CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Plusieurs décennies après que Deskaheh, chef kayoga de la nation Haudenesaunee, ait été débouté par la Société des nations [1924, Rostkowski, 1985], les représentants des « populations autochtones » ont pris pied à l’ONU. Vers 1970, ils firent irruption dans un monde qui leur était fermé en raison de la marginalisation sociale, économique et politique, comme de leur isolement territorial au sein des États [Muehlebach, 2001 ; Bellier et Legros, 2001]. Plusieurs évènements éclairent la saisine de la scène internationale par les représentants des « laissés-pour-compte du développement », révélant un changement de paradigme tant du côté des acteurs qui reformulent leurs objectifs politiques que du côté des institutions qui ouvrent leur agenda à de nouvelles problématiques et adaptent leurs structures pour y répondre. L’essor des nouvelles technologies de communication, la mise en réseau des organisations militantes ainsi que la prolifération de forums internationaux devant lesquels est portée la voix des autochtones contribuent à la formation d’un espace public international dans lequel des mouvements transnationaux comme des organisations parfaitement localisées introduisent une perspective « ethnicisante ». S’il faut qualifier cette nouvelle « ethnicité » dont les formes s’appuient sur la construction d’une identité transnationale avec la référence à la catégorie « peuple autochtone » et l’adoption d’un langage commun idéalisant l’universalité des valeurs collectives [Morin 1994, p. 165], il convient également d’analyser la manière dont les discours autochtones sont entendus par les organisations internationales [Bellier 2005, p. 245-252] et orientent les agendas des décideurs, perspective qui est au cœur de la Seconde Décennie pour les Peuples autochtones, déclarée en janvier 2005 par l’Assemblée Générale des Nations Unies, dont l’objectif est de « renforcer le partenariat entre les peuples autochtones et les États ».

2 Ces évolutions sont au centre de la réflexion sur la globalisation de l’ethnicité, thématique que je traiterai en faisant référence à la manière dont les porteursd’ « identité ethnique » se construisent comme des acteurs politiques reconnus comme des experts, ce qui met en question la construction de leur légitimité dans le champ des institutions. On distinguera dans cette réorganisation des rapports politiques trois aspects correspondant le premier à la « maturation » de la catégorie « peuples autochtones », identité générique qui fait écho à la notion de « globalisation de l’ethnicité ». Le second aspect, difficile à évaluer car les réalités sociopolitiques auxquelles il renvoie sont fort contrastées, concerne la manière dont les questions autochtones se déploient sur la scène mondiale et les modalités par lesquelles elles reviennent au plan local, via les programmes et projets de développement financés par diverses organisations multilatérales et par des ONGs. Le troisième aspect de cette construction met en question le rapport entre universalisme et relativisme culturel, problématique qui intéresse les anthropologues mais dont ils maîtrisent mal l’angle juridique. Avec la construction d’une identité politique qui s’articule sur la définition d’un ensemble juridique rattaché au corpus international des droits humains mais centré sur la reconnaissance de droits collectifs, le mouvement autochtone inscrit ses revendications au cœur des logiques contradictoires que génère la mondialisation.

La construction de la catégorie « peuples autochtones »

3 Pour comprendre l’importance du processus politique en cours, nous nous appuierons sur l’exemple d’une société d’Amazonie péruvienne. Dans le contexte des années 1980, il n’existait pas de « peuple autochtone » mais des « indigènes »nativos, en proie à divers processus de discrimination. Leur histoire s’ancrait dans une relation d’exclusion. Ainsi les Mai huna, ethnonyme signifiant « Nous les Humains » comme se dénomment bien d’autres groupes ethniques, étaient-ils connus sous d’autres noms accentuant le caractère fragmentaire de leur univers sauvage plutôt que l’unité de leur culture, innommable dans l’esprit des Blancs qui mirent la forêt amazonienne en coupe réglée à partir du XIXe siècle. Ces noms attribués par les métis conquérants, sont péjoratifs soit que leur forme hispanisée ne renvoie à aucun processus d’auto identification interne (ainsi du terme Orejones« Grandes oreilles »), soit qu’ils soient discriminatoires (ainsi du termeKoto signifiant « Singes hurleurs »). Ce genre de discrimination repose sur le sens que revêtent ces mots dans un monde qui exclut les Amérindiens de la surface du monde civilisé, les rangeant par des attributs externes au rang des infra humains – en l’occurrence les singes, parce que les Mai huna, vivant nus, se peignaient le corps au roucou, peinture végétale rouge. Par cette classification dans le mode infra-humain, les Métis se trouvaient fondés à les chasser en forêt comme du gibier. Comme d’autres, miliciens ou militaires font encore dans certaines parties du monde [mission d’enquête des Nations unies sur la chasse aux Pygmées au Congo, 2004]. Face à ce déni de reconnaissance par « les Blancs », les Mai huna pensent leur autochtonie dans leur propre culture avec un mythe d’origine chtonienne par lequel leur être ontologique vient au monde après que le héros culturel ait réglé le rapport entre la vie et la mort, la terre et le ciel, les humains et les animaux, les hommes et les femmes. Ils surgissent du sol, ordonnés par clans et, arrivant à lalumière, ils se mettent à développer les arts de la civilisation : le langage, pour la communication articulée qui caractérise les humains, et la construction des maisons qui est à la fois espace familial, social et rituel [Bellier, 1991]. Les Mai huna occupent ce territoire imaginé de leur naissance au sens grec du terme Autos et khthônqui signifie « habitant du lieu même, indigène » [Loraux, 1998]. Mais les représentants de la société dominante qui se perçoivent comme des Péruviens les voyaient, jusque dans les années 1990, comme des « sauvages », « indios bravos », non comme des citoyens. D’ailleurs, ne votant pas, ils n’avaient qu’un accès limité au système national qu’il s’agisse d’élections, de politique ou d’économie.

4 Comme le rappellent F. Morin et B. Saladin d’Anglure [1995, p. 39], les anthropologues ont longtemps négligé les relations que les groupes ethniques qu’ils étudiaient « entretenaient avec le milieu environnant social, économique ou politique ainsi que la façon dont ces peuples se considéraient eux-mêmes et étaient perçus par leurs voisins ». Cette perspective a commencé de changer avec le développement d’une anthropologie de l’ethnicité à la suite des travaux de F. Barth [1969] et une nouvelle éthique de l’intervention, à travers la création d’organisations non gouvernementales (ONGs) de soutien dans lesquelles anthropologues et représentants des communautés autochtones s’associent. Ce mouvement coïncide avec une sensibilisation de la communauté internationale. C’est ainsi qu’aujourd’hui, les semblables des Mai huna se retrouvent à l’ONU pour négocier des droits sur le territoire et les conditions d’existence. Leur mouvement s’articule autour d’un enjeu : la définition de l’expression « peuples autochtones » que les États les plus puissants de la planète s’opposent à employer dans un texte normatif pour ne pas reconnaître la personnalité juridique des entités concernées mais qu’il importe de connaître puisque « nommer » c’est déjà forger une réalité.

5 La notion de « peuples autochtones » relève d’une conception classique et d’un acte militant dont la puissance s’actualise dans le rapport de force. L’expression met en tension trois dimensions – politique, juridique et linguistique – dont la mise en évidence permet de déconstruire la globalité d’une représentation à partir de laquelle ne s’affirme qu’une position idéologique : pour ou contre. Cette définition à triple effet porte sur la notion de « peuples », celle « d’autochtonie » et sur le caractère pluraliste de l’entité ainsi forgée. Elle est le produit d’un travail de réflexion accompli par un professeur de sociologie équatorien chargé en 1971, par le Conseil Économique et Social de l’ONU d’étudier « le problème de la discrimination à l’encontre des populations autochtones », ce qui prit une douzaine d’années et cinq volumes [Martinez Cobo, E/CN.4/sub 2/1986/7 et add 1-4]. En résumé, les peuples autochtones sont « des peuples et nations qui présentent une continuité historique avec les sociétés précédant la conquête et la colonisation de leurs territoires, qui se considèrent comme distincts des autres secteurs de la société dominant aujourd’hui ces territoires ou qui en sont partie. Ils constituent, aujourd’hui, des secteurs non dominants de la société et sont déterminés à préserver, développer et transmettre aux générations futures leurs territoires ancestraux et leur identité ethnique, sur la base de leur existence continue en tant que peuple, en accord avec leurs propres systèmes culturels, leurs systèmes légaux et leurs institutions sociales ».

6 Cette définition qui souligne le rapport des peuples aux territoires comme source et moyen de leur subsistance, pose le problème de la continuité historique des peuples actuels avec les sociétés précédant la colonisation dont la connaissance engage un travail de re-construction des mémoires et de dialogue à l’échelle territoriale. La plupart des sociétés autochtones, prises dans des rapports complexes avec la société dominante, se livrent à « un bricolage identitaire » [Morin et Saladin d’Anglure, 1995, p. 57]. Le rapport de continuité historique est relativement clair pour les sociétés issues de la colonisation occidentale, distinguant par exemple les Amérindiens ou les Aborigènes, des Blancs. Il est plus compliqué dans le cas des sociétés construites par des processus de colonisation qui n’engagent pas l’autre Blanc, comme en Asie ou en Afrique. La marginalisation des uns résulte de l’occupation sur une base généralement non négociée, parfois très ancienne, des terres par les autres et d’un partage inégal des ressources de chasse, de pêche ou de cueillette. L’histoire de ces rapports est à reconstruire car la partie autochtone est souvent considérée comme « sans histoire », en raison de sa langue qui est mal connue ou pas décrite et de l’absence de tradition écrite dans bien des cas. De même le territoire litigieux est-il souvent considéré comme « sans propriétaire », en application du principe de Terra nullius qui a légitimé la distribution des terres entre les conquérants, lors même que les terres en question faisaient l’objet d’une occupation saisonnière ou permanente, les usagers n’étant pas à même de produire les documents écrits légitimant en termes occidentaux un acte de propriété.

7 Dans tous les cas, le processus identificatoire rendu nécessaire par la demande de droits formulée par les organisations des peuples en question, pose problème car il peut entraîner un mode de classification de la part des autorités publiques ou d’autres acteurs intéressés et qu’il varie dans le temps, selon les circonstances locales, économiques ou politiques. Cela oblige à approfondir la réflexion en partenariat avec les représentants concernés. Ainsi un groupe de travail d’experts de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, s’est-il attaché à la question [2003] pour combler les lacunes du rapport Cobo, l’auteur n’ayant reçu aucune contribution de la part des États africains, soit qu’ils considèrent qu’ils n’ont pas d’autochtones, soit qu’ils sont tous autochtones. Partant du fait que les termes « sous-développés », « rétrogrades » et « primitifs » n’étaient employés que pour certains groupes, avec un processus de discrimination marqué par la privation des terres, de l’accès aux services de santé et d’éducation et le déni des droits culturels et linguistiques, le séminaire d’Arusha valide l’usage de l’expression « peuple autochtone » en Afrique, en précisant qu’il s’agit : « de peuples avec des identités, des histoires et des cultures spécifiques, qui sont caractérisés comme non dominants, vulnérables et désavantagés… Différents des minorités, les peuples indigènes marquent un attachement à une terre particulière et / ou à un mode de vie qui est menacé par les politiques étatiques et le rétrécissement de la base traditionnelle de leurs ressources (p. 10) » [CADHP-IWGIA, 2005, p. 112]. En Afrique du Sud, ce sont « les musées sud-africains, investis de la nouvelle mission de s’adresser àtous les citoyens et de leur parler de tous les citoyens, [qui] sont ainsi au cœur de ce processus de réhabilitation des Khoisan. » [Fauvelle-Aymar, 1999, italiques de l’auteur, p. 980].

8 La notion de « peuples autochtones » est une catégorie politique dont les représentants à l’ONU attendent qu’elle leur permette de jouir du droit à disposer d’eux-mêmes, pour défendre leurs systèmes culturels, sociaux, économiques, juridiques et politiques [Bellier 2003]. Car les autochtones défendent essentiellement le fait de l’auto identification par laquelle, pour faire valoir ses droits, l’individu doit s’identifier à un « peuple » et être reconnu par les autorités coutumières. Cela constitue l’un des éléments de la vision autochtone de la citoyenneté, perspective qui se comprend d’autant mieux que dans de nombreux États, par exemple au Rwanda aujourd’hui encore, les officiels distinguent « les citoyens » et les Pygmées. Cette question de l’auto identification embarrasse les représentants des États au moment de discuter le projet de Déclaration universelle des droits des peuples autochtones pour deux raisons. L’une est tant que la reconnaissance de « peuple », au sens international du terme, engage un droit à l’autodétermination dont les effets politiques sont susceptibles d’affecter la souveraineté territoriale des États. L’autre est qu’ils craignent de se voir submergés par des mouvements sécessionnistes mettant en péril l’ordre juridique et politique de l’État, tel qu’il se construit pour la société dominante. Ces États, dans la logique foucaldienne de l’État disciplinaire qui contrôle ses populations, inclinent à une définition stricte des « entités » concernées. Cela risque de fixer des identités dont la pertinence ne saurait être valide en dehors du contexte historique, du rapport de force et des instructions données à la bureaucratie (service de l’État civil) qui les établit à un moment donné [voir à propos des Youkaguires de Sibérie, Morin et Saladin d’Anglure, 1995, p. 44-50]. Cela pose la question des catégories usitées dans les recensements en vertu desquelles des individus peuvent déclarer ou non leur appartenance ethnique, à laquelle répond le droit dont dispose chaque individu de choisir sa réponse, en fonction de l’état social et politique qui l’environne. L’Instance Permanente sur les Questions Autochtones aborde la question des statistiques nationales de manière systématique, en demandant que les États produisent des données ventilées dans les rapports qu’ils remettent à l’ONU, afin de mettre en évidence l’inégale distribution des moyens employés dans les programmes de développement, par exemple pour lutter contre la pauvreté, ou le SIDA.

9 La valeur de l’appartenance à un ensemble politique est posée par la manière dont les autochtones revendiquent des droits dont ils n’ont pu jouir dans la construction moderne des États, même démocratiques. Ce point est souligné par les ONGs de défense, comme IWGIA-GITPA qui avance la définition suivante : « Marginalisés politiquement, économiquement et culturellement par les évènements historiques qu’ils ont subis [conquêtes, guerres, spoliations de leurs territoires et de leurs ressources, atteintes à leur vision du monde par des conversions forcées], ces peuples ne sont pas partie prenante de ces États, dont les lois et les institutions leurs demeurent étrangères, dont ils ne comprennent souvent ni la langue ni les mœurs, dont ils ne partagent pas les croyances et les systèmes de valeurs. »  [1] Cela identifie l’enjeu de la mobilisation des autochtones devenus étrangers chez eux, problématique qui se pose non sous l’angle identitaire, mais sous l’angle politique des rapports juridiques et économiques. De fait, le droit, principal instrument mobilisé dans les négociations onusiennes, est la source de compétence des ONGs de soutien comme des nouveaux leaders pour qui les corpus juridiques n’ont pas de secret.

10 À l’incertitude politique concernant le statut de « peuple » s’ajoute la difficulté à traduire le concept d’autochtonie dans les langues de travail de l’ONU pour des raisons politiques et sociétales. Trois termes sont usités en alternance avec une fréquence inégale selon la langue  [2] [cf. Stavenhagen 2001]. En français, le terme « autochtone » s’est imposé au détriment de « indigène » dont l’usage ne pose guère problème en anglais (indigenous) ou en espagnol (indigenas), en raison du rejet du statut d’infériorité qu’impliquait ce terme dans le projet de société construit par les politiques de colonisation à la française [Collomb 2001, p. 40-43]. On assiste à la montée en puissance du terme « aborigène » [aborigenous, aborigenas] qui, en français, a longtemps été réservé aux peuples australiens. Ce terme, qui renvoie à l’idée des origines, contourne les complications définitionnelles des précédents, tant pour signaler que la marginalisation des autochtones ne procède pas simplement de la colonisation occidentale qui habite le concept d’indigénat que pour tenir compte du fait que nombre d’entre eux n’occupent plus le territoire de leur naissance imaginée. D’autres adjectifs peuvent être accolés au vocable peuple, comme celui de « premier / first » qui renvoie à un usage national, en France ou au Canada. Si le concept de First nation s’est enraciné au Canada en raison des traités signés par la Couronne britannique, ce n’est que récemment qu’a été introduite en France, par la grâce des projets présidentiels de musée, la notion d’ « arts et de peuples premiers ». Elle distingue un ensemble culturel sans induire l’idée d’une reconnaissance d’autochtonie dont les effets politiques entreraient en contradiction avec le principe constitutionnel de l’unité du peuple français.

11 L’enjeu des définitions qui se forgent à l’ONU est non seulement d’exposer les problèmes que posent les différents processus d’assimilation, d’intégration, de développement et de violence qui oppressent les peuples autochtones, ce qui fonde leur action internationale, mais aussi de réfléchir aux moyens de modifier cette situation. Le concept de « peuple autochtone » a mûri au fil d’une pratique internationale dominée par les grandes puissances [Daez, E/CN.4/Sub.2/AC.4/1996/2]. Son usage actuel n’a pas seulement pour objet d’évoquer une antériorité sur un espace, mais un processus de mise en infériorité qu’il s’agit de corriger. Ainsi l’acception autochtone de l’expression, en s’appuyant sur le principe de l’auto identification, de la continuité historique, de l’appartenance à un groupe linguistique disposant de sa propre organisation sociale et politique, a pour objet de distinguer certaines populations dans le vaste ensemble des minorités. Alors qu’une déclaration internationale concerne « les droits des personnes appartenant à desminorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques », ses dispositions ne sont pas considérées comme susceptibles de protéger les peuples autochtones [Morin 1992, CADHP-IWGIA, 2005]. Tout groupe ethnique ne constitue pas « un peuple autochtone » (telles les communautés issues des migrations transnationales), tout « peuple autochtone » n’est pas une « minorité » (ainsi les Amérindiens représentent 70 % de la population au Guatemala, contre 1 % au Brésil). Sont concernées, selon les sources onusiennes, environ 350 millions de personnes qui sont réparties sur tous les continents, à l’exception de l’Europe sauf en son extrême Nord où vivent les Sami.

12 Si plus de 60 % des peuples autochtones se situent dans la zone Asie – Pacifique, ce sont les peuples amérindiens du Nord, du Centre et du Sud des Amériques qui sont le plus mobilisés dans la défense de cette identité, parvenant à ouvrir les cadres constitutionnels de la reconnaissance comme peuples spécifiques. Chasseurs-cueilleurs, pêcheurs, mais aussi horticulteurs ou agriculteurs, nomades, pasteurs, vivant dans tous les écosystèmes, sur les côtes, sur la banquise ou dans les marais, dans les déserts, les montagnes et maintenant en ville, très variées sont les conditions économiques de ces peuples. Sur le plan politique, les situations sont très différenciées. Certains peuples se sont vus reconnaître des droits par traités, d’autres sont référencés dans les constitutions nationales, notamment celles d’une douzaine d’États en Amérique Latine. Mais la plupart des « petits peuples », « premières nations », « peuples premiers » ou « minorités ethniques » sont dans des situations de non droit, pris entre des attitudes populaires et élitistes de rejet plus ou moins violent et des politiques actives d’assimilation qui se traduisent par des formes variées d’invisibilité sociale ou d’élimination physique.

13 Pour saisir la différence entre « minorité » et « peuple », il faut tenir compte de la revendication du caractère collectif des droits qui occupe dans l’esprit des acteurs autochtones une place centrale, pour signaler que malgré leurs différences, fussent-elles à l’échelle locale, régionale ou transcontinentale, ils constituent un ensemble qui établit une fraternité entre ses membres, porteurs des mêmes revendications liées à une vision non individualiste du monde. En ce sens l’individu autochtone ne peut se séparer du peuple auquel il appartient lequel fait du rapport au territoire un symbole d’identité et du droit à disposer de soi une priorité. Les acquis d’un peuple concernent tous les autres. Cette perspective irrigue le projet de déclaration universelle des droits des peuples autochtones dont la négociation débutée en 1995, est inachevée à ce jour [Bellier, 2003].

14 Un long travail de réflexion a été engagé par les experts de l’ONU nommés, à l’époque, par la Sous Commission pour les Droits des Minorités, avec des universitaires, des autochtones, le secrétariat du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme. Il aboutit à une série d’études, disponibles sur le site Internet de l’ONU, dans différents domaines dont les intitulés révèlent les préoccupations des représentants. On peut citer « la protection de la propriété intellectuelle et des biens culturels des peuples autochtones » [1993], « les peuples autochtones et leur relation à la terre [1997], « la souveraineté permanente des peuples autochtones sur les ressources naturelles » [2004], toutes rédigées par la première présidente duGroupe de travail sur les Populations Autochtones (GTPA), Madame Daez. Ce type de rapports est précédé de documents de travail tels les derniers en date sur « la mondialisation et les droits sociaux, économiques et culturels des populations autochtones », de M. Guissé, expert nommé pour la région Afrique [2003], « la possible élaboration de lignes directrices relatives aux sociétés transnationales dont les activités affectent les peuples autochtones », de Y. Yokota, expert nommé pour la région Asie [2003], ou encore « les peuples autochtones, les États constitutionnels et les traités et autres arrangements constructifs entre les peuples et les États », par M. A. Martinez, actuel président du GTPA [2004]  [3]. Ces documents, élaborés à plusieurs voix, contribuent à construire la réalité autochtone, à définir leurs problèmes, à éclairer « la communauté des acteurs ». C’est ainsi que se met en place un paradigme d’action qui, en empruntant « la grammaire du droit » [Delmas Marty, 2004] vise à répondre à la demande des peuples autochtones qui n’entrent pas dans le cadre juridique propice au règlement des situations concernant « les minorités ».

La scène mondiale

15 Une communauté politique d’un genre nouveau est en train de se forger, le local et le global se télescopent, l’international ouvre la voie du transnational, des alliances s’établissent entre les acteurs du Sud et du Nord. Ce partage Nord-Sud n’est pertinent que pour évoquer une distinction entre les pays développés qui sont plongés dans la fabrication d’une « société de la connaissance », d’où proviennent les grandes ONGs de droits humains et de développement, et les autres « pays émergents », « en développement » ou « moins avancés ». Parmi ces derniers figurent les soixante-dix États dans lesquels est attestée une présence autochtone, tous concernés par « la lutte contre la pauvreté » et l’ajustement de leurs économies au marché mondial. Entre les deux mondes, s’établit entre acteurs non étatiques un espace de solidarité virtuelle dont les « têtes de pont » se retrouvent à l’occasion des sommets planétaires. Les organisations autochtones et les mouvements pour une autre mondialisation empruntent les mêmes listes de distribution Internet. Il revient au chercheur d’explorer ces nouveaux territoires du politique [Abélès et Jeudy, 1997] car, durant ces dernières décennies, le monde a changé de face. Sur le plan géopolitique, d’une part le nombre des pays membres des Nations unies (191, à ce jour) a quadruplé avec les décolonisations, d’autre part la guerre froide est remplacée par un front de lutte contre le terrorisme, dirigé par les États-Unis responsables de nouvelles politiques sécuritaires qui remettent en question les développements relatifs des droits humains des années quatre-vingt-dix.

16 C’est vers 1968, que les organisations de Droits de l’Homme se sont saisies de la question autochtone et quelques anthropologues, rompant avec la tradition de non intervention de la discipline, participèrent à la création d’associations de défense des peuples autochtones [Morin, 1994]. Celles-ci aidèrent à l’organisation,à Genève, de conférences cruciales pour le mouvement qui portèrent la voix des autochtones au niveau international. La première concernait « la discrimination contre les populations autochtones des Amériques » (1977), la seconde « le racisme et la discrimination raciale » (1978). La troisième, en 1981, élargit la représentativité des autochtones en incluant des représentants d’Australie et de Norvège pour traiter des « peuples autochtones et leur rapport à la terre ». Selon F. Morin [à paraître], « Ces trois conférences onusiennes, rassemblant des autochtones de plusieurs parties du monde, contribuèrent à faire émerger une identité transnationale autochtone qui se développa et s’étendit peu à peu aux autres régions du monde indigène, au cours des 25 années qui suivirent [Anaya, 2000, p. 46] ». La prise de conscience d’une « communauté de destin »  [4] commence à structurer la réflexion sur l’autochtonie dans le monde, autour des questions qui animeront la plupart des débats ultérieurs : le droit à l’autodétermination avec les principes de survie de ces peuples en tant que nations, dotées d’une personnalité juridique internationale ; le droit à la terre et aux territoires ancestraux ; le droit au patrimoine et la propriété intellectuelle, en rapport avec la protection de la diversité biologique ; la sauvegarde de l’environnement, la protection de l’intégrité et de la diversité culturelle [Shulte Tenckhoff, 1997 ; Tiouka, 2004].

17 Ces questions ont été traitées à partir du Groupe de travail sur les Populations Autochtones (GTPA) mis sur pied en 1982. Il fut, des années durant, la « tribune » des autochtones qui trouvèrent là l’unique ouverture institutionnelle pour dénoncer les atteintes aux droits de l’homme qu’ils subissent. À partir de faits précis, ils exposent ainsi leurs vues sur différents sujets d’intérêt général (Développement, éducation, santé, mondialisation, justice, conflits, environnement, patrimoine culturel, etc.) [Morin, 1992, 1994]. De ce groupe, composé de cinq experts membres de l’actuelle Sous Commission pour la promotion et la protection des droits de l’homme, et ouvert aux représentants de tous les peuples, est né le projet de Déclaration des droits des peuples autochtones. Le texte, rédigé par les experts avec la collaboration très active des autochtones, devant les représentants d’une trentaine d’États, fut adopté le 26 août 1994 par la Sous Commission pour être transmis à la Commission des droits de l’homme. Celle-ci n’ayant pu forger de consensus à cet égard, l’Assemblée générale des Nations unies recommanda la création d’un Groupe de travail sur le projet de Déclaration (GTPD) pour négocier un contenu adoptable avant la fin de la première décennie consacrée à la cause autochtone (1994-2004). En l’absence de résultats, l’Assemblée générale déclara, en janvier 2005, une nouvelle décennie (2005-2015) tandis que la Commission des droits de l’homme se prononçait, en avril 2005, en faveur du renouvellement annuel du mandat de ce groupe pour conclure les négociations sur la Déclaration.

18 En trente ans, le mouvement n’a cessé de s’étendre vers l’Afrique, l’Asie, l’ex-Union soviétique, la participation des autochtones aux travaux de l’ONU passant d’une cinquantaine de représentants, en 1982, venus des deux Amériques, à plus de mille aujourd’hui, venus des cinq continents. Le développement desnouvelles techniques de communication a accéléré la prise de conscience de cette communauté de destin planétaire et transformé les conditions de l’action politique. Ceux qui se reconnaissent dans le combat des peuples autochtones ont progressé dans leur capacité à défendre cette cause, en mettant en circulation, via leurs organisations, des expériences comme des informations susceptibles d’élargir leur audience, en investissant les lieux de formation juridique, les institutions universitaires, mais aussi la bureaucratie, les gouvernements locaux. La participation des autochtones aux gouvernements, qui est récente, controversée, instable, varie en fonction de la majorité politique qui se dégage dans le pays, les gouvernements conservateurs et de droite étant plus réticents à concéder aux autochtones des droits ou des postes que les majorités progressistes, travaillistes ou socialistes. Si différentes configurations existent à l’échelle de la planète, il semble que l’ethnicité représente moins un creuset du politique, fondé sur la mobilisation des ressources identitaires à des fins de remise en question radicale du modèle d’assimilation, qu’une variante du multiculturalisme. Si l’on retient l’acception que donne M. Wieviorka [2005, p. 26] de ce concept à savoir « un dispositif institutionnel permettant l’intégration des différences dans un même ensemble étatique », on comprendra que les actions des peuples autochtones traduisent un passage au politique qui ne s’accompagne pas nécessairement de demande d’autonomie ou d’indépendance.

19 Quatre-vingts ans après le début du plaidoyer à l’Onu, rien n’a été obtenu en termes d’instruments destinés à protéger les autochtones, ni une Déclaration qui est un instrument politique à haute valeur symbolique, ni une convention des droits des peuples autochtones, qui serait l’instrument juridique contraignant les États la ratifiant. Le seul instrument existant, la Convention 169 sur les Peuples autochtones et tribaux de l’Organisation Internationale du Travail, a été ratifiée par moins d’une vingtaine d’États, ce qui limite son applicabilité mondiale  [5]. Mais les perspectives autochtones ont atteint une visibilité sans précédent et les débats orchestrés dans le système des Nations Unies, acquièrent via les programmes des agences et la sensibilisation des États une perspective opérationnelle nouvelle.

20 Les « questions autochtones » furent reprises lors des sommets de la planète  [6](sur la terre, l’eau, le changement climatique, les femmes, les enfants, le racisme, les objectifs du millénaire, la société de l’information, etc.], lors de conférences régionales à Panama, Fidji, Manille, Kari-Oca (sur les problématiques locales), de séminaires de travail organisés par le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme (HCDH), les ONGs ou les États (par ex. sur « la justice » et « la résolution pacifique des conflits » en 2003 et 2004). Dans ces espaces de communication associant les représentants des États, des ONGs et des autochtones, mûrissent les idéesqui prennent ultérieurement une forme institutionnelle. Ainsi lors de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme (Vienne, 1994), Rigoberta Menchu recommanda-t-elle l’ouverture d’un forum permanent au sein de l’ONU, ce qui fut réalisé en 2000, les États s’opposant à la mention « peuples » dans l’intitulé de cet organe, placé près du Conseil Économique et Social d’où son nom d’Instance Permanente sur les Questions Autochtones (IPQA). Une autre institution fut mise en place en 2000, avec la désignation d’un Rapporteur spécial sur les droits humains des peuples autochtones qui peut réaliser des enquêtes dont le rapport présenté à la Commission des Droits de l’Homme est distribué aux parties concernées.

21 À un plus haut niveau que le GTPA dans la hiérarchie onusienne, l’Instance permanente transmet des recommandations au Conseil Économique et Social. Elle veille à ce que les agences des Nations Unies (Unesco, Unicef, Unifem, OMPI, OMS, PNUE, PNUD, etc.) et la Banque Mondiale prennent en considération les populations autochtones pour la mise en œuvre de leurs programmes d’action sans oublier de les consulter. Cette pratique occupe dans l’esprit des autochtones une place centrale, formalisée dans les discours relatifs au « Droit au consentement libre et préalablement informé ». C’est ainsi que le secrétariat de l’IPQA est l’enjeu d’une sorte de rapport de force car le Département des Affaires Sociales du Conseil Économique et Social entend assurer cette tâche tandis que les autochtones souhaitent que le secrétariat leur revienne avec l’application d’un principe de « discrimination positive » dérivé de la formulation : « Une préférence sera accordée à une femme d’égale compétence ». Ils souhaitent accréditer l’idée qu’ « une préférence sera accordée à un autochtone d’égale compétence »  [7]. L’objectif est de peser sur la manière dont fonctionnent les Nations Unies, de même que dans leur esprit, le fonctionnement de l’État doit être changé pour qu’ils y trouvent leur place.

22 C’est par ces développements institutionnels que se construit aux Nations unies la personne du représentant autochtone qui associe des qualités politiques et identitaires à une image d’expert dans les domaines de la plus haute modernité. En apprenant sur une base expérimentale à maîtriser les mécanismes onusiens, les leaders autochtones, hommes et femmes, se sont forgés une compétence qui les conduit à mesurer l’importance d’inscrire un point à l’ordre du jour des États. Un certain nombre d’entre eux sont passés du statut de représentant d’un peuple sui generis et auto reconnu à celui d’expert, choisi par les organisations pour représenter une région du monde. [8] Ce changement de statut s’accompagne de l’acquisition de compétences discursives pour faire passer un message dans les minutes du temps réglementaire, de capacités de synthèse pour rédiger les rapports et les déclarations,de savoirs spécialisés et de qualités politiques pour manœuvrer sur un terrain traversé par toutes sortes d’idéologies. Les délégués autochtones injectent dans ces forums des manières de faire qui tranchent avec les modalités usitées par les représentants des États, les plus remarquées étant le recours aux parures traditionnelles dans les occasions cérémonielles, l’invocation aux esprits protecteurs, les chants et tambours sacrés. Pour marquer leur distinction d’avec les sociétés régionales ou occidentales, les discours autochtones font référence à leurs singularités culturelles, ils s’appuient sur les cosmovisions (avec le concept des « 4 directions », l’invocation à la « terre mère »), sur des références au « créateur » ou aux esprits, ils rappellent les épisodes douloureux de leur histoire. Ils évoquent enfin, le sens de leur responsabilité avec le concept des « 7 générations » et l’idée qu’ils ne sont que le maillon d’une chaîne reliant les « ancêtres » aux nouvelles générations, nées et à venir. Les références à des pratiques communes montrent que la distance géographique, linguistique ou culturelle entre les autochtones ne pèse pas grand-chose au regard de la volonté de montrer une histoire partagée. Celle-ci se reconstruit autour de quelques éléments dont la coalescence est fonction de la relation au corpus des droits collectifs en cours d’élaboration. La mise en scène d’un esprit collectif les conduit à surmonter leurs divisions pour démontrer l’union et le respect qu’ils prêtent à leurs cultures et savoirs de leurs « frères et sœurs » autochtones. Cela est réalisé à travers le principe de l’assemblée générale (caucus) qui rassemble quotidiennement, durant les sessions de travail, les organisations présentes pour discuter des problèmes à l’ordre du jour, sous une présidence bicéphale à double parité de genre et de langues (Anglais et Espagnol). La décision est prise par consensus, avec l’assentiment actif ou passif des participants, ce qui donne force à la voix autochtone et conforte le sentiment de son unité auprès des observateurs extérieurs.

23 Si de nombreux efforts visent à impliquer des jeunes (via les programmes de formation de leaders), ce sont souvent les mêmes personnes qui se déplacent d’un forum à l’autre, ce qui leur permet de mettre en relation les scènes discursives pour avancer des propositions cohérentes. Mais cet investissement des lieux du monde donne l’illusion d’une sensibilisation plus importante de la communauté internationale qui alimente en retour certaine déception, comme le manifestent les autochtones se plaignant que les déclarations des États ne soient suivies d’aucun effet. Face à ces perspectives unitaires par lesquelles la communauté internationale (c’est-à-dire les délégués des États, les fonctionnaires internationaux, les universitaires et experts, les médias, les activistes) se saisit des « questions autochtones » et construit une image mentale des peuples autochtones, se pose la question des relations entre ce monde déterritorialisé de l’Onu et ces espaces dans lesquels s’inscrivent les personnes concernées par les revendications autochtones. En luttant pour l’autonomie et l’autodétermination, les peuples autochtones se trouvent confrontés aux problèmes que pose la gouvernance dans un espace démocratique, ouvert aux tiers.

24 On observe ainsi un double balisage des territoires du politique, du côté national (mais aussi régional et local) et du côté transnational. Au niveau local, se produisent des changements, soit que s’affirment des mouvements identitaires, soit que les luttes se poursuivent sur des enjeux de revendication territoriale, d’applicationdes traités, de plus en plus en rapport avec l’exploitation des ressources naturelles qui sont convoitées par les entreprises multinationales. Démonstration pourrait être faite de l’influence qu’exerce le forum international composé des autochtones, des organisations multilatérales, des ONGs transnationales, des réseaux militants, des églises aussi. Depuis quelques années, les luttes sont de plus en plus tournées vers les problèmes que posent la dérégulation de l’État et la privatisation des ressources naturelles comme l’eau ou le pétrole, par lesquelles les autochtones voient des acteurs plus puissants qu’eux, les grandes compagnies transnationales par exemple, s’installer sur les territoires « ancestraux » dont ils sollicitent la reconnaissance. Celles-ci bénéficient avec la mondialisation, de conditions favorables liées à l’attraction des investissements directs étrangers de la part des États. Ceux-ci se trouvent dès lors confrontés à toutes sortes de demandes contradictoires, comme le démontre C. Gros pour l’Amérique Latine : le paradoxe « consistant à vouloir territorialiser des groupes culturels et à établir des frontières intérieures à caractère ethnique, alors même que jamais les frontières nationales n’avaient été aussi poreuses, ouvertes à la circulation des marchandises, des capitaux, des hommes, des idées, des cultures » [2005, p. 45]. La place des autochtones dans les développements des nouvelles organisations de marché, telles que ALCA (Association de Libre Échange des Amériques) est ainsi mise en question. Ce n’est que depuis peu de temps, en relation avec les efforts de la Banque Mondiale pour adapter ses directives opérationnelles que les multinationales envisagent de « dialoguer » avec les autochtones.

25 Les luttes concernant les revendications territoriales comme l’application de la justice se déroulent dans le pays, au niveau constitutionnel comme dans les instances locales, plus qu’aux Nations unies où les positions politiques sont réélaborées dans une forme discursive « globalisante » [Maingueneau, 2002 ; Steiner, 2002]. S’il est impossible de se forger une vision planétaire des changements économiques et sociaux dans lesquels les autochtones se ressourcent lorsqu’ils « montent » au niveau international se faire l’avocat d’une cause, on observe des évolutions significatives en Amérique Latine [Bellier, 2006], avec l’adoption de Constitutions plus respectueuses de la diversité culturelle (Nicaragua 1987, Brésil 1988, Colombie 1991, Mexique 1991, Paraguay 1992, Pérou 1993, Bolivie 1994, Équateur 1998, Venezuela 2000…). Ce mouvement du côté des États américains (déjà associés à un projet de Déclaration Américaine des Droits des Peuples Autochtones) peut avoir un effet d’entraînement sur d’autres États du globe, à travers divers mécanismes, notamment ceux par lesquels se constitue un pôle des États émergents visant à résister à l’ordre international du G8. Les changements semblent plus symboliques qu’ils ne traduisent un véritable rééquilibrage des relations sociales, économiques et politiques entre les communautés autochtones et la société dominante. Mais ils incarnent un mouvement historique de re-examen global du projet national et de citoyenneté [Gros, 2000] qui va de pair avec les réformes impulsées au niveau mondial par les organisations internationales. Ce sont les mêmes pays américains qui ont ratifié la Convention 169 de l’OIT qui est, à ce jour, l’unique instrument juridique élaborant des droits collectifs autochtones relatifs à la terre, à l’emploi, à la formation professionnelle, à la santé. Si elle n’a été ratifiée par aucun pays africain ou asiatique, et par trois pays européens seulement, lesleaders autochtones démarchent leurs gouvernements en ce sens, recevant pour ce faire l’appui des programmes de la Commission européenne (par ex., l’ « Initiative pour la Démocratie et les Droits de l’Homme », appel à projet, 2005).

26 Du côté transnational, se produisent des changements liés aux formes nouvelles de la mondialisation. Le premier concerne le pôle institutionnel et les États, avec l’établissement de normes visant à étendre le champ des droits humains, ce que les spécialistes dénomment la genèse d’une quatrième génération de droits dont les développements impliquent les structures administratives, politiques, judiciaires et constitutionnelles. La clé de voûte de cette nouvelle génération de droits concernant les autochtones est la Déclaration des droits des peuples autochtones qui, à l’état de projet, constitue déjà une référence pour la cour suprême du Canada. Ces ajustements doivent être mis en rapport avec la conscience partagée des enjeux planétaires relatifs à la protection de l’environnement et l’usage des ressources naturelles, comme de la diversité culturelle qui constitue le patrimoine de l’humanité. Les entreprises multinationales peinent à prendre en compte cette dimension des droits susceptibles d’affecter le développement de leurs activités, dans le domaine des ressources extractives comme dans le domaine des médias. Mais de plus en plus de voix réclament une « responsabilité juridique » des entreprises multinationales sur ce plan également  [9]. Un second niveau concerne les peuples séparés par les frontières des États qui tentent d’améliorer leur liberté de circulation, ainsi que les individus autochtones qui, à travers les migrations saisonnières ou plus durables vers les États-Unis [Lestage, 2002] ou vers l’Europe, développent des discours nouveaux sur l’identité, le droit comme sur les évolutions des communautés traditionnelles [Morin et Santana, 2002]. Dans ce domaine, les femmes jouent un rôle particulier comme cela est apparu lors de la troisième session de l’Instance permanente qui a examiné la question des « Femmes autochtones » en 2003. Le troisième niveau concerne l’émergence d’une nouvelle élite autochtone, liée à cette intensification des échanges qui transforme les manières de faire et d’être.

27 La sensibilité nouvelle des États qui appuient les développements des questions autochtones dans la sphère internationale tient à la capacité des organisations autochtones à chercher des relais dans le système onusien. Par leur constante implication s’accompagnant d’une meilleure connaissance des processus internationaux, les représentants autochtones semblent devenir « partenaires » des États. C’est une vision que partagent ceux d’entre eux qui ont choisi la voie du dialogue et de l’action internationale, mais que réfutent ceux qui privilégient l’action radicale locale (ex. le mouvement zapatiste au Chiapas). Le partenariat était le label annoncé de la dernière décennie en faveur des peuples autochtones [1995-2005], dont l’évaluation a révélé qu’elle s’était traduite par peu d’engagements concrets. Les États demeurent « maîtres » du jeu puisqu’ils détiennent le pouvoir de décision,notamment celui d’adopter la Déclaration, de transformer cet instrument en une convention, de respecter leurs engagements et de les faire respecter par les acteurs non étatiques, les compagnies multinationales et les ONGs.

Universalisme des droits humains, relativisme des questions autochtones

28 Depuis 1945, les droits de l’homme qui constituèrent le socle initial des instruments de défense des autochtones (Déclaration universelle de 1948) se sont diversifiés avec la genèse d’instruments visant à protéger les droits civils et politiques, économiques et sociaux (les deux pactes internationaux de 1966, les Conventions 107 et 169 de l’OIT), puis les droits au développement contenus dans différentes déclarations. Chacun de ces domaines de droit s’est divisé pour traiter des droits des citoyens, des réfugiés et des migrants, des enfants et des femmes, des droits à l’environnement, à la terre et aux ressources naturelles, des droits au travail et à la santé, des droits culturels, éducatifs, linguistiques, médiatiques, le dernier en date portant sur la propriété intellectuelle. Dans ce contexte d’un ordre juridique international évolutif, les représentants autochtones se sont attachés à faire ressortir leur spécificité en revendiquant une parole légitime fondée sur leur reconnaissance en tant que « peuple ».

29 En 30 ans d’activisme autochtone, la montée en puissance dans le système mondial s’est traduite par un changement de perspectives. S’inscrivant dans la logique initiale des droits humains pour remédier à la situation des individus en proie au racisme et à la discrimination, dans le cadre des droits civils et politiques dits de la première génération, le débat a glissé vers les droits de seconde et troisième générations, concernant l’économie, la société et la culture, pour s’orienter vers la définition de droits collectifs en direction d’une catégorie particulière de personnes : les autochtones. C’est le fruit d’une évolution par laquelle les systèmes onusiens et européens se saisissent d’une catégorie – comme les femmes, les enfants ou les minorités – avant de proposer une intégration des problématiques dans les mécanismes institutionnels, dite en anglais « mainstreaming ». Ce qui veut dire qu’au lieu de définir une politique ciblée pour les autochtones, mécanisme susceptible de diviser l’universalité du droit, les perspectives autochtones devraient être prises en compte dans toutes les politiques élaborées. Dans cette optique, il est indispensable de réfléchir aux modalités par lesquelles articuler les droits collectifs et les droits individuels de la personne, pour régler les situations litigieuses entre autochtones, mais aussi pour respecter les droits des tiers non autochtones dans le cadre étatique comme dans le cadre des autonomies qui peuvent être concédées sous différentes formes [Bonilla, 2004].

30 Ces évolutions doivent être mises en rapport avec le nouvel état du monde post colonial. Le bloc occidental, puissant sur le plan idéologique et notamment responsable des grands modèles de développement, est mis en question aussi bien par les pays émergents que par les populations autochtones dont les représentants critiquent les avancées de la mondialisation économique et financière. De nouvellesalliances se dessinent entre États et mouvements porteurs de logiques d’actions pour une autre mondialisation (dont Brésil, Afrique du Sud, Cuba, Venezuela – avec l’initiative d’une Alternative Bolivarienne pour les Amériques, ALBA, pour faire pièce à l’ALCA ; mouvements associatifs, environnementalistes). C’est dans ce contexte que la voix des autochtones circule dans les forums internationaux, contribuant à sensibiliser les acteurs gouvernementaux, les militants activistes ou humanitaires, les experts de différentes disciplines. On assiste ainsi à ce phénomène par lequel les autochtones se saisissent de la « chose commune » pour introduire « le point de vue autochtone » et contribuer, à long terme, à l’orientation des politiques publiques. Ils entendent convaincre le public occidental que le respect de leurs droits et de leurs visions profite à la société dans son ensemble, en tant que mécanisme d’approfondissement de la démocratie. Dans cette perspective d’un monde revisitant ses frontières, ils proposent que leurs savoirs traditionnels soient reconnus pour le bénéfice commun de l’humanité en refusant les logiques de marchandisation qui encadrent ces échanges dans l’optique occidentale. De même, contestent-ils la forme de l’état « occidental » qu’ils veulent rénover bien qu’ils ne disposent pas des capacités politiques, techniques ou financières de porter un modèle susceptible d’intégrer les visions de tous. L’enjeu politique est immense. D’un côté, est mise en question la définition des droits de propriété, pour laquelle les États opposent aux autochtones une fin de non recevoir ferme sur les droits du sol et du sous-sol. De l’autre est mise en examen la possibilité d’une gouvernance autochtone, à un niveau autre que communautaire.

31 L’action collective au sein de l’ONU a sans doute répondu à une double logique. D’un côté, elle a conduit à universaliser le rapport entre l’État et l’une de ses composantes, optique selon laquelle les autochtones représentent un « fragment de la nation » [Chatterjee, 1993]. De l’autre, elle a permis de relativiser les réponses à apporter à ces peuples, populations et individus dans les domaines de l’éducation, de la santé, du développement comme des droits politiques, ce qui met en question le rapport entre un « peuple » au sens philosophique du terme et des « peuples » au sens d’entités culturelles, ethnicisées, construites dans un registre politique et juridique qui se cherche une nouvelle grammaire. L’incertitude demeure sur la question de savoir si les changements désirés passent par le politique ou par le juridique, et comment s’articulent ces deux domaines. Cela conduit les représentants autochtones à développer une argumentation sophistiquée tant pour exposer les limites que présente le droit international des droits de l’homme, centré sur les droits individuels de la personne, que pour rassurer les États sur la manière dont les droits collectifs peuvent être mis en œuvre à l’échelle locale, régionale, voire globale. Avec l’identification collective à la notion de « peuple » au sens des pactes de 1966, le mouvement international des peuples autochtones réclame un traitement non discriminatoire, pour se voir reconnaître un droit à l’autodétermination perçu comme l’unique garantie de protection des rapports liant un peuple à son territoire, sur les plans spirituel, matériel, physique ou symbolique. Parallèlement, il demande un traitement axé sur la spécificité du lien entre l’individu et le groupe autochtones, pour lutter contre la marginalisation de la part des États qui les incluent en tant que populations, dénuées souvent de droit de citoyenneté. Cette même spécificité estopposée aux firmes transnationales qui exploitent les ressources du sol et du sous-sol selon des logiques incompatibles avec les représentations traditionnelles. En s’articulant sur le fait de l’antériorité enfin, la spécificité autochtone construit un rapport de force face aux minorités ethniques issues des diasporas, qui négocient à leur manière leur intégration dans l’espace économique, social et politique.

32 Concilier l’universalisme du droit avec la relativité culturelle autochtone représente pour l’idéologie dominante un défi d’autant plus puissant que les populations autochtones sont inscrites dans une position de subordination relative d’où elles cherchent à s’extraire par le dialogue ou par la lutte. L’accélération des processus organisationnels, l’utilisation des structures d’ONGs pour capter des fonds et développer des relais auprès de l’opinion publique, ainsi que l’accès à des portails Internet qui permettent aussi bien de se documenter que de porter à la connaissance du monde telle violation commise par un État ou une entreprise multinationale, représentent de puissants instruments de construction des capacités politiques. Les citations d’auteurs autochtones qui émaillent ce texte (Anaya, Tiouka) illustrent ainsi le changement de paradigme que traduit, en particulier dans les trois Amériques, l’occupation de la scène académique par les acteurs autochtones et la prise en considération des problématiques autochtones par les institutions universitaires dans une perspective qui n’est pas simplement théorique. Au-delà de ce continent, on observe le même souci de former des leaders autochtones susceptibles de recourir aux mêmes outils que les représentants de la société dominante, dans la volonté de construire ce domaine du droit, inconnu en France qu’est le droit autochtone.

33 On ne compte plus à l’Onu le nombre d’autochtones titulaires de doctorats en droit, enseignants, avocats ou consultants qui mettent leurs compétences au service de leurs communautés, ce qui ne laisse pas de poser problème tant il est difficile d’être le porte parole d’un monde qui défend ses traditions, en étant le vecteur des discours globalisés par lesquels le renouveau des peuples autochtones est imaginé [Gros, 1998 ; Morin et Saladin d’Anglure, 1995 ; Bellier et Legros 2001]. Par leur présence, leurs actions parfois spectaculaires et leurs réflexions mûries dans la lutte politique mais aussi à l’université, « les autochtones de l’ONU » sont parvenus à inscrire à l’agenda international cette nouvelle génération de droits humains que les Anglo-Saxons dénomment « indigenous rights » [Messer, 1995, p. 69]. Cette catégorie de droits correspond moins à un bloc de droits positifs qu’à l’ensemble des pratiques par lesquelles les autochtones se constituent comme acteurs de leurs propres destins et dont la ligne d’horizon est définie par le projet de Déclaration Universelle des Droits des Peuples Autochtones. La faible visibilité et la non reconnaissance de ce domaine du droit en France, tiennent en partie à la frilosité des chercheurs, tant juristes que politologues ou anthropologues qui se sont intéressés plus tard que les autres aux développements de « l’autochtonie ». Mais, un mouvement se dessine comme on le remarque avec la mise sur pied à l’Université de Dijon, avec la collaboration du HCDH, d’une formation aux droits humains et aux droits autochtones en direction des jeunes autochtones francophones du monde, ce qui inclut les représentants du Pacifique, d’Afrique, et d’Amérique.

Conclusion

34 Le dernier quart du vingtième siècle fut une période clé tant pour l’organisation du mouvement des peuples autochtones qui s’est élargi à l’ensemble des continents que pour l’incorporation à l’agenda international des problématiques les concernant, et l’évolution de la pensée politique et juridique qui en résulte. La montée en puissance des perspectives « droits de l’hommiste » [Badie, 2002] s’est accompagnée d’un double mouvement s’appuyant, au Nord sur une mobilisation relative des anthropologues et la sensibilisation des opinions publiques et des médias, et au Sud sur l’organisation des communautés autochtones avec une quête de légitimité dans le champ politique national, acquise par l’investissement de la scène internationale. La projection sur la scène internationale mobilise les énergies des organisations autochtones qui se font les avocats de la cause dans une multiplicité d’espaces de dialogue. Cela permet de faire progresser la réflexion dans la communauté internationale mais cela pose aussi problème au plan de l’organisation de l’action, au regard des transformations du champ politique qui, au niveau local (territorial, national, régional) se produisent en écho aux interventions des agences de développement.

35 L’inscription à l’agenda international des questions autochtones, sans représenter une priorité, montre un changement par rapport aux années soixante durant lesquelles ces populations ne jouissaient que d’une mince visibilité dans les écrits des anthropologues et les films documentaires. Mais on assiste, dans le contexte même de la mondialisation, à un décalage extraordinaire de perspectives entre les continents comme à l’intérieur des grandes aires régionales tandis que les thématiques ont profondément évolué. Significatif également est l’effacement progressif des frontières entre « penseurs » et « acteurs » ce qui, joint à la manière dont circulent par Internet les analyses, les documents politiques comme les appels à manifester, dessine un panorama plus complexe de l’activisme politique. Les mêmes données peuvent être utilisées à des fins distinctes par les producteurs de discours savants comme par les militants de la cause autochtone, ce qui transforme les conditions de formation du savoir anthropologique.

36 Le cadre juridique des droits de l’homme qui a permis à la catégorie « peuples autochtones » d’apparaître sur la scène publique cède du terrain devant les logiques sectorielles des programmes de développement et de lutte contre la pauvreté, comme le reflètent les discussions relatives aux « Objectifs de développement du Millénaire ». Ce qui laisse à penser que « la globalisation de l’ethnicité » que craignent un certain nombre de représentants des États comme d’intellectuels attachés à une vision unitaire plutôt que pluraliste de la démocratie, est canalisée par les mécanismes prévalant dans les institutions multilatérales. C’est une raison pour laquelle les représentants des peuples autochtones ont le sentiment de ne pas enregistrer suffisamment d’avancées sur le plan juridique, au regard des situations problématiques qu’ils vivent dans la plupart des pays. L’ensemble des problématiques autochtones se trouve à la croisée des chemins, la nécessité se faisant sentir de passer du niveau rhétorique du discours sur les droits au niveau pratique des changements politiques. Dans l’optique autochtone, « les belles paroles » doivent setraduire par des actions et les recommandations donner des résultats tangibles. Dans l’optique de l’anthropologie politique, il convient de resituer les logiques d’actions dans une perspective globale pour comprendre le sens des transformations observées au niveau des institutions mondiales et nationales, comme au niveau des communautés.

Notes

  • [*]
    Directrice de recherche, Laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales (LAIOS), Paris, e-mail : ibellier@club-internet.fr.
  • [1]
    www.gitpa.org
  • [2]
    Six langues de travail sont utilisées à l’ONU – Anglais, Arabe, Chinois, Espagnol, Français, Russe – et trois langues dominent parmi les autochtones en raison de leur relatif poids démographique : Anglais, Espagnol, Français.
  • [3]
    Textes référencés sur http://www.ohchr.org/french/issues/indigenous/documents.htm
  • [4]
    Fiche n° 1 « Tour d’horizon sur les peuples autochtones et le système des Nations unies », 01-430 [F].
  • [5]
    Signée en 1989, la convention 169 a été ratifiée par 17 États dont 13 latino-américains : Argentine, Bolivie, Brésil, Colombie, Costa Rica, Dominique, Équateur, Guatemala, Honduras, Mexique, Paraguay, Pérou, Venezuela ; Danemark, Fidji, Norvège et Pays-Bas.
  • [6]
    Sommets de la Terre – Rio 1992, Johannesburg 2002, contre le racisme – Durban 1994, sur les Femmes – Pékin 1995, le commerce et la finance [OMC] – Seattle 2000, le changement climatique – La Haye 2000, la résolution des conflits, la paix et le développement durable – Manille 2000, l’eau – Kyoto 2003, la société de l’information – Genève 2002, Tunis 2005.
  • [7]
    Les autochtones ne pouvant être présents au-delà de l’ECOSOC et sans accès aux débats du 5e Comité chargé du budget, sont dépendants des États et hauts fonctionnaires « amis » pour porter leurs demandes.
  • [8]
    Les organisations, dite « parapluie » regroupent des dizaines d’organisations locales comme la COICA [Confederacion de las Organisaciones Indigenas de la Cuenca Amazonica] en Amérique Latine, fédération trilingue [espagnol, portugais, français] ou IPACC [Indigenous Peoples of Africa Coordination Committee], fédération bilingue [français, anglais] qui regroupe les organisations de l’Afrique noire et blanche, du Nord au Sud du continent.
  • [9]
    http://www.developpement-durable.net/article.php3 ?id_article=83, http://www.un.org/french/pubs/ chronique/2002/ numero3/0302p20_une_idee_qui_a_fait_son_chemin.html, http://www.parl.gc.ca/ infocomdoc/38/1/parlbus/commbus/house/FAAE/report/RP1961949/FAAE_Rpt14-f.htm.
Français

La fin du XXe siècle fut une période clé pour l’organisation du mouvement des peuples autochtones et l’évolution de la pensée politique et juridique. Les débats dans le système des Nations unies acquièrent via les programmes des agences une perspective opérationnelle nouvelle. Par ces développements institutionnels se construit aux Nations unies la personne du représentant autochtone qui associe des qualités politiques et identitaires à une image d’expert. Les changements constitutionnels introduits dans certains États incarnent un mouvement historique de re-examen global du projet national et de citoyenneté. Dans ce contexte, il est indispensable de réfléchir aux modalités par lesquelles articuler les droits collectifs et les droits individuels de la personne, pour régler les situations litigieuses entre autochtones et avec les non autochtones. L’action collective a conduit à universaliser le rapport entre l’État et l’une de ses composantes, et permis de relativiser les réponses à apporter à ces populations dans les domaines de l’éducation, de la santé, du développement comme des droits politiques. Cela met en question le rapport entre un « peuple » au sens philosophique du terme et des « peuples » au sens d’entités culturelles, ethnicisées, construites dans un registre politique et juridique qui se cherche une nouvelle grammaire.

Mots-clés

  • peuples autochtones
  • droits collectifs
  • Nations unies
  • Commission des droits de l’homme
  • mondialisation
  • identités politiques
  • territoires

BIBLIOGRAPHIE

  • ABELES M. et JEUDY H.-P. [1997], Anthropologie du Politique, Paris, Armand Colin.
  • ANAYA J. [2000], Indigenous Peoples in Intenational Law, New York, Oxford University Press.
  • BADIE, B. [2002], La diplomatie des droits de l’homme. Entre éthique et volonté de puissance, Paris, Fayard.
  • BARTH F. [1969], Ethnic groups and boundaries : the social organisation of culture difference, Boston, Little, Brown and Co.
  • BELLIER I. [1991], El temblor y la luna. Ensayo sobre las relaciones entre las mujeres y los hombres mai huna., Lima, Quito, Institut Français d’Études Andines – Abya-Yala.
  • – [2003], « Dernières nouvelles du Groupe de travail sur le projet de déclaration des droits des peoples autochtones à l’ONU », Recherches Amérindiennes au Québec, vol. XXXIII, n° 3, p. 93-99.
  • – [2005], « Discourse analysis and observation of practices : looking into Interdisciplinarity », in Wodak R. et Chilton p. [eds] A new Agenda in (critical) discourse analysis. Theory, methodology and interdisciplinarity, John Benjamins Publishing Company, Amsterdam Phildalephia, 243-267.
  • – [2006] « Le projet de Déclaration des droits des peuples autochtones et les États américains. Avancées et clivages », in Gros C. et M. C. Strigler (dir) Être indien dans les Amériques, 27- 42, Paris, Éditions de l’Institut des Amériques.
  • BELLIER I. et LEGROS D. [2001], « Mondialisation et redéploiement des pratiques politiques amérindiennes : esquisses théoriques », Recherches Amérindiennes au Québec, vol. XXXI, n° 3, p. 3-11.
  • BONILLA D. [2004], « Los Derechos Fundamentales y la Diferencia Cultural. Analisis del caso colombiano », en Saba Roberto (ed.) Los Derechos Fundamentales, Editorial del Puerto, Buenos Aires.
  • CADHP-IWGIA [2005], Rapport du Groupe de travail d’experts de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des peuples sur les populations/communautés autochtones, Copenhague, Danemark.
  • CHATTERJEE P. [1993], The nation and its fragments. Colonial and postcolonial histories,Princeton, Princeton University Press.
  • COLLOMB G. [2001], « De l’Indien à l’indigène : l’internationalisation des luttes amérindiennes en Guyane et les enjeux de l’autochtonie », Recherches Amérindiennes au Québec, vol. XXXI, n° 3, p. 37-47.
  • DELMAS MARTY M. [2004], Le relatif et l’universel, les forces imaginantes du droit, Paris, Seuil.
  • En ligne FAUVELLE-AYMAR F.-X. [1999], « Quel passé pour les Khoisan ? Représentations, mémoire, héritages », Cahiers d’Études Africaines, 155-156, XXXIX-3-4, p. 979-985.
  • GROS C. [1998], Pour une sociologie des populations indiennes et paysannes de l’Amérique Latine, L’Harmattan, Paris.
  • – [2000], « Identité ou métissage : la nation en question », Hérodote, n° 99, 4e trim., p. 106-136.
  • – [2005], « Des territoires multiculturels ? », Cahier des Amériques Latines, 45, p. 31-50.
  • LESTAGE F. [2002], « Manejar la complejidad del transnacionalismo : a proposito de algunas redes de los migrantes oaxaqueños », in Morin et Santana R. [eds], Lo transnacional. Instrumento y desafio para los pueblos indigenas, 169-201, Quito, Abya Yala.
  • LORAUX N. [1998], Né de la terre, Mythe et politique à Athènes, Paris, Seuil.
  • MAINGUENEAU D. [2002], « Les rapports des organisations internationales : un discours constituant, in Rist G. [dir] Les mots du pouvoir, sens et non sens de la rhétorique internationale, Paris-Genève : Les nouveaux cahiers de l’IUED.
  • MARTINEZ Cobo E. [1986], Study of the problem of discrimination against Indigenous Populations, E/CN.4/ sub 2/1986/87 add 1-4, ONU.
  • En ligne MESSER E. [1995], « Anthropology and human rights in latin america », Journal of Latin America Anthropology 1 [1], p. 48-97.
  • MORIN F. [1992], « Vers une déclaration universelle des droits des peuples autochtones », in H. Giordan [dir] Les minorités en Europe. Droits linguistiques et Droits de l’Homme, 493-507, Paris, Kimé.
  • En ligne – [1994], « De l’ethnie à l’autochtonie. Stratégies politiques amérindiennes », Caravelle, n° 63, p. 161-174.
  • – [à paraître, 2006], « Les nations unies à l’épreuve des peuples autochtones », in Gros C. et M. C. Strigler [dir] Être indien dans les Amériques, Paris, Éditions de l’institut des Amériques.
  • MORIN F. et SALADIN D’ANGLURE B. [1995], « L’ethnicité, un outil politique pour les autochtones de l’Arctique et de l’Amazonie », Études Inuit Studies, 19 [1], p. 37-68.
  • MORIN F. et SANTANA R. [eds] [2002], Lo transnacional. Instrumento y desafio para los pueblos indigenas, Quito, Abya Yala.
  • En ligne MUEHLEBACH A. [2001], « Making place » at the United Nations : Indigenous Cultural Politics at the U. N. Working Group on Indigenous Populations » Cultural Anthropology, 16 [3], p. 415-448.
  • ROSTKOWSKI J. [1985], « Deskaheh et la société des Nations. Le peau-rouge demande justice. »,Le visage multiplié du monde, Quatre siècles d’ethnographie à Genève, Musée d’ethnographie, Genève, p. 151-167.
  • SHULTE TENCKHOFF I. et ANSBACH T. 1997, Le droit des minorités. Bruxelles, Éditions Bruylant.
  • STAVENHAGEN R. [2001], Report of the Special Rapporteur on the situation of human rights and fundamental freedoms of indigenous people, United Nations Paper E/C1/1.412002/97.
  • STEINER B. [2002] « De la langue de bois à la langue de coton : les mots du pouvoir », in Rist [dir] Les mots du pouvoir, sens et non sens de la rhétorique internationale, p. 193-208, Paris-Genève, Les nouveaux cahiers de l’IUED.
  • TIOUKA A. [2004], Monographie « Le droit international et le droit autochtone : un moyen de résoudre les conflits liés à l’implantation d’entreprises multinationales sur les territoires autochtones », sous la direction du Pr. V. Aguilar Castro, Faculdad Latino American de Ciencias Sociales, Quito.
  • WIEVIORKA M. [2005], « Identités culturelles et démocratie », Cahier des Amériques Latines, 45, p. 21-30.
Irène Bellier [*]
  • [*]
    Directrice de recherche, Laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales (LAIOS), Paris, e-mail : ibellier@club-internet.fr.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2010
https://doi.org/10.3917/autr.038.0099
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...