CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1. « FOULES AVEC MENEUR » VS « FOULES SANS MENEUR » : LES COORDONNÉES TRONQUÉES DU DEBAT SUR LA MANIPULATION MENTALE

1 La Scientologie vient de fêter ses soixante ans (en mai 2010). Cela fait donc plus d’un demi-siècle que ce mouvement sectaire fondé par l’écrivain nord-américain Lafayette Ronald Hubbard s’est installé dans le paysage « religieux » contemporain : un demi-siècle que cette secte, devenue transnationale quasiment dès son émergence, suscite de massives adhésions à travers le monde. Comment expliquer cette vitalité et cet indéniable succès ? Dans un ouvrage paru en 1996, le Dr J.-M. Abgrall nous propose des pistes de réponses, grâce à sa « méthode clinique d’analyse du phénomène sectaire »  [1].

2 Selon lui, la Scientologie est l’exemple-type de ce qu’il nomme une « secte coercitive », ou « SC », à savoir « une structure de groupe fermée, fondée sur la manipulation mentale, organisée autour d’un maître (gourou) et d’une idéologie ». Relevons les deux signifiants-maîtres de sa réflexion : le « gourou », et, surtout, la notion de « manipulation mentale », ou « lavage de cerveau », dont il fait « la base de l’endoctrinement sectaire »  [2]. L’on sait que cette notion née lors de la guerre de Corée, dont M. Abgrall rappelle qu’elle postule l’existence de techniques « permettant de “vider” un cerveau de son contenu antérieur, de le “laver” et de reconstruire le mental d’un individu selon un autre modèle », a donné lieu à un projet de recherches scientistes financées par la CIA  [3]. Celles-ci, si elles ont causé des ravages parmi les cobayes humains qui les ont nourries, n’ont en revanche abouti à aucun résultat « scientifique » tangible : un être humain n’est pas comparable à un ordinateur que l’on reprogrammerait à sa guise. Le Dr Abgrall n’ignore pas l’échec de ces expérimentations ; pourtant, curieusement, s’il concède qu’« aucune recette sûre n’a pu être élaborée, ni par les psychiatres ni par les services secrets qui travaillaient de concert », il n’en soupçonne pas moins les sectes d’être tout de même parvenues à mettre au point, « de manière empirique, des protocoles de conditionnement mental » [4], certes « imparfaits », mais néanmoins relativement efficaces. Tout son travail vise alors à nous décrire par le menu ces innombrables techniques de manipulation mentale et de conditionnement nées dans les officines sectaires. Sans les détailler, tentons une synthèse de sa conception de la « mécanique » sectaire.

3 Une « SC », nous dit-il, est, fondamentalement, une organisation de « structure pyramidale » [5] : cette configuration, « [g] arante du secret, […] est aussi la condition sine qua non de la coercition, car elle suppose une hiérarchisation du savoir, du pouvoir et des bénéfices ». En haut de la pyramide du pouvoir et des bénéfices, unique détenteur du savoir, trône le « gourou-père » [6] : à la fois « image paternelle » et Idéal du moi, le « maître-gourou » suscite les identifications des membres tout en leur imposant sa loi. En face de cette figure paternelle, les liens entre les adeptes finissent par les amalgamer en un ensemble mouvant qui forme ce que M. Abgrall nomme la « secte-mère » [7]. Toute la vocation du gourou semble être de maintenir ses « fils-esclaves » [8] dans le giron de cette « secte-mère », de façon à ce qu’ils viennent soutenir son « identité imaginaire », sa toute-puissance, et alimenter son insondable jouissance. Les nombreuses techniques de coercition et de conditionnement (aussi bien psychologiques, que physiologiques) élaborées par le gourou visent donc « l’asservissement total de l’individu » [9], son aliénation complète à l’exubérante jouissance de son maître. Ce schéma du sectarisme a connu un certain succès ; il est ainsi venu insinuer ses effets dans divers travaux tentant de définir les sectes « dangereuses », ou « nocives », non pas en termes de « sectes coercitives », mais en tant que sectes « totalitaires ». Ce dernier terme a d’ailleurs reçu une forme de label institutionnel lorsqu’il est devenu le pivot d’une enquête parlementaire.

4 Dans le but d’orienter l’action des pouvoirs publics, la MILS [10] a en effet tenté de préciser en 1999 son champ d’action en produisant une définition du mot « secte » qui consiste globalement à en cerner la spécificité à partir de trois critères : il s’agit selon elle d’un groupement ou d’une association déclarant ou non des objectifs religieux, de structure totalitaire, dont les comportements ou les agissements portent atteinte aux droits de l’homme et à l’équilibre social. Que dire de cet usage du terme « totalitaire » sinon que la fréquence de son emploi n’a d’égale que son indéfinition ? Nous ne partageons donc pas l’avis de M. Alain Vivien lorsqu’il s’exclame que « la définition de la MILS a le mérite de la clarté et de la précision » [11] : en nul endroit n’est précisé en quoi consiste cette dimension « totalitaire », pourtant centrale dans le corps de cette enquête. Un large espace est ainsi ouvert, propice à la diffusion de toutes les confusions, de toutes les représentations les plus communément admises à propos de cette notion.

5 M. Vivien les résume d’ailleurs dans le même texte lorsqu’il dit de la définition précitée qu’« [e] lle met en valeur, en utilisant le terme de totalitaire […], l’essence antidémocratique de mouvements constitués autour d’un gourou détenteur de toute vérité, et de toutes les vérités exerçant son pouvoir dans le secret et sans contrôle des simples adeptes » : une figure despotique, omnipotente et hypnotique, se dessine immédiatement à l’évocation de ce concept politique. Que faire, dans ces conditions, des profondes analyses d’Hannah Arendt qui soutint que « la forme totalitaire de gouvernement a bien peu de rapport avec la soif de pouvoir, ou même avec le désir d’une machine génératrice de pouvoir, ou avec ce jeu du pouvoir pour le pouvoir qui caractérisa les dernières phases du mode de domination impérialiste » [12] ? Selon Arendt, c’est moins le pouvoir qui est au principe du totalitarisme, que l’impératif du mouvement : la nécessité impérieuse de se maintenir en mouvement – et de tout faire pour accélérer celui-ci. Que l’on quitte le sol ferme des travaux de la philosophie, et des idées d’ordre rigide et de fixité hiérarchique tendent immédiatement à s’infiltrer dans le sillage des représentations convoquées. Ces sectes totalitaires, nous dit par exemple M. Vivien, « préparent un monde où les initiés, rangés en cohortes quasi militaires derrière un nouveau Big Brother, n’auraient finalement pas d’autres buts que de transformer des femmes et des hommes libres en “esclaves heureux” » [13]. Ces schémas sont si puissamment « engrammés » dans les représentations communes touchant à la notion de totalitarisme, qu’ils se sont introduits en catimini dans l’essai d’Anne Fournier et Catherine Picard, Sectes, démocratie et mondialisation, où ils sont parvenus à déplacer et modifier la signification des réflexions arendtiennes en y adjoignant d’étonnants développements.

6 Les deux auteures indiquent avec pertinence que « la société de masse est […] très vulnérable aux mouvements totalitaires » ; s’il en est ainsi, poursuivent-elles, c’est parce que « dans une situation d’atomisation du corps social et d’isolement des individus, l’absence de relations sociales est alors compensée par un attachement à des leaders tout-puissants » [14]. D’où vient cette idée d’« attachement à des leaders » ? Où ont-elles puisé l’hypothèse d’une tentative de compensation du relâchement du lien social grâce à la « toute-puissance » de leaders ? Cette mystérieuse « toute-puissance » suscitant l’« attachement » n’est-elle pas un avatar de la puissante volonté des meneurs que Gustave Lebon nommait « prestige » – ce qui est une autre façon de désigner le tout aussi mystérieux « charisme » personnel ? Sur ce point, l’on sait que la position d’Hannah Arendt était claire, et ne varia guère : « Ce serait une grave erreur, écrivait-elle, d’interpréter les chefs totalitaires selon le concept d’ “autorité charismatique” » [15]. Plutôt que d’en appeler à ces notions toujours entachées de mesmérisme, Arendt privilégia une interprétation détachée des contingences individuelles impliquées dans les phénomènes, pour aborder l’installation du totalitarisme comme un processus idéologique qui se développerait insidieusement, recouvrant progressivement tous les pans de l’espace public et privé, pour finir par emporter dans l’emballement de son mouvement, par le truchement de ce que Hitler nommait « organisation vivante », et grâce au « cercle de fer » de la Terreur, un corps social désolé et massifié. Le leader n’est, dans ce cadre, que l’agent, la chaîne de transmission, des puissants processus qui traversent le corps social. Hannah Arendt notait d’ailleurs que les hauts dignitaires nazis « [considéraient] toutes choses et tout le monde en termes d’organisation, ce qui [incluait] le Chef qui, pour eux, n’ [était] ni un talisman inspiré, ni celui qui [avait] infailliblement raison, mais la simple conséquence de ce type d’organisation ; on [eût] besoin non de sa personne, mais de sa fonction, et, comme tel, il [fut] indispensable au mouvement » [16].

7 D’où viennent donc ces notions de hiérarchie, d’ordre rigide, de dictateurs tout-puissants et de l’attachement irrationnel que leur personne est supposée susciter ? Si elles sont étrangères aux travaux d’Hannah Arendt, ces idées sont en revanche fort répandues dans le champ du militantisme anti-secte. Elles forment d’ailleurs la matière d’un fantasme collectif largement partagé, nourri par la conjonction de trois faisceaux d’idées que l’on retrouve concentrées dans les travaux du Dr Abgrall : un préjugé moral, tout d’abord, puisque le gourou manipulateur est généralement envisagé sous l’angle de la perversion (morale plutôt que psychiatrique) ; une méconnaissance de la philosophie politique, ensuite, d’où est issue la fameuse image de la « pyramide » – notamment, nous l’avons vu, les travaux d’Hannah Arendt ; et enfin, une mauvaise interprétation des travaux de Freud, auquel les experts empruntent pourtant généralement leur cadre conceptuel. Car plutôt que de lier, comme tendent à le faire les observateurs, l’émergence du totalitarisme à l’attachement des sujets à des figures de l’autorité, une lecture rigoureuse de Freud ne nous engage-t-elle pas à opérer un renversement de ces positions habituelles concernant les phénomènes sectaires ?

8 Dans « Psychologie collective et analyse du Moi » [17], Freud indique que la foule, pour s’organiser, se consolider et devenir une « foule psychologique », doit en passer par un double lien libidinal : un lien unissant chacun des membres composant la foule au meneur (en position d’autorité) ; accompagné d’un second lien unissant chaque membre avec tous les autres. Le pivot reste le lien libidinal à la figure paternelle (le meneur, en place d’Idéal du Moi) : c’est lui qui commande, pour ainsi dire, au lien social. Que ce lien se défasse et le groupe se disloque, s’éparpille – s’effondre dans la panique. Les défaillances du lien social proviennent, chez Freud comme chez Arendt, de l’effondrement des figures de l’autorité : il n’y a guère déficit de lien social sans défaillance préalable de l’autorité. Selon Freud, si les membres d’une communauté « s’attachent [libidinalement] à des leaders », il en résulte ipso facto que le lien social se tisse également entre les membres de cette communauté (par identification de leur Moi) : là où il y a du lien libidinal au leader, il n’y a plus « atomisation du corps social », ni « isolement des individus » – l’attachement à la figure d’autorité est en somme, chez Freud, le principal garant du lien social. En d’autres termes : cet « attachement au leader » désigné par Fournier et Picard comme le signe avant-coureur des totalitarismes, s’il demeure toujours susceptible de glisser vers des dérives tyranniques, n’en est pas moins une protection contre le totalitarisme à proprement parler (quoique Freud n’emploie guère ce terme).

9 C’est en tout cas sous cet angle que nous nous proposons d’envisager le mouvement scientologue : non pas comme un groupe soumis à la tyrannie et aux techniques de conditionnement de son leader, mais comme une organisation dont les logiques totalitaires viennent précisément de l’éviction de toute figure de l’autorité, de l’évacuation de l’instance de l’Idéal du moi. Et nous fonderons notre analyse non pas sur la prémisse de ce que le Dr Abgrall nomme le « sadisme caractérisé » de son fondateur, mais sur les implications cliniques de sa psychose, dont la doctrine qui sous-tend les activités du groupe nous apparaît comme le principal symptôme.

10 La Dianétique et la Scientologie, les deux versants de la doctrine scientologue, composent en effet selon nous les deux temps du délire élaboré par Ron Hubbard pour parer aux effets du déclenchement de sa psychose en mai 1943. Avant d’envisager les logiques sous-jacentes à l’engagement dans ce mouvement sectaire, commençons par décrypter le premier temps du délire de Ron Hubbard, la matrice de l’œuvre entière : son délire « dianétique ».

2. LA DIANÉTIQUE : PREMIER TEMPS DU DÉLIRE DE RON HUBBARD ET MATRICE DE LA SCIENTOLOGIE

11 La Dianétique : la puissance de l’esprit sur le corps, le Livre Un, comme l’appellent les scientologues, est publié en mai 1950. Ce premier volet de la doctrine se présente comme une méthode de traitement des troubles psychosomatiques : une méthode psychothérapeutique largement influencée par les travaux de Breuer et Freud. La Dianétique est en effet une sorte de réplique des Études sur l’hystérie – mais une réplique outrée, qui aurait été touchée et déformée par la folie. L’approche thérapeutique proposée par Ron Hubbard, nommée « audition », si elle s’inspire pour l’essentiel de la méthode cathartique de Josef Breuer, s’appuie en revanche sur une anthropogenèse originale, une biologie délirante qui a occupé Ron Hubbard depuis son premier vacillement psychotique, en 1938 : résumons-la.

12 Selon Hubbard, aux origines de l’homme, se trouve la cellule. Celle-ci, nous dit-il, est tout particulièrement sensible à la douleur. Elle possède d’ailleurs une mémoire phénoménale qui lui permet d’emmagasiner toutes les sensations douloureuses qui l’ont affectée. Comme tout organisme vivant, la cellule est animée par la loi fondamentale de l’univers que Ron Hubbard découvrit à l’occasion de sa flambée délirante de 1938, à savoir : la Loi de la Survie. Pour se mettre en adéquation avec la Survie, la cellule décida, dans les temps immémoriaux, de s’allier à d’autres cellules dans le but fondamental de « survivre ». Au fil du temps, les cellules formèrent des conglomérats organiques de plus en plus compliqués. À tel point que lorsqu’elles atteignirent le niveau de complexité de l’organisme humain, elles durent se munir d’un organe apte à coordonner leurs mouvements : c’est ainsi que naquit ce qu’il appelle le « Mental analytique », supposé leur éviter d’affronter les chocs douloureux. Depuis lors, à chaque fois que le Mental analytique expose l’organisme à des incidents douloureux, les cellules réagissent en le débranchant en guise de représailles pour prendre momentanément les commandes du corps : ainsi s’éclairent, après-coup, les moments d’inconscience durant lesquels se produisent les « enregistrements engrammiques ». Durant ces moments d’inconscience, et conformément à la théorie des états hypnoïdes et de la réminiscence de Breuer et Freud, tout ce qui se passe autour du sujet est enregistré dans ses moindres détails : bruits, voix, odeurs, et douleurs viennent ainsi se graver, non plus dans le Mental analytique, mais dans le « Mental réactif ». Ces enregistrements restent latents jusqu’à ce que l’engramme tapi dans toutes les plus minuscules parcelles de l’organisme soit « Keyed-in », nous dit Hubbard, c’est-à-dire enclenché par des éléments du contexte actuel qui rappellent par quelque point les « perceptics » agglomérés en lui. Le réveil de ces perceptions enregistrées dans l’engramme réactive alors en un seul bloc et dans ses moindres détails l’ensemble de la scène traumatique : des douleurs étranges et intolérables submergent brutalement le corps du sujet, le plongeant dans un état stuporeux, tandis que les voix généralement colériques et insultantes entendues au moment de l’incident ressurgissent, accompagnées de bruits, d’odeurs et de sensations diverses. Il s’agira, lors des séances d’audition, de remonter les diverses chaînes d’engrammes pour les décharger – les abréagir – : d’abord, durant le parcours de Dianétique, jusqu’aux « engrammes prénataux » ; puis, lorsque l’adepte s’engagera dans l’initiation de la Scientologie proprement dite, tout au long des infinis cycles de vie – jusqu’à l’« Incident Un », qui survint il y a soixante quinze millions d’années.

13 En 1967, Hubbard se constitue sa flotte personnelle et quitte le sol ferme de ses organisations et du peu de raison qu’il lui reste : il disparaît en mer durant huit années, avant de se cacher jusqu’à son décès en 1986. Paradoxalement, le mouvement scientologue, une fois débarrassé de la présence physique de son fondateur, loin de s’effondrer, prend au contraire son envol. Comment expliquer l’invraisemblable vitalité de l’Église de Scientologie, sa capacité à résister à toutes les secousses, qui lui a permis de survivre sans dommages à la disparition de celui qui était supposé en être le chef ?

3. UNE ORGANISATION « POSTMODERNE » ?

14 Si Ron Hubbard a pu s’éclipser de son mouvement sans trop générer de désordres, n’est-ce pas principalement parce que, en raison de sa psychose, il n’est jamais parvenu à assumer une fonction de Tiers (père, maître ou « gourou ») ? Ses biographies indiquent en effet qu’il vacilla systématiquement à chaque fois qu’il fut appelé en place de père lors des naissances successives de ses enfants. Il s’effondra d’ailleurs immédiatement, lorsqu’il eut à assumer durant la seconde guerre mondiale, en mai 1943, le commandement du navire de guerre USS PC 815. Des événements similaires se produisirent lorsque vint le temps de la reconnaissance, nationale puis internationale, de la Dianétique – son grand œuvre. Propulsé en position de fondateur d’un nouveau domaine thérapeutique, il fut sommé d’endosser la paternité de sa doctrine et du mouvement qu’elle impulsa à travers le monde – position inassumable pour qui ne peut se référer au signifiant paternel. Ron Hubbard, durant les premières années d’existence de sa secte, alla ainsi de vacillements mélancoliques en effondrements stuporeux et délirants. Jusqu’à ce qu’il parvienne, dans les années 1960, à bricoler une solution de compromis astucieuse en évitant cette place intenable, tout en donnant l’illusion de sa permanence à la tête de son organisation. Il s’exerça dès lors à déjouer avec finesse les risques inhérents à la place de ce que Lacan nomma l’au-moins-un, contournant subtilement le point d’exception nécessaire à la formation des groupes, pour ne s’y inscrire qu’en tant que porte-parole de la loi naturelle. Il parvint ainsi à briser le principe même de la représentation, et du mandat symbolique, en laissant entendre que tout (les hommes, la vie et la loi de la Survie qui les anime) parlait d’une seule voix par son canal. C’est ici que l’on peut voir combien sa conception du commandement fut pour le moins singulière. Lorsqu’il relate, par exemple, sa première sortie aux commandes de l’USS PC-815, tout se passe comme si son équipage, le navire et lui-même s’emboîtaient pour ne former qu’un seul et unique organisme – mû, d’un seul tenant, comme un « seul corps aux millions de mains » [18], non pas par des ordres extérieurs, mais par une sorte d’impulsion interne. Cette conception symbiotique de l’univers, omniprésente dans l’œuvre, est d’ailleurs venue s’imprimer dans l’ensemble de sa doctrine. Toutes les Tech enseignées par la secte, depuis les techniques de communication jusqu’aux techniques d’organisation et de management des entreprises, semblent ainsi viser à dissoudre l’instance du Tiers, la place surplombante de l’exception, de l’au-moins-un nécessaire à la formation des ensembles – de ce que Freud, dans sa Psychologie collective, nommait l’Idéal du moi. C’est d’ailleurs ici que la secte révèle sa dimension « postmoderne » : lorsqu’en entérinant la fin des « grands récits » [19], elle s’est mise à promouvoir un mode d’organisation en réseau qui se passe du Tiers. Voilà qui ne va pas sans soulever de nouvelles interrogations. Car sans une incarnation, par un « gourou » ou un chef spirituel, de l’Idéal-du-moi susceptible de soutenir les liens libidinaux nécessaires à la formation des groupes sociaux, comment appréhender, non seulement la formation du groupe scientologue, mais encore les puissants phénomènes d’embrigadement dans cette secte ? Voyons cela à partir de l’histoire d’une ancienne adepte, Mona Vasquez – artiste-peintre et poétesse qui porte volontiers son douloureux témoignage dans l’espace public.

15 Dans son premier livre autobiographique [20], Mona Vasquez commence par brosser les contours de son enfance mouvementée : elle nous y raconte les déménagements et les changements permanents d’environnements qu’elle eut à subir durant les premières années de sa vie. Ballotée ici et là, elle se sent, dans sa jeunesse, profondément non pas déracinée, mais « dépotée », nous dit-elle : transbahutée d’un pot à l’autre. Surprenante image. Car à quoi renvoient ces racines malmenées, qui passent d’un vase (d’un pot) à l’autre ? Sans lien avec la généalogie d’un père qu’elle nous dit « inexistant », l’enracinement en question est moins symbolique (par le Nom-du-Père) que, d’une certaine manière, naturel : c’est un pot, c’est-à-dire un contenant ou une matrice, rempli de la terre de sa région qui hante sa nostalgie ; une terre, par ailleurs, qui porte et perpétue ce qu’elle nomme sa « maison-mère », à savoir la maison de son aïeule. Lorsque ses parents se séparèrent, sa « grand-mère [leur] ferma [à elle et son frère] la maison-mère qui [l’] avait consolée de tant de chagrins d’enfant » : elle perdit alors le contact avec la terre-mère, avec le pot primordial. En quête d’une « autorité douce », elle croise une « authentique comtesse » et nombre d’enseignantes qui la prennent sous leur aile, toujours avec bienveillance, lui prodiguant largement leur savoir. Mais nulle réponse ne parvient à étancher son questionnement sans fin. La rencontre décisive se produit lorsqu’elle devient étudiante en art : aspirant à trouver tant des réponses spirituelles à son désarrois qu’un peu de « chaleur humaine », Mona pénètre un jour, via la lecture du Livre Un, dans le monde de la Scientologie. Y trouve-t-elle cette autorité (douce) qu’elle appelait de ses vœux ? Rien ne l’indique. Rien n’indique, du moins, qu’elle rencontra une « autorité », c’est-à-dire une instance tierce, asymétrique et distanciée : en entrant en Scientologie, elle se trouve d’emblée plongée au cœur d’une intense sollicitude, d’un bain d’attentions bienveillantes. Elle admet avoir été immédiatement éblouie : « […] les meubles, le décor, les plantes vertes, les lumières, tout chatoyait. Les scientologues qui nous accueillirent avaient quasiment notre âge ; ils étaient très bien habillés ; ils respiraient le bonheur, la santé… certains sont venus vers moi comme s’ils me connaissaient de tout temps ; depuis une éternité, jamais autant de personnes ne s’étaient intéressées à moi ».

16 Dans cette « ruche pleine de mouvement et de gaîté », dans cette farandole de visages resplendissants de bonheur, au milieu de rires et de sourires saturant cet univers doux et réconfortant, on lui pose des questions, elle est au centre de toutes les attentions – « Tous les yeux tournés vers moi étaient pleins d’amour », exulte-t-elle encore, des années plus tard. Anne, un membre du Staff, l’aborde, lui parle « comme à une amie, mieux, presque maternellement » : « Surtout, ajoute Mona Vasquez, elle savait écouter et je me sentais enfin comprise ». Nous sommes bien, ici, dans le cadre d’une bienveillance toute maternelle : la compréhension est spontanée, comme dans la bulle intime mythique de la dyade originaire. Mona et Anne, dans un instant qui s’éternise, semblent se compléter au cœur d’un espace propice à une communion directe des âmes, là où le langage et ses équivoques sont inutiles. Mona Vasquez, comme hypnotisée, « bercée par ces paroles comme par le chant des sirènes », signe instantanément l’engagement d’un milliard d’années requis pour s’intégrer à la Sea Org, l’organisation paramilitaire qui est supposée former l’élite de la secte. À l’issue de cette expérience inaugurale, comme après ses premières auditions de Dianétique, Mona est « euphorique » : séduite par le chant des sirènes scientologues, elle abandonne tout – études, vie sociale – pour réintégrer au plus vite le giron de la secte. Y fut-elle attirée par les perspectives de puissance affichées par la propagande scientologue – qui promet de faire de chaque adepte en règle avec la loi de la Survie un « Thétan Opérant », c’est-à-dire un pur esprit, éternel et tout-puissant, libéré des encombrements de la chair ? Nous ne le pensons pas. Plutôt que par les implications du « désaide infantile » [21], cette impuissance fondamentale invoquée par Freud pour soutenir sa théorie du religieux, tout indique que Mona Vasquez fut attirée en Scientologie mue par le « sentiment océanique » [22] promu par Romain Rolland : elle s’engagea dans la secte aiguillonnée, non pas par le père de la première enfance, mais par la nostalgie de la Mère primordiale. Les vertiges qu’elle nous décrit lorsqu’elle évoque ses premiers pas en Scientologie vont d’ailleurs nous le confirmer.

4. VERTIGES RÉGRESSIFS

17 Elle nous dit s’être vue, en rêve, la veille de son grand voyage régressif vers la serre scientologue, « [se] dédoublant, [s’] élever à une vitesse vertigineuse dans l’espace, dans un état de béatitude certain ». Flottement, béatitude et jouissance se reproduiront durant son week-end de découverte du centre de Scientologie d’Anger, conformément à la théorie hubbardienne des « engrammes prénataux ». À cette occasion, elle est assaillie de sensations inouïes nées du contact, en séance d’Audition, d’un « engramme prénatal » : « Je retrouve les sensations de flotter dans un liquide chaud, écrit-elle, mais mon auditeur (qui apprend aussi) oublie de me faire revenir dans le temps présent […] Je reste dans un état de malaise et de troubles avec vertiges et nausées). » La béatitude, on le voit, est entachée, déjà, d’un profond malaise : le retour dans le giron ne se fait pas sans douleur. Une profonde ambivalence lie le sujet au ventre maternel : de chaude « sonosphère » [23] où le sujet bienheureux se dissout dans un bain de jouissance, elle peut brutalement se transformer en une « essoreuse à linge » [24] menaçant de l’étourdir et de le noyer, mettant en péril son intégrité. Tantôt sous la figure d’une pieuvre [25] étouffante, broyeuse d’enfants [26], tantôt sous celle d’une entité « qui attend ses futures victimes avec la patience discrète et l’incognito d’une araignée tissant sa toile » [27], la menace qui accompagne les représentations de la secte est celle de l’engouffrement, de l’enlisement dans une structure non pas verticale, « pyramidale », mais « rhizomorphe », horizontale ; et dans ce champ, les métaphores animales appelées à décrire l’Église de Scientologie ne manquent pas. Notons ce trait, qui traverse et rassemble cet effroyable éparpillement de figures métaphoriques : aucune ne s’échafaude à partir des attributs du père tyrannique. L’on ne découvre dans ces études ni métaphore phallique, ni figuration de quelque brutale pénétration : la menace est celle de l’absorption, de l’aspiration ; l’image, celle du trou informe, du boyau ou du ventre. Le « lavage de cerveau » lui-même n’apparaît pas tant, dans les descriptifs et analyses, comme la pénétration de l’adepte par les signifiants (« despotiques » et « surcodants », diraient Deleuze et Guattari – mais néanmoins séparateurs [28]) d’un père, que comme l’enkystement du sujet dans les paroles équivoques de la mère. En réalité, rares sont les occurrences des signifiants issus du champ sémantique patriarcal dans les témoignages d’adeptes et d’ex-adeptes. Ce qui s’y révèle bien souvent, c’est plutôt, outre le sentiment ponctuel de complétude et de toute-puissance, la rencontre brutale avec une jouissance inédite, débordante – proche, par la violence de ses effets, de la jouissance rencontrée par le toxicomane. Mona Vasquez décrit d’ailleurs clairement cet effet psychotrope : « j’étais très fatiguée après cette première séance ; plus que cela : lessivée, et cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille. C’était tellement euphorisant, en même temps, que j’en redemandais ! Avec le recul, à présent, et seulement avec le recul et après une centaine d’heures d’audition, je sais que celle-ci est une des clés principales de l’endoctrinement de la Dianétique et de la Scientologie. Elle rend l’adepte « accro » et elle agit comme une drogue ».

18 Jouissance immédiate, sans limite, incoercible – déréglée, en somme, puisque n’intervient pas, au cœur du Mouvement scientologue, l’instance de l’Idéal du Moi susceptible de l’amputer, de la limiter en l’ordonnant. Cette forme surmoïque d’injonction à la jouissance qui émane de l’intérieur du mouvement scientologue, n’indique-t-elle pas suffisamment combien la secte de Ron Hubbard est en phase avec son époque ? Ce mouvement ne semble-t-il pas entériner, grâce à des techniques spécifiques (les auditions) mises en vente sur le marché des biens de consommation religieux, la « forclusion de la castration » [29] propre au discours capitaliste en venant répondre à la « revendication au “droit” de jouir »  [30] du sujet postmoderne ? Quoi qu’il en soit, l’Église de Scientologie se présente, on le voit, non pas comme une structure fortement hiérarchisée soumise à la loi tyrannique d’un père sévère, mais comme une vaste enveloppe matricielle suffocante, dans le giron de laquelle gît la promesse d’une certaine complétude, de l’extinction du désir – de l’éclipse du sujet. L’organisation scientologue nous dévoile ainsi ce que Freud avait à peine effleuré dans sa Psychologie collective, à savoir une foule sans meneur.

5. SAUT DANS LE VIDE PATERNEL

19 En Scientologie, en effet, nul « gourou-père », réceptacle d’un amour fasciné et hypnotique, n’exerce sa tyrannie sur ses « enfants-adeptes » en manipulant leur culpabilité. Aucun « maître », ne guide, ni n’oppresse, le mouvement scientologue : la violence qui s’y déploie ne relève pas des techniques de conditionnement et de manipulation mentale que l’on nous décrit par le menu – elle est d’un autre ordre. Plus diffuse, plus technique, plus anonyme, elle résulte d’un « saut dans le vide paternel » et renvoie à ce que Hannah Arendt nommait « tyrannie sans tyran ». Cette violence relève du management moderne, s’insinue dans le groupe sous la forme d’une exubérante exigence de rendement, et tire au final son efficacité autant de nos propres vœux de toute-puissance, que de l’idéal de jouissance promu par le néolibéralisme. Métapsychologiquement, l’agent de la violence scientologique se présente donc moins sous la forme de l’Idéal du Moi – « héritier du narcissisme » [31], niche où se « dissimule […] le père de [toute] préhistoire personnelle » [32] –, que de son versant obscène, « chargé des pouvoirs du monde intérieur, du Ça » [33] : le Surmoi – un Surmoi féroce, déconnecté de ses attaches oedipiennes et symboliques, dont les exigences (« Jouis ! ») se mesurent par les statistiques de productivité (les « Stats ») qui sont demandées aux adeptes chaque semaine.

20 Dans ce contexte, ce n’est plus ni la loi symbolique, ni l’énonciation du fondateur qui prévalent, mais des règles et des normes techniques, c’est-à-dire un ensemble acéphale d’énoncés qui imposent à tous des procédures standardisées que chacun est tenu de suivre à la lettre. La Scientologie, en somme, en mettant, dès les années 1950, moins le maître, que le savoir, c’est-à-dire des énoncés supposés scientifiques, aux commandes du discours, a d’emblée organisé un lien social conforme aux idéaux de son temps – le temps de la science moderne. Mais la secte ne s’en est pas tenue là, puisqu’en poussant à son terme la logique du discours de la science qui consiste à évacuer le sujet de l’énonciation, elle a fini par aboutir finalement, dans le courant des années 1970, à sa disparition radicale au profit d’énoncés techniques anonymes, sans auteur assignable, desquels non seulement l’énonciation a été effacée, mais les traces mêmes de cet effacement ont fini par disparaître. Ne restent alors que des batteries de techniques aveugles, déclinables en une infinité de produits mis en vente dans le grand marché des biens de consommation scientologues, et offerts à la convoitise de l’adepte qui est tenu d’en jouir de façon à être en règle avec la loi de la Survie. La secte est ainsi passée insensiblement d’une modalité de discours régentée par le savoir, à un mode de lien social où ce qui commande c’est le sujet réduit à sa dimension de consommateur : elle a donc basculé du discours de la science, vers le discours capitaliste. Seulement, là où l’objet obtenu sur le marché des biens manufacturés rate la jouissance, le produit scientologue, en revanche, à la manière de ce que Braunstein nomme des objets d’a-diction, permet « une connection presque expérimentale avec la jouissance » [34]. La Scientologie serait dès lors, nous semble-t-il, à inscrire, non pas sur le versant des solutions (symboliques) prônant un retour de l’autorité, mais dans la série des symptômes contemporains dont font partie les toxicomanies. En y entrant, en effet, s’il est vrai que les sujets se soumettent au pouvoir impérieux de la doctrine (versant Symbolique) [35], s’il demeure vraisemblable qu’ils rejettent toute altérité au profit d’une communauté homogène (versant Imaginaire) [36], il convient toutefois de noter que, trouvant dans la secte un espace où céder « plus facilement, comme le dit M.-J. Sauret, à l’impératif de jouissance du monde contemporain » [37], les adeptes, de la même façon que les toxicomanes, s’y enferrent principalement parce qu’ils s’y « mettent sous la dépendance d’une jouissance impérieuse  [38] (versant Réel) : celle de la consommation de l’objet scientologue, qui génère de loin en loin, nous l’avons vu dans le témoignage de Mona Vasquez, des effets proches de ceux qu’obtient le toxicomane embouché à son produit. Cette secte ne se contente donc pas de rejoindre les vœux de toute-puissance et de complétude qui animent le mouvement incessant de la science moderne : elle répond également adéquatement à l’injonction à la jouissance promue par le discours capitaliste. Ici, en ce point aveugle des études sur la Scientologie, gît l’une des principales clés aussi bien de son succès que de l’angoisse qu’elle suscite dans l’opinion publique au point d’en obscurcir l’analyse.

6. ANGOISSES DE DÉVORATION…

21 Lors de son séminaire sur Les psychoses, Lacan s’arrêta longuement à la « crainte de Dieu », telle qu’elle est par exemple invoquée par Joad, le Grand prêtre de l’Athalie de Jean Racine : cette crainte, nous dit-il, qui est « principe d’une sagesse et fondement de l’amour de Dieu » [39]. Ramassant toutes les craintes en une seule, renvoyée dans le firmament monothéiste, au-delà des affaires terrestres, la crainte de Dieu possède la capacité de transmuter les valeurs, d’infléchir le cours des événements et de susciter de solides adhésions. Qu’en est-il de la crainte inspirée par le Mouvement scientologue ? Renvoie-t-elle, d’une quelconque façon, à la « crainte de Dieu » – cette crainte qui ordonne le chaos des affects, qui structure et domestique la pulsion sous l’égide d’un signifiant-maître (Dieu) ? La Scientologie et l’angoisse qu’elle génère nous emportent loin du Temple racinien et de la puissance de mise en ordre alchimique de la crainte de Dieu. Nous aurions plutôt affaire, ici, avec les aléas de la « crainte des dieux », corollaire de l’extase païenne, indomptée, dont les nuits de Walpurgis du Dionysos barbare offraient, dans les époques pré-mythologiques, l’expression sauvage. En elle point le déferlement des excès du dionysisme primitif, « l’épouvantable philtre des sorcières fait de volupté et de cruauté » [40] survenant lorsque rompt la digue protectrice apollinienne. Cette crainte-ci, organique et pulsionnelle, « chœur sauvage composé de sons, de corps et de désirs » [41], plonge ses racines dans un « contre monde de forces obscures et obscènes » [42] : ce que Peter Sloterdijk nomme le flot dionysiaque – version tempétueuse de l’informe sentiment océanique [43] devant lequel Freud recula jadis [44]. La « crainte des dieux », on le sent à travers l’imagerie qu’elle suscite, expose à un torrent d’effets radicalement différents de la « crainte de Dieu » : elle draine avec elle « un sentiment multiforme, nous précise Lacan, confus, panique » [45]. Elle est d’autant plus insidieuse qu’elle glisse dans les rets de l’ordre symbolique – suivant en cela la nature même de l’informe qui est, selon Sophie de Mijolla-Mellor, « d’être hors d’atteinte des mots » [46]. Dès lors déconnectée de toute attache symbolique, informe puisque informulable et irreprésentable, cette crainte panique provoquée par la Scientologie échappe au langage pour hanter l’opinion publique et s’insinuer jusque dans les expertises portant sur elle.

22 Raymond Forni nous semble exemplaire lorsqu’il écrit, dans la « Préface » d’un livre de Catherine Picard et Anne Fournier sur la question sectaire, que ses « lecteurs découvriront […], sous les oripeaux de doctrines soi-disant humanistes, le “totalitarisme” sectaire et, au bout du compte, derrière le rideau du bonheur, l’esclavage imposé à ses victimes » [47]. Par-delà le champ sémantique guerrier (« totalitarisme », « esclavage », « victimes ») employé par M. Forni, retenons pour l’instant l’idée, récurrente dans les travaux sur le sectarisme, qu’il y aurait, « derrière le rideau du bonheur », la sombre menace d’une sorte de dévoration de notre humanité : les sectes, lorsque les experts essaient de s’en emparer, tendent à apparaître comme des « mangeuses d’hommes » [48]. Cette idée de dévoration s’attache à une figuration de la secte conçue comme une « secte-mère »  [49] dont le mouvement s’animerait en suivant les impulsions de son insondable voracité : à la façon du Dublin cauchemardé par J. Joyce, la secte hubbardienne, telle qu’elle est décrite dans bien des analyses, semble en effet menacer de se comporter à l’égard de ses adeptes, et plus largement de tout un chacun, « comme une truie dévorant ses gorets ». Derrière les métaphores de la voracité sectaire se profile en réalité la crainte innommable d’être happé dans ce qui apparaît bien comme une « couveuse » [50], un utérus artificiel : l’incorporation se présente plutôt, à bien y regarder, comme une régression et une atroce dissolution dans la matrice – faites l’une et l’autre de ces mêmes « images d’oppression fatales et de mort par asphyxie dans la caverne érotique » [51] que l’on retrouve dans l’imagerie dionysiaque décrite par Sloterdijk. La crainte générée par l’Église de Scientologie laisse ici apparaître les traces de ce qu’elle est, à savoir : l’angoisse primordiale liée à « l’imago maternelle » [52], archaïque et puissamment dévoratrice, dont Lacan localisait les contours flous dans le stade de ce qu’il nomma en 1938 le « complexe du sevrage » [53]. En deçà des représentations, ce sont donc bien des affects archaïques qui opacifient le phénomène scientologique au point d’entraver son analyse : là où l’on se révolte contre la tyrannie du « gourou-père » et de ses tenant-lieu, gît en réalité l’angoisse primitive de l’imago maternelle (étouffante, agressive et incestueuse), qui menace de nous compléter par ses prothèses techniques – au premier rang desquelles nous trouvons le néolangage scientologue, qui enferre les adeptes dans des désirs tout aussi archaïques.

7.… ET PROMESSES DE JOUISSANCE

23 Le principal outil de l’aliénation scientologue est bien ce langage particulier, truffé des néologismes psychotiques forgés par Ron Hubbard durant une trentaine d’années. Cet embrigadement par la langue est d’ailleurs redoutablement efficace pour deux raisons. Tout d’abord parce qu’il est insidieux : les adeptes vont et viennent de par le monde sans se douter qu’ils portent en eux les barreaux de leur prison. N’ayant aucun synonyme, aucun équivalent métaphorique dans le langage courant, les néologismes scientologues cloisonnent les adeptes dans un monde étanche au langage et au monde extérieurs – raison pour laquelle ils ont tant de mal à se libérer de la « camisole logique » de leur aventure, autant qu’à témoigner de celle-ci lorsqu’ils en reviennent. À la façon du nazisme tel qu’il fut analysé par Victor Klemperer, et comme bien d’autres systèmes totalisants, la Scientologie s’insinue « dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui [s’imposent] à des millions d’exemplaires et qui [sont] adoptées de façon mécanique et inconsciente » [54] : « elle imprègne les mots et les formes syntaxiques de son poison, elle assujettit la langue à son terrible système, elle gagne avec la langue son moyen de propagande le plus puissant, le plus public et le plus secret » [55]. Ensuite parce que, laissant supposer « une correspondance terme à terme avec la chose » [56], la langue scientologue se présente comme « un système symbolique qui recouvrirait point par point le réel » [57] : cette langue, en d’autres termes, qui favorise les vœux d’inceste avec la Chose (maternelle) et de toute-puissance infantile qui habite tout un chacun, est tout à la fois séduisante et hautement aliénante puisqu’en rejetant le hiatus entre le mot et la chose, elle « ne [permet] pas de s’émanciper de l’immédiateté » [58]. Contrairement à ce que croit (entre autres commentateurs) le Dr. Abgrall, en entrant en Scientologie, les sujets ne rencontrent pas la « loi du père » (qu’il ramène à quelques techniques de « conditionnement coercitif »), mais ce qui résulte de son rejet – à savoir le pouvoir de la Mère, son désir incestueux. C’est en tout cas, au final, moins par de supposées techniques de manipulation mentale, moins par quelque forme de persuasion, que par la complicité de son langage et de sa doctrine délirante avec les vœux régressifs, les désirs inconscients, profondément refoulés, l’aspiration des sujets à une jouissance solitaire et sans limite, que la Scientologie, usant ici encore des mêmes ficelles que le Marché néolibéral, parvient à séduire un grand nombre de sujets : en Scientologie comme dans l’univers de la consommation de masse promu dans nos démocraties libérales, la libération promise consiste « avant tout à […] faire entrer [les sujets] dans le grand troupeau des consommateurs » [59].

24 Le succès de cette secte semble donc bien avoir les mêmes sources que celui du discours capitaliste : il viendrait de ce qu’elle offre, en rejetant le constat freudien d’un malaise inhérent au fait même d’être humain, de libérer l’homme de son désir. Contre elle, les lois sont vouées à rester impuissantes – sauf à s’attaquer aux modalités même de jouissance promues par notre actuel environnement social, un environnement marqué par les implicites du discours de la science [60], et organisé selon les valeurs soutenues par l’idéologie néolibérale [61]. Or dans le contexte actuel qui favorise l’expression et la revendication de toutes les jouissances, cette secte, en réalisant les promesses de jouissance du néolibéralisme, n’est-elle pas vouée à prospérer, à continuer, comme le discours capitaliste, à marcher « comme sur des roulettes » ?

Notes

  • [1]
    Abgrall, J.-M. (1996), La mécanique des sectes, Paris, Payot, 2000, p.9.
  • [2]
    Ibid., p.20.
  • [3]
    « Ce projet, nous apprend Naomi Klein, qui porta d’abord les noms de code de “Bluebird” et “Artichoke”, fut baptisé “MK Ultra” en 1953. Au cours de la décennie suivante, MK Ultra affecta 25 millions de dollars à la recherche de nouveaux moyens de briser les résistances de prisonniers soupçonnés d’être des communistes ou des agents doubles ». Des expérimentations à base d’électrochocs, de PCP, de LSD et de diverses techniques actuellement employées lors des « interrogatoires coercitifs », furent alors mises sur pied « à l’Institut Allan Memorial de l’Université McGill, sous la supervision de son directeur, le Dr Ewen Cameron ». Cf. Klein, M., La stratégie du choc, Paris, Actes Sud, 2008, p.37-65.
  • [4]
    Abgrall, J.-M. (1996), La mécanique des sectes, op.cit., p.21.
  • [5]
    Ibid., p.84.
  • [6]
    Ibid., p.99.
  • [7]
    Ibid., p.101.
  • [8]
    Ibid., p.103.
  • [9]
    Ibid., p.19.
  • [10]
    La Mission Interministérielle de Lutte contre les Sectes, créée en 1998.
  • [11]
    Vivien, A., Les sectes, Paris, Odile Jacob, 2003, p.56.
  • [12]
    Arendt, H., « Le totalitarisme », in Les origines du totalitarisme, Eichmann à Jérusalem, Paris, Gallimard, 2002, p.742.
  • [13]
    Vivien, A., « Préface », in Ariès, P., La Scientologie : une secte contre la république, Lyon, Golias, 1999, p.7.
  • [14]
    Fournier, A., Picard, C., Sectes, démocratie et mondialisation, Paris, PUF, 2002, p.124.
  • [15]
    Cf. Arendt, H., « Le totalitarisme », in Les origines du totalitarisme, Eichmann à Jérusalem, op.cit., p.683. (note 58).
  • [16]
    Ibid., p.715.
  • [17]
    Freud, S., « Psychologie collective et analyse du Moi », in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1975, p.83-175.
  • [18]
    Zamiatine, E. (1920), Nous autres, Paris, Gallimard, 2002, p.26.
  • [19]
    Lyotard, J.-F., La condition postmoderne : rapport sur le savoir, Paris, Minuit, 1979.
  • [20]
    Vasquez M., Et Satan créa la Secte, Mémoires d’une rescapée, Toulouse, Messages,
  • [21]
    Freud S. (1929), Le malaise dans la culture, Paris, PUF, 2004, p.14.
  • [22]
    Ibid., p.5-14.
  • [23]
    Sloterdijk, S., Bulles, Sphères I, Paris, Fayard, 2003.
  • [24]
    Vasquez, M., Et Satan créa la Secte, Mémoires d’une rescapée, op.cit., p.6.
  • [25]
    Darcondo, J., La pieuvre scientologue, Paris, Fayard, 1998.
  • [26]
    Cf. Tavernier, J., « Préface », in Darcondo J., La pieuvre scientologue, Ibid., p.12.
  • [27]
    Ibid., p.15.
  • [28]
    Deleuze, G., Guattari, F. (1980), Mille plateaux : Capitalisme et Schizophrénie 2, Paris, Minuit, 1997.
  • [29]
    Lacan, J., Le savoir du psychanalyste, leçon du 6 janvier 1972, inédit.
  • [30]
    Sauret, M.-J., L’effet révolutionnaire du symptôme, Ramonville Saint-Agne, Erès, 2008, p.135.
  • [31]
    Freud, S., « Psychologie collective et analyse du Moi », in Essais de psychanalyse, op.cit., p.132.
  • [32]
    Freud, S., « Le Moi et le Ça », Ibid., p.200.
  • [33]
    Ibid., p.206.
  • [34]
    Braunstein, E., La jouissance, un concept lacanien, Ramonville Saint-Agne, Erès, 2005, p.238.
  • [35]
    Cf. Sauret, M.-J., L’effet révolutionnaire du symptôme, op.cit., p.21, 136 (entre autres).
  • [36]
    Ibid., p.21-22, 136-137.
  • [37]
    Ibid., p.137.
  • [38]
    Ibid.
  • [39]
    Lacan, J., Le Séminaire, Livre III, Les psychoses, Paris, Seuil, 1981, p.302.
  • [40]
    Sloterdijk, P., Le penseur sur scène, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 2000, p.65.
  • [41]
    Ibid., p.63.
  • [42]
    Ibid., p.54.
  • [43]
    Freud, S. (1929), Le malaise dans la culture, op.cit., p.5-14.
  • [44]
    Freud, l’on s’en souvient, reliait le besoin religieux au désaide infantile : à l’appel au père, en d’autres termes. En deçà de l’intervention paternelle, laquelle pose des bornes au narcissisme illimité des périodes les plus précoces du développement, il avouait son impuissance, tout en admettant que « d’autres choses encore [puissent] bien se cacher là derrière, mais [que] le brouillard les voile provisoirement ». Parmi ces choses, il tenait pour vraisemblable que se niche le « sentiment océanique » proposé par Romain Rolland comme source du sentiment religieux – sentiment trop grand pour Freud, qui ne pouvait que constater sa « très grande gêne à travailler sur ces grandeurs à peine saisissables ». Cf. Freud, S., Ibid., p.14.
  • [45]
    Lacan, J., Le Séminaire, Livre III, Les psychoses, op.cit.
  • [46]
    Mijolla-Mellor S. (de), « De l’informe à l’archaïque », in Recherches en psychanalyse, N°3, Paris, 2005, p.7. En ligne
  • [47]
    Forni, R., « Préface » du livre de Fournier A., Picard C., Sectes, démocraties et mondialisation, op.cit., p.7.
  • [48]
    Cette voracité forme la matière d’un livre, au titre explicite, sur le « phénomène sectaire totalitaire » : Bouderlique M., Les sectes mangeuses d’hommes, Lyon, L’atelier de l’Archer, 1999.
  • [49]
    Abgrall, J.-M., La mécanique des sectes, op.cit., p.101-102.
  • [50]
    Sloterdijk, P., Essai d’intoxication volontaire, Paris, Hachette, 2004, p.142.
  • [51]
    Sloterdijk, P., Le penseur sur scène, op.cit., p.64.
  • [52]
    Lacan, J., « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », in Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.30.
  • [53]
    Ibid., p.30-36.
  • [54]
    Klemperer, V., LTI, La langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, 2003, p.40.
  • [55]
    Ibid., p.40-41.
  • [56]
    Lebrun, J.-P., La perversion ordinaire : Vivre ensemble sans autrui, Paris, Denoël, 2007, p.295.
  • [57]
    Ibid.
  • [58]
    Ibid.
  • [59]
    Dufour, D.-R., Le Divin Marché : La révolution libérale, Paris, Denoël, 2007, p.27.
  • [60]
    Pour les résumer avec Lebrun : rejet du Tiers, désymbolisation, évacuation de la catégorie de l’impossible, perte du sens commun. Cf. Lebrun, J.-P., Un monde sans limite, Ramonville Saint-Agne, Erès, 2001.
  • [61]
    En bref : culte de la réussite, idéologie de la dérégulation et du « laisser-faire », récusation du renoncement à la jouissance (pourtant nécessaire aux progrès de la culture), etc.
Français

Comment expliquer que l’Église de Scientologie, en dépit de sa doctrine délirante et malgré les angoisses intenses qu’elle suscite dans l’opinion publique, ait aussi bien prospéré depuis soixante ans ? Après avoir indiqué en quoi les présupposés qui soutiennent l’hypothèse de la manipulation mentale sont erronés, nous aborderons ce mouvement sectaire sous l’angle de la psychose de son fondateur. Là où les observateurs passent à côté de sa singularité en ne s’intéressant qu’à la figure du gourou, nous montrerons que la Scientologie nous présente ce que Freud n’a fait qu’effleurer dans son travail sur la Psychologie des foules : une foule sans meneur. Nous verrons comment le discours scientologue, issu du délire du fondateur Lafayette Ronald Hubbard, a fini par entrer en assonance tant avec les motifs qui animent le discours capitaliste, qu’avec les désirs où s’enracine la technoscience. Nous montrerons pour finir que ce vaste système délirant tire ses vertigineux effets, moins des techniques de conditionnement répertoriées par les experts psychiatres, que de ce qu’il exhibe, à ciel ouvert, certains désirs archaïques habituellement refoulés.

Mots-clés

  • Sectes totalitaires
  • Foules sans meneurs
  • Dianétique
  • Scientologie
  • Manipulation mentale
English

Beyond Psychological Manipulation – the Insidious Violence of the Church of Scientology.


What logical explanation can be given for the fact that the Church of Scientology has prospered freely over the last sixty years despite its outlandish doctrine and the high level of anxiety it arouses in public opinion ? We will first outline why the presuppositions underpinning the hypothesis of psychological manipulation behind Scientology’s success can be proved wrong, before moving on to examine the sect from the vantage point of its founding father’s psychosis. Most commentators fail to identify the singularity of the movement because they concentrate solely on the figure of the guru, while Scientology in fact provides us with an eloquent example of what Freud merely touches upon in his work on crowd psychology i.e. that of a crowd without a leader. We will see how the discourse of Scientology, formulated by its founder Lafayette Ronald Hubbard, echoes that of capitalism and rhymes with the desires in which techno-science are rooted. Finally, we will show how this vast, demented structure obtains its vertiginous success less by using the conditioning techniques defined by psychiatric experts, but rather by openly, unrestrainedly exhibiting a range of habitually repressed archaic desires.

Key-words

  • Totalitarian Sects
  • Dianetic
  • Crows without Leaders
  • Scientology
  • Psychological Manipulation

BIBLIOGRAPHIE

  • Abgrall, J.-M. (1996), La mécanique des sectes, Paris, Payot, 2000.
  • Arendt, H., Les origines du totalitarisme, Eichmann à Jérusalem, Paris, Gallimard, 2002.
  • Ariès, P., La Scientologie : une secte contre la république, Lyon, Golias, 1999.
  • Braunstein, E., La jouissance, un concept lacanien, Ramonville Saint-Agne, Erès, 2005.
  • Darcondo, J., La pieuvre scientologue, Paris, Fayard, 1998.
  • Deleuze, G., Guattari, F. (1980), Mille plateaux : Capitalisme et Schizophrénie 2, Paris, Minuit, 1997.
  • Dufour, D.-R., Le Divin Marché : La révolution libérale, Paris, Denoël, 2007.
  • Fournier, A., Picard, C., Sectes, démocratie et mondialisation, Paris, PUF, 2002.
  • Freud, S., Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1975.
  • Freud, S. (1929), Le malaise dans la culture, Paris, PUF, 2004.
  • Klein, M., La stratégie du choc, Paris, Actes Sud, 2008.
  • Klemperer, V., LTI, La langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, 2003.
  • Lacan, J., Le Séminaire, Livre III, Les psychoses, Paris, Seuil, 1981.
  • Lacan, J., Autres écrits, Paris, Seuil, 2001.
  • Lebrun, J.-P., La perversion ordinaire : Vivre ensemble sans autrui, Paris, Denoël, 2007.
  • Lyotard, J.-F., La condition postmoderne : rapport sur le savoir, Paris, Minuit, 1979.
  • En ligne Mijolla-Mellor S. (de), « De l’informe à l’archaïque », in Recherches en psychanalyse, N°3, Paris, 2005.
  • Sauret, M.-J., L’effet révolutionnaire du symptôme, Ramonville Saint-Agne, Erès, 2008.
  • Sloterdijk, S., Bulles, Sphères I, Paris, Fayard, 2003.
  • Sloterdijk, P., Essai d’intoxication volontaire, Paris, Hachette, 2004.
  • Sloterdijk, P., Le penseur sur scène, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 2000.
  • Vasquez M., Et Satan créa la Secte, Mémoires d’une rescapée, Toulouse, Messages, 2004.
  • Vivien, A., Les sectes, Paris, Odile Jacob, 2003.
  • Zamiatine, E. (1920), Nous autres, Paris, Gallimard, 2002.
Thierry Lamote
ITEP Idékia, 18 rue Maubec, 64100 Bayonne Port. : 0612293404, Trav. : 0559557275 Psychologue clinicien, Docteur en Psychanalyse et psychopathologie (Université Paris 7), Post-doc à l’Université de Toulouse Le Mirail, « Équipe de recherches Cliniques (ERC) », rattachée au Laboratoire de Recherches en Psychopathologie clinique et Psychanalyse (E.A. 3278).
thierry_lamote@yahoo.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 24/10/2010
https://doi.org/10.3917/top.111.0177
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour L’Esprit du temps © L’Esprit du temps. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...