CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 À l’heure où l’on reparle de défense européenne, et même d’une Armée européenne, force est de constater que les avancées les plus concrètes ont lieu dans le domaine des armements, avec des pro­grammes multinationaux et la création d’un Fonds européen de Défense qui va financer des recherches et des fabrications, et qui est doté d’un important budget. C’est certes indispensable, mais cela correspond aussi à l’approche et à la méthode de la construction européenne depuis la Communauté Charbon-Acier en 1950 : la création de structures économiques et techniques communes est supposée conduire progres­sivement à l’émergence d’un sentiment d’appartenance et d’une volonté politique partagés.

2 Or les contributions rassemblées dans ce recueil, et il faut en féliciter les responsables très vivement, montrent que les armements ne peuvent jamais être compris en dehors de leur contexte politique, intérieur et extérieur, de leur environnement économique, social, voire culturel. L’illusion de l’Ingénieur et du Technocrate, selon laquelle les nouveaux moyens militaires conduiront forcément les acteurs à adopter de nouveaux concepts stratégiques et de nouvelles orientations politi­ques, est trop simple. Et beaucoup trop simple quand on touche aux questions de souveraineté.

3 Certes, une révolution technologique peut contribuer à une révolution dans les affaires militaires, mais elle n’agit jamais seule et indépendamment du milieu. Si elle ne rencontre pas des concepts straté­giques et opératifs qui l’intègrent et une volonté politique qui l’assume, elle peut rester lettre morte. L’exemple des blindés français en 1940 face aux Panzer allemands est un exemple classique, mais éclairant : la technique était là dans les deux camps, mais en Allemagne elle était intégrée dans la conduite de la guerre et la stratégie, pas en France.

4 Les auteurs nous mettent donc en garde contre l’illusion technicienne. Or cela vaut aussi pour les projets européens : sans une volonté politique commune, sans des conceptions stratégiques commu­nes, sans des organisations compatibles et des états-majors opération­nels communs, il n’y aura pas de Défense européenne. Et même les programmes d’armements communs trouveront vite leurs limites dans la multiplication des versions « nationales » et les hésitations doctri­nales. On en a eu de nombreux exemples par le passé…

Georges-Henri Soutou
de l’Institut
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2019
https://doi.org/10.3917/strat.118.0009
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