CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« Le social de la sociologie [...] n’est pas le champ des effets pervers de la croissance économique et de ses accompagnements humains. »
Yves GOUSSAULT

1 Les anniversaires sont propices aux bilans qui sombrent parfois dans des propos hagiographiques. Ce risque est moindre s’agissant d’une discipline convoquée et attendue, la sociologie du développement. Sa place dans la Revue Tiers Monde est aussi limitée que constante et le destin de cette branche de l’arbre sociologique est particulièrement problématique.

2 En 2004 le comité de rédaction de la Revue Tiers Monde réunissait deux sociologues, un anthropologue, sept économistes, quatre géographes, un agronome. En 1974, lorsque le comité apparaissait avec des appartenances institutionnelles et non disciplinaires, on relève cinq sociologues sur vingt-quatre membres. Plutôt qu’en déduire rapidement que la sociologie du développement était plus considérée dans les années 1980 qu’aujourd’hui, mieux vaut s’interroger sur les divers enjeux et thèmes, dans le domaine du développement, pour lesquels les sociologues ont apporté leurs contributions dans les pages de la revue.

3 Une première évidence s’impose à la lecture diagonale de près de 200 numéros parus. L’existence d’une « sociologie du développement » qui serait autre chose qu’une branche de la sociologie est incertaine selon Guy CAIRE (1997, n° 150). Elle est également problématique pour Yves GOUSSAULT (1982) qui, dès le n° 90 sur la sociologie du développement, fait figure avec Maxime HAUBERT et André GUICHAOUA de « coureur de fond » de la sociologie du développement dans la revue. Il en résulte que la lecture des sociologues qui y sont publiés ne permet pas d’identifier un noyau dur thématique et disciplinaire, mais dessine plutôt une configuration qui ne peut être analysée hors du contexte plus large du développement, du Tiers Monde, des politiques, des idéologies dominantes qui ont marqué des époques, des chapitres de l’histoire récente et de la réflexion. Plutôt que d’évoquer une sociologie du développement un peu évanescente ou dissoute dans des conjonctures qui ont fortement évolué, c’est la présence des sociologues dans cette histoire du développement qui sera esquissée dans la Revue Tiers Monde à travers des points d’appuis, des terrains, des pratiques de recherche, des positionnements intellectuels et des positions idéologiques. L’objectif est de dresser un tableau intelligible plutôt qu’un inventaire ou une typologie complète. Prenant donc la revue comme cadre, il s’agit d’analyser les discours des sociologues, ou de sociologues par délégation ou défaut, durant ces cinquante années d’histoire du développement. Ce développement est à la fois un projet pour la plupart des auteurs, mais aussi un objet de recherche, qui requiert une distance plus ou moins critique selon les périodes. On trouve en effet dans la revue une sociologie de l’intervention développementaliste et une sociologie plus théorique ou critique, ventilées selon les auteurs et les époques. Le choix d’une présentation chronologique permet de mieux coller à l’histoire de la revue qui est la toile de fond de tous ses acteurs, sociologues y compris.

4 C’est pourquoi on abordera d’abord une sociologie progressiste à l’heure des certitudes évolutionnistes, sur le développement dans les années 1960. Le sous-développement y est perçu comme une étape, un retard. Puis on observera tout au long des années 1980 une approche du développement par la domination. Enfin au milieu des années 1995, après la fin de la guerre froide, arrive l’heure des incertitudes partagées, dans un paysage qui se restructure politiquement, idéologiquement et économiquement, car le Tiers Monde est une entité passée, même lorsque le terme figure au pluriel, et le développement, comme les rapports Nord-Sud, se modifie très rapidement.

I – DU « DÉVELOPPEMENT RETARD » AU « DÉVELOPPEMENT DOMINATION » : DES CERTITUDES

5 Le développement est un programme humaniste et idéaliste. Deux auteurs représentent cette approche, bien partagée à la fin des années 1950. Il s’agit d’Henri LAUGIER, haute figure humaniste et pacifiste qui préface en 1960 le n° 1-2 de la revue et de Gaston BERGER (1960) qui publie dans le n° 4 un article intitulé « Liberté, indépendance, développement ». Henri LAUGIER restera actif durant de nombreuses années dans la revue. Ces deux auteurs ne parlent pas de la sociologie mais de l’humanisme de l’époque, comme Edgar MORIN le fera plus tard, hors de la revue. Les sciences sociales sont en effet porteuses d’un humanisme progressiste typique du 20e siècle. Le développement est à la fois une aspiration, un programme, une exigence. Le sous-développement est conçu comme un retard historique et le développement consiste à rattraper ce retard. Les rails sont posés (le progrès). La gare d’arrivée est programmée. La locomotive, c’est le développement. La perspective est évolutionniste et repose sur une croyance forte dans l’idéologie du progrès économique et social comme chapitre du progrès de l’humanité toute entière. L’émancipation de l’homme est attendue du progrès scientifique, dans une large mesure cantonnée aux sciences dures, comme le montre plus tard le n° 78 (Revue Tiers Monde, 1979) sur l’innovation scientifique au service du Tiers Monde. La notion de transition, entendue au sens marxiste, s’impose comme une évidence dans cette marche vers le progrès qui est programmée et planifiée. La planification a évidemment la part belle en économie et, dès lors, la sociologie se voit exposée durablement à travailler sur les « obstacles » locaux, encore qualifiés de « blocages ». Ce partage des tâches initial explique à lui seul, dans une large mesure, le statut relativement mineur, potentiellement aliéné, de la sociologie.

6 Le credo central développementaliste est si fort d’évidence et tellement plein de certitudes que le partage des tâches s’établit entre ceux qui pensent et pilotent le progrès et ceux qui, plus modestement, se penchent sur les bas-côtés de la route. On n’y relève pas encore de victimes, mais des populations dont les traditions sont jugées « préscientifiques », conservatrices, arriérées et mortifères, au même titre qu’à la même époque positiviste le malade est vu comme le principal obstacle à la santé publique.

7 Rappelons les définitions de François PERROUX (1966, p. 240) : « Le développement est d’une part changement de structures mentales et d’habitudes sociales d’une population, d’autre part changements observables dans le système économique et dans les types d’organisation. [...] Il transforme en effet les progrès particuliers en un progrès du tout social ». Le même auteur ajoute que le progrès résulte de « la propagation de la nouveauté aux moindres coûts humains et à la vitesse optimum dans un réseau de relation dont le sens s’universalise » (p. 241). Dans ces années 1960, la revue présente une approche mécaniste émanant d’économistes dotés de prétentions sociologiques naturelles dans le contexte. L’ethnocentrisme est bien proche de l’époque coloniale. On oppose les « facteurs positifs » et les « facteurs négatifs », suivant une rhétorique socialiste désormais connue. Ce même n° 26 propose un article de Marc Eric MORGAUT (1966, p. 337) qui affirme que « les riches n’investissent pas productivement » pour des raisons qualifiées de « psychosociologiques », la psychosociologie étant un concept typique des années 1960 et une discipline presque évanouie aujourd’hui qui tentait une synthèse pleine d’intérêt entre le behaviourisme américain et la sociologie française. Pierre-Louis REYNAUD (1966) parle, lui, de « psychologie économique ».

8 L’appropriation bien intentionnée de la sociologie par des non-sociologues est illustrée dans ce même numéro par l’article de Gilbert ÉTIENNE (1966), un fidèle de la revue, qui se penche sur « Les facteurs de freinage dans le développement d’un village de l’Inde ». Il conclut que « le contact intime de la réalité rurale nous éloigne des grands a priori et théories économiques » (p. 336). Deux numéros s’intitulent « Blocages et freinages du développement » (RTM, 1967, n° 29 et n° 30). Jean CAZENEUVE (1967) y aborde « Les structures mentales archaïques et les blocages du développement » en opposant terme à terme tradition et modernité. Henry DE FARCY (1967) y évoque des « attitudes africaines » en face des problèmes de commercialisation des produits agricoles. L’Afrique est déjà le lieu des « blocages socioculturels ». Pierre BOUVIER (1967) parle « d’obstacles sociologiques », Philippe HUGON (1967) de « la force des traditions sociologiques qui explique que les sociétés africaines soient bloquées » et qu’il faille étudier les aspects non économiques pour comprendre les blocages. On ne peut mieux définir une sociologie du développement et lui ouvrir la voie pour qu’elle soit dotée d’une pertinence incontestée et d’une autonomie cependant très relative. Cette sociologie travaille en effet sur des objets partagés, presque en dérivation de l’économie. La situation donne lieu à un développement de la sociologie rurale. On y parle de villages, de barrages et de charrues, ou encore de structures agraires. Et cela en continuité relative avec une sociologie rurale coloniale dans la mesure où, au-delà des perceptions idéologiques plus ouvertes sur les évolutions, un reliquat de paternalisme ou encore des traces d’impatience devant la lenteur des progrès techniques sont parfois observés. Ingénieurs et agronomes sont alors très présents dans la Revue Tiers Monde où ils sont aussi sociologues de fait.

9 Le n° 33 sur l’économie ostentatoire est le premier acte anthropologique de la revue (RTM, 1968). Jean POIRIER (1968) aborde le prestige et le don, Jacques FAUBLÉE (1968) Madagascar, Jacques BINET (1968) les Fang du Gabon, Guy NICOLAS (1968) les chefferies Haussa, Jean-Claude ROUVEYRAN (1968) le mariage au Comores, Gérard ALTHABÉ (1968) les « progrès et ostentations économiques à Madagascar ». Il affirme : « Le progrès économique est étranger aux dynamiques villageoises. L’organisation du progrès économique se situe hors du champ villageois ». Jean-Claude ROUVEYRAN (1968) souligne : « Le niveau psychosociologique prime sur l’économie ».

10 Ces « rites et tabous » improductifs, qui irritaient certains économistes et en intriguaient d’autres, ont un sens et ils produisent du lien social. C’est l’intérêt de ce numéro de l’avoir présenté ainsi, en relation avec le développement, plantant des germes que l’anthropologie économique faisait éclore au même moment avec une ambition théorique affirmée.

11 Au seuil des années 1970, le n° 47 s’intitule « Le Tiers Monde en l’an 2000 » (RTM, 1971). Il est préfacé par Pierre MASSÉ et brosse un tableau prospectif économico-centré d’un progressisme et d’un idéalisme qui apparaissent aujourd’hui saisissants. On est en effet frappé à la fois par l’ambition extrême des expectatives formulées et par la confiance, voire la certitude totale, qui entoure la réalisation des objectifs fixés et le déroulement des processus évoqués.

12 Les années 1970 voient arriver à leur apogée les théories de la dépendance, très présentes avec Samir AMIN et Celso FURTADO, fidèles auteurs de la revue. Les notions de centre et de périphérie fonctionnent à plein régime, tout comme le marxisme, les modes de production et la notion de transition (RTM, 1972). Parmi les sociologues qui ont marqué leur génération, ni Pierre BOURDIEU, ni Georges BALANDIER n’ont publié dans la revue. Alain TOURAINE (1972) a rédigé deux articles dont « Mouvements sociaux et idéologies dans les sociétés dépendantes » où il observe l’éclatement de la conscience de classe. Yves GOUSSAULT (1973) dirige un numéro sur le développement rural avec des contributions de René DUMONT (1973), Gilbert ÉTIENNE (1973), Jacques BUGNICOURT (1973), ce dernier inscrivant l’environnement quelques années plus tard.

13 Le n° 57 (RTM, 1974) est un autre numéro phare, il a pour titre « Pouvoir, mythes et idéologies ». Il est préfacé par Guy CAIRE et l’on s’interroge sur « Les idéologies du développement et le développement de l’idéologie ». L’idéologie est dans le développement. L’économique et le non économique vont ensemble. Ces deux affirmations semblent moins anodines qu’il n’y paraît car elles ouvrent le champ de la revue au-delà de la dimension progressiste et messianique des années 1960. Le tiers-mondisme n’est pas en question, mais on peut commencer à l’analyser avec un certain recul. Dans ce même numéro Gérard DESTANNE DE BERNIS (1974) distingue le développement retard (années 1960) du développement domination (années 1970), et Yves BÉNOT (1974) se penche sur le travail des idéologies en Afrique.

14 Le n° 67 porte en partie sur la sociologie du développement. Il est dirigé par Yves GOUSSAULT (1976) qui se penche sur le concept d’intervention, l’une des modalités principales du fonctionnement des sociologues du développement. Les autres contributeurs traitent de participation à Cuba, de réforme agraire en Algérie, de capitalisme agraire, suivant l’éclatement propre aux numéros non thématiques et sans centralité disciplinaire. Cela illustre l’absence de statut de la sociologie et de la sociologie du développement. Ce qui est sociologique serait finalement ce qui n’est pas économique. Ce numéro développe en partie une vulgate marxiste parvenue à son apogée probable, c’est-à-dire à sa limite théorique face à la situation des sociétés réelles.

15 Le n° 75 marque peut-être une balise idéologique dans la revue. Intitulé « Tiers Monde, il est dirigé par Maxime HAUBERT (1978a). La volonté de renouvellement y est manifeste car sont abordés non seulement des « contradictions », mais aussi des échecs, voire des culs-de-sac. Maxime HAUBERT (1978b) et Henri DESROCHE (1978) développent une réflexion sur les utopies passées en Amérique latine. La Chine, l’Irak et l’Égypte voient leurs utopies présentées. La théologie de la libération fait l’objet d’un article signé par un prêtre, Julio GONZALÈS-RUIZ (1978). Jean COUSSY (1978) interroge les évolutions des rapports Nord-Sud, tandis qu’Ignacy SACHS (1978) signe un article intitulé « Développement, utopie, projet de société ». Pour sa part, Milton SANTOS (1978) publie un article dont le titre est explicite « Rêve et cauchemar : problèmes spatiaux de la transition au socialisme : le cas de la Tanzanie ».

16 Effet retard de 1968 ou non, ce numéro apporte, sans ruptures, un air renouvelé, des interrogations à la place des certitudes. Il ouvre ou confirme l’ouverture de la fin des certitudes développementalistes et progressistes. Les composantes, tant chrétiennes que marxistes, du tiers-mondisme idéologique sont amenées à constater la lenteur et les échecs relatifs des politiques menées.

II – DES CERTITUDES IDÉOLOGIQUES AUX IMPOSITIONS TECHNOCRATIQUES

17 Le propos n’est pas ici de dater au carbone 14 mais plutôt d’analyser des vagues successives dont les contours sont nécessairement discutables. La fin des années 1970 marque une période charnière, de transition, entendue au sens banal, vers des interrogations moins militantes et plus techniques. Le n° 77 (RTM, 1979) traite de « L’Afrique du Sud : modes de production, force de travail et armée de réserve » à travers une rhétorique marxiste lourde. Dans le même numéro, Zecki ERGAS (1979) intitule sa contribution « La politique des villages ujamaa en Tanzanie : la fin d’un mythe ». Voisinent donc dans la revue des analyses classiques, presque traditionnelles pourrait-on dire, du tiers-mondisme et le démantèlement de certains mythes antérieurs. Le n° 73 pose le problème de l’environnement en Afrique, avec Jacques BUGNICOURT et ENDA Dakar (1978). Bernard LECONTE (1978), analyste de la logique des « projets », traite de la participation, un des thèmes récurrents de nombreux articles de sociologues de terrain qui apportent énormément de données et d’informations, pour la plupart durablement sous-utilisées dans les politiques. Une forte volonté d’apprendre, de comprendre s’exprime dans les articles non théoriques de la revue. Elle signale la perte d’emprise idéologique (partielle) des théories antérieures. On pourrait dire que cela traduit un certain pragmatisme, si le pragmatisme n’était pas lui aussi une idéologie.

18 Il faut attendre le n° 90 pour voir un numéro spécial sur la sociologie du développement, sous la direction d’Yves GOUSSAULT (1982). Celui-ci relie la socio-logie du développement aux mouvements révolutionnaires (Chine, Cuba, Vietnam, Algérie). Se situant dans le cadre des théories de la dépendance et de la périphérie, il souligne le dynamisme théorique en Amérique latine et la place occupée par les ingénieurs de l’intervention dans les colonnes de la Revue Tiers Monde. La sociologie rurale s’est aussi affirmée. Yves GOUSSAULT s’interroge encore sur l’existence d’une sociologie du développement. Il identifie une socio-logie de la crise des sciences sociales, une sociologie des périphéries, une socio-logie des contradictions et conflits à chaud, ou encore une sociologie de l’intervention. La relative marginalité de la sociologie résulterait de sa posture critique. Pour l’auteur, la sociologie du développement pâtit de son incapacité à présenter un modèle global. Elle partage ses objets et utilise des méthodes molles. Dans ce même numéro, d’une qualité réflexive remarquable, le travail de Roger BASTIDE sur l’anthropologie appliquée est fréquemment cité, travail qui articule changements économiques, changements sociaux, changements de « mentalités ». De même, on remarque l’article de Pierre ACHARD (1982) sur « La sociologie du développement et la sociologie de la critique du développement » et celui de François LEIMDORFER (1982) qui souligne les liens étroits entre développement et néocolonisation. Ce numéro est enrichi de contributions d’autres sociologues : André GUICHAOUA et Jean MAJERES (1982), Nicole KHOURI (1982), Silvia SIGAL (1982), Bernard HOURS (1982) et d’un groupe d’économistes et de sociologues de l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (ORSTOM) qui présente l’intérêt de mettre en lumière un fonctionnement de recherche équilibré et productif entre économistes et sociologues au sein de l’institution, à cette époque. Le mot de la fin revient peut être à Silvia SIGAL (1982, p. 406) qui écrit à propos de la sociologie du développement : « Il ne s’agit plus d’une question de légitimité comme discipline mais tout simplement d’une dénomination qui a vécu ». De son côté, André GUICHAOUA note que la sociologie du développement s’est faite « sans sociologues, ni développement ».

19 Les remises en question se poursuivent avec le n° 100, « Le développement en question », dirigé par Serge LATOUCHE (1984). Celui-ci annonce : « Il s’agit de voir des questions là où hier on voyait des évidences ». Edgar PISANI (1984) affirme quant à lui que le développement est un échec économique, l’échec du développement occidental comme modèle exporté ou mimétisme. On relève pour les autres contributeurs les noms d’Ignacy SACHS (1984), de François PARTANT (1984), de Jean CHESNEAUX (1984), de Gilles BERTHOUD (1984), de Robert JAULIN (1984), de Léon DAYAN (1984). Ce numéro ne marque pas une rupture, il marque la confirmation d’une sortie irréversible de la période des croyances et des certitudes entamée à la fin des années 1970, même si pendant de nombreuses années encore seront publiés dans la revue des articles selon l’ « ancienne manière de penser le développement ».

20 Dans ce centième numéro transparaît en particulier tout le continuum des positions et des émotions face à l’altérité et aux « autres mondes » – et qui sont casés dans la notion de Tiers Monde. Ce continuum a émergé à partir des années 1960 et s’est exemplifié dans le mouvement hippie. Le terme d’ethnodéveloppement avancé par Robert JAULIN (1984) est ainsi chargé des désirs et de projections positives sur l’autre et l’ailleurs, qui animaient à l’époque une partie des contestations de la société de consommation et du capitalisme. On perçoit là une attitude intellectuelle et pulsionnelle qui renversait les regards usuels empreints de supériorité – qu’ils soient tiers-mondistes ou à l’opposé dits « réactionnaires ». Sortir de l’ethnocentrisme et du soi, se transformer soi-même au contact de l’autre, plonger dans une altérité auréolée de toutes les qualités de la solidarité, du plaisir, de l’intelligence collective, ou encore se dégager des oripeaux de la technologie et d’un développement industriel monstrueux, tels sont les morceaux idéologiques qui se glissent dans le n° 100. Certains ont perduré, comme l’anti-économicisme de Serge LATOUCHE (1984) et son admiration pour l’inventivité des « cultures autres ». D’autres se sont transformés en un anti-développement d’autant plus prisé qu’il s’érige à l’encontre de la mystification du « développement durable » ; ce slogan étant aussi flou et flexible que « la société harmonieuse » censée soigner les méfaits de l’hyper-croissance de la Chine.

21 Ce passage en biseau entre des générations idéologiques est une des particularités positives de la Revue Tiers Monde. Tous les auteurs partagent en effet une même aspiration d’évolution positive pour les populations du Sud, fut-elle servie par des postures divergentes.

22 Dans le n° 106 consacré à « L’Afrique des grands lacs », André GUICHAOUA (1986) évoque les stratégies monétaires des paysans du Burundi et du Rwanda à travers une micro-socioéconomie proche de l’intervention. Dans ce même numéro on note la présence particulière de nombreux auteurs africains, les Sud-Américains étant habituellement plus présents dans la revue. Dans le n° 112 intitulé « Débats actuels sur le développement », Yves GOUSSAULT (1987) évoque la sociologie et le retour du symbolique confirmé dans un article en forme de bilan sociologique et théorique. Ce texte dense prend ses distances vis-à-vis du débat anti-tiers-mondiste de l’époque, dont la portée a été très sous-évaluée par les tiers-mondistes. Yves GOUSSAULT signale le retour à une sociologie allant au-delà de la socioéconomie antérieure, aliénée à l’économie et à la croissance. Il analyse les causes de la faible participation des sociologues à la définition du développement et souligne l’importance retrouvée du discours, de l’imaginaire, du symbolique, qui relèvent de la compétence des sociologues.

23 Yves GOUSSAULT assigne trois dimensions à la sociologie. D’abord la morphologie sociopolitique et socioéconomique, ensuite l’étude des mouvements sociaux et des acteurs dite sociologie dynamique, enfin l’analyse des expressions symboliques, donnant accès au sens des situations. La socioéconomie, le retour des acteurs, le sens des actions balayent ainsi le champ de la sociologie ; les représentations et l’idéologie devenant des objets problématiques.

24 Le n° 124, « Bourgeoisie des Tiers Monde d’hier à aujourd’hui » (RTM, 1990), met en lumière la fascination des économistes pour les nouveaux pays industriels (NPI). La mise au pluriel du mot Tiers Monde ne ressuscite pas le concept évanoui. Le terme de globalisation apparaît pour l’une des premières fois et l’on constate que les classes sociales sont envisagées comme acteurs davantage économiques que sociaux.

25 Le n° 128, « Politiques agraires et dynamismes paysans », dirigé par Maxime HAUBERT (1991), illustre bien les ambiguïtés du moment. « Le retour des paysans : mythes et réalités » appelle une réponse ambiguë, discrètement sceptique. Faute de solutions miracles (le plan, l’industrie, etc.), on relève les problèmes qui se posent en Algérie, au Pérou. La sensation d’un entre-deux, d’un creux idéologique est frappante, tout comme un certain désarroi sur le Vietnam, sur les mouvements indiens, sur les organisations paysannes en Amérique centrale. Les doutes dépassent les certitudes, même si l’on parle encore de transition, comme si le développement demeurait une partition écrite.

26 L’analyse des mouvements paysans en Afrique noire est, elle aussi, ambiguë. La solidarité escomptée fait toujours l’objet d’une aspiration légitime, mais elle n’est pas totalement observée dans les faits. Les années qui suivent voient se développer des numéros thématiques sur l’environnement, l’alimentation, la drogue, les technologies de l’information ; c’est-à-dire des déclinaisons sectorielles du développement qui commence à être décomposé en thèmes.

27 Le n° 137 (RTM, 1994) sur le développement durable est notable puisqu’il se penche sur le Sommet de la terre. Jean MASINI (1994) pose des questions durablement pertinentes, Christian COMELIAU (1994) parle de blocages conceptuels et Serge LATOUCHE (1994) d’alibi. Ce dernier écrit « Le développement durable est comme l’enfer, il est pavé de bonnes intentions ». Michel BEAUD (1994) dénonce la croissance mortifère et Alain RUELLAN (1994) prône, au nom de la solidarité, un combat commun pour l’environnement et le développement. On notera aussi un n° 141 consacré aux « Sociétés en mutation entre restructuration mondiale et initiatives locales », dirigé conjointement par Maxime HAUBERT et Pierre-Philippe REY (1995). Il illustre la situation qui prévaut après l’implosion de l’URSS et la mise en veilleuse des espérances révolutionnaires. Ce numéro aborde des thèmes tels que la corruption, le plan urbain au Mexique, l’identité à Madagascar, l’islam et la modernité (problématique prémonitoire), les associations islamistes en Égypte (le terme d’ONG n’est pas utilisé). Est mise en lumière une proximité entre sociologie et science politique. La notion de globalisation apparaît encore.

28 Pendant toutes ces années 1980, l’ajustement structurel a essayé de défaire la plupart des tentatives nationales post-coloniales, et il a été abondamment critiqué. Avec lui se sont imposées les organisations multilatérales qui ont acquis la maîtrise du jeu et construit un business multilatéral du développement, dispensateur de réformes dans tous les secteurs d’activité, y compris dans la santé et l’éducation. Cette mise aux normes a mis en place un univers nouveau où les rapports Nord-Sud ont supprimé le Tiers Monde, et où le développement va devenir la lutte contre la pauvreté. Outre l’ajustement structurel, ces années sont celles du « secteur informel », temporairement appelé petite production marchande, qui recouvre (et découvre) tout ce qui échappait à l’économie classique et continue de lui échapper. Les politiques publiques, comme les États, y perdent un peu de leur centralité. De très nombreux articles ont été publiés sur le « secteur informel » dans la Revue Tiers Monde, renforçant les capacités sociologiques des économistes et validant des études socio-économiques riches. Autant que les évolutions politico-idéologiques, c’est le « secteur informel » qui a fait basculer les travaux sur le développement dans une micro-socioéconomie bien documentée qui soulignait, sans le vouloir, les échecs des politiques macroéconomiques, c’est-à-dire, en partie, l’échec du développement durant plusieurs décennies. Si les gens doivent se débrouiller, c’est que ça ne marche pas bien. Les modèles n’y peuvent plus grand-chose.

29 Le secteur dit informel est une découverte toute relative puisqu’il n’a jamais cessé d’exister. Mais on ne le regardait pas. En admettant son importance, la portée des modèles de développement est singulièrement remise en question, tout comme celle des États. Objet naturellement sociologique, le secteur informel demeurera géré par des économistes. Mis sous tutelle par des agences multilatérales et par l’ajustement structurel, les États sont encore marginalisés par le secteur informel qui échappe largement à leur contrôle. Ainsi, tout au long des années 1980, la revue reflète avec beaucoup de clarté les évolutions en cours, avec un effet retard modéré dû à l’héritage tiers-mondiste dont la gestion est nécessairement délicate, surtout lorsqu’elle implique des chercheurs de générations différentes, exposés à des influences idéologiques moins homogènes que dans les décennies 1960 et 1970.

30 Au début des années 1990, la dénonciation nécessaire de la domination perd ses ennemis héréditaires, l’impérialisme demeure, mais il s’habille autrement. Dès lors, prévaut un sentiment de brouillage des repères pour la plupart de ceux qui avaient fait du développement un combat personnel, au-delà d’une aspiration. C’est l’heure des incertitudes partagées.

III – LES INCERTITUDES PARTAGÉES

31 Des incertitudes partagées ne font pas un corpus d’engagement, et chacun tend aujourd’hui à retourner à sa discipline et à sa profession, au nom de ses outils et de ses objets. Il en découle la perte d’une approche globale du développement, remplacée par une spécialisation ou un découpage en problèmes et en questions compatibles avec les approches technocratiques. Celles-ci ont besoin de données sectorielles pouvant servir d’alibi à la décision, ou à ce qui en tient lieu. Dès lors que le développement tend à devenir un problème de pauvreté, la dimension de projet totalisant s’efface au profit d’une gestion technique de chaque problème, fut-elle pluridisciplinaire.

32 Le n° 148 (RTM, 1996) aborde la clause sociale et souligne bien « l’entre-deux » dans lequel la revue va désormais s’inscrire. On y parle de la nécessité de moraliser la mondialisation, du rôle irréversible de l’État, des micro-entreprises informelles. Entre idéalisme et pragmatisme, ou entre aspiration et gestion, flotte une certaine quête, à la recherche du progrès perdu.

33 Le n° 150 (RTM, 1997) constitue une balise. Il s’intitule « Vues du Sud » et inscrit les approches nouvelles par problèmes, tout en conservant son sens au discours ancien. La première partie s’interroge sur le destin du concept d’impérialisme, véritable marqueur idéologique. Prabhat PATNAIK (1997) y affirme : « Si l’on commence par faire abstraction du fait de l’impérialisme, et donc si l’on achoppe à saisir la dialectique qui relie l’impérialisme et les conflits fondamentalistes et ethniques dans le Tiers Monde, alors on risque de se retrouver à jouer les apologistes de l’impérialisme en le prenant pour une force « progressive » qui s’opposerait aux réactions indigènes ». De son côté Korkut BORATAV (1997) souligne que « l’incapacité à élaborer des réponses opérationnelles et des solutions de rechange mène soit à une capitulation idéologique totale, soit à une acceptation “de gauche” de la mondialisation en tant que phénomène inévitable – les deux étant incompatibles avec la perception impérialiste du monde ». Ce numéro fait une large place aux contributions du Sud, une pratique modérément courante dans la revue, où seuls les travaux d’Amérique latine ont une grande visibilité. Outre l’impérialisme, on y traite de migrations et de mondialisation, ou encore d’action humanitaire, vues du Sud. Les sociologues sont quasiment absents du sommaire.

34 Avec pour titre « Coopération internationale : le temps des incertitudes », le n° 151 dirigé par André GUICHAOUA (1997) traite de l’évolution des formes et des institutions de coopération. La notion de « marché du développement » s’impose. A. GUICHAOUA évoque des « années schizophrènes » entre ajustement et développement humain. Il parle « d’industrie du développement » dans les années 1990 et de l’hégémonie multilatérale qui s’est imposée, avec ses stratégies homogènes. Il relève la montée en puissance des opérateurs privés, dont les ONG. Il conclut : « La théorisation de l’après-développement ou d’un autre développement constitue donc vraisemblablement la tâche essentielle aujourd’hui » (1997, p. 516). La société civile, l’ « opinion mondiale », l’action humanitaire sont abordées dans le même numéro. Un peu plus tard, le n° 157 (RTM, 1999) met « Le libéralisme en questions » et manifeste lui aussi une volonté d’interrogation sur la conjoncture. Il intervient après le n° 154 qui portait sur les transformations du travail, soulignant l’hétérogénéité du travail et la diversité des trajectoires (LAUTIER, 1998).

35 Les numéros suivants s’inscrivent dans une approche par problèmes, question par question. Sont ainsi abordés : l’Afrique du Sud, le Brésil, les croyances religieuses en Amérique latine, les drogues, la corruption, les disparités régionales, les politiques de l’eau, les femmes domestiques, la microfinance, les violences, les protections sociales, le tourisme, les ONG (très tardivement), la santé mentale, etc. Dans ces sujets actuels, dits de société, la contribution des sociologues s’impose, dès lors qu’il s’agit de questions de société. La macroéconomie, bien que présente, est plus discrète dans cette dernière période. Les incertitudes partagées donnent ainsi à voir une revue moins théorique, plus proche des problèmes sociaux d’actualité, et où la sociologie est un peu plus visible. Les certitudes du passé font place à une volonté de comprendre, doublée d’une forte capacité critique nécessaire dans la conjoncture de post guerre froide.

36 Les mutations invisibles des premières années du nouveau millénaire éclatent après 1999, sans parler de 2001. La manière d’aborder les sociétés a changé. Une approche davantage naturaliste, plus gestionnaire que révolutionnaire s’installe partout. Il s’agit d’optimiser le fonctionnement des sociétés pour qu’elles échappent à leurs « problèmes » par des solutions plus techniques que politiques, et les sciences sociales, et la sociologie en particulier, problématisent alors des difficultés sociales ou économiques.

37 La lecture des numéros postérieurs à l’an 1999 signale la rémanence de pays et de régions plus ou moins phares dans l’histoire du développement : Cuba, le Brésil, l’Inde et le Moyen-Orient font l’objet de numéros spéciaux. Mais les approches développées abordent les problèmes économiques et sociaux plutôt que le champ politique, qui a probablement perdu une large part de son autonomie tant la capacité de choisir s’est réduite, remplacée par des expertises. Pourtant, on observe une extrême instabilité politique autour du conflit israélo-palestinien et de la montée du « terrorisme islamiste » dont les incidences concrètes sur le développement des pays sont évidentes. Les n° 174 et 176 abordant la violence, dirigés par Jean CARTIER BRESSON et Pierre SALAMA (2003), ne contiennent qu’un article sur le terrorisme : l’auteur, Thierry DEFFARGES (2003), le présente comme une revue de la littérature économique sur la nature et les causes du terrorisme. Le lien entre l’échec du développement et la montée du terrorisme (parmi d’autres liens) est bien pensé par quelques-uns, mais il n’est pas affiché.

38 « Corruption, libéralisation, démocratisation » est le titre du n° 161, dirigé par Jean CARTIER BRESSON (2000). Il illustre un regard sur le monde nouveau, post-guerre froide. Il met en lumière une approche durable par les pathologies sociales, qui ne traite plus de l’ordre juste du monde à travers des modèles, mais des désordres sociaux sur la base d’inégalités, d’injustices, de violence, de corruption. Le n° 157 portait sur « Le libéralisme en question » et Maxime HAUBERT (1999) y abordait avec recul le rôle des paysans comme entrepreneurs. Six ans plus tard, la revue publie le n° 183, « Paysans, modes de survie » (RTM, 2005), qui souligne la pauvreté croissante des agriculteurs. Entre-temps, en 2000, le n° 164 intitulé « Disparités régionales et globalisation, organisations paysannes et marché » (RTM, 2000) signale bien des vocables qui se télescopent et des fractures qui vont fournir à la revue une part importante de ses objets. Parce qu’il n’y a plus de modèles centraux, sinon celui du capitalisme, et que tous les centres ont produit leurs périphéries, au Nord comme au Sud, il est plus difficile de caractériser la Revue Tiers Monde depuis les années 1999 ou 2000. Néanmoins, on peut avancer les remarques suivantes. Les approches mises en œuvre se penchent sur les anomalies sociales, les pathologies. Violence et protection s’inscrivent dans des termes nouveaux. Auparavant la violence était révolutionnaire, donc légitime, et l’État était protecteur. Parmi les acteurs visibles, les femmes apparaissent un peu plus clairement tandis que les paysans perdent du relief, exposés à la pauvreté et au microcrédit. Des objets transversaux, pluridisciplinaires s’affichent : la ville (et ses pathologies), l’alimentation, les croyances religieuses (en Amérique latine), l’eau, la microfinance, la protection sociale, l’environnement. Ce qui semble structurer la plupart de ces objets, ce sont leurs caractères de problèmes et de difficultés. Les violences, la délinquance, la financiarisation, la décentralisation, la démocratisation s’affichent comme des problèmes plutôt que comme des solutions. C’est une différence profonde avec la première époque développementaliste. Les sociologues y trouvent une place un peu plus visible comme observateurs des dérives et pathologies du libéralisme. Mais la mondialisation du marché et du capitalisme les laisse en position d’extériorité critique. Ils ne sont plus les secouristes du passé et leurs objets sont davantage partagés. Ils se penchent fondamentalement sur le malheur du monde ou plus simplement sur les dysfonctionnements du désordre mondial.

39 En dehors d’un antilibéralisme, académiquement maîtrisé, l’affirmation selon laquelle ce sont les dérégulations néo-libérales qui causent la plupart des problèmes observés semble dotée d’une forte rémanence dans les colonnes de la revue. Le déficit d’État, l’absence de régulations indépendantes ou légitimes sont au cœur de beaucoup d’analyses. Dans ce paysage fait de violences et d’oppressions occultées ou maquillées, les sociologues ne sont plus en charge de ramener dans le troupeau les brebis égarées, pauvres ou malades, mais ils expliquent pourquoi les sociétés diverses produisent les exclusions, les marginalités, les échecs, les désintégrations.

40 Subrepticement, se sont substitués aux projets des risques sociaux à gérer, des dégradations sociales à observer. Mais, bien que les responsabilités semblent assez établies, on ne sait plus à qui adresser les réclamations. Le centre de cet univers, s’il ouvre peu de guichets sociaux, se signale par le règne de la marchandise dans toutes ses déclinaisons. C’est un processus de globalisation plurivoque, avec le phénomène majeur que constitue le passage du développement des sociétés nationales au développement durable, délocalisé et désocialisé de fait puisqu’il part de l’existence d’une planète de nature et non plus de sociétés. La gestion problème par problème, pathologie par pathologie – la pauvreté est la pathologie principale selon le néo-libéralisme – s’inscrit alors logiquement. Et les sociologues n’ont plus à s’occuper que de problèmes, la seule dynamique sociale programmée étant celle des performances de l’économie de marché. Face à ce rouleau compresseur, les sociétés sont devenues des obstacles au libre déploiement des marchés. Il s’agit d’un retour à l’étude des obstacles, des résistances (post-révolutionnaires) non plus à un développement social évaporé mais au développement de l’économie de marché, devenu le seul objectif identifiable, avec sa production et sa reproduction à grande échelle de l’exclusion planétaire, non plus au Sud, mais dans toutes les sociétés marchandes.

41 Ces exclusions, ces résistances, sont des poches de risques à gérer comme telles. D’où l’inscription incontournable et « naturelle » d’une approche par problèmes, et la menace potentielle, toujours suspendue, des explosions et des catastrophes, avec les secours d’urgences, l’application de cautères. Cette menace est à la mesure de l’absence abyssale de valeurs centrales, hors du marché devenu vecteur unique de civilisation. Sur la place désertée des débats anciens sont projetés les spectacles des cyclones, des cours d’assises, des décharges d’ordures, des migrants noyés, des kamikazes de toutes sortes, des risques d’épidémies spontanées ou provoquées, objets sociologiques superbes, qu’il convient néanmoins de traiter un par un. Car à les mettre bout à bout, le risque est grand de voir surgir la nécessité d’un projet de civilisation, d’une centralité de valeurs incompatibles avec l’exploitation que suppose l’économie de marché mondialisée dans son actuelle configuration.

42 Sur les onze critères du sous-développement identifiés dans le Cahier de l’INED intitulé « Le Tiers Monde. Sous-développement et développement » et dirigé par Georges BALANDIER (1956), seul deux d’entre eux sont sociologiques : la faiblesse des classes moyennes et l’échelle (ou taille) des sociétés. Ils sont classés en dernier. Au terme de ce parcours sur les traces des sociologues de la Revue Tiers Monde, on observe un déficit d’espoir, discret mais persistant, qui est bien partagé aujourd’hui. La sociologie du développement fut un projet, mais il ne s’est jamais réalisé, de l’avis même de ses acteurs principaux. Cette revue militante pour le développement des pays du Sud laisse la place à un regard pluriel, rigoureux et inquiet. Le risque d’une niche « néo-tiers-mondiste » a été évité et, si l’objet « Tiers Monde » s’est évanoui, si le développement a connu des évolutions importantes, le sort des trois quarts de l’humanité, au Sud mais aussi au Nord désormais, suscite d’énormes préoccupations. Les sociologues ont apporté une contribution discrète mais continue, en vue d’une émancipation des hommes et des femmes, dont les contours ont évolué mais dont la réalité demeure une ambition durable. L’histoire évoquée à travers des sociologies mobilisées autour du développement dans la Revue Tiers Monde montre des ruptures peu conflictuelles, amorties. C’est un gage de longévité pour la revue.

43 Parmi les caractères particuliers de la revue, on remarque la présence d’un noyau dur d’auteurs réguliers dans la plupart des disciplines. Il est d’une grande continuité en sociologie. Celle-ci a acquis son autonomie par rapport à un statut davantage dépendant, lors de la première décennie. Le partage d’un objet tel que le développement, après avoir fragilisé la discipline, semble mieux lui réussir dans un contexte où la pluridisciplinarité s’est imposée. Les problèmes anciens ou nouveaux sont désormais analysés à partir de différents regards. Paradoxalement, si l’utopie est un objet hautement sociologique, la période messianique du développement (tiers-mondisme) n’a pas bénéficié à la sociologie, coincée entre un marxisme de guerre froide et des théories de la dépendance et de la périphérie produites dans une logique macroéconomique. Ces incertitudes partagées sont bien illustrées par une phrase de Jean-Paul SARTRE, citée dans le numéro « Tiers Monde, utopies, projets de société » dirigé par Maxime HAUBERT (1978a) : « C’est le futur qui décide si le passé est vivant ou mort... Le sens du passé social est perpétuellement un sursis ».

44 Enfin, concluons sur les nouveaux visages de la domination qui ont fait récemment resurgir l’anti-impérialisme politique sur la scène internationale, dans un contexte fort différent de celui de la guerre froide, mais néanmoins propice aux raccourcis binaires : démocratique/non démocratique, musulmans/non musulmans... Hugo CHÁVEZ, Mahmoud AHMADINEJAD, la figure symbolique de Oussama BEN LADEN véhiculent des ersatz du messianisme tiers-mondiste et un anti-impérialisme explicite. Sommes-nous en présence de résurgences ou encore d’un anti-impérialisme récurrent, avec ses épisodes ? Il y a certes une énorme naïveté néo-libérale à présumer que l’histoire est finie. Mais, en même temps, tous les États gèrent des situations de violence économique chronique et d’affrontement autour de l’accès aux ressources, devenu noyau dur de l’action politique, avec les productions identitaires. La captation des ressources, leur prédation parfois, sont des objectifs tellement éloignés du projet de développement de l’ex-Tiers Monde que c’est davantage une sensation de rupture qui prédomine, plutôt que de continuité : le pillage du Tiers Monde a fait place à celui de la planète, faisant du pillage l’une des rares constantes observables.

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Cet article analyse en perspective cinquante années de sociologie dans la Revue Tiers Monde. Il aborde les certitudes développementalistes initiales et l’évolutionnisme d’une époque où progrès et développement étaient synonymes. Les années de l’ajustement structurel sont ensuite aussi celles de l’apogée du tier-mondisme et de son déclin. Avec la fin de la guerre froide s’ouvre l’époque des incertitudes partagées et de l’approche problème par problème où la sociologie trouve une relative autonomie, devenant moins dépendante de l’économie qu’auparavant.

Mots clés

  • Sociologie
  • développement
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Bernard HOURS  [*]
  • [*]
    Sociologue, Institut de recherche pour le développement (IRD).
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/rtm.191.0699
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