CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Le Conseil d’Etat est en fonction depuis 36 ans.

2Cette institution, mi-tribunal administratif, mi-conseil juridique du gouvernement et du pouvoir législatif, n’a pas exagérément retenu l’attention de l’opinion publique.

3Les tensions communautaires et linguistiques récentes, dans les affaires des Fourons et de la périphérie bruxelloise, l’initiative du député C.V.P., Luc Van den Brande, relative à la régionalisation des secteurs nationaux, l’agitation politique de l’opinion flamande autour de Cockerill-Sambre, la loi du 5 mars 1984 sur le financement des secteurs nationaux, ont projeté le Conseil d’Etat à l’avant-scène de l’actualité politique. On sait quelle importance la presse et les média ont attachée aux litiges relatifs au bourgmestre de Fouron, José Happart, au bourgmestre de Linkebeek, Roger Thiery, et aux membres du Centre Public d’Aide sociale de Wezembeek-Oppem. En ce qui concerne la section de législation, les avis du Conseil d’Etat sur la proposition de loi Galle sur l’usage des langues par les élus des communes à régime linguistique spécial, ainsi que l’avis donné sur les divers projets de lois qui ont finalement engendré la loi du 5 mars 1984 sur le financement des secteurs nationaux ont attiré l’attention de l’opinion publique sur le Conseil d’Etat avec plus d’acuité que jadis.

4L’institution est relativement mal connue par le public. La presse ne fait allusion à ses attributions que d’une manière incidente, à l’occasion des événements qu’elle relate.

5Les approximations et les erreurs ne sont donc pas rares.

6Le Conseil d’Etat n’est pas un corps politique. Mais l’exercice de ses fonctions peut avoir une influence politique.

7Comme pour tous les corps constitués, les nominations, depuis que le Conseil d’Etat existe, ont tenu compte d’un certain équilibre des opinions mais ni plus ni moins qu’à la Cour de Cassation. C’est donc bien les fonctions du Conseil d’Etat qui mêlent l’institution aux remous politiques plus que la personne de ses membres dont l’indépendance n’est pas contestée.

8Le moment paraît donc opportun pour retracer en un Courrier Hebdomadaire l’histoire du Conseil d’Etat depuis l’origine de sa conception jusqu’à ce jour.

I – Origine historique

9Le Conseil d’Etat tire son origine historique dans les institutions du régime français sous Bonaparte.

10Ce Conseil de la Couronne impériale bien que dans la dépendance du gouvernement de l’Empereur a joué un rôle juridique très considérable. Il est l’auteur des grands codes et des lois fondamentales qui vont retracer la structure judiciaire et administrative de la France mais aussi par mimétisme de maints pays d’Europe.

11Le Conseil d’Etat est l’auteur du Code civil, du Code pénal, des Codes de procédure et d’organisation judiciaire. Il joue aussi le rôle de l’administration mieux informée qui corrige les fautes et les erreurs de l’administration. Les régimes successifs de la France de 1789 à 1815 rencontrent des résistances très considérables. Les divers pouvoirs qui se succèdent estiment tous que l’administration de l’Etat ne peut pas être soumise comme n’importe quelle autre personne juridique aux jugements des tribunaux du pouvoir judiciaire. Napoléon, comme ses prédécesseurs, est persuadé, probablement à juste titre, que l’installation des nouvelles structures juridico-administratives serait sinon paralysée mais très gravement freinée par une multitude de procédures introduites contre elle devant les cours et tribunaux, par des partisans de l’ancien régime.

12Les pouvoirs révolutionnaires successifs vont curieusement prolonger une tradition juridique française en vertu de laquelle il était interdit aux juridictions de l’ordre judiciaire de juger les contestations où l’Etat et les autres personnes de droit public étaient intéressées. Des édits du XVIIème siècle portant cette interdiction sont significatifs des résistances que rencontrait déjà, sous le règne des Rois Louis XIII et Louis XIV, la croissance du pouvoir central. Cette tradition juridique française est maintenue sous la Restauration et illustrée notamment par le juriste Henrion de Pansey. Toutefois, pour éviter que les erreurs de l’administration ne subsistent sans correctifs, le Conseil d’Etat sous l’Empire est également chargé de rectifier ces erreurs commises au détriment des particuliers. Mais le Conseil d’Etat n’est pas encore à ce moment une juridiction indépendante du pouvoir ; ses décisions ne sont exécutées que si le gouvernement de l’Empereur le veut bien.

13Les structures de l’Empire français sont maintenues dans les Pays-Bas indépendants sous le règne de Guillaume d’Orange de 1815 à 1830.

14Elles représentent donc pour les constituants et les membres du premier pouvoir législatif belge entre 1830 et 1834 une séquelle d’un pouvoir jugé autoritaire et contre lequel la révolution a été faite. L’œuvre révolutionnaire étant accomplie pendant les quarantes années qui séparent la Révolution française de la Révolution belge de 1830, la classe politique belge ne va plus redouter que le pouvoir judiciaire paralyse l’implantation des nouvelles structures juridiques et administratives. Il ne reste rien des organisations politiques, judiciaires et administratives de l’Ancien régime. Il n’y a donc plus de risques de voir des tenants du passé utiliser les chicanes de la procédure judiciaire pour tenter d’empêcher l’implantation dans les mœurs des nouvelles idées et des nouvelles habitudes. En outre, le pouvoir judiciaire n’inspire plus aucune méfiance aux constituants. Au contraire, dans une conception très libérale du nouveau régime politique, les constitutants mettent tous leurs espoirs dans ce pouvoir judiciaire, désormais indépendant du pouvoir politique, pour qu’il joue efficacement son rôle de protecteur de la liberté des individus.

15Dans un discours fameux devant la Cour d’appel de Bruxelles, le 26 avril 1834, l’Avocat général Barbanson rappelait : “qu’il a été manifestement dans le vœu de la Constitution de placer les droits de tous sous la protection du pouvoir judiciaire et de le rendre l’arbitre entre le citoyen et le pouvoir. Il n’est pas possible de soutenir que la justice ordinaire instituée pour qu’on ne puisse ravir à un citoyen un seul jour de sa liberté, un seul denier de sa fortune, sans un jugement rendu au milieu de toutes les garanties de défenses et de publicité, soit impuissante pour arrêter l’abus de la force publique et les excès les plus condamnables du Gouvernement envers les citoyens”[2].

16Il n’y avait donc pas place, dans une telle conception, pour un Conseil de la Couronne qui se serait contenté d’exhorter le gouvernement du Roi de corriger les erreurs de l’administration contre laquelle des particuliers auraient porté plainte devant lui. Autrement dit, ceux qui créèrent le système constitutionnel belge ne faisaient aucune confiance au gouvernement et à l’administration en général pour qu’elle corrige spontanément ses erreurs et les répare sans y être contrainte par un jugement.

17En outre, jaloux de ses prérogatives, le Parlement qui se considérait comme la principale branche du pouvoir législatif, ne voulait pas s’adjoindre un Conseil d’Etat qui eut joué auprès de lui le même rôle créateur que le Conseil d’Etat Napoléonien. La classe politique de l’époque pensait d’ailleurs que cette immense œuvre législative devait suffire pour longtemps et que le pouvoir législatif belge n’aurait qu’un travail fort modeste à fournir. Ce fut d’ailleurs vrai pendant plusieurs décennies.

18Il y eut pourtant plusieurs propositions de création d’un Conseil d’Etat consultatif, par exemple celle déposée en 1831-1832 par le sénateur Degorge-Legrand [3]. Ce projet fut adopté au Sénat par deux voix de majorité mais ne fut pas discuté à la Chambre. Une nouvelle proposition fut déposée en 1855 par le Baron d’Anethan, le prince de Ligne et MM. Forgeur et Savart ; ce projet, voté par le Sénat, ne fut pas non plus discuté par la Chambre des Représentants.

19Les propos des opposants sont significatifs de l’état d’esprit de l’époque. Par exemple, le Comte de Robiano se déclara un adversaire déterminé de la loi en ces termes : “D’ailleurs, Messieurs, aurons-nous à perpétuité des lois à préparer ? Non, certes. La plupart de celles qu’attend la Belgique sont toutes prêtes… si le Conseil d’Etat doit être utile, fermez les deux Chambres et inscrivez sur la porte : Maison à louer”[4]. Un autre opposant le Comte d’Ansembourg s’exprima avec autant de véhémence : “Douze sangsues qui nous saigneront pour l’éternité, excèdent tout ce que la médecine la plus exténuante puisse jamais prescrire au corps humain. Je ne veux pas plus de sangsues pour le corps politique que pour le corps humain …”[5].

II – Le malaise judiciaire du XIXème siècle. La théorie de la séparation des pouvoirs et ses conséquences

20Le régime constitutionnel belge est fondé sur la doctrine libérale de la séparation des pouvoirs. Cette doctrine a surtout pour objectif de rendre les juges indépendants du pouvoir politique dans un souci de protection de l’individu, mais cette doctrine a également pour conséquence d’interdire aux divers pouvoirs de s’ingérer dans l’exercice des attributions des autres.

21Un arrêt de la Cour d’appel du 14 août 1845 [6] rappelle que : “une disposition qui caractériserait de la part de l’autorité judiciaire un acte de suprématie d’un des pouvoirs sur l’autre serait une invasion par voie de commandement dans un domaine ou le cercle des attributions de l’autre”. L’article 237 du Code pénal punit d’ailleurs d’emprisonnement, d’amende et condamne à l’interdiction d’occuper quelque emploi et office public que ce soit pendant cinq à dix ans, des membres des cours et tribunaux qui se seraient immiscé dans l’exercice du pouvoir législatif, ou encore qui auraient excédé leurs pouvoirs en s’immisçant dans les matières attribuées aux autorités administratives soit en faisant des règlements sur ces matières, soit en défendant d’exécuter les ordres émanés de l’administration [7].

22Chaque fois qu’un particulier s’adressait aux tribunaux pour obtenir des dommages et intéreêts en invoquant une faute d’une administration publique quelconque, les tribunaux du XIXème siècle hésitaient à se prononcer de peur d’empiéter sur les attributions d’un autre pouvoir. Bien que la doctrine du juriste français Henrion de Pansey ait été nettement récusée par les constituants, la magistrature belge n’en a pas moins été influencée par la jurisprudence française. Le pouvoir judiciaire de la France récusait sans doute sa compétence pour juger l’administration. Mais cette attitude ne laissait pas l’administré démuni puisque celui-ci pouvait s’adresser au Conseil d’Etat que les régimes successifs du XIXème siècle vont maintenir et renforcer.

23Cette solution de rechange n’existait pas pour l’administré du Royaume de Belgique. Devant les conséquences fâcheuses de ces principes, la magistrature belge a tenté au XIXème siècle d’en atténuer les conséquences. Les tribunaux belges s’estimaient autorisés à condamner l’administration publique à des dommages et intérêts pour faute commise au préjudice d’un particulier quand ils avaient affaire à la “personne civile” de l’administration. Mais ils se déclaraient incompétents quand ils estimaient avoir affaire à la “puissance publique”. Mais comment distinguer dans l’administration entre les deux faces de ce Janus ?

24La jurisprudence de l’époque montre à quel point les tribunaux ont louvoyé d’un pôle à l’autre. Quand l’Etat belge créa les chemins de fer, le risque de faute portant préjudice à autrui à la suite d’une fausse manœuvre devient évident. Aussi, puisque certains chemins de fer étaient propriété d’Etat (la Société Nationale des Chemins de Fer ne fut créée qu’en 1926) [8], l’Etat-personne civile a toujours été engagé face aux victimes éventuelles des accidents de chemins de fer. Le critère pour dégager la personne civile de la puissance politique en l’espèce est significatif du langage et de l’état d’esprit d’une époque : le Procureur général Mesdach de Ter Kiele estimait que lorsque l’on avait à faire à l’Etat propriétaire des chemins de fer, la personne civile pouvait être mise en cause parce que “le personnel des chemins de fer n’était composé que de tâcherons vulgaires”[9]. Ce critère social parfaitement arbitraire ne put éviter les incohérences puisqu’il résulte de la jurisprudence de la même époque que les éclusiers, les préposés à la manœuvre des ponts, les pilotes, les agents préposés à la navigation intérieure, comme les cantonniers et les surveillants de la voirie sont les agents de la puissance publique : par conséquent, les procès des particuliers dirigés contre l’administration dont ils sont les agents se heurtent à une décision d’incompétence du pouvoir judiciaire.

25La haute magistrature de la Cour de cassation ne recule pas à cette époque devant les métaphores littéraires, fruits d’une conception superficielle et formelle des humanités anciennes et des études de droit au XIXème siècle. En effet, les agents d’administration, que nous venons de citer, évoquent dans la bouche du Procureur général à la Cour de cassation, Mesdach de Ter Kiele, “les licteurs dont à Rome et plus tard les Consuls se faisaient précéder”[10].

26Quand un agent d’un service public est-il revêtu de la dignité d’un “Munus publicum” ? La question s’est posée gravement pour les techniciens qui manœuvrent les grues hydrauliques du port d’Anvers, propriété communale. Pouvait-on les considérer avec noblesse comme des “licteurs” de la Rome antique ou au contraire comme des ouvriers techniciens de l’époque industrielle contemporaine ? “Licteurs” en 1893, c’est-à-dire immunisant leur administration contre tout procès pour préjudice causé à autrui, ils redeviennent ouvrier technicien en 1900 et leur administration est rendue responsable de leurs fautes. Ces tergiversations et ces contradictions finirent par excéder le monde des justiciables et leurs défenseurs. On reparla de la création d’un Conseil d’Etat à la manière française dès le début du XXème siècle. Il est vrai qu’en France, avec la IIIème République, le Conseil d’Etat cesse d’être un Conseil de la Couronne et devient une juridiction administrative qui statue souverainement sur les recours en matière contentieuse administrative et sur les demandes d’annulation pour excès de pouvoir formés contre les actes des diverses autorités administratives [11].

27Le Conseil d’Etat français cesse d’être un épouvantail symbolisant l’autorité du Prince pour devenir une juridiction protectrice des administrés au même titre que le pouvoir judiciaire.

III – La tentative de 1920 et ses conséquences sur la jurisprudence de la Cour de cassation

28Dès le lendemain de la première guerre mondiale, le Parlement fut saisi d’une proposition de réviser la Constitution de façon à installer en Belgique un Conseil d’Etat [12]. Le gouvernement lui-même avait chargé une Commission de spécialistes de préparer un avant-projet de modifications à apporter à la Constitution. L’on trouve dans cette Commission M. Goddyn, conseiller à la Cour de cassation qui la présidera plus tard, et Paul Leclerc, Premier avocat général à la Cour de cassation, et qui deviendra son Procureur général. On y trouve en outre des professeurs à l’Université de Louvain et de Bruxelles ainsi que certains hauts fonctionnaires tels que Louis Wodon, secrétaire général du Ministère des Affaires économiques et professeur à l’U.L.B. ainsi que Henri Velge, Chef du Cabinet du Premier ministre et qui deviendra en 1947 le premier président du Conseil d’Etat.

29Ces initiatives, assez spectaculaires, eurent des effets immédiats sur la jurisprudence de la Cour de cassation. Les nouvelles Chambres, issues pour la première fois du suffrage universel, n’avaient pas encore abordé le problème de la création d’un Conseil d’Etat quand la Cour de cassation rendait plusieurs arrêts, notamment le 19 avril et le 5 novembre 1920, sur les conclusions de l’Avocat général Paul Leclercq. La Cour mettait fin spectaculairement aux hésitations du XIXème siècle et déclarait que les autorités publiques, personnes de droit public, étaient toujours responsables civilement de la lésion d’un droit donnant ouverture à des dommages et intérêts (sur la base des articles 1382 et suivants du Code civil). Tranchant ainsi le nœud gordien malgré la séparation des pouvoirs, la Cour rendait inutile la création d’une Cour du contentieux administratif qui aurait suppléé à la carence des cours et tribunaux du pouvoir judiciaire. Lorsque la Commission de la révision de la Constitution de la Chambre des Représentants aborda le problème le 20 mai 1921, elle ne pouvait que constater que la Cour “avait restitué aux tribunaux judiciaires la plénitude de juridiction qu’ils n’avaient pas voulu reconnaître”[13]. Au besoin, ajoutait le rapport de la Commission : “en vue d’écarter les controverses de la doctrine et les fluctuations de la jurisprudence, une loi ordinaire pourrait déterminer la responsabilité de l’Etat et de ses agents devant le pouvoir judiciaire”.

30Restait à examiner l’opportunité de créer un Conseil d’Etat consultatif en matière législative. La Commission de la Chambre émit l’opinion que “la confection des lois si souvent critiquées, et à bon droit, pouvait être améliorée par les moyens dont disposent le législateur ordinaire et le gouvernement sans révision de la Constitution”. Restait enfin à examiner l’opportunité de créer une juridiction capable d’annuler pour excès de pouvoirs les actes des autorités administratives, y compris les arrêtés royaux.

31La Commission gouvernementale créée par arrêté du 8 janvier 1921 avait proposé que ce pouvoir d’annulation soit donné directement à la Cour de cassation en révisant l’article 106 de la Constitution [14]. La Commission de la Chambre des Représentants repoussa cette proposition parce que “elle porterait atteinte au principe fondamental du droit constitutionnel de la Belgique, la séparation des pouvoirs. Le Congrès de 1830 s’est efforcé de la réaliser par des dispositions précises ; il a donné au pouvoir judiciaire une organisation destinée à le défendre contre les usurpations commises, sous les régimes antérieurs, par le pouvoir exécutif à l’égard des cours et tribunaux et il y a réussi ; il ne faut pas aujourd’hui, déplaçant les limites fixées, armer le pouvoir judiciaire d’un droit qui pourrait lui permettre d’entraver à son tour l’exercice du pouvoir exécutif”[15].

32La Commission estimait d’ailleurs que la Constitution avait déjà donné aux cours et tribunaux le droit de refuser d’appliquer les actes des autorités administratives contraires aux lois et que cela suffisait pour protéger les droits des particuliers.

33En outre, la Constitution permettait de toute façon à la loi ordinaire de créer des juridictions administratives pour connaître les litiges sur tous droits quelconques qui ne seraient pas des droits civils (art. 93 et 94 de la Constitution).

34Le Parlement constituant de 1920 en conclut qu’il n’y avait pas lieu de réviser la Constitution et les deux Chambres ont pris acte qu’il n’y avait aucune proposition introduite devant les deux assemblées [16].

IV – L’accalmie

35Pendant 16 ans, il y eut en la matière une longue accalmie au cours de laquelle le problème ne fut plus soulevé. La nouvelle jurisprudence du pouvoir judiciaire semblait avoir apaisé les plus grandes inquiétudes encore que le problème de la séparation des pouvoirs n’a pas cessé de se poser comme limite au droit du pouvoir judiciaire de qualifier de faute une décision de l’administration. Mais l’analyse de cette jurisprudence est d’une très grande complexité et est désormais étrangère au sujet abordé ici c’est-à-dire la création d’un Conseil d’Etat.

V – La création du conseil d’Etat

36De nouvelles initiatives sont prises à partir des années 1936. Le régime constitutionnel belge est en crise et de nombreux projets de réforme voient le jour. Le malaise s’exprime par de nombreux travaux de doctrine [17]. Il se manifeste notamment sur deux points : la complexité grandissante de la législation et la nécessité de la coordination. D’autre part, les attributions de l’Etat n’ont cessé de croître sous l’influence des mouvements d’opinion en faveur de l’Etat de bien-être et de protection sociale. La crise économique oblige l’Etat à intervenir d’une façon active. La crainte de voir l’administration en général commettre des erreurs sans qu’il y soit porté remède, s’amplifie considérablement. La garantie traditionnelle résultant de la Constitution en vertu de laquelle les cours et tribunaux refusent d’appliquer les actes administratifs irréguliers ne satisfait plus. La nécessité d’une cour capable d’annuler, directement sur demande des particuliers, les actes irréguliers est à nouveau invoquée dans la doctrine : le plaidoyer de la Commission gouvernementale créée le 8 janvier 1921 refait surface. En outre, beaucoup s’inquiètent de savoir si la réparation des fautes commises par l’administration dans le cadre des dommages et intérêts prévus par le Code civil est suffisant en équité. L’action légitime et non fautive de l’administration peut créer des situations qui rompent le principe de l’égalité des charges du citoyen devant l’action des pouvoirs publics. “A la responsabilité pour faute, sanctionnée par les tribunaux civils, pourrait s’opposer une responsabilité pour risque admise dans certains cas par une cour du contentieux administratif”[18]. Le droit civil est largement dépassé, la cour du contentieux administratif statuerait en équité. Elle “examine tous les intérêts en cause, tant ceux des particuliers que ceux de l’administration et du Trésor public. Elle peut accorder ou refuser les dommages et intérêts ou n’allouer qu’une réparation partielle”(18).

37Ce contentieux d’indemnité au-delà du droit civil prit une assez grande importance dans les travaux parlementaires préalables à la loi du 23 décembre 1946 portant création d’un Conseil d’Etat. Les premières initiatives datent de 1936 mais il faut tenir compte de l’interruption de ces travaux due à la menace de guerre, à la guerre et à l’occupation, et aux urgences imposées par l’immédiat après-guerre (1939-1945).

38Le pouvoir législatif reprit intégralement les arguments du Centre d’étude de la réforme de l’Etat sur l’utilité d’une section de législation d’une part et d’une section d’administration d’autre part capable d’annuler tout acte irrégulier d’une autorité administrative, arrêté royal compris, et d’accorder une indemnité pour préjudice exceptionnel.

39Il est curieux de constater que les parlementaires donnèrent beaucoup d’exemples qui ne furent pas suivis par la jurisprudence du Conseil d’Etat de 1948 à nos jours : l’exemple type est le déplacement d’une gare. Ce déplacement résultant de travaux publics décidés en toute compétence par l’Etat peut évidemment léser les intérêts d’hôteliers et de restaurateurs alors que l’Etat ne commet aucune faute en l’occurrence. Après son installation en 1948, jamais le Conseil d’Etat n’a donné un avis favorable à l’octroi d’une indemnité pour préjudice exceptionnel dans un cas de ce genre ni dans tout autre cas similaire comme la construction d’une autoroute, d’un pont ou de tout autre ouvrage d’intérêt public qui peut léser les intérêts des propriétaires ou locataires d’immeubles ou d’établissements dont la situation change du tout au tout par les travaux publics entrepris [19].

40Le législateur, prudent et craignant sans doute pour les deniers publics ne donna d’abord au Conseil d’Etat qu’une compétence d’avis pour ce contentieux d’indemnité. La jurisprudence du Conseil d’Etat fut si timide et les avis favorables à un particulier furent si rares et portant sur des indemnités de montants si modestes que la loi du 3 juin 1971 transforma sans crainte ce pouvoir d’avis en un pouvoir d’arrêt. Il avait été démontré que le budget d’Etat ne courait aucun risque. Mais il en résulte que les motivations qui ont animé les milieux politiques et parlementaires pour instaurer un Conseil d’Etat étaient partiellement fondées sur des illusions.

41Le seul problème constitutionnel débattu fut la question de savoir si le Conseil d’Etat pouvait annuler un arrêté royal. Le professeur Kluyskems de l’Université de Gand, sénateur, soutint jusqu’au bout qu’il fallait, pour ce faire, une révision de la Constitution. Les deux Chambres passèrent outre à une forte majorité grâce à une fiction juridique couverte, il est vrai, par l’autorité morale et scientifique des membres du Centre d’études de la réforme de l’Etat de 1936. En 1920-1921, le Parlement refusa de donner ce rôle à la Cour de cassation au nom de la séparation des pouvoirs. Il suffisait donc de confier ces pouvoirs à une juridiction administrative qui ne faisait pas partie du pouvoir judiciaire et on déclara sans plus d’embarras que le Conseil d’Etat faisait partie du pouvoir exécutif et que par conséquent l’argument de la séparation des pouvoirs ne pouvait plus être évoqué.

42Or, le Conseil d’Etat est doté d’un statut d’indépendance à l’égard du gouvernement, égal à celui de la magistrature ordinaire. La qualité “d’organe du pouvoir exécutif” est donc purement fictive. Le Centre d’études de la réforme de l’Etat avait procédé par simple affirmation : “La future cour du contentieux administrative sera un organe du pouvoir exécutif. Il importe toutefois que ses membres jouissent de la plus complète indépendance. C’est pourquoi la Commission repousse l’idée d’y inclure des représentants officiels de l’Administration. Elle insiste d’autre part sur la nécessité d’assurer aux membres la garantie de l’inamovibilité. Pour bien accomplir sa mission, la cour du contentieux administratif doit bénéficier d’un grand prestige : il faudra en tenir compte dans le recrutement des membres. Ceux-ci devront être choisis dans des milieux qu’il ne faut pas trop limiter, parmi des juristes ayant prouvé leur valeur scientifique et l’indépendance de leur caractère. Ce recrutement sera plus aisé si l’on peut promettre aux candidats éventuels un traitement qui leur permet de tenir leur rang avec dignité et des honneurs qui les classent favorablement dans la hiérarchie sociale”[20]

43En réalité, le Conseil d’Etat est un autre pouvoir qui ne se classe au sein d’aucun des trois pouvoirs traditionnels : le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire. Pour la bonne forme, il eut donc mieux valu une révision de la Constitution. Cette révision fut proposée après coup depuis 1965 jusqu’à ce jour, sans qu’aucune suite n’ait été donnée par les Chambres constituantes successives [21].

44Le Conseil d’Etat est installé en novembre 1948, les Conseillers d’Etat sont nommés au grand choix par le gouvernement sur présentation des candidats par la Chambre des Représentants (il y a alternance avec le Sénat). Les premiers conseillers furent choisis dans la magistrature, le Barreau et la Haute administration en respectant le dosage linguistique imposé par la loi et le dosage politique traditionnel résultant de nos mœurs. Les auditeurs furent recrutés au concours et les substituts à la suite d’un examen.

VI – Organisation et pouvoirs du conseil d’Etat

45Le Conseil d’Etat est composé de 24 membres à la tête desquels se trouvent un premier président et un président. Il est subdivisé en Chambres ayant à leur tête un président de Chambre, chaque chambre comprend trois conseillers dont le président. Il y a en outre un auditorat dont le rôle est de faire rapport sur les affaires ; il est composé d’une hiérarchie de magistrats à la tête desquels se trouvent un auditeur général, un auditeur général-adjoint (de l’autre rôle linguistique), de premiers auditeurs, d’auditeurs et d’auditeurs-adjoints. Il y a également un bureau de coordination dirigé par des “premiers référendaires” assistés de référendaires et de référendaires-adjoints. Il y a en outre comme dans toute juridiction un greffe avec un greffier en chef et des greffiers.

46Les conseillers d’Etat sont nommés par arrêté royal sur deux listes comprenant chacune trois candidats et présentées l’une par le Conseil d’Etat, l’autre alternativement par la Chambre des Représentants et par le Sénat. Pour être conseiller d’Etat, il faut faire preuve d’une certaine expérience (10 ans au Barreau, dans l’administration, dans les fonctions judiciaires ou dans les Facultés de droit des Universités belges). L’âge est de 40 ans. Le recrutement du Conseil d’Etat doit se faire obligatoirement pour moitié au moins parmi les membres de l’auditorat et du bureau de coordination.

47Le Conseil d’Etat est indépendant du gouvernement, ses membres sont inamovibles et ils choisissent donc en leur sein leur Premier président, leur président et leurs présidents de Chambre.

48Les membres de l’auditorat sont nommés par arrêté royal sur concours parmi les candidats âgés de 30 ans et dotés d’une expérience de trois ans au moins au Barreau, dans les fonctions judiciaires, administratives, scientifiques, universitaires. Les auditeurs-adjoints (anciennement appelés substituts dans la loi de 1946) sont recrutés à la suite d’un concours dont le Conseil d’Etat détermine les conditions et constitue le jury. Pour les autres fonctions, auditeurs, premier auditeur, auditeur général, auditeur général-adjoint, la nomination est faite par arrêté royal. Les autorités du Conseil d’Etat, auditeur général et premier président doivent donner un avis conforme (pour les auditeurs) ou au moins être entendus (pour les fonctions supérieures de premier auditeur).

49Le Conseil d’Etat est composé de deux sections, la section de législation qui donne des avis motivés sur le texte de tous avant-projets, propositions de lois et amendements à ces projets et propositions dont elle est saisie par le Président de l’une des deux Chambres législatives. En ce qui concerne le gouvernement, les ministres sont tenus de soumettre à l’avis motivé de la section tous avant-projets de lois ou d’arrêtés d’exécution organique [22] et réglementaire. Les avis sont publiés parce qu’ils doivent être annexés aux documents parlementaires des projets de loi ; lorsqu’il s’agit d’un arrêté royal et que cet arrêté fait l’objet d’un rapport, l’avis du Conseil d’Etat doit être annexé au rapport au Roi et publié au Moniteur belge. Le Conseil d’Etat doit également donner son avis sur les projets de décret depuis la création des Conseils culturels, devenus Conseils de Communauté, et des Assemblées régionales. Lorsque la section de législation donne un avis défavorable à la compétence soit d’un avant-projet de loi soit d’un projet de décret le Comité de concertation est obligatoirement saisi en vertu de la loi du 8 août 1980.

50La section de législation est composée de 12 membres du Conseil d’Etat désignés par le Premier président pour un terme de trois ans. Cette section comprend aussi des assesseurs qui ne sont pas des magistrats permanents et qui ont une fonction importante et permanente en dehors du Conseil d’Etat. Ces assesseurs sont nommés par arrêté royal pour cinq ans. Ce terme peut être renouvelé, ils sont choisis parmi des personnes compétentes en raison de leur fonction exercée dans les matières juridiques ; ils sont obligatoirement juristes.

51La section de législation est elle-même divisée en quatre Chambres : deux Chambres de langue française et deux Chambres de langue néerlandaise. Les Chambres sont composées de trois conseillers d’Etat et de deux assesseurs (sauf les cas d’urgence où la présence des assesseurs n’est pas requise). La section de législation siège en assemblée générale chaque fois que le président de l’une des Chambres législatives ou le ministre par qui elle est consultée lui en fait la demande.

52Lorsque la demande d’avis soulève une question relative aux compétences respectives de l’Etat, des Communautés ou des Régions, le Premier président, la défère aux Chambres réunies de la section. Celle-ci se compose de deux Chambres de langue différente dont six membres de la section de législation du Conseil d’Etat et de quatre assesseurs.

53La section d’administration est divisée en cinq Chambres : deux Chambres de langue française, deux Chambres de langue néerlandaise et une Chambre bilingue. Le Premier président peut constituer des Chambres de complément si cela s’avère nécessaire.

54La section d’administration est un tribunal administratif qui rend des jugements appelés arrêts. Ses compétences et son fonctionnement sont décrits plus loin. La section d’administration du Conseil d’Etat en tant que juridiction siège dans la forme habituelle des tribunaux c’est-à-dire en audience publique. La procédure est essentiellement écrite mais les avocats peuvent plaider à l’audience. Les arrêts sont lus en audience publique, la presse peut donc en assurer la répercussion dans l’opinion publique aussi vite qu’elle le désire. Depuis 1956, le membre de l’auditorat présent à l’audience donne son avis sur la manière de résoudre le litige avant que le Conseil d’Etat ne rende son arrêt.

55La loi avait également prévu une section des conflits pour trancher les conflits de compétence entre les anciens Conseils culturels et la loi. Cette section n’a jamais été mise sur pied et n’a donc rendu aucune décision. Des affaires pendantes fort peu nombreuses ont été d’office transférées à la Cour d’arbitrage par l’article 110 de la loi du 28 juin 1983.

56Les arrêts du Conseil d’Etat ne peuvent être déférés à la Cour de cassation que pour trancher un problème de compétence. La Cour de cassation ne joue donc pas à l’égard du Conseil d’Etat le rôle général qu’elle joue à l’égard des Cours d’appel. La Cour de cassation ne peut donc casser un arrêt du Conseil d’Etat que parce que celui-ci a statué sur une contestation qui ne relève pas de sa compétence, par exemple une contestation ayant pour objet un droit civil.

57La discipline des conseillers d’Etat relève de la Cour de cassation qui seule peut leur infliger une peine disciplinaire qui peut aller jusqu’à la destitution. Par contre les membres de l’auditorat peuvent être révoqués par arrêté royal.

58Le Conseil d’Etat est rattaché au point de vue budgétaire au Ministère de l’Intérieur et non comme les cours et tribunaux au Ministère de la Justice. Il a été décrit plus haut les raisons de cette fiction juridique par laquelle le Conseil d’Etat fait partie du pouvoir exécutif.

VII – La pratique du conseil d’Etat (1948-1984)

1 – L’activité de la section de législation

59La section de législation du Conseil d’Etat a interprété très largement les articles de la loi lui conférant un pouvoir d’avis. Il n’y avait pas de problèmes pour les avant-projets de loi. Mais qu’est-ce qu’un arrêté “organique” et “réglementaire” ? Le Conseil d’Etat l’a défini comme suit : “par arrêtés d’exécution organiques et réglementaires, il faut entendre les arrêtés royaux et les arrêtés ministériels qui posent des règles générales applicables à tous les citoyens ou à toute une catégorie de citoyens et qui forment ainsi une législation dérivée complémentaire”[23]. Le mot “organique” a été rendu inutile puisqu’il a été pratiquement interprété comme un pléonasme de “réglementaire” Il a été supprimé par la loi du 9 août 1980 pour que le Conseil d’Etat se prononce par avis sur la compétence de toute norme réglementaire, à titre préventif dans le cadre de la compétence respective de l’Etat, des Communautés et Régions.

60Le résultat est que la section de législation a été envahie d’un nombre important de projets d’arrêté royal ou d’arrêté ministériel d’importance mineure mais juridiquement “réglementaire”. Le mot “organique” aurait pu servir de tamis mais le critère était difficile à découvrir. Il eût suffi que la section de législation dise, cas par cas, que le projet d’arrêté n’était pas organique et de le renvoyer ainsi sans avis. Une pratique empirique eut dégorgé la section, ce qui lui aurait donné plus de temps pour examiner les textes vraiment importants.

61La section pouvait-elle donner un avis sur la constitutionnalité des avant-projets de loi ? Des opinions en sens divers furent exprimés au cours des travaux préparatoires au Parlement mais la section de législation n’hésite pas dès le début de donner son avis sur la conformité des avant-projets de loi à la Constitution. Cet avis ne lie pas le gouvernement pas plus que les avis sur la forme ou toute autre considération d’ordre juridique.

62L’influence de la section fut relativement considérable. Mais cette influence peut être qualifiée de technique. Elle n’entrava jamais ni n’embarrassa la politique gouvernementale, tout au moins jusqu’à ces derniers temps. Le gouvernement et le Parlement peuvent passer outre aux avis négatifs de la section de législation, ce qui est arrivé plusieurs fois dans des circonstances dont l’importance ne peut pas être minimisée.

63Le premier exemple fut donné par un avis défavorable du Conseil d’Etat du 13 janvier 1953 sur le traité instituant la Communauté européenne de défense ; ce traité ne fut pas mis en vigueur parce qu’il ne fut pas ratifié par l’Assemblée nationale française mais il avait en Belgique un appui politique et parlementaire très considérable : le traité fut approuvé par 148 voix contre 49 et 3 abstentions à la Chambre des Représentants le 26 novembre 1953 et par 125 voix contre 42 abstentions le 12 mars 1954 au Sénat.

64Le ministre des Affaires Etrangères s’est employé à donner des justifications pour contrer l’avis du Conseil d’Etat. D’un point de vue juridique, ses propos n’étaient guère convaincants et on se rend bien compte que le mobile politique l’emporta largement sur l’avis du Conseil d’Etat sans que celui-ci n’ait le moindre retentissement important dans l’opinion publique.

65Mais ces dernières années en raison de circonstances plus qu’en raison d’un changement de comportement des conseillers d’Etat, les avis de la section de législation ont eu un écho public plus considérable. Un exemple marquant a été donné lors de la crise politique d’août-octobre 1978. En 1978, la section de législation donna plusieurs avis sur l’important projet de loi no 461 dit “Egmont-Stuyvenberg” sur les Communautés et Régions, au gouvernement Tindemans à la tête d’une coalition P.S.C. - C.V.P. - P.S.B. - F.D.F. - V.U. Les avis donnés les 1er et 4 août 1978 [24] firent des réserves au sujet de la constitutionnalité de certains articles, notamment relatifs au droit des francophones de la périphérie bruxelloise de choisir un domicile fictif dans une des communes de l’agglomération dans le but d’y exercer leur droit administratif résultant de leur relation avec l’Etat. On sait que ces dispositions déchaînèrent une violente campagne dans la presse flamande. Aussi l’avis négatif du Conseil d’Etat fut aussitôt mentionné en première page par la presse. Notamment, le journal Le Soir titra le mardi 8 août 1978 : “Avis du Conseil d’Etat : le droit d’inscription n’est pas conforme à la Constitution actuelle”. Le Premier ministre, au nom du gouvernement, donna à la Commission spéciale de la Chambre des Représentants une réponse circonstanciée aux six avis du Conseil d’Etat, notamment aux deux derniers soulevant des objections d’ordre constitutionnel [25].

66Les 3 et 7 octobre 1978, le groupe C.V.P. de la Chambre, puis celui du Sénat, laissèrent entendre qu’ils ne voteraient que les articles conformes à la Constitution et que le reste devrait faire l’objet d’une future révision de cette Constitution.

67Le 11 octobre 1978, les présidents des partis de la majorité sauf le président du C.V.P., demandèrent formellement au Premier ministre d’engager l’existence du gouvernement par la question de confiance sur tous les articles contestés du projet de loi no 461. Le Premier ministre considéra cette intervention comme étant une manifestation de méfiance à son égard et offrit sa démission. Il en résulta la crise qui déboucha sur les élections du 10 décembre 1978 après la formation d’un gouvernement de transition en tout point semblable au précédent (sauf le Premier ministre L. Tindemans) mais présidé par P. Van Den Boeynants et dont le but était d’ouvrir la porte à une nouvelle révision de la Constitution.

68C’est la première fois que les avis du Conseil d’Etat avaient ainsi une influence d’une grande importance sur la vie politique. Mais il serait excessif de dire que le Conseil d’Etat a été à l’origine d’une crise gouvernementale et d’une dissolution des Chambres puisque, sur le fond, il était notoire que l’opinion flamand était très influencée par les campagnes de presse contre certains aspects du projet de loi no 461 et que la sensibilité des groupes C.V.P. à la Chambre et au Sénat avait été mise à vif.

69Un autre exemple significatif est le rôle joué par le Conseil d’Etat lorsque le gouvernement Martens-Gol a été investi de pouvoirs spéciaux par la loi du 6 juillet 1983. Le Conseil d’Etat donne son avis sur la loi d’habilitation elle-même. Sans en contester la constitutionnalité (le principe est entré dans les mœurs depuis 1926 ; il a été conforté définitivement semble-t-il, par un arrêt retentissant de la Cour de cassation du 3 mai 1974 qui fonde les pouvoirs spéciaux sur l’article 78 de la Constitution bien que ce dernier article date de 1831), le Conseil d’Etat entend bien en préciser les limites. Les lois d’habilitation s’exprimant souvent en termes généraux, le Conseil d’Etat a rappelé que certaines lois ne rentraient pas dans le champ d’application des pouvoirs spéciaux à moins d’une habilitation expresse et très précise du législateur : ce sont les lois touchant à l’ordre judiciaire, ou au Conseil d’Etat lui-même, aux institutions communales et provinciales, à la loi ordinaire (majorité simple du 9 août 1980) relative aux moyens des Communautés et Régions. Quant aux lois, qui comme la loi du 8 août 1980 relative aux Communautés et Régions, doivent être votées à la majorité qualifiée en raison des exigences de la Constitution, elles ne peuvent jamais faire l’objet de modification par pouvoirs spéciaux.

70Le Conseil d’Etat exerce également son contrôle par avis de la section de législation sur les projets d’arrêtés royaux pris en vertu de ces pouvoirs spéciaux. Il veille à ce que le gouvernement n’excède pas ses pouvoirs. Sans doute, le gouvernement n’est-il pas tenu de suivre les avis, mais, s’il passe outre, il prend le risque de voir l’un ou l’autre arrêté royal annulé par l’autre section du Conseil d’Etat sur recours d’une personne quelconque intéressée.

71Les avis du Conseil d’Etat ont une répercussion sur la vie politique dans la mesure où ses critiques nourrissent les attaques de l’opposition. Mais cette influence est encore plus grande si l’avis de la section de législation crée ou aggrave un malaise au sein des groupes de la majorité.

72La loi du 8 août 1980 sur les Communautés et Régions a renforcé le rôle du Conseil d’Etat en exigeant que l’avis de la section de législation soit donné même en cas d’urgence. L’avis se limite alors à l’examen de la conformité du projet à la répartition des compétences entre Etat, Communautés et Régions. Alors que les gouvernements successifs de 1948 à 1980 avaient fréquemment invoqué l’urgence, comme la loi leur en donne le droit, pour éviter la consultation du Conseil d’Etat, le système nouveau ne permet pas d’user de cette échappatoire. Si le Conseil d’Etat donne un avis défavorable sur la compétence, le Comité de concertation composé de représentants du gouvernement et des exécutifs doit être saisi.

73Puisque le gouvernement doit consulter le Conseil d’Etat pour ce motif, il juge, la plupart du temps, opportun de demander l’avis sur les autres problèmes en exigeant seulement le respect d’un délai relativement court. Lorsque le gouvernement agit de cette façon, la section de législation réagit avec la formule devenue sacramentelle : “eu égard au bref délai qui lui est imparti pour donner son avis, force est au Conseil d’Etat de se limiter aux observations suivantes”[26].

74La loi du 5 mars 1984 relative aux soldes et aux charges du passé des Communautés et des Régions et aux secteurs économiques nationaux a fait l’objet d’importantes considérations de la section de législation du Conseil d’Etat.

75Tout d’abord le gouvernement a tenté de résoudre le problème par arrêté royal fondé sur les pouvoirs spéciaux, mais dans son avis du 4 novembre 1983, la section de législation a estimé que les principaux articles du projet d’arrêté royal ne trouvaient pas leur fondement dans la loi de pouvoirs spéciaux du 6 juillet 1983, et le gouvernement se résigna à élaborer un projet de loi. Il dut s’y reprendre à plusieurs reprises, car dans son avis du 14 décembre 1983 sur un premier projet de loi, le Conseil d’Etat estima que si ce projet avait en effet pour objet de modifier formellement la loi du 9 août 1980 (votée à la majorité simple), il remettait en cause l’économie du système résultant de l’article 107 quater de la Constitution et de la loi spéciale du 8 août 1980 (votée à la majorité qualifiée). La section concluait que le projet devait dès lors être adopté à la majorité spéciale prescrite par la Constitution. Or le gouvernement ne disposait pas au Parlement d’une telle majorité : il retira son projet et élabora un nouveau projet qui fit l’objet d’un nouvel avis du 25 janvier 1984. Mais le Conseil d’Etat persista à juger que le système proposé par le gouvernement n’était pas compatible avec celui de l’article 107 quater de la Constitution et que le gouvernement devait obtenir la majorité spéciale au Parlement. On comprend dans ces conditions que les avis successifs du Conseil d’Etat ont fait la “Une” des journaux et que les remous politiques provoqués par ces avis ont été considérables. Finalement le pouvoir législatif a passé outre, après un tumultueux débat au Parlement sur la question de savoir si le projet devait être adopté à la majorité qualifiée ou à la majorité simple.

76L’avis du Conseil d’Etat sur une proposition de loi émanant du député socialiste flamand M. Galle, dans un avis de la section de législation donné le 25 janvier 1984 eut également un grand retentissement.

77La proposition de loi avait notamment pour objet d’imposer la connaissance du néerlandais pour les conseillers communaux élus dans les communes de la périphérie bruxelloise et de la frontière linguistique faisant partie de la région linguistique néerlandaise. Dans son avis, le Conseil d’Etat exposa les deux thèses : la première la plus proche des thèses francophones et la deuxième qu’il fit sienne et selon laquelle l’article 3bis de la Constitution doit être interprété comme imposant directement la connaissance de la langue de la Région dans laquelle la commune est insérée par la loi. Cette proposition de loi avait fait l’objet d’une menace d’usage de la sonnette d’alarme de l’article 38 bis de la Constitution par les parlementaires francophones. Cette motion dite “sonnette d’alarme” a pour effet de renvoyer la question à l’avis du gouvernement. Celui-ci que l’on savait profondément divisé sur le problème, risquait donc son existence si la proposition avait suivi son cours. L’avis du 25 janvier 1984 tira le gouvernement d’affaire en disant, dans le cadre de la seconde thèse à laquelle les Chambres réunies du Conseil d’Etat se rallièrent, que “la condition de la connaissance linguistique résulte de larticle 3bis de la Constitution et rend l’article 1er de la proposition de loi superflu”. Le Conseil d’Etat ajoutait : “du point de vue de la technique juridique cet article n’est même pas souhaitable car il peut susciter une impression doublement fausse : d’une part, que c’est la loi seule qui imposait la condition de connaissance linguistique et qu’elle pourrait donc non seulement y apporter les tempéraments mais même la supprimer ; d’autre part, que cette condition serait uniquement requise pour les communes visées dans la proposition à savoir les communes périphériques et les communes de la frontière linguistique alors qu’en vertu de l’article 3bis elle vaut pour l’ensemble des régions unilingues”. Fort de cet avis, le gouvernement demanda au Parlement de ne pas poursuivre en commission l’examen de cette proposition de loi ce qui ramena le calme au sein de la majorité. Mais le problème n’en est pas résolu pour autant, puisque c’est la jurisprudence des Chambres flamandes de la section d’administration du Conseil d’Etat qui va provoquer des remous. (Voir plus loin). Le problème reste juridico-politique en toute hypothèse. Si les Chambres flamandes de la section d’administration confirment leur jurisprudence, certains bourgmestres seront démis de leur mandat de conseiller communal et par voie de conséquence de leur fonction de bourgmestre ce qui fera problème pour le gouvernement. S’il n’en est pas ainsi, alors la proposition de M. Galle, fera à nouveau surface et le gouvernement sera saisi par la sonnette d’alarme des parlementaires francophones. On sait qu’il n’y a pas au sein du gouvernement d’accord sur l’attitude à prendre ; la crise est donc difficilement évitable. Le Conseil d’Etat sera à sont tour mêlé à l’événement politique en raison de la sensation provoquée par ses avis ou arrêts répercutés par les médias.

78* * *

79L’œuvre de la section de législation est quantitativement énorme. Plus de 16.222 avis ont été donnés de 1948 au 1er octobre 1984. Pourtant beaucoup de textes importants échappèrent à l’examen du Conseil d’Etat, le gouvernement invoquant l’urgence. L’encombrement engendra la lenteur. Si le gouvernement envoie un texte au Conseil d’Etat sans mentionner l’urgence relative, c’est-à-dire sans exercer son droit de fixer un délai ne dépassant pas trois jours (art. 84 de la loi) ou un autre délai, l’avis risque d’être donné après plusieurs mois sinon plus encore. On comprend que les gouvernements ont souvent été tentés d’invoquer l’urgence pure et simple en se passant tout à fait du Conseil d’Etat (art. 3 de la loi) pour faire avancer les affaires et appliquer leur programme.

80Le rôle du Conseil d’Etat a donc été limité à l’examen des textes des gouvernements successifs sans être associé à une œuvre de grand ensemble. Le Conseil d’Etat ne fut pas appelé à rédiger lui-même un avant-projet de loi ou de code comme le prévoit pourtant l’article 6 de la loi. Il ne fut donc pas appelé à faire une œuvre de grande envergure digne de son illustre prédécesseur napoléonien. Même la loi du 13 juin 1961 relative à la coordination et à la codification des lois ne fut guère utilisée pour mettre à pied d’œuvre la section de législation.

81Il est à remarquer notamment que la grande réforme du Code judiciaire du 10 octobre 1967 fut principalement l’œuvre d’un commissaire royal, membre du Barreau, maître Van Reepingen, et de nombreuses personnalités consultées du Barreau, de la magistrature, du notariat, etc. Le Conseil d’Etat ne fut appelé qu’à donner un avis sur un texte préalablement et entièrement rédigé, comme sur n’importe quel autre projet de loi.

82La pratique du Conseil d’Etat ne répondit pas à l’attente de ses promoteurs des années 1936-1946. Les espoirs dans la clarification, la simplification, la coordination et la codification du droit ne furent pas comblés. Sans doute, y avait-il dans les discours de ces années beaucoup d’illusions.

83La complication et l’instabilité du droit contemporain sont dues moins à l’insuffisante qualité des légistes de l’administration, du gouvernement ou du Parlement qu’à la complexité de la société du XXème siècle et à l’hétérogénéité des mouvements d’opinion et des multiples groupes socio-politiques qui se sont constitués en ce siècle et qui n’existaient pas au siècle précédent. La bourgeoisie censitaire qui régnait sans partage ne voyait pas d’utilité à modifier quoi que ce soit à la législation cohérente et solide des grands codes du premier empire français. Le Conseil d’Etat ne peut être rendu responsable de la complication et de l’instabilité relative de la législation économique, sociale et fiscale du XXème siècle [27].

84Le Conseil d’Etat ne peut toucher au fond des choses, porter les jugements de valeur sur l’opportunité des textes ; ce n’est pas un corps politique. Or, le fond des choses détermine beaucoup plus les difficultés juridiques que la faiblesse technique soupçonnée, peut-être bien souvent à tort, dans le chef des rédacteurs de lois ou règlements.

85La tâche législative d’un gouvernement de coalition contemporain ne peut être sérieusement comparée à celle d’un gouvernement politiquement et socialement homogène du XIXème siècle.

2 – L’activité de la section d’administration

86Il faut souligner d’emblée la multiplicité des compétences, et partant, des responsabilités, qui sont celles de la section d’administration.

87C’est bien par son pouvoir d’annuler les actes illégaux des autorités administratives que la section est la plus connue – ou la moins mal connue – du grand public. Mais à côté de cette compétence au “contentieux de l’excès de pouvoir”, prévue à l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat du 12 janvier 1973, la section assume encore :

  • d’importantes attributions consultatives (art. 8 et 9 des lois coordonnées) : quoiqu’il s’agisse d’un pouvoir d’avis, ce rôle est différent de celui qui échoit à la section de législation ;
  • une compétence héritée de l’ancien Conseil des mines (art. 10 l.c.) ;
  • une compétence d’arrêt, dans un secteur particulier du contentieux de la responsabilité des pouvoirs publics, celui du dommage exceptionnel (art. 11 l.c.) ;
  • une compétence d’arrêt visant les conflits de compétence entre provinces, communes et établissements publics (art. 12 l.c.) ;
  • une compétence d’arrêt visant à prévenir et à régler les conflits entre juridictions administratives (art. 13 l.c.) ;
  • enfin des compétences dites de “pleine juridiction” qui amènent devant le Conseil d’Etat, entre autres, le contentieux des élections communales.

88Nous allons donner ici un bref – un très bref – aperçu des compétences évoquées ci-dessus ; nous ne chercherons pas à en démonter tous les éléments, mais seulement à faire ressortir qu’à plus d’un titre, leur impact sur la vie quotidienne des citoyens peut être considérable.

a – La consultation sur des “affaires d’ordre administratif non litigieuses” (art. 8 et 9 des lois coordonnées)

89La section d’administration joue ici, non le rôle d’une juridiction, mais celui très classique d’un organe administratif chargé de donner un avis.

90Il s’agit d’une mission certainement fort importante, à la fois au plan quantitatif (901 avis au 31 août 1984) et qualitatif (les questions posées sont évidemment celles qui embarrassent) ; le Conseil d’ Etat peut être consulté et par les membres du gouvernement national et par les membres des Exécutifs communautaires et régionaux à l’exclusion de toute autre personne ; la remarque est d’importance, ces avis sont confidentiels. Bien entendu, il est loisible au ministre d’en faire état, voire d’en autoriser la publication ; à plusieurs reprises, il a été fait usage de cette faculté, et c’est ainsi que l’on a pu prendre connaissance par exemple :

  • d’avis émis sur la portée de l’article 13, al. 3 de la loi du 10 mars 1925 sur les distributions d’énergie électrique ; cette disposition donne à l’Etat, aux provinces et aux communes, le droit de faire modifier les installations établies sur leur domaine respectif ; les frais en incombent tantôt à l’autorité, tantôt à l’entreprise qui a établi l’installation ; mais les critères choisis par le législateur quant à ces obligations se sont avérés ambigus ; qu’entendre, notamment, par “intérêt de la voirie”, de nature à justifier que les frais soient mis au compte de l’entreprise installatrice ?
    Trois avis ont été rendus à ce propos ; ils concluent à une interprétation souple des termes légaux. Les deux premiers, des 21 mai et 21 décembre 1965, ont été publiés en annexe d’un Rapport présenté à la commission droit et vie des affaires les 8, 9 et 10 décembre 1966 par M. J.M. Quintin.
  • d’avis émis le 24 janvier 1978 et le 3 avril 1980 au sujet de la portée de l’article 86 bis de la Constitution ; on sait que cet article impose la parité au sein du Conseil des ministres entre ministres d’expression française et d’expression néerlandaise, le Premier ministre éventuellement excepté. Des difficultés peuvent naître en cas de rupture de la parité par suite d’absence fortuite, de décès ou de démission d’un ministre ; le Conseil d’Etat estime que dans le premier cas, aucune difficulté ne se rencontrait, la composition du Conseil des ministres n’étant pas modifiée ; que dans les deux autres, la parité devait être rétablie le plus rapidement possible, encore que le Conseil des ministres puisse continuer à délibérer valablement conformément aux principes généraux qui régissent le fonctionnement des assemblées ou des collèges administratifs. La situation pourrait être plus compliquée si le gouvernement où la parité n’existait plus était démissionnaire, alors que sa démission était acceptée, mais non concrétisée encore par un arrêté royal. Le Conseil d’Etat estima en substance qu’en pareille occurrence, la parité pouvait et devait être rétablie ; qu’en cas d’impossibilité absolue de le faire, la légalité des décisions devait s’apprécier, dans chaque cas, selon les règles applicables au cas de force majeure [28].
  • d’un avis du 1er avril 1981, portant sur des difficultés d’interprétation de l’art. 2, § 2, de la loi du 29 mars 1962 organique de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme ; le Conseil d’Etat estima, pour l’essentiel, que la force obligatoire et la valeur réglementaire des projets de plan de secteur est limitée à la période de trois ans qui suit l’entrée en vigueur du projet [29].

91Ces trois exemples ne donnent qu’une faible idée du travail qu’exige cette activité de consultant ; ceci amène évidemment à s’interroger. Est-ce vraiment le Conseil d’Etat qui, seul, peut assumer ce service ? L’organisation d’un corps distinct de conseillers juridiques des Exécutifs ne se recommanderait-elle pas ?

b – Les attributions de l’ancien Conseil des mines (art. 10 des lois coordonnées)

92Lors de sa création en 1946, le Conseil d’Etat a “hérité” des attributions confiées jusque-là au Conseil des mines. On assistait ainsi à un curieux phénomène de “restauration du passé” ; en effet, le Conseil des mines avait été créé par une loi du 1er juillet 1832, pour reprendre une des missions confiées par la loi française du 21 avril 1810 sur les mines, minières et carrières au … Conseil d’Etat napoléonien ; Tout Conseil d’Etat avait disparu des institutions de l’Etat belge en 1831 ; mais la loi du 21 avril 1810 demeurait en vigueur ; sous peine de la rendre inapplicable, il s’imposait de trouver un substitut au Conseil d’Etat français : ce fut le Conseil des mines.

93On comprendra qu’il n’est pas possible d’exposer ici, même succinctement, le contenu de cette compétence, d’un caractère technique évident. On notera seulement que l’article 10 des lois coordonnées amène le Conseil d’Etat à intervenir non seulement dans la matière des mines, minières et carrières (avis préalable à la concession d’une mine, réparation des dégâts houillers…) mais encore dans le domaine de la recherche et de l’exploitation du pétrole et des gaz combustibles. La compétence recouvre même une matière totalement différente : l’entérinement des statuts des unions professionnelles.

c – Le contentieux du dommage exceptionnel (art. 11 des lois coordonnées)

94Le rôle dévolu ici au Conseil d’Etat est assez singulier ; il pourrait être très utile s’il était mieux organisé, et mieux connu des justiciables …

95Le système belge est tel qu’en matière de responsabilité des pouvoirs publics, les procès se déroulent principalement devant les cours et tribunaux judiciaires. Le pouvoir judiciaire s’est reconnu une compétence de plus en plus étendue dans ce domaine, offrant dès lors aux victimes des voies d’indemnisation très sûres. Il n’en reste pas moins que, sous réserve d’exceptions (tel le trouble du voisinage), les juges judiciaires ne réparent que le dommage causé par une faute (une imprudence, une négligence). Un dommage sans lien avec une faute resterait donc à charge de la victime, si grave fût-il. Le cas s’est présenté de conséquences dramatiques, mais isolées, d’une vaccination antivariolique ; celle-ci était rendue obligatoire par un règlement. Mais la Cour de cassation refusa de le réputer fautif, parce que l’accident lui parut imprévisible [30].

96C’est en pressentant de telles situations que, lors de la création du Conseil d’Etat en 1946, on décida d’inclure parmi ses missions l’examen en équité du dommage exceptionnel, du dommage grave, mais exclu de la compétence de toute autre juridiction. On y voyait le moyen de redresser une rupture de l’égalité devant les charges publiques, qui, pour n’être pas fautive, apparaissait pourtant intolérable. Le propos du législateur était généreux ; mais le texte qu’il inspira fut très restrictif. Hanté par la crainte de recours abusifs, le Parlement et le gouvernement firent plus que “décourager les folles espérances” ; ils instituèrent une procédure très pesante ; ils appuyèrent sur le caractère exceptionnel du dommage ; plus significatif encore jusqu’en 1971, ils n’attribuèrent au Conseil d’Etat qu’une compétence d’avis, avis que les pouvoirs publics pouvaient très légalement ne pas suivre (système dit de la justice retenue).

97Malgré ces handicaps, plusieurs centaines de demandes d’indemnité furent introduites entre 1948 et 1971 ; une vingtaine seulement furent favorablement accueillies. En voici trois exemples :

  • le receveur principal de Mons se plaint de retards anormaux ayant affecté sa promotion : il obtient un avis favorable à une indemnité de FB 12.000 (avis Wailliez no 23 du 12 avril 1949) ;
  • un commerçant déplore la régression de son chiffre d’affaires, liée, selon lui, au déplacement de l’Escaut et au comblement de l’ancien bras du fleuve ; il obtient un avis favorable à une indemnité de FB 257.198 (arrêt-avis Brunin no 11.881 du 21 juin 1966) ;
  • deux huissiers de justice près le tribunal d’Ypres subissent les répercussions d’une loi du 9 août 1963 qui est venue modifier le ressort territorial de ce tribunal ; leur activité professionnelle se ralentit ; leurs revenus diminuent ; ils obtiennent un avis favorable à l’octroi d’indemnités de FB 125.000 et FB. 570.000 (avis Nuyten et Flamey no 16.529 du 2 juillet 1974).

98Quoique non négligeables, ces résultats restaient dans l’ensemble fort limités. Selon M. André Mast, Premier président émérite du Conseil d’Etat, le contentieux du dommage exceptionnel était voué “à la stérilité et au dépérissement” ; une réforme s’imposait. On put croire qu’elle se réalisait par les modifications issues d’une loi du 3 juin 1971.

99La compétence d’avis fut remplacée par une compétence d’arrêt : le Conseil d’Etat obtenait enfin pouvoir de décision. Le dommage moral fut déclaré réparable. Le cercle des autorités administratives justiciables du Conseil d’Etat fut élargi…

100Depuis la mise en vigueur de la loi de 1971 jusqu’au 31 août 1984, on ne dénombre pas plus de … trois arrêts ordonnant réparation d’un dommage exceptionnel, tous trois relatifs à des préjudices de carrière subis par des agents publics. Ces chiffres révèlent une évidente dysfonction …

101Les quelques études qui reprennent cette question indiquent que différents facteurs sont en cause ; il serait simpliste de s’en prendre exclusivement au rigorisme des juges ou à la maladresse des plaideurs. La législation n’est pas sans reproche ; confuse à plus d’un titre, elle exclut encore une solution pourtant fort utile : la réparation du dommage exceptionnel issu directement de la loi.

102Avant la modification de 1971, il s’imposait d’imputer le dommage à l’Etat (entre autres) ; après des hésitations, les juges avaient fini par admettre que ce terme incluait le pouvoir législatif ; on a vu plus haut que des justiciables avaient pu obtenir réparation du dommage exceptionnel causé par une loi (cf. avis Nuyten et Flamey). Mais, à la suite de ce qui paraît être une inadvertance, la disposition légale en vigueur depuis 1971 ne se prête plus à cette interprétation : le dommage doit en effet être reproché à une “autorité administrative” ; et il paraît impossible d’y assimiler le législateur ; dans son avis sur l’amendement dont cette formule est issue, la Section de législation avait attiré l’attention sur le rétrécissement qui risquait de se produire [31] ; mais les auteurs de la loi ne paraissent pas avoir aperçu le bien fondé de l’observation.

103L’incompétence du Conseil d’Etat, lorsque la demande vise à faire réparer un dommage directement issu de la loi, est d’autant plus regrettable qu’elle va de pair avec une incompétence aussi radicale du juge judiciaire pour examiner pareille demande. Selon notre droit, la “victime” d’un préjudice, même exceptionnel, directement issu de la loi, ne trouve aucune juridiction disposée à accueillir ses doléances. De telles réclamations ne sont pas légions, il est vrai : mais est-il sain que dans un Etat qui ne compte pas moins de cinq législateurs, aucun d’eux ne puisse être condamné, ou même invité, à réparer les conséquences dommageables de ses actes ? Le Conseil d’Etat, qui, rappelons-le, statue en équité, n’était-il pas en position favorable pour indemniser les victimes de ces préjudices “spéciaux” ? Des parlementaires continuent à le soutenir mais vainement jusqu’ici [32].

d – Les difficultés quant à la compétence respective des autorités provinciales ou communales, ou des établissements publics (art. 12 des lois coordonnées)

104Il s’agit encore d’une compétence d’arrêt. Mais on notera que seules des autorités administratives peuvent déclencher cette procédure. On s’accorde, au surplus, à la considérer comme résiduelle : on ne peut y recourir que dans les cas où aucune autre voie de droit ne permet de résoudre le problème.

105Cette compétence n’a donné lieu qu’au prononcé de 6 arrêts (publiés). Les deux derniers touchaient à des différends entre C.P.A.S. (C.E. 26 février 1979, C.A.P. Wammelgem c. C.A.P. Borgerhout no 19.465 ; 17 décembre 1981, C.P.A.S. Bruges c. C.P.A.S. Courtrai no 21.855).

e – La prévention et le règlement des contrariétés de décisions entre juridictions administratives (art. 13 des lois coordonnées)

106Cette autre compétence d’arrêt a été introduite par la loi du 3 juin 1971. Il s’agissait de trouver une parade aux risques de contradiction entre deux juridictions administratives, soit qu’à propos d’un même procès, elles se déclarent simultanément compétentes ou incompétentes, soit que, statuant successivement au fond, elles prononcent des jugements contradictoires.

107Le risque évoqué est peut être illusoire : depuis 1971, et jusqu’au 31 août 1984, pas un seul arrêt n’a été prononcé en application de l’article 13 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat.

f – L’annulation des actes, règlements, décisions contentieuses illégales (art. 14 des lois coordonnées)

108Voici l’attribution essentielle de la section d’administration, celle qui a provoqué le plus grand nombre d’arrêts touchant aux matières les plus diverses. Les citoyens témoignent une confiance certaine en cette procédure apparemment simple et peu coûteuse. Le succès de la formule, mise en place, après bien des discussions, en 1946, ne fait aucun doute. Il ne peut masquer, cependant, plusieurs défauts : le système belge du recours pour excès de pouvoir est bon ; mais des lacunes l’empêchent d’être excellent !

109Nous nous proposons d’évoquer à grands traits les services très réels que le Conseil d’Etat rend à l’ensemble de la société par l’exercice du pouvoir présentement analysé. Nous rappellerons ensuite ce qui nous paraît être les imperfections principales du système.

110On ne doit pas s’attendre à trouver dans les lignes qui viennent une théorie, ou un mode d’emploi, du recours pour excès de pouvoir ; d’excellents ouvrages y ont été consacrés. Le point de vue est tout autre : éclairer, par différents traits, le rôle du juge de l’excès de pouvoir, l’influence qu’il peut exercer sur le cours des choses publiques… Pour tenter d’y parvenir, nous procéderons aux constatations que voici :

Il s’agit d’un recours fondé sur l’illégalité, non sur l’inoportunité de l’acte attaqué

111Ce trait nous paraît devoir être cité en premier lieu. A d’innombrables reprises, le Conseil d’Etat a rejeté la demande qui mettait en cause non la régularité de la décision, mais le choix, l’appréciation politique de l’autorité. Le rôle du juge est à cet égard bien différent de celui d’un supérieur hiérarchique ou d’une autorité de tutelle : ceux-ci peuvent estimer que telle décision est “contraire à l’intérêt général” et souvent y faire obstacle pour cet unique motif. Un tel pouvoir n’appartient certainement pas au Conseil d’Etat. On ne peut lui demander d’annuler telle nomination, simplement parce que le candidat retenu a moins de mérite que tel autre ; d’anéantir un permis de bâtir au seul motif que la construction projetée est inesthétique ; d’anéantir tel règlement de police parce qu’il crée une simple gêne…

112Cette opposition entre contrôle de la légalité (admis) et contrôle de l’opportunité (exclu) forme l’une des distinctions principales de la matière. Mais, elle n’est pas, déjà, sans poser des problèmes.

113C’est d’abord parce que la notion de légalité qui sert de référence, est devenue extraordinairement complexe ; s’y intègrent des normes de droit international conventionnel immédiatement applicables, la Constitution, la loi, les décrets communautaires et régionaux, les règlements des Exécutifs, des provinces, des communes … s’y intègrent encore des règles non écrites, les principes généraux du droit ; ceux-ci sont “révélés” par le juge, qui est à même d’amplifier considérablement, par leur invocation, les dispositions écrites.

114Ainsi, est-ce en considération d’un principe général que le Conseil d’Etat exige que nulle sanction disciplinaire, que nulle “mesure grave prise en considération de la personne”, ne puisse être infligé sans que le sujet visé ait été mis à même de présenter sa défense ; le droit écrit n’imposait pas une solution aussi protectrice.

115C’est ensuite parce que le contrôle des motifs des actes administratifs n’a cessé d’être approfondi par le juge, et de se rapprocher d’un contrôle d’opportunité.

116L’évolution du droit disciplinaire est ici encore éloquente. Dans un premier temps, le contrôle du juge n’a porté que sur l’existence matérielle des faits (exemple : y a-t-il eu ou non refus d’obéissance ?) ; ensuite, il s’est étendu à la qualification juridique des faits (ce refus d’obéissance peut-il ou non être retenu comme faute disciplinaire ? L’agent n’avait-il pas des motifs de désobéir ?) ; enfin, suite à une nouvelle et récente évolution, c’est le rapport entre le manquement retenu et la sanction qui a été contrôlé. Il y eut là pendant lontemps un point de résistance : on soutenait, non sans argument, que l’autorité devait avoir le choix de la peine ; qu’en la contredisant sur ce point, le juge appréciait l’opportunité même de la sanction. Mais ces objections finirent par céder : aujourd’hui le juge annule la sanction disproportionnée par rapport à la gravité des faits reprochés. Ainsi de la révocation d’un inspecteur de police, poursuivi pour avoir injurié un collègue, réparé des jeux de hasard et s’être immiscé dans la vente à tempérament d’un poste de télévision, le Conseil d’Etat jugea la sanction excessive, eu égard notamment à ce que l’intéressé avait été acquitté de l’accusation d’exploitation de jeux de hasard [33].

117En conclusion, on notera qu’au plan des principes, le Conseil d’Etat est sans pouvoir pour censurer les choix politiques des autorités publiques ; mais on conviendra que la frontière entre légalité et opportunité est incertaine ; au fil du temps, le contrôle du juge s’est étendu et approfondi. Les réserves d’hier ont fait place à des audaces. Beau sujet de discussion que celui des avantages et des inconvénients de ce mouvement, qui ébranle en tous cas la traditionnelle séparation des fonctions entre juges et administration ; les uns y voient un supplément de garantie pour les libertés ; d’autres redoutent la confusion des rôles respectifs des juges et des gouvernants, prédisent la perte de prestige des uns, la paralysie des autres.

Il s’agit d’un recours très largement ouvert

118Le champ d’action du juge de l’excès de pouvoir est considérable ; il faut y voir sans doute l’explication première de l’abondance des recours.

  1. La compétence d’annulation est fondée sur les termes généraux de l’article 14 des lois coordonnées ; elle couvre en principe toute décision individuelle, tout règlement, tout jugement prononcé en dernier ressort par une juridiction administrative ; elle peut aboutir à l’effacement rétroactif de la mesure illégale : l’acte annulé est censé n’être jamais intervenu.
  2. Le recours peut viser les mesures prises par toutes les autorités administratives. Ce concept est au centre de la compétence du Conseil d’Etat ; son développement par la jurisprudence a conduit à des résultats remarquables. Il faut poser que sont des autorités administratives, les organes constitutionnellement investis du pouvoir exécutif (le Roi, les ministres et secrétaires d’Etat membres du gouvernement national aussi bien que les membres des exécutifs communautaires et régionaux) ; les organes rattachés à l’exécutif par les liens de la hiérarchie (les universités de l’Etat, entre autres) ou de la tutelle (la liste est ici très longue : y figurent les provinces, les communes, les agglomérations et fédérations de communes, les intercommunales, les établissements publics et les régies personnalisées). On soulignera, à titre d’exemple, la compétence du juge dans le domaine des mesures de police, qu’elles émanent du pouvoir central, des communautés, régions, provinces ou communes. Le recours en annulation a pu viser :
    • des décisions prises par l’autorité communale tendant à restreindre la liberté des spectacles [34] ;
    • un règlement provincial interdisant la présence dans des lieux publics, de certains jeux de hasard [35] ;
    • un arrêté ministériel réglementant le prix des spécialités pharmaceutiques [36].
    La qualité d’autorité administrative a été reconnue même à des institutions privées, en considération de la mission d’intérêt général qu’elles assumaient ; ainsi jugé au sujet de la Vrije Universiteit Brussel, réputée autorité administrative en ce qu’elle est habilitée à conférer des grades académiques [37]. Par contre, les entreprises privées, même entièrement contrôlées par les pouvoirs publics (souvent appelées entreprises publiques de droit privé) ne sont pas rangées sous l’étiquette d’autorité administrative : on ne peut – jusqu’à ce jour – attaquer devant le Conseil d’Etat, les actes des organes directeurs de Cockerill-Sambre ou du Val Saint-Lambert.
    Les exemples précédents ne donnent encore qu’une idée très approximative du concept d’autorité administrative. Ce qui vient d’être dit indique que dans son œuvre d’identification, le Conseil d’Etat tient compte d’éléments organiques (lien avec les pouvoirs publics) mais aussi fonctionnels (nature de la mission). Le critère fonctionnel joue souvent un rôle réducteur : il concourt à écarter de la compétence du Conseil d’Etat des actes par lesquels des organes du pouvoir exécutif collaborent à l’exercice du législatif ou du judiciaire : ainsi de la libération conditionnelle d’un condamné ordonnée par le ministre de la Justice [38], ainsi de la demande d’extradition d’une personne condamnée par une juridiction belge [39] ; par contre, la décision d’extrader, à la requête d’un gouvernement étranger, une personne condamnée ou poursuivie à l’étranger, est réputée acte d’une autorité administrative [40].
    Les contours de l’autorité administrative sont donc très sinueux ; mais ils restent suffisamment nets pour qu’on doive en exclure les actes mêmes du législateur (le Conseil d’Etat n’annule ni les lois, ni les décrets, ni les arrêtés ratifiés par le Parlement), ou les jugements et arrêts des cours et tribunaux. Sont encore à exclure de la catégorie, les actes des particuliers dans la mesure où ils relèvent d’activités purement privées. Ceci devrait conduire à écarter de la compétence du Conseil d’Etat tout ce qui est marché public ; les contrats de travaux, de fournitures, de services ne sont évidemment pas l’œuvre exclusive des autorités qui les concluent. S’y mêlent – le plus souvent – volonté publique et privée. Mais le juge a imaginé la notion d’“acte détachable” ; il a séparé du contrat une série de préalables dépendant uniquement de l’administration (opération d’adjudication, d’appel d’offre, de gré à gré) ; il s’est reconnu compétent pour en contrôler la régularité.
  3. Le recours est ouvert à toute partie justifiant d’une lésion ou d’un intérêt. D’une jurisprudence foisonnante, on retiendra que les personnes physiques (majeures, sauf l’exception en faveur du milicien mineur d’âge), les personnes morales (privées, mais aussi publiques telle une commune qui se plaindrait des empiétements de l’autorité de tutelle) peuvent saisir le juge de l’excès de pouvoir, qu’à ce titre, nombre d’A.S.B.L. ont valablement attaqué des actes que leurs dirigeants jugeaient contraires aux objectifs qu’elles poursuivaient. Ainsi de l’A.S.B.L. Interenvironnement, de l’A.S.B.L. Verbond van het VIaamsoverheidspersoneel, de l’A.S.B.L. Association du personnel wallon et francophone des services publics …
    Les “groupements non personnalisés” – principalement les partis politiques, les syndicats – sont également admis à agir mais uniquement pour la défense de prérogatives qui leur ont été reconnues par la loi ou les règlements. L’exemple en a été offert lorsque MM. Moulin et De Conninck, respectivement Président du groupe communiste à la Chambre et Secrétaire régional du même parti, postulèrent l’annulation d’un règlement de la B.R.T. qui accordait un “temps d’antenne” aux partis politiques mais à des conditions telles que le Parti communiste s’en trouvait exclu [41]. Ou encore, lorsque M. Persoons, agissant en qualité de parlementaire du F.D.F., a demandé l’annulation d’un arrêté royal portant nomination des membres représentant l’agglomération bruxelloise au Conseil économique régional pour le Brabant [42]. Le requérant doit justifier d’une lésion ou d’un intérêt : il doit attaquer l’acte définitif qui en est la source, non pas celui qui ne fait qu’expliquer, divulguer, reproduire, confirmer un antécédent. Le point de savoir si une circulaire peut faire grief est souvent discuté ; en théorie, la réponse est simple : la circulaire purement interprétative ne fait pas grief ; la circulaire à portée réglementaire fait grief… On répute encore non génératrice de grief et donc non susceptible de recours, la mesure d’ordre intérieur, mesure d’organisation d’un service, mesure purement interne ; mais il n’est pas toujours simple de la dissocier d’une mesure disciplinaire ; une évolution intéressante se dessine au sujet des mesures d’ordre intérieur dans l’enseignement public. Depuis quelques années, les recours introduits par ou au nom d’étudiants se font plus nombreux ; des mesures d’exclusion, de refus d’admission aux examens sont réputées faire grief [43]. Le même phénomène est perçu plus nettement encore en France : les magistrats ont considéré comme faisant grief le refus d’envoyer enfant en classe de neige, y voyant une privation sévère, de nature à créer un sentiment d’exclusion [44].
  4. On soulignera enfin que la requête en annulation peut être signée par le demandeur lui-même ; l’assistance d’un avocat est facultative. Le requérant qui se sent de taille à constituer lui-même son dossier peut légalement s’y risquer ; il ne lui en coûtera, en argent, que FB. 4.000 de taxe et les frais de recommandation à la poste. La modicité de ces dépenses incite nombre de personnes à tenter l’aventure en solitaire. Mais l’entreprise est périlleuse. Ne serait-ce que dans le calcul du délai (60 jours à partir de la publication, de la notification ou de la prise de connaissance de l’acte attaqué, délai pouvant être interrompu ou prorogé…) ou dans l’appréciation des conditions de compétence (il ne suffit pas de s’en prendre à l’acte d’une autorité administrative ; il faut encore qu’aucun résultat équivalent à l’annulation ne puisse être obtenu du juge judiciaire), l’assistance d’un guide chevronné est en tout point recommandable.

En règle très générale, le recours n’a pas d’effet suspensif et aucune procédure d’urgence n’est organisée

119Avec cette troisième constatation, comme avec celle qui suivra, nous touchons aux côtés négatifs de la législation belge en matière de recours en annulation.

120Alors que ce recours offre des potentialités considérables, son efficacité est fortement réduite par plusieurs lacunes.

121Il faut rappeler d’abord que, sauf rares exceptions, le recours en annulation n’a pas d’effet suspensif : celui qui attaque sa révocation reste révoqué jusqu’à l’éventuel arrêt d’annulation ; celui qui s’en prend à un permis de bâtir ne paralyse pas la construction ; l’entrepreneur qui dénonce l’attribution illégale du marché public à son concurrent ne paralyse pas la conclusion ou l’exécution du contrat,…

122Ces situations choquent fréquemment les justiciables. A y réfléchir, cependant, il pourrait difficilement en être autrement ; doter le recours en annulation d’un effet suspensif automatique permettrait tous les abus ; il y aurait toujours quelque récalcitrant pour s’en prendre aux actes les moins suspects, et paralyser du même coup l’administration.

123Mais ce qu’il faut déplorer, c’est l’absence de toute procédure d’urgence. De l’introduction de la requête au prononcé de l’arrêt, il s’écoule rarement moins d’un an, souvent deux, parfois bien davantage. Faut-il expliquer, dès lors, que nombre d’annulations restent privées de tout effet direct ? A quoi sert-il, par exemple, d’annuler, comme cela s’est fait, le 11 février 1977, des arrêtés irréguliers pris les 19 et 26 juin … 1975 par la députation permanente du Conseil provincial du Brabant autorisant deux courses avec entraînement préparatoire sur le circuit de Nivelles-Baulers [45]. Certes, ces arrêts ont au moins le mérite de réaffirmer le droit, et de ménager des possibilités de recours en responsabilité civile contre les services négligents … Mais n’eût-il pas été plus rationnel de permettre au juge d’ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de ces autorisations suspectes, avant le déroulement des courses ?

124Depuis l’origine, le Conseil d’Etat français a le pouvoir d’ordonner le sursis à exécution de l’acte attaqué ; après un contrôle sévère mais rapide des reproches faits à l’acte, sa mise en œuvre peut être interdite, et l’irréparable évité. Les Conseils d’Etat italien, luxembourgeois, hollandais disposent d’un pouvoir analogue. Jusqu’ici, le législateur belge est resté sourd aux multiples plans de réformes, projets et propositions élaborés sur le sujet ; il ne s’est laissé fléchir que dans une hypothèse : on la trouve dans l’article 70 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers : “lorsque le Conseil d’Etat est saisi d’un recours en annulation formé contre un arrêté de renvoi ou d’expulsion, il peut, à la demande du requérant, ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de l’arrêté si, à l’appui de son recours, le requérant invoque des moyens qui, dans les circonstances de l’affaire, paraissent sérieux et de nature à justifier l’annulation de la décision attaquée et si l’exécution immédiate de celle-ci risque de causer à l’étranger un préjudice grave, difficilement réparable”. Ces termes mesurés n’ont conduit qu’en de rares occasions à l’octroi du sursis.

125La généralisation du sursis à exécution est préconisée depuis longtemps, mais le législateur témoigne de réticences persistantes vis-à-vis de cette procédure, il semble redouter l’accueil immodéré des demandes de sursis, le risque de paralysie de l’administration. L’observation des jurisprudences étrangères serait pourtant de nature à dissiper ces craintes.

Aucune procédure n’est spécialement organisée pour garantir l’exécution des arrêts d’annulation par l’administration concernée

126Point très important encore que celui-ci : par le prononcé de l’annulation, le juge est dessaisi ; l’exécution de l’arrêt – par exemple, la réintégration de l’agent dont la révocation vient d’être anéantie – incombe à l’administration. Celle-ci a le devoir le plus impérieux d’obéir : l’annulation a, dit-on, l’“autorité absolue de la chose jugée”. Au plan des principes, tout paraît simple et clair : le juge annule l’acte illégal ; l’administration comprend et obéit ; elle se conforme à la chose jugée. Mais la réalité ne se laisse pas enfermer dans ce schéma sommaire.

127Il se peut d’abord que l’administration, de bonne foi, saisisse mal la portée de l’arrêt, hésite sur la conduite à tenir. L’exécution de l’annulation ouvre en bien des cas une problématique nouvelle : il suffit de reprendre l’exemple de l’annulation d’une révocation pour s’en convaincre. La révocation annulée pourra, dans certaines circonstances, être refaite, le plus légalement du monde ; si cette première conduite est exclue, l’agent devra être réintégré. Est-ce à dire qu’il devra retrouver l’emploi même qu’il occupait ? Que deviendra alors son remplaçant ? Faudra-t-il le déplacer à son tour ? Autre question : l’agent réintégré ne pourra-t-il exiger une reconstitution de carrière ? En d’autres termes, ne faudra-t-il pas tenir compte de l’avancement qu’il aurait obtenu pendant la période où il a été tenu illégalement écarté du service ?

128On le perçoit l’exécution fidèle de la chose jugée par le Conseil d’Etat ressemble plus d’une fois à un casse-tête. Or, l’administration scrupuleuse ne trouvera aucun service spécialement chargé de l’éclairer sur le sujet.

129Plus inquiétant encore : le cas de l’administration de mauvaise fois, décidée à ignorer l’arrêt du Conseil d’Etat. Certes, il y a là une illégalité flagrante, une faute de nature à engager la responsabilité du fonctionnaire récalcitrant. Théoriquement, les sanctions pourraient pleuvoir sur le coupable et la situation rétablie toutes affaires cessantes. Pour cela, il faut que le supérieur hiérarchique ou l’autorité de tutelle réagisse ! Nos annales offrent quelques exemples de recours à la manière forte pour assurer l’exécution des annulations : l’affaire des guichets de Schaerbeek est trop connue pour que nous y insistions. Mais on pourrait citer plus d’un cas de résistance obstinée à la chose jugée couverte ou en tous cas négligée par les autorités supérieures. Il ne faut pas perdre de vue que dans nos systèmes, les pouvoirs publics bénéficient de l’immunité d’exécution, qu’ils sont soustraits à toute contrainte directe ; cette immunité a été conçue pour garantir la continuité de l’action administrative ; mais on est obligé de constater qu’aujourd’hui des mandataires publics l’invoquent pour résister à la chose jugée, ce qui est l’exemple type de la perversion procédurale. Et devant celle-ci, le droit belge avoue son impuissance.

130Une fois encore, les exemples étrangers, et plus particulièrement l’exemple français, prouvent que cette situation – déplorable sinon révoltante – n’est pas sans remède. Il existe en France, au sein du Conseil d’Etat, une “Commission du Rapport et des Etudes”, chargée d’éclairer les ministres, à leur demande, sur la portée des arrêts d’annulation, mais aussi de soutenir les requérants eux-mêmes s’ils n’ont pas obtenu satisfaction dans les trois mois ; la commission peut faire alors toutes les recommandations nécessaires ; si celles-ci ne sont pas suivies d’effet, l’administration coupable est dénoncée dans un rapport publié “in extenso”. Plus offensif encore est le pouvoir reconnu au Conseil d’Etat par une loi du 16 juillet 1980. L’administration coupable de méconnaissance de la chose jugée pourra être condamnée sous astreinte ; l’exécution forcée de cette condamnation est garantie ; le fonctionnaire personnellement responsable de pareille condamnation sera passible d’une amende pouvant atteindre le montant de son traitement annuel.

131Rien d’identique ni d’analogue n’existe en Belgique. “C’est une lacune de nos institutions nationales”.

g – Le contentieux de plein juridiction (art. 16 des lois coordonnées)

132La liste des attributions de la section d’administration s’achèvera par l’évocation de différentes compétences qui touchent à des questions de droit communal et d’aide sociale. L’article 16 2o, fait encore mention d’un contentieux contractuel (“résiliation ou révision de certains contrats conclus avant ou pendant la guerre”) ; il ne sera signalé que pour mémoire, n’ayant jamais reçu la moindre application.

133La compétence présentement envisagée est distincte de celle qui touche au contentieux de l’excès de pouvoir sur le point suivant : alors que dans le cadre de celui-ci, le Conseil d’Etat ne peut qu’annuler l’acte illégal, il a ici un devoir plus étendu (“de pleine juridiction”), il lui faudra, selon les cas, valider l’élection contestée, désigner les élus, constater leurs déchéances, etc.

  • La section est juge d’une série de contestations liées aux élections et à l’exercice du mandat communal ; elle doit donc opérer sur le terrain de la politique locale, non pas pour s’y comporter en autorité de tutelle, mais uniquement pour censurer différentes illégalités et en assurer le redressement, nous citerons, entre autres, l’examen de recours visant la validation des élections communales, l’inadmissibilité au serment, le désistement d’un candidat élu, la démission, la déchéance d’un conseiller communal, soit pour cause d’incompatibilité, soit pour cause de perte d’une des conditions d’éligibilité. Dans ces différentes hypothèses, le Conseil d’Etat intervient comme juge d’appel de décisions prises au premier niveau par la Députation permanente.
    Il s’agit, on s’en doute, d’un contentieux souvent très complexe ; il est depuis quelques années l’objet de discussions passionnées en raison de ses implications communautaires ; pour n’évoquer que ce problème, la déchéance du mandat de M. José Happart décidée par la Députation permanente du Conseil provincial du Limbourg et examinée par le Conseil d’Etat au moment où nous écrivons ces lignes, est devenue, de l’aveu même du Premier ministre, une question de gouvernement (déclaration du 3 septembre 1984).
  • La section tranche encore des litiges relatifs à la prise en charge des recours accordés par les C.P.A.S. Elle connaît des problèmes relatifs à la détermination de la commission secourante, aux modalités de son intervention, au domicile de secours, …
    Les lois coordonnées chargent enfin la même instance de trancher les contestations qui se rattachent aux nomination, révocation et déchéances des membres de C.P.A.S. : ici encore, la dimension communautaire du problème a soulevé des polémiques. On se souvient sans doute d’un arrêt du 8 novembre 1983, par lequel le Conseil d’Etat a fait sienne l’affirmation selon laquelle l’obligation de connaître la langue administrative vaut comme une exigence d’éligibilité implicite [46] ; cette formule ne se retrouve cependant plus dans l’arrêt du 23 décembre 1983 no 23.853 prononcé dans la même affaire.
    On observera que l’important contentieux de l’appel des décisions des chambres de recours, prévues aux articles 69 et suivants de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’aide sociale, ne se rattache pas au contentieux de pleine juridiction : le Conseil d’Etat en connaît dans le cadre de sa compétence d’annulation (art. 14 des lois coordonnées).

Conclusions

134Institution mal connue, mais qui a suscité un regain d’intérêt ces deux dernières années, le Conseil d’Etat exerce deux fonctions distinctes (l’un d’arrêt et l’autre d’avis) généralement mal perçues par le public.

135Ce Courrier Hebdomadaire avait pour objectif d’expliciter ces attributions et de retracer les conditions de la création de cette institution.

136Nous voudrions aborder en conclusion la question du poids, politique entre autres, qu’a exercé et exerce le Conseil d’Etat.

137Le Conseil d’Etat a sans doute joué un rôle considérable, mais il a plutôt accompagné que perturbé l’action politico-législative ou les décisions des autorités politiques.

138Il a apporté des correctifs dans l’exercice des différents pouvoirs politiques pour les maintenir, avec plus ou moins d’effet, dans le cadre du système du droit belge. Il a eu un effet plus préventif que rectificatif, même en ce qui concerne la jurisprudence de la section d’administration. Celle-ci est plus utile comme moyen de dissuasion que comme sanction des errements de l’administration dont les décisions peuvent être annulées. Les arrêts du Conseil d’Etat, en effet, interviennent souvent tardivement et leur exécution est mal assurée. Au point de vue du plaideur, l’efficacité de l’institution est assez faible.

139Mais l’effet préventif n’est peut-être pas négligeable. La menace du recours en annulée peut freiner la tentation de commettre des abus.

140Les avis de la section de législation, lorsque le pouvoir législatif décide de ne pas en tenir compte, donnent sans doute des armes légitimes à l’opposition sans que les majorités en soient ébranlées ni que la décision politique soit modifiée. Mais ces avis ne présentent un risque pour l’existence même des gouvernements que lorsqu’ils alimentent les désaccords au sein des majorités. Un partenaire d’une coalition, qui a dû faire des concessions, peut tirer prétexte d’un avis négatif de la section de législation du Conseil d’Etat pour les remettre en cause. Un exemple a été donné par les attitudes des groupes parlementaires du CVP à la veille de la crise d’octobre 1978.

141Mais le glissement le plus périlleux vers une crise politique majeure pourrait provenir de la jurisprudence des chambres flamandes du Conseil d’Etat, section d’administration, dans les affaires des bourgmestres contestés des Fourons ou d’une commune de la périphérie. En effet, pour l’opinion publique francophone, la déchéance de fonctions politiques est une remise en cause de la légitimité du suffrage universel. En outre, la jurisprudence des chambres flamandes du Conseil d’Etat va au-delà des exigences de la loi électorale en soutenant que l’article 3bis de la Constitution sur les régions linguistiques a modifié et complété la législation linguistique de 1962-1963. Or cet article 3bis a été adopté par la constituante en 1970-1971 dans le but de stabiliser cette législation. Ces arrêts ne pourraient être toutefois considérés comme la cause profonde d’une crise politique fondamentale ; ces causes profondes sont à rechercher dans les options des divers groupes politiques, les représentants politiques étant eux-mêmes tributaires des mouvements et remous de l’opinion publique.

142Mais les arrêts des chambres flamandes du Conseil d’Etat pourraient servir de détonateurs.

Notes

  • [1]
    La partie de ce Courrier Hebdomadaire qui a trait à l’origine du Conseil d’Etat, à son organisation et aux missions de la section de législation, a été rédigé par François Perin tandis que Paul Lewalle s’est chargé de la rédaction de la partie consacrée à la section administrative.
  • [2]
    Pasinomie, 1834, II, 102.
  • [3]
    Doc. Parl., Sénat, no 25, 1831-1832.
  • [4]
    Débat publié au Moniteur belge du 24 avril 1834.
  • [5]
    Débat publié au Moniteur belge du 3 mai 1834.
  • [6]
    Pasinomie, 1845, II, 285.
  • [7]
    On ne connaît pas de cas d’application de cet article.
  • [8]
    Jusqu’en 1845, les Chemins de Fer ont été réalisés par l’Etat mais 28 % du réseau était exploité par des compagnies privées en 1850 et 74 % en 1870. A partir de 1870, l’Etat procède au rachat des Chemins de Fer.
  • [9]
    Conclusion devant l’arrêt du 30 mars 1893.
  • [10]
    Voyez conclusions du 3 mars 1892, Pasinomie, I, 119.
  • [11]
    Voir art. 9 de la loi française du 24 mai 1872.
  • [12]
    Voir Chambre, Doc. no 329, Session 1918-1919, Déclaration de révision entraînant la dissolution du Parlement du 22 octobre 1919, Pasinomie, 1919, II, p. 124-125. Proposition de réviser les articles 26, 105 et 106 de la Constitution en vue de la création d’un Conseil d’Etat.
  • [13]
    Rapport de la Commission, Doc. parlementaire, Chambre des Représentants, Session 1920-1921, doc. no 288, 20 mai 1921, p. 822.
  • [14]
    Cf. annexes au rapport de la Commission, op. cit., p. 827.
  • [15]
    Op. cit., p. 825.
  • [16]
    Voir Annales parlementaires, Sénat, 1920-1921, p. 1304.
  • [17]
    Voir Henri Velge, “L’institution d’un Conseil d’Etat en Belgique”, Société d’Etudes morales, sociales et juridiques, Louvain, 1930, 1 vol. in 8o.
  • [18]
    Voir Eugène Soudan in travaux du Centre d’études de la réforme de l’Etat, Section A, le Conseil d’Etat, p. 193.
  • [19]
    Voir toutefois l’avis dans l’affaire Brunin p. 24.
  • [20]
    Section A, le Conseil d’Etat, Centre d’études de la réforme de l’Etat, p. 197.
  • [21]
    Sur les travaux parlementaires de 1936 à 1946, il existe une brochure reliée publiée par les documents parlementaires mais sans table des matières ni index. Un index par thèmes abordés a été fait par F. Perin en 1949. Il en existe un exemplaire à la bibliothèque de la Faculté de droit de l’Université de Liège, joint à la brochure citée, vol. XIV, B, 2/19.
  • [22]
    mot supprimé par la loi du 9 août 1980.
  • [23]
    Conseil d’Etat, 18 mai 1956, Pas., 1957, p. 83. Cass., 5 décembre 1957, Pas., 1958, p. 357.
  • [24]
    Chambre, documents parlementaires, no 461, session 1977-1978, no 25, 2 août, no 35, 7 août.
  • [25]
    J. Brassinne et X. Mabille, “La crise politique d’octobre 1978 (I)”, Courrier Hebdomadaire du CRISP, no 817 du 24 novembre 1978.
  • [26]
    Voir la très intéressante étude de M. F. Dehousse sur l’étendue du contrôle exercé par le Conseil d’Etat en cas de pouvoirs spéciaux dans le Journal des Tribunaux du 2 juin 1984, p. 355 à 357.
  • [27]
    Voir à ce sujet F. Perin, “Le style juridique : de la clarté à la confusion. Tentative d’explication”, K.U.L. ; 1981, “De grondwet, Honderdvijftig jaren”, 7 février 1981, Bruylant.
  • [28]
    Administration publique, trimestriel, 1980, p. 266 et suivantes.
  • [29]
    Administration publique, trimestriel, 1981, p. 132 et suivantes.
  • [30]
    Cassation 26 avril 1963, R.C.J.B. 1963, p. 117 et suiv., obs. Jean Dabin.
  • [31]
    Doc. Parl. Sénat, sess. 1964-1965 no 13 p. 91.
  • [32]
    Doc. Parl. Chambre, sess. 1977-1978 no 295/1 ; sess. extra., 1977 no 177/1/2/3/4, session 1981-1982 no 89/1.
  • [33]
    C.E., 19 février 1980, Decock no 20.116.
  • [34]
    C.E. 9 mai 1949, S.A. Universal-Film, no 44 ; 27 novembre 1950, S.A. Universal-Film, no 588 ; 1er décembre 1952, Klock no 1994
  • [35]
    C.E. 19 juin 1975, Union belge de l’automatique no 17.083.
  • [36]
    C.E. 3 juillet 1973, A.S.B.L. Fédération des Industries chimiques de Belgique no 15.954.
  • [37]
    C.E. 16 octobre 1981, Franssens c/ V.U.B. no 21.467.
  • [38]
    CE. 22 mai 1953, Celoiu no 2.491.
  • [39]
    C.E. 4 mai 1962, Geldof no 9.342.
  • [40]
    C.E. 11 avril 1975, Rodriguez-Martinez no 16.968, 20 janvier 1978, no 18.703,…
  • [41]
    C.E. 6 avril 1966, Moulin et De Coninck no 11.749.
  • [42]
    C.E. 9 juillet 1974, Bourgeois et Persoons no 16.562.
  • [43]
    C.E. 18 décembre 1979, Feremans no 19.984.
  • [44]
    C.E. fr. 1er avril 1977, Deleersnyder.
  • [45]
    C.E. 11 février 1977, A.S.B.L. Association pour la préservation de l’environnement de Nivelles et environs no 18.101.
  • [46]
    C.E. 8 novembre 1983 no 23.658, concernant l’élection du 18 avril 1983 des membres du Conseil de C.P.A.S. de Wezembeek-Oppem.
  1. Introduction
  2. I - Origine historique
  3. II - Le malaise judiciaire du XIXème siècle. La théorie de la séparation des pouvoirs et ses conséquences
  4. III - La tentative de 1920 et ses conséquences sur la jurisprudence de la Cour de cassation
  5. IV - L’accalmie
  6. V - La création du conseil d’Etat
  7. VI - Organisation et pouvoirs du conseil d’Etat
  8. VII - La pratique du conseil d’Etat (1948-1984)
    1. 1 - L’activité de la section de législation
    2. 2 - L’activité de la section d’administration
      1. a - La consultation sur des “affaires d’ordre administratif non litigieuses” (art. 8 et 9 des lois coordonnées)
      2. b - Les attributions de l’ancien Conseil des mines (art. 10 des lois coordonnées)
      3. c - Le contentieux du dommage exceptionnel (art. 11 des lois coordonnées)
      4. d - Les difficultés quant à la compétence respective des autorités provinciales ou communales, ou des établissements publics (art. 12 des lois coordonnées)
      5. e - La prévention et le règlement des contrariétés de décisions entre juridictions administratives (art. 13 des lois coordonnées)
      6. f - L’annulation des actes, règlements, décisions contentieuses illégales (art. 14 des lois coordonnées)
        1. Il s’agit d’un recours fondé sur l’illégalité, non sur l’inoportunité de l’acte attaqué
        2. Il s’agit d’un recours très largement ouvert
        3. En règle très générale, le recours n’a pas d’effet suspensif et aucune procédure d’urgence n’est organisée
        4. Aucune procédure n’est spécialement organisée pour garantir l’exécution des arrêts d’annulation par l’administration concernée
      7. g - Le contentieux de plein juridiction (art. 16 des lois coordonnées)
  9. Conclusions
François Perin
Paul Lewalle
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 29/08/2014
https://doi.org/10.3917/cris.1055.0001
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