CAIRN.INFO : Matières à réflexion

INTRODUCTION

1 Cet article s’appuie sur une étude d’impact du réseau des Caisses d’épargne et de crédit mutuels de Madagascar (CECAM) menée par les auteurs entre 2003 et 2007. Par sa longévité, sa portée, la diversité de sa gamme et le caractère innovant des produits financiers proposés, alors même qu’il opère dans un contexte rural marqué par des défis spécifiques [2], le réseau est à la fois un pionnier et une référence en matière de microfinance rurale à l’échelle internationale. Après un premier volet en 2003, un deuxième volet de l’étude d’impact des CECAM pour la période 2005-2007 a été mis en place sur financement du 9ème Fonds européen de développement. Conformément aux termes de référence de l’étude, l’équipe s’est attachée à apporter des réponses sur les catégories de la population rurale qui ont accès aux services des CECAM d’une part (portée et inclusion financière), sur la façon dont les produits financiers contribuent à faire évoluer la situation économique et sociale des sociétaires d’autre part (impact). L’étude devait par ailleurs se prêter à une double finalité : comme outil de communication externe, auprès des acteurs impliqués à un titre ou à un autre dans le développement du réseau (bailleurs, instances de régulation sectorielle, décideurs politiques, partenaires financiers, etc.), et au-delà, auprès de la communauté internationale de la microfinance ; mais également comme outil de pilotage stratégique du réseau en interne. L’étude devait par conséquent allier des objectifs scientifiques (production de connaissances objectives et vérifiables sur l’impact) et des objectifs opérationnels.

2 La première partie présente un état des lieux de la littérature actuelle en matière d’études d’impact, autour d’un enjeu identifié comme majeur : concilier rigueur scientifique et pertinence opérationnelle. La deuxième partie détaille la démarche suivie par l’étude CECAM en la resituant par rapport à cet enjeu. L’étude s’est appuyée sur une combinaison d’approches quantitatives et qualitatives tout en s’inscrivant dans une recherche de construction de partenariat avec les CECAM. L’articulation d’un travail quantitatif et qualitatif a permis de replacer les indicateurs quantitatifs de portée et d’impact dans le contexte des trajectoires et des stratégies des ménages et, ce faisant, de mettre en évidence l’hétérogénéité des mécanismes d’impact. Ces résultats ont une pertinence à la fois en termes de production de connaissance (modalités d’insertion des services financiers dans les dynamiques économiques des ménages) et en termes de potentiel opérationnel (suivi-évaluation des procédures et des produits).

I – ENJEUX ET CONTROVERSES AUTOUR DES ÉTUDES D’IMPACT EN MICROFINANCE : COMMENT CONCILIER RIGUEUR SCIENTIFIQUE ET PERTINENCE OPÉRATIONNELLE

3 Les études d’impact en microfinance ne constituent pas un champ stabilisé. Elles sont un lieu de rencontre entre deux grands référentiels animés par différents types d’acteurs et porteurs de normes propres : le référentiel scientifique,régi par des critères de rigueur, d’objectivité et de vérifiabilité des résultats ; le référentiel opérationnel, avec ses principes de pilotage par la demande, de satisfaction des clients/usagers, et d’adaptation aux situations locales, soumis à des contraintes d’efficacité et de relation coût/bénéfice. Par ailleurs, au sein du référentiel scientifique, les études d’impact continuent de poser des défis conceptuels et méthodologiques, qui alimentent les controverses. La mise en cohérence de ces référentiels par les différentes parties prenantes est par conséquent loin d’aller de soi (BOUQUET, 2006).

4 Aujourd’hui, l’enjeu central autour des études d’impact en microfinance peut se formuler de la manière suivante : il s’agit de concilier rigueur et fiabilité (des résultats) et pertinence opérationnelle (pour les décideurs politiques, pour les bailleurs, mais aussi et peut-être surtout pour les praticiens) (HULME, 2000 ; RAVALLION, 2008). Une telle démarche a des implications déterminantes sur l’ensemble du processus de l’étude d’impact : sur la définition des questions, des unités d’observation, des variables, ainsi que sur les modes de collecte et d’analyse des données. Elle suppose en particulier de réfléchir à des passerelles sur trois lignes de clivage qui ne se recoupent que partiellement.

5 La première – et principale – ligne de clivage porte sur la finalité des études d’impact : prouver versus améliorer l’impact. Contribuer à améliorer l’impact passe notamment par une réflexion sur la qualité des services. Nous définissons ici la qualité des services comme l’adéquation de leurs caractéristiques et de leurs modalités de fourniture aux différentes catégories d’usagers, ainsi qu’aux différents besoins que peut manifester une même catégorie d’usagers. La deuxième ligne de clivage sépare les approches quantitatives – plutôt associées à la mise en évidence et à la quantification de résultats d’impact –, des approches qualitatives – plutôt associées à l’explicitation des processus et mécanismes d’impact, c’est-à-dire à la caractérisation des chaînes de causalité dans leur diversité et leur complexité. La troisième concerne la forme et le degré d’implication de l’institution de microfinance dans le processus de l’étude d’impact.

6 Le référentiel scientifique, régi par le critère de la rigueur et de l’objectivité, repose sur l’application de protocoles de recueil et d’analyse de données très codifiés et normalisés. L’arène des scientifiques est très présente sur ces questions d’évaluation d’impact : parce que celles-ci posent des problèmes de conceptualisation, de méthodes et de mesure intéressants, mais aussi parce que s’est créée une dynamique des bailleurs pour financer ce type d’études (même si cette dynamique peut parfois être considérée comme insuffisamment incitative) (HULME, 2000 ; DUFLO, GLENNESTER et KREMER, 2006 ; RAVALLION, 2008).

7 Le référentiel dominant actuel privilégie les méthodes quantitatives, s’appuyant sur des échantillons représentatifs, des groupes de contrôle, des outils d’enquête formalisés et standardisés, et permettant de générer des résultats statistiquement significatifs et non biaisés. D’un point de vue conceptuel, technique et économétrique, ce type d’approches a enregistré d’importants progrès ces dernières années (SEBSTAD et CHEN, 1996 ; KHANDKER, 1998 ; HULME, 2000 ; ARMENDARIZ et MORDUCH, 2005 ; DUFLO, GLENNESTER et KREMER, 2006 ; MEYER, 2008 ; TEDESCHI, 2008 ; RAVALLION, 2008). Mais ces progrès sont jusqu’à présent essentiellement centrés sur la finalité de prouver l’impact (délimitationdes unités d’analyse, construction des variables, constitution du groupe de contrôle et réduction des sources de biais statistiques permettant de mieux valider l’attribution des effets observés à l’intervention de l’institution de microfinance). En tant que tel, ce type d’approche n’a pas grand-chose à dire aux institutions de microfinance sur la manière d’améliorer leur impact. On peut souligner deux raisons qui participent de ce constat.

8 La première est que par construction, les approches quantitatives sont mieux armées pour mesurer des résultats que pour caractériser les processus de causalité qui mènent à ces résultats (qu’ils soient positifs ou négatifs). Or, du point de vue de l’institution de microfinance, améliorer l’impact passe nécessairement par la compréhension de ces processus, afin d’identifier des leviers d’action. La deuxième raison tient au choix des variables retenues dans la plupart des études quantitatives. La préférence est généralement accordée à des variables dites objectives, c’est-à-dire objectivement vérifiables (au moins potentiellement) par d’autres personnes que celles qui appliquent le questionnaire. Concrètement, cela revient à favoriser des variables factuelles par rapport à des variables de perception, telles que le niveau de satisfaction vis-à-vis des produits et des procédures, l’autoévaluation de l’impact par les intéressés, voire l’autodéfinition des critères d’impact, quand bien même celles-ci présentent à l’évidence un intérêt en tant que source de rétroalimentation pour les institutions de microfinance.

9 La communauté scientifique en sciences sociales abrite également d’autres paradigmes, et plusieurs synthèses bibliographiques soulignent l’intérêt d’une démarche composite, permettant de faire jouer les complémentarités et les synergies entre les approches quantitatives et qualitatives, et entre différentes disciplines (SEBSTAD et CHEN, 1996 ; HULME, 2000 ; RAVALLION, 2008). Les approches qualitatives reposent généralement sur des techniques d’enquêtes différentes (questionnaires ouverts, approches de type ethnographique avec séjours longs dans les sites d’études et suivi de panels de ménages, entretiens de groupe etc.). Ces techniques de collecte de données requièrent l’implication directe des chercheurs responsables de l’analyse, à la différence des enquêtes quantitatives sur gros échantillons. Il est par conséquent matériellement difficile de travailler sur des effectifs comparables à ceux des enquêtes quantitatives. Les approches qualitatives présentent néanmoins plusieurs avantages importants.

10 Un premier avantage porte sur la capacité du chercheur à effectuer un travail en profondeur sur les variables et les indicateurs utilisés. Les retours directs du terrain sont susceptibles de permettre aux chercheurs d’affiner la définition des variables les plus pertinentes, et d’évaluer la qualité et la fiabilité des données collectées. Pour certaines variables particulièrement sensibles ou complexes à mesurer (par exemple le niveau d’émancipation – « empowerment » –, les sources de revenu et les postes de dépenses du ménage), les approches qualitatives peuvent être présentées comme l’unique manière d’obtenir des données fiables (HASHEMI, SCHULER et RILEY, 1996 ; COPESTAKE, JOHNSON et WRIGHT, 2002 ; COPESTAKE, DAWSON, FANNING, MCKAY et WRIGHT-REVOLLEDO, 2005). Un deuxième avantage porte sur le fait que ce type d’approche est à même d’expliciter finement les différentes chaînes de causalité menant à un impact donné, ainsi que l’hétérogénéité des impacts possibles.

11 Les tenants des méthodes quantitatives sont conscients de l’importance de ces aspects méthodologiques, mais sont moins en mesure d’y apporter des réponses satisfaisantes. L’intérêt d’une articulation entre approches apparaît ici pleinement : idéalement, un travail qualitatif préalable pourrait permettre de « caler » un questionnaire quantitatif pertinent et réaliste ; une deuxième phase qualitative pourrait ensuite intervenir après l’analyse des données quantitatives, afin d’expliciter les processus conduisant aux résultats constatés. Cette articulation peut également prendre la forme d’allers-retours entre deux dispositifs menés en parallèle (KANBUR et SCHAFFER, 2007).

12 Si l’articulation de plusieurs méthodes, approches et disciplines présente un potentiel manifeste, leur mise en cohérence peut poser des problèmes de nature logistique et technique (les compétences requises pour la collecte et l’analyse des données sont différentes). Plus fondamentalement, elles peuvent renvoyer à des postures épistémologiques parfois antagoniques sur la nature et les propriétés des données scientifiques (faits versus perceptions), sur les modalités d’administration de la preuve (significativité statistique versus plausibilité et cohérence globale), ainsi que sur les démarches logiques qui les fondent (hypothético-déductive versus inductive) (LIPTON, 1992 ; HULME, 2000 ; KANBUR et SCHAFFER, 2007).

13 Par ailleurs, pour potentiellement fructueuse qu’elle soit d’un point de vue heuristique, l’articulation quantitatif/qualitatif en tant que telle ne garantit pas nécessairement la prise en compte du référentiel opérationnel (en matière de rétroalimentation et de formulation de propositions d’action). Il faut pour cela que l’étude d’impact intègre explicitement la question des produits, des procédures, et des modalités effectives d’interaction des usagers des services de microfinance avec leur institution, ce qui, à notre connaissance, est encore rarement le cas. Une exception intéressante est fournie par COLEMAN (1999, 2006). Irréprochable sur la rigueur de ses traitements économétriques, son approche nous semble également se distinguer par l’importance qu’il a accordée à analyser les conditions effectives d’utilisation des crédits par les bénéficiaires, et notamment les déviations par rapport aux procédures affichées par l’institution. Son travail, initialement axé sur l’impact, met ainsi particulièrement en lumière l’inadéquation de l’offre en services financiers proposée par de nombreuses institutions de microfinance, et permet de déplacer la question sur des aspects opérationnels absolument cruciaux.

14 D’autre facteurs contribuent à limiter l’intérêt opérationnel de nombreuses études d’impact, même menées selon les canons de la rigueur scientifique et articulant approches quantitatives et qualitatives. Le premier est que les institutions de microfinance elles-mêmes sont encore largement absentes des réflexions et de la production de normes et d’outils visant à l’évaluation de leur propre impact. Le processus s’autoentretient dans la mesure où les techniques mises en avant par le référentiel scientifique se situent en dehors de leur portée et de leurs capacités, à la fois techniques, logistiques et financières. De fait, ce sont généralement les bailleurs qui prennent l’initiative des études d’impact et en assurent le financement. Il est alors fréquent, et normal, que leurs propres objectifs opérationnels (faut-il continuer à financer une institution de microfinance donnée ?) sesurimposent à ceux de l’institution de microfinance en question (comment améliorer l’impact ?). Le risque est alors que les études d’impact traitent de questions qui n’intéressent pas directement les institutions dans leurs opérations quotidiennes et dans leur vision institutionnelle, ce qui réduit d’autant les perspectives d’appropriation de l’étude.

15 Le deuxième facteur limitant tient au décalage entre le rythme des opérations d’une institution de microfinance et le rythme de production des résultats de l’étude d’impact par les chercheurs. Même s’ils ont une portée opérationnelle, des résultats diffusés plusieurs mois, voire souvent plusieurs années après la phase d’enquête s’avèrent souvent caducs et déconnectés de décisions stratégiques que l’institution peut avoir été tenue de prendre longtemps auparavant.

16 Afin de circonscrire le risque avéré de déconnexion des études d’impact avec les préoccupations et les opérations des institutions de microfinance, des efforts doivent être consentis sur deux grands axes (HULME, 2000 ; RAVALLION, 2008). Le premier axe concerne l’adaptation des outils de recherche. De fait, depuis le milieu des années 1990, diverses initiatives ont émergé avec cette ambition. Les projets tels que AIMS (Assessing the Impact of Microenterprise Services), Imp’act, MicroSave, CERISE  [3], visent en effet, avec leurs spécificités propres, deux objectifs communs : d’une part, faire évoluer les études d’impact classiques vers des finalités plus opérationnelles (ciblage des clients et adaptation des produits financiers) ; d’autre part, mettre à la portée des praticiens de la microfinance des outils de recherche appliquée et des cadres d’analyse simplifiés qui puissent être appropriés et mobilisés en interne. Cependant, même si des chercheurs reconnus se sont impliqués de manière décisive dans ces initiatives, celles-ci continuent de rencontrer un certain scepticisme de la part du monde académique (RAVALLION, 2008). Le positionnement du curseur entre rigueur scientifique et pertinence opérationnelle continue de faire débat. Par ailleurs, le développement de ces outils reste tributaire de financements de l’aide internationale, en raison de leur caractère de bien public.

17 Le deuxième axe concerne les interactions entre l’équipe de recherche et l’institution de microfinance. Celles-ci doivent intervenir au minimum en plusieurs points cruciaux du processus : au début de la recherche, afin de traduire les préoccupations opérationnelles de l’institution en questions de recherche qui pourront être traitées dans le cadre de l’étude d’impact ; dans les phases intermédiaires d’analyse, afin de mieux caler les cycles de production des résultats de recherche – même préliminaires – avec les cycles de décision de l’institution de microfinance, discuter et mettre en perspective les résultats de recherche au regard de l’expérience de l’institution, et travailler avec le management à traduire ces résultats en propositions d’ordre opérationnel (adaptation des produits et des procédures) ; dans les phases de diffusion des résultats, enfin, afin de réfléchir à des supports de communication qui ne soient pas exclusivement destinés aux milieux académiques ou aux bailleurs, et qui puissent être valorisés au sein de l’institution (au niveau de la direction, mais également du personnel technique, voire des usagers des services).

II – L’ÉTUDE D’IMPACT CECAM : UNE DÉMARCHE DE RECHERCHE-ACTION EN PARTENARIAT

1 – Les CECAM, un réseau emblématique de la microfinance rurale et agricole

18 À Madagascar, le financement agricole et rural représente un enjeu majeur : 75 % de la population vit en milieu rural et le secteur agricole concerne plus de 60 % de la population active. Or, la demande reste encore en très grande partie non couverte (FRASLIN, 2003 ; PERRIN, RANDRIANARIVELO et RAZAFINDRAKOTO, 2005). Créées en 1993, les CECAM constituent aujourd’hui le premier réseau de financement agricole et rural de Madagascar. À la fin de l’année 2006, le réseau comptait 181 caisses et 94 000 sociétaires (dont 29 % de femmes) répartis dans 9 régions du pays. L’encours de crédit s’élevait à 6 millions d’euros, celui d’épargne à terme à 1,4 millions d’euros. Sur l’année 2006, le réseau avait octroyé près de 36 000 crédits pour un montant total de 8,5 millions d’euros (Tableau 1).

19 À la différence de nombreuses institutions de microfinance rurale qui se concentrent plutôt sur les secteurs non agricoles et se caractérisent par une certaine standardisation de leur offre financière, les CECAM ont développé dès les premières années d’opération une gamme diversifiée et innovante de produits de crédit, en réponse aux principaux besoins des ménages ruraux : crédit productif et commercial, crédit stockage (essentiellement pour le riz), crédit social, mais également plusieurs crédits d’investissement. Une particularité forte du réseau CECAM est de proposer du crédit de moyen terme, sous forme de crédit-bail (ce qui allège les exigences en matière de garantie), pour financer l’investissement agricole, rural, mais aussi familial (équipement ménager). Par ailleurs, la nature variée des garanties acceptées par le réseau (stocks de riz, animaux, équipement ménager) est un facteur facilitant l’accès au crédit, notamment pour les producteurs agricoles.

Tableau 1

Octrois par produit de crédit pour l’année 2006

Nombre de
dossiers
Montants
cumulés
Montant
moyen
(euros)
Durée
moyenne
(mois)
Total 36 000
(100 %)
8,5 millions
d’euros (100 %)
240 -
Crédit productif 52 % 40 % 180 8
Crédit stockage 33 % 34 % 240 6
Crédit-bail 7 % 16 % 560 20
Crédit social 5 % 0,5 % 30 3
Crédit
commercial
individuel
2 % 6 % 600 nd

Octrois par produit de crédit pour l’année 2006


SIG CECAM.

2 – Une conception élargie de l’étude d’impact

20 Les termes de référence de l’étude d’impact affichaient d’emblée une double finalité, scientifique et opérationnelle : (1) approfondir les connaissances concernant les catégories de la population rurale qui ont accès aux services des CECAM, d’une part, sur la façon dont les produits financiers contribuent à faire évoluer la situation économique et sociale des usagers, d’autre part, (indicateurs d’inclusion financière, indicateurs d’impact sur le revenu, le patrimoine, la réduction de la pauvreté et de la vulnérabilité, approche de genre) ; (2) contribuer au pilotage du réseau (stratégie de ciblage et de développement du sociétariat, évaluation et développement ou adaptation des produits, anticipation et prévention des crises, renforcement de l’ancrage mutualiste) ; (3) apporter des éclairages aux décideurs, au niveau national et international, sur les questions relatives au financement agricole et rural. Ces objectifs nous ont amenées à nous baser sur une conception élargie de l’étude d’impact, permettant d’englober l’ensemble des questions relatives aux sociétaires (effectifs et potentiels) dans leurs interactions avec l’institution. Le caractère composite de cette conception de l’impact appelait une démarche spécifique. Cette démarche s’est tout d’abord appuyée sur la mise en œuvre d’un partenariat actif entre l’équipe de recherche et le réseau CECAM à tous les stades de l’étude. L’étude s’est par ailleurs appuyée sur une articulation d’approches quantitatives et qualitatives.

3 – Une étude conçue comme un partenariat avec les CECAM

21 La dimension partenariale avait pour finalité de permettre une co-construction de l’étude d’impact, dans l’objectif d’en améliorer les perspectives d’appropriation par le réseau. Un comité de pilotage, formé de cadres des CECAM, a été constitué et mobilisé tout au long de l’étude, afin de prendre en compte les questionnements de l’institution en matière d’impact, de valider et de contextualiser les résultats, et de leur conférer une pertinence et une portée opérationnelle.

22 Chaque passage de l’équipe de chercheurs au siège national, dans les unités régionales, et dans les caisses locales a également donné lieu à une série de discussions approfondies avec les responsables, techniciens et élus. En donnant la parole aux différentes catégories de protagonistes au sein du réseau, sur leur vision de la mission et de l’impact de l’institution, sur leur rôle dans le pilotage et la mise en œuvre opérationnelle sur le terrain, et sur les difficultés éventuelles, ces discussions ont par ailleurs fourni des matériaux permettant de comprendre le fonctionnement institutionnel et les mécanismes de gouvernance.

23 En parallèle des dispositifs d’enquête ad hoc pour l’étude d’impact, un travail de transfert de méthodes et d’outils visant à améliorer le suivi d’impact par le réseau lui-même a été mené conjointement avec le comité de pilotage. Un premier volet a porté sur le système d’information des CECAM. Sa structure lui conférait un potentiel largement inexploité du point de vue de la caractérisation des profils de sociétaires, de leur historique de crédit au sein de l’institution et, indirectement, de l’impact. Un résultat concret de cette démarche a été laconception et la mise en place d’un système interne d’indicateurs de suivi d’impact. D’autre part, l’équipe de recherche a assuré la formation de 17 cadres du réseau CECAM aux outils de « focus group » MicroSave, qui se prêtent bien, entre autres, à l’évaluation des produits par les sociétaires (BOUQUET, BRUSKY et MORVANT, 2003).

24 Enfin, la dimension partenariale s’est traduite par la mise en place conjointe d’une stratégie de diffusion des résultats de l’étude au sein du réseau en considérant les différents niveaux et parties prenantes. En particulier, un document de synthèse a été traduit du français au malgache, et un recueil d’histoires de vie de sociétaires a été constitué afin de faire passer les messages clés sous forme de récits plus vivants que des statistiques.

4 – Une articulation d’approches quantitatives et qualitatives

25 L’étude s’est appuyée sur une combinaison d’approches quantitatives et qualitatives (DUNN et ARBUCKLE, 2001 ; SEBSTAD et COHEN, 2000 ; COPESTAKE, DAWSON, FANNING, MCKAY et WRIGHT-REVOLLEDO, 2005 ; GUBERT et ROUBAUD, 2005). Le ménage rural, considéré comme unité de décision à la fois familiale et économique, a été retenu comme unité d’analyse centrale, et son fonctionnement économique a été appréhendé à travers le concept de portefeuille d’activités, agricoles et non agricoles. L’enquête quantitative de panel a été construite de manière à articuler plusieurs types de variables : d’une part des variables d’état (par exemple, revenu, patrimoine) et des variables de processus (par exemple augmentation et diminution de patrimoine, trajectoires de crédit, conditions d’accès et de valorisation des produits CECAM, etc.) ; d’autre part des variables factuelles (par exemple, nombre et nature des crédits pris, occurrence d’incidents de paiement) et des variables de perception vis-à-vis des CECAM (par exemple, niveaux de satisfaction, motifs de critiques pour chaque produit de crédit). Dans la mesure où un des objectifs de l’étude était d’identifier et d’analyser les raisons de non-adhésion des non-sociétaires (absence de demande, déficit d’information, inadéquation de l’offre, processus éventuels d’exclusion), des questions portant sur leur perception des CECAM ont également été posées aux non-sociétaires. Les enquêtes thématiques approfondies, comportant essentiellement des questions qualitatives ouvertes ou semi-ouvertes, ont été menées avec comme finalité l’explicitation contextualisée des logiques, des stratégies et des dynamiques des différents profils de ménages, dans leurs systèmes d’activités et dans leurs relations avec les CECAM (y compris pour les non-sociétaires).

26 Les stratégies d’échantillonnage ont été calées sur les objectifs poursuivis : pour l’enquête de panel, échantillonnage stratifié par région et par caisse, et tirage aléatoire de sociétaires et non-sociétaires sur la base des listes CECAM et des listes électorales respectivement ; pour les enquêtes qualitatives, échantillonnage raisonné sur la base des résultats quantitatifs et de discussions avec le comité de pilotage CECAM, afin de couvrir une diversité de situations illustratives (à la fois à l’échelle des caisses et à l’échelle des sociétaires), mais sans finalité de représentativité statistique.

Encadré 1 : le dispositif d’étude

  • Au niveau des ménages :
    • Enquête quantitative à passage multiple sur un panel de ménages avec groupe de contrôle (N=505 dont 173 non-sociétaires en 2003, N=412 dont 107 non-sociétaires en 2006, N=390 dont 99 non-sociétaires en 2007).
    • Enquêtes thématiques approfondies combinant des dimensions quantitatives et qualitatives.
      • 2003 : systèmes d’activité, trajectoires des ménages et rôle du crédit – N=88 dont 28 non-sociétaires
      • 2006 : crédits d’investissement – N=46 (tous sociétaires)
      • 2007 : crédit stockage – N=45 (tous sociétaires)
  • Au niveau des organisations paysannes membres du réseau : 12 organisations (2003)
  • Au niveau du réseau lui-même :
    • Enquêtes qualitatives de gouvernance (2003 avec compléments en 2006 et 2007 : 70 entretiens au total)
    • Exploitation quantitative des données du système d’information et de gestion (2003-2006-2007)

27 La quantification de l’impact a été effectuée sur les données de panel par la méthode des doubles différences (tests de STUDENT), intégrant, d’une part, les différences entre deux passages de l’enquête, d’autre part, les différences entre le groupe des sociétaires et le groupe de contrôle. Les variables considérées ont été le revenu monétaire annuel, ainsi que le patrimoine, souvent considéré comme une variable moins volatile et donc potentiellement plus fiable que la variable de revenu (HASHEMI, SCHULER et RILEY, 1996 ; HULME, 2000 ; SEBSTAD et COHEN, 2000). Des tests de Khi2 ont également été appliqués pour évaluer des différences dans les taux de sortie de la pauvreté des différents groupes entre deux passages de l’enquête.

III – DE LA DÉMARCHE AUX RÉSULTATS

28 La présentation d’une synthèse des résultats de l’étude d’impact sort du cadre de l’article. Cette section propose une sélection de thèmes abordés par l’étude, qui permettent d’illustrer les allers-retours itératifs entre dimension quantitative et qualitative, ainsi que les possibilités d’articulation avec des aspects opérationnels.

1 – Trajectoires de crédit et mécanismes d’impact

29 Grâce aux caractéristiques du système d’information des CECAM, il a été possible de reconstruire de manière très fiable la trajectoire de crédit de chaque sociétaire (année, type de crédit, montant, durée, occurrence éventuelle d’unincident de paiement) depuis son adhésion, en s’appuyant sur les archives des CECAM plutôt que sur une reconstitution de mémoire par la personne enquêtée. La prise en compte des caractéristiques de la trajectoire de crédit sur une période donnée a permis d’intégrer une dimension dynamique et qualitative à l’analyse, à la différence de la variable binaire habituellement utilisée pour les études d’impact (participation versus non-participation au programme de crédit, éventuellement enrichie d’une variable de durée de participation et d’une variable sur le montant du dernier crédit). Dans la mesure où les CECAM proposent, depuis le démarrage, une gamme variée de crédits, ce qui est très rare dans le milieu de la microfinance, il nous est apparu important d’intégrer explicitement cette diversité dans nos analyses. Notre hypothèse centrale était la suivante : la possibilité d’accès sur la durée à une combinaison de crédits constitue un facteur d’impact positif.

30 Les enquêtes qualitatives ont confirmé l’importance de la dimension de la trajectoire de crédit pour l’analyse de l’impact. En reliant ces trajectoires aux dynamiques économiques des ménages (stagnation, accumulation, accidents etc.), elles ont permis de mettre en évidence des effets cumulatifs sur la durée (avec éventuellement des retours en arrière), et de distinguer trois grands mécanismes d’impact, qui correspondent à autant de logiques de gestion des crédits et de leur séquence par les ménages : (1) fonction de trésorerie (augmentation des fonds de roulement et diversification), (2) investissement et accumulation d’actifs, (3) gestion du risque et réduction de la vulnérabilité.

31 Même si certains produits de crédit se prêtent plus spécialement à une fonction donnée (trésorerie pour le crédit productif, investissement pour le crédit-bail, gestion du risque pour le crédit social), chaque produit est susceptible de remplir plusieurs fonctions. Le crédit stockage l’illustre particulièrement : outil de sécurité alimentaire pour les ménages pauvres, outil de développement d’activités productives de contre-saison et/ou achat d’actifs (animaux, matériel, voire terrains) pour les ménages moyens et aisés  [4].

32 En parallèle à ces mécanismes d’impact, les enquêtes qualitatives ont mis en évidence des processus d’apprentissage. Les trajectoires indiquent fréquemment une progression dans les montants empruntés, ainsi qu’une séquence caractéristique dans la diversification de la trajectoire : après une première période de « test » basée sur le binôme crédit productif/crédit stockage, le sociétaire incorpore d’autres produits de crédit et notamment des crédits investissement de moyen terme. Par ailleurs, un crédit-bail réussi permet au ménage d’augmenter sa capacité d’emprunt, l’actif financé grâce au crédit-bail pouvant être mis en garantie pour les crédits ultérieurs. L’apprentissage peut également se manifester par une augmentation de la confiance des ménages en leur capacité à raisonner leurs besoins de financement, à jouer sur les différentes options de crédit, à prendre des risques pour développer des activités potentiellement plus rentables, etc.

33 D’une manière générale, les enquêtes qualitatives indiquent que les sociétaires jouent sur la diversité de la gamme de crédits proposée pour répondre à la diversité de leurs besoins en financement. Le choix de recourir à tel ou tel produit de crédit, ainsi que l’usage qui en est fait, peut être analysé en fonction du niveau de richesse du ménage, de son positionnement sur sa trajectoire en tant que sociétaire CECAM, ainsi que de la dynamique (ascendante, fragilisée, choc etc.) dans laquelle il s’inscrit.

34 Ces résultats qualitatifs ont contribué à alimenter l’analyse quantitative de différentes manières. Ils ont tout d’abord orienté la mise en œuvre des statistiques descriptives pour les données quantitatives de trajectoire. Par exemple, la fréquence du binôme crédit productif/crédit stockage a été quantifiée. Elle s’élève à 72% des trajectoires de crédit, ce qui confirme son rôle pivot. La dimension apprentissage a été appréhendée par le calcul de l’ancienneté moyenne du sociétaire au moment de recourir pour la première fois à un produit de crédit donné. Le crédit-bail se distingue des autres produits en apparaissant significativement plus tard dans la trajectoire de crédit : en moyenne au bout de quatre ans pour les sociétaires qui y ont effectivement eu recours. Des indicateurs agrégés de trajectoires ont également été construits selon une double dimension : intensité (nombre de crédits ramenés à une période donnée) et diversité (nombre de produits différents utilisés sur une période donnée).

35 Les résultats qualitatifs ont également orienté les tests statistiques. Compte tenu de l’importance accordée par les ménages à la dimension du risque, nous avons testé le lien entre, d’une part, la perception par les sociétaires d’une réduction de leur vulnérabilité entre deux passages de l’enquête de panel, et, d’autre part, le niveau d’intensité et de diversité de leur trajectoire de crédit CECAM sur la même période. Ce lien est significativement positif pour les deux indicateurs (Bouquet, WAMPFLER, RALISON et ROESCH, 2007). D’autre part, les tests en double différence sur les revenus, le patrimoine et la sortie de la pauvreté ont été menés en distinguant les catégories d’actifs stables et actifs intermittents, ce qui revient en quelque sorte à tester la dimension cumulative de l’impact (voir Encadré 2).

36 Enfin, nous avons testé s’il existait des déséquilibres dans l’accès aux différents crédits selon le niveau de richesse des sociétaires  [5]. Les attributs des différents produits, en particulier la flexibilité sur le type de garanties acceptées et sur les montants, suggéraient que ces déséquilibres pourraient être modérés voire inexistants. Les données quantitatives confirment que les conditions d’accès aux crédits CECAM sont relativement équitables. On n’observe pas de déséquilibre statistiquement significatif, sauf pour le crédit-bail. Celui-ci est surreprésenté chez les ménages aisés, mais touche également 22 % de ménages pauvres (pour des investissements de moins grande ampleur) ce qui est notable pour un crédit d’investissement rural (WAMPFLER, Bouquet et RALISON, 2007). Par ailleurs, un déséquilibre de distribution des crédits par classe de richesse ne traduit pasnécessairement un processus d’exclusion. Il peut également révéler une segmentation de la demande de crédit. Le rationnement sur les crédits peut être appréhendé plus directement à travers deux autres indicateurs : le refus de crédit et une différence entre le montant demandé et le montant obtenu (BARHAM, BOUCHER et CARTER, 1996 ; ZELLER, 1994). Les enquêtes montrent que des rationnements de crédit existent bien (près d’un quart des sociétaires s’est heurté à un refus de crédit entre 2003 et 2007, et près d’un quart également a dû se contenter d’un montant de crédit inférieur à ce qu’il ou elle avait demandé), mais la distribution de ces restrictions d’accès au crédit ne montre pas de déséquilibre statistiquement significatif selon la classe de richesse.

Encadré 2 : Un impact significatif sur les patrimoines et la sortie de la pauvreté monétaire, plus net chez les sociétaires « actifs stables »


Les données quantitatives de trajectoire permettent de construire des catégories de sociétaires en fonction de leur niveau d’activité de crédit. Les « actifs stables » sont ceux qui ont recouru de manière régulière et continue aux crédits CECAM sur la période 2003-2007. Les « actifs intermittents » ont interrompu leur recours aux services CECAM pendant une ou plusieurs périodes d’au moins 12 mois sur la période de l’étude, et les « non actifs stables » n’ont pas (ou exceptionnellement) eu recours aux services CECAM sur la période de l’étude. En 2007, ces trois catégories représentaient respectivement 46 %, 45 % et 11 % des effectifs du panel.
En ce qui concerne les revenus, les données de l’étude ne permettent pas de conclure de manière statistiquement significative à un impact du réseau CECAM. En revanche, deux impacts significativement positifs ont été mis en évidence. D’une part, le patrimoine, appréhendé en termes de stock et de flux, a augmenté plus rapidement chez les sociétaires que chez les non-sociétaires sur la période 2003-2007. La valeur estimée du stock de patrimoine (équipement productif et ménager plus cheptel) a augmenté en moyenne de 224 euros chez les sociétaires actifs stables contre 128 euros chez les actifs intermittents et 70 euros chez les non-sociétaires  [6]. D’autre part, le taux de sortie de la pauvreté monétaire entre 2003 et 2007 (calculé sur la base du seuil de pauvreté établi par l’Institut national de statistiques malgache) est significativement plus élevé pour les sociétaires actifs stables (53%) et les sociétaires actifs intermittents (51%) que pour les non-sociétaires (38%). Ces différences peuvent être imputées pour partie à l’impact des crédits CECAM.

37 Ces résultats n’excluent cependant pas l’existence d’autres formes de rationnement de crédit : des logiques d’autocensure de certains ménages, parmi les plus pauvres, ont ainsi été détectées lors des enquêtes qualitatives. Les CECAM ayant construit une réputation de grande rigueur dans le recouvrement des prêts, certains sociétaires préfèrent restreindre leur demande de crédit par rapport à leur capacité de remboursement, afin ne pas risquer de perdre leurs biens mis en garantie  [7].

2 – Les sociétaires non actifs

38 La prise en compte du niveau d’activité des sociétaires permet d’éviter un écueil fréquemment relevé dans les études d’impact d’institutions de microfinance non mutualistes, à savoir la difficulté d’incorporer dans l’échantillon des individus ayant cessé, temporairement ou définitivement, de recourir aux services de l’institution. Or, cette catégorie est susceptible de comprendre des personnes ayant eu une expérience négative avec l’institution et sa prise en compte est particulièrement importante à la fois en matière d’évaluation d’impact et en matière de rétroalimentation opérationnelle.

39 Dès la première année de l’étude, la non-activité est apparue comme un phénomène important, à la fois en termes d’effectifs et en tant qu’indicateur de limite d’impact. Le questionnaire de l’enquête de panel a inclus à chaque passage des questions sur les motifs de non-activité, et les enquêtes qualitatives ont également spécifiquement abordé ce point.

40 Les données quantitatives indiquent que la principale raison de non activité tient à un problème de valorisation d’un crédit antérieur (55% du total des sociétaires non actifs en 2007). 23% des non actifs invoquaient un problème d’accès au crédit et 21 % seulement attribuaient leur statut au fait de ne pas avoir besoin de crédit. Les sociétaires non actifs stables et actifs intermittents tendent par ailleurs à être plus critiques envers les CECAM que les sociétaires actifs stables. Ils sont significativement plus nombreux à juger que leurs relations avec les CECAM sont « moyennes » ou « mauvaises » (15 % contre 6 %), moins nombreux à les juger « très bonnes » (13 % contre 32 %). Ils sont plus nombreux que les actifs stables à attribuer aux différents produits de crédit des notes en dessous de la moyenne, et tout particulièrement pour le crédit productif (20 % contre 2 %, cf. infra). Ils sont également plus nombreux à déclarer un déficit d’information de la part des CECAM (50 % contre 31 %). Cette variable de perception est renforcée par une variable objective : ils reçoivent significativement moins de visites d’agents CECAM. Des discussions avec les agents de crédit et les responsables de caisse ont confirmé que les sociétaires non actifs ne faisaient pas l’objet d’une stratégie de communication particulière.

41 Les données quantitatives et qualitatives indiquent que les difficultés de valorisation dans leurs trajectoires de crédit résultent en premier lieu de facteurs aléatoires (risque productif ou familial). L’expérience de ces aléas peut induire, notamment chez les sociétaires pauvres, une logique d’auto-restriction sur les crédits ultérieurs, s’ils sont perçus comme facteurs de déstabilisation supplémentaire. Cependant, certaines difficultés tiennent aux caractéristiques mêmes du produit de crédit, ce qui constitue un signal opérationnel pour les CECAM. En particulier, un sujet de plainte récurrent en 2006 et 2007 (dans les enquêtes qualitatives comme quantitatives, et exprimé également par les sociétaires actifs stables) portait sur le retard dans le déblocage du crédit productif, dont l’impact est très tributaire de la saisonnalité des opérations culturales.

42 La discussion des résultats intermédiaires avec le management des CECAM a permis d’identifier que les problèmes de délais d’octroi des crédits productifs trouvaient leur source dans des difficultés conjoncturelles de refinancementrencontrées par les CECAM sur la période 2006-2007, et non dans des problèmes structurels de procédures. Ces tensions sur le refinancement avaient été résolues sur la dernière année de l’étude, mais les sociétaires (et notamment les non actifs) n’en avaient pas été informés de manière systématique.

3 – Une démarche de traduction opérationnelle des résultats : principaux enseignements pour le réseau CECAM et les décideurs

43 L’étude a montré que le réseau répond de manière globalement satisfaisante à sa mission d’inclusion financière rurale et met en évidence un impact significatif sur les patrimoines des ménages et la sortie de la pauvreté monétaire, par combinaison de trois processus d’impact : l’appui à la gestion de trésorerie, la réduction de la vulnérabilité et l’appui à l’investissement. Plusieurs caractéristiques du réseau sont à la base de cet impact : (i) une gamme de produits répondant à la diversité des besoins de différentes catégories de ménages ruraux ; (ii) des procédures d’accès au crédit à la fois rigoureuses et adaptées aux caractéristiques de ces ménages et de leurs activités (saisonnalité, nature des garanties) ; (iii) une stabilité et une pérennité qui ont donné aux sociétaires la durée nécessaire à la construction d’une trajectoire de crédit et aux apprentissages associés. Dans un secteur de la microfinance encore marqué, au niveau international, par une grande standardisation et une grande rigidité des produits financiers proposés, la qualité des services et des procédures CECAM mérite d’être soulignée.

44 Dans cette gamme de crédits, le produit de crédit-bail répond de manière particulièrement innovante au problème de l’investissement agricole et rural, y compris pour les ménages pauvres. L’expérience des CECAM démontre que la microfinance peut contribuer à l’investissement agricole et rural à une échelle significative, et de manière compatible avec la pérennisation de l’institution financière. Les politiques publiques ont un rôle déterminant à jouer dans la réplication et la massification de cet outil d’investissement, notamment par la création de conditions favorables à la mobilisation des ressources financières stables sur le moyen terme et, ce faisant, utilisables pour le crédit–bail.

45 Les performances globalement positives du réseau en matière de portée et d’accès sont tempérées par le degré contrasté d’activité des sociétaires. L’importance de ce phénomène et l’enjeu qu’il représente pour le réseau conduisent à recommander d’y prêter une attention particulière. Un effort de communication ciblé sur ces catégories mériterait d’être mis en œuvre. Les élus, de par leur connaissance des sociétaires et leur capacité à dialoguer avec eux, ont un rôle significatif à jouer en la matière. Par ailleurs, malgré un niveau d’appréciation global satisfaisant, certaines critiques portées par les sociétaires ont indiqué des limites d’impact liées aux caractéristiques des produits. Dans un contexte marqué par une forte saisonnalité, la question des délais de déblocage du crédit productif est ainsi apparue comme centrale, et mérite une attention soutenue de la part des CECAM, même si d’importants progrès ont déjà été enregistrés.

46 Enfin, l’étude a montré que certaines limites d’impact sont imputables à des facteurs du contexte global dans lequel sont insérés les ménages, et sur lesquelsle réseau CECAM n’a pas de prise : carences en infrastructures et en services, et prévalence d’un niveau de risque élevé, qu’il s’agisse de risque de type familial (santé notamment) ou de type économique (climatique, volatilité des marchés agricoles, etc.). L’expérience des CECAM met ainsi en évidence le lien étroit entre vulnérabilité des ménages et efficacité du crédit. Les réflexions en matière de politique publique gagneraient par conséquent à s’orienter également vers des mesures de type « filet de sécurité » visant à limiter le risque d’enfermement dans des trappes de pauvreté pour les ménages les plus vulnérables.

47 Les études d’impact en microfinance continuent de se heurter au défi de concilier rigueur scientifique et pertinence opérationnelle des résultats. En s’inscrivant explicitement dans une telle démarche, et en cherchant à opérer une synthèse entre différents courants méthodologiques dont l’articulation ne va pas de soi, l’étude d’impact CECAM apporte une contribution aux réflexions et aux débats.

48 Une des conditions de faisabilité d’une telle démarche repose sur la qualité des interactions entre l’équipe de recherche et l’institution concernée par l’étude d’impact. De ces interactions dépend tout d’abord l’adéquation des questions à la problématique et aux préoccupations de l’institution, en particulier en ce qui concerne les conditions d’utilisation des services financiers par les ménages, les contraintes posées par leurs systèmes d’activité, en matière d’accès et de valorisation des crédits, etc. Les interactions avec l’institution de microfinance représentent également une source d’information essentielle pour les chercheurs, concernant à la fois l’institution elle-même et les usagers qu’elle sert. Dans le cas particulier des CECAM, leur système d’information s’est révélé particulièrement intéressant, car il a permis de reconstituer les trajectoires de crédit des sociétaires. D’une manière générale, réfléchir à des moyens de systématiser ces informations internes, de les rendre exploitables et de les valoriser dans une optique d’analyse d’impact constitue une piste à explorer à l’avenir. Enfin, il importe de travailler conjointement avec l’institution à la discussion des résultats préliminaires et à leur traduction en propositions opérationnelles. Une réflexion spécifique sur la stratégie de diffusion des résultats (en termes de nature, de support, et de calendrier) doit également être menée de manière conjointe, et ce, dès le démarrage de l’étude.

49 En termes de méthode de recherche, l’étude CECAM illustre l’intérêt d’une articulation raisonnée entre différents types d’approches, et notamment entre les approches qualitatives et quantitatives. En particulier, elle a permis de mettre en évidence et de caractériser la diversité et l’hétérogénéité des processus d’impact selon les profils de ménages, en lien avec leurs trajectoires de crédit et avec leurs dynamiques économiques. Dans le futur, il devrait être possible d’aller plus loin dans ce travail d’articulation entre quantitatif et qualitatif, par exemple en essayant de quantifier certains processus, ou en dérivant des analyses qualitatives des indicateurs pertinents qui pourraient être incorporés dans des enquêtesquantitatives ultérieures. La question du lien entre crédit et vulnérabilité, qui a été identifiée dans cette étude comme particulièrement structurante (Bouquet, WAMPFLER, RALISON et ROESCH, 2007), et qui fait écho à des questions fondamentales en matière de développement, mériterait ainsi d’être approfondie selon cette ligne directrice.

Notes

  • [1]
    - Les données présentées dans cet article ont été recueillies dans le cadre d’un contrat d’étude financé par le Fonds européen de développement à Madagascar et sont la propriété du gouvernement de Madagascar. Les analyses correspondent à des résultats partiels de l’étude et sont de la seule responsabilité des auteurs. La réalisation de la synthèse bibliographique a été possible grâce à un financement ANR-Les Suds (2007) « Rural Microfinance and Employment. Do Processes Matter » (RUME).
  • [*]
    CIRAD, UMR MOISA, Montpellier, France.
  • [**]
    CIRAD, UMR MOISA, Montpellier, France.
  • [***]
    FOFIFA, Antananarivo, Madagascar.
  • [2]
    - Dispersion géographique, enclavement, existence de risques covariants.
  • [3]
    - Voir http:/ / www.microlinks.org / ev_en.php ?
    ID=2136_201&ID2=DO_TOPIC ;
    http: / / www. microsave.org / ; http: / / www.imp-act.org / ; http: / / www.cerise-microfinance.org /
  • [4]
    - Par ses caractéristiques (le montant accordé est uniquement adossé au volume de riz déposé en garantie), le crédit stockage permet par ailleurs aux gros producteurs de riz d’accéder à des montants de crédit jusqu’à dix fois supérieurs au plafond en vigueur pour le crédit productif, ce qui le rend particulièrement attractif pour cette catégorie de sociétaires.
  • [5]
    - Une catégorisation des ménages en trois classes de richesse – aisés, moyens et pauvres – a été réalisée à partir d’une analyse factorielle des correspondances intégrant différents indicateurs d’activité, de revenu et de patrimoine, sur la base des données de panel 2003. Les ménages aisés et moyens sont surreprésentés dans le sociétariat (ils représentent 70 % des sociétaires, contre 37 % du groupe de contrôle). Néanmoins, le fait que les CECAM comptent 30 % de sociétaires pauvres constitue en soi un résultat positif en termes d’inclusion financière.
  • [6]
    - La faiblesse des effectifs de la catégorie non actifs stables ne permet pas d’effectuer des tests statistiques.
  • [7]
    - Des logiques similaires ont été décrites au Pérou par GUIRKINGER (2008).
Français

Par sa longévité, sa portée, la diversité de sa gamme et le caractère innovant de ses produits financiers, le réseau des Caisses d’épargne et de crédit mutuel de Madagascar (CECAM) représente une référence en matière de microfinance rurale et agricole. Les auteurs de l’article ont mené une étude d’impact du réseau en plusieurs étapes entre 2003 et 2007. L’étude a été conçue dans une logique de partenariat avec les CECAM, dans l’objectif d’en améliorer les perspectives d’appropriation par le réseau (pertinence et portée opérationnelle des résultats, transmission d’outils). Dans ce sens, elle cherche à opérer une synthèse entre différents courants souvent présentés comme antagoniques dans la littérature actuelle en matière d’études d’impact. L’article resitue la démarche par rapport à ces différents courants et présente une sélection de résultats empiriques et opérationnels.

Mots clés

  • Madagascar
  • microfinance rurale
  • étude d’impact
  • partenariat scientifique et opérationnel
Español

Rigor científico y pertinencia operacional de los estudios de impacto en micro-finanza : una alianza que a construir. Enseñanzas de un estudio de cooperación en Madagascar.

Por su longevidad, sus alcances, el carácter innovador y la diversidad de la gama de sus productos financieros, la red de las Cajas de ahorro del crédito mutual de Madagascar (CECAM) representa una referencia en materia de micro-finanza rural y agrícola. Los autores del artículo han efectuado un estudio de impacto de la red en varias etapas entre 2003 y 2007. El estudio fue concebido en una lógica de cooperación con las CECAM, con el objeto de mejorar las perspectivas de apropiación por parte de la red (pertinencia y alcance operacional de los resultados, transmisión de las herramientas). En este sentido, se busca operar una síntesis entre diferentes corrientes, frecuentemente presentadas como antagónicas en la literatura actual en materia de impacto. El artículo restituye la manera en que han sido tratadas esas diferentes corrientes y presenta una selección de los resultados empíricos y operacionales.

Palabras clave

  • Madagascar
  • micro-finanza rural
  • estudio de impacto
  • cooperación científica y operacional

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Emmanuelle BOUQUET  [*]
  • [*]
    CIRAD, UMR MOISA, Montpellier, France.
Betty WAMPFLER  [**]
  • [**]
    CIRAD, UMR MOISA, Montpellier, France.
Eliane RALISON  [***]
  • [***]
    FOFIFA, Antananarivo, Madagascar.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/rtm.197.0091
Pour citer cet article
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