« Les histoires les plus difficiles à écrire sont celles qu’aucun événement ne remplit ; l’histoire de Mme de Sévigné est de ce nombre », note Monmerqué, l’un des premiers éditeurs de la marquise au xixe siècle, soulignant que les grandes actions « de la vie d’une femme du monde, aimable et vertueuse » ne sont que les péripéties d’une simple existence, les étapes de la destinée d’une femme de son temps « dont tous les pas sont comptés et bornés » (18 mars 1690), qu’elle a contée elle-même et dont les aventures pourraient se résumer par ces mots : elle aima sa fille. Voilà qui rend répétitifs les récits de ses voyages, où rien ne se produit que d’intime et d’introspectif. Mais c’est là tout le charme de la vie et des lettres de Mme de Sévigné, remplies de petits faits vrais.Au printemps 1689, il a été décidé de partir en Bretagne. Mme de Sévigné n’a plus d’équipage, et profite de l’invitation de Mme de Chaulnes pour voyager « à la grande […] : [u]n grand train, deux carrosses à six chevaux, un fourgon, huit cavaliers » (11 avril 1689). Mais, par un contretemps du duc de Chaulnes, le départ est retardé et, plutôt que de rester à Paris ou de se rejoindre à Rouen, Mme de Chaulnes propose à Mme de Sévigné et à Mme de Kerman de passer quelques jours dans son château situé dans la Somme, à quelques kilomètres à l’est d’Amiens. La marquise, qui n’a plus Livry, ne balance pas : « [J]e suis tellement en l’air, et tellement partie de Paris, que je m’en vais me reposer à Chaulnes » (12 avril 1689)…