctionnaires assermentés de la division Eaux et Forêts et de la division Nature de l’administration.

111En séance plénière du 15 décembre 1995, le projet de décret fait à nouveau l’objet d’un large débat. Après les rapporteurs Vera Dua (Agalev) et Georges Beerden (CVP), la première exposant les résultats des auditions en commission et le second les principaux points de conflit (définition de l’entreprise familiale, délimitation des zones vulnérables, modalités d’épandage du lisier, redevances), les orateurs des groupes expriment des positions déjà connues. Si le SP et Agalev soutiennent tous deux que le nouveau MAP est très semblable à son prédécesseur - le premier pour s’en féliciter, le second pour le regretter - le CVP fait le lien entre le nouveau plan et le décret de 1991, adopté sur proposition du ministre Kelchtermans. Le VLD, dont les membres et sympathisants se sont prononcés par référendum interne en faveur d’un MAP, s’emploie à démontrer que le projet de décret n’est pas le plan qui convient.

112Pour la VU, le projet de décret est une « boîte vide » qui ne répond en rien aux préoccupations environnementales de son prédécesseur ; le Vlaams Blok rejette un plan qui porte directement atteinte aux intérêts des agriculteurs, un secteur « qui a fait de la Flandre ce qu’elle est aujourd’hui ».

113À la tribune, une délégation du Boerenbond dirigée par Noël Devisch suit les débats : c’est, explique le Standaard, l’équipe « visitée ». À l’extérieur, il y a l’équipe des « visiteurs » : surveillée de près par la police militaire, une délégation de l’ABS emmenée par Camiel Adriaens.

114La plupart des amendements rejetés en commission sont redéposés en séance plénière. Les votes donnent les résultats suivants :

  • 6 amendements du Vlaams Blok sont repoussés ; le VLD et Agalev s’abstiennent sur 1 d’entre eux, le VLD vote pour 1 d’entre eux, Agalev s’abstient seul sur 1 d’entre eux, le VLD s’abstient seul sur 3 de ces amendements ;
  • 8 amendements du VLD sont repoussés ; Agalev s’abstient sur 2 d’entre eux, le Vlaams Blok vote pour 6 d’entre eux, la VU pour 2 d’entre eux ;
  • 7 amendements de la VU sont repoussés ; Agalev vote en faveur de 6 d’entre eux, s’abstient sur 1 d’entre eux, le VLD s’abstient sur 3 d’entre eux, le Vlaams Blok sur 1 de ces amendements ;
  • 10 amendements d’Agalev sont repoussés ; la VU vote pour 9 d’entre eux, le VLD s’abstient sur 2 d’entre eux, le Vlaams Blok sur 1 de ces amendements.

115Globalement, on voit donc se dessiner deux axes d’opposition, correspondant à la fois à des enjeux environnementaux et économiques : Agalev-Volksunie d’une part, VLD-Vlaams Blok de l’autre. Au vote final néanmoins, l’opposition fait bloc : le projet est adopté par 60 voix (SP et CVP) contre 52 (VLD, Vlaams Blok, Agalev et VU).

116Simultanément à la promulgation du nouveau décret, le gouvernement flamand prend une série d’arrêtés d’application relatifs notamment au régime d’autorisations, aux modalités de déclaration, aux indemnisations, aux règles d’épandage (uitrijregeling), à la délimitation des zones vulnérables. Il y en a, au total, une bonne dizaine qui sont tous publiés, en même temps que le décret modificatif, au Moniteur belge du 30 décembre 1995.

Vers l’évaluation de 1998. Les effets du MAP

1995-1998 : l’évolution du dossier

117Un an après l’adoption du nouveau « mestdecreet », Agalev met en garde : le cheptel ne cesse de croître, le lisier aussi. Entre 1992 et 1995, il y aurait eu une hausse de 2,1 % du nombre de bovins, de 6,8 % du nombre de porcs et de 5,9 % du nombre de poulets. La production de lisier aurait augmenté entre le 15 mars 1995 et le 15 septembre 1996, de 5,1 millions de kilos [29]. L’explication, selon Agalev, serait le nombre élevé de demandes d’autorisation d’extensions introduites juste avant l’entrée en vigueur du décret, mais aussi la définition trop large de l’entreprise « familiale » : les intégrateurs pourraient ainsi bénéficier des conditions favorables accordées à cette catégorie d’exploitations.

118Pour l’administration (la mestbank), les chiffres cités par Agalev sont une extrapolation ; c’est ce que confirmera le ministre Theo Kelchtermans, précisant que les données relatives au cheptel qui concernent l’année 1996 ne seront transmises à la mestbank qu’en mars 1997. Quant au Boerenbond et à l’ABS, ils soulignent tous deux qu’une extension des exploitations ne signifie pas nécessairement une augmentation du cheptel [30].

119Interpellé par Vera Dua le 4 mars 1997, le ministre précise que la hausse de 5 millions de kilos porte sur la période 1993-1996 - sans nier que l’augmentation du nombre de demandes ait eu un impact sur la hausse de la production de lisier.

120Au même moment (début mars 1997), le ministre prend, par voie de circulaire, des mesures qui assouplissent, dans la pratique, certaines dispositions du décret. Pour être reconnu comme entreprise « familiale », il suffit dorénavant d’une « déclaration sur l’honneur » ; Theo Kelchtermans justifie cette décision en soulignant le manque de moyens en personnel de la mestbank. Cette dernière confirmera, dans un rapport adressé au ministre, ses difficultés en matière d’inspection : « le contrôle quant à l’autonomie économique (…) s’est avéré impraticable, en raison de l’exception contenue dans le décret (le contrat avec garantie de prix). La plupart des intégrateurs ont adapté leur contrat avant le 15 mars 1996 pour profiter de cette exception » [31].

121Répondant à une question écrite de Gerda Raskin (VU), le ministre donne des chiffres montrant qu’entre 1992 (voir les chiffres cités dans l’introduction) et 1996, tant le cheptel que la production d’azote et de P2O5 ont augmenté. Selon l’Institut national de statistique, la production d’azote serait passée de 168,61 millions de kilos en 1992 à 173,15 millions de kilos en 1996 ; celle de P2O5 de 74,76 millions de kilos en 1992 à 78,26 millions de kilos en 1996. Quant au cheptel, le nombre de bovins serait passé de 1.696.073 unités en 1992 à 1.703.221 têtes en 1996 ; le nombre de porcins de 6.545.386 à 6.953.165 et le nombre de têtes de volaille de 26.118.360 à 34.341.059 [32].

122En septembre 1997, trois organisations de défense de l’environnement - le Bond Beter Leefmilieu, les Natuurreservaten et l’asbl Wielewaal - déposent plainte contre le MAP auprès de la Commission européenne. Selon ces associations, la norme que le décret impose en matière de production de nitrate (azote) n’est pas conforme à la directive européenne de 1991 [33] ; par ailleurs, elles critiquent le traitement préférentiel dont bénéficient, de ce fait, les agriculteurs flamands. On signalera enfin la déclaration du ministre flamand de l’Agriculture Eric Van Rompuy, qui se prononce en février 1998 en faveur d’une intervention du Fonds d’investissement agricole pour développer les filières de traitement du lisier ; c’est à cette occasion qu’il se dira « fier que la Flandre compte plus de porcs que d’habitants ».

123Trois années après son adoption, le décret lisier reste donc soumis à de nombreuses critiques d’une part, et à des difficultés d’application - voire d’interprétation - de l’autre. On peut s’interroger, dans ces conditions, sur la sérénité du futur débat sur l’évaluation promise en 1998.

Les effets du Plan lisier en Région wallonne

124Il n’existe pas, en Région wallonne, de mesures législatives concernant l’enlèvement ou l’épandage du lisier. La seule disposition qui s’y rapporte est un arrêté de l’exécutif wallon du 4 juillet 1991 réglant les modalités de distribution des eaux usées provenant des activités d’élevage [34]. Le lisier en tant que tel est exclu de la définition que la Région wallonne donne de la notion de « déchets » [35] ; néanmoins, cette exclusion semble contraire au droit européen - ce qui pourrait permettre, le cas échéant, d’empêcher l’exportation de lisier flamand vers la Wallonie. Même si la Wallonie est moins directement touchée par le problème, il n’y a donc pas à proprement parler de lacune dans sa législation. Ce point n’est pas sans importance, vu notamment les critiques récurrentes qu’adressent les libéraux flamands à la législation environnementale de la Région flamande qui pousserait les entreprises à se délocaliser.

125La Région wallonne autorise cependant l’importation de lisier flamand, en raison des besoins physiologiques de certaines cultures (notamment la betterave et le maïs). Quant à la délocalisation, le ministre wallon de l’Agriculture et de l’Environnement (M. Guy Lutgen) précisera, en réponse à une question écrite du député wallon Xavier Desgain, que « le développement de l’élevage hors sol en Wallonie n’est pas seulement la conséquence de l’application du Plan lisier en Flandre. Il est la conséquence directe d’une mutation profonde des habitudes alimentaires en Wallonie et dans toute l’Europe » [36]. Mais le ministre ne nie pas, en soi, le phénomène de délocalisation (sans pouvoir, apparemment, donner de chiffres autres que ceux des autorisations, sans répartition en fonction de l’origine des demandeurs.

Les acteurs non politiques

126Ce chapitre sera consacré aux acteurs non politiques du dossier, à savoir les groupes qui représentent les intérêts des personnes ou des secteurs concernés soit par la matière agricole, soit par la protection de l’environnement, soit encore par la défense d’intérêts industriels.

Les agriculteurs

127La deuxième version du Plan lisier original prévoyait des mesures de discrimination positive en faveur des entreprises d’élevage « familiales » ; le MAP adopté en 1995 fait de même.

128Au-delà des questions que pose la définition de ce qu’est une entreprise « familiale » - les critères que retient le décret de 1995 ont fait l’objet de critiques en sens divers - il reste que le secteur agricole est un élément important de l’économie flamande, et représente aussi un certain poids en termes électoraux. Au 30 juin 1994, le secteur de « l’agriculture, de la chasse et de la sylviculture » occupait 91.597 personnes [37] (soit 1.772 unités de moins qu’en 1993) en Belgique, dont 60.157 (soit près des deux tiers) en Flandre. Quantitativement, c’est fort peu (ce chiffre inclut les salariés, les indépendants et les aidants) : mais il faut y ajouter les retraités, les personnes qui vivent indirectement de l’agriculture, etc.

Le Boerenbond [38]

129Le Boerenbond n’est pas seulement une association de défense des intérêts des agriculteurs fondée en 1890, ayant choisi en 1945 de coopérer avec le CVP au lendemain de la création de ce parti ; il est aussi une puissance économique dont le domaine d’activité n’est d’ailleurs pas limité au secteur agricole. Il dispose de sociétés à vocation économique dans le secteur des produits agricoles et alimentaires (Aveve), des assurances (ABB) et de la banque (Cera). Ces sociétés recrutent leur clientèle, notamment, parmi les membres des diverses associations qui font partie du Boerenbond : les gildes (Landelijke Gilden), les organisations féminines (Landelijke Vrouwen), les organisations de jeunes (Katholieke Landelijke Jeugd), etc. [39]. Comme le note Anne Vincent, « les sociétés d’une part, ces associations d’autre part ont non seulement une base de recrutement commune, mais appuient réciproquement leur action par divers types de services ».

130Le Boerenbond dispose au total de sept sociétés autonomes actives en son sein : Cera, ABB, Aveve mais aussi SBB, STABO, ABIS et AGRI-reizen.

131La structure de propriété de ces sociétés, caractérisée jusqu’alors par un auto-contrôle quasi total, a été réaménagée en 1993 autour de la Maatschappij voor Roerend Bezit van de Belgische Boerenbond - MRBB. Cette restructuration a fait accéder directement l’organisation professionnelle au contrôle de MRBB. Celle-ci, actionnaire principal de la majorité des sociétés importantes du groupe, est aussi un actionnaire important d’Almanij et de la Kredietbank. La proximité entre les sociétés à vocation économique du Boerenbond et le groupe Almanij - Kredietbank (qui, entretemps, a absorbé Gevaert, dont MRBB était également un actionnaire important) doit franchir une étape importante au cours du premier semestre de 1998 pour former avec la fusion des activités de banque et d’assurance des deux groupes, le premier groupe de services financiers du pays.

132Fondée en 1892 comme banque d’épargne, Cera a opté en 1993 pour le statut de banque. Sa structure est celle d’une coopérative : deux cent vingt-trois sociétés coopératives Cera, qui détiennent la majorité du capital de la société (dont le siège central est installé à Louvain), contrôlent chacune de trois à six agences. Cera se situait en 1994 au sixième rang des institutions de crédit présentes en Belgique classées d’après les intérêts et les commissions perçus.

133Les Assurances du Boerenbond belge - ABB sont la quatrième entreprise d’assurances en Belgique. Elle compte, comme Cera, environ un quart de sa clientèle parmi les agriculteurs.

134L’Aan- en Verkoopvennootschap van de Belgische Boerenbond - Aveve, créée en 1901, est active dans le secteur des aliments pour bétail, du commerce de semences. Elle a constitué une société de production d’aliments pour bétail, Aveve Veevoeding ; cette société vend exclusivement en Flandre. La SA Brichart, propriété à 100 % d’Aveve, produit et vend en Wallonie et la SA Sabe (elle aussi propriété d’Aveve) dans le Nord de la France. L’Aveve compte également des filiales pour la commercialisation de la viande de porc (Coöperatief Afzet van Varkens en Vee - Covavee) et pour la distribution de viande (Covee- Centravee - Centrale Vee- en Vleesafzet).

135La SBB Accounting est une société de services aux indépendants et employeurs ; STABO est un bureau d’ingénieurs, d’architectes et de coordination ; ABIS est actif dans le secteur de l’informatique et les AGRI-reizen sont une agence de voyages.

136Comme organisation politique, le Boerenbond pèse d’autant plus lourd au sein du CVP que ses statuts ont muselé l’autonomie de ses « gildes locales » [40]. Qui sont les représentants du Boerenbond au sein des groupes du CVP ? Au Vlaamse Raad et depuis les élections de 1995, il s’agit de Jef Van Looy, Trees Merckx, Georges Beerden, Erik Matthys, Jos De Meyer, Paul Deprez, Maria Tyberghien. À la Chambre, Paul Tant, Ingrid Van Kessel, Dirk Pieters, Chris Moors, Gisèle Gardeyn, Paul Breyne. Au Sénat, Erika Thys [41]. Wivina Demeester-De Meyer, qui comptait encore parmi les représentants du Boerenbond avant ces élections, est désormais cataloguée comme « indépendante » ou, plus exactement, « standenloos ». Certains de ces hommes (et femmes) politiques ne sont pas sans influence : ainsi Paul Tant, chef de groupe à la Chambre depuis 1995.

137Le poids du Boerenbond ne se fait d’ailleurs pas seulement sentir au niveau flamand. L’exemple de la TVA à appliquer dans le secteur de l’horticulture est significatif.

138La réglementation européenne prévoit, pour ce secteur, l’application d’un taux normal (soit 21 % en Belgique). Mais plusieurs pays européens prélèvent une TVA réduite. Le chef du groupe CVP de la Chambre, Paul Tant (par ailleurs, nous l’avons vu, considéré comme un représentant du Boerenbond) va donc déposer une proposition de loi visant à abaisser le taux de TVA horticole à 6 %. Elle est adoptée en commission des Finances de la Chambre par une majorité de rechange : CVP, VLD et Vlaams Blok - et contre l’avis du ministre des Finances Philippe Maystadt, considérant cette mesure mal venue en période d’austérité budgétaire (elle coûterait 3,4 milliards au Trésor). En définitive, l’adoption au niveau européen (où le lobby agricole est également influent) d’une directive qui permet de réduire les taux de TVA dans le secteur horticole [42] évitera la crise gouvernementale que n’aurait pas manqué de déclencher un vote public rassemblant une majorité de substitution : c’est un arrêté royal pris le 27 septembre 1996 qui fixe à 6 % le taux de la TVA pour « les arbres, arbustes, arbrisseaux et buissons d’ornement vivants et les autres plantes d’ornement vivantes ; les bulbes, oignons, racines et autres plants pour l’horticulture ; les fleurs coupées fraîches et les feuillages frais coupés pour ornement » [43]. Le Boerenbond n’aura pas hésité à risquer la crise de gouvernement pour assurer la défense des intérêts de certains de ses membres.

139Pour le Boerenbond, le MAP de 1992 était inacceptable à plusieurs titres [44]. En premier lieu, le ministre de l’Environnement l’a fait approuver à la cravache par le gouvernement flamand, « sans concertation approfondie préalable avec tous les intéressés » [45]. En second lieu, le MAP s’appuie sur des données incertaines : la superficie des zones vulnérables n’est pas établie, il n’y a pas de banque de données environnementales, on n’a pas évalué les effets macro-économiques du Plan. Juridiquement enfin, le Boerenbond critique l’application des principes du MAP par le biais de circulaires.

140Au lendemain des élections du 21 mai 1995, le Boerenbond se montre plus conciliant. Le 31 mai, il réunit ses instances pour débattre du nouveau MAP qu’annonce le gouvernement flamand. Dans la mesure où il ne s’agit encore que de « lignes de force », le Boerenbond juge positifs :

  • l’ouverture de possibilités de négociation ;
  • le statu quo sur la base de la production plutôt qu’en fonction des catégories de bétail ;
  • le fait que l’évaluation se fera en 1998 et que les normes finales ne sont pas arrêtées dans le décret ;
  • l’instauration d’une indemnité pour les conséquences de l’interdiction d’épandage dans les zones vulnérables.

141En revanche, le Boerenbond se prononce contre :

  • la définition de l’entreprise familiale en fonction du lien de propriété du sol ;
  • le maintien de l’épandage zéro dans les zones vertes et l’exclusion du principe des conventions de gestion volontaires ;
  • en ce qui concerne l’uitrijregeling, l’absence d’exceptions en fonction de la nature du sol ;
  • le maintien du système de zones blanches, grises et noires pour les autorisations ;
  • l’absence de mesures concernant les initiatives en matière d’exportation de lisier.

142Fondamentalement, le Boerenbond paraît demander une plus grande flexibilité (discrimination positive de l’entreprise familiale, conventions de gestion sur une base volontaire dans les zones vulnérables, prise en compte de la viabilité des entreprises agricoles, suppression de l’obligation d’établir un MAP annuel, etc.), des incitants (ou des contreparties) financiers (soutien au traitement du lisier, notamment), une concertation (qui, on le verra, dépasse largement les cénacles parlementaires) et, enfin, la prise en compte d’autres facteurs de pollution (alluvions, par exemple) et d’autres types de normes (normes de potabilité, notamment). Il soulignera aussi, à plusieurs reprises, les risques que le MAP ferait peser sur l’emploi agricole. Noël Devisch, vice-président du Boerenbond (et l’un des administrateurs de la MRBB), évoquera ainsi la perte possible de 20.000 emplois.

L’Algemeen Boerensyndicaat - ABS

143Cette organisation est née en 1962 à la suite des actions dites du « trident » menées contre la politique agricole des pouvoirs publics et des autorités du Marché commun. Il s’agit d’une organisation radicale, certains disent « extrémiste », qui - n’ayant au demeurant pas de relais politique - ne recule pas devant des formes d’action violentes.

144Quantitativement, l’ABS n’est pas - pour le Boerenbond - un concurrent redoutable. En premier lieu, l’ABS est surtout bien implanté dans deux provinces seulement : la Flandre occidentale et la Flandre orientale. La première de ces deux provinces est celle où les problèmes de surproduction de lisier sont les plus aigus. Le nombre de membres de l’ABS est, d’autre part, nettement inférieur à celui des adhérents du Boerenbond (le rapport est de 1 à 6 environ).

145Dans le contexte du Plan lisier, l’ABS a réussi à s’imposer comme interlocuteur des pouvoirs publics alors qu’auparavant, le Boerenbond se trouvait, sur ce plan, en situation de monopole. Les aspects spectaculaires de certaines des actions menées par l’ABS ne sont pas la seule cause de cette semi-victoire politique : le Boerenbond est traversé par des intérêts parfois contradictoires, étant à la fois une organisation professionnelle représentative et un acteur industriel et bancaire.

Le Vlaams Agrarisch Centrum - VAC

146Revendiquant 3.000 adhérents, cette association est - contrairement aux deux précitées - proche des milieux de défense de l’environnement et rassemble surtout des pratiquants de l’agriculture « biologique ». Elle plaide la cause des petits exploitants en dénonçant l’hypocrisie du Boerenbond qui, sous le prétexte de défendre l’entreprise familiale, ouvre la porte aux intégrateurs et, de façon plus générale, à la bio-industrie et aux producteurs d’aliments pour bétail. Le Ministère flamand de l’Agriculture, qui signe en novembre 1997 un « code de bonne conduite agricole » avec le Boerenbond et l’ABS, ignorera le VAC [46].

Les associations de défense de l’environnement

Le Bond Beter Leefmilieu - BBL

147Le Bond Beter Leefmilieu est issu, comme Inter-environnement Wallonie et Inter-environnement Bruxelles (et, au demeurant, le Brusselse Raad voor het Leefmilieu), d’une fédération nationale créée le 25 septembre 1971 : Inter-Environnement - Union pour la qualité de l’environnement. C’est le 17 juin 1976 qu’elle devient une fédération indépendante, affranchie de la tutelle de l’organisation unitaire.

148En 1997, le Bond rassemblait cent dix-neuf associations locales et régionales de défense de l’environnement [47]. Comme le note lui-même le BBL, « le fait de fédérer deux sortes d’associations et de comités a (…) compliqué la situation. D’une part, les grandes organisations de protection de la nature choisissent en général une méthode de travail pondérée et progressive, les petits groupes d’action estiment d’autre part que rien ne bouge assez vite. Ces derniers sont souvent politiquement orientés, ils s’intéressent davantage à la vie sociale, ils sont tentés par des actions publiques et, en général, ont moins de respect pour toutes les formes d’autorité ».

149Cela étant, le BBL est l’un des partenaires (mais pas le partenaire exclusif) des autorités politiques en ce qui concerne la politique de l’environnement. Son radicalisme s’est progressivement atténué depuis le milieu des années 1980. Il dispose de ressources découlant de sa reconnaissance officielle : d’abord en tant qu’organisation culturelle, mais cette source de financement s’est tarie en 1989. Cette année-là, le ministre de l’Environnement du gouvernement flamand Theo Kelchtermans lui accorda un subside exceptionnel de 5 millions ; le décret du 29 avril 1991, qui porte création du MiNa-Raad, contient des règles relatives à l’agrément et au financement des organisations de défense de l’environnement qui ont permis par la suite une subsidiation continue, notamment, du Bond Beter Leefmilieu.

150Le Bond Beter Leefmilieu aurait souhaité être « la » fédération des associations de défense de l’environnement, mais y a échoué. À l’origine, il voulait désigner lui-même, en concertation avec les associations qui lui sont affiliées, les membres du MiNa-Raad représentant les milieux environnementaux ; il a dû y renoncer sous la pression de ses membres, désireux de désigner eux-mêmes leurs représentants [48]. Il ne compte dès lors que six membres au sein du MiNa-Raad sur les douze délégués « environnementalistes ».

151En 1992-1993, le BBL - après avoir été associé aux vains efforts de conciliation entrepris par le ministre De Batselier - avait adopté une position hostile au MAP « allégé » : trop d’exceptions, de « portes de sortie » permettant de vider de sa substance les objectifs, jugés excellents, du MAP originel [49].

152Sa position sur le décret de 1995 sera plus nuancée, comme celle des Natuurreservaten (cf. infra) - les représentants des deux associations parleront d’ailleurs pratiquement d’une seule voix lors de leur audition en commission du Parlement flamand : tout en reconnaissant les mérites du texte, le BBL le considère comme une « première étape » et propose plusieurs pistes pour le « réaménager et le compléter ». La crainte fondamentale reste la même : que l’exception devienne la règle, que la règle soit contournée, que certaines mesures ne soient qu’une « coquille vide ».

Les Natuurreservaten

153L’asbl Natuurreservaten est l’aile flamande de l’asbl Réserves Naturelles et Ornithologiques de Belgique, dont le siège est installé à Bruxelles. Elle réalise son objectif social - la conservation de la nature - par des actions de sensibilisation, l’achat (pour les préserver) de zones naturelles et des interventions auprès des pouvoirs publics. Les Natuurreservaten disent compter 37.000 adhérents ; elles gèrent 5.100 ha de zones naturelles en Flandre, dont 2.500 ha en pleine propriété.

154Les Natuurreservaten jugeront « modérément positif » le « MAP allégé » de décembre 1994, comme elles ont soutenu, globalement, le projet de plan de 1992. Leur souci principal est la protection des zones vulnérables : dans ce cadre, l’association se réjouit, en particulier, de ce que les conventions de gestion (pour les zones vulnérables) conclues après le 1er janvier 1998 devront exclure toute forme d’épandage, sans compensation pour les pertes de revenus. Mais les Natuurreservaten vont plus loin ; pour elles, les conventions de gestion ne peuvent être que temporaires et les paysans doivent, le cas échéant, être encouragés à vendre les parcelles situées dans des zones protégées.

155Cette position de soutien critique n’est peut-être pas sans rapport avec l’entrée, dans des cabinets ministériels, de responsables de l’asbl : c’est ainsi que Hugo Abts, président des Natuurreservaten, travaillera à partir de 1995 pour le nouveau ministre flamand de l’Environnement Theo Kelchtermans et que Peter Bossu, un des permanents de l’asbl, passe en 1995 au cabinet de Johan Vande Lanotte, ministre fédéral de l’Intérieur.

156En juin 1997, deux associations agricoles (le Boerenbond et l’ABS) signent, avec le ministre de l’Environnement et deux associations de défense de l’environnement (les Natuurreservaten et l’asbl Wielewaal) un protocole créant une plate-forme de concertation permanente avec le gouvernement, le Forum Natuur en Landbouw. A propos de ce protocole, deux points sont à relever : d’abord, le Bond Beter Leefmilieu n’y est pas associé ; ensuite, il n’entravera pas - en dehors de la concertation prévue - l’action des associations environnementalistes, comme en témoigne le dépôt, en septembre de la même année, d’une plainte dirigée contre le décret lisier auprès du commissaire européen Ritt Bjerregaard par le BBL, les Natuurreservaten et Wielewaal (v. plus loin).

L’impact du mouvement environnementaliste

157Marc Hooghe s’est penché, dans un article publié en 1996 par la revue Res Publica, sur l’impact que peuvent avoir les organisations de défense de l’environnement sur la politique des pouvoirs publics [50]. Il constate une « relative faiblesse » de ces organisations, dont il voit notamment un témoignage dans le dossier du lisier : alors qu’elles étaient « plus ou moins » satisfaites du plan arrêté par le gouvernement flamand en septembre 1993, les organisations environnementalistes ont été contraintes de participer à une nouvelle concertation qui n’a finalement débouché sur aucun résultat. « Le nœud de la décision », note Marc Hooghe, « repose en définitive chez les partenaires de la coalition, le SP et le CVP ».

158Il voit à cet impact réduit quatre causes principales : la faiblesse fondamentale des « nouveaux mouvements sociaux », peu structurés, mal organisés, ayant des difficultés à faire inscrire leurs priorités à l’agenda politique ; l’accent mis, pour ce qui est plus spécifiquement des organisations de défense de l’environnement, sur le niveau local ; leur incapacité de perturber le fonctionnement social (disruptive potential), qui les distingue en l’espèce des associations paysannes ; l’accès difficile des nouveaux mouvements sociaux au maatschappelijk middenveld, au champ intermédiaire de la décision politique.

159Dans un essai sur le même thème, Stefaan Walgrave [51] a nuancé ce diagnostic : l’impact du mouvement environnementaliste, explique-t-il, s’est accru ces dernières années. Mais son analyse du processus de décision dans le cadre du Plan lisier aboutit au même constat de faiblesse : formellement, les associations de défense de l’environnement ont été associées à la concertation des années 1992-1994, mais c’est un groupe de travail intercabinets qui a tranché. « Cette dernière phase politique a été cruciale. Les contacts informels avec les partis du gouvernement y ont joué un rôle décisif. Tout semble indiquer que le Boerenbond disposait, via le CVP, de meilleurs canaux informels que le mouvement environnementaliste ». Walgrave note d’ailleurs que dans certaines instances qui débattent elles aussi de questions relatives à l’environnement, ce mouvement n’est même pas représenté (c’est le cas, par exemple, du SERV). Mais Walgrave discerne des indices de renforcement de l’influence informelle des associations de défense de l’environnement, et fait l’hypothèse que ce processus aura un impact sur la nature même de celles-ci : elles seront de moins en moins des acteurs « critiques », à la marge du processus de décision et assumeront de plus en plus un rôle de groupe de défense d’intérêts. Aux yeux de Walgrave en effet, le mouvement environnementaliste « fait de la politique et reprend à son compte les traditions et les règles du jeu ».

160Un dernier point retient l’attention : les rapports conflictuels entre le mouvement environnementaliste et le lobby agricole. Ils s’expliquent par l’omniprésence du Boerenbond dans le secteur agricole, par son ambivalence (défenseur à la fois des intérêts des agriculteurs et de l’industrie agro-alimentaire), et vont de pair avec une faiblesse des associations de défense de l’environnement. Dans d’autres pays, comme la France - et malgré, là aussi, la puissance de la Fédération nationale des exploitants agricoles - des liens se sont tissés, et des actions ont été menées en commun entre militants écologistes et agriculteurs. La Confédération paysanne, rivale de gauche de la FNSEA, a par exemple participé à la « libération » symbolique de porcs dans un élevage industriel aux côtés d’un « Collectif Eau pure » [52] formé de consommateurs et de militants verts ; la même Confédération paysanne organise des manifestations contre les projets d’extension de certains élevages industriels de porcs, surtout - mais pas exclusivement - en Bretagne [53].

Le secteur agro-industriel

161Interviewé par Le Monde (22-23 janvier 1997) à propos du livre de Mendras sur La Fin des paysans, paru trente années plus tôt, Bertrand Hervieu souligne ce paradoxe : « C’est au moment où la France a cessé d’être une société agraire qu’elle est devenue une grande puissance agricole ». Il précise : « à présent, la moitié de la surface agricole utile est mise en valeur par des sociétés regroupant des agriculteurs. En 2005, la proportion sociétaire atteindra 65 % ». Et conclut : « L’agriculture demeure, mais elle est définitivement ‘dépaysanisée’. » Parallèlement, le poids du monde agricole reste important dans l’électorat. « Si l’on ajoute les actifs et les retraités, près de 15 % du corps électoral est composé d’agriculteurs. » [54]

162Rassemblés au sein de fédérations ou de groupes de pression fort actifs, les intégrateurs ont longtemps milité pour que soient retirées du décret les discriminations en faveur de l’entreprise familiale … que les milieux écologistes reprochent au demeurant à certains d’entre eux, en particulier à l’Aveve, de contourner en remplaçant le lien de dépendance salariale et/ou économique par des contrats dits de « garantie de prix ». La position du Boerenbond dans ce conflit relève donc d’un équilibre difficile entre une base « familiale » dans ses structures de propriété et la participation du Boerenbond au capital de l’Aveve.

163Cette dernière société ne s’est d’ailleurs pas associée au recours en annulation du décret du 20 décembre 1995 introduit auprès de la Cour d’arbitrage (cf. infra). Ce recours émanait exclusivement de fédérations professionnelles et d’autres sociétés privées. On conçoit bien que l’Aveve ne pût, en l’occurrence, se désolidariser du point de vue défendu officiellement par le Boerenbond ; reste que les recours déposés suite à l’arrêt rendu par la Cour d’arbitrage en juillet 1997 ont surtout bénéficié à des entreprises contractuellement liées à l’Aveve [55]. Globalement, les intégrateurs ont utilisé tous les moyens juridiques et politiques qui pouvaient faire prévaloir leurs intérêts ; leurs liens avec le monde politique, soit directs (la présence d’Herman Delcroix à la présidence d’Ocato), soit indirects (par le canal du Boerenbond, actionnaire d’Aveve) les y ont considérablement aidés. Favorables à l’hypothèse d’un « traitement » du lisier, ils ont reçu sur ce point l’appui des libéraux, échaudés par les résultats d’un référendum interne et défenseurs, par conviction idéologique, de la compétitivité d’un secteur agricole dont les mutations, en particulier quant à la taille des exploitations, leur apparaissent indispensables à sa survie économique.

164Le secteur de l’intégration est important en Flandre. Il y aurait pris son essor en 1958 : l’Exposition universelle allait, croyait-on, augmenter la demande ; l’offre se révéla excédentaire, et les clients des entreprises d’alimentation pour bétail se trouvèrent acculés à d’énormes problèmes financiers. L’intégration, en leur garantissant la reprise du bétail engraissé à des prix fixes, était une solution à ces difficultés.

165Plusieurs groupes financiers et industriels ont diversifié leurs activités en direction de l’intégration, qui est un exemple typique de concentration économique. C’est notamment le cas du groupe Vanden Avenne, avec l’Agriclub (aliments pour bétail) qui est propriété de Walter Vanden Avenne, ancien président du Vlaams Economisch Verbond. Citons encore Voeders Debaillie dont le propriétaire, Luc Debaillie, est administrateur du groupe Almanij.

Les acteurs politiques

Le gouvernement fédéral

166Les compétences, dans ce domaine, se trouvent presque toutes aux mains des régions. Les avis du Conseil d’État comme les arrêts successifs de la Cour d’arbitrage ont d’ailleurs écarté toute hypothèse d’un dépassement de compétences de la part des projets analysés dans le cadre de notre étude. Que l’argument ait pu être invoqué devant la Cour d’arbitrage (alors que celle-ci n’est pas une Cour constitutionnelle au sens strict !) en dit long sur les implications que peuvent avoir des décisions prises par les organes des entités fédérées : des associations éminemment flamandes, indirectement liées parfois à des partis qui se veulent favorables à un élargissement maximal des compétences communautaires et régionales, ont été amenées à contester des dispositions législatives flamandes parce qu’elles seraient contraires à des lois fédérales (droit commercial, droit des sociétés, droit civil).

167Par ailleurs, ce sont des directives européennes qui imposent au gouvernement flamand de prendre des mesures dont les premières victimes - en raison de la structure et de la carte du secteur en Belgique - sont des entreprises agricoles flamandes : dans ces matières régionalisées en effet, l’intervention du niveau de décision européen est fréquente et a souvent un caractère impératif.

Le gouvernement flamand

168La période de crise aiguë dans le dossier du lisier coïncide avec la présence au Ministère de l’Environnement d’un socialiste. Sous le gouvernement suivant, où les deux portefeuilles concernés - l’agriculture et l’environnement - se sont retrouvés aux mains du CVP, les tensions s’apaisent - même si les problèmes ne se résolvent pas - alors que plusieurs des points de conflit antérieurs n’ont pas été aplanis. Il est vrai que deux éléments au moins contribuent à renforcer - paradoxalement pour l’un d’entre eux - l’homogénéité de la coalition mise en place en juin 1995.

169Le premier est sa fragilité. Avec une seule voix de majorité au Parlement flamand, le gouvernement Van den Brande II ne peut (trop) se permettre les dissensions publiques.

170Le second est la faiblesse du partenaire socialiste. C’est lui qui a voulu écarter de la coalition la VU qui, entre 1991 et 1995, équilibrait quelque peu les rapports entre les deux grands partis. De surcroît, avec Norbert De Batselier, le SP envoyait au gouvernement un vice-ministre président connu de longue date pour son ouverture à gauche et ses préoccupations environnementales, et l’un des « grands formats » du SP. Devenu président du Parlement flamand en 1995, De Batselier a d’ailleurs réussi à donner à cette fonction un poids relativement important. En 1995, c’est un ministre socialiste plus contesté à l’intérieur du pilier (par les syndicats notamment) qui le remplace à la vice-présidence du gouvernement ; par ailleurs, avec Eric Van Rompuy à l’économie et à l’agriculture, le Boerenbond dispose au plus haut niveau d’un défenseur connu de ses intérêts. De façon plus générale, l’accord de 1995 et la répartition des portefeuilles se sont faits au détriment du SP qui, à la mi-législature, ne compte plus que trois ministres sur neuf - Luc Vanden Bossche (enseignement et fonction publique), Leo Peeters (affaires intérieures, problématique urbaine et logement) et Eddy Baldewyns (travaux publics, transports et aménagement du territoire).

171Sur le fond par contre, rien ne confirme un rapprochement entre les deux partis. Si leurs divergences à propos du MAP se sont tues, elles subsistent dans nombre d’autres domaines : en matière éthique et en matière scolaire en particulier.

172En matière scolaire, la répartition des moyens financiers entre l’enseignement officiel et l’enseignement libre reste, malgré la création en 1989 d’un pouvoir organisateur autonome pour l’enseignement de la Communauté flamande (largo), une pomme de discorde récurrente entre socialistes et sociaux-chrétiens. En novembre 1997 encore, il faudra un accord entre les deux partis au plus haut niveau (connu sous le nom de « polderakkoord ») pour amender un décret-programme en augmentant - essentiellement au bénéfice du réseau libre - les crédits destinés à l’enseignement fondamental.

173En matière éthique, seul un accord entre présidents de parti empêchera au dernier moment le vote, par une majorité de rechange, d’une proposition de décret déposée au Parlement flamand par le député Guy Swennen (SP) tendant à assimiler les concubins aux couples mariés pour le calcul des droits de succession. Le groupe CVP du Parlement flamand a d’ailleurs joint au rapport de la commission - où la proposition avait été adoptée par 8 voix (SP, VLD, VU, Agalev) contre 7 (CVP, Vlaams Blok) - une « note de réflexion » redoutant l’apparition d’un régime de droits de succession « à la carte », défavorable aux couples mariés [56].

Le Parlement

174La dernière version du décret (adoptée en 1995) contient un nombre relativement réduit de délégations accordées au gouvernement - contrairement à son prédécesseur de 1991, ce qui avait donné lieu aux tergiversations que l’on sait. Son adoption a été précédée d’une large consultation, où - selon la technique parlementaire de l’audition - ont été entendus à peu près tous les secteurs concernés.

175Néanmoins, le débat parlementaire aura - comme souvent - laissé un goût amer.

176En 1991, l’adoption du décret n’empêchera pas une sorte de « mise au frigo » par le gouvernement, dont certains ministres ne sont pas insensibles aux pressions des organisations agricoles.

177En 1995, un seul amendement - de portée fort modeste - de l’opposition est retenu en commission et tous les amendements déposés sont rejetés en séance plénière. Dès 1994, l’ancien sénateur Agalev Eric Grijp fait le diagnostic suivant : « La première tentative sérieuse, dans l’histoire parlementaire flamande, d’arrêter une planification environnementale à long terme sur la base d’un décret voté démocratiquement risque de tourner court. C’est là le résultat d’une foi, quasi maladive, dans une stratégie de concertation afin d’éviter à tout prix les conflits » [57]. Pour désabusé qu’il soit, ce constat sera confirmé par l’absurde en 1995-1996 : le décret est, une nouvelle fois, voté démocratiquement - mais la concertation a précédé le vote, et le débat est cadenassé.

Les partis

Le CVP

178L’attitude du CVP dans le dossier du MAP, mais aussi dans d’autres dossiers (la hausse de la TVA sur les fleurs coupées, cf. supra) n’est peut-être pas sans rapport avec un déplacement du champ de gravité du parti. L’analyse des résultats électoraux des sociaux-chrétiens flamands montre, en effet, que le CVP est - assez insensiblement - devenu un parti moins urbain - non que son électorat soit composé principalement d’agriculteurs (vu le rétrécissement du secteur primaire, ce serait paradoxal et suicidaire), mais parce que certains de ses mandataires doivent se faire bien voir des organisations agricoles, étant bourgmestres et échevins de petites communes flamandes où celles-ci sont restées puissantes. Les groupes parlementaires du CVP sont, d’ailleurs, composés majoritairement de bourgmestres et d’échevins de petites communes [58] ; dans les grandes villes, le parti est en déclin constant comme l’indiquent les tableaux ci-après.

Tableau 4

Résultats du CVP lors des élections communales 1982-19941,2,3

Tableau 4
Année d’élections Anvers Bruxelles Gand 1982 23.92 % 20.5 % 2 28.37 % 1988 20.03 % 26.8 % 2 26.76 % 1994 15.11 % 3 23.4 % 2 21.56 %

Résultats du CVP lors des élections communales 1982-19941,2,3

1. En % du nombre de suffrages. Pour Bruxelles, ces pourcentages se rapportent aux voix obtenues par des listes flamandes)
2. Sur une liste commune avec le PSC ; en 1994, des candidats CVP se trouvaient également sur une liste de cartel avec le VLD.
3. Sur une liste de cartel avec la VU ; des listes avaient également été déposées par des dissidents du CVP et de la VU, sans obtenir de résultats significatifs (moins de 1 %).

179Dans le mensuel du CVP Keerpunt, Leo Cox (cf. infra) fait le même constat en exprimant ses craintes, à l’occasion du congrès de 1996, que « le CVP, d’un parti de principes défenseur de l’intérêt général, devienne un parti provincialisé des campagnes ou un parti de bourgmestres » [59]. Il ajoute : « Le CVP peut diriger autre chose que des majorités courtes. Les majorités courtes conduisent à des conflits entre ailes, et les conflits entre ailes paralysent le parti » (« vleugelstrijd maakt vleugellam »).

180C’est notamment pour ce motif que Johan Van Hecke, qui accède à la présidence du parti en 1994, va chercher à l’ouvrir à des personnalités qui ne sont pas issues du sérail, c’est-à-dire des organisations liées au pilier social-chrétien. Le CVP, estime Johan Van Hecke, est passé à côté des nouveaux mouvements sociaux, de plusieurs acteurs nouveaux de la société civile. Cette ouverture se fait notamment en direction des écologistes [60].

181En octobre 1994, deux personnalités importantes du parti vert flamand, Agalev, rejoignent ainsi le CVP : l’ancien député européen Paul Staes et l’ancien secrétaire politique Leo Cox. Le premier avait siégé à Strasbourg de 1984 à 1994, chaque fois comme seul élu de sa liste ; en juin 1994, il avait dû céder la première place sur cette liste à l’ex-députée fédérale Magda Alvoet. Malgré ses plus de 20.000 voix de préférence, Paul Staes - deuxième sur la liste - n’avait pas été réélu. Au moment de son ralliement au CVP, Leo Cox était quant à lui secrétaire général de la fédération européenne des partis verts après avoir été secrétaire politique d’Agalev de 1981 à 1989.

182Cette ouverture n’empêche cependant pas qu’au niveau parlementaire, les principaux porte-parole du parti dans le dossier du lisier soient Léonard Quintelier et Jef Van Looy dont le second est un défenseur pointilleux des thèses du Boerenbond. Il n’est pas certain, en fait, que le CVP ait une position unanime dans ce dossier : tiraillé, peut-être, entre des clans (celui des intégrateurs - l’Ocato, rappelons-le, est présidée par le frère de Leo Delcroix ; celui du Boerenbond qui est lui-même indirectement partie prenante de contrats d’intégration tout en défendant les petites exploitations agricoles ; celui, minoritaire, des défenseurs de l’environnement) dont les rapports de force sont loin d’être clairs.

Le SP

183Avec Norbert De Batselier, le SP a obtenu pour la première (et à ce jour unique) fois le portefeuille de l’environnement dans un gouvernement. Celui-ci, quelque profondes que fussent les divergences entre partenaires dans d’autres dossiers, est tombé sur la question du lisier.

184Politiquement, il est vraisemblable que ce point de chute était plutôt rentable : le ministre pouvait se présenter comme un défenseur de principe de l’environnement, aucune association agricole n’ayant par ailleurs de relais socialistes et le SP n’étant guère implanté dans les cantons les plus ruraux de la Flandre. De surcroît, Norbert De Batselier - issu des cadres du syndicat socialiste - a un profil frappé à la fois du sceau de l’écologie, du flamingantisme et de l’ouverture à gauche. Il sera par la suite l’auteur, avec Maurits Coppieters (ancien député et sénateur de la Volksunie) du manifeste Het Sienjaal qui entend fonder un projet « radical-démocrate » combinant « une lutte pour un redressement écologique durable et pour une revalorisation de la crédibilité politique, et contre l’exclusion sociale » qui s’adresse au mouvement vert, aux flamingants progressistes et à la gauche du SP [61].

185Depuis la constitution de l’équipe gouvernementale actuellement en place, le SP s’est fait assez peu entendre dans le dossier du lisier. Les points de divergence persistants avec les sociaux-chrétiens se situent plutôt dans les domaines qui relèvent des compétences de l’actuel vice-ministre président du gouvernement flamand, le Gantois Luc Van den Bossche : ainsi en va-t-il de l’enseignement, où deux accords successifs - le « polderakkoord », coulé sous forme de décret, puis l’accord dit de Tivoli du 16 décembre 1997, qui ont transféré des moyens de l’enseignement secondaire à l’enseignement fondamental au détriment, surtout, de l’enseignement officiel - ont entériné un compromis après de vives joutes verbales. Le député Ludo Sannen (Agalev) s’interrogeait lors d’une interpellation sur ce point, le 3 février 1998 : « J’ai adressé cette interpellation au ministre de l’Enseignement. Mais qui est le ministre de l’Enseignement ? Qui parle, au sein du gouvernement, de l’enseignement ? » Questions qui révèlent à la fois les difficultés particulières que connaît Luc Van den Bossche et la constante présence, dans chaque dossier qu’il gère, de « ministres fantômes » et de parlementaires que le jargon politique qualifie parfois d’« électrons libres ». Sans doute en était-il déjà ainsi en 1994-1995, mais la situation est aujourd’hui plus délicate encore.

186Le SP est néanmoins intervenu pour s’inquiéter du suivi du MAP Le 4 février 1998, le député socialiste flamand Jacques Timmermans interpellait ainsi Theo Kelchtermans sur le traitement du lisier dans des installations d’épuration des eaux de la société Aquafin - interpellation à laquelle s’était joint le député Jos Geysels (Agalev). Jacques Timmermans critiquait, en particulier, le détournement par ce biais du principe du « pollueur-payeur » et - indirectement - les dérogations accordées par le décret de 1995 au secteur de l’élevage des veaux. Norbert De Batselier se risquera - notamment dans un discours prononcé lors de la réception de nouvel an du SP début 1998 - à dire que le MAP devrait être renforcé pour parvenir à une diminution du cheptel. Un autre député flamand, Bruno Tobback - le fils du président du SP - plaidera quant à lui [62] pour une « adaptation » du MAP, le cas échéant, après son évaluation par un renforcement des normes et du contrôle.

Le VLD

187Le VLD, dans l’opposition au Parlement flamand au même titre que la Volksunie, le Vlaams Blok ou Agalev, a suivi avec opiniâtreté, dans le dossier du lisier, la piste du traitement. Si ses parlementaires ont parfois voté avec le reste de l’opposition, le VLD ne s’est pas associé à d’autres démarches (et en tout cas pas aux motions déposées par Agalev ou la VU) ; au contraire, il s’est plutôt rangé aux côtés de ceux qui, craignant notamment les retombées sur l’emploi d’une réglementation trop stricte, demandaient la plus grande prudence dans l’application du MAP.

188Le résultat d’un référendum organisé par le parti en février 1995 sur le thème « De VLD is één en al oor voor u » (le VLD vous est tout oreilles), auquel participent plus de 400.000 personnes, avait pourtant indiqué qu’une majorité - certes assez courte - de personnes interrogées (dont on peut supposer qu’elles sympathisaient à tout le moins avec le VLD) se prononçaient en faveur d’un Plan lisier limitant, d’autorité, la production de lisier animal. Ce résultat - qui se conciliait mal, au demeurant, avec l’anti-interventionnisme étatique prôné à l’époque par Guy Verhofstadt - n’aura donc eu pour effet que de disqualifier le MAP de Norbert De Batselier : comme les intégrateurs, dont ils sont manifestement proches sur le plan de l’analyse économique, les libéraux ne veulent ni mesures de restriction ni discriminations au bénéfice de certaines exploitations. Lors de la séance plénière de décembre 1995, les députés André Denys et Dirk Van Mechelen plaideront d’ailleurs pour un report du MAP.

La Volksunie

189La particularité de la Volksunie est d’avoir combattu, en 1995-1996, un plan certes différent de celui de 1993-1994 auquel elle ne s’était pas, à l’époque, opposée, mais dont la philosophie était somme toute fort proche.

190Le 27 janvier 1998, l’ancien ministre Johan Sauwens interpelle Theo Kelchtermans, aux côtés de Vera Dua (Agalev), sur les résultats du MAP. Il souligne, dans ce cadre, les lacunes du MAP, insuffisant parce que « la pression sur le secteur est insuffisante ». La VU se range donc avec les écologistes dans le camp de ceux qui regrettent les similitudes entre les deux plans lisier, parce que l’un et l’autre leur paraissent trop tièdes. Johan Sauwens analyse la situation comme suit : « En raison de la courte majorité au sein du Parlement, le processus démocratique de prise de décision est ébranlé par deux ou trois représentants d’un holding financier et industriel qui prennent le Parlement en otage. »

Agalev

191Le parti vert flamand n’a ni le poids politique, ni l’implantation locale équilibrée de son alter ego francophone d’Écolo. Aux élections de 1995, Agalev ne se situait dans la tranche 10-20 % d’électeurs que dans cinq cantons flamands, ce qui est fort peu. Sur l’ensemble des cantons flamands, ses résultats stagnent depuis quelques années : ils oscillent autour de 7-8 %. De surcroît, différentes études indiquent que le parti est perçu en premier lieu par l’électeur (et par ses électeurs) comme un parti de défense de l’environnement, moins comme un parti à vocation de changement global de la société [63].

192Ses rapports avec les mouvements environnementalistes n’en sont pas pour autant des plus cordiaux. Agalev, on l’a vu, a voté contre le décret de 1995 mais aussi contre celui de 1991, et a toujours estimé que les mesures de restriction imposées aux agriculteurs étaient insuffisantes. Dans une interview à EcoGroen, la députée Vera Dua prend clairement ses distances par rapport aux deux principales associations « vertes » flamandes : « Je suis favorable à ce que des militants environnementalistes s’efforcent d’influencer le système de l’intérieur. Mais ils ne peuvent travailler efficacement que s’ils ont derrière eux un mouvement de protection de l’environnement suffisamment combatif. Telle est la crise que connaît le mouvement environnementaliste - je parle ici du Bond Beter Leefmilieu et des Natuurreservaten, et pas de Greenpeace qui a une tout autre stratégie (…). Le mouvement de défense de l’environnement est partiellement décapité, et ceux qui restent n’ont pas suffisamment confiance en eux-mêmes pour se forger, indépendamment des cabinets ministériels, une vision propre. »

193Il faut laisser à Agalev son opiniâtreté à ne pas laisser se refermer le dossier du lisier : régulièrement, le parti interpelle le gouvernement sur les résultats du MAP et sur le respect des directives européennes (cf. supra). Tout comme certaines associations environnementalistes cependant, Agalev est le centre d’un débat stratégique qui, pour faire bref, oppose le « parti » au « mouvement » : non seulement certains responsables quittent le parti pour rejoindre des formations plus « ministrables » (cf. supra), mais un conflit ouvert existe depuis des années entre le parti et certains de ses fondateurs, en particulier le père Luc Versteylen. Agalev, rappelons-le, a d’abord été un mouvement d’inspiration religieuse, sur lequel s’est greffé un parti. La professionnalisation de ce dernier, surtout dans les années 1985-1991, a suscité de nombreuses résistances internes ; ses rapports avec les « nouveaux mouvements sociaux » ont toujours été précaires. Il fait, pour reprendre l’expression imagée de Staf Hellemans et Frederik Janssens, « de la politique sans filet » [64].

Le Vlaams Blok

194Avec le VLD, le Vlaams Blok est le seul parti flamand qui soit inconditionnellement opposé à toute mesure de restriction dans la production de lisier. Les raisons de ce choix politique ne sont cependant pas les mêmes que celles des autres partis : alors que les libéraux s’appuient sur le principe de libre concurrence et de non-intervention des pouvoirs publics sur les marchés, le Vlaams Blok défend l’agriculture flamande comme il soutient le « peuple flamand » : en vertu de l’adage Eigen volk eerst. Le secteur agricole, souligne-t-il, a fait la richesse de la Flandre ; les résultats de l’agriculture flamande sont meilleurs que ceux de l’agriculture wallonne ; enfin, il importe de préserver l’indépendance économique de la Flandre et donc de préserver son autosuffisance alimentaire.

Les formes d’action

Les recours institutionnels

195L’agitation dans les milieux agricoles, qui prend dès la mi-1993 des formes plus violentes pour culminer en décembre 1994 par des actions très médiatisées, a été précédée - et suivie - par des démarches juridiques.

196La Cour d’arbitrage a ainsi été saisie d’une demande d’annulation du décret du 23 janvier 1991 par plus de trois cents exploitants agricoles et quelques éleveurs (dont au moins un intégrateur), de même que l’ABS et l’asbl Apfaca dont l’objet social est la défense des intérêts des producteurs d’aliments pour bétail. Le décret, affirment les requérants, leur impose des charges plus lourdes : taxes, obligations administratives, restrictions à la liberté d’agir en matière de traitement et de transport du lisier. L’argumentation des requérants s’appuie aussi - paradoxalement, compte tenu des orientations générales de l’ABS dont on peut supposer que la plupart des agriculteurs parties à ce recours étaient membres - sur de supposées violations des règles de répartition de compétences entre l’État fédéral et la Région flamande : le décret concernerait l’agriculture plutôt que l’environnement, instaurerait un droit de réquisition ainsi que des conditions d’exercice de la profession pour les transporteurs d’engrais, porterait atteinte à la compétence du législateur national en matière de contingents et licences, de droit des sociétés, d’organisation de l’économie, violerait enfin le principe d’égalité. La Cour d’arbitrage fera un sort à ces différents arguments, de même qu’à celui qui invoque la liberté de commerce et d’industrie : celle-ci, affirme la Cour, « ne peut être conçue comme une liberté absolue (…). Pour lui permettre de régler de manière adéquate le problème de la pollution de l’environnement par les engrais, on peut considérer que le législateur décrétai est en droit d’imposer aux personnes et aux entreprises concernées un certain nombre d’obligations contraignantes au niveau de l’inventoriage, du transport, de la mise en circulation, si la liberté de commerce et d’industrie ne s’en trouve pas limitée de manière disproportionnée ». La Cour d’arbitrage rejettera les recours [65].

197Le 1er juillet 1996, une série d’associations professionnelles et de sociétés privées (des intégrateurs) déposent auprès de la Cour d’arbitrage un recours en annulation de plusieurs dispositions du décret de 1995. Les associations en question sont l’asbl Apfaca, l’asbl Ocato, et l’asbl Veva (cf. supra). À cette action se sont joints ensuite l’asbl Beroepsvereniging voor de Kalfvleessector - BVK et une cinquantaine d’agriculteurs, domiciliés dans leur immense majorité à Meers. Ces derniers justifient « de leur intérêt à la cause » par le fait « qu’en raison du nombre d’animaux pour lesquels (ils) possèdent une autorisation, (ils) n’entrent pas en ligne de compte comme entreprise familiale d’élevage de bétail » [66] et sont ainsi victimes d’une discrimination.

198La Cour d’arbitrage, aux termes d’un arrêt fort long et abondamment documenté, annule le 14 juillet 1997 quelques-uns des articles du décret de 1995. Cependant, elle se livre - comme en 1992 - d’abord à un examen « de la conformité aux règles de compétence » et conclut une nouvelle fois que « les branches du moyen qui mettent en cause la compétence du législateur décrétai pour adopter le décret attaqué sont rejetées », en d’autres termes que le décret ne porte pas atteinte aux compétences du pouvoir fédéral en matière de politique agricole, de droit commercial ni de droit civil. Par contre, la Cour d’arbitrage admet certaines considérations relatives aux différences de traitement entre entreprises « familiales » et autres qui seraient, aux yeux des requérants, discriminatoires : les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination n’excluent pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. En particulier, elle souligne que « la distinction entre les entreprises familiales d’élevage de bétail et les entreprises non familiales d’élevage de bétail fondée sur la limitation du nombre de personnes occupées ne se justifie pas de manière raisonnable à la lumière d’un objectif environnemental ou socio-économique ». En définitive, la Cour annule l’article 2 du décret de 1995 (qui considère comme formant une entreprise unique les « entreprises ayant des liens en droit ou en fait sur le plan des personnes et / ou du capital et / ou de la gestion », leur imposant de ce fait des obligations particulièrement contraignantes), ainsi que les articles qui excluent du bénéfice de certaines mesures dérogatoires le secteur de l’élevage des veaux [67]. Globalement, le décret reste donc intact. La Cour d’arbitrage en tout cas ne met pas fondamentalement en cause la distinction entre entreprise familiale et entreprise non familiale : c’est ce que soulignera con amore le ministre Theo Kelchtermans en réponse à une question écrite du député André Denys [68]. Le Bond Beter Leefmilieu plaidera, certes, pour que cet arrêt soit l’occasion de « nettoyer les écuries d’Augias » en évitant que cette distinction ne profite aux intégrateurs ; mais la cause, sur ce point du dossier, semble être entendue.

La pression sur le gouvernement

199La concrétisation de la politique de limitation du lisier en Région flamande a parfois été comparée à la mise en place, dans les années 1980, de l’Institut d’expertise vétérinaire. En l’occurrence d’ailleurs, les groupes de pression qui ont utilisé tous les moyens de pression pour retarder l’application de mesures politiques allant à l’encontre de leurs intérêts sont vraisemblablement les mêmes.

200En renvoyant à l’administration et au gouvernement des mesures d’exécution aux implications parfois importantes, le décret de 1991 ouvrait la porte aux manœuvres de retardement ; il permettait ainsi de mettre en position difficile, à la veille d’échéances électorales, les ministres sociaux-chrétiens flamands.

201Les élections de 1999 n’étant plus très éloignées, il est probable que les pressions vont reprendre ; du reste, tel est déjà le cas puisque le Boerenbond a demandé à rencontrer le ministre Theo Kelchtermans pour lui exprimer ses craintes à propos de l’évaluation du décret de 1995 et pour lui présenter « son » Plan lisier [69].

Conclusions

202Le dossier du lisier présente un intérêt particulier, du point de vue de l’étude du processus de décision politique, en raison :

  • de la multiplicité des acteurs, elle-même due à la délocalisation des décisions (en matière d’agriculture et d’environnement, le niveau de décision « descend » vers les régions, mais « remonte » en même temps vers l’Europe), à la complexité des relations entre les groupes de pression et leurs relais politiques, à l’interpénétration des matières (la défense de l’environnement d’une part, les intérêts - économiques et sociaux - du secteur agricole de l’autre) ;
  • des oppositions d’intérêts, qui s’entrecroisent sans toujours se superposer : la protection de l’environnement (et l’interventionnisme qu’elle suppose) se heurte ainsi à la défense d’intérêts économiques, la défense des intérêts des petites exploitations agricoles s’oppose à ceux du secteur agro-industriel. Deux partenaires de coalition s’affrontent : le SP qui se cherche un profil « environnemental » (à défaut peut-être de pouvoir se démarquer sur d’autres dossiers ?) et le CVP, lié au Boerenbond mais soucieux de s’ouvrir aux nouveaux mouvements sociaux - mais il n’y a pas d’affrontement direct, deux des acteurs au moins (le CVP et le Boerenbond) devant préalablement faire des compromis. Ces oppositions d’intérêts se manifestent, au demeurant, dans d’autres dossiers liés soit à l’agriculture, soit à l’environnement - les écotaxes ou la lutte contre l’ESB (encéphalite spongiforme bovine, la fameuse “maladie de la vache folle”) par exemple ;
  • de l’effet, sur la prise de décision, des rapports de force politiques et de l’évolution institutionnelle : courte majorité gouvernementale au Parlement flamand, écarts entre les avancées institutionnelles et les ajustements politiques et administratifs (certains attribueront l’échec du premier Plan lisier à l’absence d’une administration de l’agriculture au sein du Ministère flamand) ;
  • de l’intérêt qu’il présente pour l’étude de la typologie et du fonctionnement des groupes de pression (et, le cas échéant, de leurs relais politiques).

203Sans doute y aurait-il encore beaucoup à écrire sur ce dernier point. On observera dès à présent que, tout bien pesé, les principaux acteurs du dossier ne sont pas politiques et que, parmi les autres acteurs, certains avaient une plus longue expérience de la négociation que d’autres. Une page supplémentaire s’écrira lors de l’évaluation du Plan lisier, annoncée pour le printemps 1998. Il semble bien, en tout état de cause, que les mesures proposées dès 1991, vivement contestées, allégées et assouplies à de multiples reprises et dans des contextes différents, n’aient guère permis d’atteindre les objectifs définis au départ et que le problème du lisier reste aigu. Les considérations qui précèdent n’en sont que plus frappantes : c’est, finalement, sur des textes - et non sur une pratique politique - que le processus de décision peut être étudié.

Notes

  • [1]
    Vlaamse Raad, Doc. parl., « Projet de décret modifiant le décret du 23 janvier 1991 sur la protection de l’environnement contre la pollution due aux engrais », 148, n°1 (1995-1996) ; cf. aussi B. De Potter, « Mest-spride-story », Gids op maatschappelijk gebied, 1995, n°5, p.45. C’est en 1992 qu’a été adopté le premier Plan lisier, ou MAP ; pour les chiffres ultérieurs, cf. infra.
  • [2]
    B. De Potter, op. cit. p.452.
  • [3]
    Vlaamse Raad, Doc. parl., 177, n°1 (SE 1992), p.44.
  • [4]
    M. Valo, « Les nitrates jusqu’à la lie », Le Monde, 22 mars 1997.
  • [5]
    Décret du 2 juillet 1981, Moniteur belge, 25 juillet 1981. Ce décret s’inspire lui-même de la directive européenne 75/442/CEE, 15 juillet 1975 (JO, L.194 du 25 juillet 1975) « relative aux déchets », laquelle impose notamment aux États membres de « prendre les mesures appropriées pour promouvoir la prévention, le recyclage et la transformation des déchets » tout en excluant de son champ d’application les « matières fécales et autres substances utilisées dans le cadre de l’exploitation agricole », c’est-à-dire le lisier.
  • [6]
    La VLM a été créée par le décret du 21 décembre 1988 (Moniteur belge, 2 mars 1990). Cette société est l’héritière de la Société nationale terrienne - SNT, qui avait elle-même succédé à la Société nationale pour la petite propriété terrienne. Fondée en 1935, dans un contexte de crise économique, cette dernière devait contribuer à freiner l’exode rural. La SNT, quant à elle, a vu le jour après l’entrée en vigueur de la loi sur le remembrement rural en 1970. La régionalisation de cette compétence a conduit à la fin des années 1980 à la création de la Vlaamse Landmaatschappij. La forme juridique de la VLM est celle d’un établissement d’utilité publique, placé sous la tutelle du gouvernement flamand.
  • [7]
    Vlaamse Raad, Doc. parl., « Annales (Handelingen) de la séance plénière du 8 janvier 1991 ». Ce texte, comme les autres citations extraites de documents établis uniquement en langue néerlandaise, est traduit par l’auteur.
  • [8]
    Vlaamse Raad, Doc. parl., 177, n°3 (SE 1992), p.45
  • [9]
    Vlaamse Raad, Doc. parl., 236, n°1 (1992-1993), p. 56.
  • [10]
    X. Mabille et J. Brassinne, « La formation du gouvernement et des exécutifs », Courrier hebdomadaire, CRISP, n°1356, 1992, p.14.
  • [11]
    En fait, depuis que ce portefeuille existe, il a presque toujours été aux mains du CVP ou du PVV. Au 1er janvier 1992, le CVP avait détenu ce portefeuille pendant trois ans et dix mois au gouvernement national et pendant onze ans (!) au gouvernement flamand ; le PVV l’avait détenu pendant trois ans et le PSC pendant onze mois, chaque fois au gouvernement national.
  • [12]
    Avec six députés et quatre sénateurs élus directs, la VU compte encore à la fin de la législature dix mandats au Vlaamse Raad. La majorité y dispose donc, à ce moment, de 111 voix sur 188.
  • [13]
    Décret du 29 avril 1991, Moniteur belge, 31 mai 1991.
  • [14]
    Pour une analyse plus détaillée de ces principes, cf. l’article de B. De Potter, op. cit.
  • [15]
    L’article premier de la loi du 1er avril 1976 relative à l’intégration verticale dans le secteur de la production animale définit les contrats d’intégration comme étant « les contrats par lesquels, dans le secteur de la production animale, l’intégré s’engage envers un ou plusieurs intégrateurs à produire des produits d’origine animale ou à élever ou engraisser des animaux et par lesquels des règlements sont acceptés en ce qui concerne l’achat, la vente, la livraison ou la reprise d’animaux, de produits d’animaux, de matières premières et d’autres biens et services qui sont utilisés ou consommés dans le processus de production ».
  • [16]
    Vlaamse Raad, Doc. parl., 410, n°1 (1993-1994).
  • [17]
    EcoGroen, n°8, octobre 1995, pp. 10-16.
  • [18]
    Vlaamse Raad, Doc. parl., 566, n°1 (1993-1994).
  • [19]
    Sur tous ces points, cf. B. De Potter, op. cit. pp. 457 et 458.
  • [20]
    Cf. B. De Potter, op. cit., pp. 458-462.
  • [21]
    La Vlaamse Milieumaatschappij est un organisme d’utilité publique de catégorie A chargé essentiellement de missions en rapport avec l’épuration des eaux. Il a été créé par le décret du 12 décembre 1990 (Moniteur belge, 21 décembre 1990).
  • [22]
    De Standaard, 16 décembre 1994.
  • [23]
    Ibidem.
  • [24]
    Les comparaisons sont malaisées ; il n’y a pas eu, rappelons-le, de scrutin régional en 1991. Le découpage des circonscriptions est lui aussi différent d’une élection à l’autre.
  • [25]
    Vlaamse Raad, Doc. parl., 148/1 (1995-1996).
  • [26]
    Ibidem (annexes), p. 92.
  • [27]
    Ibidem, p. 63.
  • [28]
    Ibidem, p. 34.
  • [29]
    De Morgen, 5 février 1997.
  • [30]
    Financieel en economische Tijd, 6 février 1997.
  • [31]
    « Mestbank heeft problemen met uitvoeren MAP », De Morgen, 2 août 1998.
  • [32]
    Vlaams Parlement, Bulletin des questions et réponses, n°2, 16 octobre 1997, pp. 236-239. Les chiffres donnés par la mestbank sont légèrement différents, mais la tendance est identique.
  • [33]
    Il s’agit de la directive 91/676 du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux par les nitrates à partir de sources agricoles, JO, n° L 375, 31 décembre 1991.
  • [34]
    Moniteur belge, 1er octobre 1991.
  • [35]
    B. Deltour, « Mest in het Waalse Gewest : een afvalstof », Milieu Info, 1994, afl. 3, pp.14-16.
  • [36]
    Parlement wallon, Bulletin des questions et réponses, n°1 (1997-1998), pp. 27-30.
  • [37]
    Institut national de statistique.
  • [38]
    On se reportera notamment à J. Smits, « Les standen dans les partis sociaux-chrétiens », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1134-1135, 1989, 21 novembre 1986.
  • [39]
    Voir à ce sujet A. Vincent, Le pouvoir économique dans la Belgique fédérale, CRISP, 1996, pp. 68-70 et 178-185.
  • [40]
    J. Smits, op. cit., p. 22.
  • [41]
    De Standaard, 22-23 mai 1995.
  • [42]
    Directive 96/42/CE du Conseil de l’Union européenne du 25 juin 1996 modifiant la directive 77/388/CEE concernant le système commun de taxe sur la valeur ajoutée.
  • [43]
    Arrêté royal modifiant l’arrêté royal n°20 du 20 juillet 1970 fixant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée et déterminant la répartition des biens et des services selon les taux, Moniteur belge, 28 septembre 1996.
  • [44]
    Voir à ce sujet, notamment, l’argumentaire développé par S. De Becker, conseiller juridique du Boerenbond, dans Milieurechtinfo (n° 9, sept 1993, pp.1-5).
  • [45]
    S. De Becker, op. cit. p. 1.
  • [46]
    De Morgen, 26 novembre 1997.
  • [47]
    Cette information, de même que les autres éléments concernant le Bond Beter Leefmilieu, sont tirés d’un article paru dans Ville et Habitants, avril 1997.
  • [48]
    Voir sur ce point M. Hooghe, « De invloed van de milieubeweging op het milieubeleid », Res Publica, 1/95.
  • [49]
    « Mestaktieplan : gedaan met ? », Milieurama, n° 7-8, 1994, pp. 22-23.
  • [50]
    M. Hooghe, op. cit.
  • [51]
    S. Walgrave, « Maatschappelijk draagvalk als alibi : macht en tegenmacht inzake milieubeleid op het middenveld », Res Publica, 1997/3, pp. 331-356.
  • [52]
    Le Monde, 16 septembre 1997.
  • [53]
    Le Monde, 6 août 1997.
  • [54]
    Le Monde, ibidem
  • [55]
    De Morgen, 2 août 1997.
  • [56]
    Vlaams Parlement, Doc. parl., 488, n°9 (1996-1997), du 20 mai 1997.
  • [57]
    EcoGroen, n° 10, décembre 1994.
  • [58]
    Knack, 12 juin 1996.
  • [59]
    Ibidem.
  • [60]
    Mais aussi des personnalités de la vie culturelle notamment, qui seront candidats sur les listes du parti à différentes élections : Eric Anthonis, Jan Hoet, Reginald Moreels, etc.
  • [61]
    M. Coppieters et N. De Batselier, Het Sienjaal, Anvers, Icarus 1996.
  • [62]
    Notamment en séance plénière du Parlement flamand du 27 janvier 1998.
  • [63]
    Cf. à ce sujet, notamment, S. Govaert, « Ressourcer les partis … ressourcer le PS ? » Cahiers marxistes, n° 206, juin-juillet 1997 (en particulier les pp. 147 à 149) ; cf. aussi M. Swyngedouw, « L’essor d’Agalev et du Vlaams Blok », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1362, 1992.
  • [64]
    S. Hellemans et F. Janssens, « Het lot van Agalev - Terugblik en vooruitblik », De Nieuwe Maand, mars 1992, pp. 12-24.
  • [65]
    Arrêt 55/92 du 9 juillet 1992, Moniteur belge, 1er septembre 1992.
  • [66]
    Moniteur belge, 3 septembre 1997, p. 22636.
  • [67]
    Arrêt n° 42/97 du 14 juillet 1997, Moniteur belge, 3 septembre 1997.
  • [68]
    Vlaams Parlement, Bulletin des questions et réponses, n° 2, 16 octobre 1997, p. 251.
  • [69]
    Le Soir, 25 février 1998.
Serge Govaert
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En matière d'environnement, la question de l'élimination des déchets est d'une importance cruciale. Lorsque le secteur industriel est en cause, des impératifs de production (et d'autres considérations de nature économique: emploi, etc.) doivent coexister avec un souci de protection de l'environnement - de la faune et de la flore, mais aussi des ressources naturelles, et en premier lieu de l'air et de l'eau. Les conflits auxquels peut donner lieu cette contradiction potentielle ont notamment trouvé à s'exprimer lors du débat sur les écotaxes. Une contradiction de même ordre existe dans le domaine agricole. Les déchets à éliminer sont ici d'origine animale : il s'agit des déjections des bovins, des porcins et de la volaille. Ce « lisier » est déversé comme engrais sur les terres cultivées; mais il contient des quantités importantes de phosphates et de nitrates qui sont nuisibles à l'environnement. Ces substances sont source de pollution des sols, des eaux de surface et des nappes phréatiques, de l'air, de pollution olfactive. L'émission d'ammoniaque, en particulier, entraîne une acidification qui a des effets dommageables sur l'environnement, mais aussi sur la santé (la présence de nitrates dans l'eau potable peut notamment provoquer des méthémoglobinémies, touchant en particulier les nourrissons, voire favoriser l'apparition dans l'estomac de composés cancérigènes) […]
Mis en ligne sur Cairn.info le 08/06/2014
https://doi.org/10.3917/cris.1593.0001
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