CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La « Géographie militaire » : quand j’ai commencé ma carrière universitaire, dans les années 1970, cette seule expression (tout comme celle de « géopolitique » d’ailleurs) faisaient s’étrangler de rire les conseils scientifiques des Universités auxquelles on proposait des programmes de recherche dans ce domaine. Quand on n’était pas soupçonné de vouloir réhabiliter la Geopolitik nazie.

2Il faut dire que l’on sortait de la période des guerres « de décolonisation », pour lesquelles la connaissance du terrain, de l’organisation de l’espace, des hommes, de leur culture, de leur histoire, avait été essentielle, de l’Indochine à l’Afrique du Nord (et avaient suscité des spécialistes et des travaux résumés par les très intéressantes publications de feu le Centre des Hautes Etudes sur l’Afrique et l’Asie modernes (CHEAAM), malheureusement supprimé en 2000. Et on pensait qu’on en avait fini avec les guerres traditionnelles, pour lesquelles le terrain et les territoires jouaient un rôle essentiel.

3En effet, aux yeux de la stratégie nucléaire, le monde formait un espace géographique indifférencié et homogène, où seul comptait la répartition des masses de population et des zones économiques, pour déterminer les objectifs des frappes. A partir de la fin des années 1970, l’apparition des armes de précision à longue portée paraissait annoncer l’avènement d’une guerre en quelque sorte abstraite, pour laquelle il suffisait de numériser le terrain et de connaître avec précision sa position ainsi que celle de l’adversaire, grâce aux satellites, pour échapper aux misères de la cote 309, de la contre-pente et de la crête militaire.

4Cette évolution rencontrait d’ailleurs à l’époque celle des économistes du monde libéral, qui estimaient (avant les chocs pétroliers et, par la suite, la nécessité d’accéder à de nouvelles ressources très localisées, comme les terres rares) que la répartition mondiale des matières premières n’était plus un problème. Développement exponentiel des transports maritimes voire aériens aidant, la planète devenait homogène aux yeux des économistes des années 1970 et 1980.

5Mais depuis les conflits en Irak, en ex-Yougoslavie, en Afghanistan et autres lieux, la géographie revient en force. La connaissance physique et humaine du terrain s’est révélée indispensable, aux niveaux tactiques et opératifs. Tandis que la décomposition accélérée du système international impose le retour aux raisonnements complexes de la géostratégie et de la géopolitique.

6Et au niveau tactique ou à celui du théâtre d’opérations, on se rend compte que les moyens modernes de localisation et d’informatisation du champ de bataille ne se substituent pas à la géographie militaire classique, mais la complètent.

7L’ISC et son fondateur, Hervé Coutau-Bégarie, en ont toujours été convaincus. C’est pourquoi ce numéro de Stratégique préparé par Philippe Boulanger porte le titre de « Géographie militaire III » : comme les lecteurs pourront s’en rendre compte, il poursuit une tradition de notre revue, en l’actualisant.

Georges-Henri Soutou
de l’Institut
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Mis en ligne sur Cairn.info le 26/12/2018
https://doi.org/10.3917/strat.119.0007
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