CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1J’ai passé ce demi-siècle à observer et analyser le monde dit en développement, mais je n’ai été que peu de temps chercheur mêlé directement à la pratique du développement rural : huit ans à Madagascar, sur un total de treize ans passésà l’ORSTOM  [1]. C’est une expérience qui a créé le reste : l’exercice de fonctions variées dans la gestion, la politique et l’enseignement. Directeur d’études à l’EHESS, j’y fus comme l’oiseau sur la branche, occupé par la rédaction de ma thèse et par d’autres fonctions : responsable pour l’Afrique au Parti socialiste (PS) puis « prêté » par l’École pour être, trois ans durant, sous-directeur de la recherche scientifique au ministère de la Coopération. Ensuite je migrai vers l’Université, à Paris X-Nanterre, et me consacrai plus à la formation qu’à une recherche personnelle. On expliquera cela comme on voudra : au négatif par mes goûts sédentaires, au positif par le sentiment que j’avais eu beaucoup de chance, qu’il était juste de guider les plus jeunes dans un monde plus dur, de faire la synthèse de deux temps complémentaires en ouvrant de nouveaux champs de recherche. J’avais tourné autour de l’objet « développement », je l’avais vu sous des angles divers, j’avais participé à la réforme de nos institutions spécialisées. J’aurais voulu donner un sens à cette expérience. Déroulons donc le fil du temps, cherchant ce qui relève d’une cohérence et ce qui ressort du hasard, voire du dérapage plus ou moins contrôlé. Ce propos est celui d’un géographe, pas forcément sur la géographie qui intervient à la marge par les thèmes qui m’intéressent, la nature de mes liens. Anthropologue, aurais-je fait autrement ?

I – LA FOI DU CHARBONNIER ?

2J’ai connu brièvement, en 1953, l’Afrique d’avant la Loi-cadre  [2] et ce peu n’est pas négligeable, comme toute première rencontre. Je n’ai vu que l’Afrique des administrateurs et des colons ; elle semblait calme et un jeune Blanc pouvait y circuler sans encombre. Ce fut ma première prise de conscience du racisme et elle fut déterminante. J’avais déjà choisi d’être géographe ; je serais donc géographe africaniste. Il s’agissait d’un réflexe éthique : ma conscience politique était nulle et ma famille était attachée à l’empire colonial (RAISON, 1991). Suit un « trou » de dix ans, où – paradoxe ! – je fis tout, pendant trois ans de khâgne  [3], sauf de la géographie puis tout, rue d’Ulm, sauf de la géographie de l’Afrique : préparer l’École normale supérieur (ENS), dont le concours d’entrée excluait la géographie, et passer ma licence dans une Université de la Sorbonne qui ignorait l’Afrique tropicale et quasiment les tropiques. Cette formation non ciblée eut le mérite de me faire cultiver mes points faibles : c’est la bonne tactique dans les concours.

3Je gardais en moi une Afrique fantôme et mes lectures, précoces, aiguillées par mon père, puis par Marcel RONCAYOLO à l’ENS, ne compensaient pas ce manque. Il me fallut attendre 1961 et le temps des indépendances pour rencontrer Paul PÉLISSIER  [4], pour découvrir les enseignements de Pierre GOUROU au Collège de France, de Gilles SAUTTER et Georges BALANDIER à la sixième section de l’Écolepratique des hautes études (EPHE)  [5], où naissait le cursus d’Initiation à la recherche en Afrique noire. Ma connaissance scientifique du Tiers Monde fut d’emblée pluridisciplinaire, peu marquée par les théories, ou l’idéologie, du développement. Le contre-modèle, pour nous, l’ouvrage de Walt ROSTOW publié aux États-Unis en 1960, ne fut traduit en français qu’en 1970 (ROSTOW, 1960). En France, les premiers écrits de valeur précèdent de peu la décennie 1960, avec G. BALANDIER (1956) et Y. LACOSTE (1959 et 1965). Mais ce que les géographes lisaient alors le plus, c’étaient les ouvrages de Louis-Joseph LEBRET, dominicain passé de la Jeunesse maritime chrétienne aux études de développement  [6] et, en économie, les très pédagogiques ouvrages de Jean-Marie ALBERTINI (1966)  [7].

1 – Une approche d’abord éthique et politique

4Les écrits sur le développement émanaient alors pour une bonne part du milieu chrétien, de l’Action catholique et du personnalisme. Ils incitaient à l’action, à l’enquête de terrain plus qu’aux spéculations (LEBRET, 1952 ; 1958). Les dynamiques sociales comptaient plus que les comptabilités nationales. On croyait à une géographie militante, pratique, hors des clivages partisans, telle que la prônaient aussi bien Pierre GEORGE  [8] que Michel PHLIPPONNEAU (1960)  [9]. J’ignorais les approches marxistes et je ne les ai toujours pas assumées. La tendance à partir de l’empirique et du concret caractérise ma géographie et, ce qui motivait ma génération, c’était une morale politique. C’est moins la « mystique du plan », qui avait animé nos aînés dans une France en reconstruction, que la honte des guerres coloniales, pour les plus âgés la guerre d’Indochine, pour tous la guerre d’Algérie, que peu ont vécue mais contre laquelle beaucoup ont fait leurs classes politiques. L’entrée en géographie était une forme de repentance, qui primait sur l’engagement politique classique. La lâcheté, la sottise des politiciens ne nous incitait guère aux engagements partisans : nous exécrions la SFIO  [10], et le Parti communiste n’avait pas été « clair » non plus sur la « question coloniale ». Les maîtres marxistes, un Jean DRESCH, un Pierre GEORGE, ne se sont intéressés que brièvement à la géographie des colonies et se sont vite satisfaits de l’ordre de Yalta. Croyions-nous pour autant à la vertu intrinsèque des révolutions, à la purification par la lutte armée ? Ce ne fut pas mon cas, ni globalement celui des africanistes, mais les crises nous semblaient créatrices. Et nous faisions confiance au monde paysan car, scientifiquement comme moralement, nous avions besoin de lui. D’où notre embarras dans nos relations avec l’État : rejet d’un pouvoir post-colonial mis en place par la métropole, séduction de l’aménagement du territoire, mais préférence affective ou raisonnée pour les stratégies et les techniques paysannes. Les mêmes thèmes, les mêmes contradictions marquaientsymétriquement ceux, moins nombreux, pour qui le chercheur était une réincarnation des héros coloniaux, administrateur ou officier méhariste.

5Jeune agrégé recruté pour encadrer les « bleus » de l’ORSTOM, j’avais une solide « formation générale », après un Diplôme d’études supérieures  [11] et l’agrégation, c’est-à-dire que je savais lire et que j’avais lu les grands classiques de la géographie rurale (un savoir académique qui n’apportait guère sur l’Afrique), que j’étais presque aussi compétent en histoire qu’en géographie européenne, et que j’entamais ma formation dans les autres sciences sociales par la lecture tant d’ouvrages anglo-saxons que des rares et tout neufs écrits français. J’étais déjà à Madagascar quand Paul PÉLISSIER, Gilles SAUTTER et Jean GALLAIS soutenaient leurs thèses d’État. Mais mon savoir livresque masquait une grande ignorance des pratiques de terrain, fût-ce même en France  [12] : j’étais un autodidacte en début d’auto-formation pilotée, et pourtant appelé, en 1964, à former les nouvelles recrues de l’ORSTOM à la pratique de la recherche  [13] !

6J’avais six élèves. Les places étaient nombreuses et les candidats ne se bousculaient pas. On pouvait entrer à l’ORSTOM, devenir chercheur fonctionnaire, avec la seule licence universitaire : qu’il y ait eu peu d’échecs et de très belles réussites souligne le flair des « recruteurs »  [14]. L’année d’initiation passée, on me confia deux élèves, auxquels s’ajoutèrent de jeunes chercheurs pourvus d’une première expérience de terrain : cela faisait une section (noter le vocabulaire militaire...) de six ou sept « expatriés », qui devait, à 25 ans d’âge moyen, sous l’autorité active mais éloignée de G. SAUTTER, se faire une place matérielle et scientifique, préciser des thèmes et des lieux d’enquête et, ce que je découvris bientôt, sortir du ghetto.

2 – Sortir de « l’île dans l’île »

7L’ORSTOM hésitait alors sur la participation des sciences sociales au développement et sur la définition de celui-ci. Pendant les dernières années coloniales, il avait été associé à la mise en place de grands projets (Mangoky, Sakay, Alaotra pour ce qui est de Madagascar) par des équipes pluridisciplinaires  [15] ; les années 1960 marquaient un retour vers la recherche fondamentale. L’organisation était par discipline, chacune étant dotée d’un comité technique d’universitaires dont le président, s’il parvenait à cohabiter avec le directeur général, Guy CAMUS, avait de forts pouvoirs. Des thèmes généraux étaient définis, et l’on s’y tenait sauf à effectuer un travail sur convention. Nous étions « irresponsables » : sans budget défini, sans information sur la politique du Centre (nous n’avions même pas son rapport annuel), sans droit de communiquer sur nos recherches avec les collègues malgaches. Nous ne pouvions diffuser et publier qu’après visa scientifiqueet, de facto, le directeur général nous incitait à limiter nos écrits, qui souvent lui valaient des ennuis.

8Il y avait heureusement plus que des nuances entre principes et réalité. Beaucoup dépendait de l’attitude du directeur de Centre, et Patrice ROEDERER était des bons. Nous usions nous-mêmes des stratégies de contournement, d’évitement que pratiquaient à notre égard les sociétés rurales. Nous apprenions à jouer du temps et de l’espace. Le temps, nous n’en manquions pas, n’étant assujettis à aucun enseignement ; l’espace paraissait immense et Paris bien loin... Nous étions aux antipodes de la mondialisation : trois avions par semaine avec la France et point d’autre ligne que Paris, Djibouti, Tana, la Réunion par Air France et son « enfant » Air Mad. Pour gagner l’Afrique de l’Ouest il fallait trois à quatre jours. On n’usait guère du téléphone, trop coûteux. Insularisés, nous l’étions à toutes les échelles : celle de l’île, mais aussi celles de Tananarive et du quartier de Tsimbazaza, où l’ORSTOM jouissait du seul parc de la ville, qu’on n’ouvrait au public que deux jours par semaine. Un somptueux îlot où j’ai soigneusement veillé à ne pas vivre, non par dédain des collègues, mais par refus du système de la « concession » qui nous coupait du monde malgache.

9Le ghetto était aussi linguistique, fait choquant dans un pays qui parle une seule et même langue : nos assistants, valorisés par leur position de médiateur interprète, ne nous poussaient guère à progresser dans la connaissance du malgache. Nous vivions dans un îlot francophone, les chercheurs étrangers étant fort rares. Bref, un isolat dans la périphérie du monde. Lire ? À y réfléchir, il est étonnant que nous l’ayons fait autant. Le livre, dans la bonne société tananarivienne, est quasi sacré, mais il est privé. Les bibliothèques publiques sont régulièrement pillées  [16] ; la bibliothèque universitaire de géographie était un monument d’ethnocentrisme ; les librairies n’offraient aucun intérêt. Mais les livres acquis lors des congés circulaient largement. L’absence de télévision, la nullité de la radio poussaient à la lecture, le soir... et les nouveaux venus transmettaient les enseignements qu’ils venaient de suivre. Qui le voulait pouvait s’initier à Louis ALTHUSSER ou à Samir AMIN.

10C’était le temps des lettres et des réponses après plus d’une semaine... si on se hâtait. Il fallait bien prendre (prudemment) des initiatives et fonctionner à la confiance. Les moyens de travail étaient lents, eux aussi : on tirait sur stencils et ozalid ; les outils les plus modernes, outre les précieuses Land Rover (non climatisées), étaient le matériel de levé de terrain et les magnétophones, indispensables aux sociologues, surtout les Uher, le fin du fin ! Les instruments de base restaient papier et crayon. On travaillait besogneusement, mais on réfléchissait en pratiquant le levé de terrain, le dépouillement des questionnaires, la prise de notes aux archives. Cette participation aux tâches matérielles, sans le combler, émoussait le fossé économique et culturel entre le monde malgache et nous, lui donnait un sens, faute de le justifier.

3 – Les paysans d’abord ?

11Les ruraux étaient largement majoritaires dans le pays et, formés à une géographie rurale, nous voyions en eux la base du développement. N’étaient la présence de la famille à Tananarive et l’inconfort des séjours au village, nous aurions volontiers pensé que notre domicile était « la brousse ». Ce pouvait être au détriment de la réflexion et, si les sociologues nous semblaient sédentaires et bien compliqués, nous leur paraissions boy scouts. Oui, nous croyions au développement sans savoir ce qu’il serait sinon l’axe de nos rêves. Chercher oui, mais quoi ? Et comment obtenir des réponses justes d’individus ou de groupes que nous jugions rebelles à la recherche, ce monopole du fanjakana, concept plus large que celui d’État, désignant toute autorité extérieure.

12Il n’y a pas de recette miracle : chacun va selon son tempérament ; mais une relative communauté de méthode faciliterait les comparaisons  [17]. Nous hésitions entre plusieurs approches. Observation du paysage, levé de terrain et mesures allaient de soi, mais leur interprétation était difficile. Interviews, réunions de groupes étaient bien confuses si on ne les encadrait pas par quelques connaissances précises. Nous avons eu une phase de questionnaire formel, dit « poids lourd », élaboré avec soin, dont les quelque quarante pages effrayaient enquêteur et enquêté. J’en vins à des procédures épurées, un nombre limité de données quantitatives, des entretiens laissant la parole à l’interlocuteur selon ses centres d’intérêt, peu d’écrit, beaucoup d’oral restitué le soir. Il fallait se faire peu visible, ce qui suppose un bon bagage d’expérience : on ne trouve que quand on a déjà trouvé ! Il fallait se couler dans le temps de vie des ruraux, sans pour autant prétendre être plus qu’un « étranger intime » qui peut partir dès le lendemain, que sait-on ?

13Il y avait dans notre démarche une (sur-) valorisation du paysan, dont nous dépendions presque totalement pour glaner de la connaissance. On peut parler d’une démarche populiste, au sens de l’école anglaise de John FORD (1971) et de Robert CHAMBERS (1983), auteurs que nous n’avions pas lus, qui venaient, eux, du « développement » et associaient savoir paysan et science européenne. Celle-ci nous restait largement étrangère, malgré la présence des sciences « dures » au centre ORSTOM. Je dois beaucoup à certains, notamment au pédologue Fernand BOURGEAT, mais l’absence de toute coordination des programmes limitait les relations. Nous ignorions plus encore l’appareil public. Notre méfiance spontanée était confortée par le prestige de notre aîné, le sociologue Gérard ALTHABE. Comment résister à sa présentation du fanjakana comme mime du pouvoir colonial ? Comment ne pas être séduit par son analyse du tromba, la possession, qui libérait dans l’imaginaire le collectif des paysans asservis ? Une communauté qui refusait le développement provoquait en nous le trouble (ALTHABE, 1969 ; RAISON-JOURDE, 2005). Nous pensions n’avoir rien à attendre de l’administration. Plusieurs, parmi les sociologues, ne se remirent de cette relation nihiliste qu’en changeant de terrain et de thèmes. « Objectivement », comme on le disait, la position d’ALTHABE rejoignait le souhait de la direction générale : écrivez le moinspossible. Un moindre goût du théorique préservait toutefois la géographie ; faute de pouvoir penser, on peut faire des cartes ! Mais nous manquions de clés pour analyser des communautés que nous devinions tout sauf égalitaires.

14Dans ce contexte tendu, les relations professionnelles restaient en circuit fermé. Nous n’avions quasi rien à attendre du département de géographie de l’Université de Madagascar. Nous ignorions la Mission d’aide et de coopération, dont nous ne dépendions pas. Le temps des grandes Conventions de recherche était passé ; la distance s’était accrue entre notre approche dite « fondamentale » et l’activité des sociétés d’études et d’aménagement (SCET, BDPA, CFDT, etc.  [18]), qui n’aimaient guère nous voir sur leur terrain. Par des hasards personnels, nous liions amitié avec des coopérants et des cadres malgaches des ministères, dont les moyens et l’influence ne cessaient de s’amenuiser ; la « brousse » favorisait les discussions en de longues soirées. On ignorait les contre-pouvoirs de la société civile : les ONG étaient totalement inconnues ; il n’y avait que des « bonnes œuvres ».

4 – Coopérer ou collaborer ? L’émergence de la recherche-développement

15Recherche « fondamentale » ou recherche « appliquée » ? Sujet constant de polémique et question mal posée : il n’est guère de recherche sans application ; ce qui varie c’est la position des recherches dans une chaîne d’investigations et d’actions et, plus ou moins corrélé, le laps de temps entre formulation et utilisation des résultats. Les améliorations les plus « concrètes » peuvent dépendre de recherches théoriques fines. Les vrais problèmes sont politiques et éthiques plus que scientifiques : est-il juste de « chercher » sur ce qu’on sait être une impasse ? Où devrait s’arrêter le chercheur dans la mise en application ? Quels cahiers des charges peut-on accepter ? Quels risques fait-on courir aux hommes et à l’écologie ? Sans doute avions-nous trop de scrupules : nous étions au temps où travailler avec des entreprises, comme avec l’armée, c’était pactiser avec le diable ! On verra nos états d’âme dans un article au style assez contourné paru dansMadagascar. Revue de géographie (RAISON, 1970). En fait, nous pactisions. Créée fin 1965, la Section consacrait en 1968 les deux tiers de ses moyens à une recherche appliquée ou applicable, mais dans des conditions bien spécifiées : une recherche de base répondant à des questions de praticiens, fournissant aux ministères des aides à la décision, valorisant des investigations plus fondamentales, conduites par l’ORSTOM. On pourrait ajouter des recherches mal payées, l’Office n’ayant pas vocation commerciale !

16Informellement, se constituait ainsi un corps d’idées communes. Les agronomes étaient séduits par les études de terroir, bases de données précises sur les surfaces cultivées, les rendements, la démographie. Des sortes de fenêtres d’où l’on pouvait suivre les évolutions à une échelle plus pertinente que la parcelle ou l’exploitation. À plus petite échelle, ils s’intéressaient, comme les géographes, aux « pays », cadres possibles d’action, car espaces vécus associant des terroirs à la foissimilaires et solidaires. Les géographes acquéraient des connaissances agronomiques de base, nuançant leurs vues trop théoriques ; ils doivent aussi à leurs collègues une rigueur de vocabulaire (notamment pour les échelles systémiques) qui manquait cruellement. Chemin faisant, naissait la nébuleuse de la recherche-développement.

17Les querelles d’école rendent une définition difficile. Pour moi relèvent de ce courant tous ceux qui ont pour maxime « les paysans ne sont pas des imbéciles ». Ils ont des savoirs, des stratégies de valorisation de la terre et du travail. Il convient d’en tenir compte et de substituer à la hiérarchie verticale recherche- « développement »-paysans  [19] un dispositif multipolaire, où chacun apporte à la recherche fondamentale ses données et ses besoins pour agir sur les systèmes préalablement analysés. Témoin de cette évolution, le sort de l’arbre Faidherbia albida : coupé systématiquement sur les parcelles d’essai de la station de Bambey (Sénégal) au cours des années 1950, car considéré comme gênant pour l’agriculture « moderne », il faisait l’objet en 1996 d’un ouvrage collectif du CIRAD-Forêts  [20] et était présenté comme un arbre d’une très grande utilité, fourrager et fertilisant (CIRAD, 1996 ; PÉLISSIER, 1966). Autre bel exemple de cette dynamique que le Colloque de Ouagadougou en 1978. S’y retrouvaient des agronomes de toutes générations (et les plus âgés n’étaient pas les moins percutants ! ), des géographes, et à un moindre degré des économistes et des anthropologues, confrontant leurs connaissances et leurs perspectives de recherche sur le thème des relations entre logiques paysannes et rationalité technique (ORSTOM, 1979). J’ai assez critiqué l’inflation de colloques redondants pour ne pas dire combien une rencontre bien pensée, venant à son heure, bien « fréquentée » et dans un cadre idoine peut jouer un rôle important. Pour moi, « Ouaga » fut un grand moment tant par les conversations dans les gargotes que par les plus solennelles séances plénières. On constatait le changement, rapide, entre partenaires, sans complexes : plus qu’on ne le préparait, on l’accompagnait. Les sécheresses sahéliennes n’étaient pas seulement vues comme des malédictions ou des crimes du néo-colonialisme : elles révélaient sous une forme extrême crises et mutations, elles faisaient apparaître la pertinence, dans le contexte, de nombre de techniques africaines. Le « terroir », intégré dans des champs thématiques, s’effaçait quelque peu, au profit d’autres échelles et de problématiques plus « pratiques » : aucune communication n’était dédiée à cette échelle, alors que l’on ne parlait que de cela cinq ans auparavant !

II – L’UNIVERS DES ILLUSIONS

1 – Ascèse de l’écrit et tentation du politique

18Cette mutation discrète, je ne l’ai d’abord suivie que d’assez loin. De retour en France, fin 1973, j’avais une fonction à l’ORSTOM (la correction de manuscrits),un point de chute scientifique à l’EHESS, mais guère d’attaches profondes. Je n’avais nulle envie de me rendre à l’ORSTOM-Bondy, que boudaient les sciences sociales. J’avais un bureau à l’EHESS, boulevard Raspail, à l’écart des autres géographes, logés en haut du boulevard Saint Michel. Les couloirs sombres de Raspail semblaient plus propices aux intrigues qu’à la convivialité. Le Centre d’études africaines juxtaposait deux disciplines qui ne se fréquentaient guère. Un géographe, au demeurant, était un animal rare et rustique. Il fallait jouir d’une brillante renommée pour attirer mieux qu’une poignée d’étudiants marginaux. J’ai eu plaisir et profit évidemment à rencontrer Jacques LE GOFF, Jean-Pierre VERNANT, Alain TOURAINE ou Pierre VIDAL-NAQUET, à retrouver en séminaire mes contemporains, Maurice GODELIER, Marc AUGÉ, Jean-Pierre CHRÉTIEN ou Nathan WACHTEL, mais cela n’a jamais débouché sur des projets communs.

19Il est vrai que j’avais fait des choix qui m’isolaient. Je les croyais complémentaires ; ils étaient contradictoires. Le premier était de rédiger ma thèse d’État, pour restituer les acquis d’une « expatriation » de huit ans, mais aussi pour assurer mon indépendance par un poste statutaire (j’étais seulement détaché de l’enseignement secondaire). Assurant ainsi mes arrières, je pourrais, l’esprit libre, traduire mon expérience dans le champ politique. Mais l’EHESS se souciait peu des thèses académiques et l’ORSTOM guère plus. Je compris vite qu’une sécurité professionnelle n’était pas un grand atout en politique : il y faut « avoir faim » pour faire carrière. Ce n’était pas mon genre. Pourtant, sans l’avoir cherché, je me suis retrouvé « responsable pour l’Afrique » au Secrétariat international du PS que détint pendant sept ans Lionel JOSPIN : il se trouve que (tournure malgache...) il avait apprécié un placet sur la situation politique malgache au lendemain de la « révolte étudiante » de 1972. Les fonctions d’expert ralentissaient ma thèse, qui fut écrite au cours d’une série de mois d’août où, cloîtré chez moi, je me forçais à rédiger quinze pages dactylographiées quotidiennes : un rythme qui me convenait assez, fait de longue rumination et d’écriture rapide. Il fallut six ans pour en finir... avant la campagne présidentielle de 1981 et l’élaboration d’un texte collectif du PS sur l’Afrique qui fit grand bruit mais finit en pétard mouillé. MITTERRAND « l’Africain » était resté le ministre des Colonies qu’il avait été... La présidence nous donna un os à ronger : un groupe de discussion et d’analyse qui n’aboutissait à rien sinon à de sympathiques réunions entre collègues, rue de l’Élysée, sous la houlette de Guy PENNE.

20Cette expérience n’a pas changé le cours de l’Histoire mais elle a orienté ma pratique. Je ne suis pas devenu grand tacticien, mais j’ai fortement amélioré ma capacité à transcrire la connaissance géographique et géopolitique en un langage que puissent partager des politiques ou des militaires. Je savais dorénavant l’importance de la définition stricte d’un objet et des façons non académiques de l’investir. Mais où appliquer ce savoir-faire ? Je ne me ruais pas à la chasse aux fauteuils et observais, mi amusé mi accablé, l’agitation des grenouilleurs de tout bord dans la Françafrique en reconversion.

2 – La « Coopération » comme société traditionnelle

21On finit par me faire comprendre qu’on s’étonnait de mon absence au ministère de la Coopération, et je n’hésitai guère. Non par souci de carrière, mais pourfaire, comme les administrateurs civils, mon stage « extérieur », apporter mes connaissances et m’instruire sur un univers dont j’ignorais le fonctionnement  [21]. Il me semblait aussi que je ferais du meilleur ouvrage dans les « services » qu’au sein du cabinet. Bref, au lendemain de Toussaint 1981, j’étais sous-directeur à la recherche au ministère délégué à la Coopération et au Développement ; une toute petite sous-direction qui, pendant l’été, avait été privée par Jean-Pierre CHEVÈNEMENT de sa tâche essentielle, l’instruction technique des budgets des instituts spécialisés dans la recherche pour le développement : GERDAT  [22], ORSTOM, Instituts Pasteur d’outre-mer. Mais le mal-être était plus global. Apôtre du changement, Jean-Pierre COT, brillant plus que travailleur, était mal vu du Président et suivait peu les dossiers. Les nouveaux étaient peu formés aux choses de l’administration et divisés sur les réformes ; la base craignait de pâtir de la fâcheuse réputation du ministère. Comme dans toute administration, il y avait dans les divers camps des bons et des moins bons et j’ai appris à respecter un personnel souvent mal payé et de statut précaire, aux prises avec les récriminations de « clients » d’autant plus arrogants qu’ils étaient médiocres.

22« Seigneur, préserve-moi de mes amis ; mes ennemis je m’en charge ! » Cabinet et bureaux comptaient leur lot d’exaltés qui élaboraient structures et projets fumeux ; de nouveaux candidats aux chefferies locales et aux abonnements financiers se présentaient au guichet. Remettre de l’ordre s’imposait, mais on voulait, bien sûr, « réformer », manie française. Ici, à vrai dire, il y avait à réformer : ce n’était pas un débat futile, à condition de ne pas le cantonner à des problèmes de structure et d’appareil. La Coopération voulait être un ministère de tout le Tiers Monde, tandis que le Quai d’Orsay  [23] voulait y garder des tâches de coopération en matière de recherche et de culture. « Où fixer la limite ? » était le problème central pour tous les egos. La faille passa au milieu de la Recherche : à la rue Monsieur les projets « dont la finalité principale est le développement », aux Affaires étrangères le reste. Belles paroles, mais... je puis faire un grand discours sur le caractère fondamental de la philologie du bambara pour le développement ! Ç’aurait été une guerre de tranchées si mon homologue et moi n’avions été amicalement complices : ce fut un front tranquille, le seul problème étant la disparité de modes de gestion entre les deux ministères et notre ignorance de « l’étranger traditionnel » !

23Mais neutraliser un problème n’est pas le résoudre. Et il n’y avait pour le faire ni volonté politique, ni moyens, ni, pour tout dire, savoir-faire. Tout ministère, ou presque, avait ses actions de coopération et développement ; les grands problèmes économiques relevaient des Finances. La rue Monsieur n’avait pas de plan de rechange et, au fond, pas de perspectives internationales : je savais mon ignorance des mécanismes européens et des grands organismes internationaux ; je vis que je n’étais pas le seul. De ce point de vue, nos organismes de recherche avaient quelque avance sur nous, mais mesuraient mal le coût financier et politique d’un changement de cap. Il y eut plus une évolution de style qu’un changement de fond ; des « coups » réussis mais souvent sans lendemain. Pourl’essentiel, on retourna donc au pré carré, à la conservation du patrimoine. Là même, une analyse lucide s’ordonne autour du concept d’illusion.

3 – Le champ des illusions

24Première illusion : le pouvoir des administrations. Il est faible et ce n’est pas le ministre, son cabinet, les supérieurs hiérarchiques qui le limitent le plus. Le vrai pouvoir est au ministère du Budget qui, à partir d’orientations générales, régule à sa façon les dépenses dans l’année. Il faut un ministre énergique (et proche du Président), invoquant des nécessités politiques majeures, pour secouer sa lenteur calculée. La première force est bien la force d’inertie. Il ne faut pas une journée pour, ce qui m’effrayait tant, établir un budget de sous-direction : personnel et fonctionnement absorbent mécaniquement les crédits ; quelques sous demeurent au fond de la corbeille pour tenter de petits « coups ». Reste le Fonds d’aide et de coopération, maintenant le Fonds de solidarité prioritaire, avec l’avantage que présente la pluri-annualité. L’autorité n’est pas plus grande sur les organismes d’État. J’ai été « commissaire du gouvernement » auprès de maints d’entre eux : titre ronflant et illusoire. On peut tout juste formuler des remarques, et dans les cas graves exercer un veto suspensif. En ce dernier cas, les symboles d’autorité, à condition de n’en point abuser, deviennent des formes d’autorité, mais, couramment, le contrôle a posteriori ne sert à rien.

25Deuxième illusion : la maîtrise du temps ; l’administration gagnerait à l’usure... J’ai été au contraire effaré de son manque absolu de mémoire : archives en désordre, documents perdus, passés à la corbeille, emportés par des agents mutés ; rapports de mission manquants, souvent non rédigés. L’informatisation ne change pas grand-chose et conduit même à une rigidité proche de la paralysie (se plier aux formats, aux plans tout faits...). D’où l’importance des anciens, mémoires vivantes tels les griots africains... Comment alors éviter le conservatisme, la référence au passé ? Comme en malgache, l’avenir se dit « derrière soi ». À la fois cause et conséquence de la constitution des chefferies locales, les contacts, les carnets d’adresses sont minces. Les pauvres, en crédits ou en temps, ne se voient pas ; la richesse est relationnelle dans nos ministères comme en Afrique. S’en tirent bien ceux qui ont des correspondants – j’allais dire des « logeurs » ! – dans d’autres directions ou ministères, qui savent rendre des services et en obtenir, dans une balance très calculée où la dette ne doit jamais être éteinte, pour que le jeu continue. Ici le modèle n’est pas l’Afrique, c’est la « bureaucratie céleste » !

4 – Comment prendre du recul ?

26La réforme des instituts de recherche pour le développement, le GERDAT et l’ORSTOM, était une des tâches majeures assignées aux ministères de la Recherche et de la Coopération. Elle nous occupa beaucoup, dans un climat de bonne entente, et c’est en ce domaine que nous avons laissé la trace la plus visible.

27J’abordais les problèmes de l’ORSTOM avec un relatif optimisme : j’avais une connaissance plus qu’honorable de l’institution, quittée seulement trois ansavant. J’y comptais de nombreux amis. Certes, le climat n’était pas bon : la fin du proconsulat de Guy CAMUS, directeur général, avait été pénible. Le poids « néo-colonialiste » de l’institution était de moins en moins supporté en Afrique et la réorientation vers d’autres terrains était difficile. Mais l’Office, qu’on disait moribond au début des années 1960, avait une solide carcasse.

28On devinait les problèmes majeurs : difficulté de concilier organisation par disciplines classiques et travail inter-disciplinaire et, fortement corrélée, crise des relations entre chercheurs et dirigeants scientifiques, pour une large part universitaires. Une querelle de pouvoir, un besoin de « tuer le père ». Il y faudrait un psychanalyste, pensais-je... Mais je ne désespérais pas. Grossière illusion : je crois bien qu’aucune de mes propositions n’a été retenue, et c’est logique. Ancien de la maison, j’étais particulièrement mal placé. Peut-être manquais-je de recul et de patience, mais il n’est de pire querelle qu’une querelle entre amis ; chacun se croit trahi par l’autre, peu admettent que nous jouons des rôles et qu’il faut laisser l’amitié au vestiaire. Que n’ai-je retenu pour moi-même ce que je dis à mes doctorants : on ne fait pas de recherche dans son village ! Enseignement sans frais : l’échec était programmé. Un lobbying bien conduit avait circonvenu nos deux ministres de tutelle, COT et CHEVÈNEMENT et, ceux-ci partis, la force d’inertie joua pleinement.

29J’étais pourtant bien plus inquiet pour la deuxième tâche : la transformation du GERDAT en CIRAD, c’est-à-dire un grand institut public d’agronomie, à partir d’un agglomérat de huit instituts créés pendant ou juste après la guerre, spécialisés par plantes  [24] et dont les statuts allaient de la « société d’État » à l’association selon la loi de 1901, cas le plus fréquent  [25]. Chacun avait une histoire, une « culture d’entreprise ». L’Institut de recherche du caoutchouc (IRCA), création des planteurs d’Indochine, somnolait sous des lambris exotiques, alors que l’Institut de recherche sur les huiles et les oléagineux (IRHO) déployait une activité très orientée vers le marché et les pays émergents d’Asie. L’Institut de recherche sur le café et le cacao (IRCC) reproduisait l’univers de la plantation en Côte d’Ivoire ou au Gabon, tandis que l’Institut de recherche du coton et des fibres exotiques (IRCT) était devenu le héraut du paysannat, pratiquant la culture attelée, l’association agriculture-élevage, et faisait progresser la culture vivrière marchande du maïs en succession avec le coton qui garantissait le crédit. De leur coté, le Centre technique forestier tropical (CTFT) et l’Institut d’études médicales et vétérinaires des pays tropicaux (l’IEMVPT) restaient fidèles à leur passé de corps coloniaux, relais de l’administration. Comment donner une cohérence à un ensemble que le GERDAT ne liait que par la répartition des crédits publics et la création de quelques services communs ?

30Si cet objectif a été, en gros, atteint, le mérite en revient avant tout aux équipes de direction et au ministère de la Recherche. Les responsabilités de la Coopération étaient de plus modeste apparence : faire passer la réforme dans l’esprit des chercheurs, du laboratoire au terrain, s’assurer que les fonctions de coopération étaient poursuivies et... faire admettre le changement à nos partenaires étrangers ! Bref, créer un climat favorable. N’étant pas agronome, je m’effrayais de mon incompétence. N’ayant guère fréquenté le sérail, je manquais d’un réseau de relations : je ne connaissais bien que les équipes spécialisées en recherche-développement, peu nombreuses et considérées avec suspicion tant par les « développeurs » classiques que par les agronomes de station. Je connaissais plus mal encore les partenaires africains qui m’occupèrent un bon peu : il fallait gagner du temps pour qu’ils jugent les effets positifs des réformes. D’autres illusions s’effacèrent. Il n’y a pas de « chers amis » ; les discussions avec les Ivoiriens furent particulièrement rudes. Il n’y a pas de partenaires ingénus : ils nous connaissent bien mieux que nous ne les connaissons...

31D’où vient que cela ne s’est pas trop mal passé ? Pas totalement ignorant des sciences agronomiques (ce qui surprenait certains), j’avais assez de recul pour établir un dialogue, assez de culture pour poser des questions et comprendre des réponses. On m’en savait gré. Plus surprenant : ces instituts tournés vers l’application attachaient une grande importance à la pratique de l’enseignement, jugée essentielle dans le parcours scientifique de leur personnel : nous nous retrouvions là-dessus. Quel contraste avec l’ORSTOM, où trop de chercheurs disaient, sans s’en inquiéter, être incapables d’enseigner et se refusaient à le faire  [26] !

32On ne réforme pas par plaisir : il fallait généraliser une autre approche du monde rural  [27]. Quelques objectifs majeurs s’imposaient, tirés des expériences antérieures des géographes comme des agronomes. Le développement agricole devait se fonder sur les dynamismes ruraux, réponses à la dégradation écologique et économique, en fonction des besoins réels des populations et non sur la rationalité technique du « Nord », mieux assuré contre le risque. L’Afrique ignorait ces garanties ; ses objectifs étaient la sécurité de base, alimentaire comme sanitaire. Il fallait donc :

33

  • Minimiser les risques ; rechercher non le plus productif mais le plus sûr à un niveau raisonnable de production.
  • Donner aux paysans les moyens d’une maîtrise des techniques, mais aussi d’une maîtrise économique, par l’économie des moyens de production, et d’une maîtrise sociale.
  • Viser au meilleur usage des facteurs de production : souvent admirables, les systèmes de production africains ne brillent pas, hors de l’extensif, par la valorisation d’une force de travail plus rare qu’on ne pense.

34J’ai exposé à Niamey, lors d’une réunion franco-africaine de responsables agricoles (RAISON, 1984), ces principes simples que j’ai enseignés ensuite en cours de licence à Nanterre et que je dois pour l’essentiel à P. PÉLISSIER. J’ai eu le sentiment d’être entendu. Suivi ?

35« Agronomes et géographes » fut le thème pluriannuel d’un excellent sémi-naire de l’EHESS  [28]. Dans ces années 1980, tendaient à s’effacer quelques querelles de la décennie précédente : le succès des « projets » cotonniers montrait l’inanité de l’opposition frontale cultures commerciales/cultures vivrières ; la croissance urbaine créait un champ d’expansion pour le « vivrier marchand », analysé en Côte d’Ivoire par J.-L. CHALÉARD (1996). Selon des stratégies conçues par eux, les paysans intégraient des éléments de « progrès »... ou plutôt on l’admettait enfin. Et, quelques années plus tard, la « gestion des terroirs » par les communautés rurales était expérimentée par la Banque mondiale ; des géographes comme A. TEYSSIER et B. TALLET étaient parmi les chevilles ouvrières.

36Illusions et désillusions : ce que j’aurais aimé promouvoir fut vite remis en cause tant par les chercheurs que par les pouvoirs. J’aurais voulu regrouper des forces limitées et dispersées entre le CIRAD, l’ORSTOM, l’INRA-SAD [29], le GRET  [30], les INA, le CEMAGREF... et j’en passe  [31] ; mais cela relevait du politique, peu attentif. On se serait de toute façon heurté à des chapelles peu portées à l’entente. J’arrive à comprendre l’agronomie, pas toujours les agronomes, et je m’étonne de certaines violentes empoignades. Tout regroupement, qui aurait valorisé le potentiel et favorisé l’intégration de chercheurs en sciences sociales, m’est vite apparu au-dessus de mes forces.

37D’autant que les approches recherche-développement et gestion des terroirs sont toujours menacées de dérive. Je passe sur ceux qui voient dans le recours aux techniques paysannes une position de laisser-faire sur ce qui n’est pas un marché porteur. Mais les vrais croyants courent des risques plus grands. L’un d’entre eux est la foi obstinée dans la justesse de leurs vues : la générosité garantirait la capacité. C’est la « canonisation » des paysans. On a tort de faire fond aveuglément sur leurs savoirs, alors qu’ils buttent vite sur la baisse de la rémunération du travail. Il faut rechercher cas par cas leur combinaison avec le fruit de recherches complexes. Concevoir une recherche sophistiquée et prenant les faits très en amont, à partir d’une analyse des systèmes ruraux, suppose une grande finesse. Les risques sont enfin politiques : reconnaître les capacités des paysans, c’est saper l’autorité de l’État, mettre en cause son monopole de la science légitime. D’où les politiques contradictoires de la Banque mondiale, finançant à la fois la gestion des terroirs et l’encadrement par la méthode BENOR, autant dire le retour au paysan pilote de l’époque coloniale.

38N’était-il pas trop tard, de toute façon ? Existait-il encore des terroirs, tels que nous les avions appréhendés dans les années 1960 ? Les « communautés » paysannes, déjà loin d’être édéniques alors, n’avaient-elles pas éclaté ? Les inégalités foncières ne s’étaient-elles pas dramatiquement accrues ? Nous nous moquions des tenants du libéralisme qui voulaient remettre les responsabilités de gestion àune « profession agricole » dont elle avait tout fait pour empêcher l’émergence, mais une « profession » peut en cacher une autre. Ce n’est pas celle des petits paysans, mais un complexe de notables nouveaux ou anciens, cadres de projets « déflatés », fonctionnaires retraités, commerçants, tous ceux qui ont « un pied dedans un pied dehors » (CHALÉARD et DUBRESSON, 1989), qui font le pont entre villes et campagnes, profitant de l’expansion du marché urbain et de leurs relations citadines pour accéder au crédit, lier commerce et production. L’Afrique rurale changeait plus vite que nos idées sur elle. Elle se diversifiait, jouant des rentes de situation, des inter-relations à des échelles multipliées, du petit pays au grand ensemble régional : les géographes en prenaient conscience, mais plus vite encore leurs collègues agronomes, tôt attirés par les modèles spatiaux et les stratégies d’acteurs.

39Il y avait du grain à moudre, car le temps était venu du retour au bercail universitaire, après trois ans de bureau et de charges politico-administratives. Je ne partais pas sur un constat d’échec : je m’étais beaucoup instruit et j’avais donné ce que je pouvais en échange. Prolonger aurait accéléré l’érosion de mes capacités scientifiques. Somme toute, « je ne regrette rien », sinon de bons camarades !

III – GÉOGRAPHIE ET PRATIQUE : UN COUPLE A PROBLÈMES ?

40Je regagnais le monde universitaire quand se dessinait une rénovation des formations doctorales, préparant au diplôme d’études approfondies (DEA) et à la thèse. J’avais appartenu à une formation ( « Études africaines » ce me semble...) sans trop m’en apercevoir : un guichet pour les crédits et allocations, un cadre administratif sans orientation claire. Cette fois, on exigeait un projet scientifique et pédagogique, un cursus, une équipe. Les règles étaient assez souples pour permettre des regroupements ayant un sens. Pour une fois, le projet avait le pas sur les structures : avec P. PÉLISSIER, G. SAUTTER, M. COQUERY, nous nous mîmes vite d’accord sur le nôtre. Depuis 1981, maints géographes avaient eu l’occasion d’aller vers une recherche étroitement articulée sur la pratique, notamment en participant à des équipes d’évaluation de projets, de programmation de la recherche, d’expertise de dossiers. Ils avaient vu que leur savoir était utile et se valorisait s’ils comprenaient (redressaient au besoin) les questions posées, se libéraient de leurs propres tics langagiers. Ils avaient élargi leurs relations personnelles. On pouvait concevoir une formation qui soit un lieu de rencontre entre science géographique et pratique agricole ou urbaine pour un enrichissement mutuel  [32]. Allant un cran plus loin, le chercheur ne pouvait-il participer au montage, voire à l’exécution, d’opérations ? Un objectif symétrique était d’aider les praticiens à valoriser scientifiquement leur expérience jusqu’au niveau du doctorat  [33]. On espérait favoriser ainsi l’accès des géographes à de nouveaux emplois hors de larecherche fondamentale et de l’enseignement supérieur, et permettre aux « développeurs » d’améliorer leur statut.

41Cela supposait une équipe renforcée, en matière de techniques et de pratiques, et élargie à des terrains nouveaux, hors de la sempiternelle Afrique francophone ; il fallait donc grossir le groupe par des rattachements individuels, obtenus avec une étonnante facilité. Cet édifice délicat, de plus en plus menacé par les règlements ministériels, a pourtant tenu une bonne vingtaine d’années : les liens institutionnels furent instables  [34], la continuité reposa sur les affinités intellectuelles et personnelles. Une faiblesse notable, compte tenu de nos objectifs, était l’absence des « professionnels », éloignés de Paris et travaillant selon des rythmes très différents. L’arrivée de l’INAPG, extrêmement bien venue dans notre logique, ne doit pas faire illusion : nos collègues sont des enseignants-chercheurs et non des praticiens au sens courant. De surcroît, nous n’avions pas la pareille pour l’univers urbain. Les étudiants ont acquis une bonne « connaissance des institutions de développement »  [35], et si le CIRAD a participé couramment à des sémi-naires jusqu’à en assumer un totalement certaines années, la grande majorité des enseignements donnait une analyse des actions de développement plus qu’une formation à leur exercice. Un stage ne résolvait pas la question. Pour des raisons de calendrier, il était en général irréalisable. Pour nous, le mémoire était un exercice d’approfondissement intellectuel de l’expérience concrète faite en maîtrise. Voilà qui décevait les plus assoiffés de terrain !

42C’est donc à la fin du DEA qu’on retrouvait les contraintes matérielles. Les indispensables moyens ont toujours été l’objet d’une difficile quête, même avec les meilleurs partenaires, comme le CIRAD. La variété des contraintes de calendrier, des rythmes, entre Université et Recherche rendent une programmation dérisoire ; les appels d’offres apportent de l’argent mais comment trouver le doctorant idoine ? Les meilleurs étudiants, souvent des passionnés, rechignent à des thèmes et terrains qu’ils n’ont pas choisis. Nous avons eu d’autres bailleurs, mais rarement le CNRS ou l’ORSTOM-IRD. Nous avons appris à connaître de nouveaux partenaires comme les Instituts dépendant des Affaires étrangères, les Conseils régionaux, la Défense, l’Agence française de développement (AFD). Mais le problème de la subsistance quotidienne des doctorants paraît quasi insoluble, vu le petit nombre d’allocations de recherche.

43Une de nos grandes désillusions a été la relation avec les ONG. Qu’elles privilégient les « locaux » est normal. On peut plus ou moins s’accommoder d’interlocuteurs qui, ignorant tout de la géographie, ont des exigences infondées. Mais, plus grave, beaucoup d’ONG se méfient de la science : les bonnes intentions priment pour elles. Les amadouer est plus difficile qu’il ne l’était jadis de se concilier une société d’aménagement. D’autant que tout n’est pas clair dans cette jungle d’organismes de toutes tailles et toutes origines, dont selon la tendance, bon nombre semblent plus soucieux des lémuriens que des Malgaches.

44Rien que de très banal, dira-t-on. Oui, mais le problème est plus grave quand on veut articuler théorie et pratique. Ni dans le recrutement ni dans la productionscientifique les objectifs initiaux ne paraissent atteints. Le recrutement est classique : un quart d’agrégés et d’étudiants d’Agro, un gros tiers d’étrangers, le reste étant formé de Français titulaires de la maîtrise. C’est seulement au CIRAD, dans l’étude des systèmes agraires et de l’organisation de l’espace que l’apport de la Formation s’est fait visiblement sentir, avec deux ou trois chercheurs particulièrement actifs. La « professionnalisation » hors emplois classiques est faible, comme la promotion des « praticiens ». Les barrières n’ont pas sauté. Une seule originalité s’affirme : la sortie du « pré carré » puisque 42 % des thèses ont été réalisées hors de l’Afrique noire francophone. Les motifs de cette petite révolution sont nombreux (composition de l’encadrement, effet d’entraînement du CIRAD et de l’Agro, ouverture de l’Afrique du Sud). Dans une vue optimiste, on peut penser que « à terrains nouveaux approches renouvelées ». Il est plus facile de faire du neuf hors de pays où l’ancienneté et l’importance de la présence française ont cristallisé les situations. Le changement s’opère-t-il parmi ceux qui ne font pas de thèse (la majorité des diplômés), qui créent une ONG ou travaillent sous contrat ? Si débouchés nouveaux il y a, nous n’en savons pas grand-chose et c’est mauvais signe ! Une enquête plus approfondie sur le devenir professionnel, une analyse des thèses, rendraient un son plus optimiste ; elles ne retourneraient pas la tendance. Les résultats ne sont pas à la hauteur des intentions, des talents, du travail, de la longévité. « Géographie et pratique » serait-il rentré dans le rang ? N’est-il, ce dont on n’a pas envie de se contenter, qu’un DEA de haut niveau ?

45On ne s’attardera guère à des évidences : le manque de personnel administratif et technique en est une. Les enseignants-chercheurs ont dû assurer des tâches d’administration au détriment de tâches relationnelles. Si rigoureuse que soit la programmation, si touffu que soit l’appareil des « réseaux » et des sites Internet, un grand nombre des opérations les plus réussies relèvent du « relationnel profond », des amitiés, de la confiance et du hasard. Un capital qu’il faut entretenir et renouveler : peut-on en prendre le temps ? Or, dans le cadre nouveau des mastères, en phase de stagnation (voire pire) de l’emploi public dans l’enseignement-recherche, on voit, en masse, les étudiants choisir les mastères « professionnalisants » au détriment des mastères recherche. C’est un peu ce que nous imaginions en nous plaçant à l’interface DEA-DESS, mais l’époque est aux affichages vigoureux même s’ils sont illusoires. Elle rejette la situation d’entre-deux, de médiation, qui était la nôtre. Et, sur le fond, celle-ci mérite qu’on la discute sur plusieurs points que je ne puis qu’évoquer.

46

  • Peut-on combiner recherche et pratique ? Être en quelque sorte juge et partie ? Les cellules de suivi de projets prennent la température de ceux-ci et ne font pas de recherche ; elles sont aux chercheurs ce que les « sondeurs » sont aux politistes. A fortiori, le problème se pose pour les responsables de projets.
  • Comment réaliser un équilibre entre intervenants ? Si la combinaison de géographie et pratique aboutit à faire de bons géographes avec de bons agronomes et, plus rarement, le contraire, on homogénéise par le haut, et l’on diminue le besoin de collaboration, qui s’exercerait entre chercheurs trop semblables. Il ne faut pas s’étonner de voir les agronomes praticiens se tourner parfois vers les géographes théoriciens, « modélisateurs », éloignés des réalités de terrain. Un peu naïvement ils pensent en tirer du nouveau.
  • La position de passeur entre deux mondes, voire de ménage à trois (comme dans la recherche-développement), que nous avons souhaité occuper, est-elletenable sans une solide expérience, sans l’usage éclairé de la comparaison entre terrains ?

47Je n’ai pas de réponse à ces questions, ou ma réponse est totalement empirique : « lisez de bons ouvrages ». Dans les thèses d’André TEYSSIER (1994) ou d’Audrey FROMAGEOT (2004) (géographes)  [36], comme dans l’Habilitation à diriger des recherches d’Hubert COCHET (2001) (agronome), « il se passe quelque chose » : un travail parfaitement géographique ou parfaitement agronomique peut être aussi lu avec les grilles de la discipline voisine, et en tire une considérable force opérationnelle. Piètre réponse, dira-t-on, que de proclamer : « la preuve du mouvement c’est la marche ! ». J’avoue ne pas en avoir d’autre pour l’heure et me réjouir de tels achèvements.

Notes

  • [*]
    Géographe, Laboratoire Gecko (ex Géotropiques), Université de Paris X-Nanterre.
  • [1]
    - L’ORSTOM est devenu par la suite l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
  • [2]
    - Souvent appelée « loi Defferre » (1956) ; elle accordait un certain degré d’autonomie aux colonies et elle est souvent considérée comme le point de départ du processus de décolonisation.
  • [3]
    - La classe préparatoire à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, à Paris.
  • [4]
    -J’ai symboliquement été introduit auprès de lui par un ami géographe africain, Alfred MONDJANNAGNI.
  • [5]
    - Cette section est devenue l’EHESS.
  • [6]
    - C’est un homme d’expérience qui écrit (il est né en 1897). Il meurt assez jeune, en 1966, après avoir publié à rythme accéléré. Voir notamment LEBRET (1961 ; 1963) et LEBRET, PIETTRE et SAUVY (1956 ; 1958).
  • [7]
    - Les mécanismes du sous-développement, 1966, en étaient déjà à leur neuvième édition en 1973.
  • [8]
    - Pierre GEORGE fut membre du Parti communiste français jusque, je crois, la fin des années 1960, pour s’en démarquer ensuite fortement.
  • [9]
    - M. PHLIPPONNEAU fut un des pionniers du socialisme en Bretagne.
  • [10]
    - Section française de l’Internationale ouvrière.
  • [11]
    - L’ancêtre de la maîtrise.
  • [12]
    - Je dois pourtant beaucoup à mes premières expériences de terrain, en Boulonnais, dans le Nord de la France, où j’ai tenté, sans aucun encadrement scientifique, de réaliser des monographies d’exploitations et de lier analyse des paysages et histoire agricole et agraire.
  • [13]
    - Marc AUGÉ, agrégé de lettres classiques, faisait de même en sociologie... tout en préparant sa licence !
  • [14]
    - Par contre, les femmes étaient pratiquement exclues par une direction misogyne !
  • [15]
    - H. LAVONDÈS en anthropologie, P. OTTINO en économie, J-P. TROUCHAUD en géographie. Pour une description vivante et pertinente de leurs pratiques, on lira avec intérêt : OTTINO (2003).
  • [16]
    - Encore avions-nous l’insigne privilège de disposer seuls du « Fonds Grandidier », remarquable bibliothèque de livres anciens. Je fus au début parmi les rares à en user : l’histoire n’avait pas alors les faveurs des « développementistes ».
  • [17]
    - C’était un des principes de base de l’Atlas des structures agraires au sud du Sahara initié par P. PÉLISSIER et G. SAUTTER (1970).
  • [18]
    - Société centrale pour l’aménagement du territoire ; Bureau pour le développement de la production agricole ; Compagnie française pour le développement des fibres textiles.
  • [19]
    - Une hiérarchie discutable d’ailleurs : le « développement », i.e. plus ou moins le politique, commande souvent la recherche !
  • [20]
    - L’équipe Forêts du Centre international de recherche agronomique pour le développement.
  • [21]
    - Je n’avais jamais mis les pieds « rue Monsieur » avant mai 1981 !
  • [22]
    - Groupement d’études et de recherches pour le développement de l’agronomie tropicale, l’ancêtre du CIRAD. On y reviendra plus loin.
  • [23]
    - Le ministère des Affaires étrangères.
  • [24]
    - Les plus anciens remontaient à 1942 (dédiés au caoutchouc, aux fruits et agrumes, aux huiles et oléagineux). Symptomatiquement, le plus jeune, créé en 1960, était celui qui se consacrait aux cultures vivrières, l’Institut de recherche en agronomie tropicale (IRAT).
  • [25]
    - Ces Instituts étaient donc à but non lucratif... en principe, mais leur budget public ne couvrait pas les dépenses. En fait, par l’intermédiaire de sociétés de droit privé, certains d’entre eux faisaient de la production en plantations, notamment l’IRHO en Indonésie. Bel exemple d’impuissance de l’administration : on n’a jamais pu dresser la moindre liste de ces biens, a fortiori les récupérer !
  • [26]
    - Il y a eu de très brillantes exceptions : J. BONNEMAISON à Paris 4, M. BIED-CHARRETON à Saint Quentin en Yvelines, pour ne parler que des géographes.
  • [27]
    - Recherches et projets urbains relevaient de facto d’autres institutions.
  • [28]
    - Conduit par Chantal BLANC-PAMARD, Jean BOUTRAIS et André LERICOLLAIS.
  • [29]
    - Systèmes agraires et développement : département voué à l’étude des systèmes agraires, débouchant sur des propositions de développement dans le « rural profond » de la France. Nombre de ses membres consacrent une part de leur temps à des projets dans le Tiers Monde.
  • [30]
    - Groupe d’échanges et de recherches technologiques, une « ONG » de dimensions modestes mais fort bien introduite politiquement, travaillant sur un champ très large, de l’information scientifique au développement urbain.
  • [31]
    - Ainsi le CIHEAM, le CNEARC...
  • [32]
    - D’où l’intitulé « Géographie et pratique du développement dans le Tiers Monde ». « Tiers Monde » ne résista pas à la chute du mur de Berlin : les républiques sorties de l’ex-URSS relèvent-elles d’un Tiers Monde, et lequel ? Elles font néanmoins partie de nos champs d’investigation. Par contre, malgré nos réserves, « développement » restait un marqueur nécessaire.
  • [33]
    - À cette époque, nombre de chercheurs du CIRAD n’étaient pas docteurs.
  • [34]
    - Départ des équipes de Paris 1 et de l’ EHESS ; arrivée de l’INA Paris Grignon.
  • [35]
    - Titre d’un séminaire fondamental, conduit de longues années par François BOST.
  • [36]
    - Dans les deux cas, il s’agit de géographes recrutés ensuite dans des instituts agricoles, CIRAD et CEMAGREF.
Français

La vocation de géographe africaniste de Jean-Pierre Raison, précocement révélée, a emprunté des chemins buissonniers avant de le mener à l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (ORSTOM) en 1964 où, en mission à Madagascar, il s’est forgé une approche du milieu rural qui met les paysans au premier plan, négligeant l’État néocolonial. L’agronomie l’engage vers une recherche-développement liant techniciens, géographes et ruraux. Élu à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) en 1977, il est aussi sous-directeur de la recherche au ministère de la Coopération (1981-1984). Puis il dirige un DEA « Géographie et pratique du développement » à l’Université Paris X. Dans ces zigzags, un axe : la recherche s’enrichit par le dialogue avec les praticiens. Cela conduit à de belles réussites, malgré l’inertie des structures. Entre autres ouvrages, J.-P. RAISON est l’auteur avec Alain DUBRESSON de L’Afrique subsaharienne. Une géographie du changement (2003).

  • Mots Clés 
  • Tiers Monde
  • systèmes agraires
  • recherche-développement
  • géographie rurale
  • agronomie
  • savoirs paysans

BIBLIOGRAPHIE

  • ALBERTINI J.-M., 1966, Les mécanismes du sous-développement, Économie et Humanisme.
  • ALTHABE G., 1969, Oppression et libération dans l’imaginaire, Les communautés villageoises de la côte orientale de Madagascar, Paris, Maspero.
  • En ligneBALANDIER G. (dir.), 1956, Le Tiers Monde, sous-développement et développement, Paris, PUF.
  • CHALEARD J.-L., 1996, Temps des villes, temps des vivres. L’essor du vivrier marchand en Côte d’Ivoire, Paris, Karthala.
  • CHALEARD J.-L., DUBRESSON A., 1989, « Un pied dedans, un pied dehors : à propos du rural et de l’urbain en Côte d’Ivoire », Tropiques, lieux et liens, Paris, ORSTOM, pp. 277-290.
  • CHAMBERS R., 1983, Rural Development, Putting the Last First, Burnt Mill, Wiley. Version française : Développement rural. La pauvreté cachée, Paris, Karthala, 1990.
  • CIRAD-Forêts, 1996, Les Parcs à Faidherbia, Montpellier, CIRAD.
  • COCHET H., 2001, Crises et révolutions agricoles au Burundi, Paris, Karthala.
  • DUBRESSON A., RAISON J.-P., 2003, L’Afrique subsaharienne. Une géographie du changement, Paris, Armand Colin.
  • FORD, J., 1971, The role of Trypanosomiases in African Ecology. A Study of Tse-tse Fly Problem, Oxford, Clarendon.
  • FROMAGEOT A., 2004, Vallées maraîchères, économies vivrières. Etude géographique de l’essor du maraîchage marchand dans les campagnes du nord de la Côte d’Ivoire et de l’ouest du Burkina, thèse, Université de Paris 1.
  • LACOSTE Y., 1959, Les pays sous-développés, Paris, PUF.
  • LACOSTE Y., 1965, Géographie du sous-développement, Paris, PUF.
  • LEBRET L.-J., 1952, Guide pratique de l’enquête sociale, manuel de l’enquêteur, Paris, PUF.
  • LEBRET L.-J., 1958, L’enquête en vue de l’aménagement régional, Paris, PUF.
  • LEBRET L.-J., 1961, Dynamique concrète du développement, Éditions ouvrières.
  • LEBRET L.-J., 1963, Pour une civilisation solidaire, Éditions ouvrières.
  • LEBRET L.-J., PIETTRE A., SAUVY A., 1956,Économie et civilisation : niveau de vies besoins et civilisation, Paris, Ed. Ouvrières.
  • LEBRET L.-J., PIETTRE A., SAUVY A., 1958,Économie et civilisation : science économique et développement, Paris, Ed. Ouvrières.
  • OTTINO P., 2003, « Nous n’irons plus à Bekoropoka » in Babadzan A. (dir.),Insularités : Hommage à H. LAVONDÈS, Nanterre, Société d’Ethnologie.
  • ORSTOM, 1979, Maîtrise de l’espace agraire et développement en Afrique tropicale. Logique paysanne et rationalité technique, Paris, ORSTOM.
  • PELISSIER P., 1966, Les paysans du Sénégal, Les civilisations agraires du Cayor à la Casamance, Fabrègue.
  • En lignePELISSIER P., SAUTTER G. (dir.), 1970, « Terroirs africains », Études rurales, n° 37-38-39.
  • PHLIPPONNEAU M., 1960, Géographie et action. Introduction à la géographie appliquée, Armand Colin.
  • RAISON J.-P., 1970, « La géographie humaine appliquée et ses problèmes à l’ORSTOM Tananarive », Tananarive,Madagascar. Revue de Géographie, n° 16, pp. 168-179.
  • RAISON J.-P., 1984, « Géographie rurale et recherche agronomique en Afrique tropicale », Hérodote, n° 33-34, pp. 261-268.
  • RAISON J.-P., 1991, « Les va-et-vient d’un sédentaire contrarié », Histoires de Géographes, Paris, Éditions du CNRS, pp. 35-49.
  • En ligneRAISON-JOURDE F., 2005, « Oppression et libération dans l’imaginaire à l’épreuve du temps. Regards d’une historienne »,Journal des Anthropologues, 6e année, pp. 189-226.
  • ROSTOW W. W, 1960, The stages of economic growth : a non-communist manifesto, Cambridge UP (1re édition : New York, 1960 ; éd. française, Le Seuil 1970).
  • TEYSSIER A., 1994, Contrôle de l’espace et développement rural dans l’Ouest Alaotra. De l’analyse du système agraire à un projet de gestion de l’espace rural, thèse, Université de Paris 1.
Jean-Pierre RAISON  [*]
  • [*]
    Géographe, Laboratoire Gecko (ex Géotropiques), Université de Paris X-Nanterre.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/rtm.191.0497
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...