CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les termes utilisés dans la grammaire française pour caractériser les auxiliaires amènent à poser qu’il existe au moins deux types de verbes : de vrais verbes, dits « lexicalement pleins », et des verbes auxiliaires, « lexicalement vides », comptés comme « outils grammaticaux ». L’acception étroite du terme ne retient comme auxiliaires que être et avoir : il a acheté un cheval, il est parti. Les acceptions plus larges [1] englobent aussi les « semi-auxiliaires », « aspectuels » ou « modaux », susceptibles d’avoir des valeurs « fortes » : il va chercher du pain, il doit le faire, il peut le faire, et des valeurs « faibles » : il va être content, il a dû se tromper, il a pu s’être trompé. Dans tous ces cas, une forme de grammaticalisation est mise en rapport avec un changement (affaiblissement ? perte ?) du sens lexical du verbe. Je propose de récapituler les propriétés qui servent à distinguer les emplois de verbes dits « pleins » de ceux qu’on dit « vides » en les présentant selon différents « degrés de verbalité ». J’examinerai les « degrés de verbalité » qu’on peut reconnaître au verbe être employé dans les tournures dites « présentatives » en c’estque…, afin de voir si on peut le traiter comme une sorte d’auxiliaire.

1. Les auxiliaires être et avoir

1.1. Rôles ancillaires

2Les descriptions usuelles présentent les auxiliaires être et avoir comme des mots-outils dont le rôle serait, conformément à l’étymologie, d’« aider à conjuguer les vrais verbes ».

3

On appelle auxiliaires les verbes être et avoir lorsqu’ils aident à conjuguer les autres verbes [2].

4

Ces auxiliaires permettent de former les temps composés et le passif en se combinant avec le participe passé [3].

5La perte du sens de l’auxiliaire irait de pair avec ce statut ancillaire :

6

L’auxiliaire est une forme verbale qui a perdu sa signification propre et qui sert à exprimer certains modes ou certains temps d’un autre verbe [4].

7Le verbe auxiliaire est même souvent considéré comme n’existant plus par lui-même car il formerait une unité avec le verbe qu’il auxilie :

8

[…] la plupart des grammairiens sont d’accord pour définir les verbes auxiliaires comme des « outils grammaticaux » ayant perdu leur valeur sémantique propre pour se lier à un autre verbe et former avec lui un ensemble […] [5].

1.2. L’histoire des auxiliaires comme fabrique de mots-outils

9Le développement historique des verbes auxiliaires a souvent été présenté comme un exemple typique de la naissance des mots-outils. Les études historiques ont situé vers le début du XVIe siècle la naissance des auxiliaires en tant que catégories verbales distinctes, dans la langue anglaise [6].

10La tradition française, suivant en cela A. Meillet [7], explique que les auxiliaires se seraient fabriqués historiquement à partir d’un affaiblissement du sens de verbes lexicaux du latin.

11

Habeo visum continue en la désémantisant la tournure latine où habere avait son sens fort de « tenir, posséder » et où le participe prédiquait l’objet premier du verbe : Inclusum in Curia senatum habuerunt (Cicéron) = « ils maintinrent le Sénat enfermé dans la Curie ». Rapprocher en français Vous AVEZ le mode d’emploi ÉCRIT sur le flacon[8].

12Gustave Guillaume avait considéré que les verbes ne se vidaient pas de leur sens mais qu’ils exploitaient un sens plus abstrait, « sublimé » ou « subduit » :

13

L’analyse génétique de l’auxiliarité permet de montrer que l’auxiliaire n’est pas, comme le prétendent certains, un mot in-signifiant : son sens est dérivé de celui du verbe « plein » dont il émane […] Être ne signifie plus « exister » mais un arrêt entre le devenir antécédent et le devenir conséquent ; avoir ne dénote plus la possession, mais une subduction de cette idée, c’est-à-dire un regard en direction de l’accompli [9].

14Les linguistes intéressés par les processus de grammaticalisation [10] ont donné plus d’importance à la notion de grammaticalisation de l’auxiliaire qu’à un éventuel affaiblissement du sens. Le verbe lexical peut passer dans certaines langues (hindi, urdu) par un statut de verbe « vecteur », et déboucher éventuellement sur un statut encore plus grammaticalisé que l’auxiliaire : l’affixe verbal, dont l’exemple type serait fourni par les désinences de futur du français, « mangeront », où la finale -ont est la version grammaticalisée à l’extrême de la sixième personne du verbe lexical avoir :

Ils ont.
Ils ont mangé.
Ils manger- ont.

1.3. Place dans les typologies

15Dans la grammaire comparée des langues romanes, les auxiliaires étaient présentés comme autant de formes analytiques venues supplanter les anciennes formes synthétiques :

16

une périphrase qui peu à peu devait permettre de rendre analytiquement les temps du passé [11].

17Selon cette orientation typologique, le remplacement des formes simples du verbe par les formes auxiliées devrait fournir [12] un modèle qui ferait remplacer les passés simples par des passés composés et les futurs simples par des futurs périphrastiques. Sur le modèle du passage latin/langues romanes :

Amatur > il est aimé.
Cantabo > je chanterai,

18on devrait s’attendre à avoir en français d’autres passages :

Il chanta > il a chanté.
Je chanterai > je vais chanter.

19Certains sont allés jusqu’à prédire que ces formes « périphrastiques » allaient remplacer à brève échéance les formes verbales « simples », ce qui n’est pour l’instant pas vérifié.

20La recherche en typologie des années 1980 a fait de ce changement dans l’ordre morpho-syntaxique un thème privilégié des opérations de « réanalyse » [13] par lesquelles pouvaient s’expliquer certains changements historiques. Plusieurs auteurs ont proposé d’interpréter ces phénomènes au moyen d’une échelle graduée selon un continuum avec, à un bout, des constructions relativement libres, au milieu, des éléments comme les auxiliaires, les particules, les éléments clitiques et, à l’autre bout, des inflexions et des agglutinations [14]. J’essaierai de proposer une organisation un peu semblable pour le français, mais sans adopter la notion de continuum.

2. Liste de propriétés grammaticales

21Il a été proposé à plusieurs reprises de dresser des listes de propriétés grammaticales permettant de distinguer les auxiliaires des verbes de plein statut [15]. Celle qui est ici envisagée ne vise pas seulement à différencier un verbe lexical d’un verbe auxiliaire. Elle devrait pouvoir également s’appliquer à ce qu’on appelle parfois des « semi-auxiliaires », aux « verbes transparents », aux verbes « à rection faible » et éventuellement au verbe être dans les constructions clivées. C’est pourquoi les propriétés seront énumérées sans qu’on cherche à les hiérarchiser et à créer entre elles des liens nécessaires. L’affaiblissement du sens, souvent mentionné pour les auxiliaires, ne sera pas pris en compte au départ. Ce sera envisagé davantage comme une conséquence du statut grammatical que comme une propriété de base.

2.1. La propriété de sélection des valences

22Un verbe lexical sélectionne ses valences, sujets comme compléments. Dans les exemples suivants, les verbes rêver, prêter, convaincre, sont responsables du choix des sujets et des compléments, et non les auxiliaires qui les accompagnent éventuellement :

Ils rêvent de partir en Inde, ils en ont rêvé.
Nous lui prêtons des livres, nous lui en avons prêté.
Je convaincrai mes amis que j’ai raison, je les en aurai convaincus d’ici peu.

23Certes, les pronoms clitiques compléments se placent devant l’auxiliaire, et non devant le verbe lexical mis sous forme de participe passé :

Je [les en aurai] convaincus.
* J’aurai [les en convaincus].

24Certes, l’accord entre sujet et verbe se fait entre le sujet et l’auxiliaire :

Ils ont rêvé, nous avons prêté des livres, j’aurai convaincu les amis.

25Mais l’auxiliaire est « transparent » aux valences du verbe lexical [16]. Ni la place des pronoms clitiques, ni les accords morphologiques manifestes entre sujet et verbe n’indiquent une dépendance syntaxique directe. On est amené à dissocier d’une part les propriétés segmentales « visibles » d’accord et d’emplacement des pronoms (pour les règles linéaires de mise en ordre) et d’autre part une propriété non visible : la sélection des valences. Cette propriété dépend de la partie lexicale du verbe. On peut la retrouver, au moins en partie, pour le même élément lexical réalisé dans une autre catégorie : rêver et le rêve, prêter et le prêt, convaincre et la conviction :

Ils rêvent de partir / le rêve de partir…
Nous prêtons des livres / notre prêt de livres…
Je les convaincs que j’ai raison / la conviction que j’ai raison…

26L’auxiliaire n’a ni sujet syntaxique ni complément. Ce ne sont pas les auxiliaires a et suis, mais bien les verbes lexicaux pleuvoir, ou s’en apercevoir, qui sélectionnent le il impersonnel de il a plu ou le je personnel de je m’en suis aperçu.

2.2. La propriété des modalités

27Les auxiliaires ne peuvent pas être par eux-mêmes porteurs de modalités interrogative ou négative indépendantes de celles du verbe lexical. Si le verbe lexical a déjà une modalité négative, on ne peut pas en mettre une seconde sur l’auxiliaire. On ne peut pas avoir :

* Nous [ne les lui avons pas] [pas montrés].
* Il [n’y est pas] [pas parvenu].

28Il est difficile de tenter la même surcharge pour l’interrogation. Mais on constate que, quelle que soit la forme d’interrogation, par postposition du sujet clitique ou par adjonction de est-ce que, on ne peut en mettre qu’une seule par groupe auxiliaire + verbe participe :

Les lui avons-nous montrés ?
Est-ce que nous les lui avons montrés ?

29On peut en revanche mettre deux négations sur les groupes contenant des verbes parfois appelés « semi-auxiliaires » comme pouvoir et devoir :

Il ne peut pas ne pas y aller.
Il ne doit pas ne pas s’en occuper.

30On verra que les verbes construits en incise, comme dit-il, je crois, on dirait, ont la même restriction sur les modalités que les auxiliaires. Bien qu’ils donnent l’impression d’être des verbes « pleins », il est impossible de les rendre négatifs ou interrogatifs. Ces verbes peuvent se placer assez librement à plusieurs endroits de la construction :

C’était, je crois, signalé dans le journal.
C’était signalé dans le journal, je crois.

31Ces verbes ne supportent ni négation ni interrogation :

* C’était, je ne crois pas, signalé dans le journal.
* C’était signalé dans le journal, je ne crois pas.
Cette enfant a des poux, a-t-il dit.
* Cette enfant a des poux, n’a-t-il pas dit.
* Cette enfant, est-ce qu’il a dit, a des poux.
Il en était à quatorze leçons, on dirait.
* Il en était à quatorze leçons, on ne dirait pas.
* Il en était à quatorze leçons, est-ce qu’on dirait ?

32L’absence de modalités propres n’est donc pas une caractéristique des seuls auxiliaires.

2.3. La propriété de support des clitiques et de la négation

33Une forme verbale non auxiliée sert de support à ses pronoms clitiques compléments, au sujet clitique postposé et à la négation ne.

[Il ne-les-lui-donn-ait] pas, [Ne-les-lui-donn-ait-il] pas ?

34En présence d’un auxiliaire, ces clitiques et cette particule de négation se portent sur l’auxiliaire :

[Il ne-les-lui-avait] pas données, [Ne-les-lui-av-ait-il] pas données ?

35Dans beaucoup de langues, semble-t-il [17], les verbes auxiliaires ont tendance à être ainsi des supports de marques grammaticales, alors que le verbe lexical n’en porte pas. A. Lemaréchal [18] étudie des langues dans lesquelles certains participants du processus verbal ont des marques portées par l’auxiliaire et d’autres par le verbe lexical.

36En français, le verbe lexical mis au participe passé n’a aucun emplacement disponible ni pour les clitiques ni pour les modalités de négation et interrogation. Le participe passé est bien, comme l’analysait G. Guillaume, une « forme morte » du verbe, qui ne dispose d’aucun emplacement segmental pour les marques de morpho-syntaxe verbale, alors que les deux autres formes non finies du verbe, participe présent et infinitif, en sont partiellement capables :

[Les lui donnant], il pensait lui faire plaisir.
[Ne les lui donnant pas], il lui aurait fait de la peine.
[Les lui donner] était une bonne idée.
[Ne pas les lui donner] était absurde.
* [Lui données], ces invitations devaient lui faire plaisir.
* [Ne les lui données] pas, ces invitations étaient absurdes.

37Il s’agit là d’un comportement spécifique de la catégorie des pronoms clitiques de type lui. Il suffit que le même complément soit réalisé sous forme de pronom non clitique, à lui, pour que le participe passé l’accepte :

[Données à lui seul], ces invitations étaient bizarres.

38Cette propriété n’a donc rien à voir avec la propriété (1) de sélection des valences. C’est une propriété de type morphologique.

2.4. La propriété de supporter un auxiliaire avoir, être

39Tous les verbes lexicaux de plein statut acceptent de s’adjoindre un auxiliaire, qui peut être avoir ou être, et qui marque l’accompli du verbe. Les auxiliaires eux-mêmes acceptent un autre auxiliaire dans le cas des formes « surcomposées » :

Quand il a eu terminé…
Quand nous avons été arrivés…
J’en ai eu rencontré.
[usage méridional]

40Certains « semi-auxiliaires » tolèrent un peu, moyennement ou pas du tout les auxiliaires. Il est impossible, par exemple, de mettre un auxiliaire sur la forme du futur proche :

Il va pleuvoir.
* Il est allé pleuvoir,

41ou sur certains verbes d’incise comme il n’empêche :

Je suis bien content, il n’empêche.
* Je suis bien content, il n’a pas empêché.

42alors que le même verbe tolère l’auxiliaire lorsqu’il n’est pas construit en incise :

Cela n’a pas empêché les fleurs de geler.

2.5. La propriété d’avoir des désinences de temps et de personnes

43Les verbes impersonnels qui n’ont que ce statut, il y a, il faut, sont, par définition, des verbes dépourvus de variations en personnes. Ils ont, à ce titre, un degré de « verbalité » de moins que les verbes acceptant librement toutes les désinences personnelles.

44La limitation des désinences de temps est un autre indice de moindre « verbalité ». Il est bien connu que le verbe aller qu’on emploie dans le « futur proche » est limité au présent et à l’imparfait. En tant que verbe lexical plein, le verbe aller peut se conjuguer à tous les temps et tous les modes : infinitif, futur, subjonctif :

Aller chercher le courrier est compliqué.
J’irai prendre le journal.
Il faudrait que nous allions lui rendre visite.

45En tant que verbe lexical indiquant le mouvement, il a aussi la propriété de choisir lui-même ses valences. Il se construit avec des infinitifs dont le sémantisme marque le terme du mouvement : chercher, prendre, rendre visite. Mais il refuse les verbes qui ne s’y prêtent pas, par exemple les verbes statifs, être poli, être triste, aimer, qui ne peuvent pas indiquer le terme d’un mouvement :

* Aller être poli est compliqué.
* J’irai être triste.
* Il faudrait que nous allions aimer le cinéma.

46En revanche, dans son sens « grammatical » de futur proche, le verbe montre les propriétés inverses. Ses possibilités morphologiques sont restreintes (seulement le présent et l’imparfait) :

Il va être content, il allait être content.
* Il ira, irait, alla, allait être content.
* Qu’il aille être content.
* Allant, allé, aller être content,

47mais il n’exerce aucune restriction sur le sens de l’infinitif qui le suit. Il accepte tous les verbes, statifs ou non :

On va devoir être très poli.
Je savais qu’il allait être content.
Il était certain que nous allions aimer ce film.

48On voit donc que les propriétés relatives aux temps et aux personnes sont ici inversement liées à la propriété de choisir ses propres valences.

3. Application à divers « degrés de verbalité »

49La liste des cinq propriétés verbales retenues,

50

  1. Sélectionner les valences
  2. Avoir ses modalités propres
  3. Servir de support aux pronoms clitiques et à la négation ne
  4. Supporter un auxiliaire avoir / être
  5. Prendre des désinences de temps et de personnes,

51peut servir à caractériser les auxiliaires, les verbes modaux et les verbes d’incise. J’appliquerai ces mêmes propriétés au verbe être employé dans les constructions clivées.

3.1. Les verbes auxiliaires

52Comme on l’a vu, être et avoir, employés comme auxiliaires, sont dépourvus des deux premières propriétés :

53

  1. Ils ne sélectionnent pas les valences : ils laissent passer toutes les valences du verbe lexical qui les suit et n’en refusent aucune. Ils sont compatibles avec tous les sujets et tous les compléments.
  2. Ils n’ont pas de modalités propres.

54Mais ils ont les propriétés (3) et (5) :

55

  1. Ils servent de support aux pronoms clitiques et à la négation ne du verbe lexical

[Ne lui en a-t-il] pas parlé ?

56

  1. Ils prennent toutes les désinences de temps et de personnes.

57Ils ont partiellement la propriété (4) qui consiste à s’adjoindre un auxiliaire, dans les limites d’emploi des formes « surcomposées ».

3.2. Les verbes « modaux », dits « transparents » ou « semi-auxiliaires »

58On les définit parfois comme des verbes qui, sans être des auxiliaires suivis de participes passés, ont cette propriété de s’accorder en nombre et en personne avec un apparent sujet mais de n’exercer aucune sélection sur les valences.

Il commence à pleuvoir.
Elle va chanter.
Elle finit de jouer.
Elle vient de jouer.

59Riegel et al.[19], suivant une ancienne tradition, les classent dans les « semi-auxiliaires » :

60

On les enregistre comme auxiliaires dans la mesure où, comme être et avoir, leur sémantisme se réduit à une indication grammaticale (à la différence des verbes de sens « plein ») et où la construction auxiliaire + infinitif semble bien parallèle à la construction avoir / être + participe [20].

61M. Gross [21], Cl. Blanche-Benveniste et al.[22] et D. Gaatone [23] utilisent un critère pour les définir en tant que classe : ce sont les verbes qui, ne sélectionnant pas les sujets, sont compatibles avec tous les sujets, y compris le sujet impersonnel il, comme dans :

Il va pleuvoir, il va y avoir du bruit.
Il commence à pleuvoir, il commence à y avoir du bruit.
Il peut se passer quelques jours.
Il va se produire ce que vous me dites.
Il va s’y mettre la teigne.

62Alors que ce n’est généralement pas possible pour des verbes comme vouloir, savoir :

* Il sait se passer quelque chose.
* Il veut s’y mettre la teigne.

63Bien qu’il ait un accord morphologique avec le sujet, on considérera que le verbe transparent n’a pas lui-même de sujet au sens syntaxique du terme. Dans ils vont chanter, ils est syntaxiquement sélectionné par chanter, comme il est syntaxiquement sélectionné par pleuvoir dans il va pleuvoir.

64Le verbe transparent n’a pas de complément. Dans il doit avoir raté son train, avoir raté son train, qui n’est pas réductible à le (il le doit), n’est pas le complément de doit. Le verbe transparent est dépourvu de toute valence.

65L’ensemble de ces verbes répondent donc négativement à la propriété (1). La plupart ont leur propre modalité (propriété 2), sauf aller :

Il ne risque pas de ne pas pleuvoir.
Il ne peut pas ne pas être content.
* Il ne va pas ne pas être content.

66Ils ne servent pas de support aux pronoms clitiques et au ne (propriété 3), du moins plus selon la norme contemporaine :

? Il s’y va mettre.
? Il ne le lui peut pas donner.

67Ils ont, à l’exception de aller, la propriété d’avoir des auxiliaires (4).

68Ils ont la propriété (5) de choisir librement les désinences de personnes et de temps, sauf aller, qui est limité à deux flexions temporelles.

69D. Gaatone [24] donne une liste de verbes transparents répartis en deux types, aspectuo-temporels et modaux :

Aller, venir de, être loin / près, en passe de, sur le point de, en voie de, arrêter, cesser, finir (de, par), commencer (à, par), se mettre à, continuer, tarder
Devoir, pouvoir, avoir failli, manquer, avoir l’air, paraître, sembler, s’avérer, se révéler, se trouver, avoir beau, être censé, être supposé, menacer de, risquer de, tendre à, venir à.

70Ces verbes peuvent se combiner entre eux selon certaines règles [25], en produisant des sortes de « chaînes verbales » complexes pouvant aller jusqu’à cinq ou six unités verbales successives :

Vous allez pouvoir commencer à vous mettre à travailler.
Elle a dû paraître avoir perdu la tête.
Il a beau avoir failli se mettre à commencer à travailler, il n’a rien fait.

71Ces verbes dits « transparents » sont un peu moins transparents que les auxiliaires.

3.3. Les verbes d’incise, dits « parenthétiques » ou « recteurs faibles »

72Les verbes parenthétiques ont été étudiés en anglais [26] comme des exemples de grammaticalisation permettant l’omission de la conjonction that dans des constructions qui ressemblent a priori à des complétives, mais qui ont été « réanalysées » :

I think Ø exercise is really beneficial.

73Ils s’emploient en incise avec une valeur épistémique :

Exercise is really beneficial (I think) to anybody (I think).
You know what you like to do in your spare time I think.

74Ces verbes ne sont pas des verbes de plein statut. En français, les verbes équivalents ont également deux constructions, l’une dans laquelle ils sont suivis d’une apparente complétive introduite par que et l’autre dans laquelle ils sont construits en incise [27] :

Je crois bien que c’était signalé dans le journal.
C’était, je crois bien, signalé dans le journal.
C’était signalé dans le journal, je crois bien.
Je trouve que la maison est bizarre.
La maison est bizarre, je trouve.

75Ces verbes n’ont pas la propriété (2) d’avoir des modalités :

? Il en était à quatorze leçons ne m’a-t-il pas expliqué.
? Elle a des poux, on ne dirait pas.

76Leur propriété (5), temps et personne, est presque exclusivement limitée à la première personne ou la troisième personne du présent de l’indicatif, les autres emplois étant bizarres (voire impossibles) :

? C’était signalé dans le journal, tu crois.
? C’était signalé dans le journal, ils croiront.

77Nicole Delbecque [28] et Annie Boone [29] ont montré que, malgré les apparences, ces verbes ne construisent pas la complétive qui semble être leur complément. Loin de la régir, les verbes comme je trouve, je crois seraient seulement des « ajouts » sur le verbe de la complétive :

78

La « proposition principale » se comporte syntaxiquement comme un ajout externe à la proposition subordonnée [30].

79La que-phrase que la maison est bizarre n’a aucune équivalence avec le ni avec cela :

? Je le trouve, je trouve cela, que la maison est bizarre.

80Elle ne peut pas être considérée comme le complément de je trouve.

81Nous avions observé [31] que, dans ces emplois où je trouve que, je crois que, on dirait que sont des « ajouts », le que avait tendance à se bloquer contre le verbe, surtout s’il se termine par une voyelle, en se réduisant souvent à la consonne [k] :

On dirait-[k] elle a des poux.

82alors que le que introduisant des compléments syntaxiques a une réalisation davantage liée à ce qui suit :

On dira qu’elle nous ennuie.
On dira [k]-elle nous ennuie.

83Pour toutes ces raisons, on peut penser que l’apparente complétive ne constitue pas un complément de ces verbes et que ce sont en fait des verbes dépourvus de valence complément. Ils ont certes une valence sujet (parfois bloquée sur un seul choix), mais ce serait la seule partie de la propriété syntaxique (1) qui pourrait les caractériser. Les réponses aux cinq propriétés envisagées sont les suivantes :

84

  1. Sélectionner les valences : non pour les compléments, partiellement pour les sujets.
  2. Avoir ses modalités propres : non.
  3. Supporter les pronoms clitiques et le ne : non.
  4. Supporter un auxiliaire avoir / être : certains, avec des limitations.
  5. Prendre des désinences de temps et de personnes : avec de fortes limitations.

85Ces verbes, qui répondent de façons différentes à chacune de ces propriétés, ne forment pas une classe homogène.

4. Verbes C’estque / qui

4.1. Examen des propriétés

86Nous avons appelé « dispositifs » [32] les arrangements d’énoncés dans lesquels un élément construit par le verbe prend un statut distingué des autres. Le type le plus connu est celui de la construction en c’estqu-… :

C’est à vous que je veux parler,

87nommée « gallicisme, emphase, tournure à présentatif, clivage » ou « extraction ». Dans l’exemple, à vous, complément du verbe parler, est « disposé » entre c’est et que. Le verbe c’est n’est pas un verbe de plein statut syntaxique. Il a, par certains côtés, des caractéristiques d’un auxiliaire.

88

  • Propriété (1) : la sélection des valences

89Elle est négative. C’est ne sélectionne pas par lui-même les éléments qui le suivent, qui sont toujours sélectionnés par l’autre verbe. Eux, nous, sont les sujets de seront écoutés, ont fait le plus, paierons et non de c’est :

Ce sont eux qui seront plus tard écoutés.
Gide
C’est eux qui ont fait le plus.
[Oral]
C’est nous qui paierons.
[Oral]

90Les compléments un livre, son rapport, sont compléments de Jean mangea, Boileau et Narcejac reproduisent et non de c’est :

C’est un livre que mangea Jean à Patmos. Comme un rat ; mais moi j’aime mieux les framboises.
Gide
C’est son rapport que reproduisent MM. Boileau et Narcejac.
Vialatte

91Les compléments en trente-trois, à organiser, sous le règne de George II, d’une fantaisie d’éthylique, pendant le sommeil, complètent les verbes j’ai connu, travaille, se faire connaître, sont sortis, se régénèrent et non le verbe c’est :

C’est en trente-trois que j’ai connu le quartier.
[Oral]
C’est à organiser, en fin de compte, que mon esprit travaille.
Gide
Ce fut sous le règne de George II que la minorité commença à se faire connaître sous le nom de parti de l’opposition.
Chateaubriand
C’est d’une fantaisie d’éthylique que sont sortis tant d’austérité, de noirs desseins, de milliards, de mysticisme.
Vialatte
C’est pendant le sommeil que tes cellules se régénèrent.
[Oral]

92Les adverbes en vain, inconsidérément, ainsi, sont sélectionnés par les verbes nous nous abusons, je plongeai, on s’en fait une idée et non par c’est :

C’est en vain que nous nous abusons.
Chateaubriand
C’est inconsidérément que je plongeai dans cet océan de délices.
Gide
C’est ainsi qu’on s’en fait une idée scientifique.
Vialatte

93Le dispositif c’estqu-… accueille donc les valences et rections d’un autre verbe. Il ne les laisse cependant pas passer sous n’importe quelle forme. On pourrait dire qu’il les « filtre ». En effet, il rejette les sujets et les compléments ayant une forme verbale. Certains infinitifs peuvent passer :

C’est partir très tôt le matin que je redoutais.
? C’est mentir qui est honteux.

94mais les « que-phrases » ne passent pas :

? C’est qu’il ne donne pas de nouvelles qui m’angoisse.
* C’est qu’il a peur qu’il ne montre pas.

95ni les interrogatives indirectes :

? C’est si je vais partir qu’il me demande.

96Il est également très difficile d’extraire des adjectifs attributs :

* C’est magnifique que la vie est.
[Riegel et al. 1994, p. 432]

97Le verbe c’est a donc ici un statut partiellement transparent, puisqu’il filtre certaines réalisations des valences du verbe lexical. Mais en aucun cas il ne sélectionne lui-même les éléments qui le suivent. La propriété (1) est totalement négative.

98

  • Propriété (2) : les modalités

99Le verbe de dispositif a son propre domaine de modalités, de sorte que l’élément extrait peut être soumis à une modalité indépendamment de celle de son verbe recteur. Cette possibilité est fréquemment utilisée dans les contrastes de modalités :

Ce n’est pas lui qui m’a répondu, c’est le docteur Chossarte.
[Oral]
Ce n’est pas seulement le monde qu’il s’agit de changer, mais l’homme.
Gide
Ce n’est pas pour nous, c’est pour elle que chaque chose est importante.
Gide

100Le verbe de dispositif accueille aussi des adverbes « paradigmatisants » qui portent, non sur le verbe lexical, mais spécifiquement sur l’élément clivé :

C’était même lui qui avait succédé à monsieur Smith.
Vialatte
C’est un peu les gens aussi qui ont fait perdre les choses.
[Oral]

101La restriction neque…, insérée dans le dispositif c’estque…, restreint l’élément clivé :

Mais tu comprendras que ce n’est qu’avec beaucoup de joie qu’un peu de droit à la pensée s’achète.
Gide

102L’interrogation ne porte pas sur le verbe recteur mais sur le complément clivé, par ce biais-là :

Est-ce que c’est parce biais-là que j’en suis arrivée là, ou quoi ?
[Oral]

103Un des effets remarquables de cette construction clivée semble être précisément de fournir à l’élément clivé des modalités indépendantes de celles du verbe par lequel il est sélectionné.

104

  • Propriété (3) : servir de support aux clitiques

105La réponse est absolument négative. Au contraire des auxiliaires, qui reçoivent « par délégation » les clitiques du verbe recteur, le verbe de dispositif n’en tolère aucun :

C’est cela que je lui ai donné, c’est à lui que je l’ai donné.
* Ce le lui est que j’ai donné, * ce l’est que je lui ai donné, * ce lui est que je l’ai donné.

106

  • Propriété (4) : supporter un auxiliaire

107Cette propriété est en partie bloquée. Bien qu’ils soient envisageables, on rencontre peu d’exemples de c’est auxilié :

? Ç’a été en trente-trois que j’ai connu le quartier.
? Ce n’a pas été lui qui m’a répondu.

108C’est avec le conditionnel que l’auxiliaire semble être le plus naturel :

Ç’aurait été lui qui m’aurait répondu.

109Mais, même en ce cas, très peu d’exemples sont attestés. Il y a une nette tendance à ne pas mettre d’auxiliaire.

110

  • Propriété (5) : les désinences de temps et de personnes

111Le verbe c’est tend à se fixer sur la troisième personne du présent, surtout dans la langue de conversation. Les variations de temps et de mode, virtuellement disponibles,

Ce fut Lulli qui inventa ces symphonies.
C’était une histoire de revenants qu’elle racontait,

112peuvent toujours être neutralisées par un présent, indépendamment du temps du verbe recteur :

C’est Lulli qui inventa ces symphonies.
C’est une histoire de revenants qu’elle racontait.

113La seule variation de personne que l’on peut attendre est celle qui oppose la troisième personne du singulier et la troisième personne du pluriel :

C’est / ce sont.
C’était / c’étaient.
Ce fut / ce furent.
Ce sera / ce seront.

114Le pluriel est beaucoup plus rare que le singulier. On le rencontre dans des registres de langue très soignés :

Ce sont eux qui le disent.
Ce furent eux qui le dirent.
Ce seront eux qui le diront.

115Cette possibilité d’accord au pluriel est purement mécanique. Elle se fait lorsque l’élément pluriel placé au contact de c’est est un sujet ou un complément non prépositionnel :

Ce sont eux qui regardent.
Ce sont eux que je regarde.

116On rencontre même des exemples dus à l’hypercorrection, avec des compléments prépositionnels pluriels (ce qui est considéré comme fautif) :

Ce sont à eux que nous pensions.

117Les pronoms nous et vous n’entraînent pas d’accord, ni sous la forme sont, ni sous la forme sommes, êtes :

* Ce sommes nous qui l’avons fait, * ce sont nous qui…
* C’êtes vous qui l’avez fait, * ce sont vous qui…

118L’accord se fait seulement entre l’élément clivé et le verbe recteur :

C’est nous qui l’avons fait,

119comme pour les première et deuxième personnes du singulier :

C’est moi qui suis
C’est toi qui le diras.

120On peut en conclure qu’il n’existe qu’une seule variation de personne, est / sont, très limitée, et que, dans ce dispositif, le verbe c’est a des propriétés verbales assez restreintes :

121

  1. Choix des valences : non.
  2. Modalités propres : oui.
  3. Support des clitiques : non.
  4. Auxiliaire : presque pas.
  5. Variations de temps et personnes : très limitées.

4.2. Discussion sur le statut syntaxique

122Malgré ces caractéristiques, le statut syntaxique de c’est est souvent décrit dans les grammaires actuelles comme celui d’un verbe syntaxiquement autonome. Pour certains auteurs, il s’agit d’un verbe « parfaitement vivant », doté d’un complément, sur lequel est branchée une relative ou une pseudo-relative :

123

Comme leur nom l’indique, les présentatifs servent à présenter un groupe nominal ou un constituant équivalent qui fonctionne comme leur complément. […] Les présentatifs contiennent un verbe, parfaitement vivant dans c’est, il est, il y a[33].

124Le groupe nominal qui le suit serait affecté d’une subordonnée relative :

C’est le préposé qui m’a reçu.

125l’élément qui / que étant ici analysé par certains comme un pronom relatif :

126

un fonctionnement clair de pronom relatif avec une fonction clairement assignable [34].

127Les deux décisions paraissent contestables. On peut montrer que le groupe nominal qui suit c’est n’en est pas le complément. D’autre part, la séquence en qui / que n’est pas toujours facile à interpréter comme une relative ordinaire, comme le montrent bien les solutions assez compliquées proposées par Le Goffic :

128

[dans « c’est à vous que je parle »], que s’interprète comme un relateur omni-fonction, dont l’interprétation se spécifie en fonction du terme qui lui sert d’antécédent [35].

129On voit que l’analyse, au lieu de porter sur la forme globale de la construction, s’attache à identifier, mot par mot, les catégories grammaticales. La discussion est ainsi déplacée. Au lieu d’analyser la relation entre les deux verbes, dont, à notre avis, l’un est « mis au service de l’autre », comme pour les auxiliaires, on analyse la nature de l’élément qu-, pour décider qu’il est un pronom relatif ou une conjonction, ce qui est peut-être ici une discussion secondaire :

130

Il est difficile, dans la plupart des cas, de traiter l’élément extrait comme un antécédent du relatif qui ou que qui le suit : la substitution est pratiquement impossible, notamment quand une subordonnée, un infinitif ou un complément circonstanciel sont extraits. Pour cette raison, on peut traiter que comme une conjonction [36]

131La discussion étant centrée sur l’identification de l’élément qu-, le statut du verbe c’est est laissé dans l’ombre. Nous pensons que, avant de décider du statut catégoriel de que, on doit interpréter c’est comme un auxiliaire, au sens de « verbe mis au service d’un autre », ayant un assez faible degré de verbalité.

5. Conclusion

132Les quatre types de verbes dont il a été question, auxiliaires, modaux, verbes en incise et verbes de dispositifs, ont tous, à des degrés divers, des absences de propriétés morphologiques et/ou syntaxiques qui font qu’on peut leur refuser le statut de « verbe plein ». Mais il semble difficile d’organiser ces caractéristiques selon une ligne de progression continue, parce qu’on n’y voit pas d’implications systématiques.

1331. Ce sont tous des verbes qui, malgré les apparences morphologiques, accords avec le sujet, séquences semblables à celles des compléments de verbes, n’ont que peu de valence verbale (un sujet restreint pour les verbes en incise) ou même pas du tout (ni sujets ni compléments pour les verbes auxiliaires, modaux, de dispositifs).

1342. Les auxiliaires et les modaux sont transparents aux valences du verbe qui les suit. Cette transparence est partielle pour les verbes de dispositifs (qui refusent certaines catégories de réalisation). Elle ne se pose pas pour les verbes en incise.

1353. Seuls les auxiliaires ont un emplacement pour recevoir les pronoms clitiques et les marques de modalités qui leur sont « délégués » par le verbe recteur. Cette « délégation » implique un fort degré d’intégration syntaxique entre les deux verbes. On pourrait même parler de « fusion », comme on l’a parfois proposé pour le verbe causatif faire.

1364. Les auxiliaires et les modaux, sans valence propre, prennent par délégation l’accord du sujet de l’autre verbe, et varient en nombre et personne. Mais le verbe de dispositif ne prend que les troisièmes personnes du singulier et du pluriel et tend à se fixer sur le singulier. Les verbes en incise ont un choix de personnes restreint.

1375. La flexion en mode et temps est libre pour les auxiliaires, mais bloquée pour certains modaux, selon des répartitions spécifiques. Le plus bloqué est va /allait. Le verbe de dispositif ne s’utilise qu’aux formes conjuguées, à peu près jamais avec un auxiliaire, et tend à se fixer sur le présent, indépendamment du temps du verbe recteur. Les verbes en incise ont des restrictions de temps et mode assez fortes.

138Le comportement des quatre types de verbes examinés vis-à-vis des cinq propriétés retenues est récapitulé dans le tableau suivant :

Types de verbes
PropriétésAuxiliairesModaux (ou semi-auxiliaires)Verbes d’inciseVerbes C’est… que / qui
Sélection des valencesNonNonNon pour les compléments Partiellement pour les sujetsNon
Modalités propresNonOui, sauf allerNonOui
Support des clitiques et de la négationOuiNonNonNon
Support d’un auxiliaire avoir / être PartiellementOui, sauf allerCertains, avec des limitationsPresque pas
Désinences de temps et de personnesOuiOui, sauf allerFortes limitationsFortes limitations

139Les statuts morpho-syntaxiques, mesurés par les cinq propriétés, sont donc très diversifiés. On pourrait sans doute faire état d’une diversité encore plus grande si l’on y intégrait tous les verbes qu’on peut rencontrer dans les grandes chaînes verbales, où peuvent se suivre jusqu’à quatre, cinq ou six unités verbales :

4 : Je vais pouvoir me mettre à apprendre ce jeu.
5 : Elle a dû avoir l’air de commencer à se perdre.
5 : Il a beau avoir réussi à cesser de fumer, il tousse encore.
6 : Ce n’est pas ainsi qu’elle a dû pouvoir commencer à lui plaire, pense-t-il.

140Il est difficile de miser sur un seul type de relation qui lierait les verbes lexicaux « pleins » et ceux qui, sans être pour autant « vides », tendent à être des « mots-outils » au service d’un autre verbe, selon des formules et des statuts grammaticaux plus diversifiés qu’on ne pourrait le penser a priori. C’est pourquoi il paraît préférable de ne pas présenter les propriétés verbales qui servent à les décrire selon un continuum hiérarchisé.

Notes

  • [1]
    Cf. Riegel et al. 1994.
  • [2]
    Dussouchet 1912, p. 257.
  • [3]
    Grevisse & Goosse 1986, p. 1197.
  • [4]
    Dubois & Jouannon 1956, p. 158.
  • [5]
    Willems 1969, p. 87.
  • [6]
    Hopper & Traugott 1993, p. 45.
  • [7]
    Meillet 1912 (éd. 1956 et 1958).
  • [8]
    Wilmet 1997, p. 357.
  • [9]
    D’après Boone & Joly 1996, p. 74-75.
  • [10]
    Traugott & Heine 1991 et Hopper & Traugott 1993.
  • [11]
    Bourciez 1956, § 126, p. 246.
  • [12]
    Bruno 1905-1953, Clédat (s. d.) et Foulet 1958, cités par Wilmet 1997, p. 360.
  • [13]
    Hopper & Traugott 1993, p. 45.
  • [14]
    Traugott & König 1991.
  • [15]
    Jones 1996, p. 75.
  • [16]
    Gaatone 1998, p. 81.
  • [17]
    Cf. Hopper & Traugott 1993.
  • [18]
    Lemaréchal 1998, p. 64.
  • [19]
    Riegel et al. 1994.
  • [20]
    Ibid., p. 252-253.
  • [21]
    Gross 1975.
  • [22]
    Blanche-Benveniste et al. 1986.
  • [23]
    Gaatone 1995.
  • [24]
    Gaatone 1998, p. 81.
  • [25]
    Chu 1987.
  • [26]
    Thompson & Mulac 1991.
  • [27]
    Blanche-Benveniste 1989.
  • [28]
    Delbecque (à paraître).
  • [29]
    Boone 1996 et 1998.
  • [30]
    Boone 1998, p. 112.
  • [31]
    Blanche-Benveniste 1988.
  • [32]
    Blanche-Benveniste et al. 1986.
  • [33]
    Riegel et al. 1994, p. 453.
  • [34]
    Le Goffic 1994, p. 156.
  • [35]
    Ibid., p. 157.
  • [36]
    Riegel et al. 1994, p. 432, Remarque.
Français

Résumé :

Le développement des auxiliaires dans les langues romanes a été interprété traditionnellement comme un exemple typique du passage de verbes sémantiquement pleins vers des verbes devenus des mots-outils, en ayant perdu une partie de leur sens lexical. La présente étude propose d’élargir l’analyse, en y intégrant trois autres sortes de verbes – verbes modaux, verbes en incise, verbes de focalisation – en examinant systématiquement leur comportement par rapport à quelques propriétés morpho-syntaxiques de base qui caractérisent les verbes de plein statut. On peut ainsi définir plusieurs degrés de passage vers le statut de mot-outil.

English

Auxiliary verbs have developed in all romance languages and have been interpreted as the result of a diachronic process, evolving from full lexical verbs to “empty grammatical words”, whose main function would be to ensure tense, aspect and mood for other verbs. This analysis can be completed by some morpho-syntactic indications, giving access to a scale of five main grammatical verbal properties. Along with full lexical verbs and auxiliaries, other verbal types can be characterized by these properties : modal verbs, quotation verbs and focalization verbs, each being in its own way a kind of “grammatical word”.

Orientations bibliographiques

  • Blanche-Benveniste C. (1988), « La notion de contexte dans l’analyse syntaxique des productions orales : exemple des verbes actifs et passifs », Recherches sur le français parlé, 8, p. 39-58.
  • Blanche-Benveniste C. (1989), « Constructions verbales en incise et rection faible des verbes », Recherches sur le français parlé, 9, p. 53-74.
  • Blanche-Benveniste C., Deulofeu J., Stéfanini J. & Van Den Eynde K. (1986), Pronom et syntaxe. L’approche pronominale et son application au français, Paris, SELAF.
  • Boone A. (1996), « Les complétives et la modalisation », in Dépendance et Intégration syntaxique. Subordination, coordination, connexion, C. Muller (éd.), Tübingen, Max Niemeyer, p. 45-51.
  • Boone A. (1998), « La pronominalisation des complétives objets directs », in Analyse linguistique et Approches de l’oral, M. Bilger, K. Van Den Eynde & F. Gadet (éd.), Louvain – Paris, Peeters, p. 102-114.
  • Boone A. & Joly A. (1996), Dictionnaire terminologique de la systématique du langage, Paris, L’Harmattan.
  • Bourciez J. (1956, 4e éd.), Éléments de linguistique romane, Paris, Klincksieck.
  • Brunot F. (1905-1953), Histoire de la langue française des origines à 1900, Paris, Colin.
  • Chu X.-Q. (1987), Étude sur les verbes modaux en français contemporain, Thèse de doctorat, Université de Provence (dactyl.).
  • Clédat L. (s. d.), Grammaire élémentaire de la vieille langue française, Paris, Garnier.
  • Curat H. (1991), Morphologie verbale et Référence temporelle en français moderne. Essai de sémantique grammaticale, Genève – Paris, Droz.
  • Delbecque N. (à paraître), « Les limites de la pronominalisation : les complétives directes », Actes du Congrès de Linguistique et de Philologie Romanes, Palermo, 1995.
  • Dubois J. & Jouannon G. (1956), Grammaire et Exercices de français. Classes de la sixième à la troisième, Paris, Larousse.
  • Dussouchet J. (1912), Cours primaire de grammaire française, Paris, Hachette.
  • Foulet L. (1958), Petite syntaxe de l’ancien français, Paris, Champion.
  • Fradin B. (1978), « Les phrases clivées en français : propositions pour une réanalyse », Recherches linguistiques de Vincennes, 7, p. 89-132.
  • Gaatone D. (1995), « Syntaxe et sémantique : le cas des verbes transparents », Perspective, Revue de l’Université Hébraïque de Jérusalem, 2, Le Langage et le Texte. Hommages à Alexandre Lorian, p. 55-71.
  • Gaatone D. (1998), Le Passif en français, Bruxelles, Duculot.
  • Grevisse M. & Goosse A. (1986), Le Bon Usage. Grammaire française, 12e éd. refondue par A. Goose, Louvain, Duculot.
  • Gross M. (1975), Méthodes en syntaxe, Paris, Hermann.
  • Hopper P. J. & Traugott E. C. (1993), Grammaticalization, Cambridge University Press.
  • Jones M. A. (1996), Foundations of French Syntax, Cambridge, Cambridge University Press (Cambridge Textbooks in Linguistics).
  • Le Goffic P. (1994), Grammaire de la phrase française, Paris, Hachette.
  • Lemaréchal A. (1998), Étude de morphologie en f (x,…), Louvain – Paris, Éditions Peeters.
  • Meillet A. (1912, éd. 1956 et 1958), Linguistique historique et Linguistique générale, Paris, Champion.
  • Molinier C. (1994), « Constructions en “C’est” : une classification générale », Cahiers de grammaire, 21, p. 75-94.
  • Riegel M. et al. (1994), Grammaire méthodique du français, Paris, PUF.
  • Thompson S. A. & Mulac A. (1991), « A quantitative Perspective on the grammaticization of Epistemic Parentheticals in English », in Approaches to Grammaticalization, E. C. Traugott & B. Heine (éd.), Amsterdam, John Benjamins, vol. II, p. 314-329.
  • En ligneTraugott E.C. & König E. (1991), « The Semantics-Pragmatics of Grammaticalization Revisited », in Approaches to Grammaticalization, E. C. Traugott & B. Heine (éd.), Amsterdam, John Benjamins, vol. I, p. 89-218.
  • Traugott E. C. & Heine B. (éd.) (1991), Approaches to Grammaticalization, Amsterdam, John Benjamins, 2 vol.
  • Willems D. (1969), « Analyse des critères d’auxiliarité en français moderne », Travaux de linguistique, 1, p. 87-95.
  • Wilmet M. (1997), Grammaire critique du français, Louvain-la-Neuve, Hachette-Duculot.
Claire Blanche-Benveniste
Université de Provence, Aix-Marseille I
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 28/03/2013
https://doi.org/10.3917/ss.003.0075
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Presses universitaires de Caen © Presses universitaires de Caen. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...