CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Chute du mur de Berlin et effondrement du bloc soviétique, fin de la logique de Yalta et d’une guerre froide déjà bien attiédie… autant d’événements géopolitiques dont les répercussions paraissent majeures pour, disons, le Tiers-Monde [1], donc pour les géographes qui en traitent. Une super-puissance mondiale, une « pensée unique », libérale, en matière économique, un jour prochain une seule civilisation ? Bref, comme il fut écrit dans un article qui « fit date »… pour un temps bien court, « la fin de l’histoire », faute de combattants [2] ; et pourquoi pas la fin de la géographie ?

2 Je n’en crois rien, bien sûr : la vague de libéralisme économique, le retour aux « avantages comparatifs » conduiraient presque à parler d’une revanche de la géographie. Reste que, dans un contexte actuel où la prééminence nord-américaine n’est pas le seul fait marquant, avec notamment l’émergence de deux géants « en développement », la Chine et l’Inde, il nous faut penser autrement ce domaine de recherche, voir comment il se situe dans le système mondial, comment, dans celui-ci, il peut tirer le meilleur parti du changement. Cela implique, à mon sens, une réflexion sur un lexique relativement riche en français, alors que notre langue ne brille pas en général par la capacité de création, se contentant trop souvent d’un emprunt littéral à l’anglais ou d’une francisation maladroite. Poids politique et économique des Anglo-saxons, souplesse de la langue anglaise sont de vraies explications, mais on ne doit pas en faire des alibis ; il faut faire sa place à notre pusillanimité. Comment justifier une exception ?

3 Le débat n’est pas anecdotique. Car nommer, c’est créer, définir un objet et les moyens de l’appréhender, se l’approprier, en quelque sorte déposer un brevet. C’est aussi constituer autour du concept (ou du terme) un champ sémantique, comme un champ de bataille pour une joute intellectuelle. C’est, à la limite, ôter à l’interlocuteur le choix des armes : on est souvent nommé (et péjorativement) par les autres. En corollaire, adopter la terminologie de ceux-ci, autre discipline, autre « société scientifique », autres bailleurs de fonds. C’est prendre le risque de se plier à leurs concepts et méthodes ; c’est bien sûr aussi expérimenter la versatilité des décideurs… D’où de brusques changements de terminologie, au grand dam, parfois, de l’adéquation entre objet et vocabulaire.

4 Pour une fois, exception, le vocabulaire géographique français ne manque pas de mots pour désigner le grand ensemble situé au sud des pays industriels  [3] : j’emploie volontairement un vocabulaire neutre pour ne pas sembler faire un choix d’entrée de jeu… On peut relever, sans ordre préférentiel mais dans une amorce de chronologie, « pays en développement » (ex « sous-développés »), « pays du Tiers-Monde », « pays pauvres », « pays du Sud », enfin les « pays tropicaux », couvrant une aire plus limitée, et se situant sur une autre échelle de temps. D’où viennent cette relative richesse terminologique et les débats de vocabulaire qui en résultent ou la provoquent ? Pour une bonne part sans doute du nombre conséquent de géographes français travaillant dans les pays, disons, du Tiers-Monde [4], de la variété de leurs opinions et des débats idéologiques vifs sur le « développement » ou le « développement du sous-développement » que connut notre pays dans les années 1970-1990. Ne croyons pas toutefois que les relations entre vocabulaire, idéologie et pratiques soient simples : le même pavillon a couvert des marchandises bien différentes (c’est flagrant pour « développement » : apporter la modernité à des pays attardés ou les aider à se libérer ?). Alors qu’on s’attendrait à une adéquation entre un objet, des techniques et des méthodes, la confusion règne le plus souvent. L’histoire chaotique de notre vocabulaire ne serait-elle pas celle de nos affects, de nos repentirs ? Car s’il est un caractère majeur de notre champ d’études, c’est qu’il ne nous laisse pas indifférents…

« Développement » et « Tiers-Monde » : l’usure des mots, la force de l’inertie

5 La richesse relative du vocabulaire n’est-elle pas illusoire ? Les mots en effet, qui n’ont guère plus d’un demi-siècle d’âge pour les plus anciens, se suivent plus qu’ils ne cohabitent : Sud se substitue à Tiers-Monde, pauvreté à sous-développement. Tous paraissent déjà usés : en témoignent le recours au pluriel (les Suds, les Tiers-Mondes), l’emploi de guillemets ironiques ou sceptiques pour « développement » ou, pour celui-ci encore, l’adjonction (très précoce) de qualificatifs, qui soulignent l’ambiguïté de la notion, sa sensibilité aux modes : « de tout l’homme et de tous les hommes », « endogène et autocentré », « humain », « durable »… D’où vient cet affadissement ? Le contexte politique et économique mondial en est sans doute largement responsable. « Tiers-Monde », cette belle trouvaille d’Alfred Sauvy, démographe mais aussi journaliste à ses heures, dans L’Observateur du 15 août 1952, en est un bon exemple : le mot a fait mouche  [5], il est encore largement utilisé, mais quel sens a-t-il ? La Chine de Mao l’a altéré très tôt en plaçant dans le « premier monde » l’URSS comme les États-Unis, les deux « ennemis principaux ». Cette interprétation marquait fortement le caractère politique de la notion, qui serait tout au plus le cadre géopolitique du sous-développement. Le Tiers-Monde, hétéroclite, comprenant et débordant les « pays non-alignés », regroupait en fait des États tous dominés mais susceptibles de marchander leur sympathie et leurs atouts auprès des deux blocs géopolitiques, et l’on ne suivra pas Yves Lacoste quand il attribue au vocable une dimension dynamique, alors que « sous-développement » serait un terme statique  [6]. Mais que peut-il rester du Tiers-Monde  [7] après le démembrement de l’URSS ? Le mot n’est plus qu’un pis-aller, une enseigne plus honorable que « sous-développement ».

6 « Pays en développement », sorte d’alter ego économique de « Tiers-Monde », semble plus objectif, se prête à la mesure : les 14 critères de repérage  [8] retenus par Lacoste dans sa Géographie du sous-développement [9] relèvent quasi intégralement de l’économie et de la démographie, et plus encore dans une édition ultérieure de l’ouvrage  [10], où le critère de 2 % et plus de croissance démographique annuelle permettrait de rassembler les pays en développement  [11]. Ce souci du critère chiffré a de nombreux inconvénients : il soumet la recherche à des statistiques dont la qualité est d’autant plus faible que le pays est moins « développé » et qui, en tout état de cause, sont fondées sur des a priori sociaux et économiques. Il privilégie la vue d’en haut, une sorte de macro-géographie à l’échelle des États ou des grandes régions  [12]. Partant de ces sommets, il rejoint rarement la base, le paysan, l’exploitation. Rien ne l’empêche formellement. Ainsi serait-ce parler développement que d’étudier les effets locaux de l’action d’une ONG, ou les innovations techniques autochtones dans un canton rural ; mais la prégnance des modèles centre-périphérie, la théorie de l’échange inégal d’un côté, de l’autre la foi longtemps solide dans la capacité aménageuse des pouvoirs politiques font la part belle à l’échelle nationale, voire « régionale »  [13]. Soucieux d’être utile, le géographe suit les modes que font l’économiste et le démographe, mettant au tout premier plan la distorsion entre croissance économique et croissance démographique. C’est au mieux une concrétisation du modèle de la « transition démographique », pertinent pour le monde industriel, probable mais non certain au même degré pour le reste de la planète. C’est au pire sa combinaison avec un modèle général de la croissance repris de l’histoire des pays riches. C’est en tout état de cause une perspective ethnocentrique.

7 Cette critique s’applique inégalement aux diverses formes de la « géographie du développement ». Celle-ci est en effet une auberge espagnole où se croisent, en faisant semblant de ne pas se voir, tous les courants géographiques et politiques. « Développement » autorise bien des licences : « la croissance n’est pas le développement, mais il n’y a pas de développement sans croissance » est à la limite ce qu’on tire de plus clair et de plus général d’écrits par ailleurs remarquablement disparates  [14], s’appuyant aussi bien sur le néo-libéralisme le plus débridé que sur un tiers-mondisme populiste, sur la revendication généreuse mais vague d’un « vivre autrement ». Encore bien des « modèles » ont-ils disparu : le « socialisme scientifique » bien sûr, mais plus globalement l’intervention de l’État dans la production qui a marqué tous les pays du Tiers-Monde, quels qu’aient été leurs affichages politiques, et que pourchasse maintenant la Banque Mondiale… « Mot-valise », commode pour des compromis politiques incertains et des modes en faux-semblant, le « développement » n’a pas constitué une assise pour une approche scientifique. J.-F. Baré doute même qu’il s’agisse d’un concept  [15]. Tant qu’à faire, pourquoi ne pas être modeste, en analysant empiriquement mais minutieusement le changement, les mutations, les dynamiques, les crises ; observer ce qui bouge pour en déduire les possibles ? Baré va dans le même sens. Il y a fort à faire pour analyser, en géographes, les stratégies d’acteurs intervenant de plus en plus nombreux dans l’organisation de l’espace, pour prendre la mesure des inégalités spatiales autant que sociales. C’est sans doute ce qu’auraient voulu faire maints tenants d’une géographie du développement, et qu’ils me paraissent avoir manqué, égarés qu’ils étaient dans un champ clos sémantique illusoire et chaotique.

Sentiment, « politiquement correct », poésie : les pauvres et le Sud

8 Il serait intéressant de dater et d’analyser cette mutation langagière récente. Tandis que « Tiers-Monde » et « développement » s’effacent, surgissent des termes nouveaux, dépourvus de charge idéologique : « pays pauvres » et « Sud » en sont les meilleurs exemples. Dans la classification des pays, le terme « revenus », l’expression « pays les moins avancés » cèdent la place à « pauvreté » et « degré d’endettement » remplace la référence au niveau des revenus. Du socialement correct, en des temps où le balayeur est promu technicien de surface, le sourd malentendant  [16] ? P. Gourou rappelait que « pauvreté n’est pas vice » alors que sous-développement avait comme un relent d’arriération : serait-il suivi ? Il est avantageux pour un État d’être « pauvre », comme il le fut d’être « moins avancé ». Accéder à ce statut est vu comme un succès : les remises de dette qui en résultent ont-elles pour autant un effet économique sérieux ? Les politiques de lutte contre la pauvreté ne sont qu’une compensation homéopathique à des politiques d’ajustement qui, pour l’essentiel, accentuent les contrastes sociaux et économiques. Comment pourrait-on fonder une analyse géographique sérieuse sur une politique des faux-semblants ? Il faudrait, et c’est une rude tâche, définir ce qu’est la pauvreté, fait social plus encore que fait économique et clairement pas un fait géographique : le pauvre est sans liens, souvent sans état civil, il ne se voit pas, enquêtes et statistiques le saisissent difficilement  [17]. On ne peut faire une « géographie de la pauvreté » : les pauvres sont des acteurs dans le système géographique.

9 Le cas de « Sud », pendant spatial de « pauvre » comme Tiers-Monde l’est de développement, relève d’un autre type d’illusionnisme. À juste titre, Y. Lacoste y voit un « géographisme », un procédé rhétorique par lequel un lieu, une région sont transformés en personnages, masquant les véritables responsables d’une situation  [18]. Le terme se veut objectivement descriptif et parvient presque à l’être : le bloc de ces pays qu’on s’efforce de nommer se situe au sud des « pays industriels » riches, même s’il semble loufoque de placer l’Australie et la Nouvelle Zélande dans le « Nord » Mais l’objectivité de façade doit être mise en question. Le champ sémantique de « Sud » n’est pas neutre ; il évoque nostalgie, passéisme, indolence (et pour nous vacances), laisser-aller, bref « sous-développement ». Cela, qui fut particulièrement vrai aux États-Unis  [19], se retrouve dans bien des pays européens : le Mezzogiorno italien en est le meilleur exemple, mais les harmoniques du terme sont si fortes qu’elles conduisent à des absurdités : la Bavière, pourtant prospère et industrielle, est pensée rustre et particulariste, jouant d’ailleurs de cette image. Le schéma peut se reproduire d’État en État : la Catalogne, en France, est un Sud, elle est un Nord en Espagne ( « vérité en deçà des Pyrénées… ») ; la Grande-Bretagne ferait figure d’exception [20]. Tel est le poids des sous-entendus que, en première analyse, il nous paraît imprudent d’introniser ce vocable de commodité.

Mondialisation : la dialectique de l’unification et des particularismes

10 Ne serait-il pas plus sage d’abandonner ? Est-il, en effet, nécessaire de procéder à une partition de la planète en ce temps de mondialisation ? L’univers n’irait-il pas vers l’unification, la banalisation par la soumission aux mêmes règles de gestion économique, la consommation des mêmes produits fabriqués par des entreprises multinationales aux liens complexes ? Quel sens a même l’échelle nationale ? est-il pertinent de calculer des PIB par États ? Les véritables acteurs de la transformation du monde ne sont-ils pas déterritorialisés, organisés en réseaux complexes, en systèmes financiers occultes ? La multiplication des scandales politico-économiques, les récents débats sur le « patriotisme économique », ne nous en apportent-ils pas la cinglante démonstration ? Dans ce contexte, le petit « pays », la « région » à l’échelle vidalienne ne seraient que des territoires de repli, des cadres de vie utopiques, des villages d’Astérix, dont un José Bové travaille l’image. Le temps ne résiste pas plus que l’espace : l’information circule de façon instantanée sur l’Internet, la position en longitude des grandes places financières permet la spéculation permanente, sans contrainte d’horaire.

11 Cette vue ne me paraît pas soutenable. Assurément, il existe aujourd’hui un système économique mondial, fonctionnant selon les normes du néo-libéralisme, d’autant plus sûr de lui qu’aucun modèle théorique sérieux ne lui est opposé pour une autre répartition de la production et des richesses. Cela implique-t-il une uniformité, même dans ce domaine et, a fortiori, dans les autres constituants d’une civilisation, culture, religion, organisation sociale ? Certes, la mondialisation est fondée sur une extraordinaire accélération dans la diffusion de l’information et, plus conjoncturellement peut-être, dans la circulation des biens matériels. Ceci s’applique même, sous des formes spécifiques, aux régions les plus « attardées » et aux situations d’anarchie. Il y aurait certes beaucoup à dire sur les conditions, très inégales, d’accès à l’information, sur la pertinence de celle-ci, sur le degré de désinformation dans le système Internet, mais le mensonge fait partie du système. Admettons que, dans certains domaines, nous soyons sur la voie d’une uniformisation par métissage ; mais, plus généralement, c’est la revendication de l’originalité, de la spécificité qui l’emporte. Cela est vrai dans le cadre des États, avec la montée des communautarismes ; cela est vrai aussi à plus petite échelle, par grands ensembles géographiques et culturels. Plus la super-puissance mondiale prétend affirmer sa prééminence, plus ses interlocuteurs jouent sur d’autres registres, notamment le culturel et le religieux. Le cas le plus flagrant est évidemment le monde islamique, mais, fondamentalement, il en va de même de la Chine ou de l’Inde, pour rester dans les grands ensembles. Le monde a appris que les « islamistes » n’étaient pas des Bédouins illettrés et qu’ils maîtrisaient savoirs et savoirs faire modernes, que la charia et la maîtrise des techniques de pointe n’étaient pas incompatibles.

12 Sur d’autres registres que la géopolitique, la diversification s’affirme. Ainsi de l’agriculture. Le libéralisme économique met en avant les rentes écologiques comme les rentes de situation : revanche de la géographie sur les tentatives utopiques d’établissement de modèles uniformisants, ce qui pose le problème de la justice spatiale. Le souci du développement durable, la crise énergétique, la dégradation climatique annoncée incitent à la recherche de techniques ménagères de l’écologie, soucieuses de la variabilité ; l’appellation contrôlée ne concerne plus seulement les vignobles français.

13 Somme toute, et c’est ce qui rend la géographie d’aujourd’hui passionnante, plus le système monde paraît contraignant, piloté par le haut, plus s’affirment (ou se créent) les particularismes et ce à toutes les échelles, ou presque… Car aujourd’hui la plus contestée des échelles est la plus petite, celle qui a fondé longtemps nos analyses et nos querelles : l’échelle du Tiers-Monde ou des pays en développement ! Le seul point commun, à ce niveau, est l’altérité, les différences avec l’ensemble des « pays industriels ». Si je n’avais, autant que de la sympathie, des réserves sur les excès, les approximations de l’ « altermondialisme », je plaiderais volontiers pour une « altergéographie ». Et, moi qui étais à l’origine plutôt réservé sur ce choix, je suis totalement rallié au titre de cette revue : Autrepart. La géographie n’est-elle pas, plus que, banalement, une science de l’espace, une science de l’articulation entre le général, le système monde, et le particulier, la spécificité des lieux et des territoires, l’irréductible bagage des civilisations qui les façonnent ? Cela implique des choix d’échelles, le refus des divisions manichéennes en deux ou trois grands blocs, qui ont longtemps alimenté la polémique plus que la réflexion scientifique, un maniement souple des partitions en grands ensembles : il y a maintes manières de subdiviser les « pays autres », bien des fondements à l’altérité.

L’approche « tropicale » : une tradition décriée, mais toujours vivante

14 Somme toute, les termes présentés ci-dessus, se classent en deux paires, correspondant à deux temps et deux approches, géographique et géopolitique : au couple « en développement-Tiers Monde » se substitue « pauvreté-Sud » le passage, relativement brutal, correspondant à la fin de la guerre froide et à la mise sous tutelle des pays du Tiers-Monde par les institutions de Bretton Woods. Temps court, somme toute, où la géographie est à la remorque de l’économique et du politique, mais aussi des sensibilités, où l’on passe de l’idéologique à l’affectif. Le monde tropical se situe autrement. Je l’ai jusqu’ici laissé à l’écart, car, tel un ensemble inclus, il est d’une autre dimension et il a d’autres fondements que l’entité « pays du Tiers-Monde » : ceux-ci ne sont pas tous tropicaux, tandis que (et cela pose un problème de fond) tous les pays tropicaux sont « en développement ». Leur définition relève au premier chef de l’écologie (voire de l’astronomie), non de l’économie. S’agissant donc de réalités d’ordre différent, il n’est pas surprenant que le débat entre « géographie du développement » et « géographie tropicale » ait été fait de plus de polémique que de réflexion et de connaissance des faits. Il étonne les géographes étrangers par sa récurrence et par l’importance disproportionnée qu’il a prise chez nous. Mon sentiment est qu’il est mal posé. S’y affrontent deux groupes dont on peut douter qu’ils existent en tant qu’écoles, qui sont plutôt des créations, voire des « diabolisations », opérées par la partie adverse. Les « tropicalistes » seraient des passéistes réactionnaires, héritiers de la colonisation et en voie de disparition, les « développementistes » des géographes ignorants du terrain et à la solde des autres sciences sociales. Or, si l’on pouvait éliminer les fausses querelles, je crois qu’il y a place, dans le contexte actuel, pour plusieurs approches et notamment pour un tropicalisme qui combine, dans l’analyse de l’altérité, et souvent de la pauvreté, caractères écologiques, faits de civilisation (au sens de P. Gourou, avec le rôle essentiel qu’il a donné aux « encadrements ») et conditions d’insertion dans le système économique mondial.

15 Reprenons les faits : le débat est en effet obscurci par leur méconnaissance, et par une fixation sur la personne de Pierre Gourou. On s’étonne, par exemple, de voir un esprit aussi cultivé et tempéré que Paul Claval situer l’apogée du tropicalisme géographique dans les années 1940-1950 et sa mort au début des années 1990  [21]. C’est confondre géographie coloniale et géographie tropicale, ce qui, par un tour de passe-passe, permet d’arguer de l’incontestable disparition de la première pour éliminer la seconde, non sans quelques arrière-pensées [22]. On s’étonne aussi de voir faire en permanence référence, comme Bible du tropicalisme, à la première édition des Pays Tropicaux (1947), un ouvrage qui fait brillamment le point sur les connaissances de l’époque, mais qui est marqué de pessimisme et de manichéisme (l’opposition entre l’agriculture caractéristique des pays chauds, primitive et destructrice, et les agricultures irriguées). Les versions ultérieures, notamment celle de 1968, beaucoup plus nuancée dans ses analyses, paraissent ignorées : la pensée de Gourou, paradigme fixé une fois pour toutes, serait à l’origine d’une école de géographie tropicale puissante et organisée, bloquant le débat sur le développement et les inégalités.

16 Une chose est peu discutable : l’importance des effectifs de géographes français qui ont travaillé dans la zone intertropicale (surtout l’Afrique de l’Ouest) dans les décennies 1960 et 1970. Elle s’explique largement par les caractères de la politique française de coopération, précisément par le grand nombre d’enseignants coopérants ; les années 1980 marquent un renversement de tendance. Mais ce fait géopolitique suffit-il pour parler d’une école géographique dont P. Gourou aurait été le fondateur et le grand inspirateur ? Gourou ne s’est jamais dit « tropicaliste », n’a jamais tenté de former une école et il était mal placé pour le faire, au Collège de France, sans laboratoire, et à l’Université Libre de Bruxelles. Il s’est toujours présenté comme un géographe « généraliste » étudiant quelques problèmes géographiques majeurs dans le cadre intertropical, choisi par commodité  [23] et par goût. Il est vrai, par contre, que certains des rares élèves qu’il eut en France  [24] ont joué un rôle très important dans l’orientation des recherches entre 1960 et 1980 (G. Sautter et P. Pélissier à l’ORSTOM  [25], G. Lasserre au CEGET  [26]) Parlera-t-on pour autant d’école ? La géographie dite tropicale est au moins aussi éclatée que la géographie du développement, incluant des nostalgiques des temps coloniaux, des amoureux d’exotisme autant que des « tiers-mondistes » sensibles aux savoirs et aux dynamiques de changement des paysanneries tropicales. Dans une vue optimiste, G. Sautter voyait le fondement d’une entité « tropicaliste » dans les méthodes de recherche ; je ne le suivrai pas sur ce point. Comment concilier les « géographes de bord de route », se cantonnant au descriptif, disons à l’exotisme, et les « broussards » acharnés sur le levé de terrain, la mesure des rendements, l’analyse des stratégies paysannes ? Si points communs il y a, ils sont parfois assez formels : primauté au rural (mais vu de manières différentes, voire opposées), approche inductive, par le bas, méfiance à l’égard du quantitatif « officiel »  [27], de la théorie, et, disent les adversaires, manque d’intérêt pour les luttes sociales, pour les phénomènes de domination, par un excessif attachement à des sociétés « traditionnelles » jugées relativement stables.

17 La critique du tropicalisme, chez les spécialistes anglo-saxons [28] plus qu’en France, se nourrit d’une comparaison avec l’ « orientalisme », tel qu’il est présenté par Édouard Saïd [29]. Création politique issue d’un mode de pensée fondé sur la distinction ontologique et épistémologique entre « l’Orient » et « l’Occident » (p. 15), l’orientalisme, ou « l’institution globale qui traite de l’Orient », établit « un style occidental de domination » (ibid.). Pour les Européens, « l’Orient demandait d’abord à être connu, puis envahi et conquis, puis recréé par des savants, des soldats, des juges qui avaient déterré des histoires, des races et des cultures oubliées pour les avancer… en tant que véritable Orient classique qui pût être utilisé pour juger et gouverner l’Orient moderne » (p. 111). Révéler les splendeurs de l’Orient passé justifierait, paradoxalement, de le dominer sous prétexte de le préserver ou de le restaurer  [30]. Dans cette entreprise où la science est au service de l’impérialisme, la géographie aurait joué un rôle essentiel, elle serait « l’une des toutes premières sciences » (p. 247), « le matériau de soutènement de la connaissance sur l’Orient » (ibid.). Ce schéma se retrouverait dans le tropicalisme.

18 J’avoue mon scepticisme. Certes, je suis bien loin de nier le rôle de l’exploration scientifique dans la colonisation  [31], surtout dans la fixation de normes concernant les peuples conquis et la façon dont ils doivent être gouvernés. Mais, alors que l’orientalisme apparaît comme une construction majeure, de long terme, à l’échelle des civilisations concernées, rien d’un tel poids n’existe pour l’Afrique, voire, me semble-t-il, l’Amérique latine. Il y a plus. Littéralement, l’orientalisme n’a pas de fondement géographique. La ligne de changement de jour, laissée au libre choix des hommes, est un fait géopolitique : la longitude choisie avait le double avantage de se situer sur un océan et à 180° de la première puissance maritime des XVIIIe et XIXe siècles, la Grande-Bretagne. La victoire du méridien de Greenwich sur celui de Paris fut hautement symbolique. L’orient n’a de réalité que par rapport à ce qui est à son ouest ; les États-Unis sont l’orient de la Chine. L’orientalisme, image mentale, est à géométrie variable ; il finit par être un fourre-tout, du monde arabe à la Chine via l’Inde et, s’il a une unité, elle est de méthode et d’objectif. Le parallèle est possible avec la géographie coloniale, non avec la géographie tropicale.

Du « tropical » au « tropicalisme » : une approche de l’altérité

19 Paradoxe apparent : la géographie tropicale définit son domaine de façon objective, par des lignes imaginaires et néanmoins réelles, équateur et tropiques, donc par des caractères écologiques et surtout climatiques. Ce plus petit commun dénominateur n’est pas contestable. Il en résulte un certain nombre de caractères climatiques généraux : faible variation de la longueur des jours et des nuits, pluies d’été, faible variation des températures moyennes au cours de l’année. Mais ces réalités ont-elles un effet fondamental sur la géographie des hommes ? C’est là que le débat commence. À vrai dire, bien rares sont ceux qui ont reproché à Gourou un penchant déterministe : il y aurait eu là bien de l’impudence, tant est grand son souci de pourfendre cette « vieille guenille ». Clairement, pour lui, la fixation sur le monde tropical est un moyen de pratiquer le comparatisme en se débarrassant du débat sur les différences écologiques. Il compare « toutes choses (physiques) égales d’ailleurs », sans se priver toutefois, sur les grandes échelles, d’introduire des nuances dans l’écologie. D’où sans doute, sa virulence anti-déterministe. À vrai dire, on s’en lasserait presque : les faits sont trop évidents dans certains cas, trop complexes dans d’autres. Je ne suis pas sûr toutefois que le débat soit clos, et j’aurais tendance à me dire « déterministe jusqu’à un certain point », ce qui établit la différence entre « géographie tropicale » et « tropicalisme » et remet l’écologie dans le jeu. Je tente un premier essai de définition. Le « tropicalisme » (à distinguer de la « géographie tropicale », terme plus vaste et plus vague) prendrait « principalement pour axe de travail les caractères spécifiques de l’écologie tropicale et leur interprétation, leur utilisation, leur transformation par les sociétés qui y vivent et en vivent »  [32].

20 Ainsi défini, le « tropicalisme » est affronté d’emblée à un problème : la coexistence de deux ordres de faits différents entre lesquels on risque d’établir non pas une corrélation, simple mesure statistique des coïncidences, mais un rapport de causalité pervers. Il y a pourtant quelques évidences fortement contraignantes à tirer de l’écologie. Le monde tropical – Gourou est le premier à le reconnaître, passé sa phase pessimiste des années 40-50 – dispose pour l’essentiel de sols « passables » ; il a, Sahels et déserts exclus, l’avantage de disposer d’eau et d’une énergie solaire permanente ; il y reste de grands espaces à mettre en valeur. Mais les conditions techniques de l’intensification agricole y sont spécifiques. Il y faut une recherche dégagée de tout préjugé, qui admette l’originalité du monde tropical sur le plan écologique comme sur le plan social et culturel.

21 Ce n’est pas un hasard si ce qui est présenté comme la grande réussite de l’agronomie tropicale, la « Révolution Verte », était fondée sur le blé, le maïs et le riz, toutes cultures qui sont aussi pratiquées dans le monde dit tempéré, qui bénéficiaient des retombées d’une recherche conduite d’abord dans et pour le « Nord » et qui étaient en quelque sorte, grâce à l’irrigation, « extraites » pour partie de l’écologie tropicale. Encore faut-il d’importantes mises au point, qu’on néglige trop souvent, malgré leurs conséquences fâcheuses (salinisation, mauvais usage de l’engrais, travail du sol mal conduit…). Cette inadéquation est plus manifeste encore pour les plantes spécifiquement tropicales, surtout en culture pluviale. S’il n’est pas rare que les méthodes indigènes empiriques donnent des résultats meilleurs, ou en tout cas plus conformes aux stratégies paysannes, que les « paquets technologiques » modernes, leur supériorité relative tient aux insuffisances de la recherche, indispensable là comme ailleurs pour valoriser, renforcer, les savoirs empiriques, trouver des solutions économes et moins polluantes. À l’articulation des ethnosciences et de la recherche agronomique, une géographie trouve sa place. Il en va de même en matière de santé, pour l’assainissement, lié à l’aménagement du milieu. Problèmes ruraux que tout cela ? Pas uniquement. Le « vivrier marchand » est essentiel aux villes. Il est coûteux et dangereux de négliger les spécificités tropicales dans la planification urbaine. Globalement, on gagne beaucoup à saisir milieux et paysages qui se font et se défont avec les yeux des populations qui en assurent l’occupation et, bien ou mal, l’humanisation ; il est sain de voir, en suivant Gourou, la nature à travers le prisme des civilisations.

22 Quel déterminisme dans tout cela ? En multipliant les liens de causalité dans des registres et à des échelles variées, en décryptant le jeu des actions et rétroactions, on sort du déterminisme pour pénétrer dans l’univers des systèmes. Riz et civilisation (malgré l’emploi du singulier…) montre fort bien qu’il n’y a pas une civilisation du riz, mais des civilisations très diversifiées qui pourtant toutes mettent cette céréale au centre de leur système de production. Le danger que court le tropicalisme n’est pas à mon sens le déterminisme physique. Trois pièges me semblent plus menaçants. Le premier, sur lequel je n’insisterai pas, est de croire apporter une explication unique et complète des problèmes géographiques ; il y a place pour d’autres échelles et d’autres approches. Le second est présent dans la géographie telle qu’elle fut pratiquée par Gourou : c’est de faire des civilisations une sorte de boîte noire, explication en dernière instance, dont on néglige les agencements et les relations avec l’écologie. Ainsi de la célèbre analyse des relations entre altitude et densité au Ruanda-Urundi  [33], où la densité particulièrement élevée de l’étage 1 500- 1 800 mètres est mise au compte de facteurs sociaux et politiques  [34], alors que la qualité écologique exceptionnelle de cet étage est une explication beaucoup plus sûre. Le troisième piège, le plus pernicieux, est dans l’idéalisation de l’objet d’étude, précieux parce qu’unique en son genre, patrimoine de l’humanité. Elle ramènerait la géographie sur les pistes dangereuses de l’empirisme et du passéisme, qu’elle n’a que trop parcouru, et où elle s’est souvent perdue. Elle l’empêcherait de participer à l’explication, à l’accompagnement, de l’évolution du monde.

23 Il y a peut-être plus grave, et sur ce point Saïd nous adresse une utile mise en garde : « l’idée qu’il existe des espaces géographiques avec des habitants autochtones foncièrement différents qu’on peut définir à partir de quelque religion, de quelque culture ou de quelque essence raciale qui leur soit propre est extrêmement discutable »  [35]. Il ne faut pas passer de la reconnaissance des spécificités, des savoirs, des mérites de toute civilisation à l’enfermement sur son irréductible originalité. Bref, il ne faut pas faire le lit d’une néo-ethnicité qui nous menace. Bien tempéré, le tropicalisme au contraire se fonde sur le respect de l’autre, prône le contact des civilisations, et les échanges, comme facteurs de progrès. Il ne suffit pas de dire que la mondialisation suscite, en réaction, des particularismes, des communautarismes, possibles matrices de racismes et d’autres intolérances fondamentales : il faut résolument lutter contre.

Notes

  • [*]
    Géographe, Gecko, Université de Paris X-Nanterre – raisonjo@club-internet.fr.
  • [1]
    Le mot est utilisé parce qu’il en faut un… Cela ne préjuge pas de choix plus argumentés qui pourront être faits par la suite.
  • [2]
    F. Fukuyama, « La fin de l’Histoire ? », version française in Commentaire, 47, aut. 1989. Depuis, l’Afghanistan, l’Irak, le Liban… et quelles suites ?
  • [3]
    On pourrait s’interroger sur ce vocable, compte tenu de la tertiarisation rapide de ces pays et de la concurrence industrielle de l’Inde et de la Chine notamment ! Ne faudrait-il pas parler de « pays post-industriels » ?
  • [4]
    Nous reviendrons plus loin sur ce point.
  • [5]
    Mais dans quelle mesure a été comprise hors de France l’allusion au Tiers-État de la société française d’Ancien Régime, qui fait tout le piquant du terme ?
  • [6]
    Unité et diversité du Tiers-Monde, Paris, Maspero, 1980. On ne saurait tirer grand enseignement de formules telles que celle-ci : le Tiers-Monde est « un ensemble spatial géopolitique qui permet de rassembler par la pensée un certain nombre d’États, sur la base de caractéristiques communes que l’on juge particulièrement significatives et utiles de prendre en considération » (ibid., p. 36).
  • [7]
    Paradoxalement, perdant son sens premier, le mot peut regrouper un nombre accru d’États : les républiques d’Asie centrale ex-soviétique feraient partie du Tiers-Monde.
  • [8]
    On notera que, pour l’auteur, ces critères repèrent mais n’expliquent pas : l’explication est dans la combinaison des facteurs.
  • [9]
    Y. Lacoste : Géographie du sous-développement, 1re éd. Paris, PUF, 1965.
  • [10]
    Paris, PUF, 1976.
  • [11]
    Situation dépassée : maints pays ont une croissance démographique plus faible, et restent cependant « en développement ».
  • [12]
    Au sens traditionnel du terme.
  • [13]
    Au sens nouveau et fâcheux du terme.
  • [14]
    « Le développement est une sorte de cadeau Bonux que l’on trouve un peu par hasard dans un paquet de croissance économique » (J.-F. Baré (dir.), Paroles d’experts. Études sur la pensée institutionnelle du développement, Paris, Karthala, 2006, cit. p. 6).
  • [15]
    Idem, ibid. Dans le même texte, Baré évoque « le côté irréductiblement empirique de l’opération de développement » (cité p. 13) : nous voici bien loin des années soixante !
  • [16]
    Ne nous cantonnons pas à l’ironie. Il ne faudrait pas ignorer l’effet de travaux d’économistes comme Amartya Sen, même si des applications comme la définition de l’Indice de Développement Humain sont fort discutables.
  • [17]
    R. Chambers, Développement rural. La pauvreté cachée, Paris, Karthala, 1990.
  • [18]
    In Unité et diversité du Tiers-Monde, op. cit.
  • [19]
    La guerre de Sécession, et ses Sudistes, esclavagistes mais si romanesques… ; New Orleans et ces musiciens nègres si bons enfants…
  • [20]
    Le Brésil n’en est pas une : son Sud est la partie prospère. Mais, dans l’hémisphère austral, le Sud c’est le Nord !
  • [21]
    P. Claval, « Colonial Experience and the Development of Tropical Geography in France », Singapore Journal of Tropical Geography, 26-3, nov. 2005, p. 289-303.
  • [22]
    Sans doute P. Claval considère-t-il que le relais de la géographie tropicale a été pris par la géographie culturelle, dont il est un des initiateurs les plus éminents.
  • [23]
    Nous y revenons plus loin.
  • [24]
    Pendant la guerre, il enseigna à Montpellier et à Bordeaux.
  • [25]
    Ancêtre de l’IRD.
  • [26]
    Laboratoire propre du CNRS.
  • [27]
    Compensé par des enquêtes personnelles, notamment dans les études de terroirs.
  • [28]
    G. Bowd et D. Clayton, « French Tropical Geographies : Editors introduction », Singapore Journal of Tropical Geography, 26-3, nov. 2005, p. 271-288.
  • [29]
    E. Saïd, L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Le Seuil, 2005.
  • [30]
    C’est, d’une certaine manière, le fondement de l’administration indirecte.
  • [31]
    D. Nordman et J.-P. Raison (dir.), Sciences de l’homme et conquête coloniale. Constitution et usages des sciences humaines en Afrique au XIXe siècle, Paris, Presses de l’ENS, 1980.
  • [32]
    Version française, disponible sur le site Gecko de l’Université de Paris X, de J.-P. Raison, « Tropicalism in French Geography : Reality, Illusion or Ideal ? », Singapore Journal of Tropical Geography, 26-3, nov. 2005, p. 323-338.
  • [33]
    La densité de la population au Ruanda-Urundi. Esquisse d’une étude géographique, Bruxelles, Institut Colonial Belge, Section des Sciences naturelles et médicales, XXI-6, 1953.
  • [34]
    La présence de bovins, possible à cette altitude, permet le prêt de vaches par les Tutsi à leurs obligés Hutu (contrats d’ubuhake), donc l’ordre social et politique, donc l’accroissement de population.
  • [35]
    L’orientalisme, op. cit., p. 347.
Français

Nommer des concepts est un art délicat : il s’agit de définir des objets de recherche, de les situer dans un champ sémantique qui peut enrichir ou déformer la notion. La création verbale, limitée en France, s’y est montrée particulièrement active pour désigner le grand ensemble de pays, point toujours pauvres mais toujours « autres », au sud des vieux pays industriels. Les choix de vocabulaire ont donné lieu à d’amples débats, qui semblent s’apaiser et perdre de leur dimension idéologique, comme le montre l’analyse opérée sur les principaux vocables. Reste qu’il s’agit toujours de pays « autres » et que cette altérité est très loin d’être détruite par la mondialisation. On doute qu’il y ait encore une unité du Tiers Monde. L’heure est à des sous-ensembles qui tirent leur originalité de critères différents selon les cas. À titre d’exemple, l’auteur plaide pour un « tropicalisme » (à distinguer de la « géographie tropicale », terme plus vaste et plus vague) qui prendrait « principalement pour axe de travail les caractères spécifiques de l’écologie tropicale et leur interprétation, leur utilisation, leur transformation par les sociétés qui y vivent et en vivent ».

Mots-clés

  • altérité
  • civilisations
  • développement
  • géographie tropicale
  • mondialisation
  • pays pauvres
  • Pierre Gourou
  • Sud
  • Tiers Monde
  • tropicalisme

BIBLIOGRAPHIE

  • BARÉ J.-F. (dir.) [2006], Paroles d’experts. Études sur la pensée institutionnelle du développement, Paris, Karthala.
  • En ligne BOWD G. et CLAYTON D. [2005], « French Tropical Geographies : Editors introduction », Singapore Journal of Tropical Geography, 26-3, nov. 2005.
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  • LACOSTE Y. [1980], Unité et diversité du Tiers-Monde, Paris, Maspero.
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  • En ligne RAISON J.-P. [2005], « Tropicalism in French Geography : Reality, Illusion or Ideal ? », Singapore Journal of Tropical Geography, 26-3, nov. 2005.
  • SAÏD E. [2005], L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Le Seuil.
Jean-Pierre Raison [*]
  • [*]
    Géographe, Gecko, Université de Paris X-Nanterre – raisonjo@club-internet.fr.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
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