Nathalie Clouet, après avoir passé huit mois à observer les lieux et les gens du tango à Buenos Aires, définit ainsi le milonguero* : « Danseur de bal réputé et reconnu de tous. » D’où provient cette reconnaissance ? De la maîtrise acquise « sur le tas » à l’intérieur du bal. Le milonguero* est un danseur autodidacte, d’origine populaire, l’équivalent de notre « balleur » des dancings ; il a souvent commencé à danser très jeune. Une forme de légitimité s’en dégage : elle est renforcée par le fait qu’il a connu la fin de l’« âge d’or » du tango, celui des années 1940-1950. Son savoir est auréolé par cette épaisseur historique. Il devient une figure tutélaire. Grâce à la mode actuelle, certains sont devenus des enseignants réclamés pour des tournées mondiales : Pepito Avellaneda (décédé en 1996), Miguel Balmaceda (l’un des professeurs de Pablo Veron avec Todaro), Rodolfo Cieri (décédé en 2000), Puppy Castello, Mingo Pugliese, Tete : tous ont dépassé la soixantaine au début des années 1990. Pour les néophytes passionnés, ils paraissent détenteurs d’un savoir mystérieux : le tango, comme culture gestuelle, disparaît avec eux, d’où le souci de consigner leur témoignage qui anime nombre de chercheurs passionnés. De nombreux amateurs de la nouvelle génération ont appris en travaillant avec eux, en les observant. La fascination s’en mêle parfois, et certains cherchent à reproduire autant que la danse proprement dite les multiples éléments qui constituaient, dans les années 1940-1950, la culture du tango et l’esprit de l…