CAIRN.INFO : Matières à réflexion

La formation du gouvernement

1Le Roi ne peut constituer un gouvernement sans que celui-ci n’obtienne, immédiatement après la nomination des ministres, la confiance des chambres par un vote sur une résolution expressément formulée.

2Le Roi est donc tenu de former un gouvernement susceptible de recueillir la confiance des chambres. Son choix n’est pas personnel. La composition politique des chambres constitue en droit constitutionnel un élément légitimement déterminant [1].

3Le Roi apprécie-t-il seule la situation politique ? Evidemment non ; le monarque procède à des consultations devenues traditionnelles. Il consulte le président de la Chambre et celui du Sénat qui peuvent, en raison même de leur fonction, apprécier les chances d’une formule gouvernementale devant les assemblées dont ils dirigent les débats.

4Le Roi consulte aussi le Premier Ministre démissionnaire, les leaders des groupes parlementaires, notamment ceux de l’opposition, les chefs de partis, les hommes les plus représentatifs de l’opinion.

5La formation du gouvernement se fait en deux ou trois temps : le Roi désigne parfois directement le Premier Ministre, celui-ci compose ensuite la liste des ministres et la soumet au Roi. Parfois, avant de désigner le "formateur" du gouvernement, le Roi, dans les cas difficiles, désigne un "informateur" [2] qui se substitue à lui pour procéder à des consultations politiques et qui lui fait rapport sur la situation.

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7Comment le choix du Roi est-il finalement déterminé ? Quelles sont les interventions décisives ?

8Aucun parti ne réunissant la majorité absolue depuis 1918 [3], la tâche du Roi est peu aisée ; il ne lui suffit pas, comme en Angleterre, de se tourner vers le leader du parti le plus puissant.

9Le fait de la période qui nous occupe est l’intervention directe des états-majors des partis politiques. On sait que ceux-ci se réunissent en congrès, organe souverain de chaque organisation politique, formé des délégués des diverses sections locales ; ces congrès élisent des bureaux ou comités centraux qui prennent une part active à la formation des gouvernements. Leur action est plus ou moins discrète. Aucun parti n’a jamais été jusqu’à voter une résolution rendue publique pour désigner formellement un candidat premier ministre.

10Les partis ont un minimum de respect pour le formalisme constitutionnel mais il est notoire que certains premiers ministres ont été délibérément choisis par leur propre parti [4].

11La plupart du temps, le choix de la personne du premier ministre résulte des négociations entamées entre les personnalités politiques consultées par le chef de l’État.

12Le premier ministre doit être non seulement agréé par son propre parti mais également par les partis qui feront partie de la coalition. C’est ainsi que M. Poullet a pu être présenté comme premier ministre après les élections du 5 avril 1925 parce qu’il était la personnalité catholique qui manifestait le plus de compréhension et de sympathie à l’égard du Parti Ouvrier Belge qui allait entrer dans une coalition catholique-socialiste. Il en est de même de M. P.H. Spaak, lors de la formation du gouvernement catholique-socialiste le 20 mars 1947 et de M. Eyskens, chef de la coalition catholique-libérale du 11 août 1949.

13La personne du premier ministre s’impose parfois par son attitude politique pendant la vie du gouvernement précédent. C’est ainsi qu’après la chute du gouvernement Poullet-Vandervelde en 1926, le Roi désigna M. Jaspar comme premier ministre ; M. Jaspar était précisément le leader conservateur qui avait dirigé l’opposition contre le gouvernement Poullet. Cette manière de voir est même considérée comme un principe fondamental du régime parlementaire. Le Parti Ouvrier Belge fit au Roi un vif reproche de ne pas l’avoir appliqué après la crise du 27 février 1924. Le gouvernement avait été renversé à la Chambre par le vote conjugué des socialistes et des catholiques flamands.

14Le Roi fut vivement attaqué pour n’avoir pas essayé de constituer un gouvernement à l’image de cette opposition [5].

15Il arrive que des milieux distincts du monde politique jouent un rôle important dans la désignation du premier ministre. Les milieux financiers et bancaires n’y sont pas étrangers [6].

16Quelle est la part de l’influence personnelle du Roi ? Il est extrêmement difficile de répondre à cette question. L’action du monarque est couverte par une discrétion traditionnelle résultant du principe constitutionnel de l’irresponsabilité royale. Il est donc impossible, faute de documents, de dégager avec précision le rôle personnel de la monarchie. Il paraît certain que le Roi ne peut faire de choix exclusivement personnel. Il ne peut donner libre cours à ses préférences politiques. Aucune désignation n’est le fait de la Cour [7].

17Mais un Roi habile, dans les moments difficiles, peut certes orienter les négociations et faire surgir une solution qu’il appelle personnellement de ses vœux. [8]

18Par exemple, il semble bien que le choix de M. Carton de Wiart le 7 novembre 1920 résulte vraisemblablement d’une idée personnelle du Roi Albert, encore que celui-ci ait commencé par pressentir M. Segers qui déclina l’offre de former le gouvernement. Il en est de même de la personne de M. de Broqueville, premier ministre d’octobre 1932 à novembre 1934 ; cet homme politique jouissait de toute la sympathie du Roi Albert [9].

19Par contre, il n’est pas impossible que le Roi écarte des personnalités qui n’ont pas sa confiance. Il n’est pas rare non plus que le Roi manifeste publiquement ses préférences en pressentant une personnalité déterminée qui décline d’ailleurs cette invitation parce qu’elle ne correspond ni à ses vues ni à celles de son parti. Ainsi, le 12 avril 1939, le Roi Léopold offrit à M. Jaspar le soin de former le gouvernement et au mois d’avril 1954, le Roi Baudouin fit à M. Max Buset la même offre. Cette offre ne peut être interprétée comme un geste purement protocolaire.

20Cette influence active ne s’exerce qu’à l’égard du premier ministre. Une fois, le "formateur pressenti, c’est lui qui dresse la liste de ses coéquipiers. Cette liste doit être soumise au Roi qui ne peut plus intervenir que sous forme d’exclusives discrètes, celles-ci n’aboutissant d’ailleurs à écarter un candidat que dans la mesure où le formateur n’a pas tenu lui-même à le consacrer.

21Notons, toutefois, qu’il est arrivé au Roi de persuader personnellement un candidat hésitant d’entrer dans un ministère [10].

22Pour la composition du gouvernement, y compris le choix des personnes, l’intervention des partis est fréquente et déterminante. Elle n’est pas exclusive, d’autres influences se font souvent sentir.

23Ainsi, le premier gouvernement formé par le Roi Albert après l’armistice du 11 novembre 1913, présidé par M. Delacroix (le 22 novembre 1918), trouve son origine dans les négociations poursuivies au château de Lophem entre le Roi et certains hommes politiques. Le comité national de secours et d’alimentation, dirigé par le financier Francqui, exerça une forte influence sur la formation du gouvernement [11]. Ce comité de pur fait avait acquis pendant la guerre un prestige considérable en pays occupé, tant par son action que par la personnalité de ses membres. M. Delacroix en faisait d’ailleurs partie.

24L’intervention des partis sur le programme comme sur le choix des personnes fut évidente [12].

25Les futurs ministres socialistes furent nantis d’une autorisation de leur parti exprimée par un vote du Conseil général. [13].

26Le deuxième gouvernement présidé par M. Delacroix fut influencé de la même manière par les partis. [14].

27Les gouvernements formés par M. Carton de Wiart le 23 novembre 1920 [15], MM. Poullet-Vandervelde le 33 juin 1925, Jaspar le 20 mai 1926 [15], Renkin le 5 juin 1931, De Broqueville le 22 octobre 1932, et le 17 décembre 1932, Van Zeeland le 12 décembre 1935, Pierlot le 17 avril 1939 résultèrent de négociations parfois longues et difficiles entre personnalités politiques, plus ou moins formellement mandatées par leurs groupes politiques ou certains organes de leurs partis.

28L’intervention du Conseil national du parti libéral d’une part, du Congrès, ou du Conseil général du P.O.B. d’autre part, est à peu près constante : du côté catholique, celle de la Fédération des cercles et de la Ligue nationale des travailleurs chrétiens n’est pas rare.

29Après 1945, l’intervention des partis est régulière mais elle a donné lieu à beaucoup moins de difficultés qu’entre 1918 et 1939.

30La situation politique qui mit le plus de temps à se dénouer est celle qui résulta des élections de février 1946. En dehors de ce cas, les gouvernements se constituèrent assez aisément. Le rôle de la monarchie fut donc infiniment plus effacé qu’entre les deux guerres.

31L’intervention des milieux financiers, dont certaines personnalités sont directement consultées par le Roi ou par les hommes politiques, est particulièrement marquante dans la formation des gouvernements présidés par MM. Delacroix (22 novembre 1918), Theunis (le 16 décembre 1921), Jaspar (le 20 mai 1926), Theunis (le 20 novembre 1934) et Van Zeeland (le 25 mai 1935). Lors de la formation de ce dernier gouvernement, le Roi, pour la première fois, consulta également les représentants des grandes organisations économiques et syndicales.

32L’intervention des milieux bancaires est moins ostensible après 1945 mais il faut néanmoins faire observer que deux ministres des finances furent des banquiers. [16].

Comment s’élabore la composition interne des gouvernements ?

33Le nombre de ministres d’une tendance politique déterminée est-il proportionnel à la force de cette tendance au parlement ? Un calcul proportionnel purement arithmétique est impossible ; si une certaine proportion est respectée en ce qui concerne les catholiques et les socialistes, on peut constater que la proportion des ministres libéraux est constamment surévaluée par rapport à la force parlementaire de leur parti. Ce phénomène est dû, croyons-nous, à la position centrale de ce parti dont l’appui est constamment recherché par les éventuels partenaires gouvernementaux. On a reproché aux libéraux leur goût disproportionné pour les portefeuilles ministériels. Mais l’histoire parlementaire prouve qu’ils sont constamment sollicités par les autres partis ou par la couronne elle-même. L’absence de majorité absolue et la répugnance naturelle que catholiques et socialistes ont eu à s’associer, ont fait des libéraux des partenaires indispensables. Les conservateurs catholiques s’inquiètent à l’idée de laisser les libéraux dans l’opposition, leur tendance économique et sociale étant fort souvent la même que la leur.

34Le parti socialiste dont la tendance radicale est manifeste, surtout en Wallonie, répugne également, pour d’autres motifs, à laisser les libéraux en dehors des responsabilités ministérielles. Ils craignent que le sentiment anticlérical de leur clientèle électorale ne soit exploité par le parti libéral, alors qu’ils sont liés par une alliance gouvernementale avec le parti qu’ils qualifient eux-mêmes péjorativement de clérical. Ceci explique peut-être la raison pour laquelle, sur 40 ans de régime de suffrage universel, les libéraux totalisent 32 années de participation ministérielle.

35Le dosage des portefeuilles ministériels n’est pas seulement déterminé par l’appartenance à un parti politique. La dualité ethnique du pays, les mouvements flamands et wallons ont fortement influencé la composition de tous les gouvernements. Enfin, les classes sociales différentes exigent une représentation spéciale [17]. Les agriculteurs, les classes moyennes, les milieux syndicaux, sont particulièrement susceptibles à cet égard.

36La compétence personnelle joue parfois un rôle déterminant ; la préférence de M. Hymans et M. P.H. Spaak pour les affaires étrangères est évidente. Celle de M. Lefebvre, ministre de l’agriculture en 1946 et de 1954 à 1958, se justifie par une activité essentiellement orientée vers l’agriculture [18], l’inclination de M. Pierre Vermeylen pour le département de l’intérieur (1947-1949-1954-1958) n’est pas non plus l’effet d’un hasard [19]. La défense nationale a vu plusieurs officiers supérieurs investis de la fonction de ministre. Nous avons signalé à plusieurs reprises la présence de banquiers ou de financiers à la tête du département des finances. Mais, par ailleurs, règne l’indétermination la plus complète.

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38Le principe même de l’intervention des partis a été exprimé formellement à maintes reprises.

39C’est ainsi que le Congrès libéral des 16-18 octobre 1920, dans sa résolution déclarait que "l’adhésion définitive de mandataires libéraux à un cabinet en formation sera subordonnée à la ratification préalable par le congrès libéral des bases politiques, économique et sociale sur lesquelles le ministère entendra se constituer".

40D’autre part, on peut lire dans "le Peuple" du 8 juin 1925, lors de la formation du gouvernement Poullet-Vandervelde, que "Le Conseil général s’est réuni … pour discuter des candidatures ministérielles … Après un bref débat, le choix s’est porté sur les citoyens Vandervelde, Wauters, Anseele, Huysmans et Laboulle".

41L’intervention des organes des partis dans la désignation des ministres n’est évidemment pas toujours aussi flagrante. Il semble que, surtout après 1945, si l’intervention des organes des partis, congrès, conseils généraux, comités centraux, etc., est constatée en ce qui concerne les programmes et le principe même de la participation gouvernementale, les questions de personne relèvent en fait de comités plus restreints et plus secrets.

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43L’ingérence des partis dans la constitution des gouvernements n’a pas toujours été sans heurts ni sans réactions. Elle a soulevé des controverses passionnées surtout lorsque cette ingérence paralysait la formation du cabinet. Ces réactions eurent une double origine : l’opinion publique qui s’impatientait de la carence des institutions politiques et le Roi mis devant des situations extrêmement délicates que l’intervention excessive des partis transformait en impasses.

44À titre d’exemple, soulignons le caractère laborieux des négociations qui présidèrent à la formation du gouvernement Van Zeeland au mois de juin 1936 après les élections du 24 mai. Le formateur déclara à la presse qu’il ne rencontrait pas de difficultés insurmontables en ce qui concerne le programme mais que la répartition des portefeuilles était tellement ardue en raison des exclusives que les partis prononcèrent contre les personnes, qu’il devait finalement renoncer à sa mission. [20].

45Pour faire pression sur les partis, M. Van Zeeland, en pleine négociation, s’adressa au public par la Radio le 9 juin 1936 en brossant un tableau des événements et retraçant les grandes lignes de son programme, en vain d’ailleurs, puisqu’il renonça quelques jours après à former le gouvernement. Un procédé aussi inusité ne s’explique que par un sentiment d’irritation dans l’opinion publique, sentiment que le futur premier ministre entendait exploiter pour sortir de l’impasse. C’est finalement le Roi qui vint à son secours. Il prit l’initiative devant son échec, de réunir les principales personnalités politiques en cause pour qu’elles se hâtent de mettre fin à la carence gouvernementale. Le Roi aurait fait à ses interlocuteurs de vifs reproches. "Il est incompréhensible" aurait-il dit "que des questions de dosages politiques et de personnes prolongent la carence gouvernementale, alors que les partis sont d’accord sur le programme [21]."

46Le Roi aurait également fait pression sur les hommes politiques responsables en les menaçant de dissoudre les chambres législatives, ce que la Constitution lui permet de faire avec un seul contreseing ministériel [22].

47Le résultat fut que M. Van Zeeland reprit les négociations, cette fois en dehors des partis et des groupes et constitua son gouvernement le jour même. Il n’est pas inutile de noter qu’une grève des mineurs avait été annoncée pour le 15 juin. Les élections avaient enregistré le succès relatif du parti Rexiste [23]. Une crise politique doublée d’une crise sociale et économique se serait muée en crise du régime.

48Lors de la formation du gouvernement Janson en novembre 1937, le Roi, devant les difficultés suscitées par les négociations, fit une observation du même genre : "Il y a contradiction entre la volonté d’union nationale des partis et la carence à laquelle aboutissent les efforts des formateurs de gouvernement. La situation actuelle ne peut se prolonger [24].

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50Les réactions royales et celles de l’opinion publique, la montée du fascisme en Europe exercèrent sur la formation des gouvernements une influence certaine. Le régime s’est réellement cru en danger [25].

51Au mois de mai 1938, après la démission du gouvernement Janson, M. P.H. Spaak, choisi personnellement par le Roi, constitua son équipe ministérielle en moins de deux jours, sans consulter ni les partis ni les groupes parlementaires. Il fit connaître la composition de son ministère le 15 mai, la crise avait éclaté le 13. Fortement influencée par le Roi, la déclaration ministérielle contenait une allusion à une révision constitutionnelle tendant notamment à renforcer le pouvoir exécutif, ce qui provoqua une réaction énergique de tous les partis. [26].

52Le premier ministre dénonça expressément l’habitude désagréable de faire intervenir les partis dans les négociations précédant la formation des gouvernements. Ceux-ci doivent être indépendants des partis aussi bien que des groupes parlementaires. Le gouvernement doit avoir de l’autorité ; le parlement ne doit exercer qu’un droit de contrôle. Les libéraux y virent un retour à la pureté constitutionnelle [27], et les catholiques une heureuse tendance à renforcer l’autorité royale dont le gouvernement devait essentiellement tirer la sienne [28]. Mais il ne fut question nulle part d’une réelle tentative de révision constitutionnelle.

53En réalité, ce gouvernement "fort" qui ne dura pas un an [29] ne se distingua que par la manière rapide dont il fut formé. Le premier ministre ne put écarter l’ingérence des partis qu’en ce qui concerne le choix des personnes [30]. Peu soutenu par son propre parti, M. Spaak subit plus fortement encore l’influence des partis y compris le sien, précisément pour le motif qu’en se passant d’eux pour former son gouvernement, il leur conféra une indépendance qui le mit constamment en péril.

54Cette faiblesse fit persister le Roi dans sa tendance au lieu de l’en décourager. Le 12 février 1969, il chargea un de ses intimes, M. H. Jaspar, retiré de la vie politique depuis quelques années et auquel les partis ne songeaient plus, de la mission de former un gouvernement "fort" en dehors de toute ingérence des partis, composé au moins pour moitié d’extra parlementaires. Il dut renoncer immédiatement à son projet. Le 14 février, le bureau du P.O.B. publia un communiqué motivant le refus opposé à M. Jaspar. "Le nombre anormal d’extra parlementaires ne se justifiait pas". Le ministère constitué immédiatement après par M. Pierlot en comptait tout de même cinq sur onze ministres.

55Le cabinet avait été constitué sans arrêter de programme. M. Pierlot confia à la presse le 21 février 1939 qu’en outre il n’avait pas l’intention de demander un vote de confiance aux chambres. Celles-ci le jugeraient à ses actes. La réaction du parlement fut telle que le gouvernement se soumit néanmoins à un vote mais par ce vote la chambre se contenta d’adopter un simple ordre du jour prenant acte de la formation du gouvernement. Cette tentative fut un échec complet, le 27 du même mois, le gouvernement démissionna et un décret de dissolution des chambres fut signé le 6 mars. Les élections eurent lieu le 2 avril 1939. Une lettre du Roi au premier ministre du 6 mars 1939 fut rendue publique. Le Roi avait exposé ses principes au conseil des ministres des 2 et 7 février et, lors de la réunion des principales personnalités politiques du moment, le 12 avril 1939 au Palais Royal [31].

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"La première condition qui s’impose" disait le Roi, "celle dont dépend, je n’hésite pas à l’affirmer, le sort même du régime, c’est la restauration dans toute son indépendance et dans toute sa capacité d’action, d’un pouvoir exécutif vraiment responsable, c’est-à-dire formé d’hommes qui puissent assurer le gouvernement du pays pendant toute une législature si possible, sans se trouver entravés dans leur action par des mots d’ordre de partis, par des décisions de groupes et de sous-groupes politiques ou par des préoccupations partisanes."

57Les efforts du souverain furent vains. Le P.O.B., par un vote de son congrès du 17 avril 1939, refusa la participation au gouvernement. Les ministres socialistes démissionnèrent et les "ministrables" refusèrent les portefeuilles qu’on leur offrait. M. Pierlot forma une coalition catholique-libérale. Celle-ci ne s’élargit avec la participation des socialistes que le 3 septembre 1939, sans l’intervention des partis et des groupes mais dans le consentement général puisque la guerre venait d’éclater à nos frontières. Un remaniement eut lieu le 5 janvier 1940 sans consultation des groupes, ce qui provoqua la protestation des partis. [32].

58Le premier ministre évita la difficulté en refusant de répondre aux interpellations parlementaires à ce sujet [33].

59C’est donc surtout à partir de 1936 que la tendance à secouer la tutelle des partis se manifesta avec un succès très mitigé.

60Il est néanmoins utile de signaler que les partis n’intervinrent pratiquement pas dans la formation de certains gouvernements, antérieurs à cette année. Il en est ainsi du gouvernement Theunis, formé le 18 mars 1924, du gouvernement Jaspar, le 23 novembre 1927, du gouvernement Renkin, du 23 mai 1932, du gouvernement De Broqueville, le 8 juin 1934. Mais, à vrai dire, ces gouvernements succédaient à d’autres cabinets présidés par le même premier ministre. Ces hommes qui avaient dirigé une équipe ministérielle déterminée et qui étaient chargés de la mission de former un nouveau ministère se comportaient essentiellement comme s’ils procédaient à un simple remaniement de leur gouvernement, dont la base politique restait très souvent la même (exception faite pour le gouvernement Jaspar du 23 novembre 1927 qui perdait l’appui et la participation des socialistes).

61La formation de ces gouvernements, mis sur pied avec l’accord tacite des partis intéressés, n’a d’ailleurs pas provoqué au sein de ceux-ci les vives réactions qui caractérisèrent les tentatives des années 1936-1939.

62L’instabilité du régime qui prit un aspect aigu pendant les deux années qui précédèrent immédiatement la guerre explique sans doute, en bonne partie, l’attitude du Roi Léopold III et a vraisemblablement contribué à creuser entre lui et les hommes politiques le fossé qui allait les séparer le 28 mai 1940. Le drame monarchique qui devait déchirer la Belgique de 1945 à 1950 trouve peut-être sa source autant dans le mauvais fonctionnement du régime à cette époque que dans les circonstances de la guerre.

63La conclusion de cette analyse du mode de formation des gouvernements se dégage avec netteté. Tout le régime est fondé sur l’existence de partis fortement organisés dont les états-majors négocient entre eux.

64Le pouvoir réel est entre leurs mains. Cet état de fait a risqué à de multiples reprises, surtout entre 1918 et 1939, de provoquer des impasses.

65Si les états-majors des partis n’aboutissent pas à une solution, le Roi intervient avec énergie et relance les négociations qui risquent de s’enliser. L’absence de majorité absolue a donc donné ainsi à la monarchie un rôle actif assez paradoxal au XXe siècle. Mais ce rôle n’a pu aller au-delà d’une présidence active de la vie politique. Toute velléité de pouvoir personnel était vouée à l’échec, de même que toute tentative d’évincer réellement les partis de la formation des gouvernements. L’institution constitutionnelle la plus dépourvue de toute influence est le parlement lui-même. Ce dernier joue le rôle de tribune politique et entérine par un vota, le résultat de négociations menées en grande partie en dehors de lui. Les groupes parlementaires ont joué sans doute un rôle incontestable, surtout à droite. Mais ces groupes apparaissent eux-mêmes comme les organes des machines politiques que sont les partis. Ceci est surtout vrai pour les partis de gauche, mais le P.S.C. lui-même présente une structure fort proche de ses concurrents.

CAUSES ET MECANISMES DES CRISES MINISTERIELLES

66Nous devons exclure de l’analyse des crises ministérielles, les crises constitutionnelles : tout gouvernement doit être investi de la confiance des chambres législatives, il est donc normal qu’il s’en constitue un après chaque élection. Cette conséquence n’est d’ailleurs pas absolue ; au sein des chambres nouvellement élues, une majorité favorable au dernier gouvernement en fonction peut lui faire confiance. Ce fut le cas lors des élections du 26 mai 1929 ; le gouvernement de M. Jaspar, constitué en novembre 1927 par une coalition du parti catholique et du parti libéral, resta en fonction après avoir subi un très léger remaniement. Le cas, est-il besoin de le dire, est unique. Il faut également exclure les démissions offertes au souverain lors de son accession au trône. Elles font partie du cérémonial et sont toujours refusées : elles n’ont d’ailleurs aucune portée politique. La seule exception à la règle est la formation du gouvernement de M. Pholien, en août 1950, après l’accession du Prince Baudouin à la régence du royaume. La démission du gouvernement précédant, présidé par M. Duvieusart, fut acceptée pour des raisons politiques. Mais cette accession au trône est insolite dans l’histoire de la monarchie belge et intervint après des événements révolutionnaires qui mirent l’existence même de la monarchie et du pays en danger.

67Les causes que nous énumérons ici sont des causes purement politiques, à l’exclusion des élections législatives. Elles interviennent en cours de législature.

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69De 1918 à 1958 les gouvernements belges ont démissionné vingt-deux fois pour des motifs politiques. Sur vingt-deux crises gouvernementales, huit portent sur la politique économique, sociale, monétaire ou fiscale du gouvernement, quatre sur la politique linguistique ou ethnique, quatre sur la politique étrangère et militaire, deux sur la personne même d’un ministre, une sur une réforme électorale, le suffrage féminin, enfin, deux sur la question royale pendant la grave crise monarchique que traversa la Belgique de 1945 à 1950.

70Quel est le mécanisme des crises gouvernementales ?

71Les démissions dos gouvernements peuvent être classées en plusieurs catégories. Certains gouvernements sont renversés par un vote hostile d’une des deux chambres du parlement. D’autres se disloquent à cause du désaccord des ministres sur des questions politiques importantes. La décision de mettre fin à la vie d’un gouvernement peut être prise par les états majors des partis. Les ministres peuvent démissionner sous la pression d’un groupe parlementaire. Ils peuvent aussi démissionner pour faire pression sur un groupe parlementaire et un parti. Ils peuvent enfin être débordés par une crise économique et financière, et démissionner spontanément sans que personne ne le leur demande.

I – Vote hostile du parlement

72Depuis 1918, deux gouvernements seulement furent renversés par le parlement [34]. Le gouvernement catholique-libéral de M. Theunis, le 27 février 1924, et le gouvernement socialiste-libéral-communiste de M. Van Acker, le 9 juillet 1946. Le premier succombait devant une opposition hétérogène socialiste et catholique flamande au sujet de la politique étrangère. Les socialistes étaient hostiles à l’occupation de la Ruhr par les troupes belges, et vingt catholiques flamands désiraient manifester leur hostilité à la politique, trop francophile à leur goût, du ministre des affaires étrangères Hymans. Le vote avait pour objet une convention commerciale avec la France, mais le débat s’était élargi jusqu’à embrasser toute la politique extérieure du gouvernement [35].

73Ce vote est caractérisé par sa confusion puisqu’il a été inspiré par des mobiles divers très étrangers les uns aux autres : trois questions claires en elles-mêmes ont été mêlées : la politique francophile du ministre, l’occupation de la Ruhr et la convention commerciale. Cette crise fut parfaitement inutile puisque M. Theunis constitua, le 13 mai 1924, un gouvernement fondé à peu près sur les mêmes bases que le précédent.

74Quant à la crise du 9 juillet 1946 [36], elle aboutît à la reconstitution d’un gouvernement des gauches fort semblable au précédent mais avec un autre premier ministre [37].

2 – Désaccord des ministres

75La plupart des gouvernements se disloquèrent d’eux-mêmes à la suite d’un désaccord entre les ministres.

76Le gouvernement tripartite de M. Delacroix démissionna le 25 août 1920 [38] parce que, en l’absence du ministre des affaires étrangères, M. Hymans, il avait refusé au gouvernement français le droit de transit des munitions destinées à la Pologne en guerre avec la Russie soviétique. M. Hymans démissionna et tout le gouvernement fut entraîné dans la crise parce que les libéraux désiraient mettre fin à un gouvernement trop tributaire, à leur goût, de la poussée socialiste et flamande. Les socialistes étaient hostiles a toute intervention militaire contre l’U.R.S.S., et les flamands s’en prenaient à la francophilie de M. Hymans [39].

77Le gouverne ment tripartite de M. Carton de Wiart se disloqua le 19 octobre 1921 à la suite d’un conflit entre M. Devèze, ministre de la Défense nationale, et M. Anseele, qui avait assisté à un meeting socialiste Violemment antimilitariste à La Louvière.

78Le gouvernement catholique-libéral de M. Theunis démissionna le 5 avril 1925 parce que les ministres ne pouvaient se mettre d’accord sur l’opportunité d’introduire le vote des femmes aux élections provinciales. Devant l’impasse, le gouvernement s’est décidé à dissoudre les chambres ; les élections eurent lieu le 5 avril.

79Le gouvernement tripartite de M. Jaspar démissionna le 21 novembre 1927 parce que les ministres libéraux s’insurgeaient contre la propagande antimilitariste du parti socialiste qui avait des ministres dans l’équipe ministérielle.

80Le gouvernement catholique-libéral de M. Jaspar démissionna en mai 1931 parce que le premier ministre avait manifesté son accord sur un amendement d’un député catholique flamand tendant à diminuer les crédits prévus pour les fortifications militaires. Les ministres libéraux offrirent immédiatement leur démission. C’était la troisième fois en quelques mois [40]. La cause réelle de cette crise était le désaccord des ministres sur la question linguistique [41].

81Le gouvernement catholique-libéral de M. Renkin démissionna le 18 octobre 1932 parce que les ministres ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur l’opportunité de procéder à des élections générales afin de former un gouvernement durable pour affronter la crise économique et les mesures impopulaires qu’elle appelait. Le Roi forma un gouvernement de transition, présidé par M. de Broqueville, pour dissoudre le parlement et organiser les élections.

82Le gouvernement d’union nationale de M. Van Acker, le 19 juin 1945, et le gouvernement P.S.O.-Libéral de M. Eyskens, le 4 juin 1950, prirent fin parce que les ministres ne pouvaient se mettre d’accord sur l’opportunité du retour du Roi Léopold.

3 – Décision des états majore des partis

83Il est difficile d’établir une nette distinction entre le désaccord des ministres et celui des partis. La liaison entre les ministres et leur parti est très étroite et leurs décisions se confondent la plupart du temps.

84Nous citerons donc ici les cas où l’intervention des partis est assez flagrante.

85Le gouvernement catholique-libéral de M. Jaspar, en 1929, fut déchiré par la question linguistique. Les ministres libéraux quittèrent le gouvernement le 25 novembre 1929 pour forcer leur parti à accepter la flamandisation de l’université de Gand. La manœuvre réussit et le Roi refusa la démission des ministres libéraux le 4 décembre. Afin d’éviter le sabotage de cette nouvelle université, il avait été entendu que les professeurs de cette université ne pourraient donner des cours en français à l’Institut des hautes études de Gand, dont l’unique langue était évidemment le français. La fédération bruxelloise du parti libéral désavoua le ministre libéral de l’Instruction publique, M. Hymans. Il démissionna, et avec lui, tous les ministres libéraux, en janvier 1931. Mais le Roi refusa ces démissions et joua donc un rôle de frein salutaire à la stabilité gouvernementale. Les ministres s’inclinèrent apparemment, mais les efforts du Roi furent vains ; la crise paraissait inévitable ; en mai 1931, usé par la querelle linguistique, le gouvernement s’écroula au premier prétexte venu [42].

86Le gouvernement d’union nationale de M. Pierlot, constitué à la libération du territoire, démissionna en février 1945, les ministres du ravitaillement, des affaires économiques et de l’agriculture ne parvenant pas à se mettre d’accord sur la politique à suivre. Les ministres socialistes décidèrent de démissionner sur ordre du bureau de leur parti, mais par respect des formes constitutionnelles, attendirent le vote de méfiance du parlement. Les groupes libéraux et socialistes annoncèrent en effet qu’ils ne soutiendraient plus le gouvernement. Le premier ministre démissionna sans attendre le vote officiel "pour que les Belges ne paraissent pas divisés aux yeux de l’étranger et pour faciliter la formation du nouveau gouvernement" [43]. La crise était surtout d’ordre personnel. Les socialistes désiraient prendre la direction d’un gouvernement constitué sur les mêmes bases mais dominé par la forte personnalité de M. Van Acker.

87Le gouvernement homogène de M. Duvieusart, le premier gouvernement catholique homogène depuis 1914, dut démissionner au mois d’août 1950 après l’accession du Prince Baudouin à la régence. Il était coupable, aux yeux de son propre parti, d’avoir dû, devant l’émeute, accepter l’effacement du Roi Léopold.

88Le gouvernement P.S.C. homogène de M. Pholien démissionna en décembre 1951 sans vote de méfiance du parlement, sur injonction discrète, semble-t-il, du parti social-chrétien, en raison de l’inaptitude du premier ministre en matière économique [44]. Le pays devait faire face, en effet, aux conséquences économiques de la guerre de Corée.

4 – Pression d’un groupe parlementaire

89Le gouvernement de M. Janson, d’union nationale, constitué au mois de novembre 1937, dut démissionner six mois après sa constitution, au mois de mai 1938 [45], parce que les ministres de tendance conservatrice avaient perdu la confiance, non de la majorité parlementaire ni même celle de leur parti pris dans son ensemble, mais bien de leur groupe conservateur. Le motif était tiré de la politique fiscale que le gouvernement se proposait de faire et qui eût certainement trouvé l’appui d’une majorité parlementaire.

90Le gouvernement d’union nationale de M. Spaak se disloqua au mois de février 1939 à cause de l’incident suivant : un docteur en médecine, du nom de Maertens, condamné à mort par défaut pour avoir collaboré avec les Allemands pendant la première guerre mondiale, puis amnistié, avait été nommé membre de l’Académie flamande de médecine ; la nomination fit scandale. Le gouvernement obtint pourtant la confiance de la Chambre par 88 voix contre 86. La majorité était une majorité de rechange, les nationalistes flamands, groupe d’opposition, avaient voté pour le gouvernement, la plupart des libéraux, contre. Les ministres libéraux démissionnèrent sous l’influence de leur groupe politique.

91Le dernier gouvernement belge avant l’invasion allemande, un cabinet d’union nationale présidé par M. Pierlot, risqua à son tour de se disloquer le 26 avril 1940, victime de la querelle linguistique [46]. Les libéraux décidèrent de voter contre le budget de l’Instruction publique, sans voter toutefois contre le gouvernement. Le vote négatif de 20 libéraux entraîna pourtant la démission des ministres libéraux. Cette démission se heurta au refus du Roi. Le 10 mai 1940, les armées hitlériennes fonçaient à travers la Belgique. Le rapprochement de ces deux faits souligne l’effrayante fragilité du régime [47].

5 – Causes étrangères aux partis et aux groupes parlementaires

92Le gouvernement Poullet-Vandervelde, issu des élections du 5 avril 1925, après 73 jours d’une laborieuse formation, avait consacré un des plus gros succès électoraux du parti socialiste en s’appuyant sur une majorité bipartite composée du parti socialiste et d’une importante fraction catholique ; l’aile la plus conservatrice de ce parti avait manifesté son opposition en votant contre le nouveau gouvernement (12 voix) ou en s’abstenant (13 Voix) [48].L’opération la plus délicate que devait réaliser ce gouvernement était la stabilisation de la monnaie. La politique qu’il poursuivait dans ce but fut approuvée par le parlement. Mais la réussite de la réforme monétaire dépendait essentiellement d’un emprunt anglais. Les négociations poursuivies à Londres subirent un cuisant échec le 10 mars 1926 à cause des conditions impossibles imposées par les créditeurs. Une panique s’empara des milieux financiers belges et le gouvernement assista, impuissant, à la fuite des capitaux. Les difficultés de la Banque nationale devinrent sérieuses. Au mois de mai 1926, le franc était tombé à presque la moitié de sa valeur en livres sterling. Le gouvernement démissionna sans vote de méfiance des chambres, avec une majorité intacte. Il tombait devant la méfiance des milieux financiers belges et étrangers [49]. La cause de son échec était inscrite dans les conditions de sa formation : les mêmes milieux qui causèrent sa perte s’étaient employés, en vain il est vrai, à empêcher sa naissance.

93Le gouvernement présidé par M. Theunis, formé de catholiques, de libéraux et de personnalités extraparlementaires venues des milieux financiers, dut également démissionner au mois de mars 1935, pour le motif essentiel que la situation monétaire était devenue intenable et qu’une dévaluation du franc paraissait inévitable [50]. La situation parut assez grave pour justifier la formation d’un gouvernement d’union nationale, c’est-à-dire d’une coalition des trois plus grands partis, catholique, libéral et socialiste. Présidé par M. Van Zeeland, ce gouvernement avait pour tâche essentielle de réaliser la dévaluation du franc. Le gouvernement de M. Theunis ne chercha pas s’il y avait au Parlement une majorité suffisante pour appuyer l’opération que M. Van Zeeland allait pourtant accomplir.

94Le 25 octobre 1937 le gouvernement démissionna devant les attaques personnelles visant son chef, M. Van Zeeland. Les adversaires politiques de ce dernier l’accusaient de payer de larges gratifications à ses attachés de cabinet à l’aide d’un fonds secret de la Banque nationale. L’affaire de la "cagnotte" entraîna la démission collective du gouvernement, malgré l’appui parlementaire dont il jouissait [51]. Elle avait été exploitée à fond par les rexistes, les nationalistes flamands et un hebdomadaire d’extrême-droite, "Cassandre". À la suite de nouvelles découvertes relatives à la Banque nationale, dont M. Van Zeeland avait été vice-gouverneur, une instruction judiciaire fut ouverte, qui ne visait pas le premier ministre mais qui mit de l’huile sur le feu. Le premier ministre préféra démissionner [52].

6 – Conclusions

95Les gouvernements sont paralysés par la règle de l’unanimité. Cette règle s’étend parfois du conseil des ministres jusqu’aux groupes parlementaires de la majorité et aux partis dont ils sont la projection électorale.

96Si cette unanimité est rompue pour une raison quelconque, le gouvernement s’écroule.

97Si les gouvernements subissent la pression des groupes parlementaires et des partis, nous avons vu que les gouvernements le leur rendent bien.

98La démission s’est révélée souvent comme un moyen de pression efficace pour obliger un groupe parlementaire ou un parti à se rallier même de mauvais gré, à la politique gouvernementale.

99Le régime parlementaire est le régime de la confusion entre gouvernement, parlement et partis. La démocratie gagnerait pourtant à promouvoir l’indépendance réciproque de ces trois éléments.

100Quant à la responsabilité ministérielle, principe constitutionnel sur lequel tout le régime est basé, elle s’exerce également dans une grande confusion.

101L’histoire des crises ministérielles souligne bien le rôle réel du parlement. Les deux assemblées ont pour rôle essentiel de maintenir un gouvernement au pouvoir et d’entériner sa politique, sa législation et jusqu’à ses moindres actes, ou bien de rejeter un gouvernement dans le néant politique, à charge d’approuver la formation et le programme du successeur.

102Quant à vouloir trancher un point précis et celui-là seulement, il n’en est pas question. La responsabilité ministérielle porte sur tant de choses à la fois et se situe nécessairement sur un plan si général qu’elle en devient complètement diffuse, pour ne pas dire inexistante.

RELATIVITE DE L’INSTABILITE MINISTERIELLE

103Nous avons dénombré 22 crises ministérielles en Belgique. Nous n’avons pas tenu compte des remaniements assez fréquents qui ne portaient que sur la personne de quelques ministres, encore que ces changements n’aient pas toujours été dépourvus de signification politique. En en tenant compte, les crises auraient atteint la trentaine [53].

104Cette instabilité n’est pas absolue : à chaque crise gouvernementale, le gouvernement ne meurt jamais tout entier. Les ministres démissionnaires constituent souvent le tiers, la moitié ou même plus, de la nouvelle équipe [54].

105D’autre part, certains ministres restent assez longtemps à la tête du même département, en faisant partie de gouvernements successifs.

106M. Hymans, par exemple, fut ministre des affaires étrangères pendant 10 ans, de 1918 à 1935, mais en périodes successives, évaluées approximativement à 2, 1, 6, 1 ans, avec des interruptions allant de quelques mois à 2 ou 3 ans. M. P.H. Spaak, qui semble battre le raccord de la stabilité ministérielle personnelle, a dirigé les affaires étrangères du pays, du mois de juin 1936 au mois de juin 1949 [55], et du mois d’avril 1954 au mois de mars 1957. M. Devèze fut ministre de la défense nationale pendant trois périodes successives : 3, 4 et 1 an ; M. de Broqueville occupa le même poste pendant 5 ans sans interruption, le général Denis pendant 4 ans, le colonel Defraiteur pendant plus de 3 ans. MM. Wauters, Moyersoen, Heyman, Delattre, Troclet, ont été ministres du travail et de la prévoyance sociale pour des périodes allant de 3 à 5 ans. Ce sont là des durées minima en-dessous desquelles un régime qui fonctionne bien ne devrait pas descendre. Mais ces trois départements sont privilégiés. Les autres passent d’une main à l’autre avec une rapidité déconcertante, surtout après 1934. En 6 ans, il y eut 9 ministres de l’intérieur, 9 à l’instruction publique, 9 à la justice, 7 aux finances, etc… L’après-guerre de 1944 à 1958 a connu 8 ministres de l’intérieur, 7 ministres des finances, 12 ministres de la justice, etc…

107* * *

108Le personnel politique dirigeant varie peu. Il y a quelques hommes politiques qui mènent le jeu à titre essentiel pendant de longues années et qui occupent des charges ministérielles d’une manière fort constante.

109On peut citer les noms de MM. Jaspar, Hymans, de Broqueville, Poullet, Devèze, Janson, Theunis, Houtart, Heyman, Vandervelde, Anseele, Wauters, Lippens pour la période qui va de 1918 à 1935. Ajoutons-y pour l’avant et l’après-guerre, MM. Van Zeeland, Pierlot, Spaak, De Schrijver, De Vleeschauwer, Bovesse, Jaspar, Merlot, De Man, Delattre, Wauters, Van Acker, Eyskens, Huysmans, Troclet, Segers, Behogne, Van Glabbeke, Buisseret, Rey, Vermeylen.

110Ces hommes dirigent réellement la politique belge avec assez de permanence.

111* * *

112D’autre part, une plus grande stabilité encore règne en ce qui concerne les alliances politiques des gouvernements successifs. Ce fait n’a rien de surprenant. Aucun parti, entre novembre 1918 et juin 1950, n’obtint la majorité absolue. Les Partis furent donc contraints de se coaliser. Le parti catholique gouverna sans interruption jusqu’en 1945 et s’allia assez souvent avec son ancien adversaire de la période bourgeoise, le parti libéral, contre le parti socialiste [56]. Cette collaboration a donné les gouvernements les plus stables [57] que la Belgique ait connus de 1918 à 1958, à l’exception du gouvernement de guerre exilé à Londres et du gouvernement socialiste-libéral de M. Van Acker (1954-1958).

113Les périodes les plus critiques ont vu naître des gouvernements d’union nationale, (avec les trois partis, catholique, libéral et socialiste) constitués soit à cause des difficultés à résoudre, soit pour faire face à l’opposition d’extrême-droite des rexistes et des nationalistes flamands ; ils furent instables mais assez novateurs et énergiques [58].

114Très rarement le parti catholique s’unit au parti socialiste seul ; cette expérience compte deux échecs [59] et une réussite [60], soit en tout presque trois ans et demi de collaboration sur une période de quarante ans.

115Signalons enfin les gouvernements des gauches (libéraux, socialistes, communistes) du mois de juillet 1945 au mois de mars 1947 [61], dont la formation ne s’explique que par l’abstention volontaire des sociaux-chrétiens partisans du Roi Léopold. Ajoutons-y l’alliance libérale-socialiste 1954-1958, réplique aux gouvernements P.S.C. homogènes 1950-1954.

116L’alliance catholique-libérale et le tripartisme d’union nationale dominent donc la vie politique belge pendant la période d’entre deux guerres ; après 1944, au contraire, l’union nationale (quadripartite) ne dura pas six mois, et l’alliance libérale-catholique moins d’un an.

117Quoi qu’il en soit, les alliances politiques en Belgique offrent des variantes relativement peu nombreuses. Il n’y a pratiquement que trois partis politiques qui se partagent le pouvoir. Une grande stabilité règne donc dans les traits fondamentaux de la politique. Cette stabilité est celle même de l’opinion publique qui varie peu. Les crises gouvernementales issues des querelles intestines des coalitions ne traduisent jamais un revirement complet de l’orientation politique. Au fond, on n’aperçoit pas bien leur utilité. D’une élection à l’autre, les données du problème ne changent presque jamais. L’élection donne une tendance qui peut inspirer la politique jusqu’à l’élection suivante. Les changements de gouvernement dans l’intervalle ? remaniements utiles mis à part ? ne correspondent à aucune nécessité profonde. La plupart du temps, les crises gouvernementales ne servent pas à résoudre réellement les difficultés qui les ont provoquées. Renverser le gouvernement n’est pas tout, il faut encore pouvoir y substituer une autre équipe qui fera un toute autre politique. Sans cela, la crise est vaine.

118La dislocation des équipes gouvernementales ne servant la plupart du temps à rien, ne faudrait-il pas s’en passer et chercher un autre moyen de faire trancher les questions au sujet desquelles les ministres ne parviennent pas à se mettre d’accord ?

119Les crises ministérielles, si irritantes pour l’opinion publique, si préjudiciables au crédit du régime et par conséquent à la démocratie politique, ne révèlent-elles pas que certaines règles du jeu parlementaire ne sont pas adaptées à la réalité politique du pays ? Nous obéissons à des règles de jeu en faveur en Grande-Bretagne, mais nous n’avons pas les mêmes cartes que les Britanniques. Tout le jeu en est faussé. Nous ne devons pas faire comme les mauvais joueurs et dire avec humeur que les cartes sont mauvaises. Nous devons faire preuve d’imagination et inventer des règles qui nous sont propres, en tenant compte des atouts que nous avons.

Notes

  • [1]
    V. le chef de l’État et le gouvernement, W.J. Ganshof van der Meersch Revue de droit international et de droit comparé 1950, p. 188.
  • [2]
    Voyez notamment la désignation de M. Theunis, le 22 mars 1935, M. Tschoffen, le 22 septembre 1944, M. de Schryver, après les élections du 17 février 1946 et du Ier juin 1958.
  • [3]
    Sauf le parti social-chrétien de 1950 à 1954.
  • [4]
    C’est le cas notamment de M. Achille Van Acker (le 12 février 1945, le 31 mars 1946 et le 23 avril 1954) de M. Huysmans (3 août 1946) et de H. Van Houtte (15 janvier 1952, M. Eyskens (4 juin 1958).
  • [5]
    Résolution du Conseil général du P.O.B. du 4 mars 1924, A.P. Ch., 19.3.1924, p. 673 et s. et 683 et s., intervention de MM Hubin et Destrée.
  • [6]
    Voyez notamment la désignation de M. Delacroix le 22 novembre 1918, de M. Theunis, le 5 décembre 1921 et le 16 novembre 1934, de M. Van Zeeland, le 23 mars 1935.
  • [7]
    Sauf peut-être M. Pholien le 16 août 1950, après l’effacement de Léopold III, et encore, les réactions internes du P.S.C. n’y sont pas étrangères.
  • [8]
    Voyez l’attitude du Roi Albert entre le 27 février et le 6 mars 1924 lors du choix du premier ministre Theunis (Höjer, op. cit., p. 140).
  • [9]
    Höjer, op. cit., p. 208.
  • [10]
    ex. : M. Hubert dans le gouvernement Theunis, v. la presse des 13 et 14 décembre 1921, MM. Hymans, Devèze, Janson, Forthomme, le 18 décembre 1932. Höjer, op. cit. p. 208 ? 212.
  • [11]
    Sur la crise de Lophem, voir C.H. Höjer, le régime parlementaire belge, p. 63 à 90. Sur le Conseil national, idem, p. 79.
  • [12]
    V. résolution des gauches libérales du 16 octobre 1918, résolution du conseil général du P.O.B. du 30 octobre 1918 et du 18 novembre ? Höjer, p. 79 et 87.
  • [13]
    V. Höjer, p. 102 ? 103.
  • [14]
    idem, p. 112.
  • [15]
    L’intervention du Roi fut particulièrement active au cours des négociations. Le cabinet du Roi publia des communiqués le 15 et le 23 mai 1926.
  • [16]
    MM. Gutt et A.E. Janssen.
    En outra, il faut citer les ministres De Voghel (Banque Nationale) et J. Vauthier (Liquidateur d’organismes financiers issus de la guerre, occupant actuellement une fonction importante à la Banque de Bruxelles.)
  • [17]
    Surtout au sein du parti catholique.
  • [18]
    Il est lui-même propriétaire et dirigeant d’une importante exploitation agricole.
  • [19]
    M. Vermeylen, avocat et professeur à l’U.L.B., dirige une importante revue de droit communal l’"Encyclopédie de jurisprudence en matière d’affaires communales. Edition U.G.A.".
  • [20]
    V. Le Soir, du 13 juin 1936.
  • [21]
    Léopold III, Dumont, p. 174.
  • [22]
    Le Flambeau, juillet 1936, p. 114 et s.
  • [23]
    24 sièges sur 202.
  • [24]
    Léopold III, Dumont, p. 209.
  • [25]
    Sur la crise du régime, V. C.H. Höjer, op. cit. p. 362, note.
  • [26]
    A.P. Ch., 17-18 mai 1938, p. 1613 ? A.P. Sén. 19 mai <?>1936, p. 1380.
  • [27]
    Dévèze, Le Soir, du 25 mai 1938.
  • [28]
    Van Cauwelaert, Le Soir, du 29 juin 1938.
  • [29]
    Il démissionna le 9 février 1939.
  • [30]
    A.P. Ch., 18 mai 1938, p. 1637.
  • [31]
    Léopold III, Dumont, p. 227 et 237.
  • [32]
    Le 9 janvier 1940. Comité directeur de la ligue nationale des travailleurs chrétiens. ? Le 7 janvier 1940. Comité permanent du parti libéral (Le Soir du 17 janvier 1940).
  • [33]
    A.P. Ch. 17.1.1940, p. 324 ? A.P. Sén. 17.1.1940, p. 309.
  • [34]
    Le professeur Mast en compte cinq. Nous n’avons pas tenu compte des deux votes qui renversèrent, dès leur constitution, les gouvernements minoritaires de M. Van de Wyvere, le 20 mai 1925, et de M. Spaak le 20 mars 1946. Nous avons également néglige de compter la crise du 6 juin 1934 qui provoqua un simple remaniement du gouvernement de Broqueville. (Journal des Tribunaux ? 18.12.1949 p.658)
  • [35]
    C.H. Höjer, op. cit., p. 138.
  • [36]
    incident Rolin-Van Glabbeke.
  • [37]
    M.C. Huysmans.
  • [38]
    Le Roi, absent, ne reçut la lettre de démission que le 2 novembre 1920.
  • [39]
    C.H. Höjer, op. cit., p. 109.
  • [40]
    Il y eut, en novembre 1930 et en janvier 1931, deux crises avortées dont le motif était la question linguistique et notamment le problème de la flamandisation de l’université de Gand.
  • [41]
    C.H. Höjer, op. cit. p. 198.
  • [42]
    Voir infra, p. 4.
  • [43]
    "Le Soir" du 8 février 1945.
  • [44]
    Voyez l’appréciation de "La Nation Belge" du 14 avril 1954.
  • [45]
    A.P. Ch., 10-11 mai 1938, p. 1562 ? Démission des ministres catholiques conservateurs, le 12 mai, démission du gouvernement entier, le 13 mai 1938.
  • [46]
    Voir supra, chapitre IV, p.
  • [47]
    Nous n’avons pas compté dans les 22 crises, la démission du gouvernement P.S.C.-P.S.B. de M. Spaak le 18 novembre 1948. Le gouvernement démissionna devant les ordres du jour contradictoires déposés par les groupes P.S.C. et P.S.B. de la Chambre, lors d’une interpellation au sujet de la grâce accordée par le ministre de la Justice à deux tueurs condamnés à mort pour faits commis sous l’occupation allemande. Le gouvernement très légèrement remanié, se reconstitua immédiatement. Le ministre de la Justice démissionna avant que la Chambre ne passe au vote. A.P. Ch. 18 novembre 1948, p. 27.
  • [48]
    A.P. Ch. 23 juin 1925 et jours suivants.
  • [49]
    Voir Histoire économique de la Belgique, Baudhuin, p. 160.
  • [50]
    sur la crise ministérielle belge, voyez C.H. Höjer op. cit., p. 235.
  • [51]
    Annales parlementaires Chambre, 7 août 1937, p.
  • [52]
    Voir C.H. Höjer, op. cit. p. 265 ? 267.
  • [53]
    voir C.H. Höjer, op. cit., p 315.
  • [54]
    Il y a des exceptions. Le gouvernement de M. Pierlot, constitué en février 1939, ne comptait plus que deux anciens ministres. Celui de M. Pholien, au mois d’août 1950, n’en comptait que deux également.
  • [55]
    avec seulement une interruption de quelques mois, du mois de janvier au mois de septembre 1939.
  • [56]
    gouvernement Theunis du 16.13.1921 au 13.5.1925 ; du 22.11.1927 au 20.11.1934, deux gouvernements Jaspar, gouvernement Renkin, gouvernement de Broqueville, gouvernement Theunis ; du 18.4.1939 au 3.9.1939, gouvernement Pierlot ; de août 1949 à juin 1950, gouvernement Eyskens, c’est-à-dire 13 ans de collaboration.
  • [57]
    le gouvernement Theunis du 16.12.1921 au 13.5.1925 ; le gouvernement Jaspar du 22.11.1927 au 6.6.1931.
  • [58]
    du 21.11.1918 au 20.11.1920, deux gouvernements Delacroix, gouvernement Carton de Wiart ; du 20.5.1926 au 22.11.1927, gouvernement Jaspar ; du 25.3.1935 au 22.2.1939, deux gouvernements Van Zeeland, gouvernement Janson, gouvernement Spaak ; du 3.9.1939 au mois de juillet 1945, gouvernement Pierlot, gouvernement de Londres, gouvernement Pierlot après la libération, gouvernement Van Acker, soit en tout plus de 11 ans de collaboration, y compris 5 ans de guerre.
  • [59]
    Poullet-Vandervelde du 17.6.1925 au 20.5.1926 ; Pierlot du 22.2.1939 au 18.4.1939.
  • [60]
    P.-H. Spaak du mois de mars 1947 au mois de juin 1949.
  • [61]
    Gouvernement Van Acker qui comptait des catholiques indépendants (U.D.B) sans représentation parlementaire et qui devaient échouer totalement aux élections de février 1946 ; un second gouvernement Van Acker, après un essai infructueux de gouvernement socialiste homogène de P.H. Spaak ; un gouvernement Huysmans.
Français

En 1958, la Belgique a connu trois gouvernements différents. Tous les départements ont eu au moins deux titulaires mais le Commerce Extérieur, les Colonies, l’Instruction Publique, l’Intérieur, la Justice, la Santé Publique et la Famille, en ont eu trois. En 1958, le département des Affaires Economiques a été géré par quatre ministres différents.
De 1918 à 1958, la Belgique a connu 23 crises gouvernementales de caractère politique (à l’exclusion de celles qui surviennent normalement après les élections législatives).
Le phénomène des crises gouvernementales a donc sérieusement marqué le déroulement de la vie politique belge. Comment ce forment les gouvernements ? Quels sont les causes et les mécanismes des crises ministérielles ? Telles sont les deux questions étudiées ici par F. PERIN. L’étude couvre la période 1918-1958.

François Perin
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/01/2015
https://doi.org/10.3917/cris.004.0001
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