La surdité, déficience physique invisible, ne se manifeste que dans les modalités de communication. « Il faut être au moins deux pour qu’on puisse commencer à parler de surdité », souligne Bernard Mottez. « La surdité est un rapport. C’est une expérience nécessairement partagée. » La surdité est ainsi avant tout un handicap de communication, impliquant l’ensemble des parties engagées dans l’interaction. Bien sûr, les personnes sourdes n’ont pas accès aux mêmes informations que les entendants sur leur environnement. Elles ne réagissent donc pas de la même manière à ce qui se passe autour d’elles, restant impassibles lorsqu’une porte claque, mais sursautant à des pas un peu brusques sur du parquet. Ici encore, la manifestation d’une altérité se joue dans le registre de la communication. Ces différences d’attitudes rendent tangible la mobilisation de sources d’informations différentes dans un environnement pourtant partagé. Elles expriment des différences d’appréciation sur ce qui fait sens ou sur ce qui est indice de danger. Le « rapport » évoqué par Bernard Mottez est marqué par un sentiment de perte partielle de repères, tout en ne donnant rien à voir de fondamentalement dissemblable.
Ce sentiment d’étrangeté a conduit, en Occident, à voir les personnes sourdes comme « des Parisiens plus nus que les sauvages », dont les gestes pouvaient à ce titre être utilisés pour converser avec les habitants de contrées plus lointaines. C’est pour cet usage que les membres de la toute première organisation anthropologique française, la Société des observateurs de l’homme, soutint la création d’un dictionnaire des signes des sourds-muets, au tout début d…