CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Au Mexique, l’identification de la population indigène dans les recensements a reposé durant tout le xx e siècle – à quelques exceptions près [1] – sur le seul critère linguistique : l’identification des locuteurs de langues indigènes. Le recensement de l’année 2000 marque un tournant dans la statistique publique, avec l’introduction d’une question d’autodéclaration de l’appartenance ethnique [Fernández Ham, 2000] [2]. Cette innovation est à l’origine d’un écart quantitatif important dans l’estimation des populations indigènes, comptabilisées selon l’un ou l’autre de ces deux critères. Et ce au moment où, après le soulèvement néozapatiste [3], les enjeux politiques et sociaux liés à la question indienne et à la mesure des discriminations se multiplient, comme dans la plupart des pays d’Amérique latine [Gros, 1998 ; 2000].

2 Avec le recensement de l’année 2010, l’Instituto nacional de estadística y geografía (Inegi) poursuit cette approche bidimensionnelle (linguistique et d’auto-identification) avec une question sur l’identité culturelle indigène. Et l’autodéclaration remporte alors un succès massif auprès des recensés : elle est passée de 6,1 % en 2000 à 14,9 %en 2010. S’appliquant à une population en forte progression démographique, il en résulte une croissance des effectifs impressionnante : alors que 5,3 millions de Mexicains s’identifiaient indigènes en 2000, ils sont 15,7 millions en 2010 (+ 196 %).

3 Cette « vague identitaire » semble embarrasser par son ampleur certains analystes. Ainsi, l’Inegi, dans la publication des résultats de 2010, ne fusionne pas les deux critères et en reste principalement à l’approche linguistique : tandis que la population des locuteurs de langues indigènes est détaillée sur dix pages [p. 56-66], une seule est consacrée à celle autodéclarée indigène [ibid., p. 67]. L’ancienne directrice du recensement de l’Institut, Patricia Fernández Ham, prend en revanche clairement position : « La population indigène devrait correspondre aux individus qui s’identifient comme tels […], le recensement de 2010 est le premier qui inclut avec succès une question sur l’appartenance indigène [4] » [Fernández Ham, 2011, p. 1], et appelle à l’analyse poussée des données censitaires.

4 En effet, pour qui suit la dynamique de l’affirmation indigène et de l’inégalité socio-ethnique dans le pays sur les vingt dernières années, les interrogations abondent. Qui sont, socialement et culturellement, ces nouveaux « indigènes autodéclarés » ? À quels processus démographiques (urbanisation, migrations, restructuration des ménages, etc.) et à quelles stratégies d’insertion économique, de revendication politique, d’affirmation identitaire ou culturelle renvoie ce phénomène ? Est-ce que la croissance de la population des ménages indigènes qui en résulte s’accompagne de changements dans la position sociale de certains groupes ? Quelles réponses les politiques publiques, et plus généralement la société mexicaine, sont-elles appelées à donner à cette nouvelle émergence de la population indigène ?

5 Après avoir consacré plusieurs articles à ce thème à partir du recensement de l’année 2000 [Barbary, 2008 et 2012 ; Martínez Casas, Janssen, 2006], une étude comparative s’imposait avec celui de 2010. Nous évoquerons ici dans un premier temps les enjeux épistémologiques et politiques de l’appartenance indigène, en lien avec les problèmes méthodologiques que pose le changement de sa définition. La deuxième partie présente la méthode de construction de nos catégories analytiques de la population indigène concernant les individus et les ménages, et fait ensuite le point sur l’évolution des effectifs et de leur distribution géographique au cours de ces dix années. La finalité complète de notre typologie apparaît dans la dernière partie, grâce à l’analyse multivariée des données censitaires aux deux dates. L’évolution des profils socio-économiques et démographiques des différents types de ménages met ainsi en évidence la grande hétérogénéité de l’univers indigène et sa dynamique entre 2000 et 2010.

Quelle(s) question(s) pour quelle(s) population(s) « indigène(s) » ?

6 Avant d’aborder les chiffres eux-mêmes, il importe de s’intéresser à la catégorie statistique « population indigène » au Mexique, à sa mesure et à son évolution entre les années 2000 et 2010. Ces questions renvoient d’abord à un corpus épistémologique important en anthropologie, sociologie et statistique [Balibar, Wallerstein, 1991 ; Banks, 1996 ; Banton, 1983 ; Desrosières, 1993 ; Hall, 1989 ; Poutignat, Streiff-Fenart, 1995]. Mais c’est dans un contexte politique nouveau, lié à la lutte contre la discrimination des « minorités », que l’on assiste depuis une quinzaine d’années à une réactivation du débat sur l’introduction des catégories d’identification ethnique, linguistique ou par l’origine culturelle dans les statistiques publiques du monde entier [5]. Ayant consacré à ce thème une recherche comparatiste entre la France, la Colombie, le Brésil et le Mexique [Barbary, 2006], nous n’entrerons pas ici dans des considérations théoriques, pour nous intéresser uniquement au cas concret mexicain.

7 « ¿(NOMBRE) es náhuatl, maya, zapoteco, mixteco o de otro grupo indígena ? » (« (Nom de la personne) est-t-elle/il nahuatl, maya, zapotèque, mixtèque ou d’un autre groupe indigène ? »), telle était la question d’autodéclaration du recensement mexicain en 2000. En 2010, sa formulation change : « ¿de acuerdo con la cultura de (NOMBRE), ella (él) se considera indígena ? » (« Du point de vue de la culture de (Nom de la personne), se considère-t-elle/il comme indigène ? ») [6]. En cela, l’Inegi suit la recommandation de la convention no 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) : « La conscience de leur identité indigène ou tribale devra être considérée comme un critère fondamental pour la reconnaissance de leur identité culturelle [7]. » Jean-Pierre Lavaud et Françoise Lestage [2005] ainsi que Fabiana Del Pópolo [2008] montrent que la saisie de l’identité ethnique ou culturelle par l’autodéclaration se généralise dans la plupart des pays latino-américains, suivant en cela l’évolution déjà ancienne du recensement aux États-Unis. Cette évolution a des implications aussi bien statistiques que politiques.

8 Au Mexique, depuis des décennies, le débat est vif dans les cercles académiques comme dans la société civile sur la question de qui est indigène et qui ne l’est pas [Martínez Novo, 2006 ; Hoffmann, 2002 ; Hoffmann, Rodríguez, 2007]. Par l’autodéclaration, l’adhésion peut s’établir avec une communauté territoriale, linguistique, ethnique ou culturelle, ou avec des notions plus ductiles, comme celle de communauté « morale » pour les migrants indigènes qui conservent dans les grandes métropoles du pays une appartenance culturelle forte au-delà de leur pratique linguistique variable et d’une implantation spatiale éclatée [Martínez Casas, de la Peña, 2004], ou encore avec celle, la plus générale, de communauté sociale et politique « indienne », à l’échelle nationale. On peut alors se demander quelles sont les identités culturelles spécifiques de ces groupes, et qui s’autodéclare indigène selon la question posée ? D’une part, il n’y a pas une, mais un grand nombre de cultures indigènes au Mexique [8]. D’autre part, les catégories de la sociabilité quotidienne et celles produites par le travail intellectuel ne coïncident jamais complètement. L’intention de la modification de la question en 2010 était justement de se rapprocher de l’expérience vécue des répondants, en s’éloignant des catégories ethniques de 2000, jugées rigides. Mais paradoxalement, dans certains contextes, l’appartenance culturelle indigène peut correspondre à une notion éthique plus qu’à des pratiques culturelles vécues. Et les références directes de 2000 aux grands groupes ethnolinguistiques, dans les régions à fort peuplement indigène, peuvent correspondre aux étiquettes culturelles du quotidien plus qu’à des appartenances ethniques essentialistes.

9 Quoi qu’il en soit, la question de 2010 a « rapporté » beaucoup plus d’indigènes que celle de 2000. Pourquoi ? La première explication est d’ordre linguistique. Le verbe ser, en espagnol, désigne un état permanent, tandis que considerarse (comme le verbe estar) est réservé aux situations temporaires, changeantes ou contingentes. Le passage de la formulation de 2000 à celle de 2010 introduit d’abord une notion de culture protéiforme que chacun peut configurer à volonté. Mais surtout, dans la situation de dialogue avec les enquêteurs [9], les deux formulations renvoient à des « temps de mémoire » bien différents : celui de la durée de vie de l’enquêté, probablement même de ces ancêtres, en 2000 et celui de l’ici et maintenant en 2010. La question d’une appartenance ethnique « existentielle » en 2000 a exclu bon nombre de personnes d’ascendance indigène qui ne parlent plus la langue ou qui, à la suite de migrations ou de l’évolution économique et culturelle rapide de leur(s) espace(s) de vie, ont répondu négativement.

10 Se considérer comme indigène du point de vue de sa culture est sans aucun doute une notion bien plus souple et transposable hors des territoires indigènes historiques. L’identité culturelle indigène perçue et revendiquée en 2010 correspond, à l’évidence, à différentes composantes et niveaux d’appartenance : depuis celle qui renvoie à une sorte de « nature », produit des rapports sociaux et culturels vécus au quotidien et consolidés sur le temps long, jusqu’à une notion d’identité culturelle plus « intellectuelle », évolutive et médiatisée par des acteurs sociaux indigènes, mais aussi exogènes.

11 Pour comprendre « l’explosion identitaire » entre 2000 et 2010, l’analyse sémantique est donc insuffisante ; il faut recourir à l’étude des caractéristiques sociodémographiques des populations que les deux questions permettent de définir.

Individus et ménages : les 16 catégories du « volcan » indigène au Mexique

12 À partir des deux questions d’identification linguistique et d’autodéclaration en 2000 et 2010, l’Inegi ne distingue généralement que deux catégories : l’ensemble des locuteurs de langues indigènes d’une part, et l’ensemble des personnes non locutrices, mais déclarant leur appartenance indigène d’autre part [10].

13 La question complémentaire posée aux locuteurs de langues indigènes – « Parlez-vous l’espagnol ? » – permet la distinction de quatre catégories au plan individuel : (1) les personnes locutrices monolingues – parlant une langue indigène, mais pas l’espagnol – dont la quasi-totalité est déclarée [11] ; (2) les personnes locutrices bilingues et déclarées ; (3) les personnes locutrices bilingues non déclarées ; (4) les personnes non locutrices déclarées.

14 Cependant, selon une critique désormais classique, cette approche individuelle des identités est insuffisante. C’est sur des unités collectives (ménages, familles, communautés) que s’exercent les dynamiques démographiques, socio-économiques et anthropologiques et c’est en leur sein que se façonnent les différents types d’appartenance indigène. Les données censitaires se prêtent assez naturellement à une approche plus détaillée concernant les ménages.

Structure des ménages et appartenance collective : un critère d’homogénéité linguistique et « ethnique »

15 La saisie statistique de l’identité ethnolinguistique des ménages a déjà fait l’objet de plusieurs travaux au Mexique [Serrano Carreto, Embriz Osorio, Fernandez Ham, 2002 [12]]. Les options défendues jusqu’à présent oscillent entre une solution maximaliste qui consiste à retenir comme indigène tout ménage dans lequel au moins un individu, quel que soit son lien de parenté avec le chef de ménage, est locuteur ou déclaré [Conapo, 2001], et une définition restreinte où l’on ne prend seulement en compte le chef de ménage et son conjoint [Martínez Casas, Janssen, 2006]. Au-delà d’estimations différentes [13], s’en tenir à une définition dichotomique (indigène/non indigène), alors que la qualification socio-économique de la population est un enjeu politique important, ne permet pas de mettre à jour les différentes compositions ethnolinguistiques des ménages indigènes et de comparer les caractéristiques des populations qu’ils regroupent. C’est pourquoi nous proposons ici une typologie détaillée.

16 En considérant conjointement les réponses des individus et leurs liens de parenté au chef de ménage, on peut construire plusieurs catégories d’appartenance indigène collective. Nous distinguons pour cela quatre situations.

17 1. Le chef de ménage et son conjoint partagent les mêmes caractéristiques linguistiques (locuteurs mono ou bilingues ou non-locuteurs) et déclarent la même appartenance (indigène ou non). Ce noyau adulte homogène transmet alors ses caractéristiques au ménage.

18 2. Le chef de ménage et son conjoint ont des caractéristiques différentes, l’un des deux au moins étant locuteur ou déclarant [14]. On retient alors pour caractéristiques du ménage celles de la personne « la plus indigène » dans l’ordre suivant : locuteur monolingue, locuteur bilingue déclaré, locuteur bilingue non déclaré, non-locuteur déclaré.

19 3. Le couple adulte à la tête du ménage ne possède aucune caractéristique indigène. On s’intéresse alors aux adultes du ménage des générations collatérales ou ascendantes du chef de ménage ou de son conjoint : frères et sœurs, cousins, père et mère, oncles et tantes, grands-parents, etc. À nouveau, parmi eux, la personne la « plus indigène » décide du statut ethnolinguistique du ménage.

20 4. Enfin, lorsque ni le chef de ménage, ni son conjoint, ni leurs apparentés dans les générations collatérales ou ascendantes ne sont locuteurs ou déclarants, le statut indigène du ménage peut provenir, s’il s’en trouve, de locuteurs ou de déclarants des générations de descendants : enfants, petits-enfants, neveux ou nièces, etc. du chef de ménage ou du conjoint, avec la même règle de priorité à la personne la « plus indigène ».

21 La combinaison des quatre attributs linguistiques et ethniques individuels avec les quatre « structures ethnolinguistiques » des ménages permet donc d’assigner aux ménages indigènes 16 types ethnolinguistiques distincts (voir tableau 1). Par exemple, pour les ménages locuteurs monolingues, on distinguera ceux où les deux membres du couple à la tête du ménage sont locuteurs monolingues, ceux où un seul membre l’est, ceux où la personne locutrice monolingue est un collatéral ou ascendant du chef de ménage ou de son conjoint et ceux où cette personne appartient aux générations descendantes du chef de ménage ou de son conjoint.

Tableau 1

Nomenclature, abréviations et populations des 16 types ethnolinguistiques de ménage

Tableau 1
Type ethnolinguistique du ménage Abréviation 2000 2010 Nombre de ménages %des ménages indigènes Nombre de ménages %des ménages indigènes Chef de ménage et conjoint locuteurs monolingues Cm et c loc mono 104 882 4,1 102 823 2,1 Chef de ménage et conjoint locuteurs bilingues déclarants Cm et c loc bil decl 506 274 19,6 908 141 18,5 Chef de ménage et conjoint locuteurs bilingues non déclarants Cm et c loc bil ndecl 284 545 11,0 35 841 0,7 Chef de ménage et conjoint non locuteurs déclarants Cm et c nloc decl 100 065 3,9 1 185 788 24,1 Chef de ménage ou conjoint locuteurs monolingues Cm ou c loc mono 278 713 10,8 114 567 2,3 Chef de ménage ou conjoint locuteurs bilingue déclarants Cm ou c loc bil decl 407 709 15,8 907 945 18,5 Chef de ménage ou conjoint locuteurs bilingue non déclarants Cm ou c loc bil ndecl 554 308 21,5 154 328 3,1 Chef de ménage ou conjoint non locuteurs déclarants Cm ou c nloc decl 128 701 5,0 1 121 129 22,8 Collatéraux ou ascendants locuteurs monolingues Asc loc mono 580 0,0 937 0,0 Collatéraux ou ascendants locuteurs bilingues déclarants Asc loc bil 8 522 0,3 26 926 0,5 Collatéraux ou ascendants locuteurs bilingues non déclarants Asc loc decl bil ndecl 36 033 1,4 10 402 0,2 Collatéraux ou ascendants non locuteurs déclarants Asc nloc decl 3 568 0,1 33 789 0,7 Descendants locuteurs monolingues Desc loc mono 617 0,0 393 0,0 Descendants locuteurs bilingues déclarants Desc loc bil decl 7 054 0,3 25 327 0,5 Descendants locuteurs bilingues non déclarants Desc loc bil ndecl 126 997 4,9 29 352 0,6 Descendants non locuteurs déclarants Desc nloc decl 29 860 1,2 256 499 5,2 Total Ménages indigènes 2 578 428 100,0 4 914 187 100,0 Total Ménages non indigènes 22 639 808 23 782 066

Nomenclature, abréviations et populations des 16 types ethnolinguistiques de ménage

Sources : Inegi, recensements de population et logement 2000 et 2010 ; traités par les auteurs.

L’évolution des effectifs et de la répartition spatiale des populations autodéclarées indigènes

22 Sur le plan individuel (figure 1), la progression des effectifs dans la population locutrice est forte : les déclarés passent de 4,2 millions en 2000 à 6,6 millions en 2010. Mais, plus spectaculaire encore est l’augmentation chez les non-locuteurs : les déclarés n’étaient que 1,1 million en 2000, ils sont 9,1 millions en 2010. Ainsi, l’autodéclaration chez les locuteurs progresse de 56,5 % tandis qu’elle explose (+ 728 %) chez les non-locuteurs. Contrairement à ce que l’on observait en 2000, les femmes s’autodéclarent maintenant un peu plus que les hommes. L’augmentation du taux concerne par ailleurs tous les groupes d’âge avec des valeurs voisines. Enfin, ce taux d’autodéclaration croît avec la taille des lieux de résidence : il a été multiplié par 1,9 en milieu rural, par 2,3 dans les petites villes, 3,9 dans les villes moyennes et 6 dans les grandes villes.

Figure 1

Évolution des effectifs et des taux d’autodéclaration indigène des individus (2000-2010)

Figure 1

Évolution des effectifs et des taux d’autodéclaration indigène des individus (2000-2010)

Sources : Inegi, recensements de population et logement 2000 et 2010 ; traités par les auteurs.

23 On peut donc brosser une première ébauche du portrait des indigènes déclarés en 2010 : ils sont également répartis entre les deux sexes ; pour la majorité (58 %) non locuteurs de langues indigènes ; 42 % ont moins de 25 ans et 29 % sont âgés de 25 à 44 ans ; 46 % vivent en milieu rural, 33 % dans les villes petites et moyennes (moins de 2 500 à 100 000 habitants) et 21 %dans les villes de plus de 100 000 habitants – en 2000, ces derniers n’étaient que 8,8 %.Cette énorme progression de l’autodéclaration, en particulier chez les non-locuteurs de langues indigènes, chez les jeunes et dans les grandes villes, aboutit au doublement de la population indigène citée en introduction. En 2000, celle-ci était locutrice à 85 %, elle est devenue en 2010 majoritairement non locutrice (56 %).Ce fait, concomitant à l’érosion lente mais continue de la pratique des langues indigènes, établit la pertinence statistique et sociologique de l’autodéclaration comme critère central au côté de l’identification linguistique.

24 La progression de l’autodéclaration indigène est très différenciée géographiquement (cartes 1 et 2 en annexe). En 2000, le taux d’autodéclaration chez les locuteurs ne dépassait 75 % que dans des États à fortes proportions de populations indigènes locutrices : Guerrero (85 %), Oaxaca (81 %), San Luis Potosí (77 %), Quintana Roo et Chihuahua [15] (76 %) et Chiapas (73 %). En 2010, 18 États sur 32 atteignent un taux égal ou supérieur à 90 %. Cet espace d’autodéclaration quasi systématique des locuteurs couvre maintenant la totalité des régions centre et sud du pays (à l’exception du District fédéral, de Tlaxcala, Jalisco et Colima). À l’inverse, le taux ne descend en dessous de 50 % que dans quatre États où la proportion de locuteurs est inférieure à 0,1 % de la population totale : Tamaulipas, Nuevo León, Coahuila et Aguascalientes. En 2000, 18 des 32 États étaient dans ce cas. Dix ans plus tard, seule une situation d’invisibilité démographique presque totale retient la majorité des locuteurs de langues indigènes de s’autodéclarer. Quant aux progressions moyennes les plus fortes (supérieures à 200 % de la valeur en 2000), elles s’observent dans des États très urbanisés et/ou à forte croissance économique, à majorité de populations natives blanche et métisse, où elle était assez faible en 2000 (moins de 45 %) : Guanajuato (+ 1 495 %), Tlaxcala (+ 581 %), District fédéral (+ 492 %), Durango (+ 363 %), Mexico (+ 229 %), Sinaloa (+ 207 %), Zacatecas (+ 202 %). On peut donc conclure que l’autodéclaration des locuteurs est maintenant générale, dans les régions traditionnelles de peuplement indien comme dans les espaces métisses et les lieux d’émigration, en ville comme à la campagne.

25 S’agissant des non-locuteurs, la géographie de la progression de l’autodéclaration indigène est plus contrastée. Les pays maya et zapotèque se distinguent par des taux records d’autodéclaration en 2010, mais par des progressions relativement modérées sur la période intercensitaire : de 18 à 49 % dans le Yucatan, de 12 à 28 % dans le Quintana Roo, de 6 à 26 % dans le Campeche et de 13 à 33 % dans l’Oaxaca. Dans d’autres régions à fort peuplement indigène, les taux progressent beaucoup plus fortement : dans les États de Puebla, Hidalgo, Veracruz, Guerrero, San Luis Potosí, le nombre de non-locuteurs déclarés a été multiplié par des facteurs allant de 7 (San Luis Potosí) à 14,5 (Puebla). La seule exception est le Chiapas (1 % en 2000, 7 % en 2010), où l’autodéclaration reste très minoritaire chez les non-locuteurs, du fait d’une très forte ségrégation spatiale et sociale des populations indigène et non indigène. À nouveau, les progressions les plus fortes ont lieu dans les États du centre du pays où la population native n’est que marginalement locutrice. Dans les États de Colima, Tlaxcala, Querétaro, Morelos, Aguascalientes, Jalisco, Guanajuato, Zacatecas, Tamaulipas, les taux de non-locuteurs déclarés, inférieurs à 0,5 % en 2000, sont multipliés par des facteurs allant de 20 (Tamaulipas) à 75 (Colima), pour atteindre 12 à 15 % de la population totale dans les quatre premiers. Enfin, dans le contexte des métropoles du centre (District fédéral et État de Mexico) ou des États à très forte croissance économique et urbaine de la frontière nord (maquiladoras[16] et agro-industrie de Basse-Californie, Sonora, Chihuahua, Coahuila, Tamaulipas), l’autodéclaration, marginale en 2000, émerge fortement (4 à 5 % de la population non locutrice, 10 % dans l’État de Mexico et le Sonora).

26 Si la littérature sur la migration et l’urbanisation de la population indigène au Mexique est abondante [Conapo, 2001 ; Lartigue, Quesnel, 2003 ; Nolasco, Rubio, 2011], il y a peu d’essais d’analyse sur les nouvelles identités qui surgissent en ville, au sein de ces générations nées et socialisées dans la migration. Dans un travail antérieur, Regina Martínez Casas [2007] a montré que beaucoup d’indigènes urbains affirment ou occultent, en fonction du contexte, leur identité communautaire, linguistique, ethnique, etc., par rapport à la société urbaine qui les intègre parfois, mais les discrimine le plus souvent. Pour la population otomi qui vivait à la fin des années 1990 à Guadalajara [17], elle observe que seuls les adultes déclarent parler otomi tandis que tous, enfants, jeunes et adultes, se reconnaissent indigènes. Dans le contexte local de forte ségrégation résidentielle de ces communautés, la notion « d’invisibilité » – au sens démographique évoqué plus haut, mais surtout sociale et culturelle à la fois subie et recherchée [18] – freine la pratique linguistique des plus jeunes, sans s’opposer à une appartenance indigène déclarée. Ce que confirme l’analyse des données censitaires de 2010 : dans l’État du Jalisco, l’autodéclaration indigène progresse énormément, et ce en l’absence de nouveaux locuteurs – en tout cas recensés comme tels.

27 Bien sûr, cette géographie générale de l’autodéclaration masque des dynamiques régionales et locales beaucoup plus complexes qu’il serait trop long d’aborder ici. La carte 2 en annexe montre la très forte hétérogénéité, spatiale, nationale et au sein des États, de l’évolution des taux municipaux. Au sud-ouest (Oaxaca, Chiapas et la péninsule du Yucatán), l’autodéclaration est « saturée » et ne progresse que très localement par l’effet des migrations. Ailleurs, les taux supérieurs à la médiane (environ + 500 %) reproduisent la géographie du peuplement indigène traditionnel à laquelle s’ajoutent les nouveaux espaces d’émigration.

28 Cette recomposition du peuplement renvoie à des enjeux territoriaux, agraires et environnementaux et, plus généralement, économiques et politiques qui tous impactent très certainement les logiques culturelles et identitaires. Dans bien des cas, il est clair que la très forte progression de l’autodéclaration, en particulier chez les non-locuteurs, ne s’explique pas majoritairement par la réaffirmation d’identités ethniques « traditionnelles », mais par les dynamiques sociales et politiques indigènes récentes. Nous n’en citerons qu’un exemple. Dans les régions du centre et du sud du Mexique, particulièrement au Chiapas et dans l’Oaxaca, sont apparus des mouvements sociaux à forte composante indigène qui, comme La Otra Campaña et l’Asociación popular de los pueblos d’Oaxaca (APPO), sont idéologiquement assez proches du zapatisme [Baronnet, Mora, Stahler-Sholk,2001]. Au-delà de leurs succès politiques et sociaux, variables mais concrets, la mobilisation, la médiatisation et l’élan de sympathie que ces mouvements sociaux provoquent, conjugués à l’effet du changement de la question d’autodéclaration, ont un impact qui s’étend largement aux populations non locutrices, et bien au-delà des régions directement concernées.

L’évolution de la typologie ethnolinguistique des ménages indigènes

29 Suivant en cela le comportement des individus, le nombre deménages locuteurs n’a pas progressé en dix ans,mais ils sont maintenant presque tous déclarés (figure 2). C’est de nouveau dans la population non locutrice que les chiffres justifient la métaphore volcanique : + 891 % de ménages non locuteurs déclarés, + 800 % pour la population de ces ménages. En volume, c’est principalement l’explosion de l’autodéclaration des adultes non locuteurs à la tête des ménages qui provoque le doublement du nombre de ménages indigènes et propulse le poids démographique de cette population à près de 19 % de la population mexicaine. La période intercensitaire a vu se produire une recomposition en profondeur. En 2000, cette population se répartissait pour 67 % du total dans quatre principaux types de ménages : ceux où le chef de ménage et/ou son conjoint étaient locuteurs bilingues déclarés et ceux où ces mêmes personnes locutrices bilingues ne se déclaraient pas indigènes. En 2010, les catégories de locuteurs non déclarés s’effondrent et sont remplacées par des ménages de non locuteurs déclarés. Les quatre types dominants de ménages cumulent maintenant plus de 82 % de la population des ménages indigènes, avec une répartition très équilibrée. Cette vague d’autodéclaration des non-locuteurs s’étend aussi aux générations d’ascendants et, surtout, de descendants des chefs de ménage, pour un total de 290 300 ménages qui regroupent 6,9 %de l’ensemble de cette population – contre 1,6 %en 2000.

Figure 2

Évolution des types ethnolinguistiques des ménages indigènes mexicains (2000-2010)

Figure 2

Évolution des types ethnolinguistiques des ménages indigènes mexicains (2000-2010)

Notes : pour les abréviations, voir le tableau 1 plus haut.
Sources : Inegi, recensements de population et logement en 2000 et 2010 ; traités par les auteurs.

L’évolution des conditions de vie des ménages indigènes

30 Avec l’explosion des effectifs, la recomposition brutale de la population déclarée indigène peut évidemment bouleverser le positionnement socio-économique et culturel de ces ménages dans la société nationale. L’a-t-elle fait, dans quelles proportions et avec quelles conséquences sur les conditions de vie de différents types ethnolinguistiques ? C’est pour répondre à ces questions que la typologie des ménages prend tout son sens.

La méthode d’analyse multivariée des données censitaires

31 Le questionnaire étendu du recensement fournit une information beaucoup plus complète que dans la base exhaustive. Elle couvre les thèmes suivants : 1) localisation géographique des ménages, 2) modalité d’occupation et conditions physiques du logement, 3) accès aux services publics et équipement en biens de consommation, 4) composition des ménages et caractéristiques démographiques des individus, 5) fécondité des femmes de 12 ans et plus, 6) capital éducatif des individus de 5 ans et plus, 7) sécurité sociale et santé, 8) activité économique et revenus des individus de 12 ans et plus, 9) migration depuis la naissance (migrants durée de vie), migration depuis 1995 en 2000 ou depuis 2005 en 2010, migration internationale depuis 1995 en 2000 ou depuis 2005 en 2010.

Encadré 1. Codage des variables de l’analyse

L’ensemble de l’information consiste en 37 variables concernant les ménages : 205 modalités au total après discrétisation des variables quantitatives en 2000, 258 modalités en 2010 à cause de l’évolution du questionnaire.
Certaines de ces variables sont des indicateurs synthétiques construits à partir de l’information brute selon les définitions suivantes : 1) promiscuité dans le logement : nombre de personnes du ménage divisé par le nombre de pièces utilisées pour dormir ; 2) climat éducatif : nombre moyen d’années d’étude des personnes de 15 ans et plus du ménage ; 3) indicateur de condition sociale : climat éducatif divisé par promiscuité ; 4) note d’équipement du ménage : somme des notes attribuées aux biens d’équipement que possède le ménage selon leur valeur d’achat ; 5) indicateur de fécondité : nombre moyen d’enfants nés vivants des femmes de 15 à 45 ans du ménage ; 6) taux de dépendance totale : nombre d’actifs ayant un emploi divisé par le nombre de personnes du ménage ; 7) taux de dépendance juvénile : nombre d’actifs ayant un emploi par rapport au nombre de personnes du ménage de moins de 15 ans ; 8) revenu par personne du ménage : somme des revenus du travail des individus actifs divisé par le nombre de personnes du ménage (en pesos constants de 2000).
La discrétisation de ces variables continues est effectuée selon leur distribution, soit en intervalles correspondants à ses modes principaux – l’intervalle est alors indiqué –, soit en quantile pour les distributions régulières – le quantile est alors indiqué, 1/10 par exemple pour le premier décile [19].

32 Pour synthétiser cette information, la méthode statistique utilisée consiste en deux analyses multidimensionnelles – analyses factorielles des correspondances (AFC) multiples [Benzécri, 1976] –, répétées à l’identique en 2000 et 2010. Elles fournissent les grandes structures de différenciation sociodémographique, économique, migratoire, etc. de l’ensemble des ménages mexicains aux deux dates (axes factoriels). La technique des éléments supplémentaires [Saporta, 1990, p. 231-232] permet de projeter sur les plans factoriels, sans qu’ils participent à la définition des axes, les types de ménages indigènes ainsi que les points moyens des ménages indigènes et non indigènes. Les variations de position des différents types de ménages d’une analyse à l’autre témoignent de leur évolution durant cette période en rapport à la thématique des axes. Les résultats qui suivent s’appuient principalement sur les premiers plans factoriels (plans 1x2) en 2000 et 2010 reproduits en annexe (figures 4 et 5) [20].

Un repositionnement important des ménages indigènes dans l’espace social

33 En 2010 comme en 2000, la différenciation socio-économique entre les ménages (axe horizontal des figures 4 et 5) domine largement la structure des données. Ce facteur explique la moitié environ de l’inertie totale et fournit la position des ménages dans l’échelle sociale. Soit les variables qui le déterminent s’y rapportent directement (indice de condition sociale, catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage, revenus et équipement des ménages) soit elles lui sont très corrélées (analphabétisme, climat éducatif du ménage et capital scolaire du chef de ménage ou du conjoint, condition de logement et promiscuité, accès aux services publics, etc.). On dispose ainsi d’une sorte de « super IDH [21] » concernant les ménages.

34 Le second facteur (axe vertical), lié quant à lui à la composition et au comportement démographique des ménages, rend compte de 21 % de l’inertie en 2000 et de 27 % en 2010. Il segmente l’ensemble des ménages en trois catégories principales (du haut en bas de l’axe) : les ménages unipersonnels ; les ménages incomplets ayant une seule personne à leur tête, principalement dirigés par des femmes, à fécondité modérée ; les ménages nucléaires complets, nucléaires étendus ou composés, de taille plus importante et aux fécondités et taux de dépendance juvénile les plus élevés.

35 La modification des conditions de vie des Mexicains, indigènes ou non, durant la décennie, s’inscrit dans le contexte de la crise économique et sociale mondiale depuis 2008, dont l’impact conjoncturel se mêle à l’évolution socio-économique endogène. Le revenu du travail per capita mensuel moyen (RPCM) des ménages en valeur constante (pesos mexicains de 2000) a chuté de 2,5 % : 1 560 pesos en 2010 contre 1 600 en 2000. Cette érosion est exclusivement due à l’impact de la crise de 2008 : en deux ans (2008-2010), le RPCM des ménages, croissant jusqu’en 2007, a en effet chuté de 9,2 % [22]. La crise n’a pas entraîné d’accroissement de l’inégalité des revenus du travail, même si ceux du capital s’envolent. On assiste, au contraire, à une légère contraction (- 4,3 %) de l’écart de revenu médian entre les 10 % les plus pauvres et les plus riches.

36 L’analyse multivariée confirme cette évolution. L’étendue du nuage de points le long du facteur socio-économique s’accroît entre 2000 et 2010 à cause de la progression des classes « aisées » vers la gauche tandis que les classes les plus pauvres ne bougent pas à droite. Cependant, surtout grâce au maintien des transferts sociaux par l’État, les classes populaires progressent vers le centre de l’axe, ce qui restreint l’espace occupé par les classes moyennes. Au total, l’écart socio-économique au sein de la grande majorité des ménages (les classes populaires et moyennes) a diminué en 2010, comme en témoigne la part d’inertie totale expliquée par le premier facteur : 54 % en 2000, 46 % en 2010. Dans ce contexte général, qu’en est-il de l’évolution des différents types de ménages indigènes ?

37 En 2000, la figure 4 montre, au sein de l’univers indigène, l’existence d’une corrélation forte entre la catégorie ethnolinguistique et la position sociale des ménages [Barbary, 2012, p. 8-14]. Schématiquement, les ménages à l’identité ethnolinguistique la plus « traditionnelle » (monolingues déclarés, à droite de la figure) connaissaient, dans leur presque totalité, une extrême pauvreté due à leur exclusion économique, leur ségrégation spatiale et dans l’accès à l’éducation, la santé, etc., et les diverses formes de discrimination dont ils font l’objet. Plus marqués par le métissage biologique et culturel, les ménages de locuteurs bilingues déclarés et les ménages de locuteurs bilingues non déclarés occupaient des positions plus variées dans l’échelle sociale, depuis les classes populaires jusqu’aux classes moyennes. Enfin, l’espace social des ménages de non-locuteurs déclarés s’étendait à l’ensemble des classes moyennes jusqu’à la limite des classes aisées.

38 En 2010 (figure 5), le positionnement moyen des ménages indigènes s’est sensiblement rapproché du centre du plan (moyenne des ménages mexicains) et des ménages non indigènes qui ne bougent pratiquement pas entre les deux dates. Mais cette diminution d’environ 30 % de l’écart entre les moyennes indigènes et non indigènes, reflet d’une progression réelle, ne concerne pas l’ensemble des ménages indigènes de 2000. En fait, elle est principalement due à l’apport numérique massif en 2010 de ménages non locuteurs déclarés, positionnés en haut de l’échelle sociale indigène, tandis que les ménages locuteurs monolingues, socialement très défavorisés, régressent fortement en nombre. La relation observée en 2000 entre les caractéristiques ethnolinguistiques et la hiérarchie socio-économique demeure, mais, tandis que les ménages locuteurs monolingues sont, plus encore qu’en 2000, cantonnés au plus bas de l’échelle sociale, et que les ménages dirigés par des locuteurs bilingues déclarés régressent légèrement dans le segment inférieur des classes populaires, l’ensemble des autres catégories connaît des évolutions diverses. Ascendantes pour les ménages locuteurs bilingues non déclarés, ou descendantes pour les ménages non locuteurs déclarés, elles aboutissent à leur regroupement au sein des classes populaires supérieures et des classes moyennes inférieures. Ainsi, les ménages locuteurs bilingues non déclarés et les ménages non locuteurs déclarés, dont les profils se distinguaient clairement en 2000 à l’avantage des seconds sont, dix ans après, très proches.

39 En revenant à deux indicateurs du recensement très déterminants du premier axe en 2010, la figure 3 fournit l’illustration concrète de ces évolutions diversifiées. À droite de la figure, on note la progression socio-économique de l’ensemble des ménages indigènes : depuis dix ans, leur revenu du travail et l’indicateur de condition sociale ont progressé environ deux fois plus que pour les ménages non indigènes. L’évolution moyenne est positive surtout grâce à celle des ménages dirigés par des personnes bilingues déclarées, dont le poids démographique est en forte augmentation. Par exemple, pour ceux où le chef de ménage et son conjoint sont locuteurs bilingues déclarés, les conditions de vie se sont grandement améliorées : + 41 % pour les revenus, + 48 % pour l’indicateur de condition sociale. Plus que les progrès socio-économiques réalisés par les ménages déjà déclarés en 2000, c’est l’afflux des nouveaux ménages déclarés en 2010, mieux situés sur l’échelle sociale, qui fait grimper les indicateurs.

Figure 3

Évolution de la condition socio-économique des ménages indigènes (2000-2010)

Figure 3

Évolution de la condition socio-économique des ménages indigènes (2000-2010)

Notes : pour les abréviations, voir le tableau 1 plus haut.
Sources : Inegi, recensements de population et logement 2000 et 2010 ; traités par les auteurs.

40 Les deux hypothèses explicatives déjà évoquées jouent conjointement. Tout d’abord, la formulation de la question en 2010 permet de mieux « recruter » les indigènes locuteurs urbanisés, qui connaissent une certaine mobilité sociale ascendante, et pour lesquels l’affirmation de l’appartenance culturelle ne fait plus problème. Ensuite, depuis dix ans, la consolidation et les succès de mouvements sociaux indigènes et, parallèlement, la promotion par l’État fédéral de nouveaux droits liés à l’appartenance ethnique (accès à l’éducation, la santé, les services publics, etc.) produisent l’apparition d’enjeux économiques et sociaux positifs – au moins en droit – liés à l’appartenance ethnique. Dans certains contextes résidentiels et sociaux locaux, en particulier dans les classes populaires, une troisième cause pourrait être une baisse réelle de la stigmatisation des indigènes.

41 Mais les progrès socio-économiques les plus importants concernent les groupes devenus très minoritaires en 2010 : les quatre types de ménages locuteurs bilingues non déclarés. Avec des augmentations de 63 à 91 % du revenu du travail et de 39 à 73 % de l’indicateur de condition sociale, ils progressent trois fois plus que l’ensemble des ménages non indigènes et deux fois plus que la moyenne des ménages indigènes. L’explication principale en est le transfert massif, entre 2000 et 2010, de la fraction la plus défavorisée de ces ménages depuis ces catégories vers celles des locuteurs bilingues déclarés. En inversant l’argumentation précédente, il semble que les ménages restants – catégories de locuteurs bilingues qui refusent l’autodéclaration en 2010 –, situés maintenant très haut dans l’échelle sociale indigène, ne se s’autodéclarent pas parce qu’ils ne perçoivent ni la baisse sensible du racisme dont ils souffrent ni les avantages potentiels liés aux évolutions politiques et juridiques.

42 Deux conclusions s’imposent. Premièrement, malgré sa forte réduction en dix ans, l’écart entre les conditions sociales moyennes des ménages indigènes et non indigènes demeure important. L’une des explications tient à ce que la progression socio-économique d’ensemble des ménages indigènes exclut presque totalement ceux qui demeurent monolingues, de plus en plus marginalisés, numériquement, géographiquement et sur l’échelle sociale, ainsi qu’une partie importante des ménages bilingues déclarés, qui reste spatialement et socialement ségréguée. Deuxièmement, l’apport massif de population aux catégories de ménages qui déclarent leur appartenance culturelle indigène en 2010, contrairement à une hypothèse parfois avancée par les analystes, ne provient pas majoritairement des classes moyennes, mais des classes populaires. Son impact principal est le regroupement des catégories bilingues déclarées et non locutrices déclarées au sein des classes populaires et dans le bas des classes moyennes.

Changement des comportements démographiques

43 Durant la décennie 2000, l’évolution des comportements démographiques se poursuit au Mexique, comme dans toute l’Amérique latine. Selon les chiffres du Centre latino-américain et caribéen de démographie (Celade), le nombre de couples mariés à la tête des ménages diminue fortement (64 % en 2000, 55 % en 2010) au profit des unions libres, mais aussi du fait de l’augmentation des séparations, ce qui explique à la fois la montée du nombre de femmes à la tête des ménages (+ 4 %) et la baisse du nombre de ménages nucléaires complets (- 5 %) au profit de tous les autres types familiaux (ménages monoparentaux, étendus ou composés). La baisse de fécondité continue à un rythme fort : 59 % des femmes en âge fertile ont maintenant moins de deux enfants en moyenne – contre 52 % il y a dix ans. Les conséquences de ces évolutions sur la taille des ménages et le taux de dépendance juvénile sont très nettes : 67 % des ménages comptent moins de quatre personnes en 2010 (59 % en 2000) et 59 % ont moins d’un enfant à charge par actif (52 % en 2000). Dans ce contexte, la transformation des structures des ménages indigènes suit les mêmes tendances, lisibles sur l’axe vertical des figures 4 et 5. Elles sont en général plus marquées que pour les ménages non indigènes, et surtout, on constate une dilatation verticale importante du nuage, preuve d’une hétérogénéité accrue des comportements.

44 Certains types de ménages indigènes font en effet exception à l’une ou plusieurs des évolutions générales. C’est le cas pour les proportions d’unions libres, de chefs de ménages femmes, veufs, séparés ou célibataires, qui chutent de manière plus ou moins importante dans les ménages où les ascendants ou collatéraux ou les descendants du chef de ménage sont locuteurs monolingues déclarés, locuteurs bilingues déclarés, ou non locuteurs déclarés. Six catégories au total sont concernées, dont les deux premières ont des effectifs réduits en 2010, tandis que les autres sont au contraire en pleine progression. Plus souvent, et pour les catégories qui ont connu l’évolution numérique la plus forte entre les deux dates – négative pour les locuteurs bilingues non déclarés et positive pour les non-locuteurs déclarés –, les tendances générales du paragraphe précédent sont beaucoup plus marquées que pour l’ensemble des ménages indigènes.

45 On peut voir d’abord dans ces évolutions la poursuite, et pour la majorité des ménages indigènes l’accélération, du changement structurel lié à la transition démographique : unions plus tardives, émancipation féminine et remise en cause de la stabilité matrimoniale, diffusion de la contraception, baisse de la fécondité, etc. Mais, par rapport aux mutations sociétales (urbanisation, progrès de l’éducation, intensification des migrations, hausse de la consommation) et aux conditions de crise (chômage, inflation, chute de pouvoir d’achat), les stratégies d’ajustement des ménages produisent aussi des comportements nouveaux : retard de l’indépendance résidentielle des jeunes, regroupement intergénérationnel dans les logements, stratégies migratoire et plurirésidentielle des groupes familiaux, voire des communautés, etc. Par exemple, depuis 2009, différentes sources d’information officielles montrent que le flux migratoire avec les États-Unis s’est inversé : il y a plus de retours de migrants mexicains au pays que de départs vers le voisin du nord ; dans le même temps cependant la migration interne dans le pays ne cesse de progresser. Comme pour les variables précédentes, l’analyse des migrations montre que la population indigène est au cœur de cette évolution.

46 Les ménages indigènes ont, en moyenne et depuis longtemps, une moindre tendance à la migration que ceux non indigènes [Barbary, 2012 ; Lartigue, Quesnel, 2003]. Cependant depuis 2000, alors que la mobilité spatiale reste constante pour les ménages non indigènes, elle s’intensifie dans les ménages indigènes, sans toutefois atteindre le niveau moyen des premiers : en 2010, 22 % des chefs de ménages indigènes sont nés hors de leur État de résidence contre 29 % dans les ménages non indigènes. Mais cette statistique moyenne cache à nouveau de très fortes disparités. On peut distinguer quatre groupes aux comportements nettement différents.

47 1. Les ménages ayant à leur tête un ou deux adultes monolingues déclarés, pratiquement assignés à résidence dans leurs lieux de naissance – moins de 4 % de chefs de ménage migrants sur la durée de vie –, dont la mobilité a encore baissé depuis 2000.

48 2. Un groupe de cinq catégories à la mobilité intermédiaire, mais restant inférieure à celle des ménages non indigènes (entre 13 et 25 % de chefs de ménage migrants). Il est composé des deux autres types de ménages locuteurs monolingues, des deux types de ménages ayant à leur tête un ou deux adultes bilingues déclarés, et de ceux où le chef de ménage et son conjoint sont non locuteurs déclarés.

49 3. Un groupe dont la mobilité est légèrement supérieure à celle des ménages non indigènes (entre 29 et 33 % de chefs de ménage migrants), qui contient six types de ménages : locuteurs bilingues déclarés – les deux types où les déclarants sont des collatéraux, ascendants ou descendants du chef de ménage ou du conjoint –, locuteurs bilingues non déclarés – déclarants collatéraux ou ascendants du chef de ménage ou du conjoint – et non-locuteurs déclarés – tous les types à l’exception des ménages où le chef de ménage et son conjoint sont déclarants.

50 4. Les trois catégories les plus mobiles, très au-dessus des taux de migration des ménages non indigènes (entre 35 et 46 % de chefs de ménage migrants), sont composées de ménages locuteurs bilingues non déclarés. Dans l’ordre de mobilité croissante, se succèdent : les ménages où des ascendants ou collatéraux du chef de ménage sont bilingues non déclarés, les ménages où les deux adultes à la tête du ménage le sont, les ménages où un seul d’entre eux l’est. Ce sont aussi, comme on l’a vu, les catégories qui ont connu la plus forte ascension sociale.

Conclusion

51 Ce travail avait comme propos principal de décrire assez précisément l’évolution démographique de la population indigène locutrice et/ou déclarée au Mexique, et les dynamiques socio-économique, migratoire, linguistique, culturelle et politique qui accompagnent – et expliquent – sa formidable croissance entre les recensements de 2000 et 2010. Son premier résultat est méthodologique, avec la validation d’une typologie des ménages indigènes qui permet de caractériser précisément leur comportement socio-économique et démographique et d’en mesurer la forte hétérogénéité. C’est un préalable indispensable à toute analyse plus détaillée, statistique comme anthropologique ou politique, des causes et conséquences de ce que l’on pourrait qualifier rapidement d’« explosion identitaire ».

52 La première hypothèse avancée quant aux causes de celle-ci tient, comme on l’a vu, au changement du libellé de la question d’autoperception dans le recensement. La conjoncture du contexte de l’opération de collecte censitaire au printemps 2010 est également importante pour expliquer le succès et comprendre le sens de l’autodéclaration indigène. En pleine célébration du bicentenaire de l’indépendance et du centenaire de la révolution, la télévision publique nationale diffusait alors quotidiennement la série Discutamos México. La première partie de ce programme, consacrée au Mexique pré-hispanique, insistait sur la complexité sociale et culturelle des principales cultures indigènes du pays et leur importance comme fondements du Mexique contemporain. Ce contexte « officiel » se combine, comme on l’a vu, aux effets des mouvements sociaux qui, depuis le soulèvement néozapatiste de 1994 et la réforme constitutionnelle de 2001, incluent comme partie importante de leurs revendications politico-sociales, la spécificité des peuples indigènes et la renégociation des conditions de leur intégration dans une nouvelle acception de la société métisse mexicaine.

53 Dans la recomposition socio-économique et démographique de l’univers indigène, on voit à l’œuvre des combinaisons de facteurs démographiques, sociaux, culturels et politiques. Ils peuvent être en synergie, comme la forte croissance de la population indigène, liée à l’autodéclaration nouvelle, à sa dynamique démographique et à la migration des communautés paysannes vers les villes. Ceux-ci font grandir, se déplacer et évoluer, au travers de très fortes recompositions spatiotemporelles, ce que Regina Martínez Casas et Guillermo de la Peña ont appelé les communautés morales indigènes [Martínez Casas et de la Peña, 2004 ; Martínez Casas, 2007 ; de la Peña et Martínez Casas, 2005]. D’autres paraissent plutôt s’opposer, comme la persistance, attestée dans bien des contextes, du racisme et du mépris pour les langues indigènes, face à la revalorisation des cultures indigènes et aux succès des mouvements sociaux à forte composante indienne. On sait, d’autre part, que dans beaucoup de pays d’Amérique latine, l’autodéclaration indigène et afro-descendante progresse de manière spectaculaire ces dernières décennies [Del Pópolo, 2008]. Mais les explications proposées çà et là sont souvent partielles – géographiquement, politiquement ou disciplinairement –, ou trop générales.

54 Nous avons soutenu ici une démarche plus systématique et pluridisciplinaire, qui permet de faire interagir l’analyse statistique et les résultats socio-anthropologiques et linguistiques, à différentes échelles spatiales et sociales. Dans la dynamique contemporaine marquée par l’émigration, l’urbanisation et l’acculturation linguistique, la variété des conditions de vie et des identités indigènes en pleine transformation n’est plus réductible aux différences linguistiques et culturelles « traditionnelles » ; elle se base, se reproduit et se modifie en relation avec les différences d’accès aux ressources et aux mécanismes d’organisation socio-économiques, culturels et politiques modernes.

55 Au Mexique durant le siècle passé, l’observation et l’analyse de ce processus ont été focalisées sur la composante linguistique de l’identité culturelle [Aguirre Beltran, 1973]. L’identité nationale mexicaine construite sur les vertus du métissage, idéalisé et idéologisé par les Européens à leur profit, cède aujourd’hui la place, pour l’immense majorité des Mexicains, à des identités plurielles non pas génétiques ou ethniques, mais culturelles, sociales ou politiques. Évidemment, la reconnaissance de la différence culturelle ne va pas sans tensions et contradictions lesquelles, dans le futur proche, impacteront à nouveau les mesures disponibles dans les recensements et les enquêtes. Si celles-ci sont correctement analysées, elles permettront de suivre l’évolution des différentes dimensions de l’autoidentification et de leurs causes sociales, culturelles et politiques. Ces dernières interagissent dans un monde globalisé, certes, mais qui devra de plus en plus faire place aux affirmations conjointes de l’universel, du local et du divers qui entrent dans la fabrique des identités.

Annexes
Figure 4

L’analyse multivariée de la différenciation socio-économique et démographique des ménages indigènes en 2000

Figure 4

L’analyse multivariée de la différenciation socio-économique et démographique des ménages indigènes en 2000

Sources : Inegi, recensements de population et logement 2000 et 2010 ; traités par les auteurs.
Figure 5

L’analyse multivariée de la différenciation socio-économique et démographique des ménages indigènes en 2010

Figure 5

L’analyse multivariée de la différenciation socio-économique et démographique des ménages indigènes en 2010

Sources : Inegi, recensements de population et logement 2000 et 2010 ; traités par les auteurs.
Carte 1

L’évolution de l’autodéclaration des individus entre 2000 et 2010 (effectif 2010 - effectif 2000), par municipe

Carte 1

L’évolution de l’autodéclaration des individus entre 2000 et 2010 (effectif 2010 - effectif 2000), par municipe

Sources : Inegi, recensements de population et logement 2000 et 2010 ; traités par les auteurs.
Carte 2

L’évolution du taux d’autodéclaration entre 2000 et 2010 (en %de la valeur 2000) des individus, locuteurs ou non, par municipe

Carte 2

L’évolution du taux d’autodéclaration entre 2000 et 2010 (en %de la valeur 2000) des individus, locuteurs ou non, par municipe

Sources : Inegi, recensements de population et logement 2000 et 2010 ; traités par les auteurs.

Notes

  • [*]
    Chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), Laboratoire population environnement développement (LPED), unité mixte de recherche (UMR 151) de l’université Aix-Marseille et de l’IRD.
  • [**]
    Professeure et chercheure au Centro de investigación y estudios superiores en antropología social (Ciesas), Mexico.
  • [1]
    De 1895 (introduction du critère linguistique) jusqu’à 1921, une question sur la « race » figurait également. Entre 1921 et 1950, les coutumes vestimentaires et alimentaires étaient aussi recensées.
  • [2]
    Patricia Fernández Ham, alors directrice du recensement à l’Instituto nacional de estadística y geografía (Inegi), parlait d’une « approche statistique de la perception identitaire indigène ».
  • [3]
    Initié dès 1983 par Rafael Sebastian Guillén Vicente (dit le « sous-commandant Marcos »), le mouvement de révolte altermondialiste et indigéniste du Chiapas, à l’extrême sud du Mexique, prend le nom d’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN). Il se propage et se structure pendant dix ans dans l’ensemble des zones rurales et montagneuses du sud de cet État. En janvier 1994, l’EZLN se soulève en réaction à la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) et occupe le palais municipal de San Cristóbal de las Casas et de plusieurs autres chefs-lieux (Ocosingo, Las Margaritas, Altamirano et Comitan). Après plus de deux ans d’alternance entre négociations et affrontements militaires, durant lesquels l’EZLN a réussi à populariser sa lutte en particulier grâce à une intense communication sur Internet à l’échelle mondiale, le mouvement et le gouvernement mexicain signent en février 1996 les accords de San Andrés qui déboucheront en 2001 sur des modifications constitutionnelles en faveur des droits et des cultures des populations indigènes.
  • [4]
    Traduit par les auteurs.
  • [5]
    Pour l’Amérique latine, voir entre autres Barbary, Urrea [2004] ; Beaucage [1987] ; Cifuentes, García [1998] ; Dauzier [1997] ; Florescano [1997] ; Lavaud, Lestage [2005] ; Stavenhagen [1992] ; Wade [1997]. Une bibliographie plus complète figure dans Barbary, Urrea [2004] ; Martínez Casas [2007] ; Hoffmann, Rodriguez [2007].
  • [6]
    En 2010 comme en 2000, la question d’autodéclaration fait partie du « questionnaire étendu » du recensement, lequel est soumis à un échantillon de 10 % de la population seulement. La question était posée aux personnes de 5 ans et plus en 2000, et de 3 ans et plus en 2010.
  • [7]
    Rappelons qu’en 2005, le Mexique signe la Déclaration universelle des droits des peuples indigènes de l’Organisation des Nations unies (ONU), laquelle privilégie l’auto-identification plus que les approches linguistique ou territoriale.
  • [8]
    Dans le catalogue de l’Instituto nacional de lenguas indígenas (Inali) de 2009, 68 groupes linguistiques divisés en 364 variantes sont recensés.
  • [9]
    Le questionnaire du recensement mexicain n’est pas auto-administré.
  • [10]
    Pour abréger une terminologie lourde, nous parlerons ensuite d’individus ou de ménages « déclarés » ou « déclarants ».
  • [11]
    Plus de 98 % en 2000 et 99,5 % en 2010. Nous ne distinguerons donc pas les locuteurs monolingues non déclarés.
  • [12]
    Cet ouvrage constitue l’exploitation la plus complète des données du recensement 2000 sur la population indigène ; voir également Conapo [2001] et Martínez Casas, Janssen [2006].
  • [13]
    En 2000, par exemple, la première estimation donne un total de population des ménages indigènes de 12 658 899 personnes ; la deuxième estimation est de 11 361 634 personnes.
  • [14]
    On agrège à ce groupe les ménages monoparentaux où le chef de ménage est locuteur ou déclarant.
  • [15]
    Dans cet État, bien que la population indigène soit très minoritaire, les Indiens Tarahumaras, isolés dans la siéna du même nom, ont une identité linguistique, culturelle et économique très forte.
  • [16]
    Usines de montage des multinationales qui profitent des bas salaires mexicains.
  • [17]
    Capitale de l’État du Jalisco, la ville est la deuxième métropole du pays avec, à l’époque, environ 3,5 millions d’habitants.
  • [18]
    Un facteur déterminant, pour Regina Martínez Casas, des recompositions identitaires indigènes dans les métropoles du pays : Mexico, Guadalajara et Monterrey.
  • [19]
    Le lecteur intéressé par les détails de la méthode et des résultats plus complets en 2000 peut consulter Barbary [2008 et 2012].
  • [20]
    Pour simplifier leur lecture, ne sont représentées sur ces plans que les modalités les plus significatives : celles dont la contribution à l’inertie totale d’un des deux facteurs dépasse trois fois la contribution moyenne.
  • [21]
    Indice de développement humain [Sen, 1976].
  • [22]
    Enquête nationale sur les revenus et dépenses des ménages, 2010.
Français

Introduite lors du recensement mexicain de 2000, la question d’autodéclaration d’appartenance indigène remporte en 2010 un succès massif auprès des recensés. En effet, le taux d’autodéclaration bondit en dix ans de 6,1 % à 14,9 %. De fait, en 2010, la population des ménages indigènes atteint 21 millions de personnes, soit 18,7 % de la population mexicaine. Pour tous les observateurs de cette dynamique d’affirmation indigène, les interrogations abondent. Qui sont, socialement et culturellement parlant, les nouveaux indigènes autodéclarés ? À quels processus démographiques (urbanisation, migrations, restructuration des ménages, etc.) et à quelles stratégies d’insertion économique, de revendications politiques, d’affirmation culturelle renvoie ce phénomène massif ? Est ce que l’inflation de la population indigène s’accompagne de changements dans la position sociale de certains groupes de population ? Quelles réponses les politiques publiques, et plus généralement la société mexicaine, vont-elles donner à cette nouvelle émergence ? Cet article propose une approche multidisciplinaire, combinant l’analyse statistique des données censitaires et l’étude linguistique et socio-anthropologique du phénomène pour apporter des éléments de réponse à ces questions.

Mots-clés

  • Mexique
  • recensement
  • population indigène
  • identité ethnique et culturelle
  • dynamiques démographiques, sociales et politiques

Bibliographie

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Olivier Barbary [*]
  • [*]
    Chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), Laboratoire population environnement développement (LPED), unité mixte de recherche (UMR 151) de l’université Aix-Marseille et de l’IRD.
Regina Martínez Casas [**]
  • [**]
    Professeure et chercheure au Centro de investigación y estudios superiores en antropología social (Ciesas), Mexico.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2016
https://doi.org/10.3917/autr.074.0215
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